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Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 1 : Le piège du paradigme de l’offre et de la demande

par Juin 5, 2022Le Serpent d'Hippocrate2 commentaires

Le premier juin 2022, j’ai fermé mon cabinet libéral de médecine générale, en laissant, sans successeur, mes 800 patients chercher par eux-mêmes quelqu’un pour les prendre en charge. J’ai tourné le dos à la médecine de premier recours. La pénurie actuelle ne s’en trouvera pas améliorée. Et si j’en assume la décision, je crois que mon devoir est aussi de vous expliquer pourquoi ce sont plutôt les choix politiques de ces trente dernières années qui l’ont provoquée, et ce que nous devrions faire pour que nous puissions tous et toutes, un jour, retrouver malgré tout un système de santé efficace et juste.

Pourtant, je ne suis pas dupe, et je ne crois en aucun cas que les politiques auront le courage et la décence de reconnaître leurs erreurs et surtout d’y porter remède.

Je suis lucide : ce qu’ils ont déjà accompli, ils le poursuivront, et un jour pas si lointain la population française ne pourra plus se soigner correctement.

Ce jour approche bien plus vite que vous ne le pensez.

Alors j’imagine déjà leurs cris d’orffraie, puisqu’ils ont commencé à les pousser durant cette campagne électorale, alors qu’ils sont les pompiers pyromanes à l’origine du désastre.

Ce texte est donc là surtout pour éclairer nos concitoyens sur la réalité, et empêcher les politiques de la travestir en essayant de se dédouaner de leurs responsabilités. Mais c’est aussi un appel adressé à chacune et chacun d’entre nous afin de changer de regard sur la fonction de soignant.

Je vais ainsi égréner dans une série d’articles les différentes raisons qui m’ont poussé à quitter la médecine générale.

Et tout d’abord, nous devons parler de la façon dont est conçu actuellement notre système de santé et de soin. Cela nous conduira à comprendre l’impasse, car c’est bien ainsi qu’il faut la nommer, dans laquelle se trouve notre société sur ce terrain-là comme sur beaucoup d’autres.

La source du malaise : l’incompréhension

On parle des «déserts médicaux», on devrait parler des déserts de soin.

Ce ne sont pas seulement les médecins qui manquent et qui vont manquer dans l’avenir, ce sont bien tous les acteurs et tous les métiers du soin et du prendre soin : infirmières, aides-soignantes, auxiliaires de vie, kinésithérapeutes, sages-femmes, la liste peut encore s’allonger si on le souhaite.

Cela fait des années qu’on en parle.

Cela fait des années que tout ce qui est décidé n’a aucun effet.

Pourquoi ?

Parce que, fondamentalement, les autorités de santé ne comprennent pas le monde du soin.

Parce que, fondamentalement, la société dans son ensemble s’éloigne de plus en plus des valeurs qui fondent les métiers du soin.

Si l’on ne comprend pas un problème, il y a peu de chance qu’on puisse le résoudre. Encore moins si l’on ne comprend même pas la langue dans laquelle est posé le problème.

J’ai écrit en introduction que tout cela était la faute des politiques. De tous bords.

Ce n’est pas complètement exact.

C’est la faute de nous toutes et nous tous.

La faute des soignants qui ne savent pas expliquer clairement les choses et qui le plus souvent se soumettent au nom de leurs valeurs d’assistance, en acceptant par là même de les bafouer.

La faute de chaque citoyenne et chaque citoyen en ne réclamant pas des changements véritables aux politiques et en reconduisant un modèle de société qui nous fait aller dans le mur.

La faute des politiques qui sciemment ou non tiennent fermement les rênes qui empêchent toute remise en cause du postulat erroné suivant : la santé se pilote comme une entreprise.

C’est surtout la faute à une idéologie qui imprègne toutes les couches sociales et toutes les opinions politiques, de quelque bord qu’elle se réclame : l’idéologie de l’offre et de la demande.

Pour le démontrer, je vous propose de faire le descriptif de la logique actuelle.

Tomber malade dans notre société

La maladie dans notre société est en effet une nuisance.

Elle provoque des symptômes qui sont la plupart du temps désagréables, néfastes. Tellement néfastes qu’ils gênent nos activités courantes, et entravent nos fonctions dans la société de production et de performance.

D’ailleurs, ce qui nous amène à consulter, ce sont eux : les symptômes. Ils sont finalement plus gênants que la maladie elle-même. Personne ne se soucierait d’un simple rhume s’il ne s’accompagnait pas de l’impression d’avoir un robinet ouvert à la place des narines. D’ailleurs, ce que nous voulons vraiment, c’est bien nous débarrasser des symptômes. La maladie elle-même, tant qu’elle n’est pas gênante, n’est pas si importante. Pour preuve le diabète, qui ne donne aucun symptôme lorsqu’il est déclaré depuis très peu de temps, ou l’asthme, autre maladie chronique peu symptomatique en dehors des crises. L’important, croyons-nous, c’est le symptôme.

Quand donc un symptôme apparait, nous désirons le faire partir ?

Vite. Très vite. Le plus vite possible.

Parfois, nous nous automédicamentons (néologisme que j’assume).

Mais, quelquefois, même en avalant des médicaments, le symptôme résiste.

Là, ça devient intolérable.

C’est compréhensible : nous n’aimons pas être gênés. Notre corps ressent du bien-être lorsqu’il est dans une sorte de confort où toutes les fonctions sont satisfaites. Il est même conçu pour réagir lorsqu’un paramètre menace de sortir de cette zone de confort, qu’on appelle l’homéostasie. L’homéostasie est cette fonction basique de tous les êtres vivants, depuis la bactérie jusqu’à l’être humain, qui permet de maintenir le milieu interne de l’organisme dans des paramètres compatibles avec la vie : une température ni trop chaude ni trop froide, un milieu bien hydraté mais pas trop, des concentrations de sels minéraux ou autres ni trop importantes ni trop faibles.

Toutes les fonctions les plus primitives, les plus anciennes de la vie sont celles qui doivent maintenir l’homéostasie. C’est la condition même de la survie, et donc de la vie.

Lorsque l’on est malade, existent donc en nous deux craintes : celle d’être gêné, et celle de mourir.

L’une et l’autre se renforçant, d’ailleurs. Plus nous nous sentons gênés et plus nous pensons que cela peut menacer notre vie. Plus nous croyons que le symptôme menace notre vie et plus nous nous sentons gênés.

C’est à ce stade-là qu’intervient un élément essentiel du débat : la peur.

La peur est une émotion archaïque, l’une des premières émotions apparues dans l’Évolution. Elle pousse l’animal qui la ressent à agir pour éviter un danger, soit en le fuyant, soit en l’affrontant. En ce sens, c’est un puissant agent de l’homéostasie, une alliée importante de la survie, et donc de la vie.

Pourtant, pour être efficace, la peur doit être rapide. Elle doit induire une réaction en quelques dixièmes de seconde face à un prédateur, par exemple. On comprend donc que par nature la peur bloque le raisonnement intellectuel. On n’est pas là pour penser, mais pour agir vite.

Les actions entreprises sous l’emprise de la peur sont donc irréfléchies, de façon à être les plus rapides possibles.

Alors quand la peur est celle d’être malade, à cause de symptômes gênants, nous allons aussi en craindre la conséquence la plus importante : la mort. Nous allons déclencher les actions les plus drastiques pour éviter ce sort.

Nous avons donc besoin de personnes soignantes très disponibles. Idéalement, disponibles en permanence. Ce qui veut dire aussi en grand nombre. En très grand nombre, pour être en mesure de répondre instantanément à chaque peur, chaque besoin ressenti.

Le rôle des autorités de santé

Les autorités de santé vont être sollicitées afin de garantir cet accès rapide et inconditionnel, sous la double pression de la population inquiète de ne pas pouvoir se soigner et des politiques qui ont à cœur de répondre aux besoins exprimés par leurs potentiels électeurs.

En faisant un constat simple, les politiques au sens large (les autorités de santé non élues, fonctionnaires et gestionnaires, qui ne viennent en général pas du monde du soin et qui donc n’en connaissent pas forcément les spécificités, encore moins le mode de pensée que nous verrons plus tard, mais aussi les politiciens élus, à tous les échelons administratifs) vont confronter deux paramètres : la demande de soins d’un côté et l’offre de soins de l’autre. Voyant que la demande est explosive, et que l’offre n’est pas suffisante, ils vont être sommés de prendre des décisions.

Cependant, un autre paramètre s’impose à eux : le coût des soins.

Soigner demande de mettre des moyens en œuvre, qui ont un coût : payer des soignants, acheter du matériel pour faire des bilans biologiques, réaliser des radiographies, construire des machines pour faire des scanners, des IRM, acheter des médicaments pour apaiser les symptômes rapidement, etc.

Tout cela coûte cher. Parfois même très cher.

Et comme la demande en soins explose, les coûts suivent la même courbe exponentielle, et les gestionnaires commencent à s’affoler. L’assurance maladie dépense de plus en plus, et nous assistons à la naissance du fameux «trou de la sécu».

Comment donc répondre à la demande en soins sans mettre le pays à genoux financièrement ?

Les manettes à leur disposition sont assez nombreuses, mais il y a deux leviers qui sont les plus évidents : le nombre et le temps. Le nombre, bien sûr : augmenter le nombre de soignants pourrait répondre à la demande croissante, mais cela pourrait aussi augmenter le nombre de prescriptions, d’examens, de médicaments, donc faire exploser plus encore le coût du domaine de la santé. Pendant des années, on a donc sciemment bloqué le nombre de médecins formés, en pensant que moins de médecins voudrait dire limiter la hausse du coût des soins.

Cependant, la demande continue, elle, à augmenter. Car la population devient plus nombreuse démographiquement, plus âgée, donc plus susceptible de tomber malade. Et comme le nombre de médecins a été bloqué, non seulement chaque médecin travaille plus, mais aussi les personnes qui désirent les consulter ont plus de mal à en trouver de disponibles.

Alors on va jouer sur le temps.

En bloquant le montant des consultations à un niveau bas, qui place le revenu moyen des médecins français à environ la moitié de celui des médecins allemands, on s’assure que chaque médecin soit obligé de faire de nombreuses consultations chaque jour pour gagner sa vie. On oblige donc à multiplier les actes, et donc à diminuer le temps de consultation par patient, pour augmenter le nombre de patients vus par chacun.

Bien évidemment, cela augmente beaucoup le nombre de prescriptions, donc cela entraîne aussi une augmentation du coût de la santé. Donc on décide de bloquer le coût total. Ce qui fait mécaniquement diminuer la part de chaque acte médical payé, de manière à pouvoir augmenter le nombre d’actes.

Le raisonnement est le même avec les actes infirmiers à domicile, ou les salaires des aides-soignantes.

On paupérise une profession de manière à l’obliger à un objectif de rentabilité.

C’est aussi ce que les pouvoirs publics sont en train de tenter avec les psychologues, en essayant de les obliger à accepter d’être remboursés par l’assurance maladie environ deux fois moins que leur niveau de rémunération actuel moyen.

Cette stratégie provoque bien entendu des épuisements au travail (le célèbre burn-out), un surcroît de suicides, et autres pathologies liées à un rythme de vie inadapté (infarctus du myocarde, troubles du sommeil, dépressions) chez les soignants, et par conséquent un manque d’attrait de ces métiers. Le nombre des soignants continue à diminuer, pendant que les demandes de soin continuent à grimper.

Alors, tout en n’augmentant pas le tarif de la consultation, on crée la «rémunération sur objectifs de santé publique» (ou ROSP de son petit nom), qui donne une prime aux soignants de ville (libéraux) en fonction de critères négociés par les syndicats avec l’assurance maladie (prescrire des génériques, suivre régulièrement les paramètres de patients atteints de certaines pathologies, comme le diabète, etc.). Le niveau de rémunération se stabilise, conditionné à certains critères qui au départ sont plus ou moins médicaux.

Mais la pénurie de soignants s’aggrave. Car on ne relève toujours pas le nombre de soignants formés et les demandes de soin continuent à augmenter d’autant plus que les médecins ne font plus seulement du soin, mais aussi beaucoup de para-soin : ils voient des personnes qui ne sont pas malades mais qui ont besoin qu’on atteste, qu’on certifie, qu’elles ne soient pas malades, ou bien encore plus compliqué, qu’elles ont été malades de telle date à telle date, ou même que leur activité personnelle ou professionnelle ne puisse pas les rendre malades.

Alors on change les critères de la ROSP (à compter de 2022), qui au départ sont médicaux, pour introduire une obligation d’adhérer à une structure qui détermine combien chaque médecin doit suivre de patients, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS, parce que l’administration adore les sigles). Cela permet de fixer les soignants dans un cadre contrôlé par la puissance publique, de s’assurer aussi que tous les médecins vont entrer dans ce cadre et obéiront aux injonctions de rentabilité en termes de nombre de patients vus (je n’ose plus dire soignés).

Car on a bien pris soin d’augmenter leurs revenus seulement à travers la ROSP, qui finit par représenter 20 % de ce que chaque médecin généraliste gagne en moyenne. Il est donc pour eux impossible de se priver de 20 % de leurs revenus, et s’ils veulent continuer à maintenir ce qu’ils gagnent, ils n’ont pas d’autre choix que de plier : ils adhèrent à ces structures. Parfois même en essayant de se persuader eux-mêmes que ce sont eux qui choisissent, et que «c’est pour le bien de la population», un discours que beaucoup de vieux médecins tiennent en ce moment, ne percevant ou ne voulant pas percevoir tout ce que ce système contient de perversité intrinsèque. Car en acceptant ce marché de dupe, ils se soumettent à ce que ces structures vont ensuite décider. Pour le moment, elles sont censées être dirigées par des soignants. Mais quiconque sait ce que cela veut dire que de diriger une structure connait la masse de travail que cela demande. Un soignant n’en a pas ni la formation, ni, souvent, la volonté, préférant exercer son véritable métier auprès des patients. Dans quelques années, donc, les CPTS auront à leurs têtes des personnes dont le profil sera le même que les directeurs d’EHPAD, de cliniques, ou d’hôpitaux : des gestionnaires qui ne seront pas issus du monde du soin. Les soignants qui seront donc engagés dans ces structures seront de facto dirigés par des gestionnaires, qui leur imposeront un nombre de patients à voir par jour, une organisation décidée par la structure et pas selon des critères de soin. Ils seront pieds et poings liés, avec tous les inconvénients d’un exercice en salariat, sans aucun de ses avantages.

Parallèlement, cette logique a déjà été imposée à l’hôpital, avec ce que l’on a appelé la T2A, la tarification à l’activité. C’est ni plus ni moins que l’imposition d’un tarif pour chaque acte médical effectué dans un établissement de santé, public comme privé. Et plus l’établissement réalise d’actes «bien payés» par l’assurance maladie, plus il gagne d’argent pour fonctionner. Vous réalisez comme moi que c’est la même logique : pour payer les personnes qui y travaillent, pour payer les machines à faire des IRM et des scanners, pour payer les analyses médicales, pour donc continuer à soigner des gens, un hôpital en France est obligé de soigner beaucoup de monde, et plus on soigne plus on est «rentable». Même si plus on soigne plus on coûte d’argent. Alors on impose à l’hôpital de faire des économies, et on supprime des lits. Parce que ça coûte cher d’abord, parce que les soignants ne sont pas aussi fous qu’on le pense et s’en vont ensuite, donc il ne reste plus grand monde pour vouloir soigner à la chaîne sans avoir de bonnes conditions de travail.

Il y a donc moins de soignants en ville, et moins de soignants à l’hôpital. Ceux qui restent doivent supporter une charge de plus en plus grande parce qu’ils sont de moins en moins nombreux et qu’on leur demande de plus en plus.

Le système tient comme cela depuis 30 ans.

Mais il est en train de s’effondrer.

Parce que lorsqu’on forme de moins en moins et qu’on fait partir ceux qui étaient en place, on vide le système de santé de ce qui en est le cœur : les soignants. Lorsqu’il n’y a plus de médecins et plus d’infirmières, lorsqu’il n’y a plus d’aide-soignant ni plus de kinésithérapeutes, pensez-vous vraiment que ce seront les fonctionnaires des ARS et les politiques qui pourront vous (nous) soigner ?

Bien sûr, on peut être tenté, comme c’est dans l’air actuellement, de forcer les soignants qui restent, de leur imposer par la loi de :

  • Faire des gardes aux urgences.
  • Voir plus de patients.
  • Faire des horaires à rallonge. Je rappelle que notre Président «bien-aimé» a osé dire en public en 2018 (comme vous pourrez l’entendre ici à 44:30 du discours) qu’en substance, il lui semblait normal que les médecins généralistes travaillent de 8 heures du matin (ça, il ne le dit pas mais toutes les structures de garde ferment à 8 heures du matin) à 22 heures le soir… donc 14 heures dans une journée, une durée de travail abolie depuis le XIXe siècle dans les pays développés, mais sans doute encore en vigueur dans des contrées aux avancées sociales certaines, comme la Chine ou la Corée du Nord.
  • S’installer même s’ils ne le veulent pas (les médecins remplaçants vont apprécier, je n’en doute pas). Dans quel métier force-t-on quelqu’un à l’exercer s’il ne le désire pas ?
  • S’installer là où on leur dira.

En somme, on peut essayer de leur imposer de réparer les erreurs que non seulement ils n’ont pas commises, mais qu’ils ont essayé d’empêcher en prévenant en vain les autorités de santé depuis au moins 20 ans (mon sujet de thèse était un sujet de démographie médicale, je l’ai rédigé en 2002). Dit autrement : on peut essayer de les rendre responsables d’une catastrophe causée par les décisions des politiques.

Conséquences

Que pensez-vous qu’il puisse se passer ?

Dans mon cas, c’était assez évident : on ne me forcera pas à laisser ma santé physique et mentale pour tenter en vain de réparer des fautes commises par des politiques que j’ai toujours combattues. J’ai donc refusé de rester dans ce système inhumain. J’ai fermé mon cabinet. Et comme mes collègues ne sont pas seulement des curés et des bonnes sœurs prêtes à faire le sacrifice de leur vie, je n’ai pas réussi à trouver de successeur. Les soignants ne sont pas plus fous que d’autres, ils n’ont pas très envie de ce qui est clairement un poison pour eux-mêmes et pour leur vie.

Si un jour on tente de me forcer à quoi que ce soit, je quitterai totalement les métiers du soin. Sans état d’âme.

Le résultat est donc simple : un médecin de ville de moins pour prendre en charge les soins de premier recours.

Epic fail.

Game over.

Raisonner autrement

Je ne suis pas le seul à être dégoûté de ce qui est en train de se passer. Deux ans de pandémie durant lesquels tous les métiers du soin ont été sursollicités mais aussi tour à tour conspués parce qu’ils risquaient de contaminer les autres, puis applaudis parce qu’ils étaient courageux (mais applaudis tant qu’ils étaient loin et qu’ils ne risquaient pas de ramener la maladie dans l’immeuble) puis encore conspués parce qu’ils refusaient de prescrire des traitements non éprouvés comme l’hydroxychloroquine, ont encore plus entamé les réserves d’énergies de celles et ceux qui subissent ces logiques délétères de l’offre et de la demande depuis des décennies.

Le système de soin s’enfonce de plus en plus dans un marasme dont il ne sortira pas avec les remèdes qui sont évoqués actuellement, ni par les uns ni par les autres.

Forcer les médecins à s’installer ne marchera pas : ils choisiront de changer de métier ou de mode d’exercice, comme moi. Continuer à faire peser sur ceux qui restent la charge de ceux qui partent ne fonctionnera pas plus : eux aussi quitteront leur métier ou refuseront de prendre des postes sous-payés et déconsidérés.

Décréter un «numerus apertus» ne marchera pas non plus, car les conditions de travail continuant à se dégrader, les étudiants abandonneront leurs études.

Mettre de l’argent ne sera pas plus efficace, car continuer sur cette logique de l’offre et de la demande sans fin mènera à toujours courir après une chimère sans jamais la rattraper. Les dépenses de santé seront bien vite si intenables que les assurances privées s’en mêleront et que le système deviendra profondément inégalitaire : ceux qui auront les moyens financiers pourront bien se soigner, les autres devront se contenter de soins au rabais.

Alors quoi ? Tout est perdu ?

Non.

Tout n’est pas perdu si nous acceptons de changer de paradigme, de changer de mode de pensée.

Si nous décidons de raisonner autrement, nous pouvons adapter le système pour le rendre à sa mission première : protéger la santé de toutes et tous.

Cela demande de sortir de la logique de l’offre et de la demande, et de jouer sur un paramètre que personne, jusqu’à présent, ne propose de prendre enfin en compte : l’adéquation de la demande de soin avec une certaine sobriété, une certaine sagesse. Par exemple en acceptant de réserver l’accès au système de soin à ceux qui ont réellement besoin d’être soignés, au moment où ils en ont besoin.

C’est un peu iconoclaste et je m’attends à une volée de bois vert dans les commentaires. Pourtant, j’ai des arguments, que j’exposerai dans le troisième volet de cette série d’articles, comme la prévention et l’éducation ou comme le concept de santé globale.

En attendant, dans le deuxième, nous parlerons de la deuxième raison de mon départ de la médecine générale : la marchandisation de la santé et du soin.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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