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Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, partie 3 : Comment soigner le système de santé

par Août 28, 2022Le Serpent d'Hippocrate0 commentaires

Le premier juin 2022, j’ai fermé mon cabinet libéral de médecine générale, en laissant, sans successeur, mes 800 patients chercher par eux-mêmes quelqu’un pour les prendre en charge. J’ai tourné le dos à la médecine de premier recours. La pénurie actuelle ne s’en trouvera pas améliorée. Et si j’en assume la décision, je crois que mon devoir est aussi de vous expliquer pourquoi ce sont plutôt les choix politiques de ces trente dernières années qui l’ont provoquée, et ce que nous devrions faire pour que nous puissions tous et toutes, un jour, retrouver malgré tout un système de santé efficace et juste.

Pourtant, je ne suis pas dupe, et je ne crois en aucun cas que les politiques auront le courage et la décence de reconnaître leurs erreurs et surtout d’y porter remède.

Je suis lucide : ce qu’ils ont déjà accompli, ils le poursuivront, et un jour pas si lointain la population française ne pourra plus se soigner correctement.

Ce jour approche bien plus vite que vous ne le pensez.

Alors j’imagine déjà leurs cris d’orffraie, puisqu’ils ont commencé à les pousser durant cette campagne électorale, alors qu’ils sont les pompiers pyromanes à l’origine du désastre.

Ce texte est donc là surtout pour éclairer nos concitoyens sur la réalité, et empêcher les politiques de la travestir en essayant de se dédouaner de leurs responsabilités. Mais c’est aussi un appel adressé à chacune et chacun d’entre nous afin de changer de regard sur la fonction de soignant.

Je vais ainsi égréner dans une série d’articles les différentes raisons qui m’ont poussé à quitter la médecine générale.

Mais il ne suffit pas de dénoncer. Il est temps pour moi d’égrener la liste des solutions que j’entrevois pour reconstruire. Et si je le fais maintenant, c’est aussi parce que le gouvernement actuel nous promet des «états généraux» de la santé. Il convient d’être circonspect, car l’histoire récente regorge de pseudoconcertations qui n’ont pas abouti à autre chose qu’à de la poudre aux yeux.

Les mesures que je propose dans cet article réclament du courage politique. Elles seraient aussi, pour la plupart, relativement longues à porter leurs fruits1. Elles demanderaient surtout des changements d’habitudes de vie assez profonds dans de très nombreux domaines de la société, que probablement vous ne soupçonnez pas : la vie des entreprises, notre manière de nous comporter les uns envers les autres, et de considérer le monde qui nous entoure.

Pourtant, je ne les crois pas utopistes. Toutes sont possibles, mesurables, et réalistes.

Je crois seulement que nous ne sommes pas collectivement prêts à les prendre. Aucune force politique, actuellement, de quelque bord que ce soit, ne songe sérieusement à réformer le monde de la santé dans cette direction-là. Les programmes politiques que vous pourrez lire sont à des années-lumière de ce que je propose, car ils sont, tous, encore englués dans le piège de l’offre et de la demande de soin.

Notre nouveau ministre de la santé, le Docteur François Braun, afficherait une volonté de «transformer un système basé sur l’offre de soin en un système qui répond aux besoins de santé». Si les premières mesures de régulation médicale prises dans l’été 2022 vont dans le bon sens selon moi, il s’agit de savoir ce qu’il entend exactement par là. S’il compte tordre encore un peu plus les professionnels du soin pour les faire entrer dans des objectifs gouvernementaux décidés selon le prisme de la demande non régulée, il nous précipitera vers la catastrophe au lieu de nous en éloigner. N’oublions pas non plus que de nombreux ministres qui étaient médecins ont également participé à plonger dans le pétrin où nous sommes.

Si ce que j’écris plus loin vous paraît sensé, discutez-en ici et surtout autour de vous, portez ces idées, et peut-être que nous pourrons collectivement changer notre futur.

Je garde une certaine foi en l’humain, malgré tout…

Redonner du sens

C’est une expression que l’on entend très souvent, dans de nombreux domaines de notre vie, mais plus particulièrement dans les métiers du soin. Nous faisons face à «une perte de sens» de nos métiers. Nous avons besoin de leur «redonner du sens».

Qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ?

Cela signifie que l’être humain, animal social, a besoin de savoir que ce qu’il fait est utile à quelque chose ou à quelqu’un. De façon plus précise, je crois que nous avons tous besoin de savoir que notre vie compte, que notre existence a une signification, au moins pour nos contemporains, si ce n’est au regard de l’univers. Certaines et certains d’entre nous cherchent cette signification dans une religion, une philosophie, un code d’honneur, d’autres dans leur métier, d’autres encore dans leur famille ou leur vie relationnelle. Pour nous tous, il est vital, psychologiquement, de savoir que notre existence importe à quelqu’un ou à quelque chose. Nous sommes reliés au monde, d’une façon ou d’une autre, que nous le voulions ou pas. Et ce lien est tout simplement ce qui nous fait agir.

Si nous examinons les raisons profondes de nos véritables choix de vie2, je crois que nous pouvons tous et toutes faire le constat que nous avons pris ces décisions parce qu’elles nous paraissaient cohérentes avec une «vision» de ce que devait être une vie réussie. Certaines sont des stratégies pensées depuis l’enfance, d’autres sont improvisées, et parfois ces visions émergent suivant les événements. Mais je suis sûr que toutes ces décisions conscientes que nous prenons, celles qui comptent vraiment, le sont parce que nous pensons qu’elles nous permettront de laisser une trace dans le monde. Notre existence sera ainsi, à nos propres yeux, légitime. Elle aura compté pour nous, et pour les autres, quels que soient ces autres. Une famille, un groupe, une communauté, le monde entier…

Alors si nous prenons ce qui précède comme base de discussion, quel est le sens d’être soignant ?

Chaque soignant aura sa réponse, pourtant je crois qu’on peut trouver quelques raisons constantes.

Soigner c’est prendre soin de quelqu’un, et cela demande donc d’être attentif à l’autre. Cela demande donc de prendre le temps. Le temps de connaître la personne, de s’intéresser à ses besoins, à ses habitudes, à ses valeurs, à ses difficultés, à ses forces et ses faiblesses. Le temps d’examiner son problème et de déterminer avec elle ce que nous pouvons faire pour elle afin de lui permettre de guérir ou, au moins, de continuer à vivre selon ses valeurs malgré sa maladie. Ensuite, de mettre en œuvre les moyens à notre disposition pour aider.

Redonner du sens dans les métiers du soin c’est donc considérer que la relation humaine est à la fois l’objectif et le moyen par lequel on l’atteint.

Si nous sommes d’accord sur ce point, alors tout le reste découle de ce simple axiome, et toutes les propositions que je vais faire ensuite ne devraient pas vous sembler si incohérentes, même si certaines pourront paraître difficiles à mettre en place ou très éloignées de nos habitudes. Vous devrez simplement vous rappeler qu’elles sont toutes dirigées vers l’objectif, et vous pourrez alors voir si elles n’auraient pas le mérite de nous en rapprocher.

Comme tout changement entraine des résistances, vous pourrez ressentir une gêne, une surprise, ou même une réticence.

Nous pourrons en discuter dans les commentaires si vous le désirez.

Rendre du temps de soin

Premier levier : le temps.

Vous savez que je considère le temps comme une partie intégrante du soin. D’une part certaines pathologies bénignes guérissent seules avec le temps (rhumes banals, courbatures liées à l’activité physique, par exemple). D’autre part, notre rapport au temps doit se caler à nouveau sur celui des processus biologiques, qui sont à la fois lents et très rapides. Lents parce qu’ils ne sont jamais aussi efficaces que nous l’aimerions (et toute maladie est donc un inconvénient avec lequel nous devons accepter de vivre un certain temps) et rapides parce que malgré tout les organismes vivants sont les seuls processus qui se réparent par eux-mêmes dans l’univers, même s’ils mettent parfois des années pour cela. Avec tout autre processus dans le monde, vous pourrez attendre une éternité, il n’y aura aucune réparation possible. Celle qui œuvre au sein des êtres vivants est donc incroyablement plus rapide, simplement parce qu’elle existe…

Mais ce rapport au temps doit changer dans le système de soin également, de plusieurs manières.

D’ailleurs, beaucoup de solutions que je propose dans cet article auront pour effet de rendre du temps aux soignants pour faire simplement leur métier : soigner.

Supprimer les certificats

Dans quel but formons-nous des médecins ? Pour soigner les gens ou pour signer des mots d’excuse à leurs patients comme les parents le font pour leurs enfants ?

Présenté comme ça, je pense que votre réponse se dirigera vers la première proposition. Pourtant, nous avons tous, collectivement, fait dériver le travail des médecins vers la deuxième.

Aujourd’hui, une part importante3 du travail d’un médecin généraliste4 est dédiée à la production de morceaux de papier attestant de la possibilité ou de l’impossibilité pour quelqu’un d’accomplir une tâche, à cause d’une raison de santé plus ou moins déterminée. Certificats de non-contre-indication à la pratique du sport, certificats d’arrêts de travail, certificats de nécessité de garde des enfants malades, certificats pour obtenir des aides sociales, certificats de maladie professionnelle, certificats d’accidents de travail, certificats d’impossibilité de signer un acte officiel, certificats de nécessité de disposer d’un ascenseur ou de prendre un ascenseur, certificats pour permettre à un enfant d’aller uriner5 lors des heures de cours, certificats pour demander un aménagement dans un lieu de vie, certificats pour attester de la possibilité médicale de contracter un prêt financier, immobilier ou autre, certificats pour déclarer qu’un enfant qui a été malade n’a pas été à la cantine et donc permettre aux parents de ne pas payer le repas ce jour-là… J’en oublie encore.

Ce temps est-il un temps de soin ?

Pour une part infime, peut-être.

On pourrait même considérer que pour certains, ce serait l’occasion de faire de la prévention. Mais hélas c’est loin d’être le cas. La demande est trop souvent abusive6, et le temps perdu à examiner la personne et à rédiger le certificat, ou à expliquer que le certificat est inutile et abusif est du temps que l’on ne consacre pas à aider quelqu’un qui en a réellement besoin.

Je propose donc de supprimer tous les certificats médicaux sauf deux : les déclarations de maladie professionnelle et d’accident de travail.

Tout le reste n’étant pas du soin serait donc simplement du temps de soin gagné.

Il s’agirait donc de réformer le Code du travail pour que les personnes malades puissent tout de même bénéficier de jours de récupération, mais déterminés par l’assurance maladie directement, sans passer par le médecin. Vous pensez que c’est un autre abus ? Comment croyez-vous que cela se passe pour le Covid ? Une simple déclaration sur internet, et vous obtenez un arrêt de travail de sept jours… comme quoi quand ça arrange l’État, c’est possible…

Cela aurait aussi le mérite de considérer les gens comme des adultes, et non comme des enfants resquilleurs ayant besoin d’un chaperon en permanence…

Les compétences de soin de chaque profession

Pour récupérer du temps de soin, il ne suffit pas de supprimer les tâches qui ne sont pas du soin.

Il faut aussi revoir les actes qui peuvent être accomplis par chaque profession dans une vision globale, afin de retrouver une cohérence avec les effectifs disponibles.

Cela passe donc par une refonte complète des décrets de compétence de chaque profession : quelles sont les prérogatives des médecins (et de chaque spécialité médicale7), des sages-femmes, des dentistes, des psychologues, des infirmiers, des psychomotriciens, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des aides-soignants, des pharmaciens ?

Actuellement, ces prérogatives sont complètement inadaptées à la réalité du terrain, et font perdre un temps précieux aux professionnels mais aussi aux patients, parfois en aboutissant à une perte de chance et à des retards de prise en charge8, ou même à des mises en danger.

Il serait donc nécessaire de revoir les choses en totalité, de tout remettre à plat, et surtout ne pas se contenter d’un rafistolage qui rendrait le système illisible. Tout doit être logique et simple.

Les professionnels doivent aussi être considérés comme responsables, et l’obligation de passer par un médecin pour avoir une prescription devrait être repensée. En effet, qui est le mieux placé pour savoir si une entorse de genou est guérie : le kinésithérapeute qui voit le patient deux fois par semaine pour ses séances ou le généraliste qui ne l’a vu qu’une fois au début ? Pour moi la réponse est claire, ce n’est pas le médecin.

De manière générale, il me semble évident qu’il faut repenser le parcours du patient, et le fluidifier au maximum. Cela lui bénéficiera autant qu’aux professionnels.

Il est important aussi d’arrêter de considérer les professions non médicales comme non-responsables a priori, un peu comme d’arrêter de considérer les patients comme des enfants immatures et resquilleurs9 par nature.

Recruter

Bien évidemment, pour laisser aux soignants le temps de faire leur métier, il s’agit de s’assurer que le travail en sous-effectif ne devienne pas la norme qu’il est actuellement, où tous les services de France et de Navarre se sont habitués à fonctionner avec trois ou quatre fois moins de personnels qu’il serait nécessaire. Si chaque soignant doit en effet faire le travail de trois collègues en plus du sien, il ne pourra jamais prendre le temps nécessaire à l’accompagnement des patients, et on continuera à voir des professionnels en burn out, qui perdent le sens de leur métier, et qui deviennent maltraitants même involontairement. Ne parlons même pas du simple fait d’aimer son travail…

Il est donc nécessaire de recruter dans les métiers de soin.

Il ne s’agit pourtant pas de le faire n’importe comment, de dire, comme l’a décrété Emmanuel Macron, qu’on «supprime le numerus clausus». Car une formation ne peut pas se faire sans formateurs, à moins de vouloir faire une formation au rabais10. Et quand les professionnels de soin manquent sur le terrain, vous imaginez bien que le nombre de formateurs est très limité. Donc au-delà de la poudre aux yeux, la suppression du numerus clausus n’a de sens que si on augmente les possibilités d’avoir des formateurs, des terrains de stage, des gens motivés à transmettre… donc qu’on augmente d’abord le nombre de soignants. Pour recruter, il faut donc d’abord… recruter.

Tel l’Ouroboros, le problème semble se mordre la queue.

Pourtant, un cercle vicieux peut aussi devenir un cercle vertueux, il suffit pour cela de le renverser.

Si l’on recrute plus, on aura mécaniquement plus de formateurs et on pourra donc plus et mieux recruter, car plus il y aura de soignants et plus le travail de soin reposera sur plus de personnes, donc chaque personne pourra passer plus de temps auprès des patients…

Comment passer donc du vice à la vertu ?

À mon avis, il faut se servir de toutes les autres propositions que je fais, afin de rendre à nouveau les métiers du soin attractifs. Nous les détaillerons plus bas, mais je crois que les plus efficaces seront : la revalorisation financière11, la reconnaissance sociale, et surtout l’éducation de la population à la santé.

La place du soignant dans la société

Quand les infirmières manifestent dans la rue, ce qui hélas s’est produit très régulièrement depuis des années, sans que personne ne bouge le petit doigt jusqu’à ce que nous soyons dans une telle pénurie de personnel infirmier que des services entiers soient obligés de fermer leurs portes, elles demandent deux choses seulement : avoir les moyens de faire leur métier, et obtenir la reconnaissance de leur dévouement.

Nous l’avons vu plus haut, les moyens se résument à du temps de soin, donc à du personnel, donc à des recrutements.

Quant à la reconnaissance, je crois qu’elle est indispensable pour donner envie à plus de personnes d’embrasser ces métiers.

Nous devons arrêter de penser que soigner est une vocation. Elle peut l’être pour certains et c’est très bien. Mais ce métier peut aussi être passionnant et épanouissant même lorsque l’on n’a pas la vocation. Pour cela, cependant, il faut arrêter de voir les médecins comme des curés et les infirmières comme des bonnes sœurs, tous uniquement motivés par l’appel d’une force supérieure qui suffirait à leur bonheur. Si nous attendons que chaque infirmière soit Sœur Emmanuelle et que chaque médecin soit l’Abbé Pierre, nous n’aurons plus beaucoup de soignants très rapidement. A contrario, l’image des médecins vénaux doit aussi être battue en brèche.

Il est nécessaire de revoir nos priorités.

L’argent sert à bien vivre et sert à reconnaître la qualité et l’importance du métier que nous exerçons dans la société.

Que dire donc d’une société qui paie ses infirmières à un taux horaire inférieur à celui de ses serruriers12 ? Que dire d’une société qui rémunère mieux les traders que les personnes qui prennent soin de nous quand nous sommes incapables d’assurer notre toilette intime, ou de manger seuls ? J’ai honte de voir que les aides-soignants et aides-soignantes gagnent en un mois ce que des traders gagnent en une heure…

Et si nous cautionnons collectivement ce déséquilibre, cela dit beaucoup de la société dans laquelle nous avons décidé de vivre. Cela explique aussi que nous ayons si peu de candidats pour exercer ces métiers du soin et du prendre soin. Les jeunes ne rêvent pas de prendre soin des autres, ils rêvent de devenir influenceurs sur Instagram… parce que c’est plus valorisé dans notre société du paraître et de l’argent.

Alors pour amorcer la pompe des recrutements, je suis désolé de le dire, mais il va falloir revoir la hiérarchie des fonctions dans notre monde. Le soin est-il ou n’est-il pas une priorité plus grande que la finance virtuelle ou l’influence des autres à travers une image fabriquée par des photos retouchées ?

Si nous choisissons de reconnaître que prendre soin des autres est l’une des fonctions les plus nobles et les plus utiles dans la société, au même titre que de protéger la sécurité de chacun, d’éduquer et de transmettre le savoir et le savoir-faire, et de veiller à ce que la justice soit rendue, alors nous devons traduire cela sur la fiche de paie.

La juste rémunération

Pourtant, ce ne sont pas les 183 € mensuels des différents plans dérivés du soi-disant Ségur de la santé qui vont suffire.

Au risque de me répéter, il me semble indispensable de juger des rémunérations en fonction de l’utilité du métier pour l’ensemble de la Nation. Et si nous tombons d’accord pour considérer que le soin et le prendre soin sont parmi les métiers les plus utiles, ce ne sont pas 183 € qui changent la donne.

Une mesure indispensable : mener les plus bas salaires à au moins 2 000 € net mensuels. Cela concernerait la fonction d’aide-soignant (scandaleusement mal payée actuellement) et quelques infirmières.

Une mesure nécessaire : hausser les salaires des infirmières à au moins 3 000 € net mensuels.

Une mesure logique : monter les rémunérations des autres personnels du soin et du prendre soin, hors médecins, d’au moins 20 %.

Une mesure finale : monter les rémunérations des professions médicales d’au moins 10 %.

Cela fait beaucoup d’argent. J’en suis conscient.

Encore une fois, c’est une question de choix. Voulons-nous des candidats à ces métiers, ou pas ? Celles et ceux qui les exercent méritent-ils une telle rémunération ? À nous de le décider collectivement. Ne nous étonnons pas, dans le cas où nous répondions par la négative, de ne pas réussir à recruter.

L’exercice libéral en question

Reste que le contingent le plus important de médecins exerce en libéral, ainsi qu’une bonne part des infirmières, de nombreux kinésithérapeutes, les psychologues, les psychomotriciens et psychomotriciennes…

Le mode d’exercice libéral dans notre pays est prédominant, du moins en théorie.

En pratique, il en est autrement.

Car le blocage des honoraires par le biais de l’imposition d’un tarif conventionnel décidé par l’État (via l’assurance maladie elle-même), mais aussi l’encadrement de plus en plus serré des pratiques de soins ont vidé le mot libéral de sa substance. Le médecin généraliste libéral n’est pas libre de fixer ses tarifs, mais il n’est pas libre non plus de fixer d’autres modalités fondamentales de son exercice, puisqu’il lui est imposé de faire partie d’une CPTS, et que celle-ci doit trouver un médecin traitant pour tous les patients de son territoire. Comme conséquence, cela signifie que le médecin généraliste ne peut plus déterminer lui-même le nombre raisonnable de patients qu’il peut prendre en charge en fonction de ses propres critères.

En d’autres termes : comment appelez-vous l’exercice d’un métier dans lequel quelqu’un vous impose votre rythme de travail ainsi que votre rémunération ?

Pour moi, c’est du salariat… mais avec tous les inconvénients du libéral (pas de congés payés, des charges sociales supérieures, et une responsabilité individuelle totale en cas de problème).

Je crois donc que nous devons repenser complètement ce mode d’exercice du soin. Et faire un choix.

Soit nous décidons de garder un secteur libéral, et dans ce cas il est nécessaire de s’extraire de ce carcan administratif des CPTS comme du carcan de l’offre et de la demande. Cela veut dire supprimer ces machins qui n’ont aucune utilité dans un monde libéral, mais aussi revaloriser le montant de l’acte afin de permettre aux médecins comme aux autres de sortir de la dictature du nombre d’actes pour entrer enfin dans un monde où on fait du soin de qualité. Un médecin pourrait voir deux fois moins de patients mais deux fois plus longtemps à rémunération égale et temps de travail égal, ce qui permettrait d’effectuer les actes de prévention et d’éducation dont nous parlerons plus loin.

Soit nous sommes logiques avec le mode d’exercice déjà en place et décidons de salarier tous les acteurs du monde du soin, avec l’assurance maladie comme employeur. Mais cela signifie : 35 heures de travail hebdomadaire, congés payés, et salaires à la hauteur de ce que nous avons discuté plus haut, convention collective, et responsabilité de l’employeur dans de nombreux domaines, notamment la gestion des cabinets médicaux, du personnel de support (secrétaires), des formations (orientées vers les objectifs de santé publique déterminée par l’État)… Bon nombre de vieux médecins y sont opposés mais cela séduirait beaucoup de jeunes praticiens. Libérer les médecins de la pression financière permettrait là aussi de les engager dans des missions qui actuellement ne sont pas réalisées car non rémunérées : la prévention, l’éducation à la santé, la formation des internes et des étudiants.

Supprimer la ROSP

En tous les cas, la rémunération sur objectif de santé publique devrait être supprimée. Les études indépendantes sont au mieux sceptiques sur son utilité dans la progression des bonnes pratiques et l’amélioration de ladite santé publique. Elle participe par contre au système de captivité des médecins dans un objectif paradoxalement quantitatif et non qualitatif, puisque ne revalorisant pas l’acte médical.

Salarier les médecins serait par contre plus clair. L’employeur est l’assurance maladie et les objectifs de santé publique peuvent en découler.

La place du soin dans la société

Pourtant, les conditions de travail financières et d’exercice des soignants ne sont pas suffisantes pour changer la situation actuelle et mener vers un autre monde de la santé. C’est même la partie émergée de l’iceberg. Quant à la partie immergée, personne, à ma connaissance, n’a encore proposé de s’y attaquer de front. Pourtant, c’est de là que tout découle, et si l’on revalorise les soignants sans changer le fond du problème, on n’aura rien réglé, au contraire.

Cela commence par replacer le soin là où il doit l’être, et que la population soit associée à cette discussion.

Soigner n’est pas un service

Il doit d’abord être clair que soigner n’est pas un acte anodin qui pourrait entrer dans la comparaison marchande.

Il ne s’agit pas ici d’un service comme la téléphonie mobile, par exemple. On ne se sert pas du système de soin quand on en a envie mais quand on en a un réel besoin, un besoin qui doit être raisonné par autre chose que l’impulsion seule, mais par autre chose également que les considérations financières, du côté du patient comme du côté de l’État.

Oui, soigner les gens coûte de l’argent à l’État. Dans quel monde peut-on imaginer que l’État gagne (immédiatement) de l’argent en soignant ses citoyens ? Mais bien sûr, soigner les citoyens fait gagner à long terme beaucoup de richesses à l’État, puisque des citoyens en bonne santé vont payer des impôts plus longtemps, rester productifs plus longtemps, et faire partie de la Nation plus longtemps. Il faut donc arrêter de considérer l’assurance maladie comme un budget qui devrait être à l’équilibre. Il est normal de dépenser de l’argent pour soigner. Il est donc normal que l’assurance maladie soit en déficit. D’ailleurs, ce n’est pas un déficit, c’est un investissement. Tout ce que la société dépense pour se soigner lui permet de créer ensuite plus. Cette femme qui a été sauvée d’un cancer va peut-être inventer un procédé agricole révolutionnaire, cet homme qui ne mourra pas de son asthme va garder ses petits-enfants plus longtemps, ce qui permettra à la mère d’inventer ce même procédé agricole révolutionnaire. Ces bénéfices ne sont pas quantifiables directement. Mais ils existent.

Soigner n’est pas un service de téléphonie mobile et nous devons donc comprendre que les soignants ne sont pas à notre disposition, mais à la disposition de notre santé, ce qui est très différent.

Ce dont nous avons besoin et ce dont nous avons envie sont parfois deux choses très différentes, voire opposées.

Non, guérir un rhume en moins de 7 jours n’est pas réalisable. Même si notre envie d’être débarrassés de nos symptômes gênants le plus vite possible est bien là. Ce n’est pas cette envie qui doit nous guider, mais bien notre besoin : j’ai besoin d’attendre que mon rhume guérisse tout seul en une semaine.

C’est un discours qu’il faut faire unanimement passer auprès de la population.

Le soin n’est pas au service de la productivité au travail. Il est au service de la santé des individus et de la population.

La régulation médicale

Il est donc essentiel que les soignants aient la possibilité de réguler l’accès au soin, et arrêter de considérer que tout le monde peut aller voir tout le monde tout le temps sans se poser de questions. D’abord parce que les soignants ne peuvent pas être assez nombreux actuellement, ensuite parce que la logique de la consommation n’est pas la logique du soin.

Comprenons bien que le but du soin est de permettre à celle ou celui qui en a besoin de retrouver une autonomie le plus rapidement possible, même si l’on ne peut pas corriger entièrement le problème de santé dont elle ou il souffre, et surtout pas de la ou le rendre dépendant des soins. Bien évidemment, les pathologies chroniques demandent un suivi régulier, parfois rapproché. Cela n’entre pas en contradiction avec une certaine sobriété13. On peut très bien soigner sans multiplier les examens d’imagerie, sans multiplier les intervenants à l’excès, sans faire une prise de sang tous les mois (sauf bien sûr dans certaines circonstances).

Les soignants sont les mieux placés pour savoir quels sont les suivis à réaliser, les examens à prescrire, les professionnels à consulter, et quand.

Pas les patients. Pas les politiques. Pas les laboratoires pharmaceutiques.

Les soignants, chacun dans leur domaine. Et en premier lieu les professions dites médicales (actuellement les dentistes, les sages-femmes, et bien sûr les médecins), c’est-à-dire celles qui ont un droit de prescription.

La régulation qui a été autorisée cet été dans certains services d’urgence (et qui a consisté à les réserver aux seuls patients en réelle situation d’urgence appréciée par un régulateur médecin, en réorientant les pathologies non graves et non urgentes vers une autre réponse) devrait être considérée comme un fonctionnement normal, n’en déplaise à une certaine frange de mes confrères, dont l’angélisme14 me sidère.

Je propose même d’aller plus loin : après une régulation médicale, il devrait être possible de répondre à quelqu’un que son état ne nécessite pas de consultation au moment où il le demande. Car dans un nombre de cas assez grand, c’est la stricte vérité.

La démocratie en santé

Mais avant que l’on puisse me faire un procès en patriarcat médical, je tiens à expliquer pourquoi il faut aussi que le pilotage du système de santé se fasse en toute démocratie, et pourquoi il faut y associer les citoyens eux-mêmes.

D’abord tout simplement parce que les citoyens englobent non seulement les soignants mais aussi et surtout ceux qui ont besoin d’être soignés, c’est-à-dire nous tous. N’oublions jamais que les professionnels du soin ne sont pas immunisés contre les maladies, les accidents, et autres tracas que la vie nous réserve. Ils sont donc eux aussi des patients en puissance.

Ensuite parce qu’il semble normal que les citoyens aient leur mot à dire avec l’argent public.

Mais surtout, parce qu’il n’y a que peu d’autres moyens pour que l’ensemble de la société puisse réellement comprendre ce que c’est de soigner quelqu’un, et la logique si particulière que cela sous-entend. La démocratie en santé est l’un des piliers de l’éducation à la santé que je détaillerai plus loin. Si nos concitoyens comprennent mieux le soin, ils comprendront aussi mieux comment utiliser le système de santé, pourquoi il est si important pour tout le monde, et pourquoi tout ce qui précède et tout ce qui suit est nécessaire.

Cela signifie aussi que les choix de santé ne doivent plus être pris par les politiques, et surtout le budget, le si infâme ONDAM15. Les choix doivent être faits par les citoyens eux-mêmes, tirés au sort pour siéger dans une instance indépendante, éclairés par des professionnels du soin de toutes les disciplines, eux-mêmes élus par leurs pairs. Cette instance serait inscrite dans un temps long, avec des mandats de sept ans non renouvelables, et une mission de planification décidée à chaque fin de ce laps de temps.

Elle serait en charge de la politique du médicament au sens large, de la décision de construction d’infrastructure, de la fixation des tarifs de référence, par exemple. Voire de la répartition des postes salariés, des postes d’internat, etc.

Ainsi, à mon sens, les ARS devraient disparaître ou être subordonnées aux décisions de cette instance.

Mieux former les soignants

D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que prendre soin des autres mérite une formation exigeante et plus poussée.

Il y a d’abord de nombreuses personnes qui exercent dans des métiers du soin peu qualifiés et qui ne reçoivent pas une formation suffisante. Les aides de vie, les aides-soignants, notamment. Ces professionnels-là devraient bénéficier de meilleures et de plus fréquentes formations, tout au long de leur exercice, comme en reçoivent les infirmières, les médecins, les kinésithérapeutes et tous les autres.

Ensuite, il est urgent de former les professions médicales à la pluridisciplinarité pour développer le respect des autres domaines du soin et la prise en compte de l’expertise de professionnels qui ne sont pas médecins. Les compétences de savoir-être que développent les psychologues, par exemple, devraient être inscrites dans les prérequis nécessaires à l’exercice de la médecine, et des rudiments devraient être enseignés aux autres professionnels.

La juste distance au patient, le respect de l’autonomie, le non-jugement, sont encore à étendre dans certains domaines.

(Re) Créer des lits d’hospitalisation directe dans les services

Lorsque j’ai commencé mes études de médecine16, chaque service à l’hôpital disposait d’un certain nombre de lits pour faire ce que l’on appelait des «hospitalisations directes» (ou entrées directes). Ils étaient destinés à accueillir des patients, connus du service ou non, qui avaient besoin d’être hospitalisés pour un motif relevant de la spécialité du service (par exemple une pneumopathie dans un service de pneumologie). Les patients étaient alors admis sans passer par les urgences, et étaient pris en charge très rapidement, recevaient des soins adaptés, et ressortaient quand le problème était stabilisé.

À la faveur des suppressions massives de lits d’hospitalisation depuis trente ans, cette possibilité a totalement disparu, sauf dans de très rares services, et les patients se retrouvent tous à embouteiller les services d’urgences, déjà saturés. Ces services se retrouvent en effet eux-mêmes face au problème de ne pas avoir de place d’hospitalisation dans les services spécialisés.

La conséquence est simple : les patients passent beaucoup plus de temps à attendre qu’à être soignés, donc ont une perte de chance de prise en charge et donc de guérison. Ils sont mis en danger, malgré toute la bonne volonté du personnel soignant.

Plus encore, le fait de présenter les services d’urgence comme la porte unique d’entrée dans le système hospitalier a accrédité l’image dans la population d’un hub nécessaire, d’un passage obligé par ces structures qui n’ont absolument pas la vocation de l’être. Ainsi, le recours systématique aux urgences par la population n’est-il que le reflet de la façon dont le système lui-même a considéré ces mêmes urgences…

Recréer des lits d’hospitalisation directe est l’un des moyens pour montrer que les urgences sont réservées aux urgences vitales, mais que des pathologies plus chroniques déstabilisées peuvent être prises en charge directement par les spécialistes, sans perte de chance.

Bien sûr, cela demande d’abord des moyens financiers et d’accepter que le taux de remplissage de ces lits ne soit pas optimal (vous vous souvenez : on n’est pas censé faire gagner de l’argent à l’État en soignant les gens), et aussi du personnel en nombre suffisant pour faire tourner ces services à plein régime.

Décloisonner les métiers et les renforcer chacun dans leur domaine

Je parle plus haut de la nécessité de former à la pluridisciplinarité. C’est une des limites du système actuel. Beaucoup de professions s’ignorent les unes les autres et beaucoup de professionnels essaient de faire (mal) le travail d’autres professions dans un domaine qui n’est pas le leur.

Un kinésithérapeute va vous affirmer qu’il faut faire une IRM pour voir une fracture du petit orteil, alors qu’une infirmière va vous conseiller de faire des étirements pour soigner une tendinite et qu’un médecin aura la prétention de faire de la psychothérapie avec ses patients.

Pourtant, aucun de ces trois professionnels n’a les compétences pour ce qu’il annonce.

Seul un médecin saura s’il faut faire un examen radiologique, un kinésithérapeute vous conseiller correctement des étirements, et un psychologue mener à bien avec vous une psychothérapie.

Il est temps de rendre à chacun ses compétences et d’apprendre à ne pas exercer (car mal) celles des autres. Les pharmaciens ne savent pas prescrire, ni faire des injections, pas plus que les infirmières ne savent poser de diagnostic médical, ni les médecins mettre en place une sonde urinaire par l’opération du Saint-Esprit.

Par contre, il est grand temps de considérer que les compétences qui nous manquent peuvent et doivent être exercées par les autres domaines du soin, il est temps d’arrêter de considérer les professionnels paramédicaux comme inférieurs aux professionnels médicaux, et il est temps de prendre leur expertise pour ce qu’elle est : une expertise supérieure à la nôtre dans leurs domaines. Ce n’est qu’en coopération que les professionnels du soin peuvent réellement accompagner un patient dans un parcours fluide qui lui rende vraiment service.

Et ceci devrait être promu et accentué.

Intégrer le soin psychologique dans les professions médicales

Une des conséquences de ce raisonnement est d’enfin intégrer les psychologues dans le champ des professions médicales, c’est-à-dire avec droit de prescription, même si bien entendu on ne parle pas ici de prescription médicamenteuse. Le champ d’action des médicaments est réservé aux psychiatres qui ont seuls les connaissances pharmacologiques suffisantes pour comprendre et maîtriser le maniement des médicaments psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques, hypnotiques et autres). Mais le champ des thérapies psychologiques non médicamenteuses est vaste et riche, et les études internationales montrent de plus en plus et de mieux en mieux leur intérêt, souvent très supérieur en efficacité par rapport aux traitements sus-cités.

L’expertise des psychologues dans les psychothérapies est très largement supérieure à celle de tous les autres corps de métier, et pour cause : ils et elles sont les inventeurs et les développeurs de ces psychothérapies. C’est le cœur de leur métier, tout comme la connaissance des processus psychologiques et cérébraux, de façon complémentaire aux neurologues et aux psychiatres (nous y revenons dans le point suivant).

La santé mentale étant une composante à part entière de la santé, les spécialistes de ce champ devraient logiquement obtenir un statut équivalent aux spécialistes de la santé physique : un statut médical, avec droit de prescription des psychothérapies et d’orientation vers les psychiatres et les autres spécialités de la santé mentale (psychomotriciens, orthophonistes) dont les champs d’intervention sont connexes mais moins larges.

Les thérapies modernes prouvent leur efficacité scientifiquement, et il est donc évident que la psychanalyse doit être exclue de ce statut, comme l’homéopathie l’a été pour la santé physique.

Les psychologues devraient donc être titulaires d’un doctorat au même titre que les médecins. Leur cursus porté à la même durée que les médecins. Leur rémunération très largement revue à la hausse.

La santé mentale : psychologues et psychiatres, neurologues et psychiatres, renaissance des neuropsychiatres

La santé n’est pas seulement physique.

Nombreux sont les patients dépressifs à avoir une santé physique correcte, pourtant, on ne peut pas dire qu’ils soient en bonne santé.

La santé mentale est au moins aussi importante. Parfois, elle conditionne même la santé physique. L’esprit a la capacité de nuire comme d’être bénéfique au corps, et on peut même penser que corps et esprit ne sont qu’une seule et même chose, si l’on suit la théorie d’Antonio Damasio.

L’indigence du système de santé mentale en France est telle que je ne sais par où commencer.

D’abord, peut-être, par l’évidence : si l’on remet chacun à sa place, le fonctionnement s’en portera mieux et les patients seront mieux pris en charge. Donc, aux psychiatres la maladie mentale (en gros, ce que l’on classait auparavant dans les psychoses, donc des pathologies qui impliquent des altérations de la perception de la réalité, les délires, les hallucinations, les syndromes schizophréniques, paranoïaques, les bipolarités), et aux psychologues les pathologies bénignes, la santé mentale au sens plus large. Les uns utilisent les médicaments et des techniques médiées par du matériel (sismothérapie, magnétothérapie, par exemple), les autres les multiples psychothérapies.

Ensuite, arrêter d’enseigner la psychanalyse dans le cursus de soin. Rien n’empêche de l’enseigner ailleurs, mais une technique ne doit être enseignée que lorsqu’elle est efficace et prouvée.

Dans le même ordre d’idée, réformer le fonctionnement des Centres Médico-Psychologiques et Médico-Psychologiques Pédiatriques, pour les recentrer sur des thérapies prouvées.

Redonner du personnel et des moyens au secteur hospitalier de la santé mentale, encore plus en difficulté que les autres, si cela est encore possible.

Le fonctionnement du cerveau et de l’esprit est si imbriqué, et si intriqué entre les aspects neurologiques et psychologiques, que les compétences des neurologues sont insuffisantes pour prendre en charge les processus psychologiques qui sont à l’œuvre dans les pathologies comme les accidents vasculaires cérébraux et les maladies neuroévolutives, et les compétences des psychiatres insuffisantes pour s’occuper des troubles neurologiques qui accompagnent les désordres psychiatriques majeurs comme la schizophrénie ou les autismes sévères. Nous devrions donc logiquement faire renaître la spécialité perdue de neuropsychiatrie, qui existait au XXe siècle. Le cerveau est un tout, et des spécialistes qui auraient la double vision neurologique et psychiatrique seraient un atout pour mieux soigner ces pathologies, comme pour les prévenir.

Car finalement, même la santé mentale est dépendante d’un facteur que notre système n’a jamais vraiment investi :

La prévention

Connaissez-vous la pathologie qui se soigne le mieux et avec le moins de moyens ?

C’est tout simplement celle qui ne s’est jamais développée.

Pas besoin d’aller aux urgences pour une amputation d’un doigt si l’on a suivi toutes les consignes de sécurité avec sa scie circulaire, pas besoin de subir des séances de chimiothérapie répétées et émétisantes comme exténuantes si l’on n’a jamais déclaré de cancer, pas besoin d’un rendez-vous semestriel chez le cardiologue si l’on n’a jamais fait d’infarctus du myocarde… Et donc autant de consultations, de soins, d’examens, de temps, que l’on n’a pas eu besoin de passer dans le système de santé, qui par conséquent peut supporter la charge des pathologies que l’on ne sait pas encore prévenir, et faire face aux maladies émergentes.

Il n’est cependant pas ici question de la prévention du style «ayatollah» comme on l’a vue se développer ces dernières années avec les injonctions comme «mangez 5 fruits et légumes par jour». Il s’agit plutôt de graduellement changer les comportements, ce qui ne peut se faire qu’en montrant aux individus que ces changements sont en accord avec leurs valeurs profondes, et surtout, surtout, de faire comprendre aux citoyens ce qui fait la santé. Il ne peut y avoir de prévention sans éducation, et c’est précisément par là qu’il faut commencer.

Pourtant, ce serait une erreur de penser que seule l’éducation peut tout révolutionner.

Tout changement ne devient réel que lorsqu’il est systémique. Lorsqu’il infuse dans tous les domaines de notre vie. Et il faudra donc bouleverser beaucoup d’autres habitudes de société.

Les consultations de prévention

Nous pouvons éviter nombre de pathologies. Nous en avons le savoir, et mieux encore nous en avons les moyens concrets.

Plutôt que de ne faire que courir après les pathologies déjà installées, nous pourrions faire porter nos efforts sur le fait de les éviter. Nous pourrions instaurer des consultations de prévention, qui seraient longues, de manière à prendre en compte la globalité de la vie d’une personne, et de déterminer quels sont les axes qui pourraient être changés pour permettre une vie en meilleure santé plus longtemps. Elles pourraient être remboursées intégralement, et bien entendu très bien rémunérées. D’autant plus que je les imagine pluridisciplinaires. Vous pouvez déjà comprendre pourquoi après ce que j’ai déjà écrit plus haut, mais mon argument principal est qu’on ne peut appréhender la globalité d’une personne que si l’on croise les regards de différentes manières et de différentes personnes. J’imagine donc des consultations conjointes entre des médecins (généralistes car ce sont eux qui ont la vision la plus synthétique et globale), des diététiciens, des kinésithérapeutes, et des psychologues de manière à guider la stratégie de changement, puisqu’il s’agit de connaître les mécanismes cérébraux qui favorisent ou freinent les changements.

Vous pourrez me rétorquer :

Cela existe déjà, ce sont les consultations de prévention de l’assurance maladie, que l’on peut gratuitement réaliser tous les cinq ans.

Je ne pourrais que vous donner raison. Mais.

Mais non, en fait. D’abord, elles ne sont accessibles qu’aux seuls salariés du régime général, donc des millions de citoyens en sont exclus. Ensuite, pour avoir à de nombreuses reprises reçu des patients qui venaient de les réaliser, je peux vous dire que ce ne sont absolument pas des consultations de prévention globale. Certes, tous les organes sont passés en revue, mais personne ne prend la peine de vous recevoir pour vous expliquer les résultats qui sont produits par un programme informatique, et donc sont non personnalisés, et personne ne discute avec vous des axes de changement, personne ne prend le temps d’entamer un entretien motivationnel pour vous inciter à acter ces changements, personne ne vous aide.

Je pense quant à moi à de réelles consultations de suivi. Parce que pour changer il faut d’abord vouloir changer, et que ce n’est pas évident pour tout le monde. D’ailleurs, même quand c’est évident, il existe de très nombreux freins, chez nous tous et nous toutes, avant de le réaliser dans notre vie, de l’intégrer comme une nouvelle habitude de vie.

Il se peut même que nous ne voulions pas changer. Et cela se respecte. Mais le simple fait d’évoquer les changements possibles aura planté une graine, qui peut-être un jour germera.

L’éducation à la santé

Cependant, pour comprendre que des changements sont bénéfiques, il faut apprendre pourquoi. Il faut apprendre.

Mieux être acteur ou actrice de sa propre santé, mieux être autonome et faire de meilleurs choix pour soi-même, tel est le but de la prévention. Mais cela n’est possible que si l’on possède quelques clefs, quelques connaissances, quelques bases. Il faut donc que les professionnels de santé partagent avec leurs patients certaines connaissances. Qu’ils soient formés à l’éducation thérapeutique, dont les outils sont taillés pour cela. Qu’ils sortent de leur position de toute-puissance. Et il faut qu’ils comprennent que l’intérêt général (et donc le leur) est que les citoyens soient moins dépendants d’eux. Cela n’empêchera pas que les professionnels du soin seront toujours indispensables lorsqu’une pathologie se déclarera. Cependant, en axant la pratique sur la prévention, nous devrions modifier la gravité de nombreuses situations cliniques, mieux associer les patients aux traitements, et prolonger la qualité de vie comme la durée de vie en bonne santé.

Hélas, notre système n’a jamais fonctionné comme cela.

Depuis les ordonnances hippocratiques jusqu’aux injonctions du «bien-être», en passant par le mépris des médecins pseudosavants de Molière, au paternalisme du XXe siècle ou au charlatanisme de Knock, la médecine occidentale n’a jamais pris le temps de diffuser réellement son savoir. Elle l’a toujours gardé jalousement. Et c’est une erreur fondamentale.

Savoir libère. Et si un patient comprend ce qui se passe en lui, cela le libère d’une bonne partie de la peur, celle venant de l’inconnu. Cela lui permet de faire ses choix de façon plus saine. Cela le rend aussi plus impliqué dans son traitement, dans ses soins, dans les efforts qu’il est toujours indispensable de faire pour aller vers un mieux ou pour accepter qu’il n’y aura pas de retour en arrière dans le cas des maladies chroniques. Pour se reconstruire, si besoin, avec la maladie, et pas se bercer d’illusions qui retarderont son adaptation en le faisant souffrir inutilement.

Quelle serait donc cette éducation, pour moi ?

Assez simplement, j’imagine un transfert de connaissances, tout au long de la vie, effectué par des professionnels du soin dont ce serait une partie de l’activité seulement et pas l’activité unique, de manière à garder un contact avec la réalité clinique. Cette éducation serait en lien d’abord avec le système scolaire, sous la forme de cours obligatoires, et elle débuterait dès le plus jeune âge, pour se poursuivre ensuite avec les médecins traitants à la sortie de la scolarité.

Et que comprendrait-elle ?

  • D’abord et avant tout une éducation à la science et au raisonnement scientifique. La pandémie de COVID19 a en effet montré dans la population française une absence presque totale de culture scientifique et la prééminence des croyances sans aucun lien avec la réalité du fonctionnement biologique. Dans ce domaine, l’éducation nationale a largement échoué dans sa mission. Cela doit changer.
  • Ensuite, elle devrait constituer un socle solide de connaissances sur le fonctionnement du corps humain et la biologie au sens large. Bien évidemment ce qu’enseignent les cours de biologie actuels, mais pas seulement. Je crois qu’il faut diffuser des notions d’anatomie basique, et de physiologie du corps humain en dehors de la reproduction. Une éducation aux processus qui dirigent les cycles de vie des cellules, de tous les organismes vivants et notamment des cellules du corps humain, le rôle des divers organes. Il y a trop de croyances actuellement induisant des idées fausses.
  • Puis bien entendu, elle devrait insister sur le temps des processus biologiques, sur ce qui peut dérailler dans le fonctionnement (effleurer les pathologies), sur les capacités de réparation mais aussi les facultés évolutives et les effets de l’âge, du vieillissement.
  • Plus largement sur les moyens de rester en bonne santé le plus longtemps possible avec des principes de vie saine, sans pour autant bannir les plaisirs de la vie.
  • Enfin, une indispensable éducation au respect de soi et des autres, de notre environnement, car :

Le soin global : One Health

Nous ne sommes pas, ni aucun être vivant sur cette planète, ni aucun objet céleste dans l’univers, une création sans lien avec le reste du monde. Chacun d’entre nous, chacune d’entre nous, n’existe qu’en lien avec les autres. Bien évidemment avec nos parents, nos enfants, nos amies, nos relations, nos contacts. Notre vie sociale n’a de sens que parce que nous sommes en lien avec d’autres, qu’ils soient nos alliés ou pas. Nous ne vivons pas seuls, sauf si nous sommes sur une île déserte. Et même là, nous dépendons des poissons que nous pêchons, des fruits que nous cueillons, du gibier que nous chassons, simplement pour survivre. Plus intimement encore, si nous pouvons simplement vivre, c’est-à-dire manger et digérer, respirer, nous reproduire et nous défendre, c’est parce que nous vivons en symbiose avec des milliards de micro-organismes vivants, bactéries ou virus, à l’intérieur de notre tube digestif, de nos poumons, de nos muqueuses, de notre vagin, et jusque sur notre peau. Sans ce lien, notre peau est incapable de se défendre, notre intestin incapable d’assimiler les aliments. Nous ne serions pas vivants.

L’espèce humaine, de la même façon, n’est pas isolée. Elle n’existe que parce qu’elle est en lien avec d’autres espèces.

Sans végétaux, pas d’oxygène, pas de pain non plus. Sans animaux, pas de lait, pas de viande, et pas de protéines indispensables (deux acides aminés ne se trouvent dans la nature que dans les protéines animales).

La vie en bonne santé des êtres humains dépend des autres espèces qui nous entourent et qui ont co-évolué avec nous.

Nous préoccuper de notre santé, c’est donc nous préoccuper de la santé des autres espèces, et de l’écosystème dans lequel nous vivons. Il se trouve que cet écosystème englobe la totalité de la planète appelée Terre.

Ce concept est appelé One Health en anglais. Une seule santé, littéralement.

Sa signification profonde est simple : nous n’avons pas d’autre choix que de prendre soin de tout ce qui nous entoure si nous voulons vraiment prendre soin de nous.

Nous sommes condamnés à être des défenseurs de la qualité de l’eau, de la qualité de l’air, de la qualité de vie des animaux, de la diversité biologique, des conditions dans lesquelles les végétaux croissent.

Nous sommes condamnés à être écologistes, d’une certaine manière.

Ainsi, toute personne qui voudrait prendre soin de soi et des autres ne peut qu’être concernée par le bien-être des autres êtres vivants, et donc de tous les processus de vie sur cette planète.

Cela implique donc, si nous voulons changer notre système de soin pour le rendre plus efficace, de prendre soin de notre environnement afin d’éviter des maladies qui solliciteraient trop et le mettraient potentiellement à terre. Ça ne vous rappellerait pas une certaine pandémie ? Que le SARS-CoV-2 soit apparu sur un marché de Wuhan ou dans un laboratoire n’est pas la question. Dans les deux cas, il est issu d’une trop grande proximité avec des animaux dont nous envahissons les niches écologiques et n’aurait pas franchi la barrière d’espèce si nous avions été respectueux de notre place.

Des centaines de milliers de morts, des millions de gens en difficulté sociale, des milliards de personnes confinées pendant des mois, tout cela à cause de notre irrespect.

Et si nous voulons éviter un effondrement de notre système de soin à l’avenir par une autre pandémie17, nous n’avons d’autre choix que de changer notre rapport aux autres animaux. Notre espèce est une espèce animale comme les autres. À ce titre elle n’est pas immortelle et elle pourrait disparaître.

Promouvoir le respect des êtres vivants, quels qu’ils soient, humains ou non, c’est donc, je le défends et le martèle, l’un des moyens d’éviter la crise des urgences, même si l’on ne voit au départ pas le lien de façon évidente. J’espère vous avoir montré qu’en fait tout est lié.

Conclusions

Au terme de ce très (trop ?) long article, il est temps de conclure. Je le ferai de deux manières. D’abord pour expliquer un dernier principe qui ne va jamais de soi en politique, et qui est même à rebours de ce que font tous nos dirigeants à cause des compromis (ou des compromissions). Puis en expliquant comment, pour ma part, j’ai résolu la souffrance que je ressentais dans mon ancien métier de médecin généraliste en cabinet libéral.

Une vision systémique : une seule mesure isolée est inefficace, seule la totalité produit des effets

Vous aurez (ou pas) remarqué combien nos dirigeants adorent commander des «rapports» à des experts, et ensuite y piocher quelques mesures par-ci par-là, au gré de leur bon vouloir ou des compromis qu’ils savent pouvoir passer, voire des compromissions qu’ils ont faites par le passé avec des intérêts particuliers ou des lobbies, et qui entrent en conflit avec ce qui serait l’intérêt général.

Or, il est évident qu’un système est un tout.

Si l’on change seulement un aspect, sans tenir compte du reste, on va juste déséquilibrer le système qui aura plus de chances de partir en quenouille que de retrouver un fonctionnement voulu.

Ainsi, si l’on supprime les certificats médicaux sans créer une réelle éducation à la santé, cela ne marchera pas. Tout comme simplement filtrer les urgences avec une régulation médicale n’empêchera pas le système en entier de s’effondrer à relativement court terme, car il est nécessaire de prendre en charge des demandes qui restent avec une offre insuffisante. Et réduire les dépenses de santé, ou laisser les métiers du soin dans une paupérisation grandissante empêchera de créer des lits d’hospitalisation, car nous n’aurons personne pour y exercer.

Si l’on veut réellement améliorer les choses, éviter un effondrement, des catastrophes avec des gens qui mourront, des professionnels de santé qui quitteront leurs métiers, une baisse de l’espérance de vie, et une casse sociale impensable, alors il n’y a pas d’autre choix que de penser les mesures en cohérence et en globalité.

Il s’agit alors d’appliquer toutes les mesures que je propose, et de ne pas en oublier une seule, pour changer le système et pas juste déplacer le problème.

Nous n’aurions des effets positifs que si la totalité de ces changements était mise en œuvre. Et c’est sans doute le plus compliqué, dans l’affaire.

Ma nouvelle vie de soignant

De façon plus personnelle, puisque j’ai fait le choix de quitter la médecine libérale, comment ai-je pour ma part résolu la souffrance que je ressentais ? Fermer mon cabinet a été autant une libération qu’un deuil. J’ai quitté des personnes auxquelles j’étais attaché, avec qui j’avais noué des liens forts. Mais après, quoi faire ?

Depuis le début de mes études de médecine, j’étudie régulièrement l’hypothèse de quitter le monde du soin. Complètement. Je m’imagine vivre de mon écriture, même si je sais que c’est inaccessible à la majorité des candidats qui se lancent dans l’aventure. Je brise cette chimère assez vite, la plupart du temps. C’est également ce que j’ai fait cette fois-ci.

Je devais, pour être en accord avec qui je suis, rester dans le monde du soin.

Alors quoi ? Devenir un médecin hypnothérapeute ? J’y ai pensé. Je suis formé, je pourrais prétendre à la reconnaissance par la Confédération française d’hypnose et de thérapies brèves de mon titre. J’aime cette relation si particulière avec les personnes qui se laissent découvrir la puissance de leur imaginaire et j’adore leur permettre d’ouvrir la porte de leurs propres ressources. La puissance des mots est la base de l’hypnose et si vous me connaissez par ce site vous imaginez combien cela me convient. Mais cela signifiait, dans la façon dont on peut actuellement exercer en France, rester dans le même système libéral qui m’écrasait. Cela impliquait aussi une insécurité financière que ma situation personnelle et familiale ne permettait pas, en plus d’une insécurité mentale à l’idée d’entrer dans une précarité d’exercice.

L’Univers m’a cependant aidé. Il a mis une opportunité sur ma route.

Je suis devenu l’un des deux médecins d’une structure de vie hébergeant des personnes atteintes de maladies neuroévolutives de type sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Parkinson et autres maladies rares du système nerveux. Je travaille en équipe pluridisciplinaire, dans un domaine passionnant (la neurologie) qui m’a toujours attiré. Avec des patients qui sont aussi des résidants, avec qui je peux utiliser les techniques de l’hypnose si besoin, afin de les aider dans les douleurs, l’anxiété qu’ils peuvent ressentir. Je peux passer du temps avec eux sans être esclave d’une rentabilité, même s’il y a beaucoup à faire et beaucoup à construire dans un établissement neuf qui est le plus grand de France. Je coordonne les efforts des autres professionnels. Je suis salarié et assez bien payé. Je développe des projets de soin, des projets tout court. J’ai la liberté de prendre en compte et de peser sur les choix d’un accompagnement global qui considère les patients comme des personnes à part entière, intègre leurs familles et leurs amis. Tout n’est pas rose, bien loin de là. Mais beaucoup est possible et pour le moment du moins, je me sens enfin à ma place.

J’ai de nouveau du temps pour écrire. Je développe à nouveau mes projets personnels. Je récupère de l’énergie, laisse ma fatigue peu à peu s’envoler. Je vis à nouveau.

Si c’était à refaire, je quitterais avec encore moins de regrets ce qui fut ma vie précédente en tant que soignant.

J’ai eu la chance de trouver une porte de sortie très honorable.

Je pense à celles et ceux pour qui ce n’est pas le cas et qui se retrouvent sans perspective. Ils et elles sont plus nombreuses que vous ne le pensez. J’espère qu’ils et elles trouveront le courage de prendre les décisions qui s’imposent. Même si cela précipitera la chute de notre système de soin.

Mais après tout, peut-être faudra-t-il cela pour que nous comprenions collectivement que nous faisons fausse route.

Ouvrir une discussion

Les trois volets de cette discussion sur les raisons de la fermeture de mon cabinet sont une pièce à deux faces.

D’une part, ils sont un peu mon «testament de médecin libéral». Un témoignage qui vaut ce qu’il vaut, mais également une tentative pour moi de comprendre ce qui m’est arrivé, et d’imaginer ce qui aurait pu se passer si les conditions initiales avaient été toutes autres. Je n’ai peut-être pas raison, mais je suis totalement sincère et honnête, du mieux que je le puis en tous cas, dans tout ce que j’ai décrit dans ces trois textes. Comme pour tout testament, j’espère qu’il sera pris en compte, mais ne puis être certain de la façon dont il le sera. Et il n’existe pas de notaire pour le faire respecter. C’est donc à vous qui le lisez, de décider ce que vous voulez en faire, si même vous désirez vous en saisir et pas le laisser de côté comme les divagations qu’il constitue parfois.

D’autre part, c’est aussi une bouteille à la mer. Ma contribution, si humble soit-elle, pour tenter d’influer sur le cours des choses, d’éviter la chute que je pressens si douloureuse pour beaucoup d’entre nous. Si vous trouvez cette bouteille et avez la curiosité de l’ouvrir, j’espère que son contenu vous touchera, et qu’il fera naître en vous des questions, des réflexions, des réactions.

Si c’est le cas, alors j’aurai un peu réussi.

Si c’est le cas, nous aurons ouvert une porte vers une discussion, vers un changement.

Si c’est le cas, nous pouvons confronter nos points de vue, dans les commentaires si vous le désirez.

Si c’est le cas, vous pouvez aussi porter ces interrogations vous-mêmes, et les faire vivre dans votre propre cercle.

Parce que ce qui compte, c’est le plus petit changement possible, celui qui a le pouvoir de rendre possibles tous les autres, jusqu’au plus improbable. Ce qui compte, c’est souhaiter le changement, et non pas le subir. C’est du moins ce que j’ai appris en quittant mon ancienne vie de soignant.


  1. Mais après tout, comment penser que des décennies de destruction puissent être réparées en quelques mois ?  ↩︎

  2. J’entends par là ce que nous pouvons réellement choisir dans notre existence  ↩︎
  3. Hélas non quantifiable actuellement car il n'existe pas vraiment d’études sur les proportions des motifs de consultation en France.  ↩︎
  4. L'une des spécialités les plus touchées par la baisse d’effectifs.  ↩︎
  5. Si, si, ça existe…  ↩︎
  6. Par le système éducatif notamment, qui parfois me fait l’effet de nourrir de papier les personnels qui y travaillent.  ↩︎
  7. Par exemple, actuellement, les généralistes sont considérés comme trop idiots pour pouvoir prescrire de nombreux médicaments ou matériels médicaux alors qu’on manque de professionnels dans les spécialités qui sont habilitées à le faire…  ↩︎
  8. Exemple (et voir note précédente) : les prescriptions de certains matériels de rééducation comme des fauteuils roulants électriques, ne pouvant être réalisées que par des médecins spécialistes très rares (de médecine physique et de réadaptation), certains patients atteints de maladies neuroévolutives rapides peuvent se voir attribuer des fauteuils qui ne correspondent plus à leurs besoins puisque leur état s’est dégradé plus vite que le délai pris pour la prescription…  ↩︎
  9. Je sais, c’est un changement énorme dans notre culture…  ↩︎
  10. Et ce n'est pas ce que nous voulons, n’est–ce pas, mon Précieux ? Oh que non !  ↩︎
  11. «I’m living in a material world» chantait Madonna à ses débuts, et ce n’est pas faux. Nous faisons tous un métier pour gagner notre vie. Si nous gagnons bien dans un domaine, il sera plus attractif.  ↩︎
  12. Et je n'ai rien contre les serruriers, qui sont nécessaires à la société et que je suis bien heureux de trouver quand j’en ai besoin !  ↩︎
  13. Le mot est à la mode, mais je n’en trouve pas de meilleur dans ce cas.  ↩︎
  14. ou le complexe du sauveur ?  ↩︎
  15. Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie, un chiffre fixant l’augmentation annuelle autorisée des dépenses de santé dans notre pays, voté par le Parlement. Comme si l’on pouvait décider de ne dépenser que 1% de plus pour soigner les gens, même si les besoins réels sont de 2%… que fait–on du pour–cent qui reste ?  ↩︎
  16. C’était au siècle dernier…  ↩︎
  17. Je rappelle que le SARS–CoV–2 n'a qu’une léthalité faible. Que se passerait–il si la léthalité montait à 20 ou 25% ? Nos hôpitaux se seraient probablement effondrés en quelques semaines…  ↩︎

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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