Balade chinoise, d’Anatole X
S’il est des expériences qui ont pu me marquer dans ma plus si courte existence, la découverte de la Chine fait assurément partie des plus fortes.
Ce fut sans doute aussi le cas pour Anatole X, nom de plume choisi par l’une de mes compagnons de voyage à l’époque, puisque son premier roman se déroule à Shanghai.
Balade Chinoise est un court roman sur l’escapade d’une photographe reconnue qui se rend pour la première fois dans l’Empire du Milieu, presque à contrecœur, pour un vernissage. Elle sera bouleversée dans ses certitudes, ses angoisses et sa vision du monde par cet autre univers qui la happe et l’attire tout autant qu’il la repousse et l’effraie. Un choc suffisant pour changer réellement sa vie ?
Ce premier roman s’attaque à la force d’attraction d’un continent qui a déjà inspiré bien des écrivains, mais il le fait à travers les interrogations et les préoccupations artistiques d’une femme dont la vie s’est embourbée dans un confort matériel et moral dont elle est elle-même la complice autant que la victime.
Un sujet délicat que de parler du choc de la découverte mutuelle entre l’Orient et l’Occident, de leurs relations complexes et des échos qu’ils trouvent l’un dans l’autre dans la réalité et dans leurs fantasmes respectifs.
L’originalité tient ici dans le fait que cette rencontre est très personnelle, presque physique, entre le personnage principal et ce nouveau monde rempli de potentialités et de dangers. Elle est aussi et surtout psychique, morale, intime.
Ayant la chance de bien connaître l’auteur et d’avoir participé à la relecture du manuscrit, j’ai eu envie de lui poser quelques questions sur ce roman et sur sa façon d’écrire en général, tant il est vrai que chaque écrivain ressent les choses différemment des autres. Et elle a accepté de se prêter au jeu.
Chère Anatole, bienvenue dans le Nid du Phoenix. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Tu ne veux pas le faire plutôt ?
Hum… Peut-on dire que tu es de la génération née dans les années 70, que tu as une formation et que tu travailles dans un milieu très technique ?
Et que l’écriture est une respiration nécessaire et un besoin jamais démenti depuis mon enfance.
Dans ton premier roman publié, Balade Chinoise, l’héroïne découvre plus qu’un nouveau continent, une autre planète. On sent la fascination que semble exercer ce monde tout au long de cet ouvrage sur elle. Pourquoi avoir choisi la Chine, et pourquoi cette fascination ?
La Chine a un pouvoir mystérieux. Tout la différencie du reste du monde : sa langue, son histoire, sa volonté de puissance actuelle inébranlable. Le meilleur comme le pire y cohabitent. La Chine est un pays qui a l’intelligence économique, pour le reste, la partie politique, je suis plus réservée. C’était pour moi le pays idéal pour évoquer un dépaysement brutal.
Sasha, l’héroïne, est photographe, et son récit est fait à la première personne. Est-ce que l’image et la couleur, si importantes pour son œuvre dans le livre ont changé ta façon d’écrire ?
Pas particulièrement. La photographie est à la fois une technique utile et un art. Cette ambivalence est étrange. Pour ce roman, choisir comme personnage principal, en mode subjectif, une photographe permet une lecture de l’environnement particulière où le regard et la sensibilité artistique dominent. Creuser cette approche m’intéressait.
Le milieu artistique est important dans le livre. Sasha est une artiste « arrivée », qui a du succès, qui gagne bien sa vie, confortablement même, mais qui semble opposer créativité et confort de vie. C’est un peu ce que l’on ressent aussi avec son « pendant » chinois, le personnage de Lao Wang, qui par force fait des choix totalement différents. Est-ce aussi ta façon de penser ? Duquel te sens-tu la plus proche ?
Sasha s’est détachée d’un milieu d’artistes « maudits » pour passer du côté des artistes plus établis, aux dépens de sa créativité. Elle a fait le choix de vivre sans idéal à un moment où son inspiration se tarissait. Lao Wang est un artiste jeune, engagé, résistant, dissident d’une politique qu’il juge totalitaire. Il s’inscrit cependant dans une tradition formelle de l’art de la calligraphie. Il est porté par un idéal politique et artistique que Sasha a perdu. Il ne s’agit pas d’une posture.
Ce n’est pas le confort matériel de Sasha qui a tari sa créativité. Sasha n’est pas un génie porté par son ego, son œuvre, sa vision de l’univers ou un idéal. C’est une femme qui a voulu réussir et a saisi les opportunités sans forcément en comprendre les enjeux et qui en ressent cruellement l’impact à ce moment de sa vie, où tout semble joué. Le confort matériel ne freine pas la créativité, il peut au contraire l’accompagner, la faciliter. Ce n’est pas le cas de Sasha.
Sasha fait souvent référence à son âge, et dans le roman les Européens comme les Occidentaux au sens large sont souvent décrits comme des gens sclérosés ou irrespectueux, bref comme des vieillards ou des enfants. Ce parallèle est-il calculé ?
Ce sont des occidentaux expatriés, qui viennent profiter de la manne chinoise. De vieux relents d’esprit colonialiste se révèlent dans leur comportement. Et puis, pour être honnête, ça m’amusait de nous caricaturer dans ce contexte.
L’ambivalence entre le frère Wu Li et la sœur Wu Jian est si forte qu’on a l’impression de voir deux facettes radicalement opposées et pourtant si proches. C’est encore une autre dualité au sein du roman, construit autour de multiples couples qui s’attirent et se repoussent à la fois. Est-ce finalement ta vision de la Chine, ou bien d’une façon plus large des relations que nous avons avec elle ?
C’est le yin et le yang…
Parlons un peu de toi. Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire dans ta vie, puis à publier ?
Rien ne m’a poussé, j’en ai eu envie dès que j’ai appris à écrire.
Pour la publication, dans ce cas précis, elle me permet de passer à un autre projet l’esprit libre.
As-tu des habitudes d’écriture, des rituels ?
Non, pas particulièrement.
As-tu des références littéraires précises, cultes ou qui t’ont marquées ?
Les plus marquantes sont :
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Colette, pour la liberté au féminin après la série des Claudine
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Boris Vian, pour sa sensibilité, sa façon d’imposer au roman sa prose poétique et ses histoires originales
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John Irving, Le monde selon Garp a été mon livre de chevet pendant quelque temps. J’admire sa créativité, chaque page est surprenante !
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Hanif Kureishi, Black Album et le Bouddha de Banlieue sont des portraits forts et, comme pour Irving, très créatifs, inhabituels, et en prise avec la société contemporaine de leur œuvre.
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John Fante, Demande à la poussière est un chef d’œuvre absolu.
Balade Chinoise est autoéditée et seulement disponible en version électronique. Pourquoi ce choix ?
Parce que Le Dilettante n’a pas voulu le publier. Ça m’a vexée, j’ai décidé de m’auto éditer. Ça prend cinq minutes et on ressent une impression de liberté totale. Ça me plaît.
Tu as publié sur la plateforme Kobo, connue pour son application stricte de DRM (Digital Rights Management, un dispositif anticopie qui s’apparente à un verrou numérique empêchant de partager le livre) même s’il est possible de publier sans DRM depuis peu. Quelle est ta position sur les DRM dans l’édition ?
Aucune, je n’avais pas compris ce qu’impliquait ce choix. J’aurais dû te demander avant de le faire.
As-tu des projets littéraires ou artistiques en cours ?
J’écris un roman « choral » que j’espère humoristique, et je participe à un blog où je traite des questions d’éducation (http://www.energies-libres.fr). Je ne suis pas une artiste, en fait.
Qu’est-ce qui fait un artiste, alors, pour toi ?
Pour moi un artiste vit librement, guidé par sa vision personnelle du monde, sans autre forme de contrainte.
Merci Anatole et longue vie à Balade Chinoise.
Je suis sûr qu’on aura l’occasion de parler à nouveau littérature ensemble dans le Nid du Phœnix…