Deux mains, une évolution

par Mar 24, 2020Le Serpent d'Hippocrate2 commentaires

J’écris cet article lors du sixième jour de confinement décrété en France pour endiguer l’épidémie provoquée par le virus SARS-Cov-2. Une épidémie qui a débuté en décembre 2019 en Chine, dans la ville de Wuhan, province du Hubei, pour devenir une véritable pandémie depuis lors, la première de cette importance depuis très longtemps.

Il n’est pas encore temps de tirer les conclusions de cette crise majeure pour plus d’un milliard de personnes de par le monde. Hormis dans le foyer originel de l’épidémie et en Corée du Sud, le virus est encore très actif et provoque toujours de très nombreux cas de pneumopathies et de syndromes de détresse respiratoire aiguë. Nous sommes en plein milieu du gué, en plein cœur de la tempête. Nous ne pouvons pour l’instant que faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que l’épidémie cause le moins de dégâts humains possible.

Je ne vais pas discuter ici de la pertinence ou de la non-pertinence des choix qui ont été faits et assumés pour endiguer les contaminations. Ce sera l’objet, je crois, de nombreuses discussions une fois que la vague sera derrière nous, et je suis sûr que nous y consacrerons tous du temps et de l’énergie. Je crois que dans une crise, il n’est pas d’autre choix que de se soutenir tous, d’être tous conscients qu’on fait de son mieux avec ce qu’on a. Il sera temps ensuite de porter des jugements sur ce qui a été fait, ce qui aurait pu être évité et ce qui aurait dû être accompli.

D’en tirer des leçons pour l’avenir.

Il sera bien, à ce moment-là, que nous écoutions ceux dont le métier est justement de prévenir et de traiter ce genre de crise majeure. Je ne parle pas des politiques, mais des infectiologues et des épidémiologistes. N’étant ni l’un ni l’autre, je ne m’avancerai pas avant eux.

Cependant, mon métier de soignant, de médecin généraliste plus particulièrement, me met dans une position très singulière dans cette période étrange que l’on croirait tout droit sortie d’un film catastrophe hollywoodien.

J’ai à ce jour certainement été en contact avec le fameux virus. J’ai eu de nombreuses présomptions concernant des patients, qui hélas n’ont pas pu être soumis à un test biologique puisque la conduite actuelle dans notre pays est de ne dépister que les cas graves. Et honnêtement, je suis heureux de n’avoir pour l’instant eu à déplorer aucun cas de pneumopathie virale due au SARS-Cov-2 parmi mes patients.

Mais j’ai été en contact. Avec mon pauvre masque chirurgical et mon savon, du désinfectant pour les objets et quelques règles de conduite. Je fais ce que je peux, avec les moyens qu’on me donne, en essayant de protéger mes patients, mais aussi mes proches, ma famille, et moi-même en premier lieu. Car, rappelez-vous, soigner commence par prendre soin de soi-même.

Ces quelques jours ont été un peu surréalistes pour moi comme pour tout le monde.

Je suis allé travailler dans mon cabinet médical vidé de ses paramédicaux à part les infirmières, en traversant des villages presque déserts, j’ai vu nombre de patients par téléconsultation en mode “dégradé” c’est-à-dire sans pouvoir les examiner, ce qui enlève une bonne partie des informations qui me permettent en général de faire un diagnostic à peu près juste. J’ai aussi constaté que l’épidémie n’empêchait pas les autres pathologies d’apparaître. J’ai compris que le confinement était une épreuve extrêmement violente pour les personnes psychiquement fragiles ou isolées habituellement. J’ai touché du doigt ce que cela peut vouloir dire de “faire de la médecine de brousse” sans plus de radiologue disponible ni de biologie possible. On doit se reposer uniquement sur la présentation clinique des patients, et souvent, comme je l’ai dit plus haut, sans les examiner, ou si peu.

Pourtant, ce n’est pas cela qui me frappe le plus.

Ce que je retire de plus marquant d’ores et déjà de cette pandémie tient à trois réflexions que je voulais partager avec vous, car je suis certain qu’elles devront faire partie de nos changements individuels comme collectifs une fois que nous aurons surmonté l’épreuve.

Je crois que, même au milieu de la tempête, nous avons besoin de mettre un peu de sens à ce que nous vivons. Et j’espère que nous trouverons tous un sens à cela.

Le sens que j’aimerais donner à cette crise, pour me donner espoir, est que ce que nous vivons ici doit nous servir pour l’après. J’aimerais aussi, mais c’est là à mon avis une nécessité si nous voulons apprendre de ce que nous vivons, que ces constats soient partagés par le plus grand nombre.

L’hygiène de base : une redécouverte bienvenue

Cela fait des années que je ne cesse de le marteler : se laver les mains devrait être un réflexe chez tout le monde. Et ce réflexe était en train de se perdre avant que la pandémie n’apparaisse.

Ces dernières années, le nombre de cas de gastro-entérites virales n’a cessé d’augmenter dans mes consultations. Leur prévalence tout au long de l’année a également changé. Lorsque dans les années 2000 nous avions à soigner deux épidémies par an, une en été et une en hiver, nous avions avant la pandémie Covid-19 des cas toute l’année. Je n’ai pas fait d’étude épidémiologique sur cet état de fait, mais il est une chose certaine : les virus de gastro-entérite se transmettent, pour la grande majorité d’entre eux, par contact. C’est-à-dire que si l’on se lave les mains correctement, on ne transmet pas sa gastro-entérite, et on n’en attrape pas.

Le simple lavage des mains pourrait éviter également d’autres maladies infectieuses : les salmonelloses, la typhoïde, la toxoplasmose, les conjonctivites bactériennes et virales, plusieurs parasitoses intestinales, les oxyures qui touchent les enfants mais aussi les adultes. Et j’en passe…

Se moucher ou tousser dans son coude pourrait aussi éviter bien d’autres pathologies, outre les rhumes (et d’autres coronavirus) : la rougeole, des pneumopathies à streptocoque et à germes dits “atypiques”… Prévert aurait pu faire un inventaire assez large.

Alors je fais un rêve, celui que tous nous gardions ces habitudes que le SARS-Cov-2 a remis au goût du jour.

Et j’ose une prédiction si nous y parvenons : étonnamment nous devrions remarquer une baisse des pathologies infectieuses bénignes (et quelques unes moins bénignes car on peut mourir de certaines d’entre elles) dans les années qui suivront, ce qui économisera des soins et permettra de mieux utiliser le temps médical dont nous disposons en période de tension démographique.

Les maladies infectieuses à l’ère moderne

Un autre petit rappel bienvenu que nous envoie cette pandémie : oui, sur notre planète, il existe encore des micro-organismes et il en existera toujours. Ce qui veut dire que nous allons devoir réapprendre à vivre avec cette menace que nous avions crue révolue depuis que la science nous a apporté les antibiotiques puis les antiviraux.

Non, nous n’éradiquerons pas toutes les maladies infectieuses, même si nous sommes beaucoup mieux armés qu’il y a un siècle pour les combattre.

Raison de plus pour nous mettre à enfin utiliser des gestes simples qui permettent d’éviter d’être contaminés et de contaminer les autres, certes.

Mais plus encore, nous devons vraiment revoir notre façon de considérer les molécules antibiotiques et antivirales dont nous avons la chance de disposer. Ce ne sont pas, et nous ne devons plus les voir comme, des choses anodines. Ces molécules sont là pour sauver nos vies lorsque cela est nécessaire. Elles sont rares (trop rares, et je rappellerais que depuis 20 ans, aucune nouvelle famille d’antibiotiques n’a été découverte par la recherche, et ce n’est pas faute de chercher). Elles sont donc des ressources précieuses. Elles doivent faire partie des trésors de l’Humanité et donc considérés comme tels. Elles devraient être partagées et mises à la disposition de tous, mais surtout elles devraient faire l’objet d’une plus grande sagesse dans leur utilisation.

Déjà et depuis de très nombreuses années, l’OMS comme d’autres instances médicales alertent sur le développement des résistances acquises par les bactéries envers les antibiotiques. Le taux de bactéries multirésistantes, voire super-résistantes (échappant à tous les antibiotiques connus), est en explosion à travers le monde.

Ce que nous vivons ici avec un virus (les antiviraux dont nous disposons ne sont pas aussi efficaces ni aussi faciles à manier que les antibiotiques que nous utilisons contre les bactéries), nous pourrions le vivre aussi face à une bactérie super-résistante, avec un taux de mortalité bien supérieur. Et cela pourrait être bien pire que le Covid-19.

Pour éviter cela, mieux vaut économiser nos armes, éviter que les bactéries ne s’habituent à elles et n’y trouvent des parades. Donc, de grâce, continuons à diminuer notre recours aux antibiotiques. De grâce, cessons de réclamer à tout bout de champ à notre médecin qu’il nous en prescrive pour un simple rhume sous prétexte que chez nous “ça se surinfecte toujours”. Car ce n’est pas vrai. Il est rare qu’un rhume se surinfecte vraiment, hormis si vous souffrez d’une baisse immunitaire due à un traitement immunosuppresseur pour une greffe d’organe ou une chimiothérapie.

Si nous économisons nos antibiotiques et nos antiviraux, nous n’aurons pas à retourner à une époque où, il n’y a pas si longtemps, à peine un siècle, un panaris pouvait entraîner la mort par septicémie ou une simple infection urinaire mener à la dialyse (encore qu’il y a un siècle nous n’avions pas accès à la dialyse, c’était donc une insuffisance rénale terminale qui attendait les gens, avec un tableau sympathique de troubles cognitifs et mentaux avant d’entraîner un coma et la mort).

Nous refusons d’être malades, comme si nous étions des dieux, alors nous croyons que nous pouvons tuer même les rhumes. Mais, breaking news, nous sommes mortels, et surtout, nous ne sommes pas des dieux. La maladie est notre lot commun. Nous avons même un moyen naturel de la combattre, qui s’appelle un système immunitaire. Il a justement évolué au cours des millénaires et des siècles pour nous aider à combattre les maladies infectieuses. Certes, de façon imparfaite, mais il nous protège tout de même assez efficacement, et hormis complications, nos rhumes classiques n’entraînent pas la mort. Laissons donc notre système immunitaire faire son travail dans les cas bénins, et réservons les armes antibiotiques et antivirales pour les cas où notre vie est réellement en danger. Laissons le temps faire. Car notre corps peut parfaitement se remettre d’un rhume simple si on lui laisse assez de temps, ce qui veut dire d’accepter de ne pas être à 100 % de nos capacités pendant quelques jours, voire semaines, voire de prendre deux jours de repos complet au lit sans pouvoir rien faire d’autre que nous soigner pour guérir. Cela veut dire accepter de n’être pas parfaits. D’être humains, et pas des machines à produire et à consommer.

Mais ça, je sais que ce sera dur pour nos sociétés consuméristes.

C’est pourtant une vraie chance d’en prendre conscience.

Pour en revenir aux virus, ces animaux parasites dont fait partie SARS-Cov-2, soyons reconnaissants qu’ils nous aient plutôt épargnés cette fois-ci. Aussi dure soit la situation actuelle, pensons à ce que cela a été en 1918 et 1919, lors de la grippe dite “espagnole” qui a décimé 50 millions de personnes à l’époque, soit plus de deux fois plus que la Première Guerre mondiale pourtant appelée Grande Guerre, et presque autant que la Deuxième. Pensons à ce que cela signifie en Afrique de vivre une épidémie causée par le virus Ebola dont le taux de létalité de 80 % fait passer SARS-Cov-2 pour un petit joueur, alors que déjà le Covid-19 nous arrache nos parents et sature les capacités de réanimation de nos systèmes de santé. Imaginons ce que nous aurions pu vivre si SARS-Cov-2 avait un taux de létalité, mettons “seulement” de 30 % : au moment où j’écris ces lignes, nous en serions à 81 409 morts dans le monde dont 4337 rien qu’en France.

Cette pandémie nous prépare.

Elle nous prépare à la véritable pandémie qui pourrait survenir si nous ne prenons pas garde.

Elle nous permet de savoir que nous sommes capables de séquencer un génome viral très rapidement, donc de trouver le moyen de repérer le virus chez des personnes infectées, parfois même avant que les symptômes ne se déclarent. C’est une avancée majeure qui permet de se défendre bien mieux qu’on ne pouvait l’espérer.

Elle nous permet de savoir ce qu’il faudrait faire si un virus plus meurtrier apparaissait. Et je crois qu’on a encore du boulot.

Elle nous permet surtout de prendre conscience du fait que les micro-organismes, bactéries comme virus, font partie de notre écosystème, et que si nous bouleversons par trop cet écosystème, ils pourraient échapper à leur niche actuelle.

D’après ce que l’on sait au moment où j’écris cet article, SARS-Cov-2 serait originellement un virus de chauve-souris ayant muté en franchissant la barrière d’espèce vers le pangolin. Et ce serait parce que des gens ont été braconner des pangolins en Malaisie pour en vendre la viande sur un marché de Wuhan que le virus se serait adapté à notre physiologie, traversant à nouveau la barrière d’espèce pour nous infecter à notre tour.

Donc si ce cheminement a réellement donné naissance au virus contre lequel nous devons lutter, cela veut dire que nous sommes victimes tous, collectivement, de notre propre bêtise. Parce que certains d’entre nous prennent la nature comme un supermarché dont on peut abuser sans vergogne, nous voilà sous la menace d’un virus qui a déjà chamboulé la vie d’un milliard d’êtres humains sur la planète et menace les économies de très nombreux pays…

Ave Gaïa

Ce qui m’amène donc à ma troisième réflexion sur cette pandémie.

Quand l’être humain veut s’affranchir des règles du respect quant à son propre écosystème, sa morgue se retourne contre lui. Contre nous tous.

Avons-nous vraiment besoin de manger du pangolin ?

Avons-nous vraiment besoin d’aller à des milliers de kilomètres (la distance entre Kuala Lumpur et Wuhan est de plus de 3300 kilomètres à vol d’oiseau) pour chasser et tuer un animal d’une espèce (protégée car en voie d’extinction) pour la manger ?

La réponse semble évidente.

Et pourtant, des inconscients l’ont fait.

Ils l’ont fait parce que nous avons pris l’habitude de considérer que les animaux et les plantes étaient notre propriété, et que parce que c’était le cas, nous n’avions aucun compte à rendre. Ils l’ont fait parce que les règles qui régissent nos sociétés ont perdu toute mesure et toute décence. Parce que nous n’avons pas compris que nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis.

Blesse Gaïa, elle se défendra.

Son champion prend la forme d’un être microscopique, mais il est pourtant capable de terrasser nos sociétés si hautaines et sûres d’elles, de briser notre commerce, de couper les contacts physiques qui sont la base de notre vie quotidienne.

Il serait temps que nous comprenions tous une valeur fondamentale : le respect.

Le respect de nous-mêmes en premier lieu, le respect des autres, et tout simplement le respect de cette planète où nous vivons.

Si nous persistons à nous foutre de tout et notamment de notre impact sur la Nature, alors notre vie va devenir plus angoissante et plus difficile encore que pendant ce confinement qui ne durera que quelques semaines. Car si nous abîmons notre maison commune, alors nous serons confinés pour toujours dans un endroit invivable dont nous ne pourrons plus jamais sortir, un endroit qu’auparavant nous appelions la Terre.

Les trois vœux

Pour “après”, donc, je formule trois vœux.

Si un génie bien intentionné, dans une lampe ou ailleurs, veut bien les exaucer, je crois que ce serait pour moi un extraordinaire cadeau.

Mon premier vœu est le plus simple.

Bordel, lavez-vous les mains !

Prenez cette habitude et ancrez-là au plus profond de vos automatismes, comme celle de respirer, de marcher ou de regarder la télévision. Lavez-vous les mains dès que vous entrez ou sortez de chez vous, dès que vous êtes allés aux toilettes, dès que vous allez manger ou toucher de la nourriture, mais également quand vous venez de finir de bricoler ou de jardiner, quand vous avez rangé des objets dans votre garage. Bref, lavez-vous les mains le plus souvent possible. Je ne vous demande pas de le faire comme moi, plus de 60 fois par jour, mais un minimum.

Mon deuxième vœu est déjà plus ambitieux.

Arrêtons de penser que nous sommes tout-puissants et que la technique ou la technologie vont tout régler. Protégeons les trésors que nous avons accumulés grâce aux découvertes des grands savants qui nous ont donné les antibiotiques et les antiviraux. Commençons à réfléchir à ce que nous faisons.

Quant à mon troisième vœu, s’il se réalisait, cette crise n’aurait vraiment pas été vaine.

Revenons à la raison quant à notre place dans l’écosystème terrien. Nous ne sommes pas les maîtres de la Nature, nous en sommes juste un maillon. Si nous voulons rester en vie comme espèce et comme civilisation, changeons de modèle de vie, transformons notre façon de voyager, de nous nourrir, de nous vêtir.

Alors, cette pandémie n’aura pas été seulement une cruelle meurtrière, elle aura aussi été le sursaut qui nous aura évité une plus grande catastrophe.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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