Pourquoi on se contrefiche souvent de savoir si vous avez une fracture de l’orteil et autres considérations sur l’opportunité des examens médicaux complémentaires
Pourquoi on se contrefiche souvent de savoir si vous avez une fracture de l’orteil et autres considérations sur l’opportunité des examens médicaux complémentaires
Vous comprendrez comme moi que mes patients soient déstabilisés lorsque je prononce cette phrase un brin provocatrice alors qu’ils n’attendent qu’une chose : qu’on leur fasse passer une radio pour savoir « si c’est cassé ».
Il s’ensuit généralement à peu près ce dialogue :
— Mais, Docteur, si c’est cassé, il faudra peut-être m’opérer.
— Non, probablement pas. Il est rare de devoir opérer un petit orteil lorsqu’on ne voit pas la fracture directement. Votre os va se réparer tout seul s’il y en a une. Nous allons simplement lui faciliter la tâche en vous bandant ensemble les trois derniers orteils.
— Et s’il n’y a pas de fracture ?
— On fera la même chose, ça permettra à vos tendons, vos ligaments et à tout le reste de cicatriser également.
— Mais alors, je ne saurai pas si c’est cassé ?
— À quoi ça vous servirait ?
— Ben…
— Vous pensez qu’après avoir fait une radio vous aurez moins mal ?
— Euh…
— Exactement. Une radio ne diminuera pas votre douleur, pas plus qu’elle ne raccourcira le temps pendant lequel vous aurez mal.
Et même si je sens bien qu’ils ont saisi le raisonnement, je perçois aussi comme une pointe de déception dans leur attitude. Ils n’auront pas d’images pour concrétiser leur douleur. Je me demande parfois s’ils ont peur qu’on ne reconnaisse pas le traumatisme comme étant réel s’ils n’en ont pas la preuve en images.
Cette situation fait souvent écho à d’autres, presque plus fréquentes encore, où des patients qui sont en traitement pour une affection connue viennent, un peu gênés, me demander de leur prescrire une IRM/un scanner/une radio/une écho/une prise de sang/insérer un autre examen complémentaire parce que leur kinésithérapeute ou leur ostéopathe trouve « que ça dure trop longtemps » et leur a « suggéré » plus ou moins fortement que c’était nécessaire parce qu’ils ne savaient plus quoi faire d’autre.
Je leur fais souvent les mêmes réponses, qui sont des questions naïves.
Pensent-ils qu’ils auront moins mal lorsqu’ils auront été passer la sacro-sainte IRM ?
Le kinésithérapeute ou l’ostéopathe changera-t-il le traitement si l’IRM montre… mais que peut-elle montrer, au juste ?
La réponse à la première question est évidente.
Quant à la deuxième, c’est là tout le nœud du problème.
On pense que l’examen va révéler une image nette et absolue de ce qui se passe dans le corps du patient et nous permettre presque comme par magie (le miracle de la technologie) de résoudre le problème.
Or, je vais choquer, mais : c’est faux.
Aucun examen médical à notre disposition n’est : omniscient (il ne montre que ce que l’on cherche), suffisamment précis (les examens d’imagerie moins encore que les examens biologiques), toujours juste (il existe aussi des erreurs dans la technologie).
Les images dont nous disposons sont l’équivalent pour le corps humain d’une reproduction de La Joconde exécutée avec des gants de boxe par un enfant de 2 ans.
C’est-à-dire que les détails sont inexistants, les nuances une simple vue de l’esprit ou une reconstruction algorithmique donc faillible, et que ce qui apparaît visible est généralement un problème suffisamment important pour confirmer simplement un doute déjà présent lors de la consultation.
Dans ces conditions, quel est l’intérêt de demander une IRM (même raisonnement pour un scanner ou tout autre examen) dans une pathologie connue (on sait que le patient a une tendinite, ou une entorse, par exemple) ?
Aucun.
Mais quel est donc l’intérêt d’un examen complémentaire en règle générale ?
C’est ce qui est vraiment important, je crois, et c’est ce que j’aimerais que tous les professionnels de santé, les médecins comme les autres (et moi compris dans le lot), aient plus à l’esprit lorsqu’ils exposent leur démarche à leurs patients.
Intérêt diagnostique
Le premier intérêt est évident, et c’est souvent celui-ci qui motive la prescription et la réalisation de l’examen.
C’est aussi évident pour les patients eux-mêmes : si on fait une radiographie d’un os fracturé, on va visualiser la fracture, on saura donc que l’os est cassé.
Les examens à visée diagnostique sont très nombreux. Imagerie, biologie par prise de sang, prélèvement d’urines, de selles, de sperme, de sécrétions nasales… ne cherchez pas, la médecine a inventé un examen pour chaque sécrétion du corps.
Ces examens sont tellement nombreux que les énumérer tous prendrait plusieurs tomes d’encyclopédie.
Et c’est justement là que le bât blesse.
Faire un examen à visée diagnostique, c’est d’abord choisir lequel. Celui qui pourra nous aider le mieux à trouver de quoi souffre notre patient, parmi les milliers possibles. Bon, j’exagère, pour chaque pathologie, il y a un petit nombre d’examens utiles, c’est vrai. Le choix n’en est pas moins difficile. Car chaque examen a ses avantages et ses inconvénients, comme nous le verrons plus loin.
Cependant, si tous les médecins peuvent vous raconter des histoires où un examen complémentaire a permis de faire un diagnostic alors que personne n’y avait pensé, tous les médecins vous diront aussi que cela représente moins de 1 % des cas. Et tous vous diront aussi que dans les 99 autres cas sur 100, l’examen complémentaire a juste confirmé ce qu’ils avaient déjà compris grâce simplement aux informations qu’ils avaient recueilli après avoir interrogé et examiné correctement leur patient.
Dans ces cas-là, l’examen n’a finalement été utile que pour confirmer l’impression du médecin, voire écarter une autre hypothèse diagnostique, proche mais plus grave par exemple.
Car les examens complémentaires sont vraiment intéressants dans une situation très particulière que l’on appelle le diagnostic différentiel.
Parce que les patients souffrent rarement de symptômes correspondant parfaitement à ce qui est enseigné dans les livres de médecine et sur les bancs de la faculté, le médecin se retrouve souvent avec plusieurs hypothèses diagnostiques en tête, qu’il va hiérarchiser du plus grave au plus bénin mais aussi du plus probable au moins probable. Et il va s’aider d’examens complémentaires bien choisis pour faire le tri parmi ces hypothèses et trouver celle qui correspond le mieux à l’état de son patient.
Bien évidemment, là encore, le choix de l’examen ou des examens complémentaires est crucial. Il ne peut pas se faire au petit bonheur la chance, ou être exhaustif « au cas où », parce qu’il existe tant d’examens possibles qu’il faudrait découper le patient en tranches fines et attendre plusieurs mois avant d’avoir fini de tout examiner au microscope, si tant est qu’on puisse trouver la réponse avant que le patient ne guérisse spontanément… ou ne meure de sa pathologie…
Intérêt thérapeutique
Un examen complémentaire peut aussi avoir un intérêt thérapeutique, lorsqu’il permet de guider le traitement d’une affection déjà connue et diagnostiquée, en précisant par exemple l’étendue des zones atteintes, ou en allant chercher le type exact d’une bactérie responsable d’une infection, avec en prime la liste des antibiotiques qui ont une efficacité sur cette bactérie et celles auxquelles le germe est résistant.
Ce genre de bénéfice est le plus intéressant.
Comme le médecin a souvent une bonne idée du diagnostic ou du moins de la catégorie de diagnostics dont souffre le patient, il sait déjà quel type de traitement va être efficace. Mais l’examen complémentaire va lui permettre de cibler plus précisément la thérapeutique à employer. Ainsi, il aura plus de chances de régler le problème en minimisant les effets secondaires du traitement.
Encore faut-il que l’examen n’ait pas plus d’effets secondaires que ce dernier…
Intérêt sur le suivi
Enfin, un troisième cas peut se présenter où un examen complémentaire est utile : lorsqu’il aide à suivre l’évolution d’une pathologie, et donc à adapter le traitement en fonction de la façon dont le patient réagit.
C’est par exemple le cas des dosages réguliers des hormones thyroïdiennes quand on doit en prendre pour substituer le fonctionnement défaillant de sa propre thyroïde, ou du dosage de glycémie quand on est diabétique. C’est le cas des imageries répétées lorsque l’on est en cours de chimiothérapie lors d’une pathologie cancéreuse.
Souvent, le rythme auquel on effectue ces examens est codifié dans des protocoles qui ont été pensés et validés pour maximiser le bénéfice attendu et minimiser les effets secondaires.
Les risques des examens complémentaires
Car, hélas, tous les examens complémentaires ont des effets secondaires.
Un examen complémentaire est un peu comme un médicament.
Chacun d’entre eux peut être extrêmement utile, mais en contrepartie, chacun expose à des risques différents, des risques dont il est nécessaire d’être conscients avant de les pratiquer, mais surtout avant même de les prescrire. Ou de les conseiller si l’on n’est pas le prescripteur.
Et vous allez voir que ces effets négatifs sont plus nombreux que ce que l’on peut croire au premier abord.
Ne rien trouver : les faux négatifs
Comme je vous l’ai dit, nombre des examens dont nous disposons ne sont pas très précis.
Même si l’on n’en est plus à goûter les urines pour y détecter un goût de sucre ou d’ammoniac, comme au moyen âge, nos moyens sont plus limités qu’il n’y paraît.
Chaque examen possède ce que l’on appelle une sensibilité. C’est tout simplement son seuil de détection.
Tout comme votre œil ne peut pas distinguer une épingle perdue au milieu d’un carrelage à dix mètres de distance, une radio ne peut voir que ce qui est calcifié, un scanner ne pourra pas distinguer les détails plus petits que le millimètre, et une IRM aura du mal à précisément délimiter certaines zones de tissus différents.
Quant aux seuils de détection des examens des fluides biologiques, ils ont un problème différent : l’établissement d’une norme, d’une zone de normalité et de zones d’anormalité.
Pour être plus clair, mettons que vous désiriez mesurer le taux de sucre dans le sang.
Comme votre organisme consomme du sucre en permanence, et qu’il en mobilise en permanence aussi depuis les stocks qu’il a constitués depuis la dernière fois que vous avez mangé, ce taux fluctue à chaque instant. Mais la mesure, elle, sera faite à un seul de ces instants. Avec une précision qui n’est pas absolue (quelle est la sophistication de votre appareil ? Est-il récent ? Est-il bien entretenu ?). Le chiffre que vous allez obtenir n’est donc au mieux qu’une approximation de la réalité, une estimation. Et depuis que nous avons parlé ensemble de quantified self, vous savez quel crédit limité il faut accorder aux chiffres, et surtout aux normes.
Ainsi donc il se peut que la sensibilité de votre examen soit assez faible.
Cela signifie que l’examen que vous avez choisi d’effectuer ne détecte pas un problème qui existe bel et bien.
La radio ne verra peut-être pas votre fracture. L’IRM ne montrera pas votre tendinite pourtant si douloureuse car le tissu sera mal visualisé, ou trop petit.
Dans ce cas, non seulement vous avez effectué l’examen pour rien, mais encore, et c’est plus grave, vous êtes faussement rassuré. Pire, cet examen faussement négatif va vous entraîner sur de fausses pistes. Car vous allez le considérer comme ayant éliminé une hypothèse, alors qu’en réalité il n’en est rien.
Cela peut parfois entraîner des retards de diagnostic assez lourds de conséquences.
Trouver quelque chose qui n’existe pas : les faux positifs
Mais l’inverse est aussi vrai.
Un examen peut vous montrer quelque chose qui n’existe pas.
C’est difficile à croire, je sais, et pourtant.
Les faux positifs, comme nous les appelons, sont très répandus.
Car un examen possède également, en plus de sa sensibilité, sa spécificité.
Certains paramètres biologiques peuvent être augmentés ou diminués de façon artificielle par d’autres causes que la pathologie soupçonnée. Par exemple, l’augmentation du nombre de globules blancs dans le sang, caractéristique d’une infection peut aussi être due… à la prise de cortisone… Si vous avez basé tout votre raisonnement sur cet examen-là, vous vous êtes plantés, et vous avez diagnostiqué une infection fantôme… car elle n’existe pas.
Plus parlant encore, une simple radiographie peut vous montrer des images pouvant ressembler à un cancer (« mais qu’est-ce que c’est que cette grosse tumeur sur la troisième côte à droite ? ») alors qu’il s’agit simplement de la superposition de deux côtes parfaitement normales sur l’image en deux dimensions obtenue lors de l’examen par la mise à plat des projections des rayons sur le film photographique. Si vous avez pris ces deux côtes pour une tumeur osseuse, vous avez fait opérer votre patient pour rien… ou bien vous l’avez envoyé en chimiothérapie pour moins encore…
Un faux positif a conduit votre raisonnement dans une autre impasse : vous avez déclenché un traitement sans fondement, et donc exposé votre patient à des effets indésirables sans aucun bénéfice, puisqu’il n’avait rien. Je ne parle même pas du coût des examens, du coût des traitements qui s’en sont suivis, ni du coût pour le patient dans sa qualité de vie, son temps, son activité professionnelle, familiale, etc.
Si l’on ne s’en rend pas compte toute de suite, ça peut même vous étonner que la tumeur ne régresse pas… et pourtant, ce n’est pas étonnant, puisqu’elle n’existe pas…
Les effets indésirables
Plus fort encore : un examen a des effets indésirables propres. Comme un médicament.
Une radiographie, une simple radiographie, comme un scanner d’ailleurs, qui n’en est qu’une version plus sophistiquée, vous balance allègrement des rayons X à travers le corps, ce qui a une fâcheuse tendance à faire muter votre ADN pour en faire potentiellement naître des cancers…. Comme si vous alliez faire un petit tour rapide à Tchernobyl. Bien sûr, les doses ne sont pas les mêmes et une radio va valoir un séjour d’une infime nanoseconde à Tchernobyl, mais ce qu’il y a de « bien » avec les rayons X, c’est que ses doses se cumulent avec le temps, tout au long de la vie. Donc si vous faites de nombreuses radios dans votre vie, en plus de quelques scanners, votre séjour virtuel au cœur de l’Ukraine irradiée sera peut-être au final de quelques minutes. C’est vrai, on ne sent rien et on a tous l’impression qu’une radio c’est comme une photo. Ce n’est pas tout à fait le cas. Pour vous expliquer en détail ce qu’est une radiographie, un scanner, et pourquoi les doses d’irradiation sont limitées, comment les rayons X agissent sur votre corps, mon confrère @RadioactiveJib nous a fait un topo particulièrement didactique à ce sujet. Allez donc lire son article qui sera plus scientifique que le mien tout en étant parfaitement clair.
Une IRM vous place au cœur d’un champ magnétique intense inconnu dans la nature. Vous avez peur des ondes dégagées par le champ magnétique du pylône électrique près de chez vous ? Imaginez-vous qu’une IRM c’est comme si vous étiez coincé à l’intérieur de trois pylônes placés les uns à côté des autres…
Une prise de sang, ce n’est jamais très agréable car ça fait mal. Mais ce n’est pas le plus ennuyeux, car il peut arriver (rarement mais ça arrive) qu’en même temps que l’aiguille une bactérie pénètre dans votre peau puis dans votre sang, déclenchant une infection, un abcès bien gros, bien chaud, bien douloureux et rouge, que l’on devra traiter avec un antibiotique qui vous donnera mal au ventre et la diarrhée en plus de la fièvre qui vous clouera au lit. Et encore, ça pourrait être pire car si la bactérie en question entre vraiment dans votre sang, vous serez atteint de ce qu’on appelle une septicémie et vos chances de survie seront comptées.
Certes, tous ces risques sont peu probables et je les grossis ici à dessein, mais ils existent bel et bien. La probabilité de leur survenue n’est pas forte, mais suffisamment pour que l’on prenne le temps de songer à chaque fois que l’on va prescrire ou conseiller l’un de ces examens. Est-ce que le jeu en vaut bien la chandelle ?
Est-ce que voir la fracture de votre petit orteil vaut un voyage d’une nanoseconde à Tchernobyl ?
Trouver quelque chose dont on ne saura pas quoi faire
Il arrive parfois qu’un examen montre quelque chose que l’on n’attendait pas.
Comme des os surnuméraires, ou une malformation.
Car si les examens ont une sensibilité et une spécificité limitées, ils sont quand même meilleurs que les yeux du médecin (qui n’aurait jamais pu penser que vous aviez des os en surnombre en vous regardant). Et s’ils existent et sont encore prescrits, ce n’est pas simplement parce que les médecins obéissent aux pressions des kinésithérapeutes ou des patients. C’est aussi et surtout parce qu’ils rendent des services comme nous l’avons vu plus haut.
Un examen peut donc montrer quelque chose que l’on n’attendait pas.
Quelque chose d’utile, en faisant ce que l’on appelle un diagnostic fortuit, qui va déboucher sur un traitement peut-être plus précoce d’une anomalie pathologique.
Mais aussi parfois quelque chose d’inutile, qui va angoisser le patient pour rien. Parce que franchement, la majorité des os surnuméraires ne sont pas pathologiques et ne vont rien changer à votre vie. Ou certaines « malformations » qui sont juste des variantes anatomiques possédées de façon physiologique par un certain pourcentage de la population sans jamais entraîner de conséquences graves.
Plus étonnant, parfois un examen peut montrer quelque chose dont on ne sait pas quoi faire.
Une anomalie ni pathologique ni physiologique, que l’on ne comprendra pas, qui n’avait jamais donné de symptôme auparavant, mais qui va inquiéter le patient tout comme elle va interroger le médecin qui ne saura pas s’il faut intervenir ou respecter cette étrangeté.
Et pour la comprendre, cette anomalie, il va sûrement falloir d’autres examens, avec d’autres risques, et peut-être des traitements, avec encore d’autres risques. Et l’on ne saura jamais si, dans le cas où l’on n’avait pas fait le premier examen, cette anomalie aurait jamais été pathologique ou physiologique. Donc si l’on n’a pas fait courir des risques inutiles au patient.
L’interprétation
Mais il y a une cerise sur le gâteau.
Un examen complémentaire c’est comme un poème, ou un tableau, un roman ou une pièce de théâtre. Il faut le décoder. Il faut le comprendre. Il faut l’interpréter !
Vous avez sûrement déjà lu des comptes-rendus de radiographies : on dirait une langue étrangère pleine de néologismes en latin et en grec, avec des mots à remporter haut la main une partie de Scrabble avec un académicien. Vous êtes rassurés parce que le médecin, lui, comprend cette langue (parfois même il la parle devant vous).
Et pourtant tous ces mots décrivent simplement ce que la radiologue a vu et compris de l’examen. C’est une interprétation des images. Une traduction. Et sachez qu’il peut y avoir d’autres traductions, d’autres interprétations. Comme pour un texte ancien et compliqué. Parfois, deux traducteurs peuvent ne pas être d’accord dans leurs interprétations du même examen. Parfois dramatiquement en désaccord.
Certains traducteurs oublient des mots, d’autres en rajoutent.
Certains interprètes ne voient pas des signes sur une radio, alors que d’autres en voient qui n’existent pas.
Tout est l’affaire de l’interprétation de celui qui fera la synthèse entre le résultat de l’examen, le compte-rendu, les autres examens éventuels, l’examen clinique du patient et ce qu’il lui aura raconté de la façon dont les symptômes sont apparus.
C’est pour cela que la médecine est un art autant qu’une science.
Jusqu’à ce qu’une I.A. remplace à la fois les radiologues et les cliniciens…
De la même façon, un examen biologique va ramener une longue liste de paramètres chiffrés, dont vous allez anxieusement surveiller s’ils sont dans la fourchette normée fournie en face par le laboratoire. Et si le chiffre sort de la norme, là, c’est la panique. Le paramètre est anormal.
Oui. Mais souvenez-vous que la notion de norme est plus floue qu’il n’y paraît, et que la célèbre courbe de Gauss est toujours présente lorsqu’il s’agit de comparer le vivant.
Parfois, un paramètre qui semble anormal ne l’est pas tant que ça, et parfois, un paramètre normal peut interroger autant que s’il était anormal.
Alors, radio ou pas ? la balance bénéfice-risque
Vous pouvez voir que les choses ne sont pas aussi simples qu’on le voudrait.
Que prescrire et effectuer un examen complémentaire comme une simple radio n’est pas sans conséquence, pas si anodin.
À chaque fois, il faut faire le tri entre les risques et les bénéfices possibles, les mettre en balance, les peser intelligemment et posément, sans se laisser guider par une émotion qui entraverait le jugement.
La réflexion doit être méthodique et prendre en compte à la fois les éléments psychologiques du patient, les éléments de son histoire, de son milieu, de ce que l’on a trouvé en l’examinant, les paramètres médicaux de ses antécédents, de la pathologie que l’on suspecte, des traitements éventuels. C’est un pari sur ce que l’on veut chercher et pourquoi on veut le chercher.
Si l’on veut traiter correctement une fracture d’un orteil, doit-on faire une radiographie au risque d’irradier le patient ? Ou peut-on faire autrement ?
On peut alors s’aider, que l’on soit patient ou médecin, prescripteur ou paramédical, en se posant quatre questions très simples, que je tire du Journal of American Medical Association (article de 2015, écrit par Aria A. Razmaria) :
Quels sont les risques de cet examen ou de ce traitement ?
Dans le cas de votre orteil, les risques sont l’irradiation due à la radiographie, le faux négatif possible si la fracture est trop petite.
Comment ce test ou ce traitement va-t-il m’aider ?
En montrant la fracture. C’est le seul bénéfice éventuel.
Existe-t-il une option alternative ?
Bander l’orteil pour favoriser sa réparation et la consolidation de l’os en 6 à 8 semaines.
Que se passerait-il si on ne faisait pas ce test ou ce traitement ?
L’os consoliderait tout de même en 6 à 8 semaines. Dans de rares cas, la consolidation se ferait plus lentement, ou alors provoquerait de l’arthrose à long terme (fracture articulaire).
L’évaluation du risque et du bénéfice se fait alors de manière guidée, et l’on peut prendre une décision posément, en voyant pourquoi il est rarement intéressant de faire une radiographie d’un orteil après un traumatisme.
On peut suivre ce raisonnement dès que l’on sent que l’on aimerait compléter notre impression clinique.
Et surtout en étant conscient des motifs qui nous font penser à faire un examen complémentaire : est-ce vraiment pour aider le patient, ou pour faire taire notre propre anxiété de soignant ?
Conclusion : L’IRM, c’est pas toutes les semaines
Je voulais trouver un meilleur slogan, mais c’est celui qui se rapproche le plus du fameux « les antibiotiques, c’est pas automatique ».
Et c’est une bonne façon de résumer ma pensée.
Pourtant, au fond, le véritable problème n’est pas la croyance que certains soignants peuvent avoir en l’efficacité presque magique des examens complémentaires, d’imagerie ou de biologie.
Le problème vient souvent d’une impatience.
Une impatience compréhensible du côté du patient, qui voudrait être le plus rapidement possible guéri de son problème, traumatisme ou maladie. Même si l’on peut aussi trouver que notre société encourage une impulsivité particulièrement forte et nous a enlevé la sagesse de comprendre que le temps doit faire son œuvre, on peut excuser cette volonté chez quelqu’un qui souffre.
Mais cette impatience est plus difficile à accepter lorsqu’il s’agit de soignants. Être empathique avec son patient ne veut pas dire adhérer à toutes ses demandes, qu’elles soient formulées ou non, notamment celle de la rapidité. Vouloir le guérir de notre mieux, lui éviter de souffrir le plus possible, c’est humain et ce sont des qualités indispensables pour un soignant. Mais nous devons faire un travail sur nous-mêmes pour accepter que nous ne maîtrisions pas tout, et surtout pas le temps de guérison ou de soins du patient.
Si une entorse met 3 mois à guérir chez une patiente, ce n’est pas un drame non plus. C’est peut-être son rythme propre. Et point n’est besoin de recourir systématiquement à une IRM qui ne nous montrera rien de plus que ce que l’on sait, pour calmer notre propre anxiété de soignant. Nous devons être plus attentifs à nos propres angoisses, afin de ne pas les confondre avec la légitime et perpétuelle remise en question de notre propre diagnostic. Car autant il est bon de sans cesse questionner le diagnostic que nous avons nous-mêmes posé afin de ne pas méconnaître une autre possibilité qui aurait pu nous échapper précédemment, autant céder à notre désir de puissance et notre impulsivité est délétère pour le patient, en lui faisant prendre des risques inconsidérés dont nous serions les uniques responsables.
Un soignant porte une responsabilité fondamentale, qu’il soit prescripteur, effecteur ou simple « conseilleur » : ne pas nuire à son patient sous prétexte de l’aider. C’est ce qu’un de mes maîtres appelle la bienveillance de deuxième niveau. Cette bienveillance qui comprend que pour réellement aider le patient, il faut parfois savoir accepter que certaines choses doivent être supportées ou laissées en l’état. Cela demande une bonne dose de confiance en soi balancée avec une capacité à se remettre en question et à interroger en permanence ses choix, ses ressentis et la mise en rapport entre les bénéfices et les risques potentiels. C’est un chemin particulièrement étroit que celui de soigner avec empathie sans jamais se départir d’une vision stratégique globale qui protège les intérêts du patient.