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La “vocation médicale”, cette chimère

La “vocation médicale”, cette chimère

La “vocation médicale”, cette chimère

J’ai toujours été frappé du décalage entre la façon dont les gens perçoivent le métier de médecin et la réalité des choses. Si le fantasme a toujours accompagné le soin, j’ai le sentiment profond que jamais encore les idées reçues, les poncifs et les préjugés n’ont été aussi forts qu’à notre époque, ni aussi erronés.

Je ne saurais vraiment y trouver une cause évidente. Je crois plutôt que l’évolution a été étalée sur de très nombreuses décennies, entretenues par des facteurs très divers comme le fait que beaucoup de médecins étaient des notables dans le passé ou que le pouvoir de soigner est un lieu commun savamment mis en scène jusque dans les séries américaines (de House à Grey’s Anatomy, mes confrères d’outre-Atlantique semblent capables des plus grandes prouesses, comme d’extirper à mains nues des tumeurs cérébrales… j’exagère à peine…).

Toujours est-il que la conséquence évidente de tout cela est un méli-mélo de sentiments contradictoires dans la population lorsqu’on parle des médecins.

On nous voit tour à tour, et même en même temps, comme les sauveurs indispensables à tout mal-être, les confidents vers qui l’on se tourne par réflexe quand quelque chose ne va pas dans sa vie (y compris des choses non médicales, voire surtout des choses non médicales), pleins de compassion et détenteurs de pouvoirs presque magiques pour soulager et guérir miraculeusement, et des nantis bourgeois incompétents intéressés seulement par l’argent, des incapables qui ne sont jamais là quand on en a besoin, des prescripteurs dangereux de médicaments considérés comme des poisons (mais à qui surtout on commande de bien marquer un somnifère en bas de l’ordonnance), des idiots non formés gobant les mensonges des laboratoires pharmaceutiques vendus au grand capital, mais aussi les seuls capables de rassurer après la lecture d’un forum imbécile où est écrit tout et n’importe quoi.

On peut alors se retrouve sur Twitter à lire des choses comme celle-là :

Bref, l’image d’un médecin dans la population est un concentré puissant de paradoxes individuels et sociétaux, complexes et déroutants.

Mais il est une chose qui est un dénominateur commun de toutes ces facettes parfois irréconciliables même si elles coexistent souvent dans la tête de nos patients : La Vocation.

Dans la psyché collective, on est médecin parce qu’on a forcément La Vocation. Comme si entrer en médecine était l’équivalent d’entrer dans les ordres. De devenir moine. Même pas shaolin… moine franciscain, voire jésuite, ça cadre tellement mieux avec cette image ambivalente de la casuistique médicale.

Demande-t-on à un boulanger s’il avait La Vocation du Pain ? À un policier La Vocation de la Protection ? Une directrice d’hôtel La Vocation de la Réception ?

Je vais vous choquer.

Je n’ai pas La Vocation.

Je ne l’ai jamais eue.

Et pourtant, je me considère comme un bon médecin.

Pas excellent. Juste bon. Je fais mon métier, avec conscience, avec application, avec plaisir, mais je ne fais que mon métier. C’est tout.

Parce qu’avoir La Vocation, c’est être quelque part un illuminé. C’est être appelé par une voix plus grande que soi. C’est avoir une Mission (remarquez la majuscule, car cette Mission est forcément, si l’on gratte, un cadeau ou une malédiction qui vient de… Dieu).

Cette vision du médecin est une vision ancienne, héritée de notre compréhension limitée de la maladie à des époques où les explications avaient toutes à voir avec la magie, les dieux, les démons, le châtiment.

De nos jours, le métier de médecin est à la fois un métier comme un autre et un métier pas comme les autres.

J’aimerais montrer comment.

Le médecin, version 1.0

Dans le passé, le médecin avait donc La Vocation.

Cette chose étonnante qui, venant d’en haut ou de l’intérieur de lui-même, le destinait forcément à se donner corps et âme à son sacerdoce. Comme un prêtre, il était attaché à sa fonction de soignant, marqué définitivement et entièrement par elle. Chaque aspect de sa vie était dicté par cette fonction, car elle remplissait toute son existence.

Un soignant dans cette vision-là du monde se résume uniquement à sa fonction.

Il n’est ni homme ni femme, il est médecin. Mais s’il est un homme, c’est mieux quand même. Il ne faut pas oublier que les premières femmes médecins sont apparues en France au… XXe siècle… Bref.

Dans sa vie, donc, rien d’autre ne compte que la médecine et son exercice.

Parce que La Vocation le soutient. Le nourrit presque.

Il n’existe que pour soigner les autres, et n’a donc pas de vie « normale ».

Cette fonction quasi mystique peut sembler complètement folle, mais je soutiens qu’elle est encore présente dans l’inconscient collectif de nos jours, bien qu’elle soit née sans doute du fait du grand respect et de la crainte que nos ancêtres devaient ressentir face aux soignants antiques. Le savoir parfois secret, toujours mystérieux et souvent enrobé de jargon incompréhensible, confinant à la magie, voire à la sorcellerie, pouvait trouver son origine dans les chamans, mais on le retrouve chez les médecins dépeints par Molière, qui y rajoute l’escroquerie et la manipulation quelques siècles avant Knock.

Ce pouvoir est donc à la fois respecté et craint. Donner à un autre être humain le pouvoir de nous soigner, d’éloigner la maladie et peut-être de conjurer la Mort, forcément, c’est un peu anxiogène.

Le revers de ce pouvoir est donc simple : le médecin est au service du malade. Il lui doit assistance. Il lui doit tout. Tout de suite.

Voir les nombreux « patients » qui, lorsqu’on leur annonce que leur demande de visite à domicile n’est pas justifiée, se lancent dans un plaidoyer à base du fameux #OnPeutMourir.

Pour vous résumer un peu, le discours est ainsi tourné :

Moi je suis à l’article de la mort, c’est une urgence super grave, venez vite, et si vous ne venez pas c’est que vous êtes un mauvais médecin, que vous n’en avez rien à faire de moi (qui suis le centre de l’univers), vous ne remplissez pas votre devoir d’assistance, si vous ne m’aidez pas je vais mourir, je vais porter plainte contre vous, vous faire radier de l’Ordre, vous n’êtes intéressé que par l’argent, pourquoi faites-vous ce métier, et le Serment d’Hipocrate alors, vous êtes un incompétent et un je-m’en-foutiste.

C’est que la crainte se double d’une petite pointe de jalousie envers celui qui détient ce pouvoir. On pense qu’il peut en abuser (ce qui est parfois le cas), mais aussi, on se demande ce qu’on ferait avec ce pouvoir-là nous-mêmes.

C’est que réellement, comme le dit l’oncle de Peter Parker « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », et l’on confond souvent responsabilité et service.

Être responsable, c’est assumer la charge d’une décision à la place de quelqu’un ou qui va entraîner des conséquences sur quelqu’un. Il est souvent bien commode de trouver quelqu’un qui endosse la responsabilité à notre place (on aime tous ça), nous renvoie à notre place d’enfant, quand nos parents décidaient tout pour nous.

Et nous voilà en plein dans la nasse du certificat. Ce bout de papier sans valeur qui, paré du sceau du médecin tout puissant, devient un passe-partout incroyable.

Parce que, voyez-vous, comme le médecin endosse nos responsabilités, il ne peut pas se tromper. L’erreur d’un médecin est à la fois impossible (à tel point qu’on lui demande de certifier de tout et de n’importe quoi), mais aussi inconcevable, car il n’en a pas le droit. Il détient le savoir ancestral et tout puissant. Il ne peut et ne doit pas se tromper.

D’ailleurs, le médecin 1.0 ne reconnaît jamais son erreur. D’abord ce serait admettre qu’il peut en commettre, chose impensable. Ensuite, si cela arrivait, cela voudrait dire qu’il a commis une faute. Une véritable faute. Passible de châtiment.

On ne pouvait donc pas douter de lui, mais en même temps on se méfiait de lui.

Si son pouvoir échouait, c’était qu’il avait été mal utilisé, mal dirigé. Voire qu’il l’avait été de façon malveillante.

La médecine est un métier comme un autre

Cette vision-là, pour autant qu’elle ait été pertinente un jour, ne l’est plus au XXIe siècle.

Car n’en déplaise, un médecin reste un homme ou une femme, avant toute chose. Un être humain, investi de certaines prérogatives dans la société, certes, mais un être humain tout de même. Ce qui implique quelques conséquences.

La faillibilité

Comme tous les êtres humains, les médecins se trompent. L’erreur existe, n’est pas forcément une faute. Nous pouvons être distraits, fatigués, inattentifs. Comme tout le monde.

L’erreur a certes des conséquences potentiellement plus graves. Ou pas. Un pilote de ligne peut faire autant de dégâts s’il se trompe, et même un politique.

L’essentiel reste sans doute de chercher à réparer son erreur, à l’assumer.

Un médecin peut admettre qu’il ne sait pas. Car il n’est pas omniscient. Seul Chuck Norris est omniscient.

C’est pourquoi il doit continuer à apprendre tout au long de sa carrière. Mettre à jour ses connaissances. Se former. Et donc être absent de temps à autre.

Car un médecin n’est pas ubiquitaire. Seul Chuck Norris est ubiquitaire.

Le désir de « réussir sa vie »

Comme tous les êtres humains, les médecins aspirent à une vie réussie, c’est-à-dire à un épanouissement autre que professionnel. À une vie privée, personnelle, familiale, associative, artistique, par exemple. Ce qui implique que toute leur vie n’est pas tournée vers leur métier. Ce qui implique qu’ils ont le droit de s’absenter, de prendre des vacances, d’avoir des horaires fixes, d’amener leurs enfants à l’école. Ils ont le droit d’avoir d’autres centres d’intérêt.

Du reste, avoir ce désir n’est pas seulement un droit, c’est aussi un devoir. Le devoir d’être le plus « équilibré » possible dans sa vie, afin de pouvoir faire face à la maladie des autres, faire face aux décisions à prendre, sans s’effondrer soi-même.

Avoir une vie équilibrée devrait être le premier devoir de tout médecin.

Comment peut-on penser qu’un médecin qui ne vit que pour son travail, qui ne prend jamais de vacances et qui donc sera de plus en plus fatigué et usé, soit un soignant efficace ? Comment penser qu’il ne commettra pas d’erreur ? Comment avoir confiance ?

Au contraire, avoir d’autres centres d’intérêt permet au médecin de connaître certaines choses que peut lui dire son patient. De mieux les comprendre. De vivre dans son temps.

La médecine est un métier pas comme les autres

Cependant, être médecin, ce n’est pas comme être facteur, ou financier, comme être coiffeur ou ingénieur. Tout le monde s’accorde là-dessus, faire son métier du métier de soin comporte de véritables différences avec toutes les autres professions. En quoi ces spécificités vont-elles avoir un impact sur la façon d’être d’un médecin ?

L’indépendance professionnelle est le premier pilier de cette étrangeté. Un médecin n’a jamais de chef, au sens hiérarchique du terme. On ne peut pas (ou on ne devrait pas) pouvoir l’obliger à faire tel ou tel acte médical. Car pour bien soigner, il faut pouvoir être indépendant de toute pression : financière, morale, religieuse, politique.

Sa seule véritable autorité est sa conscience, et le respect du serment. Ce fameux Serment d’Hippocrate qu’on nous ressert à chaque fois qu’on n’agit pas comme les autres le voudraient.

Pour vraiment le comprendre, ce serment, il faudrait commencer par le lire, ce que peu de gens font en dehors des médecins.

Et encore faut-il savoir de quel serment on parle.

Celui d’Hippocrate, le vrai, datant de quelques siècles avant notre Ère, où il est question de ne jamais prescrire de médicament pouvant provoquer l’avortement ?

Ou plutôt celui que notre droit a modernisé ?

Pour les comparer, je vous les livre, en soulignant quelques expressions qui pourraient faire réfléchir.

Le Serment d'Hippocrate, version Antique grecque

Je jure par Apollon médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai suivant mes forces et ma capacité le serment, l’engagement suivant.

Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon avoir, et le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins, je tiendrai ses enfants pour des frères et s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître, et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loi médicale mais à nul autre.

Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison Si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion, semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif.

Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. Je ne pratiquerai pas l’opération de la taille, je la laisserai aux gens qui s’en occupent.

Dans quelque maison que j’entre, j’y entrerai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.

Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.

Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes.

Si je le viole et que je me parjure, puis-je avoir un sort contraire.

Le Serment d'Hippocrate, version moderne de l'Ordre, 1996

Au moment d’être admis à excercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité.

Mon premier soucis sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leur convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité.

J’informerai les patients des décisions envisagées, de leur raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.

Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me le demendera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.

Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les moeurs.

Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.

Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.

J’apporterai mon aide à mes confrêres ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.

Que les hommes et mes confrêres m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes prommesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque.

Le Secret médical est le corollaire indispensable de notre indépendance professionnelle. Comme vous avez pu le lire, c’est une valeur intangible depuis plus de deux mille ans. Il implique tant de choses que les patients ne comprennent pas tant qu’ils n’y ont pas été confrontés. Le secret d’un diagnostic n’est vraiment pas le plus fréquent. Ça peut être le secret d’une confidence, le secret d’une opinion, le secret d’une peur, le secret d’une infidélité. Le secret d’un traumatisme survenu des années auparavant ou au contraire subi tout récemment.

En ce sens, oui, un médecin a des responsabilités que d’autres n’ont pas. Il doit écouter, ne jamais juger, et toujours taire, sauf dans des cas bien précis prévus par la Loi.

Car il entre dans l’intimité de chacun et de tous, sans distinction.

Son sens moral devrait donc être au-dessus des celui des autres. Son sens de la responsabilité, son sens du respect. Respect de l’autre, respect du patient, respect de son entourage, respect de la société dans son ensemble. Dans ce qui fait que nous pouvons vivre ensemble en harmonie.

Ça peut sembler un peu fleur bleue, ou idéaliste.

C’est pourtant ce qui fait qu’un médecin n’est pas un surhomme au pouvoir divin de guérir par l’imposition des mains.

Mais bien un homme ou une femme pétris de diverses valeurs qui s’enseignent, s’apprennent, se cultivent, s’entretiennent, patiemment, au prix d’efforts parfois incompréhensibles pour les autres. Un homme ou une femme ayant normalement acquis une certaine sagesse, après de nombreuses années, mais persuadée que ce sont des valeurs humanistes qui doivent le guider.

Un médecin n’est pas un dieu vivant dont la parole doit être Vérité, mais bien un humain qui cherche à comprendre son semblable dans le respect pour l’aider au mieux.

Encore faut-il qu’il soit lui-même respecté et que la société ne cherche pas à en dévoyer son rôle.

Nous ne sommes pas des distributeurs d’ordonnances, de médicaments, de certificats et de jours de congé. Nous ne sommes pas non plus des gens malveillants cherchant absolument à empoisonner nos patients avec des médicaments maléfiques. Pas plus que nous ne sommes des nantis qui méprisent les petites gens du haut de leur bateau de croisière. Ni des vendus qui se prostitueraient pour un voyage aux Maldives offert par un laboratoire pharmaceutique.

Être médecin, c’est un métier. Un métier pas vraiment comme un autre, c’est vrai, mais un métier seulement. Ça peut être une passion pour certains, mais même une passion ne remplit pas toute une vie.

Parce qu’un métier, c’est quoi, en vrai ?

Ce qui donne un rôle dans la société, qui nous offre une reconnaissance des autres humains, qui nous permet d’avoir une action sur la réalité, une place parmi nos semblables et dans « l’ordre des choses ».

Ce qui permet de vivre dans la société, de tirer un moyen de subsistance de notre fonction, utile aux autres.

Ce commentaire sur Twitter m’a permis de faire une réponse en forme de boutade :

Parce que la société dans son ensemble a une image fausse du niveau de vie des médecins, je voulais montrer que les fantasmes ont la vie dure. Si dans les années 80 nos aînés avaient des revenus très confortables, de nos jours un médecin n’a plus le même train de vie.

Quand la consultation était à 115 francs (15,23 €), une place de cinéma valait 10 francs (1,5 €). En 2016 la consultation vaut 23 €, une place de cinéma vaut plus de 9 €. Une valeur relative divisée par 5. Rien que ça.

L’argent n’est pas une motivation en soi, mais si la société veut tant des médecins intègres, indépendant des firmes multinationales pharmaceutiques ou des conflits d’intérêts, il est dans le sien, d’intérêt, de les rémunérer correctement à la hauteur de leurs responsabilités. C’est ce qui fonde aussi qu’un fonctionnaire doit être bien payé pour ne pas avoir à « arrondir ses fins de mois » et ne pas être une proie facile pour les corrupteurs.

Alors si ce n’est pas l’argent, qu’est-ce qui motive un médecin à le devenir ?

La pression toujours continue des caisses d’assurance maladie, qui « simplifient » tous les jours notre vie en décidant que désormais il faut remplir un formulaire pour prescrire une perfusion effectuée par une infirmière ?

Les exigences de ceux qui veulent être examinés dans la seconde pour un ongle incarné ?

Non.

Bien autre chose.

Parce que si je n’ai pas La Vocation. J’ai quand même choisi ce métier. Et je le fais avec plaisir, même si je râle souvent (après tout, je suis Français).

Et, chose que je n’aurais jamais pensé dire à mes patients, mais que je peux confier ici (puisque c’est chez moi ici, après tout), c’est ce qui m’a guidé dans mon choix.

Dans l’ordre. Comprendre le vivant : je voulais être chercheur en biologie moléculaire au départ et c’est pour avoir une formation différente que j’ai choisi les études de médecine. Travailler avec l’humain : parce que j’ai découvert (tardivement dans mes études, mais c’est un autre problème) que j’aimais ça. Le pouvoir : parce qu’au fond c’est ça qui compte, changer le réel. Le pouvoir sur la Nature, sur le Destin, et parfois sur la Mort elle-même. Plus souvent le pouvoir de changer les choses, des choses concrètes.

Mais je suis sûr que d’autres parmi mes confrères auraient des réponses très différentes, et qui ne seraient pas vénales ou intéressées.

Alors, avoir La Vocation ? Très peu pour moi.

Je ne suis pas une fonction désincarnée et hiératique, je suis un être humain curieux de tout, avide de vivre, d’être utile, de rêver, de créer, de jouir de son existence, si possible en apportant un peu de mieux dans le monde.

Je conçois mon métier comme un métier. Passionnant à bien des égards. Mais un métier. Qui me fait bien vivre. Mais un métier.

Ni plus. Ni moins.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Star Cowboy, trame de fond de la Saison 1

Star Cowboy, trame de fond de la Saison 1

Star Cowboy, trame de fond de la Saison 1

Après vous avoir présenté les personnages des joueurs, puis les inspirations du monde de Star Cowboy, je vous dévoile aujourd’hui les dessous de la trame de la saison 1, avant de vous faire cadeau dans quelques semaines du premier scénario de la saison, Whiplash.

Pour être cohérent avec ce que je vous disais de l’écriture d’un scénario de jeu de rôle, j’ai développé cette trame grâce à une carte mentale (ou carte heuristique, ou mindmap en anglais) qui montre les différents liens de la trame générale de façon plus graphique et plus naturelle qu’un texte comme il est généralement d’usage.

Cela permet au meneur de jeu de modifier les liens en fonction de l’avancée de ses propres joueurs, de leurs actions imprévues et imprévisibles, et de toujours garder une trame cohérente. À l’usage, je peux même vous le conseiller en cours de partie. Mais je reviendrai sur ce point précis lors d’un prochain article.

Je me sers du logiciel MindNode, disponible sur Mac, iPhone et iPad, mais il existe bien d’autres alternatives, dont certaines sont même Open Source.

Vous pouvez donc télécharger un peu plus bas le fichier dans le format de MindNode, dans le format ouvert OPML, ou sous la forme d’un plan en .rtf.

Pour vous décrire tout de même l’intrigue, en voici un résumé plus traditionnel.

Tout commence lorsque Alira T’sioni, la sœur jumelle de Liara, dérobe les manuscrits sacrés des Matriarches sur Thessia après avoir réussi à déchiffrer une clef de codage très habilement dissimulée dans les douze rouleaux.

Ce codage avait échappé à tous les érudits Asari depuis plusieurs siècles, mais une anomalie génétique d’Alira lui permet de saisir des nuances qui n’étaient pas accessibles à son espèce auparavant.

Dans ces manuscrits se cache en effet l’emplacement d’un monde à l’écart dans la Galaxie, un monde découvert par les Douze Matriarches perdues.

Elle dérobe les manuscrits et s’arrange pour mettre sur pied une expédition exoarchéologique qui fait appel aux plus éminents spécialistes de l’époque.

Les événements qui suivent se déroulent 30 ans avant le début de la saison, et Edward est encore un exoarchéologue très réputé. Il est bien entendu de l’aventure, tout comme un certain Clayton et un homme qui deviendra plus tard celui que l’on connaît sous le surnom de L’Homme Trouble.

L’expédition découvre donc une très ancienne tombe Prothéenne, abandonnée depuis près de dix mille ans, contenant un corps momifié et des milliers de documents. L’exploration tourne cependant très mal et un accident se produit, impliquant des forces cosmiques (qui feront l’objet des saisons 2 et 3). L’équipe d’une centaine de personnes est décimée, et il ne reste que quatre survivants, tous traumatisés physiquement et mentalement.

L’Homme Trouble sombre dans la folie.

Alira et Clayton restent à ses côtés pour permettre à Edward, grièvement blessé, mais plus lucide que les autres, d’emporter un terrible secret avec lui, loin de son ancien compagnon. Hélas, il perdra la mémoire peu après, et son destin changera à jamais son corps pour le transformer en Ed, l’Intelligence Accidentelle, après qu’il ait croisé le chemin de Thane Kryos, engagé par Cerberus au départ pour le supprimer.

L’Homme Trouble, rongé par une maladie étrange et en proie à une grave détérioration de sa santé mentale, fonde Cerberus, la mystérieuse organisation criminelle.

Clayton et Alira deviennent ses associés et ses piliers. Mais il est obsédé par la technologie Prothéenne et par ses secrets, et il cherche par tous les moyens à retrouver Edward, qu’il pense être un traître voulant à tout prix lui confisquer ce qui lui revient de droit.

L’Homme Trouble s’engage dans deux projets déments : manipuler la structure génétique des espèces connues pour faire émerger des pouvoirs psys, et ouvrir un Grand Portail dimensionnel qui permettrait le retour des Prothéens, ou du moins de ce qu’ils sont devenus, des entités malveillantes et égoïstes.

Clayton et Alira décident qu’il est temps de mettre certaines choses à l’abri de sa rapacité, sous la forme de trois tatouages codés, qui sont inscrits sur la peau de trois femmes. Une Asari, Alira, une Turienne, et une Humaine, qui n’est autre que Faye Valentine.

Alira s’enfuit, et l’on sait que Clayton permet à Faye de faire de même, avant de détruire les données compromettantes qui auraient permis à Cerberus de retrouver les coordonnées de la tombe extraterrestre.

Alira trouve refuge auprès de la seule organisation capable de rivaliser avec Cerberus, les Dragons Rouges. Elle joue rapidement de ses charmes pour approcher le Patriarche Li Feng, et devient son amante et son éminence grise afin de se garantir une protection totale contre L’Homme Trouble, ce d’autant plus qu’elle a emporté avec elle une Clef permettant d’ouvrir le coffre où il cache un treizième manuscrit asari, retrouvé dans la tombe prométhéenne.

Et pendant de nombreuses années, le statu quo perdure.

Récemment, une jeune dealeuse des Dragons Rouges, pour racheter son amante asari retenue contre son gré par un maffieux, quitte l’Organisation en volant un stock de drogue Red Eye, ainsi que la Clef.

C’est cet événement qui va mettre le feu aux poudres, et faire se télescoper à nouveau les cinq personnages des joueurs avec leur passé et les machinations de Cerberus, après les avoir confrontés à une guerre de pouvoir au sein des Dragons Rouges.

Bien entendu, c’est là un canevas suffisamment lâche pour accepter d’autres connexions et d’autres développements. Parfois des changements, même majeurs, si le besoin s’en fait sentir au fur et à mesure des séances de jeu. C’est pourquoi une structure en carte mentale est plus intéressante lorsque l’on mène.

Format MindNode

Star Cowboy, les dessous de la Saison 1

Format .rtf

Star Cowboy, les dessous de la Saison 1

Le premier scénario, Whiplash, va mettre en scène la rencontre des personnages Chasseurs de Prime avec Maria Oxley, la voleuse de Red Eye et de la Clef. Ce sera notre prochaine étape dans l’univers de Star Cowboy.

Dans les coulisses des Consultations extraordinaires : Manue, consultante psychologue

Faisons connaissance avec les personnes qui œuvrent dans l’ombre pour construire les Consultations extraordinaires. À toute lady tout honneur, commençons par la validation psychologique du texte, avec Manue.

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Comment compose-t-on une musique de podfiction ? C’est en quelques mots ce que va nous expliquer mon Auguste Paternel, créateur des génériques de début et de fin des Consultations extraordinaires de Belladone Mercier, psychologue des dieux.

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Le Chevalier Rouge, de Miles Cameron

Le Chevalier Rouge, de Miles Cameron

Mon livre de vacances de l’été 2016 m’a fait renouer avec le genre médiéval fantastique, avec le premier tome de la saga Renégat, de Miles Cameron, auteur canadien au style enlevé. Le mélange des récits historiques et fantastiques donne souvent des métissages inattendus. Et en l’espèce, le bâtard issu de cette union est l’un des plus prometteurs que j’ai pu lire, qui marie l’ambiance médiévale bien documentée d’une compagnie de mercenaires à une épopée de fantasy opposant le monde des Hommes et celui des Êtres surnaturels.

Le Chevalier Rouge est un paria fuyant sa trop haute naissance et le poids d’un dessein maternel toxique dans la guerre professionnelle et la pratique des arts ésotériques d’une magie hermétique plus ou moins sulfureuse. Il dirige ainsi malgré son jeune âge d’une main de fer gantée une compagnie de mercenaire réputée. Il accepte de mettre ses services à la disposition de l’Abbesse d’un puissant monastère fortifié en butte aux menaces puis aux assauts d’une horde surnaturelle innombrable, et se retrouve alors au cœur d’un combat intime et aux proportions fabuleuses. Car le Monde Sauvage a décidé de punir les humains du royaume d’Alba, de reconquérir ses terres et de venger les affronts qui lui sont faits quotidiennement. À moins que la véritable lutte ne soit le fait d’autres puissances, aux motifs plus sombres encore.

On pense immédiatement au film peu connu de Paul Verhoeven, La Chair et le Sang (Flesh and Blood, avec l’incroyable Rutger Hauer), qui met en scène une bande de mercenaires au XIVe siècle, avec une liberté de ton peu commune dans le cinéma des années 1980. Les personnages sont tous des antihéros, il y a des scènes crues (de la chair et du sang, on n’est pas surpris du titre). Le Chevalier Rouge est beaucoup plus grand public (il n’y a pas de scène sexuelle, notamment), mais se rapproche du film de Verhoeven dans l’ambiance sombre qui s’en dégage.

Deux choses sautent aux yeux lors de la lecture : une connaissance intime du combat médiéval par l’auteur, qui pratique lui-même la discipline, et un univers intriguant, à la fois familier et mystérieux, fait du mélange astucieux entre des repères historiques forts et des changements fondateurs, presque uchroniques.

Le style vif est un peu ralenti par la foison de description des combats, un peu à la façon d’un Jaworski, la gouaille en moins. Mais il est quand même assez jouissif d’enfin lire quelqu’un qui a pris la peine de réfléchir (et même de vivre) à de réelles joutes en armure, avec le poids du métal et toutes ses conséquences. On peut regretter que le détail aille parfois beaucoup trop loin, et que les scènes d’action prennent autant de place dans la narration (sur plus de 800 pages, il y a la place). Cependant, le héros éponyme est un mercenaire. Sa vie est la guerre. Et pour une fois, on n’est pas volé sur la marchandise. Il s’agit de conter un siège. Surnaturel en partie, certes, mais un siège tout de même.

Et les morceaux les plus réussis ne sont pas forcément les scènes de bataille en elles-mêmes, mais bien le découpage presque cinématographique mis en place lors de celles qui impliquent des duels de magie. J’utilise beaucoup ce procédé moi-même qui consiste à entremêler deux actions dans un même paragraphe ou dans une même phrase, pour donner l’illusion de la simultanéité qu’offre le split-screen au cinéma, ou même le montage alterné rapide.

Par contre, la propension à découper les scènes en fonction des personnages commence à me sortir par les yeux. Il semble que les Anglo-saxons ne jurent maintenant que par ça, à croire que cette vilaine manie d’écrire leurs romans comme on découpe un scénario de film ou de série leur paraît être la meilleure façon d’attirer les studios pour adapter leur œuvre sur les écrans. Ce défaut a pu plaire (mais pas à moi) dans le Da Vinci Code de Dan Brown. Il a pu plaire encore dans le Game of Thrones de Georges Martin. Et je le déplore. Je lui trouve un petit côté racoleur qui m’irrite au plus haut point, et quand l’alternance entre les points de vue est trop rapide, je trouve ce procédé beaucoup trop frustrant pour le lecteur.

Le véritable plaisir de la lecture du Chevalier Rouge, c’est son univers.

Le royaume d’Alba fait référence sur bien des points à une Angleterre mythique qui ressemblerait un peu au royaume de Logres arthurien, de même que le pays de Galle avec ses chevaliers arrogants ne peut que faire penser au royaume de France. La rivalité des deux contrées est là pour souligner ce fait. L’empire de Morée est bien sûr l’incarnation de Byzance. On pourrait bien se retrouver dans l’univers de miroirs déformants des romans de Guy Gavriel Kay (La mosaïque de Sarance, Les lions d’Al Rassan). Et pourtant, là où Gavriel Kay décrit des mondes imaginaires inspirés de notre passé, Miles Cameron a l’idée géniale d’entremêler des faits de notre propre monde dans sa création. Par exemple la religion catholique, ses saints, son crédo. Tels quels. On ne sait donc plus très bien si l’on est dans un récit historique ou imaginaire. Et ça fonctionne ! Les repères religieux ancrent la fantaisie dans un mystérieux à la fois proche et lointain. Au début, même, on peut penser que l’univers est le nôtre. Ce n’est que lorsqu’il est question véritablement du Monde Sauvage, incarnation des forces primitives et telluriques, que l’on comprend qu’il s’agit d’une fantaisie assumée.

La magie, au départ seulement évoquée, est ensuite une part importante de cet univers coloré, à la fois sanglant et cruel, mais aussi flamboyant et intense. Et c’est là encore une réussite. Grâce à des éléments empruntant aux théories alchimiques, kabbalistiques, et à la sorcellerie « historique », Cameron décrit une magie unique, parfois liée à la religion, parfois liée à une pratique plus laïque, ou plus instinctive. On y lance des sorts appelés fantasmes en enchaînant des actions comme dans un combat à l’épée, en invoquant l’aide de saints ou des petits modules d’autres sortilèges comme on pourrait le faire en code informatique avec des sous-programmes. C’est très bien fait et pensé.

Il est très rassurant de constater qu’on peut faire un récit médiéval fantastique sans tomber ni dans le plagiat de Tolkien, ni dans le n’importe quoi narratif de Georges Martin, et ça m’encourage à poursuivre non seulement la lecture de la série de Cameron, mais aussi à continuer mon écriture propre, avec mon projet Rocfou, un univers dont l’ambiance est assez proche, bien qu’inspirée plus de l’époque mérovingienne et carolingienne. Mais je vous en reparlerai. J’ai d’abord Le Choix des Anges à finir…

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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D’autres mondes à explorer sur la Toile, été 2016

D’autres mondes à explorer sur la Toile, été 2016

D’autres mondes à explorer sur la Toile, été 2016

Summer is coming !

La chaleur estivale a fini par pointer le bout de son museau après de multiples tergiversations dignes d’une jeune fille faisant languir ses soupirants, et sans doute, tout comme moi, aurez-vous envie de vous alanguir sur une chaise longue pour profiter d’un repos bien mérité.

C’est en tous les cas ce à quoi mon moi profond de serpent à plumes aspire : se lover sur une pierre bien chaude, un bouquin entre les écailles. Ou un bon site à découvrir grâce à mon miroir numérique magique.

En route, donc pour notre deuxième voyage à travers la Toile, cette fois-ci sous les rayons du soleil.

Tout d’abord, un été ne serait pas un été sans un livre-fleuve à dévorer pendant les longues journées au bord de la piscine (si vous en avez une), ou sans un bon film dans lequel s’immerger pendant une éternité de durée variable, voire une partie de jeu de rôle entre amis pendant laquelle frissonner ou être exalté ensemble. Ça tombe bien, il y a un lieu pour cela : Cosmo [†] Orbüs, le temple numérique de Saint Épondyle, où vous trouverez en plus une dose de poésie et une vraie patte dans l’écriture des articles.

L’exploration estivale d’autres mondes, c’est aussi retrouver le goût des feuilletons des siècles précédents, autant dans les articles que dans des romans. En vous échouant sur le site de Catherine Loiseau, vous trouverez une île pas si déserte où vous abreuver d’ambiances steampunk et de machinations romanesques, mais aussi tout un ensemble de conseils, d’aides d’écriture, de petits trucs qui font la différence. Et je compte bien pour ma part entamer cet été, dès que mes écailles pourront se reposer, la série de la Ligue des Ténèbres

Enfin, comme il faut bien préparer la rentrée, tout bon internaute qui écrit un peu sur la Toile ira se revigorer aux remues-méninges de Camille Gillet sur Press Enter, où une verve haute en couleur qui fait toujours mouche s’assume avec passion. Car il n’est pas interdit de réfléchir un peu à ce qui se passe sur les réseaux, à la façon dont on peut naviguer dans les eaux troubles de l’océan des données informatiques, à quel genre de boussole on peut se fier dans ces courants contraires. C’est de la vie que Camille parle, à travers les réseaux, à travers son travail. De la vie et de l’éthique, de notre responsabilité, de nos choix.

Et à la rentrée, nous pourrons nous retrouver, voguant de concert, vers d’autres aventures.

Pour ma part, je vais lézarder quatre semaines, histoire de réchauffer ma plume au brasier de mon imaginaire, et de prendre mes aises dans ma nouvelle demeure.

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Les Affinités, de Robert Charles Wilson

Les Affinités, de Robert Charles Wilson

Les Affinités, de Robert Charles Wilson

L’une des lettres de noblesse de la littérature de l’imaginaire est la licence d’inventer une nouvelle façon de se représenter le monde futur, de conjuguer le présent au moins-que-parfait ou à l’inconditionnel d’une évolution pressentie, anticipée, fantasmée.

Les maîtres parmi les écrivains de l’imaginaire sont ceux qui peuvent faire ressentir ce paradigme dans les moindres détails ou dans un quotidien qui devient étrange, sinon étranger, et qui font se percuter le réel et le non-encore-advenu, ou le réel et ce-qui-pourrait-advenir. Il y a Philip K. Dick, bien sûr, Neil Gaiman. Il y a Jules Verne.

Et il y a également Robert Charles Wilson.

Si vous n’avez rien lu de lui, jetez-vous dans la première librairie et dévorez Spin ou Darwinia, deux monuments dans lesquels il revisite notre monde selon deux postulats bien distincts mais tout aussi puissants. Dans Spin, son chef d’œuvre, la Terre est enfermée brutalement dans une bulle impalpable où le temps écoule beaucoup plus vite, précipitant la fin du monde à l’échelle d’une trentaine d’années. Et Darwinia nous convie dans un monde où en une nuit, l’Amérique a été remplacée par un continent inconnu et vierge.

Dans chacun de ses ouvrages, Wilson nous entraîne à penser notre quotidien différemment, il tord nos habitudes, questionne nos certitudes.

Avec Les Affinités, il essaie de répondre à une interrogation sur le devenir des réseaux sociaux en imaginant comment ils pourraient redéfinir la façon dont les êtres humains coopèrent.

Adam Fisk est un Tau, un membre de l’une des plus importantes Affinités, ces groupements humains constitués après qu’un chercheur israélien du nom de Meir Klein ait mis au point une nouvelle sociologie basée sur la capacité des individus à coopérer suivant divers critères à la fois physiques, physiologiques, psychologiques et génétiques. Les vingt-deux Affinités embarquent le monde dans une révolution des rapports humains où la nation, la religion, la famille, l’amour même s’effacent devant la fraternité qu’elles représentent. Et Adam Fisk, jeune étudiant en graphisme cherchant à se libérer d’une famille recomposée complexe et toxique, entre lui aussi dans la danse sans se douter le moins du monde qu’il va jouer un rôle déterminant dans l’évolution drastique qui s’annonce. Jusqu’à en expérimenter les joies les plus intimes, les doutes, les angoisses. Jusqu’à en subir la violence. Jusqu’à se transformer profondément lui aussi.

Le concept d’Affinité développé par Wilson est très riche et ne peut que faire écho à notre époque où les réseaux sociaux drainent des contacts et des façons de coopérer (ou de se déchirer) entre les êtres humains qui dépassent le simple cadre physique. Je pense par exemple au safety check du Livre des Figures, qui a matérialisé pour moi cette solidarité sans visage (jeu de mots ?) lors des attentats de Paris en novembre 2015. Et ce même si l’auteur dit lui-même que son interrogation va plus loin que les réseaux sociaux.

Si l’on peut se demander où va le Web ?, on peut aussi réduire la question à « où vont les rapports humains ? ». Comment le fait de se regrouper par followers, amis, cercles, contacts va modifier notre façon d’être ensemble ? Qu’est-ce qui va profondément changer dans notre monde relationnel ?

Robert Charles Wilson pose cette question en s’inspirant d’un autre maître de la SF.

Car la téléodynamique qu’aurait inventé Meir Klein pour baser le concept d’Affinité et redéfinir les façons qu’ont les humains de se regrouper selon des critères scientifiques rappelle beaucoup la psychohistoire d’Isaac Asimov et son cycle de Fondation, dans lequel la chute de la civilisation a été prévue par une nouvelle branche de la connaissance qui permet de réduire la période de barbarie qui doit suivre inévitablement l’Effondrement.

Les Affinités s’attache véritablement au concept de communautarisme, en cherchant à quel point les façons de se percevoir comme faisant partie d’un groupe peuvent remodeler notre rapport aux autres et donc au monde. Il est assez intéressant de souligner que Wilson est américain installé au Canada. Le monde anglo-saxon a une façon différente d’appréhender la communauté et le communautarisme, si on compare avec notre vision française héritée de l’Universalisme des Lumières et surtout du jacobinisme et de la devise de la République, « Une et Indivisible ».

Wilson en montre des travers possibles : guerre de communautés (entre Tau et Het, entre personnes affiliées à une Affinité et celles qui ne le sont pas), exclusions, exclusivités (des banques gérées par Tau pour des clients exclusivement Tau).

Adam en vient rapidement à considérer les non-affiliés comme des étrangers, y compris sa propre famille.

Ce qui a été créé pour symboliser une nouvelle voie de coopération entre les êtres humains devient en réalité une nouvelle ségrégation.

On peut réfléchir à ce que cela implique dans la transformation que les réseaux sociaux opèrent dans notre quotidien.

Nous coopérons avec des personnes que nous ne connaissons pas vraiment, en nous regroupant par affinité subjective. Sur Twitter, tel follower aura retweeté mon lien, alors il va m’apparaître sympathique, un autre va m’avoir suivi récemment, vais-je être tenté d’en faire de même ? Sur le Livre des Figures, quelle est la proportion de mes véritables amis et celle de mes « amis virtuels » ?

Ce qui pourrait apparaître (et qui apparaissait au début des années 2000), comme une nouvelle Universalité du genre humain, un rapprochement des peuples et une abolition des frontières, a tendance à recréer des tribus, des clans. Il n’y a qu’à voir comment les disputes se déroulent sur Twitter pour déjà le vivre, à une échelle moindre que dans Les Affinités, bien sûr, mais avec le même mécanisme.

En y pensant un peu, j’ai fini par conclure, en toute humilité, que le changement véritable dans les relations humaines est impossible.

Nous restons les mêmes animaux sociaux grégaires et claniques qu’il y a des millions d’années au début de notre évolution.

Les mêmes moteurs sont à l’œuvre dans nos rapports aux autres : des sentiments nobles comme l’amour, l’amitié, la loyauté, d’autres moins comme l’ambition, la haine, la peur.

Notre tendance à nous regrouper, à entrer en coopération, est toujours contrebalancée par une égale force d’opposition avec ceux qui nous sont dissemblables.

Les individus ne peuvent survivre seuls, alors ils forment des clans.

Mais les clans ne peuvent vivre que s’ils s’opposent à d’autres clans.

Et ainsi va l’Humanité, entre déchirements et rapprochements, entre Union et Brexit, entre rencontre et rupture.

C’est cette dualité, présente en toutes choses, qui structure notre histoire, comme elle structure toute évolution.

Et si l’Universalisme est une belle valeur, une de celles que je partage avec les philosophes des Lumières, elle reste une utopie improbable, une fantasque asymptote vers laquelle nous devrions tendre, sans jamais parvenir à l’atteindre.

Ou alors à la Fin des Temps, lorsque nous serons tous Sages.

Deux films sur un thème : le difficile métier d’être père

Deux films sur un thème : le difficile métier d’être père

Deux films sur un thème : le difficile métier d’être père

La paternité est une étape majeure de la vie d’un homme, qu’elle soit voulue, subie, refusée ou désirée, voire parfois une impossibilité. De l’autre côté du miroir, nous avons tous une histoire complexe avec notre père, qu’elle soit conflictuelle, fusionnelle, proche, éloignée, teintée de respect ou de jalousie, celle d’une absence ou d’une trop grande prégnance.

Loin de vouloir faire de la psychologie ou de la sociologie de bazar, je me suis intéressé à deux films récents qui illustrent bien à mon sens la richesse autant que la difficulté de cette relation de père à fils. Deux films qui montrent chacun une facette différente de la question, vues par des Américains. Nul doute que des réalisateurs français auraient eu un point de vue différent, d’ailleurs.

Being Flynn, quand être père est un fardeau et être fils une épreuve

Le film de Paul Weitz, à qui l’on doit des œuvres aussi diverses que Antz (Fourmiz), ou l’excellent Assistant du Vampire, explore tout d’abord la relation d’un père si fantasque qu’il en devient un être désincarné et en même temps toxique et d’un fils qui aimerait grandir libre de cette influence pesante sans pourtant parvenir à en dépasser les ressemblances et les différences qu’il exècre autant qu’il les admire chez son géniteur.

Alors qu’il est dans la fleur de l’âge, Nick Flynn tente de trouver sa voie comme écrivain tout en travaillant dans un foyer pour sans-abri, quand soudain son père, Jonathan, disparu depuis des années, refait surface dans sa vie. Nick a bien du mal à accepter le retour de celui qui l’a abandonné pour suivre l’inspiration de sa poésie, obsédé par son Grand Œuvre littéraire qui doit un jour le rendre célèbre.

D’autant plus de mal qu’il est lui-même tiraillé entre son désir d’écrire et son désir de vivre, entre ce qu’il imagine devoir faire et ce qu’il réalise concrètement, entre sa muse et sa petite amie.

Quand Jonathan débarque, c’est un véritable raz-de-marée qui submerge l’existence de Nick, en le poussant à choisir, à décider, à trancher. Pour le père, c’est l’occasion d’essayer de transmettre quelque chose tout en se confrontant au même mur qui le fit fuir des années plus tôt : la question épineuse de savoir s’il est « fait » pour assumer la responsabilité d’un enfant.

S’ensuit toute une série de situations cocasses ou tragi-comiques, de catastrophes du quotidien, qui jalonnent la relation si complexe entre les deux hommes.

C’est avec plaisir qu’on retrouve Robert de Niro dans le rôle d’un père fantasque et irresponsable (en contradiction avec ses rôles habituels de père autoritaire, voire de patriarche), et délectation qu’on découvre que Paul Dano prend le contrepied avec Nick de son rôle de l’adolescent rebelle et mutique de Little Miss Sunshine. Ces deux inversions fonctionnent parfaitement sous le regard d’une caméra parfois crue, mais toujours tendre, même dans les moments de violence verbale ou physique.

C’est surtout la souffrance qui transparaît dans cette histoire. La souffrance du père qui dut abandonner la chair de sa chair, conscient de sa propre faiblesse, mais aussi la souffrance intérieure de ne pas réaliser son rêve le plus profond, ou du moins de le vivre à contre-courant et de devoir lui sacrifier bien d’autres choses. La souffrance du fils à devoir se montrer plus raisonnable que son père, à devoir grandir plus vite et à se rendre compte que malgré ses aigreurs en son refus, ses ressemblances sont moins ténues qu’il le voudrait avec ce géniteur foutraque et génial.

Mais au final cette souffrance apporte bien une profonde compréhension, et met les deux personnages sur la voie d’une certaine sérénité.

Paul Weitz trace deux portraits si entremêlés grâce à la plume de son coscénariste, le véritable Nick Flynn lui-même, dont le livre raconte l’histoire vraie de sa relation avec son père. La réalité est donc parfois aussi belle et compliquée que dans une fiction, ce qui rend la fiction plus belle encore.

Faut-il opposer la paternité et la liberté ? Faut-il vouloir à tout prix être dissemblable de son père ? Faut-il trouver qui l’on est en refusant ses racines ou en les acceptant pour mieux les dépasser ?

Les questions sont nombreuses lorsqu’on plonge dans cette histoire, depuis la difficulté d’assumer une responsabilité si écrasante que celle de l’éducation d’un enfant à l’influence que l’on peut avoir sans même s’en rendre compte sur lui, que ce soit par sa présence ou même son absence, à la quantité de liberté qui nous reste lorsque l’on perçoit la marque de notre histoire familiale et à quel point elle plonge ses racines loin dans notre psyché.

Nous pouvons tous nous retrouver en Nick ou en Jonathan, voire même dans Nick et dans Jonathan à la fois.

St. Vincent, quand trouver un fils peut être aussi magique que découvrir un père qu’on n’imaginait pas

À l’autre bout du spectre, il y a ceux d’entre nous qui n’ont pas eu d’enfant, pas eu de fils, volontairement ou parce que la vie leur en a refusé la possibilité. Et parfois, l’existence réserve des surprises qui dépassent les espoirs ou transcendent les limites.

Dans ce film de Theodore Melfi, Vincent est un vétéran du Vietnam égoïste et hédoniste qui fume, boit, se drogue, fréquente les femmes de petite vertu et vit dans un pavillon miteux en banlieue. Lorsque sa nouvelle voisine, Maggie, fraîchement divorcée s’installe, Vincent devient le baby-sitter de son fils Oliver, au départ par l’appât du gain, et puis peu à peu par affection bourrue pour cet enfant chétif et intelligent. Tous les deux découvrent alors chez l’autre des faiblesses et des forces insoupçonnées, et en eux-mêmes des ressources aussi surprenantes.

Quand Vincent apprend à Oliver à se défendre contre les caïds de l’école, le jeune garçon lui rend la pareille en lui offrant une vision de la vie plus naïve et plus altruiste, et à accepter que les autres puissent entrer dans son intimité. Et lorsqu’un coup du sort frappe l’existence de Vincent, c’est avec l’enthousiasme et la candeur de l’enfance qu’Oliver fédère toutes les énergies pour aider son ami et presque père.

St. Vincent est à la fois un film subversif, surprenant, et jouissif, et une pépite pleine de bons sentiments, dans un sens vraiment non péjoratif. Notre époque manque singulièrement de candeur et de bons sentiments, et quand ils sont sincères et ne tombent pas dans la mièvrerie, ils sont une excellente bouffée d’air frais.

Quelques instants de finesse dans un monde de brutes, pour paraphraser le fameux slogan.

C’est ainsi que voir l’inénarrable Bill Murray incarner un Vincent transgressif et paillard est un réel plaisir, tout comme découvrir les failles secrètes du personnage et comprendre le pourquoi du comment de sa carapace d’indifférence. C’est ainsi que vivre avec lui l’initiation du jeune Oliver (Jaeden Lieberher) et comprendre avec lui le pouvoir de la naïveté est touchant. C’est ainsi que voir Naomi Watts incarner une catin au grand cœur pleine d’humanité rend optimiste quant à la possibilité de se sortir d’une vie que l’on ne désire pas. Et suivre l’itinéraire de Vincent est aussi suivre l’histoire de plusieurs résiliences qui se soutiennent mutuellement.

La relation de Vincent avec Oliver ressemble à s’y méprendre à une relation père-fils.

Il y a la transmission, la complicité, le conflit, la reconnaissance, le partage, les différences, la compréhension, l’acceptation de l’autre et de soi-même, et surtout l’amour. L’histoire d’une initiation à double sens, quand le père apprend à vivre à son fils, et que le fils réapprend à son fils la façon de rêver sa vie.

Et tout cela sans qu’il y ait la moindre relation biologique entre le « père » et le « fils » (si ce n’est le « Saint-Esprit », si vous me passez ce jeu de mots).

C’est que la relation paternelle peut naître dans des configurations totalement inattendues.

D’autres films…

C’est pourquoi on peut aussi se pencher sur d’autres façons de raconter les mêmes histoires.

On pourrait regarder le Big Fish de Tim Burton pour un autre point de vue sur la difficulté d’être père et les conséquences de l’inconséquence comme dans Being Flynn, ou Un monde parfait de Clint Eastwood pour découvrir une autre relation inattendue entre un « père » et un « fils ».

Sans compter la trame familiale qui irrigue le destin de Luke Skywalker et le fameux « Je suis… ton père » que lui lance Vador dans l’Épisode V, ou le meilleur des Indiana Jones, La Dernière Croisade, où Henry Jones Junior retrouve Henry Jones Senior.

Car la paternité est un sujet universel, qui nous touche tous d’une façon intime.

Seuls ensemble, un court de Loreleï Adam

Seuls ensemble, un court de Loreleï Adam

Seuls ensemble, un court de Loreleï Adam

Le cinéma est un merveilleux moyen de montrer l’irruption du fantastique dans le quotidien, de façon subtile, sans doute plus subtile qu’avec des mots. Il suffit d’une image, d’un enchaînement d’images, de quelques sons bien travaillés, et une scène banale, comme un homme solitaire trouvant un enfant égaré dans sa voiture, peut se teinter d’une étrangeté à la fois dérangeante et intemporelle. C’est un peu ce qui se passe dans Seuls ensemble, le court-métrage que Loreleï Adam a présenté à l’École Supérieure de l’Audio-Visuel de Toulouse (ESAV) il y a quelques jours.

Ce projet de fin d’études a été en partie financé grâce à la plateforme participative Ulule, et j’en ai donc suivi quelques étapes avant d’assister à la projection.

Marcus, un homme de 45 ans, vit seul avec Hanska, son chien, depuis le décès de son jeune fils, dans une petite maison en pleine nature. Un soir, il croise le chemin de Max, un enfant égaré dont les manières étranges et le mystère vont doucement bouleverser son existence.

Max, le mystérieux garçon

L’histoire est courte (23 minutes à l’écran), mais poignante. Malgré quelques défauts dans la gestion des profondeurs de champ (dus à des problèmes techniques lors du tournage), ou peut-être même grâce à eux, l’ambiance qui s’installe est pourtant à la fois éthérée, lourde et empreinte de douceur. La façon de filmer de Loreleï, toute en délicatesse, en touches fragiles, amène rapidement à entrer dans l’intime, sans jamais se départir d’une pudeur qui n’en devient que plus humaine. On trouve un équilibre vraiment rare entre la proximité des personnages (l’utilisation des gros plans), et la distance entre le réel et le fantastique. Sans doute que la présence forte de la nature, à travers les paysages, mais aussi à travers le personnage de Hanska, est pour beaucoup dans cette impression de vivre une histoire hors du temps.

On pense au Petit Peuple, aux Sidhe, à ces forces telluriques qui prennent et qui donnent sans véritable raison.

On pense aux univers de Neil Gaiman, comme L’océan au bout du chemin ou Neverwhere, où le quotidien percute silencieusement, presque clandestinement, le surnaturel.

Le choix des acteurs y contribue largement. Max est joué par un enfant roux au regard clair très dérangeant (qui s’avère même après enquête être le neveu de Zazimutine, dont je vous parlais des tribulations bloguesques il y a quelques mois, étrange coïncidence qui montre encore une fois combien le monde est petit) qui m’a tout de suite fait penser à un lutin. Marcus, lui, est interprété par un acteur qui n’avait jamais fait de cinéma auparavant et qui, grâce à la direction de Loreleï, parvient à une sincérité qui porte toute l’émotion du film.

Après en avoir discuté avec Loreleï, je suis convaincu que c’est sa façon de diriger l’acteur qui lui a permis de donner autant au rôle et à l’histoire.

Le regard très particulier que Loreleï pose sur ses personnages est aussi une des clefs de cette émotion partagée. Un regard à la fois tendre et précis, qui va chercher l’ombre comme la lumière.

Retenez ce nom : Loreleï Adam. Vous en entendrez parler, j’en suis sûr.

Nota Bene : L’image d’ouverture de l’article est une photographie de Lauric Gourbal via KazoArt.

The Physician, ou la noblesse de la Médecine

The Physician, ou la noblesse de la Médecine

The Physician, ou la noblesse de la Médecine

Il est rare que je regarde des films allemands contemporains, plus rare encore que j’ose en parler en public, et que dire alors d’en écrire quelques mots dans mon antre virtuel ?

Cependant, une fois n’est pas coutume, c’est bien d’un film allemand contemporain que nous allons discuter ici. The Physician (Der Medicus) est sorti en 2013, mais il est passé inaperçu en France. Sans doute est-ce parce que la traduction française du titre, L’Oracle, n’est absolument pas conforme à l’esprit du film, en s’attachant à un détail somme toute très accessoire de l’histoire pour oublier ce qui en fait le cœur véritable. Puisque Physician est le mot anglais pour Médecin, on passe vraiment à côté du sujet du film en pensant que l’Oracle prédit l’avenir ou que le film est encore une énième copie d’un film médiéval fantastique de série B.

Et c’est bien dommage, car The Physician est un excellent film, à plusieurs titres.

Nous sommes au XIe siècle, en Angleterre. Un jeune orphelin, Rob Cole (Tom Payne), est recueilli après la mort de sa mère par un barbier itinérant (Stellan Skarsgård), un charlatan aux intentions plus ou moins bienveillantes et d’un égoïsme forcené, qui lui apprend à survivre et à soigner selon les maigres connaissances occidentales de l’époque.

Mais lorsque le barbier commence à vieillir et à souffrir d’une affection de la vue (la cataracte) qui l’empêche d’exercer, c’est en rencontrant un médecin itinérant juif que Rob découvre le savoir fabuleux des médecins orientaux, hérité de l’antiquité et développé ensuite, notamment par Ibn Sina, plus connu sous le nom d’Avicenne (Ben Kingsley) à la cour du Shah de Perse, à Ispahan. Rob entame donc un périple interminable et dangereux à travers le monde connu pour rejoindre l’école d’Avicenne, se faisant passer pour juif afin de pénétrer au cœur des terres musulmanes. Il rencontrera en chemin à la fois l’amour, l’amitié, et la connaissance, avant de se battre pour suivre les enseignements de son maître, et de vaincre avec lui et presque malgré lui des fléaux aussi grands que la peste, les différences religieuses, et enfin le terrible « mal du côté » (l’appendicite) dont est morte sa propre mère.

L'affiche française du film

The Physician traite de très nombreux thèmes en deux heures et demie, mais loin de se disperser, le film développe un discours cohérent tant son propos fait sens à notre époque.

Car il ne faut pas s’y tromper : si l’histoire de Rob se déroule au XIe siècle, les thèmes du film nous parlent bien du XXIe, de nous, de notre vision du soin, mais plus encore de notre vision de la dignité humaine et de notre rapport avec la maladie, la mort, et finalement, de notre rapport à l’existence et au sens que nous lui donnons.

L’Orient & l’Occident

À l’époque de l’An Mille, les royaumes chrétiens sortaient à peine d’une période de troubles qui avait suivi la chute de l’Empire romain d’Occident. Le savoir accumulé par les philosophes et médecins, par les astronomes et les mathématiciens de l’Antiquité avait été perdu ou dispersé. L’Église avait sauvé ce qu’elle avait pu, mais ces connaissances étaient trop enfermées pour pouvoir circuler et fleurir à nouveau. Au contraire, l’Orient avait gardé de nombreux livres et sous la férule de dirigeants plus pragmatiques, et sous le règne d’une stabilité politique plus grande, le savoir antique s’était développé.

Le film nous rappelle à nos stéréotypes grâce à un renversement complet où l’Orient n’est plus synonyme d’obscurantisme, mais bien de progrès, scientifique autant qu’humain et éthique.

La figure du Shah de l’Empire perse (joué par Olivier Martinez), sorte de despote éclairé, fait écho à celle des souverains de l’Europe des Lumières (Catherine II de Russie, Frédéric II de Prusse). D’ailleurs, si le Shah est bienveillant, il l’est aussi par calcul politique et pragmatisme.

La société perse est aussi traversée par deux courants différents : la science, le progrès, l’humanité d’un côté, que symbolisent Avicene et son enseignement, et le fanatisme religieux, l’intolérance, la barbarie de l’autre, sous les traits du souverain des Ottomans ou de l’imam fanatique.

Tout cela pour nous rappeler ce que nous vivons à notre époque. Les tensions qui déchirent le monde sont encore et toujours les mêmes, malgré leur déplacement sur la surface du globe, malgré le fait qu’aujourd’hui ce ne sont plus les mêmes groupes qui incarnent ces valeurs.

Nous sommes issus d’une époque où nous étions ignorants et où les Lumières venaient de l’Orient. Et cet Orient qui fait tant peur aujourd’hui a pu être par le passé le siège d’un rayonnement comme nous n’en avons pas conscience aujourd’hui. Et même si les fanatismes étaient présents, ils ne résumaient pas l’une ou l’autre des civilisations.

Avicenne examinant un malade avec ses disciples

La dignité humaine, de la naissance à la mort

L’autre idée forte du film est la manière dont il envisage les rapports entre les soignants et les soignés, les rapports entre les médecins et les malades, les rapports entre les médecins entre eux.

Dans un humanisme tout hippocratique, Avicenne inculque à ses élèves un respect total de l’autre, jusqu’à recueillir son consentement pour tout geste, tout traitement. Un respect qui passe par le secret, celui dont nous avons nous aussi hérité, mais qui passe aussi par celui des volontés du patient, par celui de sa dignité. Les disciples d’Avicenne demandent l’autorisation d’examiner le patient avant de faire le moindre geste. Ils demandent aussi au patient s’il les autorise à le soigner.

Mes confrères seraient parfois bien inspirés de suivre cet enseignement, une vision moderne de la façon dont on soigne, une vision qui a échappé au corps médical depuis l’époque de Molière jusqu’à celle de Knock.

Avicenne pousse ses disciples, mais les considère ensuite bien vite comme ses égaux. Le rapport de maître à élève s’atténue, et c’est finalement le dernier qui guide le premier vers une avancée médicale majeure.

À bien des égards, Rob et Avicenne deviennent amis, et se complètent l’un l’autre dans une allégorie de l’élève dépassant le maître de façon pacifique et apaisée. Une sorte de contrepoint à cette image que l’on a souvent depuis Obi-Wan et Anakin de deux êtres qui s’entredéchirent.

Le souci éthique est enfin présent dans la façon dont Rob décide d’aller plus loin que les enseignements de son maître. Lorsqu’il brise le tabou de la dissection de cadavres humains, il le fait presque avec l’assentiment de son patient. Presque. On rejoint le dilemme des anatomistes de la Renaissance, bravant l’interdit religieux de la Papauté. On rejoint également les questions qui agitent notre temps sur les cellules souches, le clonage, la manipulation génétique.

Un film riche est aussi un film bien réalisé, crédible dans ses personnages, dans ses intrigues. C’est bien le cas avec The Physician, qui devrait être montré à tout étudiant en médecine, à tout externe, à tout interne, à tout médecin.

Mais pas seulement.

Star Cowboy : mise en place d’une table virtuelle sous Roll20

Star Cowboy : mise en place d’une table virtuelle sous Roll20

Star Cowboy : mise en place d’une table virtuelle sous Roll20

Comme beaucoup de rôlistes de mon âge (avancé), mes compagnons de jeu et moi-même avons peu de temps à consacrer à nos aventures partagées. Les obligations professionnelles, familiales, l’éloignement de plusieurs d’entre nous (régions toulousaine, montalbanaise, agenaise, parisienne), forment des obstacles qu’il était auparavant impossible de vaincre plus de quelques rares fois par an.

Heureusement, les technologies d’internet ont permis ces dernières années l’apparition de services de tables de jeu virtuelles, des interfaces partagées en ligne où les joueurs peuvent se connecter pour interagir avec des éléments tels que des images, des plans, des cartes, peuvent lancer des dés virtuels, écouter de la musique en même temps, et se parler les uns aux autres en conférence téléphonique, voire en vidéo.

Nous avons quant à nous choisi Roll20, pour sa simplicité de mise en œuvre et la polyvalence des styles de jeu qu’elle permet. Pour de vieux briscards du jeu de rôle comme nous, la prise en main d’un tel outil n’est pas si simple, même si nous sommes technophiles. Il existe de nombreux tutoriels, en anglais ou en français, sur la toile pour s’y acclimater. Mais mettre en place une partie de FATE n’allait pas de soi, car le style de jeu est un peu particulier (Points de Fate sous forme de jetons, Aspects à écrire et utiliser à la volée en cours de partie, jets de dés).

J’ai donc décidé de vous faire partager pas à pas la mise en place de notre table virtuelle Roll20 pour Star Cowboy et la configuration nécessaire à l’utilisation de FATE/Atomic Robo avec cette plateforme.

Création de la Campagne

Roll20 est une application internet accessible depuis un navigateur, et ce gratuitement. Il suffit de créer un compte sur la plateforme. Il existe des options uniquement réservées à un compte payant, mais très franchement elles ne sont pas indispensables pour créer une partie, même en tant que meneur de jeu. Pour ce faire, il suffit de cliquer sur Create New Game, et vous voilà propulsé dans l’interface de l’application. Je vous renvoie aux nombreux tutoriels qui peuplent la Toile pour les détails sur son utilisation.

Choix de la Feuille de Personnage

Grâce à +Sioc Fate, de la communauté Google+ de FATE Francophone, vous pouvez choisir à la création une feuille de personnage FATE Core francophone parfaitement fonctionnelle. Ce n’est pas la même que celle d’Atomic Robo (les Modes manquent), mais on peut facilement s’en servir de la même façon.

Il suffit de noter les Modes comme des compétences normales, et de lister au-dessous de chacun les Compétences à leur niveau spécialisé, maîtrisé, ou nominal. En jeu, vous n’aurait qu’à cliquer sur le dé symbolisé à côté de la compétence voulue pour que l’application vous donne le résultat d’un jet de dé.

Le fond d’écran

C’est sans doute le plus long à penser. Il faut en effet loger beaucoup de choses sur une table de jeu sous FATE : les pions des personnages, les différents Aspects mis en jeu, l’échelle de résultats pour l’avoir toujours sous les yeux, et quelques petits rappels pour que les joueurs comme le meneur de jeu aient toujours à l’esprit les mécanismes particuliers des actions de FATE.

Certains multiplient les images de fond pour placer tout cela, j’ai préféré faire une seule très grande image que j’ai placée comme fond, et où chaque zone est déjà délimitée.

Les Aspects

J’ai décidé de placer mes Aspects en haut de la table, afin qu’ils soient toujours visibles. Je me sers de l’outil de texte de Roll20 pour les créer, et les place dans la zone de l’écran délimitée à cet effet. Pour Star Cowboy, il y a des Aspects de Série, des Aspects d’Épisode, des Aspects de Scène, et les Conséquences Collatérales en plus des Aspects de Personnage qui sont gérés quant à eux directement sur la fiche de chaque personnage.

Pour me retrouver dans les différentes utilisations des Aspects (boosts, utilisations gratuites), j’ai développé un code simple à retenir :

Nom de l’Aspect + autant de * qu’il y a d’utilisations gratuites suivis de l’initiale du personnage (ou son nom complet) +/- b si c’est un boost.

Membre influent de l’équipe de protection de Samuel *Spike

Permet donc à Spike (joué par Jérôme) d’invoquer l’Aspect avec une utilisation gratuite. Il ne s’agit pas d’un boost et l’Aspect restera donc valable après sa première utilisation.

Bien évidemment, il faut mettre à jour l’Aspect une fois celui-ci joué (invoqué ou contraint), en n’oubliant pas de retirer l’éventuel astérisque, ou de le supprimer totalement s’il s’agissait d’un boost.

Cela demande une certaine discipline, mais les habitués de FATE y seront déjà rodés.

Les Personnages

La création de personnages est assez simple avec Roll20. Mon habitude est cependant, pour aller plus vite, de suivre toujours la même procédure. Tout d’abord écrire une description publique. Puis, m’atteler au remplissage de la fiche. Ayant créé Star Cowboy comme je le fais pour une partie non virtuelle, je copie/colle les Aspects de Personnage, puis j’organise les compétences en suivant un ordre précis. D’abord le Mode le plus élevé sur une ligne seule, puis en dessous les compétences spécialisées qui dépendent de ce Mode, en dessous les compétences maîtrisées, encore en dessous, éventuellement, les compétences à leur niveau nominal. Puis le Mode intermédiaire, et ainsi de suite.

Ne pas oublier de régler les paramètres pour savoir si les joueurs peuvent voir le personnage et le contrôler. C’est particulièrement important pour les personnages des joueurs afin que chacun puisse contrôler le sien.

Les Points de Fate

Roll20 intègre par défaut un système de cartes à jouer que l’on peut utiliser facilement, et que j’ai détourné pour symboliser les points de Fate. En téléchargeant sur le site une image de jeton de poker un peu modifiée via Pixelmator, j’ai créé un jeu de cartes alternatif où toutes les cartes ont la même face et le même dos. Il est donc possible de s’échanger les jetons comme on le ferait avec de véritables objets. Je trouve que cela renforce le côté ludique de FATE aussi bien que l’impression familière de manipuler des objets, puisque hélas on ne jette plus les dés physiquement.

La musique

Le système de SoundCloud intégré à Roll20 permet de s’occuper de l’ambiance, mais j’avais quant à moi préparé une playlist avec de nombreux morceaux de ma discothèque. Impossible donc de passer par SoundCloud. Je désirais par exemple que les scénarios possèdent un générique de début et de fin, comme j’en ai pris l’habitude dans le jeu type « série américaine ». Impossible de trouver le générique de Breaking Bad qui me sert d’introduction pour chaque épisode de Star Cowboy.

J’ai donc cherché comment diffuser ma musique à travers WebRTC. Heureusement, je suis sous Mac, et il existe un utilitaire gratuit vraiment génial qui se nomme SoundFlower. Il permet de rediriger le son émis par l’ordinateur vers un autre programme. En suivant ce tutoriel, j’ai donc réussi à diffuser ma musique en même temps que ma voix à mes camarades de jeu.

À l’usage, cependant, il semble que la diffusion de musique dans une partie de jeu virtuelle donne un résultat très différent par rapport à un jeu sur table. L’importance du son au cours du jeu, surtout lorsqu’on n’a pas la vidéo, est primordiale pour la compréhension des situations, et nous avons trouvé que la musique pouvait devenir très gênante dans ces moments-là, alors qu’elle pourrait être stimulante en jeu réel autour d’une même table. J’ai donc appris à faire taire ma sensibilité de mélomane et de réalisateur pour ne concerner la musique qu’à certains moments-clefs. Les génériques de début et de fin, essentiellement.

Cependant, je continue à penser mes scènes en musique, et je tiens ma playlist prête à toute éventualité, au cas où…

Les petits réglages personnels

Afin d’économiser de la bande passante, mais aussi pour accentuer l’immersion, nous avons décidé de couper la diffusion et la réception vidéo dès que la partie commence. Cela évite de se disperser, et rend la transmission audio plus fluide. Comme nous utilisons Chrome ou Firefox, nous passons directement par l’interface WebRTC. Il suffit alors dans les réglages de choisir Voice Only comme paramètre de l’option Broadcast to Others et de l’option Receive from Others.

De la même manière, j’ai demandé à mes joueurs de noter le nom de leur personnage comme pseudonyme. Ainsi, pendant le cours de la partie, on a naturellement tendance à s’interpeller par le nom des protagonistes et non par celui des joueurs.

Une fois tous ces réglages effectués, la partie peut commencer. Il suffit d’envoyer à vos joueurs le lien unique créé par Roll20 et à ne pas oublier de vous laisser une petite place sur le canevas pour entasser tous les éléments qui resteront cachés jusqu’à ce que vous les leur dévoiliez.

L’interface finale ressemble à cela. Un véritable capharnaüm, non ?

La partie proprement dite

Le jeu à distance est finalement assez proche du jeu sur table, à quelques différences près, qu’il faut s’attendre à apprivoiser avec le temps, comme le changement dans la perception de la musique dans l’ambiance.

Le fait de ne pas se voir (un choix délibéré comme je le disais plus haut) fait perdre beaucoup sur la captation des intentions des autres. Il faut donc parler beaucoup plus. Et s’écouter beaucoup plus. Il devient presque tacite de respecter quelques règles pour la prise de parole. On peut aussi se servir du chat écrit pour remplacer certaines précisions. Ce chat est d’ailleurs aussi très utilisé en parallèle de la voix pour transmettre des informations confidentielles à l’un des joueurs ou au meneur, et même, ce qui m’a surpris, entre joueurs pour commenter la partie en off, faire des digressions, voire des private jokes qui sont le pain quotidien de tous les rôlistes à travers le monde. On obtient ainsi une excellente immersion tout en permettant aux joueurs de plaisanter comme ils en ont l’habitude.

Pour le meneur, une partie de jeu virtuelle demande un travail encore plus conséquent qu’une partie réelle, car on a tendance à se reposer beaucoup plus sur les images (qu’il faut avoir cherché, parfois pendant des heures, tant sur le moteur interne de Roll20 que sur le net). Il faut avoir préparé le scénario à fond, le maîtriser sur le bout des doigts afin de rebondir facilement comme en partie réelle, tout en gérant en plus une interface informatique qui, si elle est simple et ergonomique, n’en demeure pas moins un écran inhabituel entre les joueurs et soi-même. Des actions facilement réalisables avec une main, un crayon et une feuille de papier prennent plus de temps avec une interface et un clavier, et demandent d’être encore plus en multitâche que lors d’un jeu sur table réelle. Il y a de nombreuses manipulations à faire : découvrir aux joueurs tel ou tel objet jusqu’ici caché dans la couche d’image du meneur, ouvrir telle ou telle fiche de personnage, déplacer des pions… On ressort d’une partie de 4 petites heures aussi fatigué que lors d’une grande session de 12 heures de jeu réel.

Je ne sais pas si cela influe encore sur l’écriture du scénario en lui-même, mais en tous les cas cela influe sur le rythme de la session de jeu. Pour le moment, la découverte du média, celle du jeu lui-même (mes joueurs sont peu habitués à FATE), de l’univers, ont surtout occupé le temps de parole. Nous avons peu joué en style direct. Mais le rythme des actions a été plus rapide. Nous avons moins hésité sur des ponts de règle, plus passé du temps à décrire des situations. D’une certaine manière, j’ai trouvé la partie plus vivante. Était-ce dû au jeu en virtuel ou au système FATE, c’est une question non encore résolue.

Je reviendrai faire quelques comptes-rendus régulièrement, dans d’autres articles de cette série, pour tenter d’y répondre.

Vous avez d’ailleurs peut-être votre propre avis sur la question. Je suis curieux de le connaître, alors n’hésitez pas à le partager dans les commentaires.

Quantified Self et médecine, partie 2 : à l’ombre du Big Data

Quantified Self et médecine, partie 2 : à l’ombre du Big Data

Quantified Self et médecine, partie 2 : à l’ombre du Big Data

Pour faire suite au très intéressant article de Saint Epondyle sur le Quantified Self, je me suis lancé à mon tour dans une synthèse de ce que cette pratique de plus en plus répandue peut signifier, en me plaçant du point de vue du soin et de la médecine.

Car il ne vous aura peut-être (ou peut-être pas) échappé que tous ces petits gadgets sensés nous simplifier la vie se placent souvent dans une logique de santé et même parfois de soins.

Je vous embarque donc avec moi dans un voyage en deux étapes.

Dans la première, nous avons réfléchi à l’utilisation des chiffres et des normes en médecine.

Dans cette deuxième, nous abordons enfin le cœur du sujet : le bouleversement (ou non) du Big Data.

Quantified Self et Santé Connectée

Mais tout d’abord, nous devons savoir de quoi nous parlons.

La Santé Connectée est l’ensemble des dispositifs techniques et informatiques reliés les uns aux autres par des liaisons internet et destinés à mesurer ou contrôler divers paramètres chiffrés de notre santé, qui seront ensuite soit envoyés à notre médecin, soit analysées et stockées dans le « nuage internet » à travers des banques de données gigantesques ou des algorithmes mathématiques.

La Santé Connectée rejoint donc en partie le Quantified Self, mais ne le recoupe pas complètement.

Les prémisses sont apparues il y a quelques années, avec les premières balances connectées à des smartphones, capables de garder en mémoire l’historique de notre poids. Puis sont venus les bracelets connectés mesurant notre rythme cardiaque, les tensiomètres connectés, les stéthoscopes connectés, les thermomètres connectés, les piluliers connectés, des électrocardiographes connectés, enfin des bandeaux connectés sont maintenant chargés d’analyser notre sommeil et même de le modifier. Bref, tout appareil médical est désormais susceptible de devenir connecté.

Les smartphones n’ont d’ailleurs plus vraiment besoin de dispositifs connectés, puisque depuis l’iPhone 5, Apple a intégré une application de podomètre intégrée. On peut donc dire que beaucoup d’entre nous sont branchés sur la Santé Connectée, même sans le savoir ou sans le vouloir.

Tous ces dispositifs ont comme point commun de prendre la mesure de paramètres précis et de les stocker dans une banque de données. Ce qu’ils en font ensuite dépend de la politique de l’éditeur de l’application ou du dispositif que vous utilisez, mais beaucoup accèdent par défaut à vos données, anonymisées ou non, pour leur propre compte.

La mesure en temps réel

Se promener avec son smartphone dans la poche, porter une montre ou un bracelet connecté à son poignet, cela s’oublie très rapidement, devient une sorte de réflexe. On en vient à ne plus se souvenir que l’on est équipé d’un appareil mesurant en permanence notre nombre de pas ou notre fréquence cardiaque. En permanence.

Et même lorsque l’appareil est plus encombrant, comme un tensiomètre, dès qu’il est en fonctionnement, la récolte des données commence. Le mot récolte prend tout son sens quand on imagine une moissonneuse abattre des milliers d’épis de blé en même temps. Chaque instant voit le dispositif connecté prendre une mesure, et la stocker.

Une accumulation de chiffre se crée donc, qui est traduite généralement par l’interface en graphiques ou en tableaux.

Des données pour quoi faire ?

Mais toutes ces données servent à quoi, au fond ? Qu’en faire ? Simplement admirer les graphiques et se dire que l’on a là une bien jolie courbe de marche ?

Bien sûr que non. Mis à part pour les plus vains d’entre nous (et il en existe), le chiffre pour le chiffre n’a aucun intérêt. Sinon la montre connectée ou le podomètre finiront bien assez tôt remisés dans un placard.

Si nous utilisons ces dispositifs, c’est bien qu’il y a une raison plus profonde, un besoin plus fort, qui nous y pousse.

La performance

Ce n’est pas par hasard si les dispositifs connectés ont d’abord été massivement utilisés et adoptés par les sportifs. Ils permettent de mesurer précisément l’évolution des performances physiques et techniques d’une activité sportive. De se mesurer par rapport à soi-même, mais aussi par rapport aux autres. Rappelez-vous notre première partie, lorsque nous parlions des normes.

Mais ce qui est une nécessité professionnelle chez les sportifs peut également être utile pour le commun des mortels, ceux que l’on appelle les « sportifs du dimanche ». Jusqu’à un certain point.

Parce que pour être réellement utiles, ces mesures vont devoir être rapportées à votre effort, à votre technique sportive. Pour véritablement s’améliorer, il est en effet nécessaire de connaître deux ou trois choses en physiologie, par exemple les différences entre effort aérobie et effort anaérobie. La majorité des sportifs non professionnels connaissent-ils ces bases ? Je l’espère, mais n’en suis pas convaincu.

Et si ce n’est pas le cas, alors vivre toute sa vie à travers le prisme d’une courbe chiffrée est tout de même assez réducteur, et la profusion de diversité des objets connectés commence à faire entrer la culture du chiffre jusque dans des domaines où ils n’ont rien à faire dans une situation normale, comme une relation personnelle, voire sexuelle, comme le sommeil.

La perversité du partage sur les réseaux sociaux de ces chiffres pousse cependant à entrer dans ce monde étonnant où non seulement on mesure la taille de son propre sexe, mais ou également on la compare aux autres et on la publie sur internet, ce qui revient à la crier au monde entier, et pour les siècles à venir, puisqu’il faut toujours garder à l’esprit que la Toile n’oublie jamais rien, pas même le plus infime détail, de ce que nous pouvons publier sur nous-mêmes.

Il existe cependant tout un champ d’applications extrêmement utiles de la santé connectée et du Quantified Self, dans des situations anormales, voire pathologiques.

L’autosurveillance dans des pathologies chroniques

Le meilleur exemple de pathologie où un patient peut tirer bénéfice d’une autosurveillance chiffrée est le diabète. Cette maladie provoque l’incapacité de l’organisme à métaboliser correctement le sucre, qui se trouve s’accumuler dans le système sanguin pour y causer de multiples complications : pathologies vasculaires, nerveuses, des autres métabolismes. Elle a la particularité d’être indolore très longtemps, même déclarée. Et le seul moyen de la contrer est de faire en sorte que le taux de sucre dans le sang (la glycémie) soit maintenu dans une fourchette assez étroite. Trop peu de sucre et l’hypoglycémie peut endommager le cerveau et provoquer un coma mortel. Trop de sucre et l’accumulation finit par provoquer elle aussi un coma mortel.

C’est ainsi que beaucoup de diabétiques sont obligés de surveiller leur glycémie quotidiennement, voire pluriquotidiennement. Beaucoup tiennent à jour un carnet de glycémies, permettant d’adapter les doses de leurs traitements, insuline injectable ou molécules orales.

S’il n’existe pas encore de moyen fiable de mesurer une glycémie sans effraction cutanée par une aiguille, le fait est qu’un tel dispositif serait utile.

De même qu’une personne ayant une hypertension artérielle pourrait tirer bénéfice d’une automesure fréquente de sa tension, afin de dégager des tendances permettant d’adapter son traitement ou d’en vérifier la bonne efficacité ou la bonne tolérance.

Cependant, à ces deux applications du Quantified Self, comme aux autres pathologies chroniques que l’on peut imaginer surveiller (débit expiratoire dans l’asthme, oxymétrie dans l’insuffisance respiratoire), il ne faut pas oublier d’appliquer les quelques précautions que nous avons vues dans la première partie de cette série d’articles : prendre garde à l’outil de mesure et à sa fiabilité, aux normes utilisées, aux paramètres extérieurs pouvant influencer la mesure. Bref, dans toutes ces situations, l’interprétation critique des chiffres et de leur évolution sera plus que jamais absolument nécessaire. Ils ne devront jamais être pris pour vérité absolue, au risque de se tromper lourdement.

Le patient devra donc être guidé par un professionnel, même si au fil du temps il pourra devenir lui-même un expert de sa maladie et de son propre cas.

Les dispositifs de Quantified Self pourraient d’ailleurs plus facilement le lui permettre s’ils sont utilisés dans le cadre d’une éducation thérapeutique.

La surveillance à distance d’un patient par un soignant

Il existe d’autres situations où la Santé Connectée pourrait rendre de grands services : la surveillance à distance.

Imaginons une vieille dame de 90 ans, veuve, dont les enfants vivent loin, mettons à plus de 2 heures de route, mais qui est autonome dans les gestes de la vie quotidienne, qui fait ses courses, avec quelques aides à domicile. Cette vieille dame (appelons-là Henriette) est néanmoins sujette à des troubles du rythme cardiaque paroxystiques qui surviennent aléatoirement. De nos jours, Henriette serait équipée d’un stimulateur cardiaque autonome, qui détecterait toute déviation du rythme de ses pulsations et pourrait administrer un choc électrique si besoin. Des chocs que l’on pourra ensuite découvrir lorsque, comme tous les ans, elle ira faire vérifier le bon fonctionnement de l’appareil implanté dans sa poitrine.

Grâce à un stimulateur connecté, son cardiologue, voire son médecin généraliste, pourraient être avertis en temps réel de la survenue de ses troubles, et même en étudier la forme sur un écran. Cela peut permettre d’ajuster le fonctionnement du stimulateur, mais également le traitement médicamenteux qu’Henriette prend chaque jour pour tenter d’empêcher ces arythmies.

Cela pourrait prévenir instantanément les secours si d’aventure le trouble du rythme provoquait un arrêt cardiaque que le choc électrique administré ne pourrait pas résoudre. Un moyen d’éviter les « morts subites », ou du moins celles qui sont dues à de telles pathologies.

De même, un appareil permettant de surveiller l’oxygénation du sang chez un insuffisant respiratoire pourrait alerter le pneumologue de la survenue d’une hypoxie (une baisse trop importante d’oxygène pouvant potentiellement mener à un arrêt cardiaque).

Ou encore, si un capteur était disponible pour mesurer la fluidité du sang, un tel dispositif connecté permettrait d’adapter la dose d’anticoagulants que certains patients sont obligés de prendre chaque jour à des doses très précises et très changeantes.

On pourrait aussi imaginer surveiller les ondes cérébrales d’une personne épileptique pour prévoir d’éventuelles crises.

Mais ce ne sont là que quelques exemples, car les applications sont nombreuses, trop pour qu’on puisse dès maintenant les imaginer.

C’est ce qui rend sans doute la chose si effrayante et si passionnante à la fois.

Car tous ces appareils connectés, s’ils peuvent rendre de grands services, me semblent avoir un gros défaut commun : ils instaurent une surveillance médicale très intrusive, qui pour tout dire donne trop de pouvoir aux soignants si cette surveillance est indéfinie dans le temps.

Un insuffisant respiratoire est enchaîné à sa bouteille d’oxygène presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, me direz-vous, que lui chaud d’être en plus connecté en permanence à son pneumologue par un oxymètre connecté ?

Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, je n’aimerais pas que mon pneumologue puisse déduire mes activités de mon taux d’oxygénation, même s’il est bienveillant et que j’ai confiance en lui. C’est une question de vie privée. Je dis ce que je veux dire, en toute confiance, dans le secret de la consultation. Je me livre, sans rien omettre de ce qui pourrait aider mon pneumologue à mieux me soigner. Mais il n’a pas besoin de tout savoir sur tout pour le faire. Et c’est ce que ce dispositif lui offrirait : tout savoir en permanence sur mes activités.

Bien évidemment, pour passer un cap difficile, ma réflexion serait tout autre.

Imaginons qu’Henriette souffre également d’insuffisance respiratoire, et qu’elle soit en train de se remettre doucement d’une pneumonie contractée quelque temps plus tôt et presque guérie par des antibiotiques. Dans ce genre de situation, l’état respiratoire d’Henriette est très précaire, et peut à tout moment se dégrader. Mais Henriette est solide, autonome, et on sait qu’hospitaliser trop longtemps une personne de son âge fait peser sur elle des risques forts de troubles cognitifs. Dans cette situation, équiper Henriette d’un oxymètre connecté pourrait lui permettre de retourner à son domicile pour sa convalescence, en étant sûr de pouvoir intervenir si par malheur son état respiratoire ne tenait pas le choc, et en respectant sa vie privée puisque le suivi aurait un temps limité. Par exemple deux semaines, lorsque l’on sera certain que son système respiratoire a totalement récupéré.

Si l’on doit considérer de tels dispositifs connectés comme des outils de soin, alors il nous faut donc prendre quelques précautions pour les utiliser dans un cadre qui soit éthique et même déontologique. Comme des médicaments.

C’est un peu ce que préconise le Conseil National de l’Ordre des Médecins dont le livre blanc sur la santé connectée est assez intéressant à lire, car il aborde également cette question de l’intrusion du soignant, en effleurant aussi les conséquences que cela peut avoir sur la relation entre le médecin et son patient.

Paradoxalement (ou pas, c’est après tout son boulot), c’est la CNIL qui a le mieux pensé aux conséquences du Quantified Self en médecine, dans ce Cahier IP. Vous y lirez des choses passionnantes.

Mais on peut, et on doit, aller plus loin encore dans l’analyse, dans la prospective, car née de l’océan des données informatiques, apparaît peu à peu une nouvelle entité :

Le Big Data

C’est la collection de données à très grande échelle qui peut donner naissance au Big Data : l’accumulation d’une masse si grande de chiffres que des opérations statistiques deviennent possiblement très puissantes pour dégager des tendances à l’échelle de la population humaine tout entière, et en inférer des probabilités individuelles très fortes.

Dans le domaine de la santé, les données collectées par les dispositifs sont par nature sensibles, et sont considérées comme personnelles et confidentielles. Ou pas, suivant le pays où vous vous trouvez.

Mais elles ne sont pour l’instant pas en accès libre ni interconnectées entre elles, ce qui empêche encore la naissance d’un véritable Big Data en matière de santé.

Cependant, imaginons tout de même son avènement. Qu’est-ce que cela signifierait ?

Définir des normes

Dans le premier article, je vous parlais des normes. Toutes les normes qui existent sont pour le moment des extrapolations statistiques sur des échantillons qui, s’ils sont aussi larges que possible, n’englobent bien sûr pas l’Humanité tout entière. Cela pourrait changer avec le Big Data.

Imaginez que chaque humain soit pesé, mesuré pendant toute son existence, pendant une génération. La collection de données ainsi constituée pourrait nous offrir une norme extrêmement précise, car englobant toute la diversité de l’espèce. Cette norme de poids et de taille serait plus fine, et nous permettrait de mieux situer les anomalies de croissance des jeunes enfants, par exemple.

Prévoir l’évolution humaine

Imaginez maintenant que cette collecte soit faite pendant non pas une, mais sept générations d’êtres humains, soit environ 175 ans. La masse colossale de données pourrait par analyse nous donner les tendances générales de l’évolution de la taille et du poids des êtres humains au cours du temps. Nous serions donc à même de prévoir notre évolution en tant qu’espèce.

Je vous l’accorde, il faudrait pour que cela soit utile que nous ayons un peu « grandi » en sagesse, de gouvernement mondial, de conscience d’espèce, de respect de la vie humaine, bref… que nous ne soyons plus vraiment les mêmes humains qu’aujourd’hui… Ça tombe bien, nous avons 175 ans… Il va être temps de s’y mettre…

Trouver des corrélations inattendues

Plus proche, cet objectif est d’ailleurs déjà avoué par les chercheurs, qui s’attendent à dégager grâce aux analyses statistiques de données multiples croisées entre elles des corrélations qui nous avaient échappées jusqu’à présent.

Il ne s’agirait pas de spurious correlations, cependant, mais de véritables déductions, qu’il s’agirait ensuite d’interpréter, puis d’expliquer. Tout un champ d’études qui viseraient à comprendre pourquoi ces corrélations existent s’ouvrira. Il est probable que bien des avancées soient à la clef. Mais là encore, sans vigilance de notre part, l’interprétation de ces conclusions pourrait donner lieu à des dérives que l’on peine encore même à imaginer, sinon en regardant Bienvenue à Gattaca.

Estimer un risque

Le Big Data et ses corrélations vont sans doute nous aider à mieux prévoir les échelles de risque de développer certaines pathologies, ou celles qui déterminent quand en traiter d’autre, quand les éviter, comment et avec quelles molécules nous avons le plus de chances d’en éradiquer certaines, et quels risques font peser des traitements encore mal connus.

Mais il existe encore une fois un danger, une contrepartie : si nous laissons le chiffre et sa dictature s’installer trop profondément dans notre société, il va devenir l’aune ultime et unique de nos existences.

C’est déjà en partie le cas lorsque l’on parle des statistiques déjà à notre disposition en matière de santé et de soin. Dire à un patient « vous avez 15 % de risque de développer une pathologie » n’a pas de véritable signification à l’échelle individuelle. À l’échelle individuelle, la réflexion est plus prosaïque : soit la pathologie se développe, soit elle ne se développe pas. Une chance sur deux ? Pas même. Soit le patient développe la pathologie (et donc pour lui c’est 100 % de son expérience), soit il ne la développe pas (et pour lui ce sera 0 % de son expérience).

Imaginons que le Big Data s’en mêle : une corrélation statistiquement significative ne vaudra pas prédiction certaine pour le patient, mais sera prise comme telle par la société. 75 % de risque de développer un cancer du côlon ? Conséquence humaine : on devra être vigilant sur l’alimentation, les symptômes. Conséquence Big Data : traitements préventifs même si 25 % de chances de ne pas développer la maladie ça fait 1 cas sur 4, primes d’assurances plus élevées pour contrer un risque de surmortalité, interdiction de manger certains aliments… et j’en oublie.

Qui estimera s’il faut suivre ou non les corrélations du Big Data ?

Et si le Big Data s’emmêle ?

Chiffrer l’existence

Si le Big Data s’emmêle, alors ce sera la défaite de l’esprit humain. De l’intuition. Nos existences ne seront plus dictées par nous-mêmes, mais par des chiffres mesurés par nos propres machines, et par les personnes qui en contrôleront les interprétations et les lois proclamées à partir de ces interprétations.

Nous ne serions alors pas loin d’une société où la place de chacun sera déterminée dès sa naissance par l’étude de son génome et de ses risques de développer telle ou telle pathologie défavorable à la société, à la Norme (remarquez le grand N.).

Avez-vous entendu parler de la convention Aeras ? Probablement pas. C’est une convention qui permet aux personnes atteintes de certaines pathologies graves en rémission de contracter un prêt bancaire. Une garantie donnée par la loi, à des conditions strictes. Comme moi vous pensez sans doute que c’est une bonne chose, que c’est l’égalité de traitement envers tous, malade ou bien portant. La réalité est un peu plus complexe. Seules certaines pathologies sont autorisées, et les primes d’assurance comprennent encore des surprimes (même si elles ont été largement diminuées au fil du temps). Nous n’en sommes pas encore à étendre Aeras aux personnes qui ont une probabilité de développer une maladie grave. Mais cela pourrait arriver.

Sous couvert d’égalité, on crée une société inégalitaire.

Transformer le corps en marchandise

Autre écueil qui commence à affleurer à la surface de l’océan des données informatiques : l’exploitation commerciale de nos mesures, stockées dans le nuage par de bienveillantes sociétés dont le but est avant tout de faire des profits et d’en dégager pour leurs actionnaires.

Toutes vos mesures de kilomètres parcourus ou de nombre d’orgasmes provoqués vont d’ores et déjà alimenter les analyses statistiques marketing de régies publicitaires qui ne cherchent qu’à vous vendre les meilleures paires de chaussures ou les meilleurs préservatifs. Et demain ?

Demain, si le Big Data s’emmêle, toutes vos activités n’auront de sens que si elles rapportent des statistiques, des données, si elles permettent de vendre de la publicité qui vous fera consommer encore plus. Et dans le domaine de la santé, votre dossier médical ne se résumera plus qu’à une série de paramètres vendus par votre assurance maladie privée à des prestataires extérieurs.

Lorsque le frère d’Henriette, Francis, qui souffre d’une maladie de Parkinson et a donc du mal à écrire, sera surveillé par un appareil connecté, la fréquence de ses tremblements sera analysée en direct pour déterminer le moment où une société développant un exosquelette brachial pourra lui vendre son dernier modèle. Le T1001 sera bien sûr capable de lui rendre l’usage de ses doigts. Francis pourra à nouveau écrire sans trembler. Il pourra se servir une tasse de thé sans la renverser ou pire, la casser. Mais il devra payer un abonnement mensuel pour pouvoir utiliser le T1001, une machine onéreuse.

Bien sûr, j’exagère. Un peu. Mais regardez les publicités ciblées qui apparaissent dans votre boîte Gmail, et dites-moi si vous ne commencez pas à en être moins sûrs…

Comment se servir du Quantified Self en médecine de façon éthique

Garder son esprit critique quand on est un médecin — et quand on est un patient — me semble le seul véritable guide, car toutes les autres précautions en découlent.

Pour ma part, j’essaie de me poser quelques questions simples face à cette vague d’objets connectés et d’applications de santé.

Est-ce que le dispositif est utile pour le soin du patient ? Ça paraît étonnant, mais l’intérêt de nombreux dispositifs n’est pas si évident que ça. Et même lorsqu’ils semblent utiles, il faut se demander si c’est le cas pour le patient particulier que l’on a en face de soi. Et il faut se souvenir que la plupart des dispositifs seront utiles un temps donné : le temps d’un apprentissage du patient, où d’une convalescence. Plus rarement sera-t-il une aide au long cours, comme pour les diabétiques sous insuline.

Qui a conçu l’application/le dispositif ? L’écrasante majorité des applications de santé est développée par des laboratoires pharmaceutiques, avec donc au minimum leurs logos, au pire la promotion de leurs produits. Pour qui se veut le plus indépendant possible des firmes industrielles, il est assez frustrant de se rendre compte que très peu de sociétés savantes, d’associations de patients ou d’hôpitaux publics ont investi ce domaine. Il faut donc toujours garder à l’esprit que la partialité de l’application ou du produit est une possibilité.

Comment se déroule la collecte des données ? De nombreuses applications, qu’elles accompagnent ou non un dispositif connecté, demandent la création d’un compte sur une plateforme dédiée, qui pourra même être hébergée par une firme pharmaceutique. Ce compte sert souvent à stocker les données qui sont envoyées en temps réel dès qu’une connexion internet est disponible. Mais il est vrai qu’un certain nombre de dispositifs connectés renferment eux-mêmes les données qu’ils collectent sans les envoyer (pour le moment) sur internet. Il faut alors se méfier de la possibilité qu’un tiers aura d’y accéder. Un objet connecté reste un objet électronique, et ce qui est électronique peut assez facilement être hacké ou piraté.

Où sont stockées et le cas échéant qui reçoit les données ? Dans le cas où les données sont partagées — ce qui est quand même l’un des intérêts principaux des objets connectés –  il faut absolument savoir vers qui elles sont envoyées et comment. Vers les réseaux sociaux, c’est la responsabilité du patient. Par contre, si c’est vers un médecin ou une institution, il faut veiller à la confidentialité et donc au cryptage de la communication. Et si c’est vers la société qui produit le dispositif ou l’application elle-même, il faut se renseigner sur qui y aura accès, et que deviendront ces données. Seront-elles vendues à des tiers, analysées par la société elle-même ? Ou bien considérées comme votre propriété personnelle inaliénable ?

Ainsi, la CNIL a émis quelques recommandations à l’intention des patients.

À quand celles vers les médecins ?

Car cette grille de lecture est essentielle pour démêler le vrai du faux et séparer le bon grain de l’ivraie. Car il ne suffit pas, comme le fait ma consœur Cécile Monteil sur son blog, de présenter l’ergonomie d’une application pour juger de son intérêt, me semble-t-il.

Le gouvernement français tente d’encadrer la réflexion avec son site « faire simple », en demandant aux internautes, c’est-à-dire tout un chacun, de donner son avis sur le Big Data en santé. Initiative louable, si elle est suivie d’effet, et si la démocratie sanitaire dans notre pays est plus que de la poudre aux yeux.

Il faut notamment se pencher sérieusement sur l’accès que les assureurs de santé pourraient avoir sur les données immenses de santé, les dossiers médicaux, les prescriptions, etc.

Le Big Data peut aussi être au service d’un totalitarisme, et pas seulement celui de la finance.

Le débat ne fait que commencer, les usages étant encore balbutiants. Nous aurons certainement l’occasion d’en reparler.

Quantified Self et médecine, partie 1 : les chiffres et l’art médical

Quantified Self et médecine, partie 1 : les chiffres et l’art médical

Quantified Self et médecine, partie 1 : les chiffres et l’art médical

Pour faire suite au très intéressant article de Saint Epondyle sur le Quantified Self, je me suis lancé à mon tour dans une synthèse de ce que cette pratique de plus en plus répandue peut signifier, en me plaçant du point de vue du soin et de la médecine.

Car il ne vous aura peut-être (ou peut-être pas) échappé que tous ces petits gadgets sensés nous simplifier la vie se placent souvent dans une logique de santé et même parfois de soins.

Je vous embarque donc avec moi dans un voyage en deux étapes.

Dans cette première, nous réfléchirons à l’utilisation des chiffres et des normes en médecine.

Dans la deuxième, c’est le bouleversement (ou non) du Big Data qui sera notre centre d’intérêt.

Le Quantified Self, kézako ?

On pourrait traduire cette expression anglaise par « la quantification de soi-même », dont je donnerais la définition suivante :

la pratique de récolter des données chiffrées sur son propre corps, ses propres activités, afin d’en dégager des tendances, dans le but avoué de surveiller divers paramètres de santé, mais aussi d’améliorer encore et toujours ces mêmes données, et donc de s’améliorer soi-même. Que ce soit le nombre de pas accomplis dans une journée pour mesurer une part de son exercice physique, ou le nombre de pages lues d’un livre électronique, le but est en effet le plus souvent de tendre au fil du temps vers un chiffre toujours plus haut (ou toujours plus bas), bref, d’atteindre le Saint Graal de l’optimisation de soi-même.

Outre qu’on saisit tout de suite qu’il y a forcément une limite à la performance (lire 12 000 pages de livre électronique en une journée ? Si, si, je peux le faire !), l’idée qui sous-tend tout cela est quand même une vision de l’existence résumée à une compétition permanente et omniprésente. L’idée que nous pouvons devenir meilleurs simplement en dépassant toujours un peu plus nos limites, dans tous les domaines. La création d’un « surhomme » par l’atteinte d’objectifs chiffrés comme on motive les cadres supérieurs à vendre toujours plus à plus de clients pour gagner plus d’argent. Une vision consumériste et réductrice de la vie.

L’article de Saint Epondyle le montre bien, d’ailleurs.

On en déduit vite que le Quantified Self a trouvé une cible privilégiée dans les domaines touchant au corps, et pour tout dire au domaine large de « la santé ».

Mesurer votre nombre de kilomètres parcourus dans une course n’est pas suffisant. On peut maintenant mesurer en direct vos pulsations cardiaques, on peut aussi noter votre taux de sucre dans le sang (glycémie), votre tension artérielle, votre température corporelle, voire enregistrer vos cycles de sommeil et même les influencer de nuit en nuit.

Ces produits capables de mesurer vos paramètres physiques, voire biologiques, sont promus à grand coup de marketing, tant auprès des patients (ou des futurs patients) que des médecins, qui peinent pourtant à les adopter, si l’on en croit les dernières données (une des dernières diapositives sur la conseil que les médecins donnent à leurs patient à propos des objets connectés).

C’est pourquoi il me semblait intéressant de réfléchir sur ce que le Quantified Self signifie lorsqu’on l’applique au domaine de la santé, au domaine médical, et ce qu’il peut apporter, améliorer, ou au contraire dégrader.

Pour cela, il faut peut-être commencer par démystifier la place du chiffre, des nombres, de tous ces paramètres que le Quantified Self mesure, en analysant à quoi au juste servent toutes ces données dans l’exercice de la médecine actuelle.

La Norme et les normes, où comment tout relativiser

Depuis très longtemps, on se sert des chiffres pour catégoriser un individu sur ses caractéristiques physiques. On peut ainsi dire que vous êtes grand ou petit, mais dire que vous mesurez 198 cm ou 152 cm permet de vous placer plus précisément sur une échelle de taille. De même, pour savoir si vous êtes gros ou maigre, il sera plus intéressant de mesurer votre poids, et de dire que vous pesez 120 kg ou 42 kg.

Ces chiffres, en eux-mêmes, n’apportent que peu d’informations à un soignant, parce qu’ils n’ont aucune valeur.

La valeur d’une mesure en médecine s’interprète toujours en fonction d’une Norme.

À quoi bon savoir que vous mesurez 198 cm ? Que voulons-nous dire en sachant si vous êtes gros ou maigre ? Simplement si vous êtes dans la Norme, ou en dehors de la Norme. La mesure ne sert qu’à vous placer vous par rapport à la moyenne des autres êtres humains. Si vous êtes grand, vous le serez par rapport à la plupart des autres êtres humains. Si vous êtes petit, ce sera aussi par rapport à la plupart des autres êtres humains. Car 198 cm est grand pour un être humain, mais plutôt nain pour un éléphant d’Afrique adulte, alors que 152 cm est petit pour un humain adulte (masculin), mais gigantesque par rapport à un chat adulte.

Remarquez que je prends toujours quelques précautions en décrivant la Norme par rapport à laquelle je vous place, parce qu’elle n’existe pas elle non plus seule. Il n’existe pas une seule Norme avec un grand N, mais bien des centaines de millions de normes avec un petit n. Une norme pour la taille, une pour le poids, une pour la tension artérielle d’un homme adulte, une autre pour la tension artérielle d’une femme adulte non enceinte, et encore une autre pour la tension artérielle d’une femme adulte enceinte, etc.

Car la norme varie avec ce que l’on veut mesurer. Chaque paramètre a sa propre norme.

Pour ne pas se tromper, mieux vaut donc savoir précisément ce que l’on veut mesurer, et à quoi cela va nous servir, au risque de rater complètement l’interprétation de la mesure obtenue. N’oubliez pas ce mot : interprétation, c’est sans doute l’un des plus importants quand on parle de mesure, et nous y reviendrons assez souvent.

« Souvent norme varie, bien fol est qui s’y fie »

Ce pourrait être le credo de tous ceux qui se penchent sur la mesure d’un paramètre, quel qu’il soit.

Car oui, une norme peut changer.

Jusqu’à il y a peu, le chiffre de LDL-Cholestérol acceptable pour éviter qu’un patient ne fasse un deuxième accident vasculaire était de 1 gramme par litre. Récemment, la norme admise internationalement a été revue. Le chiffre est passé à 0,7 gramme par litre. Avec votre chiffre de 0,9, il y a quelques mois votre médecin vous aurait dit « mais c’est parfait, voyons », et si vous le voyez maintenant, il vous dira « c’est presque bon, mais il faut encore aller plus loin ».

Votre chiffre n’a pas changé. Sa signification, elle, a été totalement renversée.

Pourquoi une norme change-t-elle ? Parce que les connaissances scientifiques évoluent, parce que les outils de mesure évoluent, parce qu’une norme est aussi un consensus entre des êtres humains et que les êtres humains peuvent changer d’avis, au gré des paramètres précédents, mais aussi de leurs croyances, de leurs préjugés, et de leurs intérêts propres également. L’exemple des normes sur le cholestérol n’est pas pris au hasard. L’industrie pharmaceutique, sans céder à la théorie du complot, a quelques intérêts à promouvoir des chiffres les plus bas possible pour vendre plus de ses molécules, et les médecins ou les chercheurs qui décident de la norme ont souvent des intérêts croisés, pour ne pas dire des conflits d’intérêts, avec elle.

La courbe de Gauss, où pourquoi être une cloche n’est pas forcément une insulte

La Norme, ou la norme, c’est donc la moyenne statistique, pour un paramètre donné, des mesures faites sur l’ensemble de la population humaine.

Comme si nous prenions tous les êtres humains de la planète pour les convoquer dans un grand centre des mesures, où nous les soumettrions à toutes sortes d’appareils pour mesurer tous les paramètres possibles. C’est sans doute ce que cherchent à créer les partisans du Big Data, cette accumulation titanesque de données brutes récoltées à partir de toutes vos mesures de Quantified Self, envoyées de votre plein gré dans d’énormes serveurs informatiques pour en tirer des analyses statistiques.

Pour l’instant, le Big Data n’est pas encore au point, alors comment peut-on construire notre norme ?

Il existe une loi statistique bien connue qui montre qu’un paramètre naturel se distribue statistiquement le long d’une courbe en forme de cloche, la fameuse et célèbre courbe de Gauss. Vous pouvez donc suivant la mesure qui a été faite auparavant de votre taille vous situer sur la partie gauche de la courbe (le petit nombre de gens qui sont en dessous de la moyenne), sur la partie centrale de la courbe (l’écrasante majorité de la population qui se trouve dans la moyenne), ou sur la partie droite de la courbe (le petit nombre de gens qui sont au-dessus de la moyenne). Parce que dans une population, il y a des « grands », des « moyens » et des « petits », puisque selon le proverbe « il faut de tout pour faire un monde ».

On peut donc vous placer sur cette courbe et dire que vous faites plutôt partie des grands, des moyens, ou des petits dans la population étudiée.

Mais alors, si les grands, les moyens et les petits sont tous des gens prévus par la norme, comment savoir si vous êtes « normal » ?

C’est là que l’interprétation se montre une nouvelle fois utile, sinon essentielle.

Vous serez « normal » si votre mesure vous place dans l’éventail des résultats rendus possibles par la courbe. Si vous mesurez 304 cm, vous êtes beaucoup trop grand pour entrer dans la norme des êtres humains. Si vous mesurez 22 cm, vous serez beaucoup trop petit et vous avez de bonnes chances d’appartenir au Petit Peuple des Lutins, pas à l’ensemble du genre humain.

À quoi ça sert de mesurer ?

Mais si l’on vous mesure, c’est bien que l’on se doute que votre taille n’est pas de trois mètres ou que vous ne faites pas partie du Petit Peuple des Lutins (ce serait trop bête d’attendre une mesure pour vous demander de nous mener à votre chaudron plein d’or au bout de l’arc-en-ciel).

La mesure en médecine, et dans le domaine de la santé en général sert trois objectifs.

  • Un objectif diagnostique.
    Si votre tension oculaire se trouve en dehors de la norme, vous êtes atteint de ce que l’on appelle un glaucome, une maladie de l’œil qui peut à terme vous rendre aveugle.
  • Un objectif pronostique.
    Votre tension oculaire trop élevée peut vous conduire à la cécité, et suivant le chiffre de cette tension, vous aurez plus ou moins de risque d’y être conduit rapidement, et le traitement éventuel pourra plus ou moins facilement empêcher cette évolution.
  • Un objectif thérapeutique.
    Si votre cholestérol atteint certaines valeurs, on sait que vous aurez plus de risques de faire un accident vasculaire cérébral, et on sait alors qu’il serait bénéfique pour vous de prendre un médicament qui, faisant baisser ce taux de cholestérol, vous sortira de ce trop grand risque de rester paralysé de la moitié de votre corps. On peut même savoir jusqu’à quel taux de cholestérol vous faire redescendre.

Si donc aucun de ces trois objectifs n’est le vôtre, oubliez la mesure du paramètre, elle ne servira à rien d’autre qu’à vous faire perdre du temps et peut-être même à vous angoisser.

Il n’est pas rare que je surprenne des patients en leur disant que leur tension artérielle ne m’intéresse pas dans la situation pour laquelle ils me consultent. Tout simplement parce que peu de gens réfléchissent au fait qu’une mesure n’a aucune valeur par elle-même, mais seulement si elle entre dans l’un des trois objectifs diagnostique, pronostique ou thérapeutique.

Avec quoi mesure-t-on ?

La question peut sembler stupide, mais c’est en réalité l’une des plus fondamentales à se poser.

Nous mesurons d’abord avec des appareils, des outils, mécaniques ou électroniques. Des outils humains, qui sont soumis, comme toutes les réalisations humaines, à des erreurs de conception. Ils peuvent donc de temps à autre se tromper et donner des mesures fausses. Des erreurs que nous ne serons pas toujours capables de détecter.

De plus, ces outils, pour précis qu’ils soient, ont comme leurs concepteurs une précision finie. Tout comme les yeux humains peuvent être suffisant pour mesurer une distance avec un double-décimètre au centimètre près, mais insuffisants pour mesurer cette même distance au millionième de centimètre près, les outils que nous utilisons pour faire une mesure peuvent avoir une marge d’erreur.

Leur précision, voire leur fiabilité, peut donc également être variable. Un être humain myope sera moins fiable qu’un être humain sans pathologie oculaire, ce sera la même chose avec un bracelet électronique censé mesurer vos pulsations cardiaques : un modèle sera plus performant qu’un autre, lui même plus performant qu’un troisième.

Un outil aura également plus tendance à tomber en panne s’il est plus perfectionné ou complexe. L’électronique embarquée dans une montre connectée est infiniment plus sujette aux pannes qu’une bonne vieille montre mécanique, elle-même beaucoup plus sujette aux pannes qu’un sablier antique.

Au final, votre mesure aura une précision et une fiabilité dont il faudra toujours se méfier.

Les influences extérieures d’une mesure

Où l’on se rend compte que Yoda avait raison quand il disait que « la Force nous entoure et nous relie tous »…

Ne vous est-il jamais arrivé de vous rendre compte que le temps avait passé beaucoup plus vite que vous ne l’auriez cru lorsque vous étiez en bonne compagnie ? Certainement, cela s’est produit à de nombreuses reprises dans votre vie, tout comme le contraire. Cette distorsion du temps a de nombreuses explications et de nombreuses implications. Celles qui nous intéressent aujourd’hui sont de montrer comment de nombreux paramètres peuvent influencer un système de mesure.

Cette expérience sensorielle est subjective, éminemment subjective, certes. Mais il existe le même principe pour des mesures objectives.

Il a été démontré scientifiquement qu’une mesure de pression artérielle (la « tension » que prend votre médecin quand vous allez le consulter) pouvait être influencée par la présence même du soignant. C’est ce qu’on appelle « l’effet blouse blanche », qui statistiquement augmente votre pression d’un ou deux points, et ce même si vous médecin ne porte pas de blouse blanche (comme c’est mon cas).

C’est pour cela que l’on préfère que le patient se prenne sa tension artérielle lui-même, seul, chez lui – et que les objets connectés permettant de telles mesures sont à la base de bonnes idées. Ainsi, on obtient des chiffres les plus justes possible, non faussés par la présence du soignant.

L’effet blouse blanche est l’un des paramètres influençant la mesure de la pression artérielle, mais c’est loin d’être le seul. Il en existe des dizaines. Voire des centaines. Et ceux-là nous sont encore inconnus. Et quand bien même ils nous seraient connus, peut-être ne pourrions-nous pas tous les contrôler pour obtenir une mesure « pure ».

Et ainsi, il faut garder à l’esprit qu’il n’existe pas de mesure isolée. Toute mesure doit être prise dans un contexte particulier : conditions de prise, outil, observateur, condition du sujet. La mesure « pure » n’existe pas.

Il sera toujours nécessaire d’interpréter la mesure dans son contexte pour ne pas en dénaturer la signification.

L’interprétation, ou quand la mesure rencontre la subjectivité

Mais, conscient de tout cela, vous continuez à vous peser le matin, et votre médecin continue à vous prescrire des analyses biologiques sanguines pour déterminer si vous avez assez de fer dans votre organisme. Et le monde tourne toujours sur lui-même en un peu plus de vingt-quatre heures.

C’est que le chiffre obtenu lors d’une mesure doit être comparé à sa norme, en tenant compte des diverses influences qui ont pu le changer. Influences connues ou inconnues. Norme établie par des êtres humains, donc faillibles et perfectibles eux aussi.

Si votre médecin vous dit donc que, malgré le chiffre montrant que votre taux est légèrement plus bas que la norme du laboratoire, votre organisme ne manque pas de fer, c’est qu’il a essayé de faire la synthèse de tout ceci grâce à son expérience et à son sens clinique (une expression pompeuse désignant en quelque sorte le sixième sens comparable au fameux « flair » d’un enquêteur, policier ou journaliste).

Une subjectivité qui peut faire peur, dans notre société avide de certitudes et d’objectivité, mais qui est la seule garante d’une prise en compte globale de l’être humain vivant que vous êtes (et que je suis), avec ses particularités.

Je sais qu’un courant de pensée veut absolument réduire l’être humain à une suite de données, à des zéros et des uns enchaînés suivant un ordre unique. C’est le rêve de Transcendance, le film où Johnny Deep transfère son esprit dans un superordinateur.

Mais pour le moment, un être humain est une entité bien trop vaste et complexe pour entrer dans un algorithme.

Et pour le moment, seul le cerveau d’un autre être humain est capable d’en appréhender toutes les subtilités, d’y intégrer des notions de normes fluctuantes avec plusieurs inconnues, et d’en tirer profit pour soigner, tout en respectant la manière de vivre, les croyances et les convictions de son interlocuteur.

« Le chiffre c’est bien, le croire aveuglément ça craint »

Ce sera notre conclusion temporaire, celle qui, au terme de notre première étape au pays de la santé connectée, nous permet de comprendre que la nature même d’un chiffre appliqué au vivant est à double tranchant. Comme le dieu Janus, il a deux visages pour une seule personne : le visage de celui qui peut nous guider, mais aussi le visage de celui qui peut nous perdre dans le labyrinthe de la santé.

À trop croire les chiffres, on ne soigne plus une personne humaine, mais une analyse de sang. Or, une analyse de sang ne vit et ne meurt pas. Elle n’est qu’une analyse de sang.

Tout comme votre nombre de pas par jour ou vos performances sexuelles ne vous résument pas.

Dans le prochain épisode, À l’ombre du Big Data, nous verrons ce que la santé connectée et le Quantified Self peuvent apporter à la médecine, en bien comme en mal.

Philosopher avec Star Wars

Philosopher avec Star Wars

Philosopher avec Star Wars

On ne compte plus les guides, précis, décryptages et autres making of de la célèbre saga.

Chacun d’eux essaie de nous montrer une facette « originale » de la création de Georges Lucas, mais le propos de l’un d’entre eux se démarque de cette profusion déconcertante. La philo contre-attaque de Gilles Vervisch, ne vise pas à nous décrypter la saga, comme son sous-titre pourrait le faire croire faussement, mais bien plutôt à nous interroger au-delà de Star Wars, en prenant les films et leur univers comme base de réflexion.

L’auteur prend donc à bras le corps les fondements de la saga, pour les passer à la moulinette des grandes questions philosophiques qui en sous-tendent la texture même.

Dans la philo contre-attaque, il analyse la lutte du Côté Obscur et du Côté Lumineux de la Force, la nature même du Bien et du Mal, la responsabilité individuelle des personnages dans cette lutte, le Destin et la Destinée, le Karma, et une foule d’autres aspects de la si fameuse galaxie lointaine, en faisant des références aux philosophes et aux philosophies bien réels de notre monde : Kant, le Hagakure, le Bushido, Descartes, Platon, Jung, Bettelheim, tout le monde et tout y passe.

Le fond est plutôt foisonnant, mais rendu accessible par une forme légère, un ton badin, bourré d’humour et de références non seulement philosophiques et littéraires, mais aussi cinématographiques. On sourit souvent, sans jamais se détacher cependant du déroulement de la pensée de l’auteur.

Certains points sont évidents, comme la parenté des concepts de la Force avec le zen et le tao des civilisations extrême-orientales ou celle de l’ambiance western et des valeurs interlopes des personnages rencontrés sur Tatooine (que l’auteur persiste à écrire Tatouine… hérétique!). D’autres le sont moins, je pense à l’approche du Mal et à l’analyse de la notion de liberté dans la saga, notamment.

On trouve également de quoi réfléchir aux personnages centraux de C3PO et R2D2 en termes philosophiques : machines, êtres vivants ? Aux monstres, à notre rapport à l’autre.
Il est rare de voir trituré et décortiqué ainsi une œuvre de l’imaginaire, de la voir passer au microscope et sous le spectrographe de la pensée dite « sérieuse » sans a priori, sans jugement, sans condescendance. Sans céder à l’idolâtrie actuelle concernant tout ce qui se rapproche de près ou de loin à un sabre laser ou à un chasseur T.I.E., Gilles Vervisch prend Star Wars comme on pourrait prendre la matière de Bretagne, les écrits de Chrétien de Troyes ou de Thomas Malory sur l’épopée arthurienne : comme une question sérieuse, et non comme le délire de quelques attardés.

S’il est vrai que les mythes structurent la pensée d’une civilisation, Star Wars est incontestablement le mythe qui imprègne la nôtre de la façon la plus universelle, tant son succès est planétaire. Y consacrer une réelle attention permet de comprendre beaucoup sur la façon dont nous nous voyons nous-mêmes.