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Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, partie 3 : Comment soigner le système de santé

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, partie 3 : Comment soigner le système de santé

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, partie 3 : Comment soigner le système de santé

Le premier juin 2022, j’ai fermé mon cabinet libéral de médecine générale, en laissant, sans successeur, mes 800 patients chercher par eux-mêmes quelqu’un pour les prendre en charge. J’ai tourné le dos à la médecine de premier recours. La pénurie actuelle ne s’en trouvera pas améliorée. Et si j’en assume la décision, je crois que mon devoir est aussi de vous expliquer pourquoi ce sont plutôt les choix politiques de ces trente dernières années qui l’ont provoquée, et ce que nous devrions faire pour que nous puissions tous et toutes, un jour, retrouver malgré tout un système de santé efficace et juste.

Pourtant, je ne suis pas dupe, et je ne crois en aucun cas que les politiques auront le courage et la décence de reconnaître leurs erreurs et surtout d’y porter remède.

Je suis lucide : ce qu’ils ont déjà accompli, ils le poursuivront, et un jour pas si lointain la population française ne pourra plus se soigner correctement.

Ce jour approche bien plus vite que vous ne le pensez.

Alors j’imagine déjà leurs cris d’orffraie, puisqu’ils ont commencé à les pousser durant cette campagne électorale, alors qu’ils sont les pompiers pyromanes à l’origine du désastre.

Ce texte est donc là surtout pour éclairer nos concitoyens sur la réalité, et empêcher les politiques de la travestir en essayant de se dédouaner de leurs responsabilités. Mais c’est aussi un appel adressé à chacune et chacun d’entre nous afin de changer de regard sur la fonction de soignant.

Je vais ainsi égréner dans une série d’articles les différentes raisons qui m’ont poussé à quitter la médecine générale.

Mais il ne suffit pas de dénoncer. Il est temps pour moi d’égrener la liste des solutions que j’entrevois pour reconstruire. Et si je le fais maintenant, c’est aussi parce que le gouvernement actuel nous promet des «états généraux» de la santé. Il convient d’être circonspect, car l’histoire récente regorge de pseudoconcertations qui n’ont pas abouti à autre chose qu’à de la poudre aux yeux.

Les mesures que je propose dans cet article réclament du courage politique. Elles seraient aussi, pour la plupart, relativement longues à porter leurs fruits1. Elles demanderaient surtout des changements d’habitudes de vie assez profonds dans de très nombreux domaines de la société, que probablement vous ne soupçonnez pas : la vie des entreprises, notre manière de nous comporter les uns envers les autres, et de considérer le monde qui nous entoure.

Pourtant, je ne les crois pas utopistes. Toutes sont possibles, mesurables, et réalistes.

Je crois seulement que nous ne sommes pas collectivement prêts à les prendre. Aucune force politique, actuellement, de quelque bord que ce soit, ne songe sérieusement à réformer le monde de la santé dans cette direction-là. Les programmes politiques que vous pourrez lire sont à des années-lumière de ce que je propose, car ils sont, tous, encore englués dans le piège de l’offre et de la demande de soin.

Notre nouveau ministre de la santé, le Docteur François Braun, afficherait une volonté de «transformer un système basé sur l’offre de soin en un système qui répond aux besoins de santé». Si les premières mesures de régulation médicale prises dans l’été 2022 vont dans le bon sens selon moi, il s’agit de savoir ce qu’il entend exactement par là. S’il compte tordre encore un peu plus les professionnels du soin pour les faire entrer dans des objectifs gouvernementaux décidés selon le prisme de la demande non régulée, il nous précipitera vers la catastrophe au lieu de nous en éloigner. N’oublions pas non plus que de nombreux ministres qui étaient médecins ont également participé à plonger dans le pétrin où nous sommes.

Si ce que j’écris plus loin vous paraît sensé, discutez-en ici et surtout autour de vous, portez ces idées, et peut-être que nous pourrons collectivement changer notre futur.

Je garde une certaine foi en l’humain, malgré tout…

Redonner du sens

C’est une expression que l’on entend très souvent, dans de nombreux domaines de notre vie, mais plus particulièrement dans les métiers du soin. Nous faisons face à «une perte de sens» de nos métiers. Nous avons besoin de leur «redonner du sens».

Qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ?

Cela signifie que l’être humain, animal social, a besoin de savoir que ce qu’il fait est utile à quelque chose ou à quelqu’un. De façon plus précise, je crois que nous avons tous besoin de savoir que notre vie compte, que notre existence a une signification, au moins pour nos contemporains, si ce n’est au regard de l’univers. Certaines et certains d’entre nous cherchent cette signification dans une religion, une philosophie, un code d’honneur, d’autres dans leur métier, d’autres encore dans leur famille ou leur vie relationnelle. Pour nous tous, il est vital, psychologiquement, de savoir que notre existence importe à quelqu’un ou à quelque chose. Nous sommes reliés au monde, d’une façon ou d’une autre, que nous le voulions ou pas. Et ce lien est tout simplement ce qui nous fait agir.

Si nous examinons les raisons profondes de nos véritables choix de vie2, je crois que nous pouvons tous et toutes faire le constat que nous avons pris ces décisions parce qu’elles nous paraissaient cohérentes avec une «vision» de ce que devait être une vie réussie. Certaines sont des stratégies pensées depuis l’enfance, d’autres sont improvisées, et parfois ces visions émergent suivant les événements. Mais je suis sûr que toutes ces décisions conscientes que nous prenons, celles qui comptent vraiment, le sont parce que nous pensons qu’elles nous permettront de laisser une trace dans le monde. Notre existence sera ainsi, à nos propres yeux, légitime. Elle aura compté pour nous, et pour les autres, quels que soient ces autres. Une famille, un groupe, une communauté, le monde entier…

Alors si nous prenons ce qui précède comme base de discussion, quel est le sens d’être soignant ?

Chaque soignant aura sa réponse, pourtant je crois qu’on peut trouver quelques raisons constantes.

Soigner c’est prendre soin de quelqu’un, et cela demande donc d’être attentif à l’autre. Cela demande donc de prendre le temps. Le temps de connaître la personne, de s’intéresser à ses besoins, à ses habitudes, à ses valeurs, à ses difficultés, à ses forces et ses faiblesses. Le temps d’examiner son problème et de déterminer avec elle ce que nous pouvons faire pour elle afin de lui permettre de guérir ou, au moins, de continuer à vivre selon ses valeurs malgré sa maladie. Ensuite, de mettre en œuvre les moyens à notre disposition pour aider.

Redonner du sens dans les métiers du soin c’est donc considérer que la relation humaine est à la fois l’objectif et le moyen par lequel on l’atteint.

Si nous sommes d’accord sur ce point, alors tout le reste découle de ce simple axiome, et toutes les propositions que je vais faire ensuite ne devraient pas vous sembler si incohérentes, même si certaines pourront paraître difficiles à mettre en place ou très éloignées de nos habitudes. Vous devrez simplement vous rappeler qu’elles sont toutes dirigées vers l’objectif, et vous pourrez alors voir si elles n’auraient pas le mérite de nous en rapprocher.

Comme tout changement entraine des résistances, vous pourrez ressentir une gêne, une surprise, ou même une réticence.

Nous pourrons en discuter dans les commentaires si vous le désirez.

Rendre du temps de soin

Premier levier : le temps.

Vous savez que je considère le temps comme une partie intégrante du soin. D’une part certaines pathologies bénignes guérissent seules avec le temps (rhumes banals, courbatures liées à l’activité physique, par exemple). D’autre part, notre rapport au temps doit se caler à nouveau sur celui des processus biologiques, qui sont à la fois lents et très rapides. Lents parce qu’ils ne sont jamais aussi efficaces que nous l’aimerions (et toute maladie est donc un inconvénient avec lequel nous devons accepter de vivre un certain temps) et rapides parce que malgré tout les organismes vivants sont les seuls processus qui se réparent par eux-mêmes dans l’univers, même s’ils mettent parfois des années pour cela. Avec tout autre processus dans le monde, vous pourrez attendre une éternité, il n’y aura aucune réparation possible. Celle qui œuvre au sein des êtres vivants est donc incroyablement plus rapide, simplement parce qu’elle existe…

Mais ce rapport au temps doit changer dans le système de soin également, de plusieurs manières.

D’ailleurs, beaucoup de solutions que je propose dans cet article auront pour effet de rendre du temps aux soignants pour faire simplement leur métier : soigner.

Supprimer les certificats

Dans quel but formons-nous des médecins ? Pour soigner les gens ou pour signer des mots d’excuse à leurs patients comme les parents le font pour leurs enfants ?

Présenté comme ça, je pense que votre réponse se dirigera vers la première proposition. Pourtant, nous avons tous, collectivement, fait dériver le travail des médecins vers la deuxième.

Aujourd’hui, une part importante3 du travail d’un médecin généraliste4 est dédiée à la production de morceaux de papier attestant de la possibilité ou de l’impossibilité pour quelqu’un d’accomplir une tâche, à cause d’une raison de santé plus ou moins déterminée. Certificats de non-contre-indication à la pratique du sport, certificats d’arrêts de travail, certificats de nécessité de garde des enfants malades, certificats pour obtenir des aides sociales, certificats de maladie professionnelle, certificats d’accidents de travail, certificats d’impossibilité de signer un acte officiel, certificats de nécessité de disposer d’un ascenseur ou de prendre un ascenseur, certificats pour permettre à un enfant d’aller uriner5 lors des heures de cours, certificats pour demander un aménagement dans un lieu de vie, certificats pour attester de la possibilité médicale de contracter un prêt financier, immobilier ou autre, certificats pour déclarer qu’un enfant qui a été malade n’a pas été à la cantine et donc permettre aux parents de ne pas payer le repas ce jour-là… J’en oublie encore.

Ce temps est-il un temps de soin ?

Pour une part infime, peut-être.

On pourrait même considérer que pour certains, ce serait l’occasion de faire de la prévention. Mais hélas c’est loin d’être le cas. La demande est trop souvent abusive6, et le temps perdu à examiner la personne et à rédiger le certificat, ou à expliquer que le certificat est inutile et abusif est du temps que l’on ne consacre pas à aider quelqu’un qui en a réellement besoin.

Je propose donc de supprimer tous les certificats médicaux sauf deux : les déclarations de maladie professionnelle et d’accident de travail.

Tout le reste n’étant pas du soin serait donc simplement du temps de soin gagné.

Il s’agirait donc de réformer le Code du travail pour que les personnes malades puissent tout de même bénéficier de jours de récupération, mais déterminés par l’assurance maladie directement, sans passer par le médecin. Vous pensez que c’est un autre abus ? Comment croyez-vous que cela se passe pour le Covid ? Une simple déclaration sur internet, et vous obtenez un arrêt de travail de sept jours… comme quoi quand ça arrange l’État, c’est possible…

Cela aurait aussi le mérite de considérer les gens comme des adultes, et non comme des enfants resquilleurs ayant besoin d’un chaperon en permanence…

Les compétences de soin de chaque profession

Pour récupérer du temps de soin, il ne suffit pas de supprimer les tâches qui ne sont pas du soin.

Il faut aussi revoir les actes qui peuvent être accomplis par chaque profession dans une vision globale, afin de retrouver une cohérence avec les effectifs disponibles.

Cela passe donc par une refonte complète des décrets de compétence de chaque profession : quelles sont les prérogatives des médecins (et de chaque spécialité médicale7), des sages-femmes, des dentistes, des psychologues, des infirmiers, des psychomotriciens, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des aides-soignants, des pharmaciens ?

Actuellement, ces prérogatives sont complètement inadaptées à la réalité du terrain, et font perdre un temps précieux aux professionnels mais aussi aux patients, parfois en aboutissant à une perte de chance et à des retards de prise en charge8, ou même à des mises en danger.

Il serait donc nécessaire de revoir les choses en totalité, de tout remettre à plat, et surtout ne pas se contenter d’un rafistolage qui rendrait le système illisible. Tout doit être logique et simple.

Les professionnels doivent aussi être considérés comme responsables, et l’obligation de passer par un médecin pour avoir une prescription devrait être repensée. En effet, qui est le mieux placé pour savoir si une entorse de genou est guérie : le kinésithérapeute qui voit le patient deux fois par semaine pour ses séances ou le généraliste qui ne l’a vu qu’une fois au début ? Pour moi la réponse est claire, ce n’est pas le médecin.

De manière générale, il me semble évident qu’il faut repenser le parcours du patient, et le fluidifier au maximum. Cela lui bénéficiera autant qu’aux professionnels.

Il est important aussi d’arrêter de considérer les professions non médicales comme non-responsables a priori, un peu comme d’arrêter de considérer les patients comme des enfants immatures et resquilleurs9 par nature.

Recruter

Bien évidemment, pour laisser aux soignants le temps de faire leur métier, il s’agit de s’assurer que le travail en sous-effectif ne devienne pas la norme qu’il est actuellement, où tous les services de France et de Navarre se sont habitués à fonctionner avec trois ou quatre fois moins de personnels qu’il serait nécessaire. Si chaque soignant doit en effet faire le travail de trois collègues en plus du sien, il ne pourra jamais prendre le temps nécessaire à l’accompagnement des patients, et on continuera à voir des professionnels en burn out, qui perdent le sens de leur métier, et qui deviennent maltraitants même involontairement. Ne parlons même pas du simple fait d’aimer son travail…

Il est donc nécessaire de recruter dans les métiers de soin.

Il ne s’agit pourtant pas de le faire n’importe comment, de dire, comme l’a décrété Emmanuel Macron, qu’on «supprime le numerus clausus». Car une formation ne peut pas se faire sans formateurs, à moins de vouloir faire une formation au rabais10. Et quand les professionnels de soin manquent sur le terrain, vous imaginez bien que le nombre de formateurs est très limité. Donc au-delà de la poudre aux yeux, la suppression du numerus clausus n’a de sens que si on augmente les possibilités d’avoir des formateurs, des terrains de stage, des gens motivés à transmettre… donc qu’on augmente d’abord le nombre de soignants. Pour recruter, il faut donc d’abord… recruter.

Tel l’Ouroboros, le problème semble se mordre la queue.

Pourtant, un cercle vicieux peut aussi devenir un cercle vertueux, il suffit pour cela de le renverser.

Si l’on recrute plus, on aura mécaniquement plus de formateurs et on pourra donc plus et mieux recruter, car plus il y aura de soignants et plus le travail de soin reposera sur plus de personnes, donc chaque personne pourra passer plus de temps auprès des patients…

Comment passer donc du vice à la vertu ?

À mon avis, il faut se servir de toutes les autres propositions que je fais, afin de rendre à nouveau les métiers du soin attractifs. Nous les détaillerons plus bas, mais je crois que les plus efficaces seront : la revalorisation financière11, la reconnaissance sociale, et surtout l’éducation de la population à la santé.

La place du soignant dans la société

Quand les infirmières manifestent dans la rue, ce qui hélas s’est produit très régulièrement depuis des années, sans que personne ne bouge le petit doigt jusqu’à ce que nous soyons dans une telle pénurie de personnel infirmier que des services entiers soient obligés de fermer leurs portes, elles demandent deux choses seulement : avoir les moyens de faire leur métier, et obtenir la reconnaissance de leur dévouement.

Nous l’avons vu plus haut, les moyens se résument à du temps de soin, donc à du personnel, donc à des recrutements.

Quant à la reconnaissance, je crois qu’elle est indispensable pour donner envie à plus de personnes d’embrasser ces métiers.

Nous devons arrêter de penser que soigner est une vocation. Elle peut l’être pour certains et c’est très bien. Mais ce métier peut aussi être passionnant et épanouissant même lorsque l’on n’a pas la vocation. Pour cela, cependant, il faut arrêter de voir les médecins comme des curés et les infirmières comme des bonnes sœurs, tous uniquement motivés par l’appel d’une force supérieure qui suffirait à leur bonheur. Si nous attendons que chaque infirmière soit Sœur Emmanuelle et que chaque médecin soit l’Abbé Pierre, nous n’aurons plus beaucoup de soignants très rapidement. A contrario, l’image des médecins vénaux doit aussi être battue en brèche.

Il est nécessaire de revoir nos priorités.

L’argent sert à bien vivre et sert à reconnaître la qualité et l’importance du métier que nous exerçons dans la société.

Que dire donc d’une société qui paie ses infirmières à un taux horaire inférieur à celui de ses serruriers12 ? Que dire d’une société qui rémunère mieux les traders que les personnes qui prennent soin de nous quand nous sommes incapables d’assurer notre toilette intime, ou de manger seuls ? J’ai honte de voir que les aides-soignants et aides-soignantes gagnent en un mois ce que des traders gagnent en une heure…

Et si nous cautionnons collectivement ce déséquilibre, cela dit beaucoup de la société dans laquelle nous avons décidé de vivre. Cela explique aussi que nous ayons si peu de candidats pour exercer ces métiers du soin et du prendre soin. Les jeunes ne rêvent pas de prendre soin des autres, ils rêvent de devenir influenceurs sur Instagram… parce que c’est plus valorisé dans notre société du paraître et de l’argent.

Alors pour amorcer la pompe des recrutements, je suis désolé de le dire, mais il va falloir revoir la hiérarchie des fonctions dans notre monde. Le soin est-il ou n’est-il pas une priorité plus grande que la finance virtuelle ou l’influence des autres à travers une image fabriquée par des photos retouchées ?

Si nous choisissons de reconnaître que prendre soin des autres est l’une des fonctions les plus nobles et les plus utiles dans la société, au même titre que de protéger la sécurité de chacun, d’éduquer et de transmettre le savoir et le savoir-faire, et de veiller à ce que la justice soit rendue, alors nous devons traduire cela sur la fiche de paie.

La juste rémunération

Pourtant, ce ne sont pas les 183 € mensuels des différents plans dérivés du soi-disant Ségur de la santé qui vont suffire.

Au risque de me répéter, il me semble indispensable de juger des rémunérations en fonction de l’utilité du métier pour l’ensemble de la Nation. Et si nous tombons d’accord pour considérer que le soin et le prendre soin sont parmi les métiers les plus utiles, ce ne sont pas 183 € qui changent la donne.

Une mesure indispensable : mener les plus bas salaires à au moins 2 000 € net mensuels. Cela concernerait la fonction d’aide-soignant (scandaleusement mal payée actuellement) et quelques infirmières.

Une mesure nécessaire : hausser les salaires des infirmières à au moins 3 000 € net mensuels.

Une mesure logique : monter les rémunérations des autres personnels du soin et du prendre soin, hors médecins, d’au moins 20 %.

Une mesure finale : monter les rémunérations des professions médicales d’au moins 10 %.

Cela fait beaucoup d’argent. J’en suis conscient.

Encore une fois, c’est une question de choix. Voulons-nous des candidats à ces métiers, ou pas ? Celles et ceux qui les exercent méritent-ils une telle rémunération ? À nous de le décider collectivement. Ne nous étonnons pas, dans le cas où nous répondions par la négative, de ne pas réussir à recruter.

L’exercice libéral en question

Reste que le contingent le plus important de médecins exerce en libéral, ainsi qu’une bonne part des infirmières, de nombreux kinésithérapeutes, les psychologues, les psychomotriciens et psychomotriciennes…

Le mode d’exercice libéral dans notre pays est prédominant, du moins en théorie.

En pratique, il en est autrement.

Car le blocage des honoraires par le biais de l’imposition d’un tarif conventionnel décidé par l’État (via l’assurance maladie elle-même), mais aussi l’encadrement de plus en plus serré des pratiques de soins ont vidé le mot libéral de sa substance. Le médecin généraliste libéral n’est pas libre de fixer ses tarifs, mais il n’est pas libre non plus de fixer d’autres modalités fondamentales de son exercice, puisqu’il lui est imposé de faire partie d’une CPTS, et que celle-ci doit trouver un médecin traitant pour tous les patients de son territoire. Comme conséquence, cela signifie que le médecin généraliste ne peut plus déterminer lui-même le nombre raisonnable de patients qu’il peut prendre en charge en fonction de ses propres critères.

En d’autres termes : comment appelez-vous l’exercice d’un métier dans lequel quelqu’un vous impose votre rythme de travail ainsi que votre rémunération ?

Pour moi, c’est du salariat… mais avec tous les inconvénients du libéral (pas de congés payés, des charges sociales supérieures, et une responsabilité individuelle totale en cas de problème).

Je crois donc que nous devons repenser complètement ce mode d’exercice du soin. Et faire un choix.

Soit nous décidons de garder un secteur libéral, et dans ce cas il est nécessaire de s’extraire de ce carcan administratif des CPTS comme du carcan de l’offre et de la demande. Cela veut dire supprimer ces machins qui n’ont aucune utilité dans un monde libéral, mais aussi revaloriser le montant de l’acte afin de permettre aux médecins comme aux autres de sortir de la dictature du nombre d’actes pour entrer enfin dans un monde où on fait du soin de qualité. Un médecin pourrait voir deux fois moins de patients mais deux fois plus longtemps à rémunération égale et temps de travail égal, ce qui permettrait d’effectuer les actes de prévention et d’éducation dont nous parlerons plus loin.

Soit nous sommes logiques avec le mode d’exercice déjà en place et décidons de salarier tous les acteurs du monde du soin, avec l’assurance maladie comme employeur. Mais cela signifie : 35 heures de travail hebdomadaire, congés payés, et salaires à la hauteur de ce que nous avons discuté plus haut, convention collective, et responsabilité de l’employeur dans de nombreux domaines, notamment la gestion des cabinets médicaux, du personnel de support (secrétaires), des formations (orientées vers les objectifs de santé publique déterminée par l’État)… Bon nombre de vieux médecins y sont opposés mais cela séduirait beaucoup de jeunes praticiens. Libérer les médecins de la pression financière permettrait là aussi de les engager dans des missions qui actuellement ne sont pas réalisées car non rémunérées : la prévention, l’éducation à la santé, la formation des internes et des étudiants.

Supprimer la ROSP

En tous les cas, la rémunération sur objectif de santé publique devrait être supprimée. Les études indépendantes sont au mieux sceptiques sur son utilité dans la progression des bonnes pratiques et l’amélioration de ladite santé publique. Elle participe par contre au système de captivité des médecins dans un objectif paradoxalement quantitatif et non qualitatif, puisque ne revalorisant pas l’acte médical.

Salarier les médecins serait par contre plus clair. L’employeur est l’assurance maladie et les objectifs de santé publique peuvent en découler.

La place du soin dans la société

Pourtant, les conditions de travail financières et d’exercice des soignants ne sont pas suffisantes pour changer la situation actuelle et mener vers un autre monde de la santé. C’est même la partie émergée de l’iceberg. Quant à la partie immergée, personne, à ma connaissance, n’a encore proposé de s’y attaquer de front. Pourtant, c’est de là que tout découle, et si l’on revalorise les soignants sans changer le fond du problème, on n’aura rien réglé, au contraire.

Cela commence par replacer le soin là où il doit l’être, et que la population soit associée à cette discussion.

Soigner n’est pas un service

Il doit d’abord être clair que soigner n’est pas un acte anodin qui pourrait entrer dans la comparaison marchande.

Il ne s’agit pas ici d’un service comme la téléphonie mobile, par exemple. On ne se sert pas du système de soin quand on en a envie mais quand on en a un réel besoin, un besoin qui doit être raisonné par autre chose que l’impulsion seule, mais par autre chose également que les considérations financières, du côté du patient comme du côté de l’État.

Oui, soigner les gens coûte de l’argent à l’État. Dans quel monde peut-on imaginer que l’État gagne (immédiatement) de l’argent en soignant ses citoyens ? Mais bien sûr, soigner les citoyens fait gagner à long terme beaucoup de richesses à l’État, puisque des citoyens en bonne santé vont payer des impôts plus longtemps, rester productifs plus longtemps, et faire partie de la Nation plus longtemps. Il faut donc arrêter de considérer l’assurance maladie comme un budget qui devrait être à l’équilibre. Il est normal de dépenser de l’argent pour soigner. Il est donc normal que l’assurance maladie soit en déficit. D’ailleurs, ce n’est pas un déficit, c’est un investissement. Tout ce que la société dépense pour se soigner lui permet de créer ensuite plus. Cette femme qui a été sauvée d’un cancer va peut-être inventer un procédé agricole révolutionnaire, cet homme qui ne mourra pas de son asthme va garder ses petits-enfants plus longtemps, ce qui permettra à la mère d’inventer ce même procédé agricole révolutionnaire. Ces bénéfices ne sont pas quantifiables directement. Mais ils existent.

Soigner n’est pas un service de téléphonie mobile et nous devons donc comprendre que les soignants ne sont pas à notre disposition, mais à la disposition de notre santé, ce qui est très différent.

Ce dont nous avons besoin et ce dont nous avons envie sont parfois deux choses très différentes, voire opposées.

Non, guérir un rhume en moins de 7 jours n’est pas réalisable. Même si notre envie d’être débarrassés de nos symptômes gênants le plus vite possible est bien là. Ce n’est pas cette envie qui doit nous guider, mais bien notre besoin : j’ai besoin d’attendre que mon rhume guérisse tout seul en une semaine.

C’est un discours qu’il faut faire unanimement passer auprès de la population.

Le soin n’est pas au service de la productivité au travail. Il est au service de la santé des individus et de la population.

La régulation médicale

Il est donc essentiel que les soignants aient la possibilité de réguler l’accès au soin, et arrêter de considérer que tout le monde peut aller voir tout le monde tout le temps sans se poser de questions. D’abord parce que les soignants ne peuvent pas être assez nombreux actuellement, ensuite parce que la logique de la consommation n’est pas la logique du soin.

Comprenons bien que le but du soin est de permettre à celle ou celui qui en a besoin de retrouver une autonomie le plus rapidement possible, même si l’on ne peut pas corriger entièrement le problème de santé dont elle ou il souffre, et surtout pas de la ou le rendre dépendant des soins. Bien évidemment, les pathologies chroniques demandent un suivi régulier, parfois rapproché. Cela n’entre pas en contradiction avec une certaine sobriété13. On peut très bien soigner sans multiplier les examens d’imagerie, sans multiplier les intervenants à l’excès, sans faire une prise de sang tous les mois (sauf bien sûr dans certaines circonstances).

Les soignants sont les mieux placés pour savoir quels sont les suivis à réaliser, les examens à prescrire, les professionnels à consulter, et quand.

Pas les patients. Pas les politiques. Pas les laboratoires pharmaceutiques.

Les soignants, chacun dans leur domaine. Et en premier lieu les professions dites médicales (actuellement les dentistes, les sages-femmes, et bien sûr les médecins), c’est-à-dire celles qui ont un droit de prescription.

La régulation qui a été autorisée cet été dans certains services d’urgence (et qui a consisté à les réserver aux seuls patients en réelle situation d’urgence appréciée par un régulateur médecin, en réorientant les pathologies non graves et non urgentes vers une autre réponse) devrait être considérée comme un fonctionnement normal, n’en déplaise à une certaine frange de mes confrères, dont l’angélisme14 me sidère.

Je propose même d’aller plus loin : après une régulation médicale, il devrait être possible de répondre à quelqu’un que son état ne nécessite pas de consultation au moment où il le demande. Car dans un nombre de cas assez grand, c’est la stricte vérité.

La démocratie en santé

Mais avant que l’on puisse me faire un procès en patriarcat médical, je tiens à expliquer pourquoi il faut aussi que le pilotage du système de santé se fasse en toute démocratie, et pourquoi il faut y associer les citoyens eux-mêmes.

D’abord tout simplement parce que les citoyens englobent non seulement les soignants mais aussi et surtout ceux qui ont besoin d’être soignés, c’est-à-dire nous tous. N’oublions jamais que les professionnels du soin ne sont pas immunisés contre les maladies, les accidents, et autres tracas que la vie nous réserve. Ils sont donc eux aussi des patients en puissance.

Ensuite parce qu’il semble normal que les citoyens aient leur mot à dire avec l’argent public.

Mais surtout, parce qu’il n’y a que peu d’autres moyens pour que l’ensemble de la société puisse réellement comprendre ce que c’est de soigner quelqu’un, et la logique si particulière que cela sous-entend. La démocratie en santé est l’un des piliers de l’éducation à la santé que je détaillerai plus loin. Si nos concitoyens comprennent mieux le soin, ils comprendront aussi mieux comment utiliser le système de santé, pourquoi il est si important pour tout le monde, et pourquoi tout ce qui précède et tout ce qui suit est nécessaire.

Cela signifie aussi que les choix de santé ne doivent plus être pris par les politiques, et surtout le budget, le si infâme ONDAM15. Les choix doivent être faits par les citoyens eux-mêmes, tirés au sort pour siéger dans une instance indépendante, éclairés par des professionnels du soin de toutes les disciplines, eux-mêmes élus par leurs pairs. Cette instance serait inscrite dans un temps long, avec des mandats de sept ans non renouvelables, et une mission de planification décidée à chaque fin de ce laps de temps.

Elle serait en charge de la politique du médicament au sens large, de la décision de construction d’infrastructure, de la fixation des tarifs de référence, par exemple. Voire de la répartition des postes salariés, des postes d’internat, etc.

Ainsi, à mon sens, les ARS devraient disparaître ou être subordonnées aux décisions de cette instance.

Mieux former les soignants

D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que prendre soin des autres mérite une formation exigeante et plus poussée.

Il y a d’abord de nombreuses personnes qui exercent dans des métiers du soin peu qualifiés et qui ne reçoivent pas une formation suffisante. Les aides de vie, les aides-soignants, notamment. Ces professionnels-là devraient bénéficier de meilleures et de plus fréquentes formations, tout au long de leur exercice, comme en reçoivent les infirmières, les médecins, les kinésithérapeutes et tous les autres.

Ensuite, il est urgent de former les professions médicales à la pluridisciplinarité pour développer le respect des autres domaines du soin et la prise en compte de l’expertise de professionnels qui ne sont pas médecins. Les compétences de savoir-être que développent les psychologues, par exemple, devraient être inscrites dans les prérequis nécessaires à l’exercice de la médecine, et des rudiments devraient être enseignés aux autres professionnels.

La juste distance au patient, le respect de l’autonomie, le non-jugement, sont encore à étendre dans certains domaines.

(Re) Créer des lits d’hospitalisation directe dans les services

Lorsque j’ai commencé mes études de médecine16, chaque service à l’hôpital disposait d’un certain nombre de lits pour faire ce que l’on appelait des «hospitalisations directes» (ou entrées directes). Ils étaient destinés à accueillir des patients, connus du service ou non, qui avaient besoin d’être hospitalisés pour un motif relevant de la spécialité du service (par exemple une pneumopathie dans un service de pneumologie). Les patients étaient alors admis sans passer par les urgences, et étaient pris en charge très rapidement, recevaient des soins adaptés, et ressortaient quand le problème était stabilisé.

À la faveur des suppressions massives de lits d’hospitalisation depuis trente ans, cette possibilité a totalement disparu, sauf dans de très rares services, et les patients se retrouvent tous à embouteiller les services d’urgences, déjà saturés. Ces services se retrouvent en effet eux-mêmes face au problème de ne pas avoir de place d’hospitalisation dans les services spécialisés.

La conséquence est simple : les patients passent beaucoup plus de temps à attendre qu’à être soignés, donc ont une perte de chance de prise en charge et donc de guérison. Ils sont mis en danger, malgré toute la bonne volonté du personnel soignant.

Plus encore, le fait de présenter les services d’urgence comme la porte unique d’entrée dans le système hospitalier a accrédité l’image dans la population d’un hub nécessaire, d’un passage obligé par ces structures qui n’ont absolument pas la vocation de l’être. Ainsi, le recours systématique aux urgences par la population n’est-il que le reflet de la façon dont le système lui-même a considéré ces mêmes urgences…

Recréer des lits d’hospitalisation directe est l’un des moyens pour montrer que les urgences sont réservées aux urgences vitales, mais que des pathologies plus chroniques déstabilisées peuvent être prises en charge directement par les spécialistes, sans perte de chance.

Bien sûr, cela demande d’abord des moyens financiers et d’accepter que le taux de remplissage de ces lits ne soit pas optimal (vous vous souvenez : on n’est pas censé faire gagner de l’argent à l’État en soignant les gens), et aussi du personnel en nombre suffisant pour faire tourner ces services à plein régime.

Décloisonner les métiers et les renforcer chacun dans leur domaine

Je parle plus haut de la nécessité de former à la pluridisciplinarité. C’est une des limites du système actuel. Beaucoup de professions s’ignorent les unes les autres et beaucoup de professionnels essaient de faire (mal) le travail d’autres professions dans un domaine qui n’est pas le leur.

Un kinésithérapeute va vous affirmer qu’il faut faire une IRM pour voir une fracture du petit orteil, alors qu’une infirmière va vous conseiller de faire des étirements pour soigner une tendinite et qu’un médecin aura la prétention de faire de la psychothérapie avec ses patients.

Pourtant, aucun de ces trois professionnels n’a les compétences pour ce qu’il annonce.

Seul un médecin saura s’il faut faire un examen radiologique, un kinésithérapeute vous conseiller correctement des étirements, et un psychologue mener à bien avec vous une psychothérapie.

Il est temps de rendre à chacun ses compétences et d’apprendre à ne pas exercer (car mal) celles des autres. Les pharmaciens ne savent pas prescrire, ni faire des injections, pas plus que les infirmières ne savent poser de diagnostic médical, ni les médecins mettre en place une sonde urinaire par l’opération du Saint-Esprit.

Par contre, il est grand temps de considérer que les compétences qui nous manquent peuvent et doivent être exercées par les autres domaines du soin, il est temps d’arrêter de considérer les professionnels paramédicaux comme inférieurs aux professionnels médicaux, et il est temps de prendre leur expertise pour ce qu’elle est : une expertise supérieure à la nôtre dans leurs domaines. Ce n’est qu’en coopération que les professionnels du soin peuvent réellement accompagner un patient dans un parcours fluide qui lui rende vraiment service.

Et ceci devrait être promu et accentué.

Intégrer le soin psychologique dans les professions médicales

Une des conséquences de ce raisonnement est d’enfin intégrer les psychologues dans le champ des professions médicales, c’est-à-dire avec droit de prescription, même si bien entendu on ne parle pas ici de prescription médicamenteuse. Le champ d’action des médicaments est réservé aux psychiatres qui ont seuls les connaissances pharmacologiques suffisantes pour comprendre et maîtriser le maniement des médicaments psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques, hypnotiques et autres). Mais le champ des thérapies psychologiques non médicamenteuses est vaste et riche, et les études internationales montrent de plus en plus et de mieux en mieux leur intérêt, souvent très supérieur en efficacité par rapport aux traitements sus-cités.

L’expertise des psychologues dans les psychothérapies est très largement supérieure à celle de tous les autres corps de métier, et pour cause : ils et elles sont les inventeurs et les développeurs de ces psychothérapies. C’est le cœur de leur métier, tout comme la connaissance des processus psychologiques et cérébraux, de façon complémentaire aux neurologues et aux psychiatres (nous y revenons dans le point suivant).

La santé mentale étant une composante à part entière de la santé, les spécialistes de ce champ devraient logiquement obtenir un statut équivalent aux spécialistes de la santé physique : un statut médical, avec droit de prescription des psychothérapies et d’orientation vers les psychiatres et les autres spécialités de la santé mentale (psychomotriciens, orthophonistes) dont les champs d’intervention sont connexes mais moins larges.

Les thérapies modernes prouvent leur efficacité scientifiquement, et il est donc évident que la psychanalyse doit être exclue de ce statut, comme l’homéopathie l’a été pour la santé physique.

Les psychologues devraient donc être titulaires d’un doctorat au même titre que les médecins. Leur cursus porté à la même durée que les médecins. Leur rémunération très largement revue à la hausse.

La santé mentale : psychologues et psychiatres, neurologues et psychiatres, renaissance des neuropsychiatres

La santé n’est pas seulement physique.

Nombreux sont les patients dépressifs à avoir une santé physique correcte, pourtant, on ne peut pas dire qu’ils soient en bonne santé.

La santé mentale est au moins aussi importante. Parfois, elle conditionne même la santé physique. L’esprit a la capacité de nuire comme d’être bénéfique au corps, et on peut même penser que corps et esprit ne sont qu’une seule et même chose, si l’on suit la théorie d’Antonio Damasio.

L’indigence du système de santé mentale en France est telle que je ne sais par où commencer.

D’abord, peut-être, par l’évidence : si l’on remet chacun à sa place, le fonctionnement s’en portera mieux et les patients seront mieux pris en charge. Donc, aux psychiatres la maladie mentale (en gros, ce que l’on classait auparavant dans les psychoses, donc des pathologies qui impliquent des altérations de la perception de la réalité, les délires, les hallucinations, les syndromes schizophréniques, paranoïaques, les bipolarités), et aux psychologues les pathologies bénignes, la santé mentale au sens plus large. Les uns utilisent les médicaments et des techniques médiées par du matériel (sismothérapie, magnétothérapie, par exemple), les autres les multiples psychothérapies.

Ensuite, arrêter d’enseigner la psychanalyse dans le cursus de soin. Rien n’empêche de l’enseigner ailleurs, mais une technique ne doit être enseignée que lorsqu’elle est efficace et prouvée.

Dans le même ordre d’idée, réformer le fonctionnement des Centres Médico-Psychologiques et Médico-Psychologiques Pédiatriques, pour les recentrer sur des thérapies prouvées.

Redonner du personnel et des moyens au secteur hospitalier de la santé mentale, encore plus en difficulté que les autres, si cela est encore possible.

Le fonctionnement du cerveau et de l’esprit est si imbriqué, et si intriqué entre les aspects neurologiques et psychologiques, que les compétences des neurologues sont insuffisantes pour prendre en charge les processus psychologiques qui sont à l’œuvre dans les pathologies comme les accidents vasculaires cérébraux et les maladies neuroévolutives, et les compétences des psychiatres insuffisantes pour s’occuper des troubles neurologiques qui accompagnent les désordres psychiatriques majeurs comme la schizophrénie ou les autismes sévères. Nous devrions donc logiquement faire renaître la spécialité perdue de neuropsychiatrie, qui existait au XXe siècle. Le cerveau est un tout, et des spécialistes qui auraient la double vision neurologique et psychiatrique seraient un atout pour mieux soigner ces pathologies, comme pour les prévenir.

Car finalement, même la santé mentale est dépendante d’un facteur que notre système n’a jamais vraiment investi :

La prévention

Connaissez-vous la pathologie qui se soigne le mieux et avec le moins de moyens ?

C’est tout simplement celle qui ne s’est jamais développée.

Pas besoin d’aller aux urgences pour une amputation d’un doigt si l’on a suivi toutes les consignes de sécurité avec sa scie circulaire, pas besoin de subir des séances de chimiothérapie répétées et émétisantes comme exténuantes si l’on n’a jamais déclaré de cancer, pas besoin d’un rendez-vous semestriel chez le cardiologue si l’on n’a jamais fait d’infarctus du myocarde… Et donc autant de consultations, de soins, d’examens, de temps, que l’on n’a pas eu besoin de passer dans le système de santé, qui par conséquent peut supporter la charge des pathologies que l’on ne sait pas encore prévenir, et faire face aux maladies émergentes.

Il n’est cependant pas ici question de la prévention du style «ayatollah» comme on l’a vue se développer ces dernières années avec les injonctions comme «mangez 5 fruits et légumes par jour». Il s’agit plutôt de graduellement changer les comportements, ce qui ne peut se faire qu’en montrant aux individus que ces changements sont en accord avec leurs valeurs profondes, et surtout, surtout, de faire comprendre aux citoyens ce qui fait la santé. Il ne peut y avoir de prévention sans éducation, et c’est précisément par là qu’il faut commencer.

Pourtant, ce serait une erreur de penser que seule l’éducation peut tout révolutionner.

Tout changement ne devient réel que lorsqu’il est systémique. Lorsqu’il infuse dans tous les domaines de notre vie. Et il faudra donc bouleverser beaucoup d’autres habitudes de société.

Les consultations de prévention

Nous pouvons éviter nombre de pathologies. Nous en avons le savoir, et mieux encore nous en avons les moyens concrets.

Plutôt que de ne faire que courir après les pathologies déjà installées, nous pourrions faire porter nos efforts sur le fait de les éviter. Nous pourrions instaurer des consultations de prévention, qui seraient longues, de manière à prendre en compte la globalité de la vie d’une personne, et de déterminer quels sont les axes qui pourraient être changés pour permettre une vie en meilleure santé plus longtemps. Elles pourraient être remboursées intégralement, et bien entendu très bien rémunérées. D’autant plus que je les imagine pluridisciplinaires. Vous pouvez déjà comprendre pourquoi après ce que j’ai déjà écrit plus haut, mais mon argument principal est qu’on ne peut appréhender la globalité d’une personne que si l’on croise les regards de différentes manières et de différentes personnes. J’imagine donc des consultations conjointes entre des médecins (généralistes car ce sont eux qui ont la vision la plus synthétique et globale), des diététiciens, des kinésithérapeutes, et des psychologues de manière à guider la stratégie de changement, puisqu’il s’agit de connaître les mécanismes cérébraux qui favorisent ou freinent les changements.

Vous pourrez me rétorquer :

Cela existe déjà, ce sont les consultations de prévention de l’assurance maladie, que l’on peut gratuitement réaliser tous les cinq ans.

Je ne pourrais que vous donner raison. Mais.

Mais non, en fait. D’abord, elles ne sont accessibles qu’aux seuls salariés du régime général, donc des millions de citoyens en sont exclus. Ensuite, pour avoir à de nombreuses reprises reçu des patients qui venaient de les réaliser, je peux vous dire que ce ne sont absolument pas des consultations de prévention globale. Certes, tous les organes sont passés en revue, mais personne ne prend la peine de vous recevoir pour vous expliquer les résultats qui sont produits par un programme informatique, et donc sont non personnalisés, et personne ne discute avec vous des axes de changement, personne ne prend le temps d’entamer un entretien motivationnel pour vous inciter à acter ces changements, personne ne vous aide.

Je pense quant à moi à de réelles consultations de suivi. Parce que pour changer il faut d’abord vouloir changer, et que ce n’est pas évident pour tout le monde. D’ailleurs, même quand c’est évident, il existe de très nombreux freins, chez nous tous et nous toutes, avant de le réaliser dans notre vie, de l’intégrer comme une nouvelle habitude de vie.

Il se peut même que nous ne voulions pas changer. Et cela se respecte. Mais le simple fait d’évoquer les changements possibles aura planté une graine, qui peut-être un jour germera.

L’éducation à la santé

Cependant, pour comprendre que des changements sont bénéfiques, il faut apprendre pourquoi. Il faut apprendre.

Mieux être acteur ou actrice de sa propre santé, mieux être autonome et faire de meilleurs choix pour soi-même, tel est le but de la prévention. Mais cela n’est possible que si l’on possède quelques clefs, quelques connaissances, quelques bases. Il faut donc que les professionnels de santé partagent avec leurs patients certaines connaissances. Qu’ils soient formés à l’éducation thérapeutique, dont les outils sont taillés pour cela. Qu’ils sortent de leur position de toute-puissance. Et il faut qu’ils comprennent que l’intérêt général (et donc le leur) est que les citoyens soient moins dépendants d’eux. Cela n’empêchera pas que les professionnels du soin seront toujours indispensables lorsqu’une pathologie se déclarera. Cependant, en axant la pratique sur la prévention, nous devrions modifier la gravité de nombreuses situations cliniques, mieux associer les patients aux traitements, et prolonger la qualité de vie comme la durée de vie en bonne santé.

Hélas, notre système n’a jamais fonctionné comme cela.

Depuis les ordonnances hippocratiques jusqu’aux injonctions du «bien-être», en passant par le mépris des médecins pseudosavants de Molière, au paternalisme du XXe siècle ou au charlatanisme de Knock, la médecine occidentale n’a jamais pris le temps de diffuser réellement son savoir. Elle l’a toujours gardé jalousement. Et c’est une erreur fondamentale.

Savoir libère. Et si un patient comprend ce qui se passe en lui, cela le libère d’une bonne partie de la peur, celle venant de l’inconnu. Cela lui permet de faire ses choix de façon plus saine. Cela le rend aussi plus impliqué dans son traitement, dans ses soins, dans les efforts qu’il est toujours indispensable de faire pour aller vers un mieux ou pour accepter qu’il n’y aura pas de retour en arrière dans le cas des maladies chroniques. Pour se reconstruire, si besoin, avec la maladie, et pas se bercer d’illusions qui retarderont son adaptation en le faisant souffrir inutilement.

Quelle serait donc cette éducation, pour moi ?

Assez simplement, j’imagine un transfert de connaissances, tout au long de la vie, effectué par des professionnels du soin dont ce serait une partie de l’activité seulement et pas l’activité unique, de manière à garder un contact avec la réalité clinique. Cette éducation serait en lien d’abord avec le système scolaire, sous la forme de cours obligatoires, et elle débuterait dès le plus jeune âge, pour se poursuivre ensuite avec les médecins traitants à la sortie de la scolarité.

Et que comprendrait-elle ?

  • D’abord et avant tout une éducation à la science et au raisonnement scientifique. La pandémie de COVID19 a en effet montré dans la population française une absence presque totale de culture scientifique et la prééminence des croyances sans aucun lien avec la réalité du fonctionnement biologique. Dans ce domaine, l’éducation nationale a largement échoué dans sa mission. Cela doit changer.
  • Ensuite, elle devrait constituer un socle solide de connaissances sur le fonctionnement du corps humain et la biologie au sens large. Bien évidemment ce qu’enseignent les cours de biologie actuels, mais pas seulement. Je crois qu’il faut diffuser des notions d’anatomie basique, et de physiologie du corps humain en dehors de la reproduction. Une éducation aux processus qui dirigent les cycles de vie des cellules, de tous les organismes vivants et notamment des cellules du corps humain, le rôle des divers organes. Il y a trop de croyances actuellement induisant des idées fausses.
  • Puis bien entendu, elle devrait insister sur le temps des processus biologiques, sur ce qui peut dérailler dans le fonctionnement (effleurer les pathologies), sur les capacités de réparation mais aussi les facultés évolutives et les effets de l’âge, du vieillissement.
  • Plus largement sur les moyens de rester en bonne santé le plus longtemps possible avec des principes de vie saine, sans pour autant bannir les plaisirs de la vie.
  • Enfin, une indispensable éducation au respect de soi et des autres, de notre environnement, car :

Le soin global : One Health

Nous ne sommes pas, ni aucun être vivant sur cette planète, ni aucun objet céleste dans l’univers, une création sans lien avec le reste du monde. Chacun d’entre nous, chacune d’entre nous, n’existe qu’en lien avec les autres. Bien évidemment avec nos parents, nos enfants, nos amies, nos relations, nos contacts. Notre vie sociale n’a de sens que parce que nous sommes en lien avec d’autres, qu’ils soient nos alliés ou pas. Nous ne vivons pas seuls, sauf si nous sommes sur une île déserte. Et même là, nous dépendons des poissons que nous pêchons, des fruits que nous cueillons, du gibier que nous chassons, simplement pour survivre. Plus intimement encore, si nous pouvons simplement vivre, c’est-à-dire manger et digérer, respirer, nous reproduire et nous défendre, c’est parce que nous vivons en symbiose avec des milliards de micro-organismes vivants, bactéries ou virus, à l’intérieur de notre tube digestif, de nos poumons, de nos muqueuses, de notre vagin, et jusque sur notre peau. Sans ce lien, notre peau est incapable de se défendre, notre intestin incapable d’assimiler les aliments. Nous ne serions pas vivants.

L’espèce humaine, de la même façon, n’est pas isolée. Elle n’existe que parce qu’elle est en lien avec d’autres espèces.

Sans végétaux, pas d’oxygène, pas de pain non plus. Sans animaux, pas de lait, pas de viande, et pas de protéines indispensables (deux acides aminés ne se trouvent dans la nature que dans les protéines animales).

La vie en bonne santé des êtres humains dépend des autres espèces qui nous entourent et qui ont co-évolué avec nous.

Nous préoccuper de notre santé, c’est donc nous préoccuper de la santé des autres espèces, et de l’écosystème dans lequel nous vivons. Il se trouve que cet écosystème englobe la totalité de la planète appelée Terre.

Ce concept est appelé One Health en anglais. Une seule santé, littéralement.

Sa signification profonde est simple : nous n’avons pas d’autre choix que de prendre soin de tout ce qui nous entoure si nous voulons vraiment prendre soin de nous.

Nous sommes condamnés à être des défenseurs de la qualité de l’eau, de la qualité de l’air, de la qualité de vie des animaux, de la diversité biologique, des conditions dans lesquelles les végétaux croissent.

Nous sommes condamnés à être écologistes, d’une certaine manière.

Ainsi, toute personne qui voudrait prendre soin de soi et des autres ne peut qu’être concernée par le bien-être des autres êtres vivants, et donc de tous les processus de vie sur cette planète.

Cela implique donc, si nous voulons changer notre système de soin pour le rendre plus efficace, de prendre soin de notre environnement afin d’éviter des maladies qui solliciteraient trop et le mettraient potentiellement à terre. Ça ne vous rappellerait pas une certaine pandémie ? Que le SARS-CoV-2 soit apparu sur un marché de Wuhan ou dans un laboratoire n’est pas la question. Dans les deux cas, il est issu d’une trop grande proximité avec des animaux dont nous envahissons les niches écologiques et n’aurait pas franchi la barrière d’espèce si nous avions été respectueux de notre place.

Des centaines de milliers de morts, des millions de gens en difficulté sociale, des milliards de personnes confinées pendant des mois, tout cela à cause de notre irrespect.

Et si nous voulons éviter un effondrement de notre système de soin à l’avenir par une autre pandémie17, nous n’avons d’autre choix que de changer notre rapport aux autres animaux. Notre espèce est une espèce animale comme les autres. À ce titre elle n’est pas immortelle et elle pourrait disparaître.

Promouvoir le respect des êtres vivants, quels qu’ils soient, humains ou non, c’est donc, je le défends et le martèle, l’un des moyens d’éviter la crise des urgences, même si l’on ne voit au départ pas le lien de façon évidente. J’espère vous avoir montré qu’en fait tout est lié.

Conclusions

Au terme de ce très (trop ?) long article, il est temps de conclure. Je le ferai de deux manières. D’abord pour expliquer un dernier principe qui ne va jamais de soi en politique, et qui est même à rebours de ce que font tous nos dirigeants à cause des compromis (ou des compromissions). Puis en expliquant comment, pour ma part, j’ai résolu la souffrance que je ressentais dans mon ancien métier de médecin généraliste en cabinet libéral.

Une vision systémique : une seule mesure isolée est inefficace, seule la totalité produit des effets

Vous aurez (ou pas) remarqué combien nos dirigeants adorent commander des «rapports» à des experts, et ensuite y piocher quelques mesures par-ci par-là, au gré de leur bon vouloir ou des compromis qu’ils savent pouvoir passer, voire des compromissions qu’ils ont faites par le passé avec des intérêts particuliers ou des lobbies, et qui entrent en conflit avec ce qui serait l’intérêt général.

Or, il est évident qu’un système est un tout.

Si l’on change seulement un aspect, sans tenir compte du reste, on va juste déséquilibrer le système qui aura plus de chances de partir en quenouille que de retrouver un fonctionnement voulu.

Ainsi, si l’on supprime les certificats médicaux sans créer une réelle éducation à la santé, cela ne marchera pas. Tout comme simplement filtrer les urgences avec une régulation médicale n’empêchera pas le système en entier de s’effondrer à relativement court terme, car il est nécessaire de prendre en charge des demandes qui restent avec une offre insuffisante. Et réduire les dépenses de santé, ou laisser les métiers du soin dans une paupérisation grandissante empêchera de créer des lits d’hospitalisation, car nous n’aurons personne pour y exercer.

Si l’on veut réellement améliorer les choses, éviter un effondrement, des catastrophes avec des gens qui mourront, des professionnels de santé qui quitteront leurs métiers, une baisse de l’espérance de vie, et une casse sociale impensable, alors il n’y a pas d’autre choix que de penser les mesures en cohérence et en globalité.

Il s’agit alors d’appliquer toutes les mesures que je propose, et de ne pas en oublier une seule, pour changer le système et pas juste déplacer le problème.

Nous n’aurions des effets positifs que si la totalité de ces changements était mise en œuvre. Et c’est sans doute le plus compliqué, dans l’affaire.

Ma nouvelle vie de soignant

De façon plus personnelle, puisque j’ai fait le choix de quitter la médecine libérale, comment ai-je pour ma part résolu la souffrance que je ressentais ? Fermer mon cabinet a été autant une libération qu’un deuil. J’ai quitté des personnes auxquelles j’étais attaché, avec qui j’avais noué des liens forts. Mais après, quoi faire ?

Depuis le début de mes études de médecine, j’étudie régulièrement l’hypothèse de quitter le monde du soin. Complètement. Je m’imagine vivre de mon écriture, même si je sais que c’est inaccessible à la majorité des candidats qui se lancent dans l’aventure. Je brise cette chimère assez vite, la plupart du temps. C’est également ce que j’ai fait cette fois-ci.

Je devais, pour être en accord avec qui je suis, rester dans le monde du soin.

Alors quoi ? Devenir un médecin hypnothérapeute ? J’y ai pensé. Je suis formé, je pourrais prétendre à la reconnaissance par la Confédération française d’hypnose et de thérapies brèves de mon titre. J’aime cette relation si particulière avec les personnes qui se laissent découvrir la puissance de leur imaginaire et j’adore leur permettre d’ouvrir la porte de leurs propres ressources. La puissance des mots est la base de l’hypnose et si vous me connaissez par ce site vous imaginez combien cela me convient. Mais cela signifiait, dans la façon dont on peut actuellement exercer en France, rester dans le même système libéral qui m’écrasait. Cela impliquait aussi une insécurité financière que ma situation personnelle et familiale ne permettait pas, en plus d’une insécurité mentale à l’idée d’entrer dans une précarité d’exercice.

L’Univers m’a cependant aidé. Il a mis une opportunité sur ma route.

Je suis devenu l’un des deux médecins d’une structure de vie hébergeant des personnes atteintes de maladies neuroévolutives de type sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Parkinson et autres maladies rares du système nerveux. Je travaille en équipe pluridisciplinaire, dans un domaine passionnant (la neurologie) qui m’a toujours attiré. Avec des patients qui sont aussi des résidants, avec qui je peux utiliser les techniques de l’hypnose si besoin, afin de les aider dans les douleurs, l’anxiété qu’ils peuvent ressentir. Je peux passer du temps avec eux sans être esclave d’une rentabilité, même s’il y a beaucoup à faire et beaucoup à construire dans un établissement neuf qui est le plus grand de France. Je coordonne les efforts des autres professionnels. Je suis salarié et assez bien payé. Je développe des projets de soin, des projets tout court. J’ai la liberté de prendre en compte et de peser sur les choix d’un accompagnement global qui considère les patients comme des personnes à part entière, intègre leurs familles et leurs amis. Tout n’est pas rose, bien loin de là. Mais beaucoup est possible et pour le moment du moins, je me sens enfin à ma place.

J’ai de nouveau du temps pour écrire. Je développe à nouveau mes projets personnels. Je récupère de l’énergie, laisse ma fatigue peu à peu s’envoler. Je vis à nouveau.

Si c’était à refaire, je quitterais avec encore moins de regrets ce qui fut ma vie précédente en tant que soignant.

J’ai eu la chance de trouver une porte de sortie très honorable.

Je pense à celles et ceux pour qui ce n’est pas le cas et qui se retrouvent sans perspective. Ils et elles sont plus nombreuses que vous ne le pensez. J’espère qu’ils et elles trouveront le courage de prendre les décisions qui s’imposent. Même si cela précipitera la chute de notre système de soin.

Mais après tout, peut-être faudra-t-il cela pour que nous comprenions collectivement que nous faisons fausse route.

Ouvrir une discussion

Les trois volets de cette discussion sur les raisons de la fermeture de mon cabinet sont une pièce à deux faces.

D’une part, ils sont un peu mon «testament de médecin libéral». Un témoignage qui vaut ce qu’il vaut, mais également une tentative pour moi de comprendre ce qui m’est arrivé, et d’imaginer ce qui aurait pu se passer si les conditions initiales avaient été toutes autres. Je n’ai peut-être pas raison, mais je suis totalement sincère et honnête, du mieux que je le puis en tous cas, dans tout ce que j’ai décrit dans ces trois textes. Comme pour tout testament, j’espère qu’il sera pris en compte, mais ne puis être certain de la façon dont il le sera. Et il n’existe pas de notaire pour le faire respecter. C’est donc à vous qui le lisez, de décider ce que vous voulez en faire, si même vous désirez vous en saisir et pas le laisser de côté comme les divagations qu’il constitue parfois.

D’autre part, c’est aussi une bouteille à la mer. Ma contribution, si humble soit-elle, pour tenter d’influer sur le cours des choses, d’éviter la chute que je pressens si douloureuse pour beaucoup d’entre nous. Si vous trouvez cette bouteille et avez la curiosité de l’ouvrir, j’espère que son contenu vous touchera, et qu’il fera naître en vous des questions, des réflexions, des réactions.

Si c’est le cas, alors j’aurai un peu réussi.

Si c’est le cas, nous aurons ouvert une porte vers une discussion, vers un changement.

Si c’est le cas, nous pouvons confronter nos points de vue, dans les commentaires si vous le désirez.

Si c’est le cas, vous pouvez aussi porter ces interrogations vous-mêmes, et les faire vivre dans votre propre cercle.

Parce que ce qui compte, c’est le plus petit changement possible, celui qui a le pouvoir de rendre possibles tous les autres, jusqu’au plus improbable. Ce qui compte, c’est souhaiter le changement, et non pas le subir. C’est du moins ce que j’ai appris en quittant mon ancienne vie de soignant.


  1. Mais après tout, comment penser que des décennies de destruction puissent être réparées en quelques mois ?  ↩︎

  2. J’entends par là ce que nous pouvons réellement choisir dans notre existence  ↩︎
  3. Hélas non quantifiable actuellement car il n'existe pas vraiment d’études sur les proportions des motifs de consultation en France.  ↩︎
  4. L'une des spécialités les plus touchées par la baisse d’effectifs.  ↩︎
  5. Si, si, ça existe…  ↩︎
  6. Par le système éducatif notamment, qui parfois me fait l’effet de nourrir de papier les personnels qui y travaillent.  ↩︎
  7. Par exemple, actuellement, les généralistes sont considérés comme trop idiots pour pouvoir prescrire de nombreux médicaments ou matériels médicaux alors qu’on manque de professionnels dans les spécialités qui sont habilitées à le faire…  ↩︎
  8. Exemple (et voir note précédente) : les prescriptions de certains matériels de rééducation comme des fauteuils roulants électriques, ne pouvant être réalisées que par des médecins spécialistes très rares (de médecine physique et de réadaptation), certains patients atteints de maladies neuroévolutives rapides peuvent se voir attribuer des fauteuils qui ne correspondent plus à leurs besoins puisque leur état s’est dégradé plus vite que le délai pris pour la prescription…  ↩︎
  9. Je sais, c’est un changement énorme dans notre culture…  ↩︎
  10. Et ce n'est pas ce que nous voulons, n’est–ce pas, mon Précieux ? Oh que non !  ↩︎
  11. «I’m living in a material world» chantait Madonna à ses débuts, et ce n’est pas faux. Nous faisons tous un métier pour gagner notre vie. Si nous gagnons bien dans un domaine, il sera plus attractif.  ↩︎
  12. Et je n'ai rien contre les serruriers, qui sont nécessaires à la société et que je suis bien heureux de trouver quand j’en ai besoin !  ↩︎
  13. Le mot est à la mode, mais je n’en trouve pas de meilleur dans ce cas.  ↩︎
  14. ou le complexe du sauveur ?  ↩︎
  15. Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie, un chiffre fixant l’augmentation annuelle autorisée des dépenses de santé dans notre pays, voté par le Parlement. Comme si l’on pouvait décider de ne dépenser que 1% de plus pour soigner les gens, même si les besoins réels sont de 2%… que fait–on du pour–cent qui reste ?  ↩︎
  16. C’était au siècle dernier…  ↩︎
  17. Je rappelle que le SARS–CoV–2 n'a qu’une léthalité faible. Que se passerait–il si la léthalité montait à 20 ou 25% ? Nos hôpitaux se seraient probablement effondrés en quelques semaines…  ↩︎

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 2 : L’image de la santé dans un miroir déformant

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 2 : L’image de la santé dans un miroir déformant

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 2 : L’image de la santé dans un miroir déformant

Le premier juin 2022, j’ai fermé mon cabinet libéral de médecine générale, en laissant, sans successeur, mes 800 patients chercher par eux-mêmes quelqu’un pour les prendre en charge. J’ai tourné le dos à la médecine de premier recours. La pénurie actuelle ne s’en trouvera pas améliorée. Et si j’en assume la décision, je crois que mon devoir est aussi de vous expliquer pourquoi ce sont plutôt les choix politiques de ces trente dernières années qui l’ont provoquée, et ce que nous devrions faire pour que nous puissions tous et toutes, un jour, retrouver malgré tout un système de santé efficace et juste.

Pourtant, je ne suis pas dupe, et je ne crois en aucun cas que les politiques auront le courage et la décence de reconnaître leurs erreurs et surtout d’y porter remède.

Je suis lucide : ce qu’ils ont déjà accompli, ils le poursuivront, et un jour pas si lointain la population française ne pourra plus se soigner correctement.

Ce jour approche bien plus vite que vous ne le pensez.

Alors j’imagine déjà leurs cris d’orffraie, puisqu’ils ont commencé à les pousser durant cette campagne électorale, alors qu’ils sont les pompiers pyromanes à l’origine du désastre.

Ce texte est donc là surtout pour éclairer nos concitoyens sur la réalité, et empêcher les politiques de la travestir en essayant de se dédouaner de leurs responsabilités. Mais c’est aussi un appel adressé à chacune et chacun d’entre nous afin de changer de regard sur la fonction de soignant.

Je vais ainsi égréner dans une série d’articles les différentes raisons qui m’ont poussé à quitter la médecine générale.

Dans ce deuxième temps, nous devons aller plus profondément encore dans les causes du mal. Il s’agit de regarder jusqu’où l’offre et la demande vont se nicher : jusque dans le «colloque singulier» de la consultation médicale elle-même. Ce moment où l’on est censé s’intéresser avant tout à une personne dans sa globalité, le «patient», n’est en effet pas épargné. Tout simplement parce que le patient lui-même (ou la patiente, bien sûr) ne pense plus son existence et son être que dans la logique qui règle sa vie partout ailleurs : la performance et la marchandisation.

La marchandisation de la société

Notre société considère la santé et le soin comme un bien de consommation comme un autre. La santé est un paquet de lessive. On en a besoin, alors on l’achète selon nos propres critères, on l’utilise, puis on le jette sans plus y penser. Jusqu’au moment où on a besoin d’un nouveau paquet. Alors on se rue au supermarché et on rachète le moins cher parce qu’il est plus important de mettre le prix pour d’autres biens de consommation.

Dans cet acte banal de notre vie (je faisais la même chose avec mes paquets de lessive jusqu’à il y a quelques années), il y a absolument toutes les causes qui nous ont menés collectivement à ce gouffre devant nous : la faillite de notre système de soin.

Les «avis» sur Google

Comme un paquet de lessive, un soignant se sélectionne suivant nos propres critères. Aucune raison de ne pas s’assurer que nous allons voir un «bon» soignant, n’est-ce pas ? Mais qu’est-ce qu’un bon soignant ? Réponse de Google et de notre merveilleuse société : celui qui nous soigne avec humanisme et respect. Non, pardon, plutôt : celui qui répond à nos demandes de faire disparaître les symptômes. Car ce sont eux qui nous gênent et que nous voulons faire partir. Celui qui le fait vite, quand nous le voulons, où nous le voulons, de la manière dont nous le voulons. Parce que nous avons beaucoup de choses plus intéressantes à faire et que notre patron attend que nous soyons à 100 % de nos possibilités demain pour la réunion importante avec des acheteurs américains.

Et comme pour tout, quoi de mieux que d’aller sur internet pour savoir ce que les autres en ont pensé ?

C’est vrai : on trouve de tout sur internet. Même des gens qui croient savoir que la Terre est plate et dans le même temps regardent la télévision grâce à des satellites dont le principe de fonctionnement est basé sur le fait que la Terre est ronde…

Alors nous allons sur Google. Et nous regardons ce que les autres ont exprimé comme opinion.

D’ailleurs, quand ça ne nous va pas, nous n’hésitons pas à laisser un commentaire salé, et à noter bas, très bas, de manière à enfoncer le clou. Parce que nous nous sentons le droit d’évaluer, de noter, comme si nous étions un professeur en face d’un enfant. Ou plutôt, comme si nous étions un autre enfant dans la cour de récréation : «tu m’as refusé quelque chose, donc je vais me servir de la note de Google pour te punir et montrer aux autres combien tu es méchant et mauvais».

La santé est un baril de lessive, après tout. Et il est légitime d’évaluer si la lessive a bien fait son travail. Il n’y a plus de tache visible : parfait. Même si la lessive est toxique pour notre peau. Il reste des tâches après deux lavages : ce produit est une arnaque.

La façon dont je présente les choses est évidemment orientée.

Mais si nous sommes honnêtes envers nous-mêmes, nous pouvons tout de même reconnaître qu’il y a là quelque chose qui est en chacun de nous. Nous sommes tous tentés par ce comportement d’évaluation selon nos envies. C’est humain. Et certains soignants y adhèrent complètement, faisant tout ce qu’ils peuvent pour obtenir le plus de ces fameuses cinq étoiles sur Google.

Mais c’est une erreur.

Prendre soin de quelqu’un peut vouloir dire refuser certains actes, pour éviter de provoquer des effets indésirables qui seront plus néfastes que si l’on ne fait rien ou que si l’on fait autrement. Même si ça contrarie la personne qui vient demander de l’aide.

Un «bon» soignant va parfois nous dire non. Et paradoxalement c’est parce qu’il aura su nous dire non qu’il sera un bon soignant.

Comment donc faire confiance à des notes sur internet basées sur des plaintes comme «il n’a pas voulu me voir en consultation car je n’étais pas à l’heure au rendez-vous» (plainte réelle dans les avis sur ma propre page Google) ? Je ne sais pas vous, mais moi, mes parents m’ont appris que la ponctualité était la première des politesses, hors urgence réelle (c’est-à-dire urgence vitale menaçant la vie de la personne), et que si un professionnel travaille sur rendez-vous, ça veut dire qu’il a d’autres rendez-vous après le mien, probablement, et que si j’arrive en retard, ce sont aussi toutes les autres personnes que je mets en retard. C’est une question de respect de l’autre, des autres. Mais apparemment c’est une valeur un peu désuète. Donc, si je refuse de mettre tous les autres en retard parce que quelqu’un n’a pas été respectueux, suis-je pour autant un mauvais médecin ? Certainement un médecin qui n’a pas voulu faire ce que cette personne attendait de moi. Mais je ne suis pas sûr que ce soit vraiment le rôle d’un soignant…

Il est temps de se poser une question toute simple : à quoi ça sert, un soignant ? À prendre soin de nous ? Ou à céder à toutes nos envies sans discuter, comme un larbin ou un esclave ?

Bien évidemment, je décris ici le comportement d’une minorité de personnes, mais cette minorité devient soit de plus en plus agissante, soit de moins en moins minoritaire… soit les deux.

L’impulsivité comme règle de vie

Dans notre société de consommation, l’abondance et la disponibilité sont la règle. J’ai envie d’un baril de lessive ? Je vais jusqu’au supermarché et j’en achète un. Je peux même choisir celui que je préfère, la marque qui me plaît. Et cela presque jour et nuit. Car maintenant, il y a Amazon, et si mon supermarché est fermé, je peux commander sur internet et me faire livrer en moins de 24 heures. Si par malheur le produit que je veux n’est pas disponible, ou que la livraison tarde un peu, ma frustration va grandir, et alimenter une colère parfois explosive.

Y a-t-il une raison pour que ce soit différent avec la santé et le soin ?

Je perçois un problème, un inconfort ? J’appelle, ou pire, je me déplace jusqu’à un service d’urgence. Pour être pris en charge immédiatement. Que ce soit pour des douleurs qui pourraient me faire craindre un infarctus du myocarde et un danger vital, ce qui est finalement adapté (car bien évidemment il existe de véritables urgences en médecine, des cas où il faut intervenir sans tarder une seule seconde), mais aussi parce que depuis 3 jours j’ai un bouchon de cérumen dans l’oreille qui m’indispose, ou un rhume.

Car l’impulsion est toute-puissante, et l’attente intolérable. Tout est perçu au même niveau de gravité et d’importance, sans aucune hiérarchisation.

D’abord parce que les soignants eux-mêmes ne font souvent pas l’effort d’expliquer aux patients qu’ils n’ont rien à faire aux urgences pour un rhume. Au point qu’il m’est arrivé d’être appelé par la régulation du SAMU lorsque j’étais de garde pour qu’on exige de moi que j’aille faire une consultation pour une femme ayant un bouchon d’oreille, à 22 heures. Parce que «on ne sait jamais, ça pourrait être une otite». Clairement, mon confrère s’était senti débordé et avait cédé à la patiente.

Il n’est plus nécessaire de réfléchir, mais d’obéir aveuglément à une impulsion. Comme un enfant de quatre ans. À qui d’ailleurs on demandera d’avoir, lui (ou elle), la patience d’attendre que l’adulte ait fini de parler, et de bien vouloir faire preuve de la patience que son parent n’est lui-même pas capable de développer…

L’égoïsme généralisé

La seule mesure de l’urgence est donc «ce qui m’arrive à moi est grave», quoi que ce soit.

Je cède donc à l’impulsion, je vais aux urgences que je participe à encombrer, et ce faisant je surcharge les services qui ne peuvent plus répondre aux réelles urgences vitales. Celles qui arrivent aux autres et qui pourraient m’arriver un jour. Les urgences où il est littéralement vital de ne pas perdre une seconde, d’avoir des moyens à disposition pour sauver une vie ou un organe.

Non, nous ne pensons plus aux autres dans ces cas-là. Nous oublions qu’il y a plus grave que notre cas, plus grave que notre bouchon de cérumen, et nous empêchons les autres de se faire soigner quand ils en ont vraiment besoin.

Quitte à ce qu’un jour, quand nous en aurons nous aussi vraiment besoin, quelqu’un d’autre nous fasse perdre du temps et des chances de survie en ayant le même comportement.

Nous sommes devenus des égoïstes forcenés. Notre intérêt personnel est placé au centre de tout, et les autres n’ont plus d’importance, ils sont juste bons à subir notre volonté. Nous sommes même prêts à les écraser si cela peut nous servir.

En 2011, alors que j’étais en consultation, mon patient brutalement fait un arrêt cardiaque. J’entreprends une réanimation avec mon associée et amie, le temps que les pompiers, puis le SMUR puissent arriver sur place. Malgré le massage cardiaque, les chocs électriques, l’adrénaline, ce patient âgé est mort. Dans mon bureau, où nous l’avons installé ensuite en attendant les pompes funèbres.

Peut-être croirez-vous que j’affabule, mais pourtant, il s’est bien trouvé une femme qui avait rendez-vous avec moi après ce pauvre monsieur, pour faire un esclandre parce que je ne voulais pas examiner sa fille, qui souffrait atrocement d’un rhume, avant que le corps ne soit évacué.

C’est bien sûr un exemple extrême, mais ce genre de comportement à la décence inexistante n’est plus si rare, en 2022.

La peur comme guide

Parce qu’il est entretenu par la peur qui nous saisit lorsque nous sommes ou croyons être malades. Nous avons peur d’être empêchés de faire ce que nous voulons ou ce que nous devons faire, dans une société qui valorise la performance et ne parle que d’efficacité, dans le travail comme dans la vie personnelle. La peur de souffrir, ou de mourir, aussi.

Ou la peur que cela n’arrive à un proche.

C’est la peur qui fait se ruer des personnes qui n’ont rien à y faire aux urgences, tout autant que l’égoïsme et l’impulsivité, qui n’en sont finalement que des corollaires.

Notre société est pétrie de peurs, et même façonnée par la Peur, avec un grand p.

Si la maladie, la souffrance, la mort sont trois périls communs à tous les êtres humains, notre civilisation a su trouver les moyens de les faire reculer comme jamais dans l’histoire de l’Humanité nous ne l’avions réussi.

Je ne vais pas énumérer toutes les victoires de la médecine curative actuelle, mais il suffit de citer les antibiotiques, l’hygiène, les vaccins, et les anticancéreux pour résumer toute la portée de cette incroyable succession de batailles remportées contre la maladie. Si, hélas, nous mourons toujours de certaines pathologies infectieuses, c’est le plus souvent parce qu’elles sont secondaires à d’autres maladies dans leurs stades terminaux. Par contre, des centaines de millions de vies ont été sauvées grâce à ces découvertes et à leur emploi : une pneumopathie (on appelait ça une pneumonie à l’époque) au XIXe siècle, c’était plus d’une chance sur deux de mourir. De nos jours, c’est deux à trois semaines d’antibiotiques et il n’en reste pas de séquelles dans l’écrasante majorité des cas. Une intervention chirurgicale, au XVIIIe siècle, c’était s’exposer à des infections postopératoires avec un risque de décès non négligeable, mais aussi à des douleurs réellement atroces (l’anesthésie comme nous l’entendons à notre époque n’existait pas). Aujourd’hui, on exige surtout une belle cicatrice. Au XIXe siècle, se blesser en tombant dans la rue pouvait vous inoculer le tétanos, qui vous tuait dans d’épouvantables souffrances en vous paralysant, pour mourir étouffé par l’atteinte de vos muscles respiratoires. Aujourd’hui, on pense qu’il est plus important de déclarer l’accident à son assurance pour toucher une indemnisation.

Paradoxalement, plus nous avons fait reculer les risques, et plus nous nous sommes mis à craindre ceux qui restaient. Nous ne craignons plus le tétanos, réellement mortel, mais nous avons peur des effets secondaires hypothétiques des vaccins.

Plus nous avons pensé savoir comment «prévenir» les pathologies, et plus nos avons eu peur de les contracter tout de même. Un rhume banal que nos ancêtres ne prenaient même pas la peine de mentionner au médecin est devenu de nos jours l’antichambre de la «bronchite» qui continue à effrayer les patients comme s’il s’agissait d’un cancer. Et il est inconcevable qu’on ne prescrive pas les fameux antibiotiques pour éviter une «surinfection», qui n’a pas de raison d’être quand on connait les données de la médecine fondée sur les preuves scientifiques. Le cholestérol, cette graisse indispensable à la formation de nos hormones, est désormais le spectre d’une mort certaine chez beaucoup de gens, alors qu’on sait désormais qu’il n’est pas forcément le croquemitaine que tout le monde craint si fort.

Étonnamment, nous avons fait reculer la mort, mais nous en avons plus peur que jamais.

Il faut cependant être juste dans ce constat : la peur a souvent été une arme utilisée par le corps médical lui-même pour se faire «obéir» des patients, sinon les contraindre à adopter une conduite que la Faculté jugeait vertueuse pour la santé. Au lieu d’expliquer simplement, les soignants faisaient acte d’autorité, ou usaient de la peur pour «convaincre». Nous subissons peut-être là les conséquences de nos propres manquements.

Mais c’est aussi que les soignants eux-mêmes sont pétris de peurs, de par leur formation même. Ils savent quels sont les risques de telle ou telle décision, de tel ou tel geste, et ils sont formés à les minimiser le plus possible. Une infirmière avec laquelle je travaille actuellement, passée par des services «lourds» comme les urgences ou la réanimation, expliquait récemment qu’elle avait été habituée à «anticiper le week-end (sous-entendu : quand il y a moins de soignants dans les services), et à prévoir tout ce qui pourrait mal se passer».

En cela, nous sommes aussi sujets à la crainte que nos patients, mais nous devrions être mieux armés pour faire face.

Pourtant, il n’en est rien, et la Peur, les peurs multiples, continuent de guider les demandes et les offres de soin.

Parce que la peur vient aussi de la judiciarisation de plus en plus forte du soin, et de la société tout entière. Nous sommes humains et l’erreur est humaine. Elle a des conséquences parfois dramatiques dans le monde de la santé, pour ceux et celles qui en sont victimes. Mais aussi pour celles et ceux qui sont mis en cause. Parce que l’erreur est souvent confondue avec la faute, bien souvent les soignants mis en cause sont présumés coupables par une procédure difficile à vivre et qui peut broyer des années de vie. Les soignants ont donc aussi peur de cela : être accusés, à tort ou à raison.

Entendons-nous bien : la peur est utile. Elle permet d’agir lorsque nous sommes en danger ou pourrions l’être.

Ce que je critique là est la peur excessive, la peur sans objet, la peur fantasmatique, la peur que nous ne prenons pas la peine d’écouter et d’entendre, mais que nous voulons à tout prix éteindre.

Comme la mort, qui fait partie de la vie que nous le voulions ou non, la peur est une émotion qui a son utilité, et vouloir l’étouffer sans la prendre en considération mène aux comportements irréfléchis et inadaptés dont je parle plus haut.

Sans que je puisse me l’expliquer, plus nous parvenons à faire reculer la maladie, et plus nous avons peur de ce que nous ne pouvons pas maîtriser, au point de paniquer et de nous laisser guider par la croyance impossible que nous devons tout prévoir et tout régler sur le champ, même lorsque ce n’est pas dangereux.

Nous avons donc oublié que le risque est une donnée fondamentale de notre vie, et pensé que rien, jamais, ne devrait pouvoir perturber notre existence idéale, celle que nous vantent les imaginaires de performance. Dans un acte de déni fantastique, nous occultons le fait tout simple que la vie est faite de petits inconvénients, et nous croyons que nous pouvons, que nous devons, toujours, être au maximum, non plus de nos capacités, mais des capacités que la société a décrétées comme normales.

L’argent comme valeur suprême

Le cœur du problème est là.

Remontons la chaîne causale.

Notre société dans son entièreté est fondée sur le mythe de la performance maximale et permanente. Depuis la publicité qui vante des corps retouchés et parvient à faire croire que tout ce qui s’en écarte est soit hideux soit anormal, et parfois même pathologique, jusqu’à la mesure de tout et de tout le monde via le quantified self, tout est compétition, au fond, dans une course vers un idéal factice.

Nous sommes perdus dans la croyance que l’Âge d’Or est atteignable, et que si nous travaillons dur, il sera à notre portée.

Et qu’est-ce que cet Âge d’Or dont nous rêvons ?

Un mirage pensé pour faire vendre.

Vendre des barils de lessive qui vont laver plus blanc que blanc nos vêtements afin de nous rendre plus désirables.

L’être humain n’est pas valorisé pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il peut acheter ou produire.

Un système et des autorités de santé qui favorisent tout cela

On ne dispose pas, en France actuellement, de données fiables sur la proportion des motifs de consultation. Et c’est bien dommage. Mais une partie pas si négligeable, je pense, est motivée réellement par l’obtention de certificats d’arrêts de travail, justifiés ou non, y compris quand la pathologie est terminée. C’est pour moi l’indice que les personnes qui consultent ne sont pas totalement responsables de la marchandisation. Elles en sont aussi les agentes involontaires, contraintes par la société, par l’organisation du travail et par les règles qui stipulent qu’il faut une prescription d’un arrêt de travail de la part d’un médecin lorsqu’on est malade ne serait-ce qu’une journée.

Beaucoup de pathologies bénignes guérissent seules en deux à trois jours, comme les gastro-entérites virales.

Il arrive donc souvent que les médecins voient des patients qui les consultent alors qu’ils sont déjà guéris… «juste» pour avoir un arrêt de travail a posteriori, justifiant leur absence du travail.

Est-ce le véritable rôle d’un médecin ?

Je ne crois pas.

Je crois que ma formation, longue, pointue, technique, serait plus utile pour soigner des gens, pas pour servir de contrôleur, ou pour établir un certificat purement administratif.

Comme nous en discutions lors du premier article de cette série, le système de santé est lui-même organisé en fonction du nombre de consultations et de la réponse immédiate à tous les besoins, quels qu’ils soient.

Les besoins urgents se retrouvent noyés dans la masse des demandes impulsives, mais tout cela est traité au même niveau.

Jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus faire autrement, très récemment (et ce que les mesures préconisées par le Dr Braun, enfin, valident), les services d’urgence étaient peu nombreux à réellement faire un tri à leur admission. D’ailleurs, l’obligation d’accueil était la règle, quelle que soit la pathologie, ou la non-pathologie.

Car bien évidemment, les personnes qui vont aux urgences ne le font que parce qu’elles se trouvent dans deux situations : soit elles souffrent d’une pathologie réellement à prendre en charge en urgence, soit elles ont un inconfort (plus ou moins grand) et n’ont pas reçu de réponse ailleurs car le système de ville est lui-même engorgé. Mais personne ne se pose la question de la hiérarchisation de ces demandes, autrement que par l’attente, qui crée frustration, incompréhension, majore la peur, et provoque des conflits.

Mais qui pourrait faire un véritable tri ?

Il est vrai que derrière des symptômes qui paraissent banals, peut se cacher une pathologie plus grave, que l’on doit soigner rapidement. Mais rapidement est rarement synonyme de «ça ne peut pas attendre demain», sauf pronostic vital engagé à court terme. Et ces situations de réelle urgence sont finalement assez peu nombreuses : les traumatismes douloureux ou hémorragiques (luxations articulaires par exemple), les troubles cardio-respiratoires aigus (troubles du rythme ou douleurs cardiaques, asthme, difficultés respiratoires), les syndromes neurologiques (AVC) ou les troubles sensoriels aigus (troubles de la vision ou de l’audition) pouvant les faire suspecter, les douleurs d’apparition très récente et s’aggravant de façon très rapide, la fièvre qui dépasse les 40 °C et ne cède pas aux médicaments classiques.

Les soignants sont formés à évaluer ces situations.

C’est donc à eux qu’il incombe de trier. Certains services d’urgence ont d’ailleurs des infirmières spécialement formées pour établir les ordres de priorité en fonction de critères de gravité potentielle. Et la régulation médicale des appels de soins non programmés devrait aussi faire ce tri un peu plus en amont du service d’urgence, pour apporter une réponse adéquate.

Mais le système s’est mis à dériver, et les services d’urgence ont commencé à traiter des pathologies non urgentes, simplement parce qu’elles se présentaient la nuit ou les week-ends, ou en dehors de la présence du médecin habituel.

Peu nombreux sont les soignants qui osent dire aux patients dans ces cas-là, simplement :

Non, votre cas ne relève pas de l’urgence, voyez votre médecin habituel demain ou dans deux jours.

C’est que les soignants sont là pour soulager, c’est leur métier, et que dire non est toujours culpabilisant pour eux, d’autant plus quand on sait que le médecin traitant est lui-même surchargé par d’autres demandes (pas toujours adaptées) et que le patient pourrait attendre plusieurs jours. D’ailleurs, le médecin traitant lui-même a du mal à dire «non, ceci n’est pas pathologique, je ne vous prescris rien».

Des soignants avec un ego surdimensionné et un complexe du sauveur

Toute la formation des soignants, de l’aide-soignante au médecin, en passant par l’infirmière et la kinésithérapeute, est basée sur un mode de pensée faisant de l’aide directement apportée à autrui un devoir. Et c’est une valeur à laquelle moi aussi j’adhère, non seulement par cette même formation, mais aussi par choix éthique.

Le fait que ces valeurs se retrouvent en complète opposition avec la sacralisation actuelle de l’argent explique la souffrance extrême de tous les métiers de soin dans la société dans laquelle nous vivons.

Pourtant, ce devoir d’aide est souvent interprété comme il l’était lorsque les infirmières étaient des bonnes sœurs et les médecins des prêtres : un sacrifice doublé d’un pouvoir immense.

J’ai déjà un peu parlé de ce complexe du sauveur.

Nous pensons que tout repose sur nous, que nous devons porter tout le poids, toute la responsabilité, au mépris de notre propre sécurité, voire de notre vie. Et c’est admirable. Mais nous oublions un léger détail, parfois : la personne qui vient se faire soigner a un rôle, elle aussi, une responsabilité à accepter. Si nous portons tout, que reste-t-il à l’autre ? Rien. Il est alors «pris en charge», mais s’en trouve presque infantilisé. Dépossédé. C’est sans doute confortable, pour cette personne (et pas toujours). Mais il se peut que ce soit légèrement aliénant, et au final peu respectueux.

Le fait de tout porter est aussi gagner un pouvoir sur l’autre. Le soignant peut avoir la tentation de décider de tout, d’imposer sa volonté, ou ce qu’il croit être le mieux pour la personne qu’il prend en charge. Même si cette dernière aurait envie d’autre chose. Je connais certains confrères qui ont ainsi l’impression d’être des gens très importants, comme ces anciens médecins qui pensaient que leurs patients étaient trop bêtes pour comprendre leur pathologie, qui ne leur expliquaient rien, leur disaient tout juste deux mots dans le jargon médical, si possible en latin ou en grec.

Il est valorisant de tout porter. Tout dépend de nous, et nous nous sentons investis d’une mission divine.

Mais il n’en est rien, et le patient est souvent largement plus efficace pour lui-même que les soignants.

Nous ne sommes bien souvent là que pour donner le coup de pouce qui fera la différence.

Et si ce n’est pas le cas, de toute façon, la place du soignant est d’accompagner, d’être là seulement si le patient ne peut agir seul, et seulement pour lui permettre de regagner cette possibilité-là au plus vite.

Faut-il donc répondre à chaque demande instantanément ? N’est-il pas plus efficace et plus judicieux, voire plus respectueux, d’apprendre à l’autre à déceler les signes qui méritent une consultation, ceux qui alertent, et ceux qui peuvent être ignorés un temps ?

«Miroir, miroir…»

Après ce constat touffu, peut-être que votre impression est celle d’un pessimisme abyssal, ou bien tout cela vous paraît-il étrange et pensez-vous que je suis à côté de la plaque.

Pourtant, la pandémie de COVID19 a illustré avec une grande clarté tout ceci, en jouant le rôle du miroir qui donne son titre à cet article. Car tout ce que je viens d’énoncer a été dévoilé à cette occasion.

La peur qui nous a tous saisis lorsque le confinement a été décrété et que nous avons compris l’urgence de la situation a eu divers effets. Il y a eu celles et ceux qui ont entendu l’émotion et s’en sont servi pour agir, et celles et ceux qui ont été submergés par elle. Il y a eu des gestes de solidarité (fabrication de masques, de pièces pour des respirateurs artificiels dont les réanimations manquaient cruellement), mais aussi des idioties sans nom (agressions de soignants, pour ne citer que cela).

La peur a fait ressortir les comportements égoïstes, du genre «moi je m’en fous, je porte pas de masque, je le supporte pas» (on ne te demande pas d’être confortable avec un masque, on te demande de protéger les autres, et les autres, ça peut vouloir dire des gens que tu dis aimer, mais apparemment, pas assez pour contrarier ton petit confort).

L’impulsivité, couplée aux «avis Google», a donné lieu à des débats stratosphériques comme si tous les Français (et le premier d’entre eux d’abord) avaient soudain gagné dans une pochette surprise un diplôme d’épidémiologiste, puis de microbiologiste, de virologue, de biologiste moléculaire, et enfin de statisticien, simplement parce que quelqu’un avait posté sur un réseau social une vidéo qui vantait les mérites d’une molécule non éprouvée dans la pathologie. Donc, puisqu’il avait mis cinq étoiles au produit, ça ne pouvait être qu’un remède miracle.

L’argent a fait son œuvre lui aussi. Pour ne pas en perdre, l’État avait jeté ses réserves de masques. Puis, tout en clamant qu’il allait augmenter le nombre de lits d’hospitalisation, il a continué comme les années précédentes à en supprimer.

Et des médecins se sont crus investis d’une mission divine en allant sur les plateaux de télévision raconter ce qu’ils croyaient (et non ce qu’ils savaient), en se déchirant entre eux afin de bien augmenter le désarroi et l’incompréhension de la population.

Car la population a commencé 2020 en demandant à cor et à cri des masques avant que certains se mettent à refuser d’en porter, puis en milieu d’année 2020 s’est mise à réclamer des vaccins avant de se montrer plus que réticente à les utiliser quand enfin ils ont été disponibles. Il a même fallu une obligation de vaccination déguisée pour qu’une bonne partie d’entre nous accepte enfin de se protéger.

Là encore, bien sûr, je ne mets pas tout le monde dans le même sac. Mais nous avons tous été témoins de ce genre de comportements pour savoir que je n’exagère pas.

Peurs, égoïsmes, impulsivité, marchandisation, argent, système sans régulation…

Tout cela existe depuis des dizaines d’années, et tout ce que je décris ne fait qu’augmenter au fil du temps.

Pourtant, dans ce domaine comme dans celui de la crise de la biodiversité et du climat, il reste des choses à faire pour corriger le tir. Je crois qu’il est trop tard pour ne pas ressentir des effets difficiles, mais pas trop tard pour sauver l’essentiel. Si nous agissons vite et bien.

J’ai un vrai doute sur notre capacité à accomplir ce qu’il faudrait, mais dans le prochain article, j’oserai quand même exposer mes idées de solutions. Pas parfaites, sans doute pas suffisantes. Mais qui, je crois, iraient dans le bon sens.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 1 : Le piège du paradigme de l’offre et de la demande

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 1 : Le piège du paradigme de l’offre et de la demande

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 1 : Le piège du paradigme de l’offre et de la demande

Le premier juin 2022, j’ai fermé mon cabinet libéral de médecine générale, en laissant, sans successeur, mes 800 patients chercher par eux-mêmes quelqu’un pour les prendre en charge. J’ai tourné le dos à la médecine de premier recours. La pénurie actuelle ne s’en trouvera pas améliorée. Et si j’en assume la décision, je crois que mon devoir est aussi de vous expliquer pourquoi ce sont plutôt les choix politiques de ces trente dernières années qui l’ont provoquée, et ce que nous devrions faire pour que nous puissions tous et toutes, un jour, retrouver malgré tout un système de santé efficace et juste.

Pourtant, je ne suis pas dupe, et je ne crois en aucun cas que les politiques auront le courage et la décence de reconnaître leurs erreurs et surtout d’y porter remède.

Je suis lucide : ce qu’ils ont déjà accompli, ils le poursuivront, et un jour pas si lointain la population française ne pourra plus se soigner correctement.

Ce jour approche bien plus vite que vous ne le pensez.

Alors j’imagine déjà leurs cris d’orffraie, puisqu’ils ont commencé à les pousser durant cette campagne électorale, alors qu’ils sont les pompiers pyromanes à l’origine du désastre.

Ce texte est donc là surtout pour éclairer nos concitoyens sur la réalité, et empêcher les politiques de la travestir en essayant de se dédouaner de leurs responsabilités. Mais c’est aussi un appel adressé à chacune et chacun d’entre nous afin de changer de regard sur la fonction de soignant.

Je vais ainsi égréner dans une série d’articles les différentes raisons qui m’ont poussé à quitter la médecine générale.

Et tout d’abord, nous devons parler de la façon dont est conçu actuellement notre système de santé et de soin. Cela nous conduira à comprendre l’impasse, car c’est bien ainsi qu’il faut la nommer, dans laquelle se trouve notre société sur ce terrain-là comme sur beaucoup d’autres.

La source du malaise : l’incompréhension

On parle des «déserts médicaux», on devrait parler des déserts de soin.

Ce ne sont pas seulement les médecins qui manquent et qui vont manquer dans l’avenir, ce sont bien tous les acteurs et tous les métiers du soin et du prendre soin : infirmières, aides-soignantes, auxiliaires de vie, kinésithérapeutes, sages-femmes, la liste peut encore s’allonger si on le souhaite.

Cela fait des années qu’on en parle.

Cela fait des années que tout ce qui est décidé n’a aucun effet.

Pourquoi ?

Parce que, fondamentalement, les autorités de santé ne comprennent pas le monde du soin.

Parce que, fondamentalement, la société dans son ensemble s’éloigne de plus en plus des valeurs qui fondent les métiers du soin.

Si l’on ne comprend pas un problème, il y a peu de chance qu’on puisse le résoudre. Encore moins si l’on ne comprend même pas la langue dans laquelle est posé le problème.

J’ai écrit en introduction que tout cela était la faute des politiques. De tous bords.

Ce n’est pas complètement exact.

C’est la faute de nous toutes et nous tous.

La faute des soignants qui ne savent pas expliquer clairement les choses et qui le plus souvent se soumettent au nom de leurs valeurs d’assistance, en acceptant par là même de les bafouer.

La faute de chaque citoyenne et chaque citoyen en ne réclamant pas des changements véritables aux politiques et en reconduisant un modèle de société qui nous fait aller dans le mur.

La faute des politiques qui sciemment ou non tiennent fermement les rênes qui empêchent toute remise en cause du postulat erroné suivant : la santé se pilote comme une entreprise.

C’est surtout la faute à une idéologie qui imprègne toutes les couches sociales et toutes les opinions politiques, de quelque bord qu’elle se réclame : l’idéologie de l’offre et de la demande.

Pour le démontrer, je vous propose de faire le descriptif de la logique actuelle.

Tomber malade dans notre société

La maladie dans notre société est en effet une nuisance.

Elle provoque des symptômes qui sont la plupart du temps désagréables, néfastes. Tellement néfastes qu’ils gênent nos activités courantes, et entravent nos fonctions dans la société de production et de performance.

D’ailleurs, ce qui nous amène à consulter, ce sont eux : les symptômes. Ils sont finalement plus gênants que la maladie elle-même. Personne ne se soucierait d’un simple rhume s’il ne s’accompagnait pas de l’impression d’avoir un robinet ouvert à la place des narines. D’ailleurs, ce que nous voulons vraiment, c’est bien nous débarrasser des symptômes. La maladie elle-même, tant qu’elle n’est pas gênante, n’est pas si importante. Pour preuve le diabète, qui ne donne aucun symptôme lorsqu’il est déclaré depuis très peu de temps, ou l’asthme, autre maladie chronique peu symptomatique en dehors des crises. L’important, croyons-nous, c’est le symptôme.

Quand donc un symptôme apparait, nous désirons le faire partir ?

Vite. Très vite. Le plus vite possible.

Parfois, nous nous automédicamentons (néologisme que j’assume).

Mais, quelquefois, même en avalant des médicaments, le symptôme résiste.

Là, ça devient intolérable.

C’est compréhensible : nous n’aimons pas être gênés. Notre corps ressent du bien-être lorsqu’il est dans une sorte de confort où toutes les fonctions sont satisfaites. Il est même conçu pour réagir lorsqu’un paramètre menace de sortir de cette zone de confort, qu’on appelle l’homéostasie. L’homéostasie est cette fonction basique de tous les êtres vivants, depuis la bactérie jusqu’à l’être humain, qui permet de maintenir le milieu interne de l’organisme dans des paramètres compatibles avec la vie : une température ni trop chaude ni trop froide, un milieu bien hydraté mais pas trop, des concentrations de sels minéraux ou autres ni trop importantes ni trop faibles.

Toutes les fonctions les plus primitives, les plus anciennes de la vie sont celles qui doivent maintenir l’homéostasie. C’est la condition même de la survie, et donc de la vie.

Lorsque l’on est malade, existent donc en nous deux craintes : celle d’être gêné, et celle de mourir.

L’une et l’autre se renforçant, d’ailleurs. Plus nous nous sentons gênés et plus nous pensons que cela peut menacer notre vie. Plus nous croyons que le symptôme menace notre vie et plus nous nous sentons gênés.

C’est à ce stade-là qu’intervient un élément essentiel du débat : la peur.

La peur est une émotion archaïque, l’une des premières émotions apparues dans l’Évolution. Elle pousse l’animal qui la ressent à agir pour éviter un danger, soit en le fuyant, soit en l’affrontant. En ce sens, c’est un puissant agent de l’homéostasie, une alliée importante de la survie, et donc de la vie.

Pourtant, pour être efficace, la peur doit être rapide. Elle doit induire une réaction en quelques dixièmes de seconde face à un prédateur, par exemple. On comprend donc que par nature la peur bloque le raisonnement intellectuel. On n’est pas là pour penser, mais pour agir vite.

Les actions entreprises sous l’emprise de la peur sont donc irréfléchies, de façon à être les plus rapides possibles.

Alors quand la peur est celle d’être malade, à cause de symptômes gênants, nous allons aussi en craindre la conséquence la plus importante : la mort. Nous allons déclencher les actions les plus drastiques pour éviter ce sort.

Nous avons donc besoin de personnes soignantes très disponibles. Idéalement, disponibles en permanence. Ce qui veut dire aussi en grand nombre. En très grand nombre, pour être en mesure de répondre instantanément à chaque peur, chaque besoin ressenti.

Le rôle des autorités de santé

Les autorités de santé vont être sollicitées afin de garantir cet accès rapide et inconditionnel, sous la double pression de la population inquiète de ne pas pouvoir se soigner et des politiques qui ont à cœur de répondre aux besoins exprimés par leurs potentiels électeurs.

En faisant un constat simple, les politiques au sens large (les autorités de santé non élues, fonctionnaires et gestionnaires, qui ne viennent en général pas du monde du soin et qui donc n’en connaissent pas forcément les spécificités, encore moins le mode de pensée que nous verrons plus tard, mais aussi les politiciens élus, à tous les échelons administratifs) vont confronter deux paramètres : la demande de soins d’un côté et l’offre de soins de l’autre. Voyant que la demande est explosive, et que l’offre n’est pas suffisante, ils vont être sommés de prendre des décisions.

Cependant, un autre paramètre s’impose à eux : le coût des soins.

Soigner demande de mettre des moyens en œuvre, qui ont un coût : payer des soignants, acheter du matériel pour faire des bilans biologiques, réaliser des radiographies, construire des machines pour faire des scanners, des IRM, acheter des médicaments pour apaiser les symptômes rapidement, etc.

Tout cela coûte cher. Parfois même très cher.

Et comme la demande en soins explose, les coûts suivent la même courbe exponentielle, et les gestionnaires commencent à s’affoler. L’assurance maladie dépense de plus en plus, et nous assistons à la naissance du fameux «trou de la sécu».

Comment donc répondre à la demande en soins sans mettre le pays à genoux financièrement ?

Les manettes à leur disposition sont assez nombreuses, mais il y a deux leviers qui sont les plus évidents : le nombre et le temps. Le nombre, bien sûr : augmenter le nombre de soignants pourrait répondre à la demande croissante, mais cela pourrait aussi augmenter le nombre de prescriptions, d’examens, de médicaments, donc faire exploser plus encore le coût du domaine de la santé. Pendant des années, on a donc sciemment bloqué le nombre de médecins formés, en pensant que moins de médecins voudrait dire limiter la hausse du coût des soins.

Cependant, la demande continue, elle, à augmenter. Car la population devient plus nombreuse démographiquement, plus âgée, donc plus susceptible de tomber malade. Et comme le nombre de médecins a été bloqué, non seulement chaque médecin travaille plus, mais aussi les personnes qui désirent les consulter ont plus de mal à en trouver de disponibles.

Alors on va jouer sur le temps.

En bloquant le montant des consultations à un niveau bas, qui place le revenu moyen des médecins français à environ la moitié de celui des médecins allemands, on s’assure que chaque médecin soit obligé de faire de nombreuses consultations chaque jour pour gagner sa vie. On oblige donc à multiplier les actes, et donc à diminuer le temps de consultation par patient, pour augmenter le nombre de patients vus par chacun.

Bien évidemment, cela augmente beaucoup le nombre de prescriptions, donc cela entraîne aussi une augmentation du coût de la santé. Donc on décide de bloquer le coût total. Ce qui fait mécaniquement diminuer la part de chaque acte médical payé, de manière à pouvoir augmenter le nombre d’actes.

Le raisonnement est le même avec les actes infirmiers à domicile, ou les salaires des aides-soignantes.

On paupérise une profession de manière à l’obliger à un objectif de rentabilité.

C’est aussi ce que les pouvoirs publics sont en train de tenter avec les psychologues, en essayant de les obliger à accepter d’être remboursés par l’assurance maladie environ deux fois moins que leur niveau de rémunération actuel moyen.

Cette stratégie provoque bien entendu des épuisements au travail (le célèbre burn-out), un surcroît de suicides, et autres pathologies liées à un rythme de vie inadapté (infarctus du myocarde, troubles du sommeil, dépressions) chez les soignants, et par conséquent un manque d’attrait de ces métiers. Le nombre des soignants continue à diminuer, pendant que les demandes de soin continuent à grimper.

Alors, tout en n’augmentant pas le tarif de la consultation, on crée la «rémunération sur objectifs de santé publique» (ou ROSP de son petit nom), qui donne une prime aux soignants de ville (libéraux) en fonction de critères négociés par les syndicats avec l’assurance maladie (prescrire des génériques, suivre régulièrement les paramètres de patients atteints de certaines pathologies, comme le diabète, etc.). Le niveau de rémunération se stabilise, conditionné à certains critères qui au départ sont plus ou moins médicaux.

Mais la pénurie de soignants s’aggrave. Car on ne relève toujours pas le nombre de soignants formés et les demandes de soin continuent à augmenter d’autant plus que les médecins ne font plus seulement du soin, mais aussi beaucoup de para-soin : ils voient des personnes qui ne sont pas malades mais qui ont besoin qu’on atteste, qu’on certifie, qu’elles ne soient pas malades, ou bien encore plus compliqué, qu’elles ont été malades de telle date à telle date, ou même que leur activité personnelle ou professionnelle ne puisse pas les rendre malades.

Alors on change les critères de la ROSP (à compter de 2022), qui au départ sont médicaux, pour introduire une obligation d’adhérer à une structure qui détermine combien chaque médecin doit suivre de patients, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS, parce que l’administration adore les sigles). Cela permet de fixer les soignants dans un cadre contrôlé par la puissance publique, de s’assurer aussi que tous les médecins vont entrer dans ce cadre et obéiront aux injonctions de rentabilité en termes de nombre de patients vus (je n’ose plus dire soignés).

Car on a bien pris soin d’augmenter leurs revenus seulement à travers la ROSP, qui finit par représenter 20 % de ce que chaque médecin généraliste gagne en moyenne. Il est donc pour eux impossible de se priver de 20 % de leurs revenus, et s’ils veulent continuer à maintenir ce qu’ils gagnent, ils n’ont pas d’autre choix que de plier : ils adhèrent à ces structures. Parfois même en essayant de se persuader eux-mêmes que ce sont eux qui choisissent, et que «c’est pour le bien de la population», un discours que beaucoup de vieux médecins tiennent en ce moment, ne percevant ou ne voulant pas percevoir tout ce que ce système contient de perversité intrinsèque. Car en acceptant ce marché de dupe, ils se soumettent à ce que ces structures vont ensuite décider. Pour le moment, elles sont censées être dirigées par des soignants. Mais quiconque sait ce que cela veut dire que de diriger une structure connait la masse de travail que cela demande. Un soignant n’en a pas ni la formation, ni, souvent, la volonté, préférant exercer son véritable métier auprès des patients. Dans quelques années, donc, les CPTS auront à leurs têtes des personnes dont le profil sera le même que les directeurs d’EHPAD, de cliniques, ou d’hôpitaux : des gestionnaires qui ne seront pas issus du monde du soin. Les soignants qui seront donc engagés dans ces structures seront de facto dirigés par des gestionnaires, qui leur imposeront un nombre de patients à voir par jour, une organisation décidée par la structure et pas selon des critères de soin. Ils seront pieds et poings liés, avec tous les inconvénients d’un exercice en salariat, sans aucun de ses avantages.

Parallèlement, cette logique a déjà été imposée à l’hôpital, avec ce que l’on a appelé la T2A, la tarification à l’activité. C’est ni plus ni moins que l’imposition d’un tarif pour chaque acte médical effectué dans un établissement de santé, public comme privé. Et plus l’établissement réalise d’actes «bien payés» par l’assurance maladie, plus il gagne d’argent pour fonctionner. Vous réalisez comme moi que c’est la même logique : pour payer les personnes qui y travaillent, pour payer les machines à faire des IRM et des scanners, pour payer les analyses médicales, pour donc continuer à soigner des gens, un hôpital en France est obligé de soigner beaucoup de monde, et plus on soigne plus on est «rentable». Même si plus on soigne plus on coûte d’argent. Alors on impose à l’hôpital de faire des économies, et on supprime des lits. Parce que ça coûte cher d’abord, parce que les soignants ne sont pas aussi fous qu’on le pense et s’en vont ensuite, donc il ne reste plus grand monde pour vouloir soigner à la chaîne sans avoir de bonnes conditions de travail.

Il y a donc moins de soignants en ville, et moins de soignants à l’hôpital. Ceux qui restent doivent supporter une charge de plus en plus grande parce qu’ils sont de moins en moins nombreux et qu’on leur demande de plus en plus.

Le système tient comme cela depuis 30 ans.

Mais il est en train de s’effondrer.

Parce que lorsqu’on forme de moins en moins et qu’on fait partir ceux qui étaient en place, on vide le système de santé de ce qui en est le cœur : les soignants. Lorsqu’il n’y a plus de médecins et plus d’infirmières, lorsqu’il n’y a plus d’aide-soignant ni plus de kinésithérapeutes, pensez-vous vraiment que ce seront les fonctionnaires des ARS et les politiques qui pourront vous (nous) soigner ?

Bien sûr, on peut être tenté, comme c’est dans l’air actuellement, de forcer les soignants qui restent, de leur imposer par la loi de :

  • Faire des gardes aux urgences.
  • Voir plus de patients.
  • Faire des horaires à rallonge. Je rappelle que notre Président «bien-aimé» a osé dire en public en 2018 (comme vous pourrez l’entendre ici à 44:30 du discours) qu’en substance, il lui semblait normal que les médecins généralistes travaillent de 8 heures du matin (ça, il ne le dit pas mais toutes les structures de garde ferment à 8 heures du matin) à 22 heures le soir… donc 14 heures dans une journée, une durée de travail abolie depuis le XIXe siècle dans les pays développés, mais sans doute encore en vigueur dans des contrées aux avancées sociales certaines, comme la Chine ou la Corée du Nord.
  • S’installer même s’ils ne le veulent pas (les médecins remplaçants vont apprécier, je n’en doute pas). Dans quel métier force-t-on quelqu’un à l’exercer s’il ne le désire pas ?
  • S’installer là où on leur dira.

En somme, on peut essayer de leur imposer de réparer les erreurs que non seulement ils n’ont pas commises, mais qu’ils ont essayé d’empêcher en prévenant en vain les autorités de santé depuis au moins 20 ans (mon sujet de thèse était un sujet de démographie médicale, je l’ai rédigé en 2002). Dit autrement : on peut essayer de les rendre responsables d’une catastrophe causée par les décisions des politiques.

Conséquences

Que pensez-vous qu’il puisse se passer ?

Dans mon cas, c’était assez évident : on ne me forcera pas à laisser ma santé physique et mentale pour tenter en vain de réparer des fautes commises par des politiques que j’ai toujours combattues. J’ai donc refusé de rester dans ce système inhumain. J’ai fermé mon cabinet. Et comme mes collègues ne sont pas seulement des curés et des bonnes sœurs prêtes à faire le sacrifice de leur vie, je n’ai pas réussi à trouver de successeur. Les soignants ne sont pas plus fous que d’autres, ils n’ont pas très envie de ce qui est clairement un poison pour eux-mêmes et pour leur vie.

Si un jour on tente de me forcer à quoi que ce soit, je quitterai totalement les métiers du soin. Sans état d’âme.

Le résultat est donc simple : un médecin de ville de moins pour prendre en charge les soins de premier recours.

Epic fail.

Game over.

Raisonner autrement

Je ne suis pas le seul à être dégoûté de ce qui est en train de se passer. Deux ans de pandémie durant lesquels tous les métiers du soin ont été sursollicités mais aussi tour à tour conspués parce qu’ils risquaient de contaminer les autres, puis applaudis parce qu’ils étaient courageux (mais applaudis tant qu’ils étaient loin et qu’ils ne risquaient pas de ramener la maladie dans l’immeuble) puis encore conspués parce qu’ils refusaient de prescrire des traitements non éprouvés comme l’hydroxychloroquine, ont encore plus entamé les réserves d’énergies de celles et ceux qui subissent ces logiques délétères de l’offre et de la demande depuis des décennies.

Le système de soin s’enfonce de plus en plus dans un marasme dont il ne sortira pas avec les remèdes qui sont évoqués actuellement, ni par les uns ni par les autres.

Forcer les médecins à s’installer ne marchera pas : ils choisiront de changer de métier ou de mode d’exercice, comme moi. Continuer à faire peser sur ceux qui restent la charge de ceux qui partent ne fonctionnera pas plus : eux aussi quitteront leur métier ou refuseront de prendre des postes sous-payés et déconsidérés.

Décréter un «numerus apertus» ne marchera pas non plus, car les conditions de travail continuant à se dégrader, les étudiants abandonneront leurs études.

Mettre de l’argent ne sera pas plus efficace, car continuer sur cette logique de l’offre et de la demande sans fin mènera à toujours courir après une chimère sans jamais la rattraper. Les dépenses de santé seront bien vite si intenables que les assurances privées s’en mêleront et que le système deviendra profondément inégalitaire : ceux qui auront les moyens financiers pourront bien se soigner, les autres devront se contenter de soins au rabais.

Alors quoi ? Tout est perdu ?

Non.

Tout n’est pas perdu si nous acceptons de changer de paradigme, de changer de mode de pensée.

Si nous décidons de raisonner autrement, nous pouvons adapter le système pour le rendre à sa mission première : protéger la santé de toutes et tous.

Cela demande de sortir de la logique de l’offre et de la demande, et de jouer sur un paramètre que personne, jusqu’à présent, ne propose de prendre enfin en compte : l’adéquation de la demande de soin avec une certaine sobriété, une certaine sagesse. Par exemple en acceptant de réserver l’accès au système de soin à ceux qui ont réellement besoin d’être soignés, au moment où ils en ont besoin.

C’est un peu iconoclaste et je m’attends à une volée de bois vert dans les commentaires. Pourtant, j’ai des arguments, que j’exposerai dans le troisième volet de cette série d’articles, comme la prévention et l’éducation ou comme le concept de santé globale.

En attendant, dans le deuxième, nous parlerons de la deuxième raison de mon départ de la médecine générale : la marchandisation de la santé et du soin.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Ce qui va me manquer

Ce qui va me manquer

Ce qui va me manquer

Le trente mai au soir, un lundi, lorsque je refermerai pour la dernière fois la porte, il restera entre ces quatre murs comme les ombres nostalgiques de tant de souvenirs, de tant de larmes, de tant de rires, de tant de confidences, de tant de douleur, de tant d’espoirs, de tant de dénouements.

Tout cela sera si fort que les vapeurs invisibles mais tenaces que cela aura fait naître se seront imprégnées dans les peintures, le sol, le plafond, les dalles lumineuses qui l’éclairent, et que, sans doute, des images irréelles, seulement visibles de quelques personnes, resteront, évanescentes, dans la buée des petits matins d’hiver ou la rosée de printemps, pour se montrer à travers les vitres comme des reflets fantomatiques.

J’aime à croire que les événements laissent des traces chez les personnes qui les vivent, mais aussi, de façon plus surprenante et subtile, sur l’ambiance d’un lieu.

J’aime à croire que ce qui restera sur place, ce soir-là, alors que je partirai définitivement, sera bienveillant et souriant.

Lorsque je refermerai pour la dernière fois la porte, je laisserai tant de choses qui me manqueront…

Je laisserai les nourrissons et leurs sourires spontanés, leurs gestes saccadés et mal coordonnés, leurs éclats de rire et leur caractère déjà trempé pour la plupart. Ma vieille toise en bois ne prendra plus l’aune de leur vitesse de croissance, et le mètre ruban dont je les coiffais après avoir vainement et naïvement tenté de leur faire croire que c’était “le bandeau de Rambo” en montrant sur ma propre tête que cela ne faisait pas mal, ce mètre ruban sera enroulé une bonne fois pour toutes.

Je ne verrai plus les lueurs inquiètes mais malgré tout confiantes dans les yeux de leurs parents à qui j’apprenais les rudiments de l’hypnose infantile pour leur permettre de passer l’épreuve des premières vaccinations et effacer ces souvenirs douloureux de leur mémoire encore si jeune.

Je laisserai les enfants plus âgés avec qui je pouvais déjà discuter un peu pour négocier un examen, un soin, un vaccin, une auscultation. Je laisserai les paroles affirmées et la tendre naïveté des pensées de cet âge, quand ils ou elles me racontaient leurs vacances chez leurs grands-parents, combien ils étaient fiers de leur t-shirt spiderman, ou avec quelle passion elles attendaient leur fête d’anniversaire.

Je laisserai cette phrase si attendrissante de la fillette qui, à la question de savoir en quoi elle voulait me transformer avec sa baguette magique, répondit tout de go “en beau !”, provoquant tout à la fois mon éclat de rire et une excuse gênée de sa mère bredouillant “elle veut dire en prince charmant”.

Mes cinq petits tampons, insigne marque de courage et emblèmes de fierté accordés à celles et ceux qui restaient courageux, sages, ou qui surmontaient la consultation, seront orphelins eux aussi. La princesse ira-t-elle consoler le dragon ou le chevalier ? Ou bien sera-ce le nounours qui prendra la girafe dans ses bras pour en sécher les larmes ? À moins que ce ne soit le singe, cette petite figurine qui aida un jour une jeune fille de 5 ans à vaincre, plusieurs semaines d’affilée, des angoisses qui l’empêchaient de dormir.

Je laisserai Laure, Maëlle, Antoine, Théo, Tom, Miya, Axelle, Marly, Yohan, Jade, Thaïs, Lilou, Zoé, les jumeaux Louis et Gabriel, ou encore Lise, parmi tant d’autres encore.

Je laisserai aussi tous ceux et toutes celles qui ont grandi, et qui, devenues adultes, sont restées mes patientes ou mes patients.

Celles-là, ceux-là, je les ai parfois vus depuis qu’ils sont sortis de la maternité. Ils ont maintenant plus de 12 ans. Ce sont des adolescents et je vais laisser en arrière leurs interrogations et leurs angoisses, leurs espoirs et leurs découvertes, leurs rébellions et leur méfiance des adultes, leurs touchantes marques de confiance si chèrement gagnées.

Je les laisserai sur leur chemin, en espérant avoir, à un moment ou un autre, pu les aider à ce qu’il soit vraiment le leur, à ce qu’il soit, sinon plus doux, du moins plus enrichissant, et qu’ils soient mieux armés pour le parcourir.

Lorsque je lâcherai la poignée, il restera toujours, derrière, dans le bureau de consultation, les moments forts que j’ai eu l’honneur de vivre avec ceux qui n’étaient plus vraiment des enfants, et qui pourtant ont accepté de faire confiance à la partie d’eux-mêmes qui règne sur l’enfance comme sur la créativité pour explorer en hypnose thérapeutique une autre façon de regarder leurs différents problèmes.

Avec elles, avec eux, j’embarquais moi aussi dans des voyages hypnotiques où je les accompagnais dans un changement souvent si minime qu’il aurait presque pu passer inaperçu, mais si essentiel qu’il a totalement modifié leur regard sur des douleurs chroniques, des blocages psychologiques, des souffrances relationnelles, des symptômes encombrants.

J’ai assisté et j’ai parfois pu guider des prises de conscience qui ont révolutionné leur quotidien.

Quand je détournerai la tête, ce dernier soir-là, ce sera pour laisser d’évaporer les petits moments d’émotion partagée, les larmes qui montaient aux yeux des deux côtés du bureau, les mains qui se serrent l’une et l’autre dans une expression de réconfort face à une grave nouvelle, le geste simple d’une paume qui se pose sur un bras ou une épaule.

Comme un souffle fragile, les exercices de respiration qui régulaient des crises d’angoisse s’évanouiront.

Comme s’envoleront les rires et les sourires, les jeux de mots dont je suis parfois un peu trop coutumier mais qui étaient appréciés de certains et de certaines.

Dans ce lieu étonnant où l’on pouvait constater un revers de traitement, ou une défaite amère face à la maladie, on pouvait aussi savourer et célébrer ensemble de petites victoires et de grandes réussites. Pour chacune et chacun, nous cherchions, ensemble, sans relâche à apaiser, à soulager.

Lorsque la clef tournera une ultime fois dans la serrure, je laisserai aussi un lieu que j’avais peu à peu investi, et qui, malgré l’absence de tableaux que je n’avais jamais pris le temps d’accrocher, commençait à ressembler un peu à ce que je voulais y mettre, au moins dans son atmosphère. Un endroit que j’avais voulu façonner comme un havre pour celles et ceux qui avaient besoin d’y trouver un peu de paix et d’écoute dans ce monde si dur. Moi le premier.

J’y étais maître à bord, et cela aussi je devrai le laisser derrière moi.

Cette liberté que promet en théorie l’exercice libéral, et dont j’ai si peu profité, finalement. Parce que les contraintes administratives, parce que les contraintes financières, parce que la pression des patients. Mais aussi, en étant totalement honnête, parce que ma peur, parce que mes injonctions intérieures, parce que ma rigidité mentale.

Mais je quitterai aussi une amie avec laquelle j’avais eu ce projet. Ce projet de travailler ensemble, avec la même vision, la même volonté, en gardant chacun notre propre façon de faire, nos différences, nos personnalités bien distinctes, nos styles intacts. Nous nous connaissions depuis longtemps avant de nous associer. J’avais dit, dans une autre vie : “jamais je ne m’installerai avec un ami ou une amie, jamais je ne mélangerai l’amitié et le travail”. Une fois de plus, l’univers ou l’ironie de l’existence m’ont amené à renier cette interdiction idiote, et pour mon plus grand bonheur. Travailler avec une amie a été pour moi un vrai plaisir.

Les discussions autour de la table de notre salle de repos, les exaspérations partagées, les rires et les sourires se sont mélangés aux conseils professionnels, aux avis précieux, aux galères surmontées ensemble.

Nous avons même entrepris une réanimation d’urgence dans mon cabinet de consultation, l’une massant pendant que l’autre insufflait, puis inversement, à tour de rôle, jusqu’à ce que les pompiers puis le SAMU n’arrivent.

Cela forge.

Cela aussi, je devrai le quitter, même si l’amitié reste.

Mais lorsque la porte se fermera, je ne laisserai pas vraiment tout cela derrière moi.

Car en même temps qu’une dernière fois l’air à l’intérieur sera brassé par le mouvement, tous ces souvenirs, toutes ces émotions, toutes ces larmes et tous ces rires, comme des volutes de fumée invisibles, prendront leur envol.

Car si tout cela a existé, cela a aussi existé en moi.

Tout cela m’a changé, m’a grandi, m’a bousculé.

Le trente mai au soir, un lundi, lorsque je refermerai pour la dernière fois la porte, j’emporterai tout cela avec moi.

Et je tâcherai d’en rester digne.

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Se vacciner : un devoir citoyen

Se vacciner : un devoir citoyen

Se vacciner : un devoir citoyen

Nous venons de vivre, et vivons toujours, un traumatisme qui traverse chacune et chacun d’entre nous dans toutes les sphères de notre existence. Nous l’avons vécu individuellement, dans la peur de la maladie, de la souffrance, de la mort, dans la privation de liberté, dans l’arrêt de nos loisirs, dans la perturbation majeure de nos activités professionnelles. Nous l’avons vécu dans nos relations sentimentales, familiales, amicales, par l’éloignement physique, la peur de contaminer ou être contaminé, l’inquiétude pour celles et ceux qui nous sont proches. Nous l’avons parfois vécu de façon intime par des douleurs, de la fatigue, du temps qui semble filer entre nos doigts. Nous l’avons hélas vécu aussi par la perte, le décès, le deuil. Nous l’avons également vécu dans le tissu de notre société, dans les liens qui nous relient aux autres par cette grande trame qui constitue l’Humanité, et que même les anachorètes les plus extrémistes ne peuvent rejeter complètement puisqu’ils se définissent toujours par rapport à elle, même si c’est en opposition frontale.

Nous venons de prendre conscience, dans notre société qui prône l’individualisme le plus forcené, que, pourtant, notre vie n’a de sens que si nous la relions à celle d’autres êtres humains.

On a beau dire, je prends le pari que même les plus égoïstes d’entre nous auront ressenti ce manque d’échanges avec les autres, même si ce n’était qu’avec leurs amis ou leurs parents.

L’être humain est un animal social.

Autrement dit : notre vie n’a de sens que si nous formons une société.

Une fois cela posé comme axiome (je crois que personne ne peut contester ce fait tout simple), il est plus que temps d’en tirer quelques conséquences sur nos comportements.

Parce que si nous voulons continuer à vivre en société, il est impératif d’agir comme si nous en étions l’un de ses membres, donc d’en respecter les règles.

Avertissement

J’en suis le premier peiné, mais l’expérience actuelle d’internet étant ce qu’elle est, c’est-à-dire le reflet d’une société incapable de discuter sereinement et avec bienveillance, sans mauvaise foi ni pseudoarguments fallacieux parés des atours de la science sans en avoir la réalité, je prends la décision de fermer préventivement les commentaires sur cet article.

J’anticipe ainsi les éventuelles flamewars dont sont coutumiers nos contemporains, mais j’empêche de fait le débat. J’en suis désolé.

Cet espace virtuel doit rester un lieu calme et respectueux. Si vous voulez vous écharper de façon stérile et idiote, ou exprimer combien je suis un cryptofasciste réactionnaire et liberticide à la solde de big-pharma digne d’être lynché, allez sur Twitter voir si j’y suis… (spoiler : non).

Les règles de la vie en société

Toute société a des règles.

Toutes les sociétés ont des règles.

Toutes.

Même les familles mafieuses. Même les gangs. Même les communautés libertaires qui vivent en autarcie dans le fin fond des forêts du Nouveau Monde. Même les cellules anarchistes ont des règles. Si.

Et savez-vous la seule règle qui soit commune à toutes ces sociétés ? La seule règle, d’ailleurs, qui soit commune à toutes les sociétés humaines ?

Chaque membre à part entière d’une société doit protéger et défendre les autres membres de cette société.

Bien évidemment, si un membre de la société commet un crime ou enfreint les règles, il ou elle sera sanctionnée. Mais par défaut, même les mafieux se protègent entre eux.

La citoyenneté

Lorsque le concept nait en Grèce antique, la citoyenneté est l’appartenance à une société particulière. La société démocratique d’une cité-État. On était citoyen d’Athènes, ou citoyen de Sparte, ou citoyen de Thèbes.

Le sens a pu glisser vers le concept d’appartenance à un pays, mais dans notre propre pays, la France, comme dans les pays occidentaux au sens large, être citoyen recouvre la même acception que dans la Grèce antique : être impliqué dans la vie de la société.

Un citoyen a des droits. Il a une existence légale qui lui permet d’être reconnu pour ce qu’il ou elle est et donc : d’acquérir ou de louer un appartement, d’avoir une assurance maladie, de scolariser ses enfants, de travailler, de voter pour choisir son gouvernement, son représentant à l’Assemblée. Un ensemble de droits politiques mais aussi de la vie de tous les jours. Il ou elle peut vivre comme il ou elle l’entend, sous réserve de respecter la loi.

Car un citoyen a des devoirs. Même si nous ne devons plus effectuer un service militaire comme jusque dans les années 1990, nous devons rendre quelques services à notre société. Payer nos impôts, par exemple.

Mais notre premier devoir n’est pas face à «la société», cette entité devenue presque abstraite pour beaucoup d’entre nos contemporains. Notre premier devoir est envers toutes les personnes qui forment cette société avec nous. Et ce premier devoir, comme pour toutes les associations d’êtres humains, est de les protéger et défendre.

Car on ne peut pas profiter d’un droit sans en retour en assumer un devoir.

Et quand je dis ça, je ne me place même pas du côté de la morale, mais simplement d’un côté bassement matériel, presque cynique.

Même si l’on est le dernier des égoïstes, et si notre plaisir de regarder Netflix guide seul notre conduite, nous sommes bien contents de trouver des gens pour jouer dans les séries Netflix que nous regardons, nous sommes bien contents de trouver des gens pour cuire notre pain, pour garder nos enfants pendant que nous regardons Netflix, pour brasser la bière que nous allons déguster pendant notre match de foot. Et d’ailleurs, croyons-nous que le canapé sur lequel nous sommes vautrés s’est assemblé tout seul ? J’ai essayé de me concentrer pour demander à ce qu’un nouveau canapé émerge du chaos sans intervention humaine. Mais j’ai échoué. Non, il a bien fallu des gens pour le fabriquer, le livrer.

Protéger l’autre est donc non seulement moral, mais aussi dans notre intérêt. C’est de la simple intelligence. Cette intelligence dont nous sommes sensés être les mieux pourvus en tant qu’espèce dominante et consciente.

Le métier du soin

Parmi nous, certains et certaines ont choisi un métier en rapport avec le soin. Que ce soit aide-soignant, infirmière, médecin, éducatrice, kinésithérapeute, nous avons tous choisi cette voie.

J’imagine que ce n’est pas par défaut.

Car soigner est difficile. Physiquement parfois, moralement souvent. Nous sommes confrontés à la souffrance, la déchéance, la détresse, la mort parfois.

Je crois que si nous n’avions pas eu une bonne raison de continuer à faire ce métier, nous en aurions changé.

Qu’est-ce qui cloche donc pour qu’un soignant ou une soignante refuse d’aider «les autres», c’est-à-dire en l’occurrence tout le monde, à sortir de la pandémie en ne se faisant pas vacciner ?

Pire : qu’est-ce qui cloche pour qu’un soignant se transforme en un vecteur de maladie (en ne se faisant pas vacciner) et donc provoque l’inverse de ce qu’il ou elle veut au départ ?

La confiance et la méfiance

La racine de ce mal est, je crois, la méfiance généralisée.

Comme sur Twitter, tout le monde croit que tout le monde lui en veut. Tout le monde croit que tout le monde est mauvais. Tout le monde croit dur comme fer le contraire de la réalité.

Parce que c’est plus commode.

C’est plus commode de croire qu’un milliardaire américain tout seul a réussi à faire basculer dans un plan maléfique des milliers de scientifiques pour dominer le monde avec des vaccins et un peu de 5G que de se dire qu’on va faire un acte désintéressé. Parce que comme ça c’est la faute des autres. Jamais la nôtre.

Parce que comme ça on risque moins.

C’est sûr qu’on ne risque pas de se faire contrôler par des nanomachines. Et en prime on ne risque pas de se débarrasser du virus non plus. On ne risque pas de voir s’arrêter les morts en réanimation.

Mais la racine du mal c’est aussi la confiance mal placée.

Parce qu’on croit tout savoir tout seul.

On croit maîtriser des disciplines ardues comme l’épidémiologie (au hasard), la biologie moléculaire, la génétique, la microbiologie, la virologie, parce qu’on a eu deux cours de sciences de la vie en quatrième. Ou qu’on est président de la République et qu’on est passé par l’ENA.

Parce qu’on croit qu’un grand professeur dans son coin peut avoir raison contre des centaines de gens qui se basent sur la science.

On croit qu’un seul cerveau humain peut être plus fiable que plusieurs milliers qui partagent leurs connaissances et s’entraident. Sérieusement, vous avez déjà essayé de battre tout seul une équipe de gens entraînés ? À n’importe quel sport ou n’importe quelle activité ? Vous savez d’avance ce que ça va donner… vous allez vous ridiculiser face à toute cette intelligence collective dressée contre vous. Même Léonard de Vinci s’est trompé. Souvent. Même Galilée, invoqué à tort et à travers par ceux qui croient mieux savoir que les scientifiques (les vrais), s’est basé sur des faits et des observations avec la rigueur de la science.

En résumé, on place notre confiance dans les mauvaises personnes ou les mauvais concepts, et on tourne le dos aux personnes qui pourraient nous secourir et nous aider, aux concepts qui pourraient être utiles.

La vaccination

Parce que la vaccination, en vrai, c’est quoi ?

C’est le moyen le plus naturel qui soit de se protéger des infections.

Car voyez-vous, quand les tenants des «médecines naturelles» vous énoncent d’un air sentencieux qu’il faut laisser le corps se défendre seul… en fait ils vous disent de vous faire vacciner !

Parce que c’est exactement ce qu’est la vaccination : un moyen de faire en sorte que le corps se défende efficacement SEUL sans l’aide de produits chimiques comme des antibiotiques ou des antiviraux.

Notre corps est capable de produire des défenses contre un micro-organisme, si on lui en laisse l’opportunité AVANT de croiser la maladie elle-même.

La vaccination sert à ça : on nous injecte un morceau du microbe que l’on veut combattre, et, miracle de la biologie et de notre système immunitaire, nous fabriquons seuls des défenses qui seront efficaces contre le véritable microbe si nous le rencontrons. Cela sans l’aide de la moindre molécule antibiotique. Sans même un traitement curatif. Car c’est préventif !

Alors certains vont dire qu’il y a des effets secondaires…

Oui.

Comme lorsque vous buvez des litres de tisane aux plantes pour vous protéger des infections au lieu de vous vacciner : certaines plantes provoquent des effets secondaires graves, comme des insuffisances rénales pouvant vous conduire en dialyse le reste de votre vie… n’oublions surtout pas que les médicaments, au départ, ce sont des plantes… et que les plantes qui soignent sont souvent des poisons, dont l’effet thérapeutique et l’effet mortel n’est parfois séparé que par une dose infime…

La liberté

Alors on va me rétorquer qu’il est de la liberté de chacun de décider s’il ou elle veut se faire vacciner.

Oui. Et non.

La liberté est peut-être la première à être citée dans le triptyque de la devise républicaine dans notre pays, mais ce n’est pas la seule. Il ne faut jamais oublier la troisième : la fraternité. Qui nous rappelle que notre société fait attention à ses membres.

De plus, la liberté sans aucune limite, ce n’est pas la liberté, mais le chaos.

Sans aucune limite à notre liberté, nous serions libres de marcher sur les autres, et ça, peut-être que certaines et certains s’en balancent. Mais n’oublions jamais que l’inverse est aussi vrai. Sans aucune limite à notre liberté, les autres seraient libres de nous marcher dessus.

Quand donc il est nécessaire d’arrêter un fléau comme une maladie infectieuse, si nous sommes vraiment des citoyens à part entière, il est de notre devoir de nous faire vacciner. Pour nous-mêmes. Pour nos proches. Pour tous ceux qui sont fragiles. Pour toutes les personnes qui voudraient retrouver une vie sociale, culturelle, familiale normale. Une vie tout court.

Si nous voulons faire partie de la société, il est de notre devoir de citoyen et de citoyenne de nous faire vacciner.

Et si nous refusons, il est donc clair que nous ne voulons pas faire partie de la société. Il est donc juste d’en assumer les conséquences. Ces conséquences devraient être de ne pas pouvoir aller dans certains lieux publics.

Je ne nie pas la liberté de ne pas se faire vacciner. Je défends par contre un principe qui est consubstantiel à la liberté : la responsabilité de ses actes.

L’intelligence

Admettons cependant une minute que notre liberté soit absolue.

Il serait tout de même nécessaire de se vacciner.

Par simple intelligence.

Par simple calcul égoïste. Même si on n’est pas une personne à risque.

Et ce pour deux raisons simples.

La première, parce que nous aussi nous voulons certainement retrouver la possibilité de voir des amis en toute sérénité, d’aller dans des concerts, des festivals, des musées.

La deuxième, plus fondamentale encore. Parce que nous avons tous envie de garder ceux que nous aimons en vie. Et que nous tenons nous-mêmes à la vie.

Parce que ce que les journaux télévisés n’expliquent pas vraiment, c’est que lorsque les services de réanimation sont pleins à craquer de gens qui sont atteints de Covid19, le danger n’est pas seulement pour ces malades. Le danger est aussi, et surtout, si l’on pense seulement à soi-même. Si d’aventure, vous, ou moi, ou votre mère, votre oncle, votre meilleure amie, nous avions un accident de la route grave, ou un AVC, ou un infarctus du myocarde. Ces situations sont banales, arrivent tous les jours, et pas seulement aux autres. Si un jour donc, une personne proche, non à risque de forme grave de Covid19, devait être admise en réanimation suite à un accident de la route, et que le service est incapable de la soigner par manque de place, serions-nous capables de continuer à clamer haut et fort que nous refusons de nous faire vacciner ?

Ne pas se faire vacciner, c’est prendre ce risque. Pour nous et nos proches. Pour toutes les autres personnes.

L’obligation : un aveu de l’échec de l’intelligence collective

Dans une société apaisée et démocratique, il devrait donc être évident pour tout le monde que la seule conduite intelligente, honorable, légitime, éthique, morale, est de se faire vacciner contre le germe responsable d’un danger pour toutes les personnes qui forment notre Cité.

Cela ne devrait même pas poser de question.

Cela devrait être si évident qu’on n’en discuterait même pas.

Mais nous sommes loin d’être dans une société apaisée. Quant à la démocratie, elle est bien malade elle-même.

Alors on en vient à penser à l’obligation par la loi.

On en vient à menacer les soignants de cette obligation. Alors qu’encore une fois il est dans la simple logique qu’ils se fassent vacciner volontairement, de par le métier qu’ils ont eux-mêmes choisi.

Vous l’aurez compris, je suis partisan de cette mesure d’obligation des soignants.

Mais j’irais même plus loin.

Cette obligation devrait au moins être indirecte pour tous. En conditionnant certains actes de la vie quotidienne de citoyen à un certificat vaccinal, comme se rendre dans certains lieux collectifs.

Parce que lorsque l’on fait un choix, il est indispensable de l’assumer, et d’en assumer aussi les conséquences.

Certains me traiteront de fasciste, ce que je ne suis certainement pas.

Ma philosophie est simplement de rendre à chaque personne son libre arbitre, ce qui veut dire la possibilité d’être responsable des choix que l’on fait en toute liberté. Comme chacun de nos choix a des conséquences sur les autres, chacun de nos choix a des conséquences pour nous-mêmes en retour.

Pourtant, cette obligation serait terrible, parce qu’elle signifierait que nous avons véritablement échoué, tous autant que nous sommes, à hausser notre niveau collectif d’intelligence. Elle signifierait que nous sommes encore des enfants qui doivent être grondés, punis, parce qu’ils ne sont pas capables d’apprendre.

Si on en arrivait là, nous démontrerions une fois de plus notre immaturité.

J’espère que ce ne sera pas le cas, même si je deviens de plus en plus réaliste au fil du temps.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Prescrire ou non un médicament, le bénéfice et le risque

Prescrire ou non un médicament, le bénéfice et le risque

Prescrire ou non un médicament, le bénéfice et le risque

En pleine pandémie, nous cherchons tous à trouver de nouveaux moyens de protéger, soigner et surtout guérir, chacun à notre niveau, que nous soyons soignants ou pas.

Nous nous tournons vers la recherche de nouveaux moyens immédiats (des médicaments curatifs pour tuer le virus) ou plus lointains (un vaccin pour protéger ceux qui n’ont pas encore contracté la maladie). Mais comme la recherche prend du temps, nous regardons aussi de plus en plus vers les médicaments que nous possédons déjà.

Je ne rentrerai pas dans le débat de savoir si la chloroquine et l’hydroxychloroquine peuvent être utilisées en traitement du Covid-19. Je ne suis pas qualifié pour cela, et très honnêtement, je crois que personne dans le monde ne l’est vraiment actuellement, pas même les promoteurs farouches ou les adversaires irréductibles de cette solution, avant que des études sérieuses, scientifiques, statistiques, nous l’aient montré.

Pourquoi ?

C’est tout l’objet de cet article, qui vise à vous montrer qu’il n’est pas si simple d’utiliser un médicament, même vieux et bien connu, sur une pathologie que l’on ne connaît pas bien.

Le bénéfice

Le but premier d’un traitement, qu’il soit médicamenteux ou non, est bien sûr de soigner, soulager, ou guérir une maladie. On attend donc des bénéfices en le prenant ou en le prescrivant. Mais il n’existe pas de médicament miracle, sauf dans certaines circonstances très particulières dans lesquelles on sait que certaines molécules sont extrêmement efficaces pour traiter une pathologie très ciblée (l’indométacine utilisée par exemple dans les hémicrânies paroxystiques, des céphalées assez rares).

Donc si l’on espère des bénéfices d’un traitement, on ne peut jamais être sûr de ce qu’il va apporter chez une personne en particulier. L’efficacité d’un traitement dépend en effet de nombreux facteurs qui ne sont pas tous maîtrisables et ce qui va marcher chez un patient peut très bien échouer chez une autre patiente et inversement.

Et puis d’ailleurs, quel bénéfice peut-on attendre ?

A-t-on un médicament qui soulage juste certains symptômes de la pathologie, ou alors un qui guérit totalement le patient et le débarrasse de son problème définitivement ? La majorité des traitements ont plutôt une place intermédiaire : ils ne guérissent pas complètement la maladie, mais aident à en soulager de nombreux symptômes, voire à les faire presque disparaître pour un temps long.

Le problème principal est qu’on ne sait jamais avant d’avoir essayé dans quel cas on va se trouver pour un patient donné avec une molécule donnée.

On est donc obligé de faire en quelque sorte un pari thérapeutique sur l’efficacité d’une molécule (ou d’un traitement non médicamenteux) dans une situation donnée.

Mais bien sûr on ne prescrit pas au petit bonheur la chance.

On sait que certains médicaments ont tendance à être plus efficaces que d’autres selon certaines circonstances et dans certaines pathologies.

Mais comment le sait-on ?

La maladie vient-elle nous dire elle-même : «Hey, salut, tu sais, si tu veux guérir ton patient, tu as plutôt intérêt à utiliser cette molécule, elle marche du tonnerre» ? Non, c’est un cas de figure que je n’ai jamais rencontré.

Un médecin génial ou un professeur vient-il nous dire : «Tiens, utilise ça, tu vas voir, ça va marcher» et on le croit sur parole ? On pourrait, et c’est d’ailleurs comme ça qu’on a fait pendant longtemps. Mais même les plus grands savants peuvent se tromper, et ne pas avoir testé le bon médicament, le plus efficace, celui qui aidera vraiment à soigner la maladie.

Alors maintenant, on se base sur une méthode qui a fait ses preuves : on compare l’efficacité des molécules sur différents groupes de patients, les plus nombreux possibles, et on regarde ce qui se passe. On en tire des statistiques qui aident à déterminer quels sont les traitements les plus efficaces sur une pathologie donnée. On peut aussi comparer plusieurs molécules entre elles et plusieurs formes de la maladie entre elles.

Et on regarde les bénéfices.

Mais là encore, il faut faire attention, car les fameuses études dont on parle beaucoup en ce moment, peuvent être interprétées de plusieurs façons différentes en fonction du point de vue depuis le lequel on les regarde.

Un exemple tout simple, avec les médicaments anti-cholestérol appelés statines.

Toutes les études pour les évaluer recherchent un bénéfice en particulier : la baisse du taux de cholestérol dans le sang.

Et de ce point de vue là, toutes les molécules testées sont reçues avec mention. Formidable, non ?

Oui, mais moi, comme médecin, je ne soigne pas un taux de cholestérol, je soigne un patient, et le bénéfice que j’attends pour mon patient s’il prend une statine, c’est non pas que son cholestérol baisse, mais qu’il puisse éviter de faire un infarctus ou un accident vasculaire cérébral, bref : que la molécule lui évite de tomber malade ou de mourir.

Donc, si je regarde les études qui montrent le bénéfice en termes de survie des patients ou d’accidents vasculaires évités… là, je ne vais pas avoir les mêmes résultats… très peu de statines ont montré scientifiquement que si vous les prenez, vous allez avoir statistiquement moins de risques de mourir d’un infarctus.

Étonnant, non ?

La question se pose donc aussi pour les essais sur les traitements du SARS-Cov-2.

Que va-t-on mesurer ?

Une baisse de charge virale chez les patients (comme dans l’essai mis en avant par le Pr Raoult) ?

Honnêtement, je crois que le patient s’en fout. Parce que moi, médecin, je m’en fous complètement de savoir si mon patient a une charge virale en baisse ou pas.

Ce que je veux savoir, c’est si le traitement empêche mon patient de contracter une forme grave, et s’il guérit le Covid-19. Je veux savoir si mon patient guérit plus vite avec le traitement que sans le traitement. Je veux savoir si c’est efficace pour soigner plus vite et guérir mon patient.

Et ça, jusqu’à présent, personne n’en parle…

Encore une fois, ce qui m’intéresse, c’est de guérir mes patients atteints de Covid-19.

Le risque

Mais s’il n’y avait que l’incertitude du bénéfice, ce serait un monde parfait…

Or, nous ne sommes pas dans un monde parfait. Plutôt dans un monde parfaitement imparfait, mais c’est une autre histoire.

Car tout médicament est aussi un poison.

Donc tout médicament risque de provoquer des effets indésirables chez mes patients.

Ces effets dépendent beaucoup de la dose utilisée, mais aussi du terrain du patient, des interactions avec d’autres molécules. Et puis certains effets indésirables sont incompressibles tellement ils sont fréquents, comme l’excitation et l’effet dopant des corticoïdes, ou la diarrhée avec certains antibiotiques. Et enfin, certains autres effets indésirables sont inhérents au mécanisme d’action de la molécule et sont donc obligatoires, comme l’accélération du rythme cardiaque avec le salbutamol, ou les perturbations du fonctionnement du foie avec le paracétamol.

Donc quand je prescris un médicament, je sais qu’il va potentiellement induire des effets secondaires de plus ou moins grande importance chez le patient.

Je tente de les minimiser, bien sûr, en ajustant la dose, en choisissant la molécule qui me semble avoir le profil le plus favorable pour chaque patient (et c’est aussi pour ça qu’une prescription valable chez une personne ne l’est pas forcément chez une autre) en fonction de ses antécédents médicaux.

Mais il y aura toujours un risque.

C’est vrai, certains effets secondaires sont assez peu graves, même s’ils sont gênants : une sensation de bouche sèche, bon, on s’en passerait, mais c’est acceptable. Comme l’insomnie fréquente avec les corticoïdes, encore eux.

Mais d’autres sont plus préoccupants et peuvent avoir des conséquences sur la vie future, comme les risques de fibrose pulmonaire et donc d’insuffisance respiratoire chronique définitive dans certains médicaments qui régulent le rythme cardiaque.

Et enfin, d’autres, plus rares, peuvent entraîner la mort.

Comme pour les bénéfices, les risques d’une molécule sont statistiques et on ne peut pas toujours les prévoir pour un patient en particulier.

On doit donc là aussi faire un pari thérapeutique.

C’est pour cela qu’on fait des études poussées sur la fréquence et la gravité des effets secondaires d’un médicament, et c’est surtout pour cela que tous les médicaments sont ensuite surveillés en permanence par un système qu’on appelle la pharmacovigilance, chargée de répertorier les nouveaux effets secondaires d’une molécule que l’on n’aurait pas remarqués auparavant.

Pour votre information, j’ai sélectionné quelques-uns des effets secondaires connus de la chloroquine/hydroxychloroquine d’après le Vidal. Les mises en exergue sont de moi, pour vous montrer que certains effets peuvent régresser après arrêt du traitement, ce qui veut dire que ce n’est pas systématique et que donc certains patients peuvent garder ces effets secondaires définitivement. J’ai aussi fait des liens vers les pages expliquant certains syndromes qui, pour être rares, sont gravissimes.

Peu fréquent : Des modifications au niveau de la cornée (œdème, dépôts cornéens) ont été rapportées. Soit elles sont asymptomatiques, soit elles provoquent des perturbations telles que des halos ou une photophobie. Elles sont réversibles à l’arrêt du traitement.

[…]

Très fréquent : douleur abdominale, nausées.

Fréquent : diarrhées, vomissements.

Ces symptômes disparaissent généralement dès la réduction de la dose ou à l’arrêt du traitement.

[…]

Fréquence indéterminée : éruptions bulleuses incluant l’érythème polymorphe, le syndrome de Stevens-Johnson, le syndrome de Lyell, et le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (DRESS syndrome), la photosensibilité, la dermite exfoliative, la pustulose exanthématique aiguë généralisée [PEAG] (cf. Mises en garde et Précautions d’emploi).

La PEAG est à distinguer du psoriasis, bien que Plaquenil puisse provoquer une aggravation de psoriasis. La PEAG peut être associée à de la fièvre et une hyperleucocytose. L’issue est généralement favorable après arrêt du traitement.

Fréquence indéterminée : cardiomyopathie qui peut mener à une insuffisance cardiaque d’évolution fatale dans certains cas (cf. Mises en garde et Précautions d’emploi, Surdosage). Une toxicité chronique doit être recherchée quand des troubles de la conduction (bloc de branche/bloc auriculoventriculaire) ou une hypertrophie ventriculaire sont diagnostiqués (cf. Mises en garde et Précautions d’emploi). L’arrêt du médicament peut conduire à la guérison.

La balance

Vous pouvez donc voir qu’il faut quand même sacrément réfléchir avant de prescrire un médicament.

Cette réflexion porte un nom dans le jargon médical : la balance bénéfice/risque.

C’est une notion assez simple à comprendre mais délicate à manier, que nous avions déjà effleurée lorsque nous avions parlé des examens médicaux de biologie ou de radiologie.

Elle consiste à peser les bénéfices potentiels attendus pour le patient dans sa situation personnelle actuelle et à les mettre en balance avec les risques que la molécule lui fait courir potentiellement. On essaie donc d’estimer deux statistiques l’une par rapport à l’autre. Et on décide en fonction.

Le bénéfice attendu est très supérieur au risque potentiel ? Alors on est serein : on peut prescrire sans arrière-pensée.

Le risque potentiel est au contraire très supérieur au bénéfice attendu ? Là encore, c’est facile : ce n’est pas une option thérapeutique et il faut en trouver une autre.

Mais le cas le plus fréquent est celui où l’on a des bénéfices réels mais pas fantastiques, contrebalancés par des risques rares mais sérieux. Là, croyez-moi, il faut beaucoup discuter avec le patient pour prendre une décision à deux qui soit acceptée réellement et bien comprise. Et il faut parfois prier pour que les choses se passent au mieux. Car là encore, c’est un pari.

Pour parler de la chloroquine : si la molécule guérissait le Covid-19 à tous les coups et empêchait les formes graves avec pneumopathie et détresse respiratoire aiguë, alors on pourrait être très contents et l’utiliser dans les formes qui commencent à devenir graves (parce que risquer une cardiopathie quand on va peut-être mourir d’une pneumopathie sévère, c’est acceptable).

Mais si la chloroquine n’était pas si efficace que ça, est-ce que vous seriez si sereins de risquer un syndrome de Lyell ou une cardiopathie définitive, voire la mort, pour une forme bénigne de Covid-19 qui aurait guéri seule avec un peu de repos ?

Ces deux options sont simples et votre réponse est évidente. Encore que pas pour tout le monde, si l’on en croit cet article.

Mais si la chloroquine était très efficace, mais pas toujours, et que vous êtes atteints d’une forme modérée de Covid-19 avec une pneumopathie (fièvre, très grandes difficultés à respirer, maux de tête, toux sèche très intense et importante) imposant que vous soyez en hospitalisation mais sans détresse respiratoire, vous essaieriez la chloroquine ? Même avec les risques de cardiopathie mortelle ?

C’est une question plus complexe, bien entendu. Et certains auront répondu oui, quand d’autres auront tout de suite refusé le risque de la molécule. Et bien d’autres encore auront pensé «je ne sais vraiment pas, vous en pensez quoi, docteur ?».

Justement, le docteur n’en pense rien dans ce cas-là.

Parce que le docteur, au moment où il écrit ces lignes, ne sait pas si la chloroquine est si efficace que ça pour guérir le Covid-19 (je vous renvoie deux chapitres au-dessus).

Importance de la science

Alors comment savoir ?

C’est facile : il faut étudier la molécule selon un protocole scientifique.

On essaie la molécule en question en sélectionnant deux groupes de patients comparables (mêmes proportions en âge, sexe, pathologies diverses, etc.) et on l’administre à ceux du premier groupe alors qu’on donne soit un placebo soit un autre traitement à ceux du deuxième groupe.

Et on regarde si statistiquement, la molécule fait mieux que le placebo ou que l’autre traitement et quels sont les pourcentages d’efficacité et d’effets secondaires.

Bien sûr, pour que cela soit acceptable par tous, il faut des garde-fous éthiques (nous y reviendrons) mais il faut aussi un peu de temps pour vérifier que la molécule n’ait pas des effets secondaires non prévus, qu’il n’y ait pas d’effets retardés, pour analyser les données et faire un travail propre qui soit sûr autant qu’on puisse l’être.

Souvent même il faut faire d’autres études pour confirmer ou infirmer la première.

Car tout cela n’est pas aussi simple que je le raconte là, bien entendu.

Il faut donc du temps.

Mais quand on n’en a pas vraiment, comme c’est le cas actuellement, on fait comment ?

Des procédures accélérées existent, en prenant plus de risques.

Et pourtant, si l’on veut avoir une certitude et utiliser convenablement la molécule en question, il faut un minimum de rigueur et de sérieux.

Éthique et études scientifiques des traitements médicamenteux

Alors, quand on n’a pas vraiment le temps mais qu’on doit quand même essayer de sauver des patients, que fait-on ?

On écoute son éthique personnelle mais aussi la déontologie de son métier de soignant.

Dans une tribune adressée au journal Le Monde, mais hélas retranchée derrière un paywall ce qui la rend parfaitement illisible au plus grand monde, le Pr Raoult titre «Le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste».

L’article étant donc payant, je ne l’ai pas lu en entier, et je ne sais pas quel est le propos complet du Pr Raoult.

Je ne vais donc pas le critiquer, je vais simplement donner ma version de la signification de cette phrase qui a servi de titre à sa tribune. Je vais expliciter en quoi pour moi l’éthique, puisqu’il est question de cela, d’un soignant et celle d’un méthodologiste peuvent se rejoindre ou se séparer.

Le début de son propos insiste sur les conflits d’intérêt, ce qui semble être une base à la fois du métier de médecin (l’article 5 du Code de déontologie précise bien que le médecin doit être indépendant pour ne pas être nuisible à son patient) et de celui de méthodologiste (s’approcher de la vérité demande d’être dégagé le plus possible des influences extérieures). Il parle aussi de l’idiotie des essais dits de «non-infériorité» et en cela je le rejoins, mais cela n’a pas vraiment de lien avec ce qui nous intéresse dans le traitement d’une maladie infectieuse émergente.

Prenons la phrase de son titre.

Un médecin est un soignant. Son rôle est de soulager et soigner toujours, guérir s’il le peut.

Un méthodologiste est un scientifique non clinicien, dont le rôle est de construire des expériences pures qui seront inattaquables et donc de démontrer grâce à l’interprétation qu’il fera de ses résultats un fait indiscutable, en l’occurrence l’efficacité ou non d’une molécule, son innocuité ou ses effets secondaires, et donc d’éclairer la balance bénéfice-risque.

Les buts ne sont pas les mêmes.

D’un côté quelqu’un qui doit agir, de l’autre quelqu’un qui doit démontrer, convaincre.

L’éthique du médecin lui enjoint, depuis des millénaires de «primum non nocere», d’abord ne pas nuire (sous-entendu : au patient). Ce qui veut dire que l’on va s’interdire de faire peser un trop gros risque à son patient. On va s’efforcer de trouver le meilleur équilibre dans la balance bénéfice/risque.

L’éthique du méthodologiste est celle de l’approche la plus rigoureuse, donc pas forcément la moins risquée.

Mais comment s’approcher du plus juste bénéfice/risque sans rigueur ?

Comment ne pas se baser sur la méthode pour en tirer des conclusions solides et établir son évaluation du bénéfice et du risque sur une fondation stable ?

Si l’on veut d’abord ne pas nuire, il faut commencer par savoir si l’on a au moins un bénéfice attendu à l’utilisation potentielle de la molécule chez un patient. En fonction de l’importance du bénéfice, on va pouvoir évaluer les risques et leur acceptabilité.

On peut ainsi, et c’est prévu, modifier la méthode ou arrêter une étude en cours si l’on se rend compte qu’une molécule est soit très efficace (et donc les patients qui prenaient le placebo ou un autre médicament auraient une perte de chance, ce qui serait contraire à l’éthique, on leur donne donc les mêmes chances que les autres et on interrompt l’étude) soit très dangereuse.

On peut aussi donner un traitement de manière dite «compassionnelle», c’est-à-dire des traitements dont on sait qu’ils ont une chance infime de marcher ou qu’ils ont de très gros effets secondaires potentiels. Mais cela on ne le fait que dans des cas désespérés, des cas où de toute façon le patient est «perdu» et où le risque, même fatal, peut sembler acceptable pour cela.

Mais à la base, il faut une fondation à notre estimation du bénéfice et donc du risque.

Si nous n’avons pas d’études, nous n’avons pas cette fondation, et notre éthique en est rendue caduque.

À mon sens donc, le méthodologiste et le médecin ne sont pas ennemis, mais bien complémentaires l’un de l’autre.

Un médecin doit réfléchir en méthodologiste et en soignant.

Il ne doit pas oublier la science, mais ensuite, c’est son humanité, sa probité, son éthique de soignant qui doivent le guider. Et parfois, c’est vrai, son intuition, c’est-à-dire l’accumulation des petits signes de son expérience. Son sens clinique, qui lui, ne peut pas être modélisé. En tous les cas pas actuellement.

Mais autant le sens clinique est pertinent dans une situation particulière, pour évaluer un bénéfice et un risque individuellement sur un patient ou une patiente données, autant il ne l’est plus pour dire «cette molécule nous débarrassera à coup sûr du virus». Parce que, quelle que soit la puissance de son intuition, elle sera incapable de prédire comment tous les patients vont réagir à cette molécule et incapable de prédire si l’efficacité sera la même. Cela, c’est le domaine des méthodologistes.

À nous, soignants, d’adapter ensuite les résultats des études statistiques à nos patients de chair et d’os.

Mais vouloir faire l’un sans l’autre est une bêtise.

Conclusion

Il peut être tentant de chercher un sauveur dans une situation de crise. De s’en remettre à quelqu’un qui aura toutes les réponses. Voire à une molécule qui sera vue comme notre planche de salut.

Mais je crois qu’il ne faut pas oublier en chemin d’exercer notre intelligence, notre esprit critique, notre discernement.

Il me semble que nous aurions tout intérêt à garder la tête froide et à ne pas imaginer que nous pourrions trouver un remède miracle pour cette pandémie comme pour les suivantes qui viendront sans doute.

Parce que nous avons déjà vécu cela, et que nous devrions nous en souvenir. Ce n’était pas il y a si longtemps que cela. C’était en 2009, il y a 11 ans, lors de l’épidémie de grippe H1N1.

Souvenez-vous. Nous avions rapidement eu un vaccin car contrairement au SARS-Cov-2, le H1N1 était un virus de grippe, donc un virus familier. Nous rêverions d’avoir un vaccin si tôt pour le SARS-Cov-2 ! Et pourtant, un vaccin, c’est comme un médicament, il y a des bénéfices et des risques. Il y a 11 ans, tout le monde s’est rué sur le vaccin disponible. Mais alors que son bénéfice était assez incertain, car la grippe H1N1 s’est avérée relativement peu sévère, l’évaluation de son risque, elle, nous a montré, hélas après coup, un taux assez important d’effets secondaires.

Gardons-nous d’aller trop vite encore une fois.

Apprenons de nos erreurs passées.

Ne nous jetons pas sur une molécule dont on ne sait pas encore si elle a des bénéfices certains sur l’infection Covid-19 mais dont nous connaissons très bien les potentiels effets secondaires.

Parce que si nous sommes trop hâtifs, nous pourrions le regretter.

Je crois que personne n’a envie que nous nous rendions compte dans un an que la chloroquine a été administrée de façon inconsidérée et que des dizaines, des centaines voire des milliers de patients pourraient se retrouver avec de sérieux problèmes cardiaques à cause de cela. Ce serait un véritable scandale sanitaire.

Donc étudions la chloroquine, mais n’en faisons pas une arme absolue contre SARS-Cov-2, et surtout, évitons de croire que c’est véritablement la «fin de partie1» annoncée un peu vite, il me semble.


  1. En référence au titre un peu putaclic quand même de la vidéo du Pr Raoult sur YouTube, devenue virale depuis sa publication.  ↩

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Deux mains, une évolution

Deux mains, une évolution

Deux mains, une évolution

J’écris cet article lors du sixième jour de confinement décrété en France pour endiguer l’épidémie provoquée par le virus SARS-Cov-2. Une épidémie qui a débuté en décembre 2019 en Chine, dans la ville de Wuhan, province du Hubei, pour devenir une véritable pandémie depuis lors, la première de cette importance depuis très longtemps.

Il n’est pas encore temps de tirer les conclusions de cette crise majeure pour plus d’un milliard de personnes de par le monde. Hormis dans le foyer originel de l’épidémie et en Corée du Sud, le virus est encore très actif et provoque toujours de très nombreux cas de pneumopathies et de syndromes de détresse respiratoire aiguë. Nous sommes en plein milieu du gué, en plein cœur de la tempête. Nous ne pouvons pour l’instant que faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que l’épidémie cause le moins de dégâts humains possible.

Je ne vais pas discuter ici de la pertinence ou de la non-pertinence des choix qui ont été faits et assumés pour endiguer les contaminations. Ce sera l’objet, je crois, de nombreuses discussions une fois que la vague sera derrière nous, et je suis sûr que nous y consacrerons tous du temps et de l’énergie. Je crois que dans une crise, il n’est pas d’autre choix que de se soutenir tous, d’être tous conscients qu’on fait de son mieux avec ce qu’on a. Il sera temps ensuite de porter des jugements sur ce qui a été fait, ce qui aurait pu être évité et ce qui aurait dû être accompli.

D’en tirer des leçons pour l’avenir.

Il sera bien, à ce moment-là, que nous écoutions ceux dont le métier est justement de prévenir et de traiter ce genre de crise majeure. Je ne parle pas des politiques, mais des infectiologues et des épidémiologistes. N’étant ni l’un ni l’autre, je ne m’avancerai pas avant eux.

Cependant, mon métier de soignant, de médecin généraliste plus particulièrement, me met dans une position très singulière dans cette période étrange que l’on croirait tout droit sortie d’un film catastrophe hollywoodien.

J’ai à ce jour certainement été en contact avec le fameux virus. J’ai eu de nombreuses présomptions concernant des patients, qui hélas n’ont pas pu être soumis à un test biologique puisque la conduite actuelle dans notre pays est de ne dépister que les cas graves. Et honnêtement, je suis heureux de n’avoir pour l’instant eu à déplorer aucun cas de pneumopathie virale due au SARS-Cov-2 parmi mes patients.

Mais j’ai été en contact. Avec mon pauvre masque chirurgical et mon savon, du désinfectant pour les objets et quelques règles de conduite. Je fais ce que je peux, avec les moyens qu’on me donne, en essayant de protéger mes patients, mais aussi mes proches, ma famille, et moi-même en premier lieu. Car, rappelez-vous, soigner commence par prendre soin de soi-même.

Ces quelques jours ont été un peu surréalistes pour moi comme pour tout le monde.

Je suis allé travailler dans mon cabinet médical vidé de ses paramédicaux à part les infirmières, en traversant des villages presque déserts, j’ai vu nombre de patients par téléconsultation en mode “dégradé” c’est-à-dire sans pouvoir les examiner, ce qui enlève une bonne partie des informations qui me permettent en général de faire un diagnostic à peu près juste. J’ai aussi constaté que l’épidémie n’empêchait pas les autres pathologies d’apparaître. J’ai compris que le confinement était une épreuve extrêmement violente pour les personnes psychiquement fragiles ou isolées habituellement. J’ai touché du doigt ce que cela peut vouloir dire de “faire de la médecine de brousse” sans plus de radiologue disponible ni de biologie possible. On doit se reposer uniquement sur la présentation clinique des patients, et souvent, comme je l’ai dit plus haut, sans les examiner, ou si peu.

Pourtant, ce n’est pas cela qui me frappe le plus.

Ce que je retire de plus marquant d’ores et déjà de cette pandémie tient à trois réflexions que je voulais partager avec vous, car je suis certain qu’elles devront faire partie de nos changements individuels comme collectifs une fois que nous aurons surmonté l’épreuve.

Je crois que, même au milieu de la tempête, nous avons besoin de mettre un peu de sens à ce que nous vivons. Et j’espère que nous trouverons tous un sens à cela.

Le sens que j’aimerais donner à cette crise, pour me donner espoir, est que ce que nous vivons ici doit nous servir pour l’après. J’aimerais aussi, mais c’est là à mon avis une nécessité si nous voulons apprendre de ce que nous vivons, que ces constats soient partagés par le plus grand nombre.

L’hygiène de base : une redécouverte bienvenue

Cela fait des années que je ne cesse de le marteler : se laver les mains devrait être un réflexe chez tout le monde. Et ce réflexe était en train de se perdre avant que la pandémie n’apparaisse.

Ces dernières années, le nombre de cas de gastro-entérites virales n’a cessé d’augmenter dans mes consultations. Leur prévalence tout au long de l’année a également changé. Lorsque dans les années 2000 nous avions à soigner deux épidémies par an, une en été et une en hiver, nous avions avant la pandémie Covid-19 des cas toute l’année. Je n’ai pas fait d’étude épidémiologique sur cet état de fait, mais il est une chose certaine : les virus de gastro-entérite se transmettent, pour la grande majorité d’entre eux, par contact. C’est-à-dire que si l’on se lave les mains correctement, on ne transmet pas sa gastro-entérite, et on n’en attrape pas.

Le simple lavage des mains pourrait éviter également d’autres maladies infectieuses : les salmonelloses, la typhoïde, la toxoplasmose, les conjonctivites bactériennes et virales, plusieurs parasitoses intestinales, les oxyures qui touchent les enfants mais aussi les adultes. Et j’en passe…

Se moucher ou tousser dans son coude pourrait aussi éviter bien d’autres pathologies, outre les rhumes (et d’autres coronavirus) : la rougeole, des pneumopathies à streptocoque et à germes dits “atypiques”… Prévert aurait pu faire un inventaire assez large.

Alors je fais un rêve, celui que tous nous gardions ces habitudes que le SARS-Cov-2 a remis au goût du jour.

Et j’ose une prédiction si nous y parvenons : étonnamment nous devrions remarquer une baisse des pathologies infectieuses bénignes (et quelques unes moins bénignes car on peut mourir de certaines d’entre elles) dans les années qui suivront, ce qui économisera des soins et permettra de mieux utiliser le temps médical dont nous disposons en période de tension démographique.

Les maladies infectieuses à l’ère moderne

Un autre petit rappel bienvenu que nous envoie cette pandémie : oui, sur notre planète, il existe encore des micro-organismes et il en existera toujours. Ce qui veut dire que nous allons devoir réapprendre à vivre avec cette menace que nous avions crue révolue depuis que la science nous a apporté les antibiotiques puis les antiviraux.

Non, nous n’éradiquerons pas toutes les maladies infectieuses, même si nous sommes beaucoup mieux armés qu’il y a un siècle pour les combattre.

Raison de plus pour nous mettre à enfin utiliser des gestes simples qui permettent d’éviter d’être contaminés et de contaminer les autres, certes.

Mais plus encore, nous devons vraiment revoir notre façon de considérer les molécules antibiotiques et antivirales dont nous avons la chance de disposer. Ce ne sont pas, et nous ne devons plus les voir comme, des choses anodines. Ces molécules sont là pour sauver nos vies lorsque cela est nécessaire. Elles sont rares (trop rares, et je rappellerais que depuis 20 ans, aucune nouvelle famille d’antibiotiques n’a été découverte par la recherche, et ce n’est pas faute de chercher). Elles sont donc des ressources précieuses. Elles doivent faire partie des trésors de l’Humanité et donc considérés comme tels. Elles devraient être partagées et mises à la disposition de tous, mais surtout elles devraient faire l’objet d’une plus grande sagesse dans leur utilisation.

Déjà et depuis de très nombreuses années, l’OMS comme d’autres instances médicales alertent sur le développement des résistances acquises par les bactéries envers les antibiotiques. Le taux de bactéries multirésistantes, voire super-résistantes (échappant à tous les antibiotiques connus), est en explosion à travers le monde.

Ce que nous vivons ici avec un virus (les antiviraux dont nous disposons ne sont pas aussi efficaces ni aussi faciles à manier que les antibiotiques que nous utilisons contre les bactéries), nous pourrions le vivre aussi face à une bactérie super-résistante, avec un taux de mortalité bien supérieur. Et cela pourrait être bien pire que le Covid-19.

Pour éviter cela, mieux vaut économiser nos armes, éviter que les bactéries ne s’habituent à elles et n’y trouvent des parades. Donc, de grâce, continuons à diminuer notre recours aux antibiotiques. De grâce, cessons de réclamer à tout bout de champ à notre médecin qu’il nous en prescrive pour un simple rhume sous prétexte que chez nous “ça se surinfecte toujours”. Car ce n’est pas vrai. Il est rare qu’un rhume se surinfecte vraiment, hormis si vous souffrez d’une baisse immunitaire due à un traitement immunosuppresseur pour une greffe d’organe ou une chimiothérapie.

Si nous économisons nos antibiotiques et nos antiviraux, nous n’aurons pas à retourner à une époque où, il n’y a pas si longtemps, à peine un siècle, un panaris pouvait entraîner la mort par septicémie ou une simple infection urinaire mener à la dialyse (encore qu’il y a un siècle nous n’avions pas accès à la dialyse, c’était donc une insuffisance rénale terminale qui attendait les gens, avec un tableau sympathique de troubles cognitifs et mentaux avant d’entraîner un coma et la mort).

Nous refusons d’être malades, comme si nous étions des dieux, alors nous croyons que nous pouvons tuer même les rhumes. Mais, breaking news, nous sommes mortels, et surtout, nous ne sommes pas des dieux. La maladie est notre lot commun. Nous avons même un moyen naturel de la combattre, qui s’appelle un système immunitaire. Il a justement évolué au cours des millénaires et des siècles pour nous aider à combattre les maladies infectieuses. Certes, de façon imparfaite, mais il nous protège tout de même assez efficacement, et hormis complications, nos rhumes classiques n’entraînent pas la mort. Laissons donc notre système immunitaire faire son travail dans les cas bénins, et réservons les armes antibiotiques et antivirales pour les cas où notre vie est réellement en danger. Laissons le temps faire. Car notre corps peut parfaitement se remettre d’un rhume simple si on lui laisse assez de temps, ce qui veut dire d’accepter de ne pas être à 100 % de nos capacités pendant quelques jours, voire semaines, voire de prendre deux jours de repos complet au lit sans pouvoir rien faire d’autre que nous soigner pour guérir. Cela veut dire accepter de n’être pas parfaits. D’être humains, et pas des machines à produire et à consommer.

Mais ça, je sais que ce sera dur pour nos sociétés consuméristes.

C’est pourtant une vraie chance d’en prendre conscience.

Pour en revenir aux virus, ces animaux parasites dont fait partie SARS-Cov-2, soyons reconnaissants qu’ils nous aient plutôt épargnés cette fois-ci. Aussi dure soit la situation actuelle, pensons à ce que cela a été en 1918 et 1919, lors de la grippe dite “espagnole” qui a décimé 50 millions de personnes à l’époque, soit plus de deux fois plus que la Première Guerre mondiale pourtant appelée Grande Guerre, et presque autant que la Deuxième. Pensons à ce que cela signifie en Afrique de vivre une épidémie causée par le virus Ebola dont le taux de létalité de 80 % fait passer SARS-Cov-2 pour un petit joueur, alors que déjà le Covid-19 nous arrache nos parents et sature les capacités de réanimation de nos systèmes de santé. Imaginons ce que nous aurions pu vivre si SARS-Cov-2 avait un taux de létalité, mettons “seulement” de 30 % : au moment où j’écris ces lignes, nous en serions à 81 409 morts dans le monde dont 4337 rien qu’en France.

Cette pandémie nous prépare.

Elle nous prépare à la véritable pandémie qui pourrait survenir si nous ne prenons pas garde.

Elle nous permet de savoir que nous sommes capables de séquencer un génome viral très rapidement, donc de trouver le moyen de repérer le virus chez des personnes infectées, parfois même avant que les symptômes ne se déclarent. C’est une avancée majeure qui permet de se défendre bien mieux qu’on ne pouvait l’espérer.

Elle nous permet de savoir ce qu’il faudrait faire si un virus plus meurtrier apparaissait. Et je crois qu’on a encore du boulot.

Elle nous permet surtout de prendre conscience du fait que les micro-organismes, bactéries comme virus, font partie de notre écosystème, et que si nous bouleversons par trop cet écosystème, ils pourraient échapper à leur niche actuelle.

D’après ce que l’on sait au moment où j’écris cet article, SARS-Cov-2 serait originellement un virus de chauve-souris ayant muté en franchissant la barrière d’espèce vers le pangolin. Et ce serait parce que des gens ont été braconner des pangolins en Malaisie pour en vendre la viande sur un marché de Wuhan que le virus se serait adapté à notre physiologie, traversant à nouveau la barrière d’espèce pour nous infecter à notre tour.

Donc si ce cheminement a réellement donné naissance au virus contre lequel nous devons lutter, cela veut dire que nous sommes victimes tous, collectivement, de notre propre bêtise. Parce que certains d’entre nous prennent la nature comme un supermarché dont on peut abuser sans vergogne, nous voilà sous la menace d’un virus qui a déjà chamboulé la vie d’un milliard d’êtres humains sur la planète et menace les économies de très nombreux pays…

Ave Gaïa

Ce qui m’amène donc à ma troisième réflexion sur cette pandémie.

Quand l’être humain veut s’affranchir des règles du respect quant à son propre écosystème, sa morgue se retourne contre lui. Contre nous tous.

Avons-nous vraiment besoin de manger du pangolin ?

Avons-nous vraiment besoin d’aller à des milliers de kilomètres (la distance entre Kuala Lumpur et Wuhan est de plus de 3300 kilomètres à vol d’oiseau) pour chasser et tuer un animal d’une espèce (protégée car en voie d’extinction) pour la manger ?

La réponse semble évidente.

Et pourtant, des inconscients l’ont fait.

Ils l’ont fait parce que nous avons pris l’habitude de considérer que les animaux et les plantes étaient notre propriété, et que parce que c’était le cas, nous n’avions aucun compte à rendre. Ils l’ont fait parce que les règles qui régissent nos sociétés ont perdu toute mesure et toute décence. Parce que nous n’avons pas compris que nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis.

Blesse Gaïa, elle se défendra.

Son champion prend la forme d’un être microscopique, mais il est pourtant capable de terrasser nos sociétés si hautaines et sûres d’elles, de briser notre commerce, de couper les contacts physiques qui sont la base de notre vie quotidienne.

Il serait temps que nous comprenions tous une valeur fondamentale : le respect.

Le respect de nous-mêmes en premier lieu, le respect des autres, et tout simplement le respect de cette planète où nous vivons.

Si nous persistons à nous foutre de tout et notamment de notre impact sur la Nature, alors notre vie va devenir plus angoissante et plus difficile encore que pendant ce confinement qui ne durera que quelques semaines. Car si nous abîmons notre maison commune, alors nous serons confinés pour toujours dans un endroit invivable dont nous ne pourrons plus jamais sortir, un endroit qu’auparavant nous appelions la Terre.

Les trois vœux

Pour “après”, donc, je formule trois vœux.

Si un génie bien intentionné, dans une lampe ou ailleurs, veut bien les exaucer, je crois que ce serait pour moi un extraordinaire cadeau.

Mon premier vœu est le plus simple.

Bordel, lavez-vous les mains !

Prenez cette habitude et ancrez-là au plus profond de vos automatismes, comme celle de respirer, de marcher ou de regarder la télévision. Lavez-vous les mains dès que vous entrez ou sortez de chez vous, dès que vous êtes allés aux toilettes, dès que vous allez manger ou toucher de la nourriture, mais également quand vous venez de finir de bricoler ou de jardiner, quand vous avez rangé des objets dans votre garage. Bref, lavez-vous les mains le plus souvent possible. Je ne vous demande pas de le faire comme moi, plus de 60 fois par jour, mais un minimum.

Mon deuxième vœu est déjà plus ambitieux.

Arrêtons de penser que nous sommes tout-puissants et que la technique ou la technologie vont tout régler. Protégeons les trésors que nous avons accumulés grâce aux découvertes des grands savants qui nous ont donné les antibiotiques et les antiviraux. Commençons à réfléchir à ce que nous faisons.

Quant à mon troisième vœu, s’il se réalisait, cette crise n’aurait vraiment pas été vaine.

Revenons à la raison quant à notre place dans l’écosystème terrien. Nous ne sommes pas les maîtres de la Nature, nous en sommes juste un maillon. Si nous voulons rester en vie comme espèce et comme civilisation, changeons de modèle de vie, transformons notre façon de voyager, de nous nourrir, de nous vêtir.

Alors, cette pandémie n’aura pas été seulement une cruelle meurtrière, elle aura aussi été le sursaut qui nous aura évité une plus grande catastrophe.

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Soigner & se soigner, un apprentissage

Soigner & se soigner, un apprentissage

Soigner & se soigner, un apprentissage

J’ai pour métier de soigner depuis maintenant plus de vingt ans (sans compter mes années d’étude avant l’internat de médecine générale, car je n’étais pas en responsabilité) et je continue à constater qu’il existe une large incompréhension entre la façon dont les professionnels voient le soin, et celle dont la population générale l’entend. Vous me direz avec justesse que si les uns voient et les autres entendent, ils risquent en effet de ne pas pouvoir se parler, ce qui nous ramènerait à la métaphore des trois singes…

C’est qu’il y a, je crois, un fossé entre ce qu’est profondément l’acte de soigner, et ce que notre société occidentale moderne en a retenu. Un fossé qui parfois a des allures de gouffre, d’ailleurs. Car les valeurs portées par les soignants sont souvent en contradiction avec celles de l’environnement social.

J’ai déjà essayé de montrer en quoi le métier de soin était un métier un peu à part.

J’ai déjà effleuré le sujet d’une démarche de soin à la fois respectueuse de ce qu’elle est et des personnes.

J’ai également clamé que pour moi, le métier de soignant n’a pas été et ne sera jamais une vocation.

Pourtant, j’ai parfois été confronté à la demande de patients qui, trouvant nos échanges en consultation agréables, voulaient passer à une relation plus amicale. La nécessaire séparation entre relation de soin et relation amicale n’est pas une évidence pour bon nombre de personnes.

Plus encore, l’opposition qui peut exister entre le soin aux autres et le soin accordé à soi-même chez les soignants montre que même ceux dont le métier est pourtant le soin ont du mal avec la notion même de ce qu’il peut recouvrir pour eux-mêmes.

Le concept de soin est victime d’une confusion entre l’empathie et la compassion, entre la distance et le cynisme, entre la bienveillance et le paternalisme, entre le pouvoir et la faiblesse, entre l’altruisme et le sacrifice. Chez ceux que l’on nomme les “patients”. Mais aussi chez les soignants.

J’en suis venu à penser que c’est sans doute parce que, loin d’être un concept évident, le soin est avant tout un apprentissage. Un apprentissage humain autant que technique. Un apprentissage de la relation à l’autre. Et surtout un apprentissage de la relation à soi-même et au monde.

Parce que cet apprentissage est toujours en cours pour moi, et sans doute parce qu’il le sera toute ma vie, j’avais envie de faire un peu le point sur ce que j’en ai compris jusqu’ici.

Soigner & prendre soin

Si l’on s’en tient à l’étymologie, soigner viendrait du latin soniare, s’occuper de.

Quand on soigne, on s’occupe de quelqu’un. On en prend soin. On y prête attention.

Les Anglo-saxons font une distinction assez intéressante entre le cure (soigner un malade atteint d’une maladie, donc, un traitement médical) et le care (prendre soin de quelqu’un même sans chercher à éradiquer une maladie, juste en veillant à ce que ses besoins soient satisfaits). Une distinction que l’on peut faire en français entre soigner et prendre soin.

Mais quelles que soient les définitions, l’acte de soin (care ou cure) est un acte d’aide, dans lequel quelqu’un va s’investir envers une autre personne. L’un va tendre la main vers l’autre pour le sortir d’une situation difficile, comme s’il l’aidait à escalader une paroi. Pour moi, le care et le cure visent à la même chose : rendre à l’autre sa capacité à vivre selon ses choix.

Il s’agit d’aider à conserver ou recouvrer la santé, qui “n’est pas simplement l’absence de maladie” (je vous renvoie à la définition de santé selon l’OMS).

Cette “main tendue” entre une personne qui aide (le soignant) et une autre qui est aidée (appelons-la le patient) est pour moi la meilleure métaphore de l’acte de soin, parce qu’elle exprime à la fois la position relative de chacun et les forces et faiblesses de ces positions l’une par rapport à l’autre.

Le soignant tend sa main depuis une position en surplomb. Il a une vision globale du problème qui se pose au soigné en dessous de lui. Il voit parfois bien les prises que celui-ci pourrait saisir. Il va fournir un effort pour soulever un peu plus le soigné vers ces prises, lui permettant de prendre appui et de se hisser enfin là où il le voulait. Mais il doit prendre garde à ne pas lui-même perdre l’équilibre, à ne pas se laisser entraîner par le poids de la personne qui lui tient fermement la main. Il doit prendre garde à ne pas confisquer la liberté de celui qu’il aide et à ne pas le mettre sur une voie qu’il ne voulait pas suivre au départ.

Le soigné, lui, est collé à la paroi, avec un déséquilibre qui menace de le faire chuter à tout instant. Il voit sans doute une prise, la plus évidente, mais elle est hors de portée de sa main. Il connaît bien son corps, les forces qu’il lui reste, les faiblesses qui l’empêchent de se hisser seul jusqu’à la prise. Il connaît le matériel dont il dispose, parce qu’il sait où il est allé l’acheter, qui le lui a donné. Il sait où il voudrait aller une fois l’équilibre atteint. Il n’a besoin que d’un petit coup de pouce pour se hisser jusqu’à la prise suivante et il pourra continuer son chemin. Mais cela restera son chemin à lui. Il doit prendre garde à ne pas se laisser dicter sa voie par celui qui se trouve en haut. Il doit trouver sa propre voie.

Il faut être conscient d’une chose essentielle à propos de la relation de soin : son asymétrie fondamentale.

Cette asymétrie existe même si la finalité de tout acte de soin est (ou devrait être) de l’abolir en rendant au patient le pouvoir sur sa vie, sa décision de prendre une prise ou une autre, de lui redonner la pleine maîtrise de ses responsabilités, pour qu’il poursuive sa route comme il l’entend.

Pendant l’acte de soin, cette asymétrie est un axiome indépassable, et l’on peut même s’en servir, jusqu’à l’inverser par exemple dans les thérapies systémiques brèves où le thérapeute peut sciemment utiliser une autre position que celle du haut de la falaise pour la remplacer par une place plus basse que celle du patient.

C’est d’ailleurs cette asymétrie, encore, qui permet la confiance du patient envers son soignant. Le soignant se voit confier quelque chose d’impalpable, qui est la croyance que le patient a sur le fait que le soignant/thérapeute peut l’aider (mais nous y reviendrons).

Pour résumer, il me semble que soigner c’est une aide respectueuse d’une personne envers une autre dans une situation de santé donnée, plus ou moins longue, afin d’atteindre un objectif impossible ou difficile à atteindre seul par le patient.

En ce sens, soigner et se soigner soi-même sont deux situations très différentes que nous verrons plus loin, mais se rejoignent sur une notion commune de respect.

Car se soigner soi-même, c’est tout d’abord prendre soin de soi, faire attention à soi (care). Cela peut aussi être traiter soi-même une affection dont on est atteint (cure). Avant d’aller plus avant dans le détail, j’insiste sur le respect de soi-même que cela implique. Faire attention à soi c’est respecter ses rythmes propres, son corps, son esprit, éviter de se maltraiter. Traiter soi-même une affection doit se faire aussi dans le respect de ces mêmes rythmes, de son corps, de son esprit, et éviter tout autant de se maltraiter. Et s’il n’y a pas ici de personne-ressource, de personne qui aide, on voit bien devant quelle difficulté on se trouve : on n’a pas de vision globale de la situation… ce qui peut facilement mener à se maltraiter soi-même…

Soigner

Mais entamons donc notre chemin vers le cœur du métier de soignant, puisque nous avons maintenant une définition de l’acte de soin qui, pour imparfaite qu’elle soit, peut constituer une base de discussion.

Aider quelqu’un nécessite quelques préalables.

D’abord avoir la capacité à savoir ce que cette personne peut ressentir dans la situation qui est la sienne. C’est l’empathie.

Puis la volonté de lui apporter du bien, la bienveillance.

Une fois que la personne aura saisi que le soignant possède ses deux qualités et qu’elles sont bien dirigées vers elle, alors peut naître la confiance que cette personne va accorder au soignant, mais aussi la confiance que le soignant aura dans son patient, parce que oui, la relation est vraie dans les deux sens.

La rencontre de ces deux confiances fera naître l’alliance thérapeutique, c’est-à-dire la qualité essentielle d’une relation capable de mener vers l’objectif grâce à la coopération du soignant et du soigné.

Corollaire de l’empathie est la faculté du soignant à prendre de la distance avec son patient. Il ne s’agit pas de se retrouver à ressentir les mêmes choses que la personne malade, mais juste à la comprendre pour avoir une chance de lui apporter des ressources qu’elle n’avait pas au départ (ou qu’elle ne savait pas posséder, nuance intéressante). Un degré de recul est donc nécessaire à chaque instant de la relation de soin ce qui, nous le verrons, peut rendre difficile certaines situations où des proches sont impliqués.

L’empathie

Première qualité indispensable à posséder dans votre trousse si vous êtes soignant ou pensez le devenir, l’empathie est cardinale, la pierre angulaire de tout. C’est elle qui va permettre de s’engager envers l’autre.

Pour une définition claire de l’empathie, je me tourne vers le site de La Toupie qui est particulièrement pertinent. Une approche plus scientifique dans la forme est aussi disponible là.

L’empathie est donc en psychologie la faculté de comprendre intellectuellement les émotions de l’autre, de savoir intimement ce qu’il peut ressentir, mais sans toutefois faire de confusion entre soi et l’autre.

Et c’est, je crois, le plus important à retenir.

Il ne s’agit pas de se laisser déborder par la souffrance éventuelle de l’autre, par ses émotions.

Nous devons la prendre en compte, la comprendre intimement. Mais nous ne sommes pas l’autre.

Il est donc important de se garder d’entrer en sympathie (littéralement ressentir avec l’autre, comme l’autre). Le mot a en effet un sens bien précis en psychologie, qui est un peu différent du sens qu’il a dans le langage courant, même si l’on comprend bien la filiation entre les deux. Nous pouvons trouver sympathique (donc aimable dans le sens que sympathie a dans le langage commun) une personne avec laquelle nous pouvons ressentir les mêmes émotions sans forcément en ressentir les mêmes causes. La distinction entre empathie et sympathie est elle aussi sujette à débats, mais cet article explique bien la différence entre les deux concepts. La sympathie y est bien décrite comme un état de “contagion émotionnelle” qui n’implique pas véritablement la compréhension de l’autre, mais simplement de l’émotion qu’il exprime.

En ce sens il est fondamental de distinguer les deux et pour un soignant de se tenir strictement du côté empathique, et non du côté sympathique.

La bienveillance

La bienveillance est la deuxième qualité nécessaire à un soignant.

Mais elle n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

Littéralement, “veillez au bien” de quelqu’un, la bienveillance est le fait d’agir envers une personne dans le but qu’il en ressorte du bien pour elle. On pourrait presque superposer le terme à celui de soigner, prendre soin, et ce n’est pas anodin, puisque c’est une composante fondamentale du soin.

La bienveillance peut se concrétiser par un acte d’aide, mais suppose tout d’abord une intention.

Une intention qui vise d’abord à éviter toute malveillance, donc toute nuisance à l’autre, par ses paroles ou ses actes. C’est le fameux primum non nocere d’Hippocrate. Pour être sûr de veiller au bien de quelqu’un, la première étape est de s’assurer que l’on ne lui fait pas de mal. C’est pourquoi comme médecins nous faisons très attention aux effets secondaires potentiels des traitements ou des examens que nous prescrivons, ce qui peut parfois irriter les patients qui pensent que nous leur refusons par souci d’économie ou mauvaise foi. Non, si nous suivons le principe de bienveillance, nous nous assurons d’abord de ne pas nuire à notre patient, et nous le protégeons, y compris des écueils de notre propre technique médicale moderne. Y compris parfois de dangers dont il n’est pas conscient. Y compris en refusant de prescrire ce qui ne nous semble pas aller dans son intérêt.

Et c’est là que nous allons entrer dans les paradoxes qui expliquent pourquoi il est si compliqué d’être bienveillant parfois.

Car parfois, la bienveillance véritable peut avoir l’apparence d’un refus.

Plus encore, parfois, la bienveillance peut prendre l’apparence d’une absence d’aide.

On peut être amené à refuser de faire quelque chose pour quelqu’un dans le but bienveillant de lui permettre d’apprendre à le faire seul, à devenir autonome. Ainsi, il pourrait paraître maltraitant de ne pas prescrire de somnifères à une personne qui ne parvient pas à dormir convenablement. Or, au contraire, c’est rester bienveillant que de lui apprendre à gérer son sommeil et ses insomnies seule, sans l’aide d’une chimie aux effets secondaires trop bien connus. Cet apprentissage, une fois fait, lui permettra de ne plus avoir besoin d’aide par la suite.

Je ne sais si ce proverbe chinois existe vraiment, mais on raconte qu’il dit, en substance :

Donne un poisson à un mendiant, il mangera un jour ; apprends-lui à pêcher et il mangera toujours.
Proverbe Chinois

Et d’ailleurs, il ne sera dès lors plus un mendiant…

Il est donc plus bienveillant de ne pas combler le besoin le plus immédiat, mais d’aider à trouver les ressources qui permettront de devenir autonome.

Cela semble simple, mais en pratique, pour un soignant que toutes les écoles (médecins, infirmières, kinésithérapeutes, etc.) ont formé dans le soulagement de la souffrance, accepter de parfois différer le soulagement immédiat pour viser un plus grand bien est très difficile.

On peut aller encore plus loin, d’ailleurs, pour être bienveillant, et peut-être qu’un jour je vous parlerai des thérapies provocatrices.

Mais dans tout ce qui précède, certains vont déjà commencer à parler de paternalisme.

Et bien justement, non.

La bienveillance n’a rien à voir avec le paternalisme.

Refuser de prescrire n’a rien à voir avec du paternalisme (si l’on est bienveillant).

Le paternalisme, mot inventé au XIXe siècle après que le Code civil napoléonien a gravé dans le marbre la figure du patriarche comme maître incontesté d’une famille, consiste dans la certitude d’un thérapeute, un soignant, de savoir mieux que son patient ce qui est bon pour lui, et de le maintenir indéfiniment (si ce n’est infiniment) dans cet état de dépendance, comme un père abusif avec ses enfants toujours considérés comme étant sous sa tutelle.

Est paternaliste le médecin qui prend les décisions à la place de son patient.

Est paternaliste celui ou celle qui n’explique rien de ce qu’il sait, garde son savoir et s’en sert pour conserver le pouvoir que cela lui donne sur son patient.

Est paternaliste celui ou celle qui garde sa place de supériorité.

Or, comme nous venons de le voir, le but d’une véritable bienveillance est l’autonomisation du patient, son indépendance. C’est lui rendre sa liberté, justement, à l’inverse du paternalisme.

Et c’est pour cela que la véritable bienveillance est avant tout absence de jugement, notamment moral, sur le vécu du patient. Sur sa souffrance, ses symptômes, ses espoirs, ses désirs. Sur sa vie.

Plus encore, c’est une absence de jugement sur les croyances du patient. Y compris les croyances que nous ne partageons pas.

Et là encore, cela ne veut pas dire qu’il faut être d’accord avec lui. Ça ne veut pas dire que l’on entre en sympathie avec ces croyances… Rappelez-vous, l’empathie, c’est la faculté de comprendre ce que vit l’autre, pas de devenir l’autre.

Être à la fois empathique et bienveillant, c’est accepter l’autre tel qu’il est, même et y compris dans ce qu’il a de différent de soi-même. C’est bien faire la différence entre soi et l’autre, et pourtant, accepter que l’autre puisse avoir des croyances, des désirs, des buts, différents de soi-même.

Être à la fois empathique et bienveillant, c’est accepter d’entrer dans une véritable relation avec cet autre, et de trouver comment aider cet autre à trouver ou retrouver un équilibre, une autonomie. Lui permettre d’aller où il le désire, ou du moins le plus loin possible, en restant soi-même c’est-à-dire différent de lui.

D’autres que moi ont mieux expliqué cette disponibilité à l’autre, comme François Roustang qui l’a même érigée en fondement de la position de thérapeute.

Je ne vous avais pas menti en vous prévenant quelques paragraphes plus tôt que la bienveillance, ce n’était pas aussi simple qu’on le croit au premier abord.

D’ailleurs :

La confiance

La troisième force à l’œuvre dans une relation de soin est bien sûr la confiance.

Confiance du patient envers le soignant. Et aussi confiance du soignant envers le patient.

C’est parce que le soignant est à la fois empathique et bienveillant que le patient peut se sentir en confiance avec lui (ou elle) et peut s’autoriser à partager réellement le fond du problème, sans masquer ou enjoliver.

La confiance c’est cette certitude un peu impalpable que la personne qui nous aide, à laquelle on parle, possède quatre qualités indispensables.

L’empathie et la bienveillance, comme nous venons de le voir.

La compétence, ensuite. Il est en effet plus facile de se confier à quelqu’un que l’on sait posséder un savoir qui nous fait défaut, une expertise reconnue, une expérience étayée.

Le secret, enfin. Même si nous en parlerons dans un prochain article, le secret est la pierre angulaire de tout soin.

On touche tant à l’intime que se confier sans fard nécessite la certitude que ce que l’on dépose ne pourra pas être utilisé contre nous, ne pourra pas être dévoilé, à quiconque. C’est bien sûr particulièrement vrai dans des affections ou troubles psychologiques, mais ça peut aussi l’être dans une fracture de la jambe si elle a des conséquences que je veux cacher pour une quelconque raison, et sur lesquelles je veux que le soignant qui s’occupe de moi garde le secret envers qui que ce soit d’autre que moi.

Par défaut, le secret, en matière médicale, est absolu.

Rien de ce qui se dit entre les quatre murs de la salle de consultation ne peut en sortir. Absolument rien. Hormis bien entendu des cas très spécifiques qui sont très encadrés par la loi.

Ainsi, le soignant assure à son patient une écoute inconditionnelle, et le patient sait avec certitude qu’il sera respecté.

La rencontre : l’alliance thérapeutique

Une fois la confiance établie, peut naître ce que l’on appelle l’alliance thérapeutique.

Elle est un peu le bras armé de la confiance.

Comme une véritable alliance, elle suppose que chacun mette à disposition de l’autre des ressources qui seront utilisées dans un but commun.

Le soignant dépose dans cette alliance son expertise, sa bienveillance. Il va aider le patient à sortir de la situation qui le fait souffrir.

Le patient, quant à lui, dépose sa volonté de changement, sa confiance, et ses actes.

J’insiste sur le terme d’alliance car il suppose clairement la participation active du patient.

On peut déployer toute la science médicamenteuse du monde, si le patient ne prend pas ses médicaments, rien ne pourra se faire. On peut avoir le meilleur diagnostic au monde, si le patient ne dit pas certains symptômes (pour quelque bonne raison que ce soit), le diagnostic sera faux.

Il est donc essentiel que la relation soit basée sur une confiance réciproque et une même volonté, qui se traduise des deux côtés par des engagements.

Le patient s’engage à faire ce qu’il peut pour aller mieux, c’est-à-dire : ne rien cacher de ses symptômes, de ses difficultés, de ses craintes, de ses espoirs ; accomplir ce qui aura été “prescrit” (en réalité décidé à deux) : examens complémentaires, traitements ; faire un retour honnête de ce qui s’est passé pendant ce traitement, des nouveaux symptômes qui pourraient apparaître, sur ses craintes si de nouvelles apparaissaient.

Le soignant s’engage à faire ce qu’il peut pour aider le patient à aller mieux : à écouter ses symptômes, à respecter les croyances et mode de vie du patient, à ne pas le juger, à le conseiller au mieux de son savoir et de ses capacités, à passer la main à quelqu’un d’autre si besoin était. Il s’engage à l’aider tant que le patient continue à agir de son côté.

Parce que cette alliance est une véritable relation, si l’un des deux n’accomplit pas sa part, il ne peut y avoir de soin.

Et au risque de choquer, je le clame bien fort : le soignant n’est pas là pour aider les personnes qui ne veulent pas faire l’effort d’être aidées. Autrement dit : on ne soigne pas quelqu’un contre sa volonté.

Hormis les cas d’urgence vitale, il peut donc arriver que je dise à un patient que notre collaboration a atteint ses limites.

La distance

L’alliance thérapeutique nécessite cependant qu’une certaine distance existe entre le soignant et son patient.

Comme nous l’avons vu, l’empathie n’est pas la sympathie.

Comprendre ce que vit l’autre n’est pas la même chose que le vivre soi-même.

Plus encore, la confiance suppose l’absence de jugement de la part du soignant.

Plus précisément, puisque notre esprit est conçu pour juger en permanence, le soignant doit être conscient des jugements que son esprit émet lorsqu’ils surviennent afin de faire un pas de recul, de ne jamais les exprimer bien évidemment et de se recentrer sur la personne qui est en face de lui (ou elle).

Car on assiste bien à la rencontre de deux personnes différentes, qui potentiellement ont des valeurs de vie différentes, des opinions différentes, des ressentis différents, des vécus différents. Il n’est donc pas question pour le soignant de plaquer ses propres valeurs de vie, opinions, ressentis ou vécus sur le cas de son patient ou de sa patiente. Cela implique d’accepter le patient dans toutes ses dimensions, sans en juger aucune, même et surtout si elles sont différentes ou opposées aux siennes. Même et surtout si elles sont les mêmes que les siennes, ce qui est une position encore plus difficile.

Créer une distance est donc essentiel. Cette distance permet de voir de l’extérieur quelles sont les dimensions du patient, et de les différencier des siennes propres.

D’elle découle aussi une distance sur les affects.

François Roustang provoque un peu, mais est tout proche lorsqu’il dit que le thérapeute doit être indifférent au devenir du patient. Car si le soignant ne veut pas agir à la place du patient, s’il veut préserver la liberté fondamentale du patient, s’il veut être bienveillant, il doit pouvoir accepter même la possibilité que celui-ci agisse d’une manière différente ou opposée à ce qui serait attendu (par le thérapeute).

Ce qui est difficile lorsque l’on a la position du thérapeute, celui qui aide, mais plus encore du docteur, celui qui sait. D’abord parce que la tentation du paternalisme est très présente chez les soignants (“je sais plus de choses que vous, vous devez obéir à mes ordonnances – cela vient d’ordonner, je le rappelle”), mais aussi chez les patients (“Mais Docteur, vous choisiriez quoi, vous ?”). Ensuite parce que c’est un vrai paradoxe que d’être celui qui aide, mais pas celui qui choisit. Le patient est, comme nous l’avons rappelé plus tôt, en position d’infériorité, car il a besoin de l’aide qu’il vient chercher.

Mais soigner, quand on réfléchit, cela peut autant être compris comme l’acte qui sort le patient du trou où il est tombé pour le remettre au même niveau que nous, que comme celui de le materner (ou paterner) pour le laisser dans cette position d’infériorité.

Vous allez me dire (et vous aurez bien raison de faire avancer le débat) : quelle est la différence avec l’amitié ? C’est vrai, dans l’amitié, du moins telle qu’on l’imagine habituellement, il est admis que l’on peut s’accorder avec des personnes qui sont si différentes de nous qu’elles pourraient en paraître opposées ; il est admis que l’on doit s’abstenir de juger l’autre ; il est admis que l’on soit là pour l’aider, inconditionnellement et sans s’attendre à ce que l’autre suive aveuglément nos conseils.

La distance n’est cependant pas la même.

L’implication émotionnelle n’est pas la même.

Dans l’amitié se joue un rapprochement émotionnel fort. Si fort que l’on entre en résonnance sympathique avec l’autre. On l’aime. Ce qui lui arrive peut nous toucher comme si cela nous était arrivé à nous. Car comme dans toute relation où entrent en jeu des sentiments, nous y plaçons certaines attentes. En premier lieu la réciprocité. On imagine bien que notre amie aurait elle aussi à cœur de nous aider si nous en avions besoin, on sait que l’on peut compter sur elle. On s’attend à ce que notre ami ressente de l’amitié pour nous également, qu’il soit émotionnellement engagé envers nous. L’amitié est forcément une relation réciproque où les deux ont la même place : celle d’un ami. Il n’y a pas de distinction entre les deux personnes, quand dans un soin il y a un soignant et un patient.

Ce que l’on partage avec un ami, c’est une intimité à deux. C’est se dévoiler soi et accepter que l’autre se dévoile en retour, d’une manière équilibrée, réciproque, mais libre, et notamment libre de ne pas tout dire. Et l’implication émotionnelle est telle, les sentiments s’en mêlant, que parfois ils s’emmêlent et que l’orage peut gronder dans la relation. On peut se fâcher avec un ami, et devenir indifférent ou au contraire ennemi. On peut créer du ressentiment, de la gêne.

Or il n’est absolument pas question de réciprocité dans une relation de soin. Il est question d’alliance thérapeutique. S’il y a relation dans les deux sens, c’est bien une relation asymétrique.

On peut discuter le cas de mon métier actuel, la médecine générale, dite “de famille”, où le soignant suit une personne (et souvent une famille) sur des dizaines d’années. Ce but “ponctuel” ne l’est plus vraiment dans le temps. Mais il est toujours à la base du contrat qui a noué l’alliance thérapeutique. Le médecin de famille est là pour aider lorsque cela ne va pas, ou pour aider à ce que ça continue à aller bien dans le cas de la prévention.

S’il entre dans l’intimité de la personne, ce n’est pas sur un pied d’égalité. On lui livre une intimité que même les amis ne connaissent pas. Que parfois la famille proche ou la personne qui partage le quotidien ne connaissent pas et ne connaîtront jamais. Le patient lui-même instaure cette distance à partir du moment où il confie ce genre d’événement, de question, d’acte, à son soignant.

Et c’est cette distance juste qui permet à la fois la confiance et l’alliance thérapeutique.

Être proche de ses patients, ce n’est pas être leur ami. C’est comprendre ce qu’ils vivent.

Être proche de ses patients, ce n’est pas souffrir pour eux, comme je l’ai lu un jour sur un réseau commercial de la part d’un de mes confrères, pourtant assez médiatique. Et si c’est le cas, c’est que le positionnement du soignant est totalement à revoir.

Être proche de ses patients, c’est accepter leur monde, y entrer sans faire de bruit, et leur permettre d’y faire quelques changements pour qu’ils puissent continuer à y vivre.

C’est être un peu un témoin détaché, à la fois empathique et compréhensif, à la fois guide et confident.

Nous ne sommes pas les soignants de nos amis ni les amis de nos patients.

Soigner ses proches

Alors ceci posé, on comprendra que je sois réticent à soigner mes proches.

Car un proche, famille, amie, amante, est une personne qui m’est liée émotionnellement. Et ce lien est constitué de sentiments. Il implique une pudeur d’un côté comme de l’autre. Une réciprocité d’implication émotionnelle. Parfois des non-dits. Cela ne veut pas dire que je n’aie pas la tentation, parfois, de m’immiscer dans une situation précise, un diagnostic ou un traitement.

Dans certaines circonstances, cela a même été important pour moi de donner mon avis. Et je peux facilement le partager si on me le demande. Mais j’essaie de garder cette distance qui est le gage d’un raisonnement clair et non biaisé par les sentiments.

Parce que oui, les sentiments peuvent biaiser nos raisonnements. C’est même fréquent.

Nous avons tendance soit à redouter le pire pour nos proches (un mal de tête pouvant cacher un cancer, vous vous en doutez), ou au contraire à minimiser tout ce qui leur arrive, parce qu’on refuse qu’ils puissent être atteints de quelque chose de grave (“mais non, c’est pas cassé, tu vois bien que tu marches, même avec la jambe en équerre…”).

Laissez-moi vous raconter une anecdote, que j’ai réellement vécue.

Il y a quinze ans, alors que j’étais médecin remplaçant, je travaillais pour un médecin que je connaissais bien et qui se trouvait faire des vacations dans un EHPAD où résidait une de mes grand-mères. Un beau jour, en plein remplacement, je suis appelé pour une visite à domicile en urgence… pour ma grand-mère.

Une douleur abdominale, avec constipation.

Vous comprendrez mieux la situation quand je vous expliquerai que certaines constipations sont provoquées par un bouchon de matières fécales (appelé fécalome) qu’il faut extirper manuellement…

Vous imaginez accomplir un toucher rectal sur votre grand-mère ?

Moi pas.

Ce qui me bloquait pour elle, cela n’aurait pas été le cas pour une autre patiente, car ce geste, je l’avais déjà fait des dizaines de fois auparavant, autant pendant mes études que plus tard.

Comme il n’y avait pas d’urgence vitale, j’ai choisi de ne pas effectuer ce geste, et j’ai pris le risque de faire autrement. Néanmoins, je n’ai pas pu faire mon travail correctement, car cela aurait voulu dire vérifier l’absence de fécalome.

J’ai donc préservé sa pudeur et la mienne.

Mais le risque que j’ai pris, et dont j’étais conscient, m’a hanté pendant des jours.

En somme, soit je faisais mon travail correctement, et je franchissais une limite, un tabou, que je ne pouvais pas assumer de violer, soit je ne le faisais pas correctement, et je supportais l’idée monstrueuse d’avoir mal soigné ma propre grand-mère.

C’est ce que l’on appelle un double-lien, une situation à laquelle il n’existe pas de bonne solution, pas d’échappatoire.

Les choses sont bien sûr différentes dans une situation d’urgence vitale.

L’enjeu vital efface toute autre considération, et lorsque cela m’est arrivé, l’action a été immédiate et instinctive.

Mais la proximité émotionnelle, familiale, les tabous, les relations interpersonnelles, les histoires de vie avec les personnes de notre entourage nous placent dans une position qui n’est pas compatible, à mon sens, avec une relation de soin. Sauf à s’entourer d’avis extérieurs assez fréquemment pour s’assurer par exemple de ne pas passer à côté d’un diagnostic.

Là encore, il m’est arrivé de devoir prendre le rôle du soignant, et la seule façon pour que cela soit tenable a été pour moi de demander l’avis d’un spécialiste sur la pathologie que je suspectais.

Finalement tout dépend de l’enjeu.

Vacciner soi-même ses enfants est un acte qui implique peu d’enjeux. Il peut exister bien sûr des effets secondaires dans les vaccinations, comme dans tout acte de soin. Mais pour moi cet enjeu est gérable, même s’il advenait que mon acte de vaccination soit à l’origine du déclenchement d’un effet secondaire. Peut-être que cet acte ne serait pas gérable par une autre personne, un autre soignant. Je le respecte.

Par contre, mener les investigations diagnostiques et thérapeutiques dans le cadre d’une suspicion de cancer, ou entrer dans l’intimité psychologique d’un proche serait au-dessus de mes capacités à me distancier.

Franchir la frontière ?

Il m’est difficile de soigner mes proches car je sens que je manque d’objectivité, et que souvent là n’est pas ma place.

Mais imaginons que le sentiment naisse, et que l’on soit tenté de franchir la frontière, de devenir l’amie ou l’amant d’une personne que l’on soigne.

Suffirait-il de ne plus soigner cette personne pour que le dilemme soit évacué et que l’on puisse sereinement vivre une histoire d’amitié ou d’amour avec elle ?

Ce n’est pas si simple.

S’il s’agit d’une personne que l’on a ponctuellement aidée à surmonter une fracture de la jambe, une fois la relation de soin évacuée, on pourrait imaginer qu’une relation symétrique puisse se mettre en place.

Mais soigner quelqu’un veut souvent dire connaître l’existence de certains aspects dans la vie de cette personne qu’elle n’aurait pas dévoilés à un ami. Cela aura pour effet de prolonger très longtemps, voire pour toujours, l’asymétrie de la relation. L’intimité que l’on dévoile à un soignant n’est pas la même que celle que l’on dévoile à un ami.

De plus, ce savoir crée un ascendant, au moins temporaire, de l’ex-soignant sur l’ex-patient. Cet ascendant me semble malsain dans une relation équilibrée.

Une relation d’amitié asymétrique est-elle vraiment une relation d’amitié ?

Et que dire d’une relation amoureuse asymétrique ?

Se soigner

Et si l’on est soignant, peut-on se soigner soi-même ?

La question est souvent l’occasion de se rendre compte que les soignants font tout à l’envers (moi compris). Ils considèrent pouvoir s’autodiagnostiquer et s’autotraiter, mais ne prennent pas soin d’eux-mêmes.

La notion de respect, que nous avons posée comme base nécessaire à une relation de soin, est étonnamment plus facile à ressentir et à appliquer pour beaucoup de soignants envers les autres qu’envers eux-mêmes.

Influencés sans doute par la notion de vocation qui entoure dans notre société tous les métiers de soins (dont vous savez ce que je pense), les soignants sont souvent la proie de deux syndromes complémentaires : le syndrome du sacrifice, et le syndrome du sauveur.

J’ai déjà dit ce que la vocation avait de connotation religieuse, cette “voix” qui appelle celui qui l’entend vers le devoir sacré de soigner. Dès lors que l’on entend entrer en médecine (au sens large, hein, c’est la même chose pour les infirmières) comme on entre en religion, on s’identifie soi-même à un moine ou une moniale. On fait don de soi, et comme les moines et moniales, de façon inconditionnelle. À la seule différence qu’il ne s’agit pas de se donner corps et âme à Dieu, mais aux autres.

En poussant le raisonnement, on parvient souvent à confondre le don de soi et l’abandon de soi.

On passe du moine au martyr.

Après tout, dans notre société monothéiste, la figure du guérisseur est associée au plus connu d’entre eux : celui qui peut même ressusciter Lazare.

Je n’ai pas besoin de rappeler quel fut son destin. C’est par son sacrifice final qu’il prend figure de sauveur.

Or, je soutiens que nombre de soignants sont, la plupart du temps à leur insu, imprégnés de cette image qui veut qu’à l’instar du Christ ils ne puissent gagner le droit de sauver leur prochain de la maladie (et donc de la mort) qu’en se sacrifiant eux-mêmes à cette cause.

Il existe la croyance tenace que lorsque l’on est soignant, on se doit aux autres au péril de soi-même. Parce que les autres sont bien plus importants que soi, on accepte de ne pas manger le midi pour voir deux patients de plus, on accepte de finir très tard le soir pour la même raison, on accepte de rogner sur ses vacances, de ne pas voir suffisamment ses enfants.

On accepte de refuser de prendre en compte ses propres besoins.

On se sacrifie.

Et pour quoi faire ? Par altruisme, vraiment ?

Interrogeons nos motivations sans fard, amis soignants. Soyons honnêtes, parfaitement honnêtes, envers nous-mêmes.

Qu’est-ce qui nous pousse à cela ?

Ne serait-ce pas, même un peu, un tout petit peu, cette croyance que nous pouvons, nous, sauver les autres ?

Les sauver comme le Christ l’a fait, en se sacrifiant.

Les sauver, parce que nous avons la vocation.

Les sauver, parce que nous sommes investis d’un pouvoir, d’une responsabilité.

Les sauver, même d’eux-mêmes.

Osez me dire, confrères et consœurs, collègues soignants et soignantes, que ce n’est pas, au fond, la stricte vérité. Je vous mets au défi de me prouver le contraire.

Et comme vous n’y parviendrez pas, convenez avec moi que cette attitude, au demeurant non limitée aux soignants – car nombre d’êtres humains ont la même – est celle que toute la société entend nous voir adopter. Car toute la société considère qu’on ne peut être un soignant que si l’on est avant tout dévoué aux autres, au péril même de nous-mêmes. On va ainsi trouver admirable que tel médecin sacrifie sa vie de famille et ne prenne jamais de vacances, comme on trouve admirable que les infirmières et les infirmiers des urgences enchaînent les patients sans prendre le temps de manger ou que d’autres enchaînent les gardes sans repos. On trouve admirable de se noyer soi-même pour sortir les autres de l’eau…

Je soutiens que c’est une erreur, grossière et fatale, à la fois dommageable pour les autres et pour nous-mêmes.

D’abord parce que le syndrome du sauveur est la porte d’entrée vers le paternalisme tant décrié. Je rappelle que l’objectif du soin tel que nous l’avons posé plus haut est de rendre sa liberté au patient, de lui permettre de s’autonomiser, le plus rapidement possible. Il n’a donc pas besoin d’être sauvé, mais d’être aidé à reprendre le cours de sa vie. En se croyant investi d’une mission divine de sauvetage, le soignant prend sur lui la responsabilité entière du soin. Or une partie de cette responsabilité est celle du patient. C’est sa liberté, ses choix, son libre arbitre.

Il est nécessaire d’être investi auprès de lui, mais pas au détriment de sa liberté, donc pas dans la position du sauveur tout puissant. Nous ne sommes que des hommes et des femmes, pas des sauveurs. Comment aide-t-on mieux quelqu’un : en lui donnant un poisson à manger chaque jour, ou en lui apprenant à pêcher ?

Ensuite, se négliger soi-même est un mauvais calcul. Si nous ne prêtons pas attention à nous, si nous nous mettons en danger, qui prendra soin de nos patients une fois que nous aurons été empêchés de le faire par notre propre maladie, notre propre mort ? Parce que la condition de soignant ne protège pas contre la maladie et la mort, savez-vous. Elle ne protège pas mieux de l’accident, de l’erreur, de la fatigue, de l’inattention. Comment aide-t-on mieux : en étant présent pour de nombreux patients, ou en se noyant avec le premier que nous allons aider ?

Enfin, se négliger soi-même et se mettre en danger pour une mission illusoire est un manque de respect. D’abord et avant tout un manque de respect envers nous-mêmes. Mais aussi envers nos patients. Qui peut oser croire qu’un soignant qui n’a pas dormi assez parce qu’il a trop travaillé sera au plein potentiel de ses capacités de diagnostic ou de thérapeute ? Qui osera dire qu’il est respectueux de traiter des patients dans un état lamentable parce qu’on n’a pas fait attention à soi-même ? Personne, je crois. C’est d’ailleurs pour cela que veiller à sa propre bonne santé, à son propre équilibre, a été reconnu comme l’un des devoirs du médecin dans le Serment de Genève, l’équivalent international du Serment d’Hippocrate, qui stipule :

JE VEILLERAI à ma propre santé, à mon bien-être et au maintien de ma formation afin de prodiguer des soins irréprochables ;
Serment de Genève

Une injonction qui a du mal, cependant, à véritablement faire son chemin dans nos têtes, tant nous sommes investis de responsabilités à la fois par la société et par nos propres exigences envers nous-mêmes.

Alors avant même de penser à se traiter soi-même (cure), il est temps, plus que temps, de commencer par prendre soin de soi (care). Et cela passe d’abord par le refus.

Le refus de se croire investi d’une mission de sauveur.

Le refus de se sacrifier.

Le refus de se laisser entraîner dans des organisations de soin délétères pour nous-mêmes et donc pour les patients.

Le refus de se laisser entraîner par le consumérisme médical.

Alors seulement nous pouvons commencer à appliquer à nous-mêmes les principes du soin que nous avons vus plus haut.

Nosce te ipsum

Au départ, il y a cette maxime grecque antique qui proclame “connais-toi toi-même” et que les philosophes traduisent plus volontiers par “prends la mesure de ton humanité”. Ainsi, se connaître est la prise de conscience de ce qui fait sa propre identité : sa place dans le monde, sa mortalité. Pour un soignant, c’est aussi la conscience de sa place dans le système de soin, dans la relation soignant-patient. C’est surtout la conscience de sa propre valeur comme individu, et pas seulement comme soignant.

Mais c’est, plus fondamentalement, la capacité à écouter son propre corps, son propre esprit. La capacité à savoir si l’on se sent bien, ou mal. Plus prosaïquement, la capacité à savoir si l’on agit selon nos forces et nos faiblesses, dans le respect de nous-mêmes et pour notre bien.

Se connaître soi-même, parfois, ça veut dire se traiter soi-même.

Mais pour cela, il faut d’abord avoir la compétence de se diagnostiquer soi-même. Ce qui veut dire la capacité à se distancier de soi-même, de se regarder de l’extérieur. Un exercice difficile si l’on n’a pas, auparavant, compris ce qu’étaient nos besoins fondamentaux. Les besoins propres à chacun, et donc les besoins de notre propre corps, de notre propre esprit.

Savoir se distancier de soi-même, se voir de l’extérieur, est parfois impossible, englués que nous pouvons être dans nos biais cognitifs multiples et variés.

Voilà pourquoi, me semble-t-il, tout soignant devrait savoir confier sa santé à un autre, même si nous croyons souvent être mieux placés que quiconque. Notre hubris nous porte à croire que nous sommes les sauveurs de notre propre individualité. C’est faux. Nous aussi, parfois, nous pouvons avoir besoin d’aide. D’une aide qui ne passe pas par nous-mêmes.

Je sais que c’est difficile à admettre. Comme soignant, moi-même je n’admets pas facilement que je puisse avoir besoin d’être soigné par un autre.

Pourtant, s’il est des choses qu’un patient sait de lui-même mieux qu’un soignant, il est des choses qu’un soignant extérieur va mieux connaître de nous que nous-mêmes.

La bienveillance envers soi-même

Se connaître soi-même, ça veut dire déjà savoir qu’après quinze heures de travail, on n’est plus vraiment au top de ses propres capacités attentionnelles. Et qu’il vaudrait mieux arrêter.

C’est être bienveillant envers soi-même.

Or, le complexe du sacrifice empêche souvent les soignants d’être bienveillants envers eux-mêmes.

Ils sont habitués à faire passer l’autre avant leurs propres besoins à eux.

C’est une mauvaise habitude que tout soignant devrait combattre.

Chacun d’entre nous, chacune d’entre nous, devrait savoir écouter les besoins de son propre esprit, de son propre corps.

Chacun et chacune devrait prendre le temps de manger, de se reposer, de se cultiver, d’avoir des relations sociales, familiales, amoureuses. Chacun et chacune devrait prendre le temps de s’épanouir pour ensuite pouvoir donner son énergie en quantité suffisante aux autres.

Difficile d’être d’une aide quelconque pour remonter quelqu’un du trou si nous-mêmes nous ne sommes plus en mesure de nous porter sur nos jambes…

Dans le prochain épisode : la valeur du secret

Lorsque l’on n’est pas soignant, il est difficile d’imaginer jusqu’où et pourquoi le secret doit aller dans la relation de soin.

Parfois, même lorsque l’on est soignant, appliquer le secret peut avoir des conséquences inattendues.

C’est ce que nous verrons dans un prochain article.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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