2
Europe, du mythe à l’idéal… et vers la réalité ?

Europe, du mythe à l’idéal… et vers la réalité ?

Europe, du mythe à l’idéal… et vers la réalité ?

Pour une fois, une petite réflexion sur un sujet non artistique… encore que…
La politique, ou « vie de la cité », au sens étymologique du terme, traverse nombre d’œuvres. Et chacun d’entre nous, comme citoyen, a le devoir de s’y pencher.

Notre cité, en ce début du XXIe siècle, n’est plus seulement notre ville ou notre village, mais bien le monde.
Et pour les habitants du Vieux Continent, c’est tout au moins l’Europe elle-même.
Mais les récentes élections démontrent avec éclat que, pour citer de Gaulle, il ne suffit pas de « sauter comme un cabri » en proclamant « l’Europe, l’Europe ! » pour que les peuples du continent soient emportés par le même enthousiasme. Pour qu’ils partagent l’idée de faire partie d’une même nation.
Je me suis posé alors la question : l’Europe est-elle et peut-elle être notre nation ? Mais qu’est-ce qu’une nation, en fait ?

Un mythe fondateur ?

Ravie par Zeus à son rivage phénicien de Tyr, la fille d’Agenor donnera son nom à la terre où le Roi des Dieux la déposera pour l’aimer. Un début pas forcément prometteur que cet enlèvement. On aurait pu penser que l’Olympien aurait fait à sa conquête le somptueux cadeau de lui offrir cette terre en souveraineté… ce ne fut pas le cas, elle qui fut donnée en mariage à un autre… ainsi va la faveur versatile les Dieux.

Une histoire commune ?

Le continent qui porte le nom d’Europe peut par contre compter sur une histoire très riche. Depuis l’établissement des peuples indo-européens jusqu’aux guerres mondiales du XXe siècle, en passant par le destin imposé par l’Empire Romain, les parentés croisées des anciennes monarchies ou les soubresauts des révolutions du XIXe siècle, l’histoire de chaque pays d’Europe est intimement liée à celle de ses voisins. Mais nous avons aussi une histoire commune avec d’autres parties du monde sans pour autant nous sentir faire partie d’une même nation. Depuis deux siècles la France et les États-Unis d’Amérique sont alliés, mais peu d’entre nous peuvent se sentir assez proches d’un américain du Midwest pour penser faire partie de la même nation.

Une langue commune ?

À première vue, c’est le critère le moins pertinent, si l’on considère la multiplicité et la diversité des langues parlées sur le Vieux Continent. Cependant, chacune de ces langues peut être apparentée à une ou plusieurs autres et toutes ont des racines communes (hormis le basque, je vous l’accorde…). On peut aussi comparer les différences qui les séparent à celles qui distinguent, disons l’occitan du picard. Si l’idée de nation a émergé en France, les différences linguistiques ont tout de même perduré très tard.

Une religion commune ?

Si l’Europe fut le berceau du christianisme, elle fut aussi celui de l’athéisme, et la sécularisation engagée depuis les Lumières a traversé tout le continent pour en faire le moins religieux de tous.

Une culture commune ?

C’est, je crois, là que l’on peut trouver une réponse. La conjugaison d’une histoire aussi imbriquée et de langues plus ou moins apparentées les unes aux autres n’a pu que créer des ponts entre les nations européennes. Ces ponts sont une certaine forme de pensée, depuis le droit romain jusqu’à des courants comme l’Humanisme, qui ont traversé tout le continent. À l’époque médiévale, les frontières n’étaient pas du tout les mêmes et les « étudiants » de l’époque allaient suivre des cours à Bologne comme à Montpellier. Si une langue structure la pensée et les concepts, le fait que nos langues soient issues d’une même origine nous fait appréhender la réalité suivant des abstractions assez proches. De là un sentiment de communauté d’intérêts, une proximité.
Sans nier les différences régionales existant au sein même de la nation française, nous partageons ce sentiment de faire partie d’un même ensemble.
Si l’on réfléchit à l’échelle européenne, et en évacuant les stéréotypes qui veulent que les Allemands soient disciplinés et rigoristes et les Espagnols au sang chaud, à quel point nous sentons-nous proches de nos voisins immédiats : espagnols, allemands, belges, suisses ?
Je crois que si l’on est honnête, cette proximité est une réalité.
Mais qu’en faire ?

Un destin commun ?

C’est là toute la question. Voulons-nous lier notre destin à celui des autres européens ?
C’est une question de volonté. Volonté politique, volonté des peuples, volonté de chacun d’entre nous.
Et il faut se poser la question non seulement d’un point de vue « défensif » – résister aux influences des autres blocs de civilisation comme l’Asie ou l’Amérique, minimiser les effets pervers de la mondialisation –, mais aussi d’un point de vue « positif » – construire un modèle qui peut relancer notre civilisation vers de plus grandes réalisations, dynamiser nos arts, nos sciences, notre pensée.

C’est l’échec de la conception actuelle de l’Europe.
Tout le monde ne parle de l’Europe, en France, mais aussi dans les autres pays européens, qu’en terme de protection, de forteresse.
Mais il y a aussi et surtout une dimension plus positive et constructive à prendre en compte. La résistance ne fait pas forcément les grandes choses. Les grandes choses se font quand on regarde vers l’extérieur.
La diversité même des Européens est leur force, comme leur unité d’histoire et leur communauté de pensée. Ensemble, non seulement ils peuvent éviter que des modèles qui ne leur conviennent pas ne prennent pied dans leur vie, mais encore peuvent-ils construire un modèle meilleur encore.

Construire une Utopie ?

C’est précisément ce qui nous manque. Une utopie, un Rêve Européen comme il y a eu un American Dream.
Mais comment ?
Je suis persuadé que l’influence la plus forte n’est pas l’influence politique, mais bien l’influence des idées, des concepts, des arts. C’est la culture qui influence les esprits. Servons-nous de notre culture commune et amplifions-la.
À commencer par donner à l’Europe une dimension éducative.
L’Humanisme s’est répandu à travers le continent à la Renaissance grâce aux universités qui formaient un maillage étendu. Reconstruisons cette trame. Confions à l’Europe des universités dans chaque pays, dans chaque région, où les étudiants ne seraient pas seulement ceux du programme Erasmus, qu’il faudrait étendre d’ailleurs.
L’Union elle-même pourvoirait au financement et au recrutement des enseignants, qui seraient de véritables fonctionnaires européens.
Nous formerions ainsi une jeunesse européenne imprégnée des mêmes idées, qui personnifierait la diversité et la richesse du continent dans son ensemble.
Il reste à déterminer dans quelle langue l’enseignement se ferait. J’ai bien peur qu’il ne faille accepter que ce soit l’anglais, même si, en bon français que je suis, je ne puis m’empêcher de penser que la langue de Molière serait plus apte dans ce rôle. Il est bien évident que la majorité des jeunes Européens parlent un minimum d’anglais, et une minorité le français, hélas.
À moins de considérer que l’apprentissage de langues différentes puisse aussi faire partie de ce projet.
Ou de penser que l’enseignement se ferait dans la langue du pays qui hébergerait l’université.
Les programmes seraient déterminés au niveau européen, bien sûr.
Le corollaire de cette idée est de créer des diplômes européens, reconnus dans toute l’Union. Et probablement reconnus ailleurs.

Et pourquoi se cantonner à l’université ?
Je crois que l’enseignement primaire et secondaire devrait rester la primauté des États, mais qu’il faudrait créer des programmes coordonnés. En Histoire et en Géographie, nous devrions apprendre à nos enfants un point de vue européen et pas seulement centré sur notre pays.

Le résultat se verrait en deux à trois générations. Car il ne faut pas se leurrer, le sentiment européen mettra du temps à s’enraciner. Un changement de cette envergure sera long. Mais c’est le seul moyen de construire une Europe qui soit aussi durable que l’Empire Romain et pas un assemblage artificiel conçu par des politiques déconnectés de la réalité.

Il faut aussi commencer à considérer que les citoyens européens doivent avoir des droits et des devoirs européens.
Ce qui veut dire deux choses essentielles : une véritable démocratie européenne, et une fiscalité européenne.

Pour le premier point, il est évident qu’il faut renforcer les pouvoirs du parlement européen. Lui donner un droit d’initiative des lois. Lui donner le pouvoir d’élire le président de l’exécutif, ou bien que ce président soit obligatoirement issu du parti ayant remporté les élections. Comme dans toutes les démocraties. Il a déjà le pouvoir de voter le budget de l’Union, mais c’est un pouvoir trop encadré par les États qui donnent des subsides et négocient à chaque période leur participation.
L’idée est de créer un impôt européen que paierait chaque État à hauteur d’un pourcentage de sa masse fiscale. Bien sûr ce pourcentage devra être le même pour tous les États, pour que chaque habitant de l’Union paye en proportions égales. Ce pourcentage pourra même être indiqué directement sur la feuille d’impôt du contribuable, comme il l’est pour nos collectivités territoriales.
L’impôt étant le socle de la solidarité, le contrôler via une instance démocratiquement élue et non plus par des tractations entre dirigeants pour des raisons plus ou moins louables est une nécessité. Absolue.

Ce budget pourrait servir à l’agriculture, comme actuellement, à l’industrie, mais aussi et surtout à la recherche et à développer une réelle place à notre continent. Une défense réelle, avec un squelette d’armée européenne. Une harmonisation de nos règles sociales. Des investissements massifs pour créer une révolution écologique et énergétique. Une véritable politique de numérique en créant un « cloud » européen avec nos propres règles et plus celles des USA. Bref, une vie quotidienne qui soit imprégnée d’une Europe positive.

Mais tout ceci présuppose d’abord une condition extrêmement difficile à remplir : que chaque pays accepte de briser ses propres conservatismes. Que chacun accepte que les autres aient beaucoup à nous apprendre et que nous devrons abandonner certains de nos « avantages » pour en gagner d’autres.
Ce n’est vraiment pas un combat gagné d’avance, mais c’est le seul moyen pour sortir d’un modèle qui ne correspond pas aux attentes des citoyens de l’Union.

Quitte à faire un nouveau traité avec quelques pays seulement.