Prescrire ou non un médicament, le bénéfice et le risque
En pleine pandémie, nous cherchons tous à trouver de nouveaux moyens de protéger, soigner et surtout guérir, chacun à notre niveau, que nous soyons soignants ou pas.
Nous nous tournons vers la recherche de nouveaux moyens immédiats (des médicaments curatifs pour tuer le virus) ou plus lointains (un vaccin pour protéger ceux qui n’ont pas encore contracté la maladie). Mais comme la recherche prend du temps, nous regardons aussi de plus en plus vers les médicaments que nous possédons déjà.
Je ne rentrerai pas dans le débat de savoir si la chloroquine et l’hydroxychloroquine peuvent être utilisées en traitement du Covid-19. Je ne suis pas qualifié pour cela, et très honnêtement, je crois que personne dans le monde ne l’est vraiment actuellement, pas même les promoteurs farouches ou les adversaires irréductibles de cette solution, avant que des études sérieuses, scientifiques, statistiques, nous l’aient montré.
Pourquoi ?
C’est tout l’objet de cet article, qui vise à vous montrer qu’il n’est pas si simple d’utiliser un médicament, même vieux et bien connu, sur une pathologie que l’on ne connaît pas bien.
Le bénéfice
Le but premier d’un traitement, qu’il soit médicamenteux ou non, est bien sûr de soigner, soulager, ou guérir une maladie. On attend donc des bénéfices en le prenant ou en le prescrivant. Mais il n’existe pas de médicament miracle, sauf dans certaines circonstances très particulières dans lesquelles on sait que certaines molécules sont extrêmement efficaces pour traiter une pathologie très ciblée (l’indométacine utilisée par exemple dans les hémicrânies paroxystiques, des céphalées assez rares).
Donc si l’on espère des bénéfices d’un traitement, on ne peut jamais être sûr de ce qu’il va apporter chez une personne en particulier. L’efficacité d’un traitement dépend en effet de nombreux facteurs qui ne sont pas tous maîtrisables et ce qui va marcher chez un patient peut très bien échouer chez une autre patiente et inversement.
Et puis d’ailleurs, quel bénéfice peut-on attendre ?
A-t-on un médicament qui soulage juste certains symptômes de la pathologie, ou alors un qui guérit totalement le patient et le débarrasse de son problème définitivement ? La majorité des traitements ont plutôt une place intermédiaire : ils ne guérissent pas complètement la maladie, mais aident à en soulager de nombreux symptômes, voire à les faire presque disparaître pour un temps long.
Le problème principal est qu’on ne sait jamais avant d’avoir essayé dans quel cas on va se trouver pour un patient donné avec une molécule donnée.
On est donc obligé de faire en quelque sorte un pari thérapeutique sur l’efficacité d’une molécule (ou d’un traitement non médicamenteux) dans une situation donnée.
Mais bien sûr on ne prescrit pas au petit bonheur la chance.
On sait que certains médicaments ont tendance à être plus efficaces que d’autres selon certaines circonstances et dans certaines pathologies.
Mais comment le sait-on ?
La maladie vient-elle nous dire elle-même : «Hey, salut, tu sais, si tu veux guérir ton patient, tu as plutôt intérêt à utiliser cette molécule, elle marche du tonnerre» ? Non, c’est un cas de figure que je n’ai jamais rencontré.
Un médecin génial ou un professeur vient-il nous dire : «Tiens, utilise ça, tu vas voir, ça va marcher» et on le croit sur parole ? On pourrait, et c’est d’ailleurs comme ça qu’on a fait pendant longtemps. Mais même les plus grands savants peuvent se tromper, et ne pas avoir testé le bon médicament, le plus efficace, celui qui aidera vraiment à soigner la maladie.
Alors maintenant, on se base sur une méthode qui a fait ses preuves : on compare l’efficacité des molécules sur différents groupes de patients, les plus nombreux possibles, et on regarde ce qui se passe. On en tire des statistiques qui aident à déterminer quels sont les traitements les plus efficaces sur une pathologie donnée. On peut aussi comparer plusieurs molécules entre elles et plusieurs formes de la maladie entre elles.
Et on regarde les bénéfices.
Mais là encore, il faut faire attention, car les fameuses études dont on parle beaucoup en ce moment, peuvent être interprétées de plusieurs façons différentes en fonction du point de vue depuis le lequel on les regarde.
Un exemple tout simple, avec les médicaments anti-cholestérol appelés statines.
Toutes les études pour les évaluer recherchent un bénéfice en particulier : la baisse du taux de cholestérol dans le sang.
Et de ce point de vue là, toutes les molécules testées sont reçues avec mention. Formidable, non ?
Oui, mais moi, comme médecin, je ne soigne pas un taux de cholestérol, je soigne un patient, et le bénéfice que j’attends pour mon patient s’il prend une statine, c’est non pas que son cholestérol baisse, mais qu’il puisse éviter de faire un infarctus ou un accident vasculaire cérébral, bref : que la molécule lui évite de tomber malade ou de mourir.
Donc, si je regarde les études qui montrent le bénéfice en termes de survie des patients ou d’accidents vasculaires évités… là, je ne vais pas avoir les mêmes résultats… très peu de statines ont montré scientifiquement que si vous les prenez, vous allez avoir statistiquement moins de risques de mourir d’un infarctus.
Étonnant, non ?
La question se pose donc aussi pour les essais sur les traitements du SARS-Cov-2.
Que va-t-on mesurer ?
Une baisse de charge virale chez les patients (comme dans l’essai mis en avant par le Pr Raoult) ?
Honnêtement, je crois que le patient s’en fout. Parce que moi, médecin, je m’en fous complètement de savoir si mon patient a une charge virale en baisse ou pas.
Ce que je veux savoir, c’est si le traitement empêche mon patient de contracter une forme grave, et s’il guérit le Covid-19. Je veux savoir si mon patient guérit plus vite avec le traitement que sans le traitement. Je veux savoir si c’est efficace pour soigner plus vite et guérir mon patient.
Et ça, jusqu’à présent, personne n’en parle…
Encore une fois, ce qui m’intéresse, c’est de guérir mes patients atteints de Covid-19.
Le risque
Mais s’il n’y avait que l’incertitude du bénéfice, ce serait un monde parfait…
Or, nous ne sommes pas dans un monde parfait. Plutôt dans un monde parfaitement imparfait, mais c’est une autre histoire.
Car tout médicament est aussi un poison.
Donc tout médicament risque de provoquer des effets indésirables chez mes patients.
Ces effets dépendent beaucoup de la dose utilisée, mais aussi du terrain du patient, des interactions avec d’autres molécules. Et puis certains effets indésirables sont incompressibles tellement ils sont fréquents, comme l’excitation et l’effet dopant des corticoïdes, ou la diarrhée avec certains antibiotiques. Et enfin, certains autres effets indésirables sont inhérents au mécanisme d’action de la molécule et sont donc obligatoires, comme l’accélération du rythme cardiaque avec le salbutamol, ou les perturbations du fonctionnement du foie avec le paracétamol.
Donc quand je prescris un médicament, je sais qu’il va potentiellement induire des effets secondaires de plus ou moins grande importance chez le patient.
Je tente de les minimiser, bien sûr, en ajustant la dose, en choisissant la molécule qui me semble avoir le profil le plus favorable pour chaque patient (et c’est aussi pour ça qu’une prescription valable chez une personne ne l’est pas forcément chez une autre) en fonction de ses antécédents médicaux.
Mais il y aura toujours un risque.
C’est vrai, certains effets secondaires sont assez peu graves, même s’ils sont gênants : une sensation de bouche sèche, bon, on s’en passerait, mais c’est acceptable. Comme l’insomnie fréquente avec les corticoïdes, encore eux.
Mais d’autres sont plus préoccupants et peuvent avoir des conséquences sur la vie future, comme les risques de fibrose pulmonaire et donc d’insuffisance respiratoire chronique définitive dans certains médicaments qui régulent le rythme cardiaque.
Et enfin, d’autres, plus rares, peuvent entraîner la mort.
Comme pour les bénéfices, les risques d’une molécule sont statistiques et on ne peut pas toujours les prévoir pour un patient en particulier.
On doit donc là aussi faire un pari thérapeutique.
C’est pour cela qu’on fait des études poussées sur la fréquence et la gravité des effets secondaires d’un médicament, et c’est surtout pour cela que tous les médicaments sont ensuite surveillés en permanence par un système qu’on appelle la pharmacovigilance, chargée de répertorier les nouveaux effets secondaires d’une molécule que l’on n’aurait pas remarqués auparavant.
Pour votre information, j’ai sélectionné quelques-uns des effets secondaires connus de la chloroquine/hydroxychloroquine d’après le Vidal. Les mises en exergue sont de moi, pour vous montrer que certains effets peuvent régresser après arrêt du traitement, ce qui veut dire que ce n’est pas systématique et que donc certains patients peuvent garder ces effets secondaires définitivement. J’ai aussi fait des liens vers les pages expliquant certains syndromes qui, pour être rares, sont gravissimes.
Peu fréquent : Des modifications au niveau de la cornée (œdème, dépôts cornéens) ont été rapportées. Soit elles sont asymptomatiques, soit elles provoquent des perturbations telles que des halos ou une photophobie. Elles sont réversibles à l’arrêt du traitement.
[…]
Très fréquent : douleur abdominale, nausées.
Fréquent : diarrhées, vomissements.
Ces symptômes disparaissent généralement dès la réduction de la dose ou à l’arrêt du traitement.
[…]
Fréquence indéterminée : éruptions bulleuses incluant l’érythème polymorphe, le syndrome de Stevens-Johnson, le syndrome de Lyell, et le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (DRESS syndrome), la photosensibilité, la dermite exfoliative, la pustulose exanthématique aiguë généralisée [PEAG] (cf. Mises en garde et Précautions d’emploi).
La PEAG est à distinguer du psoriasis, bien que Plaquenil puisse provoquer une aggravation de psoriasis. La PEAG peut être associée à de la fièvre et une hyperleucocytose. L’issue est généralement favorable après arrêt du traitement.
Fréquence indéterminée : cardiomyopathie qui peut mener à une insuffisance cardiaque d’évolution fatale dans certains cas (cf. Mises en garde et Précautions d’emploi, Surdosage). Une toxicité chronique doit être recherchée quand des troubles de la conduction (bloc de branche/bloc auriculoventriculaire) ou une hypertrophie ventriculaire sont diagnostiqués (cf. Mises en garde et Précautions d’emploi). L’arrêt du médicament peut conduire à la guérison.
La balance
Vous pouvez donc voir qu’il faut quand même sacrément réfléchir avant de prescrire un médicament.
Cette réflexion porte un nom dans le jargon médical : la balance bénéfice/risque.
C’est une notion assez simple à comprendre mais délicate à manier, que nous avions déjà effleurée lorsque nous avions parlé des examens médicaux de biologie ou de radiologie.
Elle consiste à peser les bénéfices potentiels attendus pour le patient dans sa situation personnelle actuelle et à les mettre en balance avec les risques que la molécule lui fait courir potentiellement. On essaie donc d’estimer deux statistiques l’une par rapport à l’autre. Et on décide en fonction.
Le bénéfice attendu est très supérieur au risque potentiel ? Alors on est serein : on peut prescrire sans arrière-pensée.
Le risque potentiel est au contraire très supérieur au bénéfice attendu ? Là encore, c’est facile : ce n’est pas une option thérapeutique et il faut en trouver une autre.
Mais le cas le plus fréquent est celui où l’on a des bénéfices réels mais pas fantastiques, contrebalancés par des risques rares mais sérieux. Là, croyez-moi, il faut beaucoup discuter avec le patient pour prendre une décision à deux qui soit acceptée réellement et bien comprise. Et il faut parfois prier pour que les choses se passent au mieux. Car là encore, c’est un pari.
Pour parler de la chloroquine : si la molécule guérissait le Covid-19 à tous les coups et empêchait les formes graves avec pneumopathie et détresse respiratoire aiguë, alors on pourrait être très contents et l’utiliser dans les formes qui commencent à devenir graves (parce que risquer une cardiopathie quand on va peut-être mourir d’une pneumopathie sévère, c’est acceptable).
Mais si la chloroquine n’était pas si efficace que ça, est-ce que vous seriez si sereins de risquer un syndrome de Lyell ou une cardiopathie définitive, voire la mort, pour une forme bénigne de Covid-19 qui aurait guéri seule avec un peu de repos ?
Ces deux options sont simples et votre réponse est évidente. Encore que pas pour tout le monde, si l’on en croit cet article.
Mais si la chloroquine était très efficace, mais pas toujours, et que vous êtes atteints d’une forme modérée de Covid-19 avec une pneumopathie (fièvre, très grandes difficultés à respirer, maux de tête, toux sèche très intense et importante) imposant que vous soyez en hospitalisation mais sans détresse respiratoire, vous essaieriez la chloroquine ? Même avec les risques de cardiopathie mortelle ?
C’est une question plus complexe, bien entendu. Et certains auront répondu oui, quand d’autres auront tout de suite refusé le risque de la molécule. Et bien d’autres encore auront pensé «je ne sais vraiment pas, vous en pensez quoi, docteur ?».
Justement, le docteur n’en pense rien dans ce cas-là.
Parce que le docteur, au moment où il écrit ces lignes, ne sait pas si la chloroquine est si efficace que ça pour guérir le Covid-19 (je vous renvoie deux chapitres au-dessus).
Importance de la science
Alors comment savoir ?
C’est facile : il faut étudier la molécule selon un protocole scientifique.
On essaie la molécule en question en sélectionnant deux groupes de patients comparables (mêmes proportions en âge, sexe, pathologies diverses, etc.) et on l’administre à ceux du premier groupe alors qu’on donne soit un placebo soit un autre traitement à ceux du deuxième groupe.
Et on regarde si statistiquement, la molécule fait mieux que le placebo ou que l’autre traitement et quels sont les pourcentages d’efficacité et d’effets secondaires.
Bien sûr, pour que cela soit acceptable par tous, il faut des garde-fous éthiques (nous y reviendrons) mais il faut aussi un peu de temps pour vérifier que la molécule n’ait pas des effets secondaires non prévus, qu’il n’y ait pas d’effets retardés, pour analyser les données et faire un travail propre qui soit sûr autant qu’on puisse l’être.
Souvent même il faut faire d’autres études pour confirmer ou infirmer la première.
Car tout cela n’est pas aussi simple que je le raconte là, bien entendu.
Il faut donc du temps.
Mais quand on n’en a pas vraiment, comme c’est le cas actuellement, on fait comment ?
Des procédures accélérées existent, en prenant plus de risques.
Et pourtant, si l’on veut avoir une certitude et utiliser convenablement la molécule en question, il faut un minimum de rigueur et de sérieux.
Éthique et études scientifiques des traitements médicamenteux
Alors, quand on n’a pas vraiment le temps mais qu’on doit quand même essayer de sauver des patients, que fait-on ?
On écoute son éthique personnelle mais aussi la déontologie de son métier de soignant.
Dans une tribune adressée au journal Le Monde, mais hélas retranchée derrière un paywall ce qui la rend parfaitement illisible au plus grand monde, le Pr Raoult titre «Le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste».
L’article étant donc payant, je ne l’ai pas lu en entier, et je ne sais pas quel est le propos complet du Pr Raoult.
Je ne vais donc pas le critiquer, je vais simplement donner ma version de la signification de cette phrase qui a servi de titre à sa tribune. Je vais expliciter en quoi pour moi l’éthique, puisqu’il est question de cela, d’un soignant et celle d’un méthodologiste peuvent se rejoindre ou se séparer.
Le début de son propos insiste sur les conflits d’intérêt, ce qui semble être une base à la fois du métier de médecin (l’article 5 du Code de déontologie précise bien que le médecin doit être indépendant pour ne pas être nuisible à son patient) et de celui de méthodologiste (s’approcher de la vérité demande d’être dégagé le plus possible des influences extérieures). Il parle aussi de l’idiotie des essais dits de «non-infériorité» et en cela je le rejoins, mais cela n’a pas vraiment de lien avec ce qui nous intéresse dans le traitement d’une maladie infectieuse émergente.
Prenons la phrase de son titre.
Un médecin est un soignant. Son rôle est de soulager et soigner toujours, guérir s’il le peut.
Un méthodologiste est un scientifique non clinicien, dont le rôle est de construire des expériences pures qui seront inattaquables et donc de démontrer grâce à l’interprétation qu’il fera de ses résultats un fait indiscutable, en l’occurrence l’efficacité ou non d’une molécule, son innocuité ou ses effets secondaires, et donc d’éclairer la balance bénéfice-risque.
Les buts ne sont pas les mêmes.
D’un côté quelqu’un qui doit agir, de l’autre quelqu’un qui doit démontrer, convaincre.
L’éthique du médecin lui enjoint, depuis des millénaires de «primum non nocere», d’abord ne pas nuire (sous-entendu : au patient). Ce qui veut dire que l’on va s’interdire de faire peser un trop gros risque à son patient. On va s’efforcer de trouver le meilleur équilibre dans la balance bénéfice/risque.
L’éthique du méthodologiste est celle de l’approche la plus rigoureuse, donc pas forcément la moins risquée.
Mais comment s’approcher du plus juste bénéfice/risque sans rigueur ?
Comment ne pas se baser sur la méthode pour en tirer des conclusions solides et établir son évaluation du bénéfice et du risque sur une fondation stable ?
Si l’on veut d’abord ne pas nuire, il faut commencer par savoir si l’on a au moins un bénéfice attendu à l’utilisation potentielle de la molécule chez un patient. En fonction de l’importance du bénéfice, on va pouvoir évaluer les risques et leur acceptabilité.
On peut ainsi, et c’est prévu, modifier la méthode ou arrêter une étude en cours si l’on se rend compte qu’une molécule est soit très efficace (et donc les patients qui prenaient le placebo ou un autre médicament auraient une perte de chance, ce qui serait contraire à l’éthique, on leur donne donc les mêmes chances que les autres et on interrompt l’étude) soit très dangereuse.
On peut aussi donner un traitement de manière dite «compassionnelle», c’est-à-dire des traitements dont on sait qu’ils ont une chance infime de marcher ou qu’ils ont de très gros effets secondaires potentiels. Mais cela on ne le fait que dans des cas désespérés, des cas où de toute façon le patient est «perdu» et où le risque, même fatal, peut sembler acceptable pour cela.
Mais à la base, il faut une fondation à notre estimation du bénéfice et donc du risque.
Si nous n’avons pas d’études, nous n’avons pas cette fondation, et notre éthique en est rendue caduque.
À mon sens donc, le méthodologiste et le médecin ne sont pas ennemis, mais bien complémentaires l’un de l’autre.
Un médecin doit réfléchir en méthodologiste et en soignant.
Il ne doit pas oublier la science, mais ensuite, c’est son humanité, sa probité, son éthique de soignant qui doivent le guider. Et parfois, c’est vrai, son intuition, c’est-à-dire l’accumulation des petits signes de son expérience. Son sens clinique, qui lui, ne peut pas être modélisé. En tous les cas pas actuellement.
Mais autant le sens clinique est pertinent dans une situation particulière, pour évaluer un bénéfice et un risque individuellement sur un patient ou une patiente données, autant il ne l’est plus pour dire «cette molécule nous débarrassera à coup sûr du virus». Parce que, quelle que soit la puissance de son intuition, elle sera incapable de prédire comment tous les patients vont réagir à cette molécule et incapable de prédire si l’efficacité sera la même. Cela, c’est le domaine des méthodologistes.
À nous, soignants, d’adapter ensuite les résultats des études statistiques à nos patients de chair et d’os.
Mais vouloir faire l’un sans l’autre est une bêtise.
Conclusion
Il peut être tentant de chercher un sauveur dans une situation de crise. De s’en remettre à quelqu’un qui aura toutes les réponses. Voire à une molécule qui sera vue comme notre planche de salut.
Mais je crois qu’il ne faut pas oublier en chemin d’exercer notre intelligence, notre esprit critique, notre discernement.
Il me semble que nous aurions tout intérêt à garder la tête froide et à ne pas imaginer que nous pourrions trouver un remède miracle pour cette pandémie comme pour les suivantes qui viendront sans doute.
Parce que nous avons déjà vécu cela, et que nous devrions nous en souvenir. Ce n’était pas il y a si longtemps que cela. C’était en 2009, il y a 11 ans, lors de l’épidémie de grippe H1N1.
Souvenez-vous. Nous avions rapidement eu un vaccin car contrairement au SARS-Cov-2, le H1N1 était un virus de grippe, donc un virus familier. Nous rêverions d’avoir un vaccin si tôt pour le SARS-Cov-2 ! Et pourtant, un vaccin, c’est comme un médicament, il y a des bénéfices et des risques. Il y a 11 ans, tout le monde s’est rué sur le vaccin disponible. Mais alors que son bénéfice était assez incertain, car la grippe H1N1 s’est avérée relativement peu sévère, l’évaluation de son risque, elle, nous a montré, hélas après coup, un taux assez important d’effets secondaires.
Gardons-nous d’aller trop vite encore une fois.
Apprenons de nos erreurs passées.
Ne nous jetons pas sur une molécule dont on ne sait pas encore si elle a des bénéfices certains sur l’infection Covid-19 mais dont nous connaissons très bien les potentiels effets secondaires.
Parce que si nous sommes trop hâtifs, nous pourrions le regretter.
Je crois que personne n’a envie que nous nous rendions compte dans un an que la chloroquine a été administrée de façon inconsidérée et que des dizaines, des centaines voire des milliers de patients pourraient se retrouver avec de sérieux problèmes cardiaques à cause de cela. Ce serait un véritable scandale sanitaire.
Donc étudions la chloroquine, mais n’en faisons pas une arme absolue contre SARS-Cov-2, et surtout, évitons de croire que c’est véritablement la «fin de partie1» annoncée un peu vite, il me semble.
- En référence au titre un peu putaclic quand même de la vidéo du Pr Raoult sur YouTube, devenue virale depuis sa publication. ↩