Noé, de Darren Aronofsky
Noé, de Darren Aronofsky
On savait Darren Aronofsky attiré par les sujets mystiques.
Après Pi et la recherche du nombre de Dieu, puis The Fountain et sa quête d’immortalité dans une histoire métaphorique s’étalant sur trois époques, il vient de poser une troisième pierre à ce chemin exploratoire avec la mise en images du célèbre passage du Déluge biblique.
Comme tout le monde, je connaissais la légende : Noé fut choisi par Dieu pour construire une Arche capable de sauvegarder un couple de chaque espèce de la Création du Déluge liquide que le Très Haut allait précipiter sur la Terre pour punir les Hommes de leurs crimes. Mais Aronofsky y a intégré des choses moins connues, comme la Chute des Anges (les Nephilim de la Bible) et la descendance de Caïn.
Comment faire un film sur ce sujet sans tomber dans l’hagiographie facile ou la ré-écriture ratée façon 2012 ?
Un récit biblique et intimiste à la fois
Tout d’abord, Aronofsky aurait eu l’idée de ce film il y a très longtemps, puisqu’il aurait écrit un poème sur le sujet dans son enfance. Puis il a travaillé sur une bande dessinée sortie en 2011 et qui a semble-t-il été la base de son travail graphique. On comprend donc que ce n’est pas un film de commande.
Et en effet on ne se trouve pas devant un simple péplum auquel la distribution et surtout la présence charismatique de Russell Crowe aurait pu le faire croire.
Tout en développant son propos, Aronofsky s’attache aussi à décrire des personnages plus complexes qu’il n’y parait. Noé à la fois pétri de doutes sur sa compréhension de la volonté divine et soumis à ses commandements, sa femme à la fois aimante et forte, ses fils aux caractères contrastés, sa fille adoptive (Emma Watson qui essaie de sortir du rôle d’Hermione Granger, avec succès il faut le reconnaitre) mutilée dans sa féminité, et un Tubal-Caïn à la fois cynique et admirable de volonté, forment une troupe hétéroclite qui ressemble à un théâtre des relations et des émotions humaines.
On retrouve vraiment quelques traits de The Fountain dans ce drame intimiste plongé dans une histoire si immense qu’elle l’en magnifie. Le conflit entre Cham et Noé, les doutes de Noé, l’amour démesuré que lui prête sa femme, font écho à la quête désespérée du personnage de Hugh Jackman pour guérir sa compagne jouée par Rachel Weisz à travers plusieurs siècles et trois époques.
Les Arbres de Vie et de Connaissance de la Genèse ressemblent beaucoup à celui qui était la source de tout dans The Fountain.
On a vraiment l’impression que les deux films se parlent et se répondent dans cette façon qu’a Darren Aronofsky de plonger des êtres humains dans des défis épiques qui révèlent leurs fragilités internes.
Et pour autant, comme dans The Fountain et comme dans Black Swan, l’action n’est jamais ennuyeuse. On n’a pas à faire à un casse-tête empli de pathos, mais bien à une aventure vivante et remplie d’émotions fortes.
Au-delà de l’interprétation qui peut être faite sur la radicalité « éco-terroriste » qui s’empare progressivement du personnage de Noé certaines images, certaines scènes, m’ont vraiment frappé.
Mathusalem est thaumaturge puisqu’il a le pouvoir de guérison (attribué plus tard aux Rois de France, d’ailleurs); il a un rôle extrêmement fort même si Anthony Hopkins fait peu d’apparitions à l’écran.
Le Fruit défendu n’a que vaguement une ressemblance avec une pomme, et prend la forme d’une grenade ou même d’un cœur humain.
Le Serpent mue avant de devenir maléfique, comme s’il était doté d’une double nature.
Les Anges Déchus sont prisonniers de la matière au sens propre du terme.
Les femmes, bien que peu nombreuses, ont un rôle déterminant puisque c’est par elles que la rédemption s’accomplit : à travers la femme de Noé, sa fille adoptive, à travers le personnage de Na’el. Leur amour rend les hommes du récit moins brutaux.
C’est d’ailleurs aussi au jeu des interprètes que l’on doit la force de ce film.
Russell Crowe est très convaincant, mais c’est Jennifer Connelly qui fait vraiment forte impression. Les deux acteurs avaient déjà été « mariés » à l’écran dans A Beautiful Mind de Ron Howard, ce qui explique peut-être la complicité et l’amour que l’on ressent entre les deux personnages. Le personnage que Jennifer Connelly incarne a pourtant un caractère très fort qui la rend capable de tenir tête à Noé.
La réalisation
La lumière joue un grand rôle dans la caractérisation des lieux et des ambiances : comme dans tous ses films, Aronofsky joue de la qualité lumineuse pour suggérer. Le noir et blanc dans Pi fait place dans Noé à une ambiance crépusculaire terne et froide de fin du monde contrastant avec les séquences de flashback racontant la Genèse qui sont soit en couleurs vives avec une légère diffusion de la lumière, soit en ombres chinoises. Et la fin, toute tournée vers le renouveau, la fois de la famille de Noé et du monde dans son ensemble, bénéficie d’une lumière plus chaude.
La bande son et la musique sont aussi parfaitement utilisées, de même que le silence, parfois si assourdissant. Le vieux complice Clint Mansell est encore une fois aux commandes.
Ils en parlent encore mieux que moi
L’école des lettres, le Huffington Post, entre autres, sauront vous en dire plus.
Mais le plus important sera sans doute de vous en faire une idée vous-même.
La Bande Annonce
Même si elle ne rend pas vraiment justice au film, car on croirait plus à un remake de Gladiator…