Le Big Data
C’est la collection de données à très grande échelle qui peut donner naissance au Big Data : l’accumulation d’une masse si grande de chiffres que des opérations statistiques deviennent possiblement très puissantes pour dégager des tendances à l’échelle de la population humaine tout entière, et en inférer des probabilités individuelles très fortes.
Dans le domaine de la santé, les données collectées par les dispositifs sont par nature sensibles, et sont considérées comme personnelles et confidentielles. Ou pas, suivant le pays où vous vous trouvez.
Mais elles ne sont pour l’instant pas en accès libre ni interconnectées entre elles, ce qui empêche encore la naissance d’un véritable Big Data en matière de santé.
Cependant, imaginons tout de même son avènement. Qu’est-ce que cela signifierait ?
Définir des normes
Dans le premier article, je vous parlais des normes. Toutes les normes qui existent sont pour le moment des extrapolations statistiques sur des échantillons qui, s’ils sont aussi larges que possible, n’englobent bien sûr pas l’Humanité tout entière. Cela pourrait changer avec le Big Data.
Imaginez que chaque humain soit pesé, mesuré pendant toute son existence, pendant une génération. La collection de données ainsi constituée pourrait nous offrir une norme extrêmement précise, car englobant toute la diversité de l’espèce. Cette norme de poids et de taille serait plus fine, et nous permettrait de mieux situer les anomalies de croissance des jeunes enfants, par exemple.
Prévoir l’évolution humaine
Imaginez maintenant que cette collecte soit faite pendant non pas une, mais sept générations d’êtres humains, soit environ 175 ans. La masse colossale de données pourrait par analyse nous donner les tendances générales de l’évolution de la taille et du poids des êtres humains au cours du temps. Nous serions donc à même de prévoir notre évolution en tant qu’espèce.
Je vous l’accorde, il faudrait pour que cela soit utile que nous ayons un peu « grandi » en sagesse, de gouvernement mondial, de conscience d’espèce, de respect de la vie humaine, bref… que nous ne soyons plus vraiment les mêmes humains qu’aujourd’hui… Ça tombe bien, nous avons 175 ans… Il va être temps de s’y mettre…
Trouver des corrélations inattendues
Plus proche, cet objectif est d’ailleurs déjà avoué par les chercheurs, qui s’attendent à dégager grâce aux analyses statistiques de données multiples croisées entre elles des corrélations qui nous avaient échappées jusqu’à présent.
Il ne s’agirait pas de spurious correlations, cependant, mais de véritables déductions, qu’il s’agirait ensuite d’interpréter, puis d’expliquer. Tout un champ d’études qui viseraient à comprendre pourquoi ces corrélations existent s’ouvrira. Il est probable que bien des avancées soient à la clef. Mais là encore, sans vigilance de notre part, l’interprétation de ces conclusions pourrait donner lieu à des dérives que l’on peine encore même à imaginer, sinon en regardant Bienvenue à Gattaca.
Estimer un risque
Le Big Data et ses corrélations vont sans doute nous aider à mieux prévoir les échelles de risque de développer certaines pathologies, ou celles qui déterminent quand en traiter d’autre, quand les éviter, comment et avec quelles molécules nous avons le plus de chances d’en éradiquer certaines, et quels risques font peser des traitements encore mal connus.
Mais il existe encore une fois un danger, une contrepartie : si nous laissons le chiffre et sa dictature s’installer trop profondément dans notre société, il va devenir l’aune ultime et unique de nos existences.
C’est déjà en partie le cas lorsque l’on parle des statistiques déjà à notre disposition en matière de santé et de soin. Dire à un patient « vous avez 15 % de risque de développer une pathologie » n’a pas de véritable signification à l’échelle individuelle. À l’échelle individuelle, la réflexion est plus prosaïque : soit la pathologie se développe, soit elle ne se développe pas. Une chance sur deux ? Pas même. Soit le patient développe la pathologie (et donc pour lui c’est 100 % de son expérience), soit il ne la développe pas (et pour lui ce sera 0 % de son expérience).
Imaginons que le Big Data s’en mêle : une corrélation statistiquement significative ne vaudra pas prédiction certaine pour le patient, mais sera prise comme telle par la société. 75 % de risque de développer un cancer du côlon ? Conséquence humaine : on devra être vigilant sur l’alimentation, les symptômes. Conséquence Big Data : traitements préventifs même si 25 % de chances de ne pas développer la maladie ça fait 1 cas sur 4, primes d’assurances plus élevées pour contrer un risque de surmortalité, interdiction de manger certains aliments… et j’en oublie.
Qui estimera s’il faut suivre ou non les corrélations du Big Data ?
Et si le Big Data s’emmêle ?
Chiffrer l’existence
Si le Big Data s’emmêle, alors ce sera la défaite de l’esprit humain. De l’intuition. Nos existences ne seront plus dictées par nous-mêmes, mais par des chiffres mesurés par nos propres machines, et par les personnes qui en contrôleront les interprétations et les lois proclamées à partir de ces interprétations.
Nous ne serions alors pas loin d’une société où la place de chacun sera déterminée dès sa naissance par l’étude de son génome et de ses risques de développer telle ou telle pathologie défavorable à la société, à la Norme (remarquez le grand N.).
Avez-vous entendu parler de la convention Aeras ? Probablement pas. C’est une convention qui permet aux personnes atteintes de certaines pathologies graves en rémission de contracter un prêt bancaire. Une garantie donnée par la loi, à des conditions strictes. Comme moi vous pensez sans doute que c’est une bonne chose, que c’est l’égalité de traitement envers tous, malade ou bien portant. La réalité est un peu plus complexe. Seules certaines pathologies sont autorisées, et les primes d’assurance comprennent encore des surprimes (même si elles ont été largement diminuées au fil du temps). Nous n’en sommes pas encore à étendre Aeras aux personnes qui ont une probabilité de développer une maladie grave. Mais cela pourrait arriver.
Sous couvert d’égalité, on crée une société inégalitaire.
Transformer le corps en marchandise
Autre écueil qui commence à affleurer à la surface de l’océan des données informatiques : l’exploitation commerciale de nos mesures, stockées dans le nuage par de bienveillantes sociétés dont le but est avant tout de faire des profits et d’en dégager pour leurs actionnaires.
Toutes vos mesures de kilomètres parcourus ou de nombre d’orgasmes provoqués vont d’ores et déjà alimenter les analyses statistiques marketing de régies publicitaires qui ne cherchent qu’à vous vendre les meilleures paires de chaussures ou les meilleurs préservatifs. Et demain ?
Demain, si le Big Data s’emmêle, toutes vos activités n’auront de sens que si elles rapportent des statistiques, des données, si elles permettent de vendre de la publicité qui vous fera consommer encore plus. Et dans le domaine de la santé, votre dossier médical ne se résumera plus qu’à une série de paramètres vendus par votre assurance maladie privée à des prestataires extérieurs.
Lorsque le frère d’Henriette, Francis, qui souffre d’une maladie de Parkinson et a donc du mal à écrire, sera surveillé par un appareil connecté, la fréquence de ses tremblements sera analysée en direct pour déterminer le moment où une société développant un exosquelette brachial pourra lui vendre son dernier modèle. Le T1001 sera bien sûr capable de lui rendre l’usage de ses doigts. Francis pourra à nouveau écrire sans trembler. Il pourra se servir une tasse de thé sans la renverser ou pire, la casser. Mais il devra payer un abonnement mensuel pour pouvoir utiliser le T1001, une machine onéreuse.
Bien sûr, j’exagère. Un peu. Mais regardez les publicités ciblées qui apparaissent dans votre boîte Gmail, et dites-moi si vous ne commencez pas à en être moins sûrs…