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Bréviaire des erreurs à ne pas commettre quand on réalise un film (français)

par Fév 25, 2017Chimères Animées0 commentaires

Le métier de réalisateur n’est pas facile et produire un film en France n’est pas toujours une partie de plaisir.

Aussi certains sont prêts à beaucoup pour imposer leur marque, notamment à transgresser certaines règles établies, en pensant que cela fera remarquer leur production comme différente.

Mais n’est pas Truffaut qui veut.

Surtout pas Thomas Salvador, Christophe Honoré, ou Pascale Ferran, dont les films vont me servir de petite illustration de ce qui (selon moi) fait un film raté. Je ne vais pas m’ériger en donneur de leçon, car je sais que la critique est aisée. Mais, ayant été déçu (euphémisme) par ces trois films, j’ai voulu comprendre véritablement pourquoi et en tirer quelques leçons pour moi-même.

Raconter l’histoire d’un garçon timide et banal qui découvre que l’eau décuple ses forces et lui permet de rétablir la justice autour de lui (Vincent n’a pas d’écaille, de Thomas Salvador), revisiter un poème lyrique et bucolique qui est aux sources de la poésie occidentale (Métamorphoses, de Christophe Honoré d’après Ovide), ou explorer deux mondes qui n’auraient jamais dû s’apprivoiser, celui d’un homme d’affaires dans un hôtel d’aéroport et celui d’une femme de chambre (Bird People, de Pascale Ferran), cela paraît très prometteur au premier abord, là, comme ça, avec mes trois pitchs lancés au débotté.

On peut trouver stimulant le fait de présenter un « super-héros » français sans faire référence aux grosses productions américaines, de voir comment un autre regard est possible sur ce thème.

On peut trouver excitant de suivre les diverses métamorphoses que les Dieux gréco-romains imposent aux Mortels dans la mythologie, et d’adapter la poésie antique à notre monde moderne.

On peut aimer voir se développer à l’écran les hasards de la vie et des rencontres, qui sont capables de bouleverser des existences qui n’ont a priori aucune raison de se croiser.

Sauf que lorsqu’on veut montrer une histoire, il faut prendre garde à ne pas transgresser certaines règles.

Première faute à ne pas commettre : perdre le spectateur

Une histoire doit suivre un déroulement.

Elle doit reposer sur un scénario construit, avec des phases de développement dans son intrigue.

Elle doit se garder de trop montrer, de trop exposer, mais elle doit aussi poser le décor de façon nette, sans que l’on puisse se demander quel est l’intérêt des images que l’on regarde.

Le cinéma asiatique est maître dans l’art d’évoquer un sentiment par un plan muet d’un épi de blé ou de sorgho qui ploie sous le vent, pendant de longues secondes. Mais il faut du talent pour cela, et il faut l’utiliser à bon escient. Des minutes entières de pellicule (ou des giga-octets de disques durs puisque maintenant on tourne en numérique) sont gâchées dans ces trois films simplement parce que des dizaines de plans n’ont aucun intérêt à être montrés. Pas même poétique, excuse que j’ai essayé de trouver à chacun des trois avant de jeter l’éponge.

Je sais que certains courants dans l’art cinématographique pensent qu’il faut expérimenter, que la narration peut être déconstruite, ou même absente. Certains l’ont fait avec une maestria qui fera date, comme Nolan avec son Memento, un pur chef d’œuvre de montage et de narration non linéaire. Mais même ces films-là respectent un schéma de base dans leur intrigue, même ces films-là se tiennent à une loi absolue : on ne montre que ce qui a du sens dans l’histoire ou dans la compréhension du personnage ou de son évolution. Et même si on bouscule tout cela, on fait en sorte que le spectateur soit pris dans l’histoire.

Regarder un film est un plaisir (en théorie), pas une marche forcée ou l’on doit sans cesse se demander où veut en venir le réalisateur.

Deuxième faute : ne pas prendre soin de l’esthétique

Un film, normalement, c’est une œuvre d’art.

Comme telle, on le peaufine, on le bichonne, on lui donne le meilleur de nous-mêmes.

Par exemple, il est une étape de la postproduction qui se nomme l’étalonnage, et qui est censée uniformiser les ambiances lumineuses du film afin que la vraisemblance soit respectée. Ainsi une scène tournée en début de printemps, mais dont les plans sont censés se dérouler en été pourra visuellement être crédible.

Alors prenons Vincent n’a pas d’écaille : là, c’est raté. La moitié du film montre des images trop contrastées, avec des couleurs blanches très surexposées à cause du soleil provençal. Un peu comme un documentaire de journal télévisé tourné le matin même. Et encore, la comparaison est-elle très offensante pour les réalisateurs de reportages, qui font attention à la lumière parce que justement ils ont peu de temps de retouche avant diffusion.

Je pense qu’on peut assumer le parti-pris d’ancrer l’histoire de Vincent dans la réalité, donc de montrer des images les moins travaillées possible. Ce serait intéressant pour jouer sur le contraste de la réalité et des pouvoirs surnaturels. Mais la réalité du cinéma est une réalité reconstruite, par essence. Elle doit donc avoir l’apparence de la réalité. Ce qui est impossible si le spectateur remarque des zones trop exposées sur l’écran, ou une inégalité d’éclairage des plans.

Car l’important c’est la crédibilité de l’histoire. Des images non suffisamment travaillées vont nuire à cette crédibilité, et le spectateur décrochera son attention, aussi bon que soit le scénario.

Dernière faute, capitale : ne pas faire attention au choix des acteurs

Sur ces trois films, il y a peut-être deux acteurs dont la diction n’est pas ânonnante, scolaire et insupportable.

Dans Métamorphoses, le choix de faire jouer des jeunes lycéens aurait pu être intéressant, mais leurs textes sont dits avec platitude, sans aucune conviction, peut-être de façon volontaire, se prend-on à penser.

Le beau jeune homme qui est censé incarner Jupiter, Roi des Dieux, est certes très bien fait de sa personne, mais il n’a pas l’envergure, pas de classe, pas même la présence bestiale (puisqu’il est aussi question des métamorphoses du Père des Dieux lorsqu’il cherche à séduire des Mortelles) qu’un tel rôle nécessite.

Il faut dire qu’il n’est pas aidé par les autres comédiens, dont le naturel devant la caméra est proche du zéro absolu. Lorsque l’on entend des dialogues comme « je veux ton corps pour moi toute seule » prononcés comme une récitation avec la voix d’une adolescente de 15 ans qui n’a pas envie de faire sa dissertation, il y a quelque peu outrage, non ?

L’incarnation des personnages est une donnée essentielle d’une histoire. Là encore la crédibilité de tout le film repose sur ce pilier.

Aurait-on pu montrer une interprétation moderne d’Ovide en choisissant des adolescents dont la diction aurait été travaillée ? J’en suis convaincu.

Et pourquoi un film français ?

Bien sûr, il existe des films américains qui commettent les mêmes erreurs : le Van Helsing avec Hugh Jackman, par exemple, montre un casting raté avec un Dracula totalement ridicule au charisme d’une huître.

Mais généralement les Américains font très attention à l’esthétique de leurs films (on peut d’ailleurs leur reprocher parfois de le faire au détriment de l’histoire elle-même), ainsi qu’à la distribution des rôles. De même, il est rare que les films étrangers jouent avec les codes de la narration au point de montrer des scènes qui n’ont pas d’intérêt dans l’histoire.

Et puis, alors qu’il paraît que nous avons un cinéma que beaucoup nous envient, parfois, il est bon de remettre les choses à leur place.

J’ai conscience que les cinémas des autres pays peuvent nous offrir eux aussi un bon nombre de films ratés.

Je pourrais même me dire qu’il s’agit de jeunes réalisateurs français inexpérimentés, mais ce n’est pas le cas.

Je pourrais me dire que je n’ai pas compris ces trois films. C’est possible au vu des critiques qu’ils ont reçu (notamment par Télérama , , ou ).

Mais j’ai un doute, tout de même.

Un contre-exemple ?

Ce n’est pas un film français, mais pour moi il montre ce qu’auraient pu être Vincent n’a pas d’écaille, Métamorphoses, ou Bird People. Il s’agit de l’excellent Lost in Translation, de Sofia Coppola.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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