Tolkien, l’exposition à la BnF

Tolkien, l’exposition à la BnF

Tolkien, l’exposition à la BnF

Comme certaines et certains d’entre vous le savent, j’ai eu la chance de me trouver à Paris durant ce mois de novembre à l’occasion d’une formation, au moment où la Bibliothèque nationale de France présentait une très belle exposition sur Tolkien. Le professeur d’Oxford a eu une grande influence sur moi, comme sur d’innombrables autres personnes dans le domaine de l’imaginaire, en littérature, mais également dans les arts visuels. J’ai même ouvert ce blog avec un article défendant la thèse selon laquelle il était un véritable écrivain, et pas seulement un philologue génial ou un créateur de mondes imaginaires.

J’ai donc profité de mon passage dans la Ville Lumière pour plonger dans la vie et l’œuvre de Tolkien à travers ce rassemblement inédit en France de documents originaux, d’œuvres de sa main comme celles d’autres, contemporains ou non, qui entraient en écho avec ses propres créations.

En voici mes impressions personnelles, un peu décousues, certes, mais sincères.

L’écriture de Tolkien

La première chose qui m’a marquée a été de voir les pages manuscrites de la main même de Tolkien.

On peut admirer dans l’exposition plusieurs feuillets de son œuvre, à différents stades de la maturation de ses écrits. Des brouillons, des premiers jets, des notes. Et de nombreuses pages de ses versions définitives.

J’ai d’abord physiquement été étonné de sa façon de former les lettres. Il avait une écriture calligraphiée, extrêmement soignée, en très petites lettres, presque micrographiques, y compris dans ses brouillons. L’impression d’être face à un manuscrit médiéval m’a saisi tout au long de la visite, renforcée par la présence de plusieurs ouvrages anciens, notamment de lourds tomes enluminés qui étaient là pour illustrer la proximité des thèmes de son œuvre avec les écrits des légendes arthuriennes ou anglo-saxonnes tardives.

Puis, mais c’est uniquement en fonction de ce qui était présenté, forcément une sélection très partielle, j’ai été frappé par le peu de ratures au regard des manuscrits d’autres écrivains des temps préinformatiques. Donc soit il avait déjà des idées très claires de ce qu’il voulait écrire et de la façon dont il voulait l’écrire, soit nous n’avons pas pu avoir accès dans cette exposition aux premiers stades de son travail, malgré la quantité de notes présentes dans les marges.

On peut également voir des versions abouties sur le plan formel, mais comportant des changements de noms de personnages. Par exemple, dans Bilbo, une version où Gandalf a un autre nom et où le personnage de Thorin Oakenshield porte au départ le nom de Gandalf. Et dans la marge, Tolkien indique le changement de nom, chacun acquérant le patronyme sous lequel nous le connaissons aujourd’hui.

Un processus créatif qui rappellera sans doute bien des choses à tous les écrivains…

Tout comme les tâtonnements dans l’écriture et la grammaire de ses langues inventées. Sa façon de tracer les lettres elfiques est tout aussi soignée que son écriture de l’anglais. Et une vidéo nous dévoile que même Tolkien faisait des fautes d’orthographe en elfique, ce dont il s’amuse avec une espièglerie juvénile qui rend le vieil homme d’emblée sympathique.

Un réalisateur de livre ?

Surprenante, cette exposition l’est à plus d’un titre, car je ne savais pas que Tolkien était aussi illustrateur, dessinateur, peintre. Plusieurs de ses croquis, de ses toiles, sont présentées, et notamment les premières couvertures de la trilogie du Seigneur des Anneaux, qu’il a lui-même composées et réalisées, avec un certain art de la typographie comme de l’organisation des éléments sur la page. C’est d’ailleurs une de ces couvertures, celle de La Communauté de l’Anneau, qui sert de visuel à l’affiche de l’exposition.

Plusieurs illustrations également, lors des premières éditions, sont signées de sa main. Et il ne se débrouillait pas si mal.

Une démarche qui détone dans l’idée que l’on se fait d’un écrivain de l’époque, uniquement centré sur son texte.

J’ai reconnu celle d’un réalisateur de livre. Son monde imaginaire ne se limitait pas à des histoires et des langues, mais débordait sur le terrain de l’image.

Et aussi sur celui de la géographie.

Il est évident pour tous ceux qui ont découvert Tolkien dans les années 1990 comme moi, que c’est l’un des aspects les plus fascinants dans sa création : la carte de la Terre du Milieu a fait rêver bien des gamins, avant même de lire une traître ligne du Seigneur des Anneaux.

Les cartes que l’on peut admirer dans l’exposition de la BnF sont multiples et d’une précision que je ne m’étais pas imaginée avant. En bon professeur, la rigueur importait tant à Tolkien qu’il mesurait précisément les distances et faisait en sorte que son récit y colle le plus possible.

Il serait bon que certains scénaristes de séries de fantasy récentes retiennent la leçon (oui, septième saison de Game of Thrones, je parle de tes scénaristes à toi !).

Les influences évidentes

Le parcours de l’exposition est essentiellement organisé autour des différents peuples imaginés par Tolkien et de quelques thèmes qui traversent toute son œuvre comme la Nature, la guerre, le Mal, l’héroïsme des petites gens, etc.

On y rencontre bien sûr la materia prima qui a été à l’origine de l’alchimie de son monde : les contes populaires, les nombreuses influences mythiques, depuis la Scandinavie au mythe arthurien, dont on apprend aussi qu’il a écrit une version personnelle plus noire centrée sur Arthur, Lancelot, Guenièvre et Mordred (note pour plus tard : mettre la main sur ce texte, que je suis très curieux de lire, moi dont l’imaginaire est fortement influencé par la Matière de Bretagne).

Ce légendaire Celte transparaît aussi dans ses réflexions sur la souveraineté, un thème aussi central dans l’épopée de la Table Ronde que dans les figures royales de la Terre du Milieu. Mais également sur la place de la femme, qui est le plus souvent une inspiratrice peu présente (Arwen) même si essentielle, à l’exception d’Eowyn, la combattante, lointain écho à Boudicca et aux Valkyries ? Ces échos sont renforcés par la présence d’objets issus de différents peuples de notre propre réalité (armes celtes, scandinaves, livres, joyaux).

On se plonge aussi dans la place que la Nature prend dans l’œuvre du professeur, à travers notamment les arbres et les Ents, ce qui a encore renforcé l’étonnement pour moi de réaliser le nombre d’influences communes à nos deux vies.

Les associations artistiques

L’un des grands mérites de l’exposition tient dans le rapprochement de productions de Tolkien lui-même avec des objets issus d’autres collections. Des objets qui ont parfois un rapport direct avec lui (des œuvres inspirées par son monde) mais parfois qui entrent simplement en résonances avec lui.

D’abord avec des illustrateurs qui lui sont contemporains ou qui furent même des amis pour lui (Arthur Rackham, Dulac, Gustave Doré), ou des peintres, notamment les préraphaélites, dont le mouvement artistique est tant imprégné de médiévalisme (Edward Burne Jones, Dante Gabriel Rossetti).

Toutes ces œuvres, tous ces objets, dont des bijoux art nouveau aux courbes et motifs naturels si proches de l’univers elfique, forment un dialogue harmonieux avec la création de Tolkien et son monde.

Le conteur

Tous ceux qui ont lu Bilbo savent qu’il fut au départ un conte destiné à ses propres enfants, mais cette facette de Tolkien le Conteur allait beaucoup plus loin puisqu’il leur envoyait chaque année des lettres écrites de la main du Père Noël, avec la complicité de son facteur. Toute une partie est réservée à cet aspect-là, cette passion des histoires dans laquelle beaucoup d’écrivains vont se reconnaître.

J’ai aussi trouvé très émouvant de pouvoir entendre sa voix. D’abord quand il parle de ce qu’il a écrit, mais aussi et surtout quand il fait la lecture de certains passages de ces œuvres, avec l’emphase d’un scalde. On peut ainsi entendre sa lecture en anglais du chapitre de la chevauchée des Rohirrim lors de la bataille des champs du Pelenor, ou le poème de l’Anneau Unique, en anglais et en parler noir du Mordor.

L’exposition

Vous avez compris, je vous encourage, si vous aimez l’univers créé par Tolkien, à faire le détour par cette exposition unique et certainement exceptionnelle.

Vous pouvez le faire jusqu’au 16 février 2020, à la Bibliothèque nationale de France.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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La Désolation de Smaug, Extended Cut

La Désolation de Smaug, Extended Cut

La Désolation de Smaug, Extended Cut

C’est toujours la même chose avec Peter Jackson : à chaque sortie d’un film de son interprétation de la Terre du Milieu, il faut attendre un an de plus avant d’avoir la véritable version, celle qui donne le plus de sel à l’œuvre, celle qu’il a vraiment pensée.
Ce qui est sans doute un peu une ficelle marketing permet aussi paradoxalement de prolonger le plaisir de la découverte de cet univers riche et fouillé qu’il met autant d’ardeur à explorer que Tolkien à le créer. Ainsi, chaque « version longue » est l’occasion de se demander si on avait bien vu tel détail lors de la sortie en salle, ou si on avait remarqué tel plan, ou, parfois, si les scènes ajoutées apportent vraiment quelque chose à l’histoire et à l’univers.
C’est en quelque sorte une école de patience qui apprend à goûter plus encore ce que l’on a anticipé si longtemps.

La Désolation de Smaug ne fait pas exception.

Le deuxième volet de la trilogie du Hobbit était pour moi à sa sortie le morceau le plus attendu. J’avais hâte de voir le Cracheur de Feu du Nord, et l’interprétation qu’en avait imaginé Peter Jackson avec la voix et les mouvements de Benedict Cumberbatch. J’avais hâte de rencontrer Bard. J’avais hâte de contempler le Royaume des Elfes Sylvestres.

Lorsqu’il y a un an le film est enfin sorti, j’ai comme tout le monde été surpris par la romance qui se nouait entre un Nain et une Elfe Sylvestre. J’ai été un peu déçu par certaines scènes à mon avis trop numériques (Legolas virevoltant lors du combat contre les Orcs sur la rivière). Mais j’avais été conquis par Bard, impressionné par Smaug, fasciné par Thranduil.

Smaug le Terrible, la grande réussite du film

Smaug le Terrible, la grande réussite du film

Un an après, Peter Jackson sort le troisième volet, mais aussi son « extended cut » du deuxième, sur lequel je me suis rué.

Comme pour la version longue de La Communauté de l’Anneau ou des Deux Tours, celle-ci apporte un montage un peu différent sur des scènes clefs, même si le bouleversement n’est pas aussi grand que sur le premier volet du Seigneur des Anneaux (dans lequel tout le début a été complètement remonté dans la version longue, avec une introduction bien plus fidèle au livre tout en étant bien plus dynamique par rapport à la version sortie en salle).
Des scènes clefs qui sont tellement importantes que l’on se demande bien pourquoi elles ont été éliminées de la première version cinéma. Car si elles ne concernent pas véritablement le cœur de l’histoire, elles ont à voir avec la toile de fond du plan de Sauron, avec les machinations qui se sont tramées depuis l’attaque du Dragon sur Erebor. On apprend donc beaucoup de choses sur le destin d’un personnage essentiel : Thrain, le père de Thorin. Pourquoi il a disparu, et comment il a disparu. Le lien avec le Seigneur des Anneaux est encore plus prégnant avec ces révélations, qui esquissent le plan à long terme de Sauron. L’incursion de Gandalf au cœur de Dol Guldur prend une tout autre ampleur.
Par contre, que Gandalf découvre autant de choses peut interroger sur le temps qu’il mettra ensuite à faire le lien entre l’anneau de Bilbon et l’Anneau Unique dans La Communauté de l’Anneau, qui se déroule bien des années plus tard.
Toujours est-il que ces nouvelles scènes donnent une dimension plus « politique » à l’intrigue, en l’insérant dans une vision globale de l’hexalogie qui donne de la cohérence à l’ensemble.

Bien sûr, les puristes pourront arguer que la cohérence ainsi exposée n’est pas tout à fait fidèle aux écrits de Tolkien. L’adaptation d’une œuvre artistique doit forcément passer par une interprétation personnelle, une appropriation de l’œuvre originale et donc une modification de certains détails. Dans le cas présent je trouve les ajustements assez bien faits pour passer inaperçus et s’intégrer dans le reste de la trame tout en apportant au film cette dimension, absente du Hobbit littéraire.

Thrain, Fils de Thror, père de Thorin Oakenshield, dans la Version Longue

Thrain, Fils de Thror, père de Thorin Oakenshield, dans la Version Longue

Les autres ajouts sont plus discrets : quelques échanges supplémentaires entre le Maître de Lacville et son âme damnée, notamment, ou bien l’entrée clandestine des Nains dans Lacville (ou plutôt Esgaroth), plutôt bien faite. J’ai regretté de ne pas en avoir plus vu sur Smaug, mais il faut reconnaître que toutes les scènes avaient déjà été montrées dans la version cinéma et qu’il n’y avait probablement pas grand-chose de plus à tourner sans trop délayer.

On ressort de cette séance avec des étoiles plein les yeux, et l’esprit encore bouillonnant. L’immersion fonctionne mieux encore qu’avec la version cinéma, ce qui me semble être le but de ce genre d’exercice.

Il ne reste plus qu’à clore la trilogie en dégustant La Bataille des Cinq Armées une première fois au cinéma… et à attendre l’année prochaine pour une nouvelle version longue !

Voir Tolkien comme un (véritable) écrivain

Voir Tolkien comme un (véritable) écrivain

Voir Tolkien comme un (véritable) écrivain

Depuis 2001 et la sortie du premier volet de l’adaptation cinématographique du Lord of the Rings par Peter Jackson, le grand public francophone a enfin découvert l’univers de Tolkien. Bien sûr le britannique était considéré comme un auteur classique dans la sphère littéraire anglo-saxonne depuis déjà de très nombreuses années, mais la patrie de Voltaire a toujours été réticente à considérer la littérature dite « de fantasy » comme une « véritable » littérature.

C’est cette injustice qui semble vouloir être réparée par le Magazine Littéraire dans cet ouvrage de la collection Nouveaux Regards.

Pour ceux qui ne connaîtraient de l’œuvre de Tolkien que les films tournés ces dernières années, le petit livre de 172 pages pourra peut-être donner envie d’en découvrir les écrits, les plus accessibles comme The Hobbit ou les plus abscons comme le Silmarillion.

Les courts articles se focalisent à chaque fois sur un aspect particulier de l’œuvre écrite de Tolkien, en se recoupant les uns les autres et en donnant une vue kaléidoscopique d’un travail si titanesque qu’il occupa la vie entière de son auteur.

Et finalement en traçant le portrait en filigrane de ce qui fait l’essence d’un travail de création.

On commence par s’intéresser à la genèse, aux rencontres, à ce qui dans la vie de Tolkien a pu faire naître cette écriture boulimique. On se rend compte très vite qu’il appartient à un courant littéraire qui aura comme autre grand représentant C.S. Lewis, son plus proche ami, auteur d’un autre cycle à succès, celui de Narnia, adapté lui aussi à l’écran. Un mouvement artistique avec un projet bien défini, des racines profondes dans la tradition européenne, celles du merveilleux, de la mythologie.

Puis on explore certains thèmes de l’œuvre.

C’est à mon avis la partie la plus excitante de ce regroupement d’articles.

La lecture fait naître quelques réflexions sur la possibilité de considérer la littérature de fantasy comme une littérature à part entière.

Loin des narrations déconstruites ou absentes que l’on nous propose dans les ouvrages dits « sérieux », ou, sous prétexte de modernité, des écritures bâclées qui font peu de cas du style jusqu’à produire des ouvrages ressemblant à s’y méprendre à des scripts de série télévisée ou de séquences de film, la langue employée par Tolkien emprunte aux manières traditionnelles de conter.

On plonge alors dans un univers où l’histoire se déploie dans une narration construite, avec des personnages qui illustrent des problématiques universelles de façon renouvelée (l’amitié, l’abnégation, le courage, l’ambition), avec un style qui peut ne pas plaire (tant parfois il peut paraître lourd), mais qui existe.

C’est celui des sagas et les eddas nordiques, du roman courtois de chevalerie, de la geste, ou même du théâtre grec (Tolkien mêle la prose et les vers scandés ou chantés dans son récit).

Si le travail de création consiste à exprimer sous une forme inédite le mélange unique et constant des influences qui nous nourrissent en permanence, Tolkien peut être considéré comme un démiurge non seulement parce qu’il a donné naissance à de véritables langues, aussi complexes et réelles que les langues « naturelles », mais aussi parce qu’il a réussi son projet de donner vie à un univers cohérent.

Plus encore, si l’on ne renie pas les origines antiques de la littérature, on peut le considérer comme l’héritier direct de plusieurs d’entre elles.

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