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Je ne suis pas un auteur autoédité, je suis un réalisauteur, un réalisateur de livre

par Juin 16, 2018L'encre & la plume, Le Serpent à Plumes0 commentaires

Writer is coming…

C’est le slogan qui à mon sens pourrait résumer la période que nous vivons. Une époque où les moyens de production artistique, notamment des écrits, sont devenus si accessibles que le nombre de personnes qui se lancent dans l’aventure comme on se jette à l’eau est exponentiel.

Plus encore, à l’image des bouleversements qui sont annoncés dans le monde de Westeros par le retour d’un hiver permanent et celui, concomitant, des Marcheurs blancs, l’apparition de cette horde d’auteurs qui ne dépendent plus du système de l’édition classique pour trouver des lecteurs est en train de faire exploser la politique si familière des Royaumes éditoriaux.

Alors oui, Writer is coming.

Pourtant, la révolution ne sera véritablement accomplie que lorsque ceux-là mêmes qui la font ne se définiront pas en référence au vieux système. Pour le moment, nous nous nommons en effet nous-mêmes “auteurs autoédités”, faisant nôtre une définition qui n’est finalement qu’une survivance d’un paradigme que nous avons refusé de suivre.

Pour véritablement être nous-mêmes, il faut nous nommer.

Le mot est notre domaine. Le nom, le Nom, ont un pouvoir que les écrivains comprennent sans doute mieux que quiconque dans notre société. Nommer une chose, s’est se donner un pouvoir dessus.

Alors, nommons-nous.

Mais de quel mot ?

Puisqu’il ne saurait être question de se dire simplement éditeurs, puisque ce nom ne définit pas la réalité de ce que nous sommes, même si nous endossons la fonction de l’éditeur, ni même indépendants, puisque tous ceux qui ont refusé le système de l’édition classique n’ont pas tous le même modèle de production et que nombre d’entre nous font appel à des prestataires comme Amazon ou d’autres plateformes, numériques ou non, il faut trouver autre chose, quelque chose qui a trait à l’essence même de ce que nous faisons.

Alors quoi ? Écrivains, romanciers, nouvellistes ?

Non. Chacun de ces mots porte une réduction en lui-même.

Nous ne faisons pas qu’écrire nos histoires. Nous les habillons en maquettes, nous en choisissons la couverture, le papier, la mise en page, la mise en forme. Nous les promouvons.

Nous n’écrivons pas tous des romans. Pas tous des nouvelles ou des novellas. Certains s’essaient dans plusieurs genres.

Non, je pense qu’il faut inventer un mot. Le faire naître lui aussi, comme nous faisons naître nos histoires.

On aurait pu remettre au goût du jour un vieux mot latin, grec ou sanskrit. Après tout, autor ou auctor, qui du latin ont donné auteur en français, aurait pu avoir un synonyme dans la langue de Cicéron. Editor, qui donna éditeur en français, lui aussi aurait pu avoir un lointain équivalent.

On aurait pu se servir de la langue dominante de notre époque, l’anglais. Puisqu’author et authoring ne désignent pas seulement l’auteur et son acte d’écriture, mais aussi une véritable création qui va au-delà du simple acte de trouver les mots.

Je pense que cela aussi aurait été réducteur, car le mot n’aurait pas véritablement recouvré toute la richesse de ce qui est désormais l’acte de créer soi-même un ouvrage depuis l’écriture jusqu’à la vente.

Aussi, il me semble intéressant de nous tourner vers un autre domaine de création pour nous inspirer.

Le cinéma.

Le réalisauteur, réalisateur de livre

Le cinéma, comme le théâtre, est par essence un domaine collaboratif et pluriel.

Un film naît rarement du travail d’une seule personne, mais peut porter la vision de celle qui est aux commandes, à travers tout le processus que l’on appelle la production, et qui va de la préproduction, à savoir la conception et l’écriture du scénario, la recherche et la fabrication des costumes, des décors, des accessoires, le casting des acteurs, le découpage des séquences, le story-board, jusqu’au tournage lui-même et enfin à la postproduction comme le choix des musiques, le mixage des sons, l’étalonnage et le choix des couleurs, les effets spéciaux.

La seule personne qui est aux commandes de bout en bout, véritablement en charge de l’aspect artistique du film, c’est le réalisateur.

Qu’il ait ou non le final cut n’est pas finalement le point essentiel. C’est lui l’artisan, même dans le cas où le producteur prend le pouvoir sur quelques décisions stratégiques.

Il n’est peut-être pas véritablement le scénariste, mais il n’est pas non plus le décorateur ou l’accessoiriste. Ou plutôt, il est le chef d’orchestre de tous ces instruments mis au service du film qu’il met au monde.

Un réalisauteur, un réalisateur de livre, conçoit son œuvre de la même façon.

La pré-production d’un livre

Lorsqu’une idée de film germe dans l’esprit d’un scénariste se déroule le même processus de création que dans celui d’un auteur écrivain. La forme du récit a beau être très différente, ils créent tous deux un monde, des décors, des accessoires, des personnages, une intrigue pour lier le tout. Ils cherchent des inspirations, de la documentation, font parfois appel à d’autres personnes, des spécialistes d’un domaine précis, pour les aider à déterminer la vraisemblance de telle ou telle action, de telle ou telle décision.

Dans la fabrique du cinéma, le réalisateur, même s’il n’est pas lui-même le scénariste, va être étroitement associé à ce processus. Il prendra même le dessus sur le scénariste lorsqu’il sera question de faire sortir l’histoire de son cadre de papier.

Il va donner des directives pour le casting, discuter des décors qui seront vus à l’écran et de ceux qui ne seront pas visibles, mais qui serviront la cohérence de l’histoire. Il va parfois retravailler les dialogues en répétition avec les acteurs comme un écrivain qui peaufine les siens pour les rendre plus fluides ou plus naturels, pour mieux évoquer le caractère du personnage qui les prononce ou pour rendre une ambiance particulière dans une scène.

Tout le travail de préproduction consiste à construire les éléments nécessaires à la mise en images d’un film.

Tout ce travail qu’un écrivain accomplit lorsqu’il prépare son intrigue, qu’il imagine ses décors, ses costumes, ses accessoires, ses personnages, lorsqu’il met en marche la mécanique bien huilée de sa trame narrative.

En choisissant d’écrire à la troisième personne ou à la première personne, en choisissant un seul point de vue omniscient ou une multiplicité de points de vue narratifs en fonction de plusieurs personnages, il place sa caméra, décide de la valeur de sa focale, de la valeur du plan, des mouvements de caméra.

Le story-board du réalisateur est aussi celui de l’écrivain.

Le tournage d’un livre

Une fois la préparation terminée, un réalisateur n’attend qu’une chose : tourner enfin son film. Le budget a été bouclé, tout a été prévu, anticipé, pour le garder sous contrôle. Pour éviter les accidents, pour recruter le personnel technique.

L’écrivain n’a habituellement pas de budget à gérer pour l’écriture d’un livre, ce qui lui laisse plus de marge de manœuvre, une immense liberté, et lui permet une débauche de moyens que seuls les plus grands réalisateurs peuvent se permettre de rêver posséder pour tourner un film.

Mais lui aussi est confronté à l’angoisse du tournage, de son tournage. La rédaction.

Car de la même manière qu’une foule d’imprévus vient toujours compliquer ou modifier une séquence tournée par la caméra par rapport à ce qui avait été anticipé en préproduction, la rédaction d’une scène peut parfois complètement changer ce qui avait été prévu en amont.

L’écrivain peut être confronté au caprice de ses acteurs (en comprenant que son personnage devrait agir d’une autre manière que ce qu’il avait imaginé au départ, par exemple), à des lumières ou des couleurs légèrement différentes de ce qu’il avait voulu au départ, à des sons différents.

De la même manière, un écrivain peut rédiger ses scènes dans le désordre, comme un réalisateur qui tournerait tous les plans dans un décor particulier, peu importe leur ordre dans la narration finale, avant de se concentrer sur un autre décor bien différent disponible seulement ensuite.

L’acte de créer demande souvent des allers et retours entre différents moments, différents endroits, différentes ambiances. Il peut être plus inspirant pour l’écrivain de rédiger la fin de son livre avant le début, puis morceau par morceau dans un ordre complètement indépendant de son ordre narratif final.

Le tournage d’un livre prend fin lorsque la rédaction est terminée, mais le travail du réalisateur ne s’arrête pas là.

La post-production d’un livre

Au cinéma, le réalisateur supervise également les phases finales de la fabrication du film.

Il collabore au montage, quand il ne le fait pas lui même.

On a coutume de dire qu’il existe trois films : le film que l’on a imaginé, le film que l’on a tourné, et le film une fois monté dans l’ordre définitif de la narration des scènes, qui est parfois très différent de l’ordre prévu au départ. Pour un livre, le même aphorisme est sans doute valable. C’est bien d’ailleurs pour cela que les outils d’écriture comme Scrivener sont si essentiels : ils permettent de ré-arranger, de ré-organiser, de chambouler complètement l’ordre narratif, l’enchaînement des scènes, des séquences et des chapitres d’un livre comme un logiciel de montage est capable de le faire pour une vidéo ou un film.

Le montage peut même être vu comme une façon de corriger le film, de la même façon qu’un écrivain se relit et corrige ou fait corriger son manuscrit, en s’assurant qu’il n’y reste pas d’incohérence, de faute, de coquille.

Mais une fois le montage terminé, le film n’est pas encore prêt. Il manque des étapes essentielles comme le mixage du son ou les effets spéciaux. Dans un livre, par nature, ces étapes ont été souvent complétées lors du tournage.

Quant à la touche finale, l’étalonnage, c’est pour moi là que l’écrivain rejoint vraiment le réalisateur.

Étalonner un film signifie s’assurer de la cohérence des couleurs entre les plans d’une même séquence afin que, tournés à des moments différents, ils soient à l’écran comme une continuité narrative sans couture, mais aussi choisir les couleurs dominantes de l’ensemble du film en fonction des ambiances désirées, du style du film, des scènes elles-mêmes.

C’est véritablement l’habillage final du film, ce qui va lui donner son identité.

Pour un livre, si cette étape d’étalonnage peut se comprendre dans l’écriture elle-même, elle peut également se comprendre comme la mise en page du texte brut, comme sa mise en scène, sa coloration en un tout, en une œuvre cohérente. Les mots ici représentent bien l’image brute montée, et la page serait l’écrin de couleurs de ces images.

Ainsi, étalonner un livre serait pour moi l’équivalent du processus éditorial de création de la maquette, de choix des fontes, de choix du format du papier, de sa qualité, de la couverture. Ainsi, étalonner un livre numérique consisterait à créer le fichier ePub lui-même.

Lorsque le film sort du banc d’étalonnage, il est prêt à être visionné.

Lorsque le livre sort de cette étape ultime, il est prêt à être lu.

Production et collaborations

Le réalisateur est alors sollicité pour la dernière partie de la conception. En général c’est, avec les acteurs, pour en faire la promotion. Il est rare que lui-même plonge dans le travail de trouver un diffuseur, et c’est là que les rôles de l’auteur et du réalisateur peuvent bifurquer.

Car lorsque l’on choisit de se passer d’éditeur, c’est comme si l’on choisissait de se passer de producteur, et il faut alors soi-même remplir le rôle plus ingrat de celui qui gère les finances et rémunère les prestataires qui ont contribué à l’œuvre (figurants et acteurs, équipe technique, compositeur, sont généralement peu payés dans un livre, mais il se peut qu’il faille signer un chèque à l’illustrateur de la couverture, au correcteur, ou à d’autres encore).

On pourrait cependant arguer que certains réalisateurs mettent la main à la poche en plus de la mettre à la pâte et coproduisent leur œuvre.

Et c’est vrai.

Car finalement, la fabrication d’un livre comme celle d’un film n’est jamais, jamais, jamais, contrairement à ce que l’on peut penser, un acte solitaire.

La création comme une série de rôles et de fonctions

On parle de chaîne du livre pour une bonne raison.

Il est rare de maîtriser toutes les compétences qui peuvent faire naître un film (être un assez bon menuisier pour construire un décor, un assez bon couturier pour créer les costumes, un assez bon électricien pour gérer les machineries, un assez bon connaisseur des lois de l’optique pour gérer la profondeur de champ, un assez bon compositeur pour écrire la musique et un assez bon joueur de cornemuse, piano, cymbales et flûtiau pour l’interpréter ensuite).

Il est finalement assez rare de maîtriser toutes celles qui peuvent faire naître un livre. Car si nous savons écrire, si nous pouvons apprendre à nous servir de logiciels de mise en page, ou même de Photoshop pour concevoir une couverture, nous aurons rarement les compétences pour fabriquer notre papier. Et ce, même si nous apprenons à relier nos pages après les avoir assemblées. On peut également avoir envie, et non besoin, du regard d’un autre pour créer une couverture, pour s’assurer que le manuscrit “tient la route” tant par sa logique que par sa forme, par son orthographe et sa grammaire.

Je vois donc les choses comme un film où différentes fonctions, différents postes, sont à pourvoir.

Et où le réalisateur peut choisir de distribuer chacun de ces rôles à lui-même ou à d’autres.

Comme le réalisateur, l’auteur dit “autoédité” est le véritable créateur, car c’est celui qui a la vision d’ensemble, le seul qui du début jusqu’à la fin, donne le tempo, fait les choix stratégiques, et les assume.

Dans mon cas, je suis l’auteur, le correcteur, le maquettiste, le créateur de livre numérique, et l’éditeur. Je peux décider de m’entourer ou pas de bêta-lecteurs, de correcteurs, d’illustrateurs, d’imprimeur, de distributeur, de diffuseur.

Mais je reste le seul à décider in fine de chaque choix.

Je suis le réalisateur de mon livre.

Je suis réalisauteur.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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