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Ma vie numérique sans les réseaux dyssociaux

Ma vie numérique sans les réseaux dyssociaux

Ma vie numérique sans les réseaux dyssociaux

En 2023, le principal canal d’accès à internet n’est plus vraiment l’internet originel, celui des moteurs de recherche, mais ce que l’on nomme abusivement les réseaux sociaux. Si l’on n’a pas un compte sur l’une ou l’autre de ces plateformes, on passe pour un attardé numérique, un geek à l’ancienne, un boomer, voire, pire, pour un déconnecté. Et si l’on est un artiste, c’est encore pire.

En effet, tout passe désormais par ces canaux de communication.

Les festivals annoncent leurs événements sur Facebook ou Twitter, et n’ont même plus leur site internet à jour (comme le salon des littératures de l’imaginaire toulousain Imagina’Livre).

Les artistes montrent leurs créations sur Instagram.

Les vidéastes et les vulgarisateurs postent sur YouTube.

Et je ne parle même pas des sites d’actualité ou des politiques, qui ne postent presque plus que sur Twitter.

Et le commun des mortels, qui n’osa jamais ouvrir un blog dans les années 2000 parce que «c’était compliqué» (objectivement, ça pouvait l’être), se retrouve aujourd’hui à avoir des profils à la fois sur Snapchat, TikTok et tous les autres, de façon à lui aussi accéder à la parole, même si c’est pour être noyé dans un flot massif de données.

On pourrait croire que l’internet tout entier se résume à ça : un (pas si) joyeux méli-mélo de «contenus» (mot qui ne veut rien dire) exposés sur des plateformes qui mâchent le travail de recherche et l’orientent en même temps dans le sens de leurs intérêts financiers ou politiques, voire philosophiques.

Pourtant, le «vieil» internet n’a pas disparu. Il est toujours là, parce qu’il reste tout de même la fondation essentielle de ce chaotique soi-disant internet social. D’une part parce que les plateformes ont toutes des limitations, ne serait-ce que techniques, qui brident ce que l’on peut y publier (nombre de caractères, notamment). D’autre part parce que, finalement, ces plateformes ne sont utilisées que pour faire caisse de résonance, et propulser plus loin ce que l’on crée ou réfléchit vraiment ailleurs.

Et de cela, je crois que tout le monde en est plus ou moins conscient.

Ces outils ne sont que des tremplins, pas des lieux où l’on peut trouver des informations pérennes. Votre tweet d’il y a deux heures est déjà submergé par des milliards d’autres, voire enterré par l’algorithme qui ne l’aura même pas montré à vos followers (parce que non, l’algorithme de Twitter ne vous montre pas tous les tweets des gens que vous suivez). Par contre, votre billet de blog, lui, est bien au chaud sur votre site, et une simple recherche peut le faire remonter facilement.

Pourtant, tout le monde fait comme si. Comme si c’était vraiment intéressant. Comme si on découvrait vraiment des gens différents qu’on n’aurait pas connus ailleurs ni autrement. Comme si tout n’était pas dicté par un algorithme dans le but de nous piéger dans une boucle de publicités ininterrompues.

Pire, nombre de créatrices et de créateurs font aussi semblant de croire. Croire que se soumettre aux injonctions de ces réseaux leur apportera une visibilité. Croire qu’ils et elles pourront se démarquer parmi une myriade d’autres. Croire qu’ils et elles peuvent plier l’algorithme pour cela, voire jouer plus intelligemment que lui.

Tout le monde fait comme si on n’avait pas le choix. Comme si on devait utiliser ces outils et se soumettre à leurs lois.

Il est temps de se réveiller.

Vous avez le choix. Vous l’avez toujours eu.

L’autre voie n’est même pas plus difficile. Et elle est plus libre.

Laissez-moi vous en montrer le chemin.

Affiche du film Spartacus de 1960 par Stanley Kubrick

Refuser les réseaux dyssociaux

À l’heure où j’écris ces lignes, Twitter ne s’est pas encore effondré, hélas. Mais je ne désespère pas de voir un nombre assez grand d’êtres humains se rendre compte de la nocivité de cet outil pour eux-mêmes et pour l’Humanité entière, puis, partant de là, de la nocivité de tous les réseaux dits «sociaux».

Mais, au fait, pourquoi refuser de les utiliser est si important ?

Réseaux «sociaux», réseaux «commerciaux», réseaux «dits sociaux», réseaux «dyssociaux»

Tel est l’enchaînement de mon opinion sur ces plateformes, au fil des années.

Au début, ces réseaux se sont présentés comme «sociaux» car leur propos était de mettre les gens en relation, de créer de la discussion, du partage, de vous permettre de faire société, de rencontrer de nouvelles personnes, comme dans la rue, dans un café, dans une soirée, dans une salle de cinéma. Ils étaient les héritiers des forums qui s’étaient multipliés comme des petits pains. Mais là où chaque forum avait sa thématique bien précise, et où donc il fallait s’inscrire sur une bonne centaine d’entre eux si vous aviez des passions un tant soit peu variées, avec Facebook ou Twitter, on vous promettait une seule grande place de rencontre où vous pouviez créer vous-même vos sujets de discussion. Au début, les promesses ont été tenues.

Mais rapidement, la réalité économique s’est rappelée aux concepteurs de ces outils. Maintenir des serveurs et payer des salariés pour développer le code, le maintenir, cela coûte cher, sans parler du fait que dégager des bénéfices était quand même à la base de tout. Ben oui, l’objectif de Zuckerberg comme de Jack Dorsey, au départ, c’est bien de faire de l’argent, pas d’éliminer la faim dans le monde. Il a donc bien fallu vendre quelque chose. Et comme la condition même de l’existence de ces outils était dans le nombre de leurs utilisateurs, il n’était pas question de les faire payer pour y accéder. Il a donc fallu trouver autre chose, qui est vite devenu évident : la publicité. Les utilisateurs ne paieraient donc pas avec leur argent, mais avec leur exposition à la publicité. À partir de là, ils n’ont plus du tout mérité leur nom. Les réseaux sont devenus «commerciaux».

Le besoin d’argent étant ce qu’il est, la publicité devint de plus en plus importante. Les algorithmes furent donc essentiels pour s’assurer que vous puissiez voir le plus de publicités ciblées sur vos centres d’intérêt. On commença donc à modifier la façon dont vous pouviez interagir avec les autres utilisateurs. Comme si, dans un café, on vous empêchait de voir certaines personnes ou de suivre certaines conversations, remplacées par des messages publicitaires. Je me demande d’ailleurs si vous resteriez dans un tel endroit plus de 10 minutes, s’il existait physiquement. J’ai mon idée sur la réponse, et par contre aucune piste pour comprendre pourquoi au contraire vous restez sur les réseaux… qui sont dès lors devenus une caricature de société. Des réseaux dont le nom était la négation même de ce qu’ils prétendaient être. Des réseaux «dits sociaux (mais qui sont tout sauf sociaux)».

Enfin, la massification des profils laisse aussi le champ libre aux trolls, qui ont presque toujours existé sur internet, mais qui trouvent dans ces réseaux un tout nouveau terrain de jeux encore plus grand, encore plus fertile que les forums d’antan. D’autant qu’à la différence de leurs aînés, les réseaux ne peuvent pas se gérer avec un ou deux «modos» mais bien avec des centaines de modérateurs exposés à des mots, des images, des vidéos pénibles sur le plan psychologique, et qui doivent supprimer à la chaîne des propos racistes, des menaces de mort, des images pédopornographiques ou violentes. Mais hélas leur travail, aussi important soit-il, ne suffit pas. Et le complotisme, le prosélytisme, l’ignorance, la désinformation, la manipulation, le harcèlement, la haine, les insultes se multiplient. Le café du commerce que l’on rêvait se transforme en une arène de combats de rue où tous les coups ou presque sont permis. Et les réseaux sont devenus «dyssociaux», de la racine «dys» (du grec : malformation, mauvais, erroné) car ils ne produisent plus qu’une socialisation malformée, déformée, perturbée et perturbatrice.

Les personnes exposées expriment souvent un stress, voire une anxiété, le FOMO pour l’anglais fear of missing out, ou peur de manquer. Manquer le prochain tweet, manquer l’information vitale, ne plus être en contact avec ses «amis» (eh, les gars, mes véritables amis, je connais aussi leur numéro de téléphone ou leur mail, je ne les perds donc pas si je quitte Facebook, quant aux autres, si je n’ai pas au moins ces deux autres moyens de les contacter, c’est qu’ils ne sont pas aussi importants que cela).

Je ne parle même pas des créateurs et des créatrices, qui vivent très souvent une pression à publier sur ces réseaux, de peur d’y devenir «invisibles». Mais spoiler : vous êtes forcément invisibles parmi des millions d’autres utilisateurs puisque l’algorithme est opaque par définition et décide de presque tout.

Tout cela est assez bien résumé dans un petit bouquin qui certes manque de détailler suffisamment mais est quand même assez bien écrit : La civilisation du poisson rouge, de Bruno Patino.

Vous comprendrez en le lisant pourquoi les ingénieurs de la tech interdisent à leurs propres enfants d’utiliser ces outils sur lesquels ils travaillent pourtant… L’auteur est journaliste, spécialiste des questions numériques. Il décortique les mécanismes qui ont conduit à l’émergence du web 2.0, à l’hégémonie des plateformes comme Facebook ou Twitter. Et surtout, il explique les choix qui ont été faits dans leurs fonctionnements. C’est glaçant, mais je trouve deux critiques à faire. D’abord, je trouve que c’est plus un manifeste qu’une étude précise. Il m’a manqué d’aller plus en profondeur. J’aurais aimé voir présentés les mécanismes neurophysiologiques, les bases scientifiques qui les corroborent, plus que juste citées en sources bibliographiques. Mais sans doute en attendais-je un peu trop. Ensuite, la dernière partie, qui est censée proposer des pistes pour agir, pour retrouver à la fois une citoyenneté et une liberté dans les usages du web, me semble beaucoup trop timorée par rapport à tout ce que l’auteur présente avant. J’ai l’impression que pendant les trois quarts du bouquin, Bruno Patino nous brosse une fin du monde apocalyptique, pour nous dire dans le dernier quart de simplement repeindre les murs de la maison… J’exagère un peu, c’est vrai, à dessein. Mais l’idée est là. Je suis resté sur ma faim. J’aurais attendu une réelle proposition «politique» (dans le sens «vie de la cité»), comme par exemple interdire le principe du like ou le défilement infini, comme aussi de placer l’ensemble des réseaux dysociaux sous tutelle d’une entité transnationale de type ONU. Ce ne sont que des idées jetées là sans réelle réflexion, mais justement, il aurait été à mon sens beaucoup plus percutant d’exposer ce genre d’idées plus en profondeur.

Si vous décidez de le lire, je serai curieux de savoir quel est votre sentiment dessus.

Et peut-être alors que vous prendrez la décision salutaire de franchir vous-mêmes le pas.

Peut-être que vous aussi, comme moi, vous vous affranchirez des réseaux dyssociaux.

Mais comment le faire proprement ?

Couverture du livre La civilisation du poisson rouge par Bruno Patino aux Livre de poche.

Récupérer ses données

La masse des données que possèdent ces réseaux sur vous est proprement stupéfiante.

Pour vous donner un exemple, dans mon cas précis, les données que Twitter avait sur moi, pour la période entre 2014 et 2019, année où j’ai quitté le réseau, pesaient plus de 8 Go (huit giga-octets !) en sachant que je n’ai jamais été un très gros utilisateur. Huit giga-octets, c’est l’équivalent approximatif de trois cent trente-trois mille six cents pages de texte (333 600, oui, vous lisez bien).

Cette masse de données est la mine d’or sur laquelle le réseau fait de l’argent. En la revendant, de manière à ce que vous soyez la cible de publicités taillées sur mesure pour vous.

Une mine d’or que vous avez tout intérêt à reprendre pour éviter qu’elle ne finisse entre les mains de pirates informatiques. Car ces données permettent, quand elles sont bien exploitées, de créer un profil de nous-mêmes, révélant beaucoup de choses que vous ne soupçonnez même pas.

Grâce aux lois européennes, nous sommes, sur notre continent, privilégiés : nous avons le droit de demander une archive de l’intégralité des données qu’un réseau possède sur nous, mais aussi d’exiger ensuite sa destruction, afin d’en devenir les seuls détenteurs.

Tous les réseaux sont donc obligés légalement de vous permettre de télécharger une archive des données vous concernant. Elle contiendra tout ce que vous y avez publié, vos contacts, la liste de vos abonnements et de vos followers, vos commentaires, vos likes et vos favoris, et j’en passe. La procédure change en fonction du réseau, mais elle est globalement simple.

Pour vous aider, vous pouvez aller sur cette page du site de la CNIL (Commission nationale internet et libertés) qui vous expliquera en détail la procédure.

Préparer la suite

Une fois vos données récupérées, je vous engage à d’ores et déjà préparer la suite, c’est-à-dire à construire un petit système personnel qui vous permettra de suivre les personnes ou les entités avec qui vous désirez toujours pouvoir interagir.

En gros, faites une liste de toutes ces entités et personnes, et déterminez qui est vraiment important et qui ne l’est pas à vos yeux. Ensuite, pour celles que vous avez sélectionnées, regardez quels sont leurs autres canaux de diffusion et en priorité l’adresse URL de leur site internet. Par exemple, au hasard, https://decaille-deplume.fr.

Commencez à regarder les différentes stratégies par lesquelles vous allez remplacer lesdits réseaux, et que je vous suggère plus loin. Prenez le temps de les tester et de sélectionner celles que vous allez adopter (celles qui vous conviennent le plus).

Pour toutes les personnes physiques qui n’ont pas de site ou de blog (et il y en a une écrasante majorité), voyez si vous pouvez les contacter par un autre biais, en général une adresse mail, ou un forum/Discord dans vos fréquentations communes.

Si vous ne pouvez pas, c’est que soit vous n’êtes pas si proches que cela, soit vous n’avez pas tant d’intérêts communs, et posez-vous la question de ce que vous retirez vraiment de cette interaction. Parce que partir du réseau signifiera en faire le deuil.

Le faire savoir

Bien évidemment, expliquez à vos followers et à ceux que vous suivez vous-mêmes que vous allez partir, et pourquoi. D’abord pour leur expliquer où vous retrouver, c’est quand même un minimum. Ensuite parce que votre acte aura une portée symbolique et politique forte.

De mon point de vue, si vous avez décidé de franchir le pas, vous serez un exemple. Ce sera grâce à la répétition des ruptures que les réseaux perdront leur influence sur nos vies. Il est donc fondamental que vous donniez le plus d’impact à votre propre exemple. C’est en cela que quitter un réseau dyssocial est politique. Vous affirmez une certaine vision du monde. Affirmez-la avec fierté.

Je vous conseille de publier un message expliquant votre décision et indiquant la date de suppression de votre compte, ainsi que les endroits où l’on pourra vous retrouver.

Effacer son compte

Lorsque tout ce qui précède est fait, lorsque le moment fatidique est arrivé (la date que vous avez vous-même fixée), il ne vous reste plus qu’à appuyer sur le bouton rouge.

Il se peut que vous ressentiez une certaine angoisse à cette idée, ou bien seulement au moment de cliquer sur le lien de suppression de votre compte. C’est parfaitement normal. Vous rompez avec de vieilles habitudes (et le cerveau adore les habitudes, donc il déteste quand on lui en enlève une), vous faites un deuil.

De façon pratique, là encore chaque réseau possède sa démarche spécifique, mais c’est en général simple. D’ailleurs, cette fois, il ne faut pas trop compter sur la CNIL pour vous aider, car la page qu’elle dédie à cette question est quand même très light

Certains réseaux essaient de vous retenir par un dernier argument : si vous «changez d’avis», ils gardent votre compte un certain temps (je crois que c’est 1 à 2 mois) pour que vous puissiez le retrouver intact en un seul clic. Je trouve cela assez fallacieux et pour tout dire très pervers. Ils essaient de vous faire replonger comme un toxicomane à qui on fait miroiter un dernier fix… et si vous avez vu Trainspotting, vous savez ce qu’il en est des soi-disant «derniers fix».

Ma vision des choses est qu’il vaut mieux partir sans se retourner, comme dans la vie.

Cela veut dire supprimer l’application de votre téléphone, de votre ordinateur, supprimer les adresses mail de contact du réseau, supprimer les favoris de votre navigateur internet, bref, ne plus du tout garder de liens avec aucun réseau.

Oui, mais si on usurpe mon compte ?

J’ai vu passer des argumentaires de personnes qui disaient en substance :

Je garde mon compte pour ne pas qu’il soit «squatté» et que quelqu’un se fasse passer pour moi.

Oui, mais non.

D’abord si vous avez bien fait le boulot, tous vos contacts actuels savent que vous quittez les réseaux dyssociaux et pourquoi. Ils savent même où vous retrouver. Quant aux nouveaux, qui vont vous chercher, si vous avez bien fait le boulot que je vous conseille plus loin, ils devraient vous trouver là où vous êtes vraiment et où vous affichez que vous refusez d’être sur un réseau dyssocial.

Par contre, c’est une belle excuse pour éviter d’avoir à rompre vraiment. Cela démontre que vous n’avez pas encore trouvé la force de le faire. Ce n’est pas grave. Mais vous n’êtes pas encore libre, je pense.

L’algorithme, cette bête curieuse

J’en parle beaucoup, et sans doute qu’en me lisant, vous commencez à croire que je lui en veux, à ce pauvre algorithme.

Et bien pas vraiment, parce qu’il ne fait que suivre sa nature, en fait.

Pour bien comprendre ce que je reproche aux algorithmes, il suffit de savoir ce que c’est vraiment, de nos jours.

Au départ, un algorithme est un ensemble d’étapes logiques effectuées par un ordinateur à qui l’on dit :

Si tu trouves le mot casserole dans un tweet, alors tu vas le montrer aux gens qui ont précédemment parlé de casseroles dans une conversation.

Mais ça, c’était avant. Avant la révolution des données massives et des capacités de calcul titanesques qui rendent possible la manipulation presque simultanée de milliards de paramètres par nos ordinateurs. Avant surtout l’invention du deep learning, cette programmation qui permet à un algorithme de fixer seul les conditions logiques que j’énonce plus haut en fonction de ce qu’il repère comme similitudes, différences, comparaisons logiques dans une masse de données que nous, pauvres Humains, ne pouvons même pas appréhender.

Car depuis cette avancée technologique majeure, les règles qui dirigent les algorithmes ne sont plus fixées par des êtres humains, mais par l’algorithme lui-même qui découvre des corrélations statistiques bizarres. Par exemple, il pourrait découvrir que la majorité des gens qui portent des mocassins parlent de casseroles dans leurs tweets. Il ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas comment. Mais il l’a remarqué. Donc il va décider seul de montrer tous les tweets qui parlent des casseroles aux gens qui portent des mocassins. Là, je vous parle d’un exemple simple à comprendre, mais il faut bien saisir que cette opération, il l’effectue seul, sans l’exposer aux humains, et même s’il le faisait, comme il le fait avec des milliards de paramètres intriqués, notre esprit ne peut pas, par nature, le comprendre.

Les spécialistes appellent cela l’effet «boîte noire» : on sait ce qui entre dans l’algorithme (à peu près, c’est-à-dire les giga-octets de données qu’on a sur un utilisateur de Twitter, multiplié par trois cents millions d’utilisateurs de la plateforme), on découvre ce qui en sort (votre flux de tweets qui est pollué par des publicités pour des casseroles), mais on ne sait pas ce qui s’est passé entre les deux. Personne. Pas même les concepteurs de l’algorithme.

Ce qui implique une chose assez terrifiante : on laisse la responsabilité à la machine, sans possibilité de contrôle.

Et tout le monde s’en fout.

Tableau La boîte de Pandore par Edward Burne Jones.

Mais si je pars, le quitte mon réseau professionnel

Reste que l’une des plus grandes réussites des réseaux dyssociaux, de leur point de vue, est de s’être rendus indispensables pour beaucoup de métiers. Ils sont devenus incontournables comme faisceaux de communication, de mise en relation.

C’est indéniable.

Et je suis mal placé pour vous prouver le contraire, puisque j’exerce une profession qui par nature n’est pas liée à une visibilité ou à une publicité, à une communication publique.

Cependant, encore une fois, je me permets de trouver l’argument un peu biaisé. Respectueusement, car je ne me permettrais pas de juger de la pertinence d’un tel choix pour vous, individuellement.

C’est juste que, collectivement, je trouve ça assez dingue.

Car cela montre la dépendance que la société s’est créée et à laquelle elle décide de rester soumise.

Car cet argument revient à dire :

Puisque tout le monde y est et que je veux faire partie de la société, je dois y rester.

Tout le monde le fait, alors je suis obligé de le faire.

Je suis le seul à être choqué de cela ?

Ou bien vous voyez aussi le problème ?

Si personne ne prend la décision d’arrêter, alors rien ne se passera.

On me rétorquera qu’un individu seul ne peut pas faire changer un système. Je m’inscris en faux. Si on croit vraiment cet argument, alors autant laisser la Terre brûler sous l’effet de serre parce qu’on ne peut pas seul arrêter le changement climatique et la perte de biodiversité, donc on va continuer à brûler l’Amazonie avec toutes ses conséquences, puisque notre voix unique ne sert à rien…

Là encore, vous avez le choix. Tout choix implique un renoncement à ce que l’on choisit de ne pas faire. Donc, oui, peut-être que vous allez laisser derrière vous une partie de réseau professionnel. Ou pas. Là encore, il existe d’autres moyens de faire cela. Forcément différents. Qui ne ressembleront pas à une gigantesque discussion de machine à café. Mais ce n’est pas une fatalité. C’est un choix.

Et encore une fois je crois qu’on peut très bien assumer de faire le choix de rester, en connaissance de cause. Je ne juge pas. C’est un choix qui est aussi respectable que les autres. Mais ce n’est pas le mien, et je trouve juste que l’argument de la masse n’est pas valable.

Pourquoi un autre réseau n’est pas forcément une bonne idée

En ces temps troublés où l’oiseau bleu bat de l’aile, voire est alourdi par le plomb que ladite aile a pris dans les plumes qui restent, beaucoup de personnes se sont tournées vers des réseaux dits «décentralisés», Mastodon en tête.

On pourrait penser (et j’étais dans ce cas-là aussi, j’ai eu un compte Mastodon en 2019 avant de quitter Twitter) que le paradigme des réseaux «libres» est suffisamment différent pour tout changer.

Et c’est vrai que c’est tentant :

  • Pas d’algorithme et pas de publicité, donc un flux de publications des comptes que vous suivez s’en trouvant non censurés ou déplacés, mais gardés par ordre chronologique.
  • Pas de défilement infini, ce tueur d’attention qui vous garde prisonnier du flux jusqu’à ce que mort s’ensuive.
  • Moins de monde (pour le moment) donc peu ou pas de trolls, donc une ambiance beaucoup plus tolérante et ouverte à la discussion.

Mais :

  • Moins de monde (pour le moment) donc pas forcément les gens que vous quittez ailleurs.
  • Moins de monde mais pas forcément de façon définitive, donc peut-être un jour le retour des trolls, des complotistes et autres haineux. Je suis d’accord, tant qu’ils ne sont pas là, ce n’est pas un véritable argument, sauf si on le met en relation avec le point suivant.
  • Une architecture décentralisée donc une modération très dépendante de l’instance à laquelle vous choisissez de vous affilier au départ, et ensuite il est très difficile d’en changer sans changer de compte. À moins de monter votre propre instance, mais cela demande des connaissances techniques qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Il reste plus simple, en 2023, d’ouvrir son propre blog que son instance Mastodon personnelle.
  • Le reproche principal : une limite de caractères dans les messages, même si elle est plus lâche que sur Twitter. Par nature, la limite de caractère bride surtout l’expression complexe et la pensée. Elle ne permet pas des discussions structurées et construites. C’est l’un des péchés originels des réseaux dyssociaux. Sauf pour publier des haikus, condenser la pensée en quelques mots est forcément un appauvrissement de l’esprit et de la discussion.

Pour moi, les avantages sont indéniables, mais les inconvénients me laissent sceptique sur l’utilité du microblogging dit «décentralisé» comparé à l’ouverture d’un simple blog sur wordpress.com, où vous n’avez même pas de connaissance technique à avoir et où vous restez maître de tout, y compris de la longueur de vos divagations.

Bien évidemment, cela n’est que mon avis personnel, vous êtes libre de (et encouragé à) en avoir un différent.

Les sites internet et les blogs

De mon point de vue, si vous avez quelque chose à dire d’intéressant au monde entier, il n’existe pas meilleur outil, ni plus libre, qu’un blog ou un site internet. Même si vous n’hébergez pas vous-même la chose, il est possible de trouver un prestataire qui le fera pour vous en vous en laissant la propriété. Vous aurez la maîtrise complète de l’outil. Vos données vous appartiennent totalement. Vous contrôlez qui est autorisé à entrer, à écrire, à commenter. Vous contrôlez la longueur de vos écrits, les images que vous postez. Tout vous appartient. Personne ne peut fermer votre blog ou votre site du jour au lendemain, si ce n’est la justice, qui le fait selon des règles précises et connues de tous à l’avance, et qui surtout ne changent pas du jour au lendemain parce qu’un milliardaire s’est levé du mauvais pied un matin à l’autre bout du monde.

La maintenance de l’outil est simple, éprouvée par plus de 20 ans de technologies qui évoluent en permanence. Des technologies qui sont open-source, libres, accessibles, robustes, fiables.

Vous n’avez pas forcément besoin de publicité pour que tout cela tienne debout, et même, pour environ le même prix qu’un badge bleu sur Twitter, vous offrez à vos visiteurs comme à vous-même une expérience d’internet libérée des sollicitations commerciales et totalement indépendante.

Bref, tout le contraire des plateformes propriétaires commerciales et dévoreuses de temps de cerveau disponible de leurs «captifs» que je n’ose même plus appeler utilisateurs.

Si vous avez envie, vous pouvez même apprendre deux langages informatiques très simples, le HTML et le CSS, pour peaufiner l’esthétique de votre demeure numérique. En allant un peu plus loin, avec du PHP ou du JavaScript, vous pouvez même customiser le moteur et vous créer votre Faucon Millénium à vous, avec ses compartiments secrets, ses pièces uniques.

Le point central est là : vous reprenez le contrôle de ce que vous publiez sur internet.

J’ai donc centré mon utilisation d’internet sur les blogs et les sites. Je publie moi-même ici, chez moi. Et je ne suis abonné à personne qui n’ait son propre site. Une autrice que l’on m’a conseillée n’a qu’un profil Facebook ? Eh bien, tant pis, je ne la suivrai pas. Je fais mon choix, même si cela veut dire renoncer à certaines choses.

La SEO

Oui, mais comment faire pour que mon blog soit visible ? Avec un réseau dyssocial, au moins, c’est facile.

Tu parles d’une arnaque !

Ce serait plus facile de sortir du lot dans un océan de trois cent mille comptes Twitter sans aucun moteur de recherche que sur la Toile où justement les outils puissants que sont Qwant, Ecosia, DuckDuckGo et autres, sans même parler des plus évidents que je n’ai pas cités parce qu’ils sont biaisés, permettent de retrouver une aiguille dans une botte de foin virtuelle ?

Je n’y crois absolument pas.

Les algorithmes des réseaux dyssociaux censés nous proposer des comptes selon nos centres d’intérêt sont plus opaques et ne permettent pas de faire des requêtes avancées. Et il est impossible de faire en sorte que notre profil exploite plus intelligemment le fonctionnement dudit algorithme.

Par contre, la Search Engine Optimization, elle, permet à votre site d’obtenir un peu plus de visibilité sans forcément publier des images de chatons (même si les chats sont une espèce supérieure, on est d’accord là-dessus). Alors oui, c’est compliqué, oui, c’est à la limite de l’éthique parfois, oui, j’ai personnellement une réticence à l’utiliser. Mais ça reste beaucoup plus efficace et beaucoup plus respectueux des visiteurs qu’un algorithme dont on ne sait rien contrôlé par on ne sait qui.

Les commentaires

Oui, mais les réseaux dyssociaux permettent de discuter plus facilement !

Faux !

Vous appelez «discuter» un échange de 300 caractères au maximum ? Vous appelez «discuter» un lieu où vos échanges tendent à se résumer à des punchlines ?

Le fait même d’avoir une limite de caractères dans les écrits implique de ne pas prendre le temps, mais d’aller au but le plus rapidement possible. Cela oblige à être percutant, donc réducteur. Cela amène à utiliser l’ironie très souvent, à rester simple, voire simpliste. Et tant pis pour les nuances, qui demandent plus de caractères…

Au contraire, dans les commentaires des blogs et des sites, il n’y a pas de limites de caractères.

Vous pouvez vous exprimer librement et seule la personne propriétaire du site peut censurer, selon des règles affichées. Vous ne devriez pas être insultée ou harcelé, parce que le propriétaire en serait responsable.

Je discute donc en premier lieu sur les blogs des gens qui m’intéressent, et si je le fais parfois ailleurs (via des newsletters, sur des serveurs Discord), c’est toujours dans un second temps, quand l’échange a vocation à être plus restreint en diffusion, ou bien privé.

Je considère que si ce que j’ai à dire est intéressant, cela vaut le coup de le publier sur un commentaire de blog, pour y servir à d’autres. Si ce n’est pas intéressant, je ne fais pas de commentaire du tout. J’aime bien l’idée de ne pas parler à tort et à travers. J’essaie donc d’apporter quelque chose à la discussion, d’être constructif, toujours. Si ce que j’ai à dire est intéressant mais plus restreint, ou bien privé, je le fais via un serveur Discord ou en réponse à une newsletter.

Les bookmarks

Une des grandes supériorités des sites et des blogs à l’ancienne sur les réseaux dyssociaux est la possibilité de marquer une page pour la retrouver plus tard, pour servir de référence.

Nous sommes d’accord sur le fait qu’un post Facebook est rarement si mémorable ou utile à l’Humanité qu’on doive absolument y retourner plus tard. Un article de blog, par contre, c’est possible. Une page d’un site passionnant, c’est possible aussi.

Mais outre l’intérêt discutable d’un tweet, on pourrait quand même avoir envie de garder une trace de ce qui s’y dit. Par exemple, les threads de Twitter, ces séries de tweets qui sont apparues pour contourner tant bien que mal la limitation de caractère et développer des démonstrations entières, sont parfois de très bonnes références (je pense à ceux écrits en leur temps par des confrères neurologues). Et aucun moyen de les conserver si les auteurs de ces threads ne les mettent pas ailleurs (sur un site dédié par exemple). Alors, cette démonstration passionnante se perd.

Sans doute que, comme moi, vous vous êtes retrouvés après trente ans de maraude sur les océans d’internet, avec des centaines de bookmarks que vous ne regardiez jamais, et dont probablement une grande partie était devenue obsolète car les sites avaient fermé, ou avaient changé d’adresse. Peut-être même que vos propres bookmarks sont dispersés entre tous vos navigateurs, votre téléphone et votre ordinateur, bref, je parie que c’est devenu un capharnaüm inextricable.

Comment je le sais ?

C’était pareil pour moi, avant.

Jusqu’à ce que je trouve un outil (raindrop.io) qui permette à la fois de centraliser mes bookmarks en les partageant sur tous mes navigateurs et tous mes appareils, et de les classer non plus suivant des dossiers, sous-dossiers, sous-sous-dossiers… mais suivant des étiquettes organisées selon une syntaxe simple.

Je me suis demandé ce qu’était pour moi un site ou une page valant le coup d’être mise dans mes bookmarks. La réponse a été : une référence, une entité de référence, un tutoriel, ou un outil, sur un sujet donné.

Alors pour m’y retrouver, j’ai déjà supprimé tous les bookmarks qui n’étaient pas des références, des entités, des outils, des tutoriels. J’ai effacé plus des deux tiers de mes vieux bookmarks

Puis j’ai collé à chacun de ceux qui restaient une étiquette selon le principe suivant : le type de ressource (#référence, #outil, #entité ou #tutoriel) puis le ou les sujets (exemple au hasard #narration, #jeu de rôle, #bookmaking, etc.).

Exemple : la page du site https://openclassrooms.com/fr/courses/4929676-redigez-des-ecrits-professionnels?archived-source=1617396, un cours sur le langage LATEX pour mettre en page des livres et autres documents de façon professionnelle est référencé dans mes bookmarks raindrop comme #référence #bookmaking #code.

Pour le retrouver, il suffit de demander au moteur de recherche de raindrop les bookmarks qui correspondent à une référence sur le bookmaking et le code…

Capture d'écran de mes propres bookmarks dans raindrop.io

Les flux RSS

Et pour suivre la publication de nouveaux articles sur un site, pour remplacer ma liste d’abonnements, j’utilise les flux RSS.

Je vous ai déjà montré comment cette technologie permettait de ne rien manquer des sites et des blogs qui vous intéressent, et comment vous tenir informés des commentaires postés sur ces mêmes sites et blogs.

Cela recrée un mini-réseau de connaissances, et vous permet de suivre des conversations.

Sur mon agrégateur de flux RSS, j’organise mes abonnements par thème, par catégories. Je peux faire des recherches dessus, je peux archiver des articles ou des commentaires (vous avez déjà essayé d’archiver un tweet ou un post Instagram ? C’est impossible), retrouver facilement l’un d’entre eux.

Je peux aussi suivre des chaînes YouTube, et j’ai récemment découvert que les flux RSS de YouTube ne comportent aucune publicité (sauf celles qui sont incluses dans la vidéo par les créateurs eux-mêmes). Ce qui fait que regarder une vidéo YouTube via mon agrégateur RSS me libère aussi de cette source-là de pollution.

Capture d'écran de quelques uns des flux RSS auxquels je suis abonné, dans le logiciel Reeder.

Les podcasts

Je m’étonne toujours que les podcasts soient si populaires et les flux RSS si méconnus, car la diffusion des podcasts est basée sur la technologie RSS. Encore un paradoxe de la vie numérique.

Bref, les podcasts sont une autre façon d’utiliser internet sans réseau dyssocial.

Là encore, pas besoin de Twitter ou Facebook pour suivre mes émissions préférées, un agrégateur de podcast comme Apple Podcast, ou Soundcloud, ou même un flux RSS tout bête suffit. Et la technologie est simple et robuste que vous ne manquerez aucune émission. Il n’y aura aucun filtre algorithmique entre vous et la publication des épisodes qui vous intéressent. Il y a même des moteurs de recherche pour trouver vos émissions. Ou des recommandations, comme celles que je fais moi-même.

Un homme lisant un texte dans un vieux micro.

Les newsletters et infolettres

Je ne sais pas pour vous, mais moi j’aime recevoir du courrier. Du vrai, en papier. Je ne parle bien sûr pas des missives officielles bien trop nombreuses émanant des différents organismes administratifs, mais des véritables lettres, celles qui viennent de personnes avec qui on a envie d’échanger une correspondance.

C’est sans doute une expérience que les plus jeunes d’entre nous n’imaginent même pas, car internet et plus encore les réseaux dyssociaux ont révolutionné le rapport que nous avions avec le temps des échanges.

Alors qu’actuellement nous pouvons envoyer instantanément un message à des millions de gens, et en recevoir aussi rapidement, il y a trente ans, nous devions écrire (à la main ou avec un ordinateur) sur une feuille de papier que nous devions envoyer par la poste. Ce message mettait entre un et trois jours avant de parvenir à son destinataire. Plus longtemps encore s’il habitait à l’étranger. Et si nous voulions répondre, alors il fallait écrire, mettre dans une enveloppe, aller poster la lettre, et attendre que notre correspondant la reçoive, selon un délai variable, avant de nous répondre à son tour. Et ce jusqu’à ce qu’un des deux se désengage du processus.

C’était tellement précieux, tellement complexe d’envoyer un message, que nous avions tendance à écrire des choses longues, qui valaient la peine de prendre ce temps, de faire cet effort.

On pourrait croire que cela n’existe plus.

On aurait tort.

Les newsletters (ou infolettres, comme disent les Québécois), comme ma propre lettre d’écaille & de plume, sont les héritières de cette pratique ancestrale. Elles permettent de correspondre à l’ancienne, en développant sa pensée. D’un autre côté, contrairement à un article de blog, ou à un post Facebook, ou à un tweet, elles ne sont pas destinées au public, si l’on peut dire. C’est une correspondance semi-privée. Elle est envoyée à une audience qui s’est inscrite pour cela. Mais seulement à elle.

Et si certaines personnes gardent une archive de leurs propres newsletters pour que les nouveaux inscrits puissent s’y référer, je suis plutôt partisan de l’inverse. On prend le train en marche, si je puis dire, et ce n’est pas grave. C’est un peu comme dans la vie. Si vous m’avez connu il y a dix ans, vous connaissez mon évolution, mais si vous venez juste de me rencontrer, eh bien vous faîtes avec la personne que je suis actuellement. Et c’est d’ailleurs peut-être plus facile pour vous, parce que parfois, concilier la personne que j’étais il y a dix ans et celle que je suis maintenant…

Bref, pour moi, une newsletter est un lien plus personnel. Si vous désirez garder ou archiver les lettres d’écaille & de plume que je vous envoie, vous en avez parfaitement le droit. Vous pourrez ainsi en relire certaines (si elles en valent la peine à vos yeux) dans quelques années, comme nous le faisions avec de vieilles missives en papier. Ou pas. Mais si vous venez de me rejoindre, vous ne recevrez pas les lettres que j’ai envoyées il y a un an ou deux ans.

Dans mon esprit une lettre est vivante, et elle évolue donc. En partie grâce à vous, d’ailleurs.

Un site ou un blog est conçu pour rester, pour laisser une empreinte plus durable.

Les deux sont complémentaires.

Et donc, je m’inscris aux newsletters dans le même esprit. Je réponds parfois, et les conversations peuvent s’étirer dans l’espace d’un mail, parfois très long, comme dans le temps, parfois sur plusieurs semaines. Parfois, je prends le temps avant de répondre. Le temps de mûrir ce que j’ai envie de dire, d’écrire. Le temps de la réflexion sur ce que j’ai lu.

Je ne suis plus pressé ni par un algorithme qui enfouit un tweet sous des milliers d’autres en quelques secondes, ni par une urgence à répondre sur l’instant.

Tableau d'ambiance victorienne  représentant deux jeunes femmes en train de lire une lettre, probablement galante.

Les serveurs Discord

Et si je veux avoir une discussion non plus seulement à deux mais avec une communauté ?

Il y a les serveurs Discord pour cela.

Héritiers des vieux forums des années 1990 et 2000, ces espaces ont un mode de fonctionnement hybride entre le réseau et la newsletter. D’abord ils sont communautaires, même s’ils appartiennent à une personne ou une organisation, qui sont responsables de sa modération, de son organisation.

Un serveur Discord est en effet organisé en salons dédiés à des sujets bien précis, des thématiques, parfois des règles différentes, et parfois des droits d’accès séparés. Un même serveur peut ainsi accueillir un salon général ouvert à tous (tous ceux qui ont reçu le lien d’invitation du serveur), un salon qui cause de jeu de rôle ouvert à tous également, mais aussi un salon réservé aux correspondants qui reçoivent une newsletter, et un autre salon où seuls les mécènes Patreon sont autorisés à entrer.

Là encore, le ou la propriétaire (vous) est maître en ses lieux. Vous ne dépendez pas d’un algorithme ou d’une plateforme. Pas plus que les invités du serveur.

Le plus intéressant reste que l’accès à un serveur se fait par invitation. Si vous ne possédez pas le lien, alors vous ne pourrez jamais trouver le serveur. De même, vous pouvez doser finement les droits et les accès de chaque catégorie d’utilisateurs invités, voire de chaque utilisateur lui-même, comme sur un site ou un forum.

L’installation d’un serveur Discord est assez simple, et elle est gratuite…

Tableau Le salon de la princesse Mathilde

Les comptes Patreon

Vous désirez avoir une relation plus privilégiée avec un créateur ou une créatrice ? Vous voulez l’aider et faire connaître son travail ? Oubliez les retweets et autres likes. Donnez-lui les moyens de continuer et de déployer son art. Devenez son mécène via Patreon.

Je cite cette plateforme en particulier car l’alternative française subventionne le complotisme, quant à celle qui promet de financer par de la publicité que vous accepteriez de regarder, je trouve que c’est une perversion pure et simple du principe du micromécénat lui-même.

En donnant sur Patreon, vous agissez contre la publicité et vous aidez directement la personne ou l’organisation que vous voulez soutenir, en ayant des contreparties exclusives.

En ouvrant votre propre page, vous vous assurez l’indépendance de cette même publicité tout en fédérant autour de vous les personnes les plus motivées.

Bien choisir c’est choisir parcimonieusement

Tout cela est bien beau, mais peut tout de même vous mener à une situation de saturation comparable à celle des réseaux dyssociaux. Si vous n’y prenez garde, en effet, vous risquez de crouler sous les bookmarks, les flux RSS, les podcasts non lus, les newsletters non ouvertes qui s’accumulent dans votre boîte mail, et des dizaines de conversations sur Discord que vous ne pourrez plus suivre.

Mon conseil est donc de choisir très parcimonieusement vos abonnements.

  • Ne gardez dans vos bookmarks que les sites qui soit vous paraissent mériter une deuxième vision un peu plus tard, soit qui sont pour vous des références importantes.
  • Ne commentez que si vous pensez avoir quelque chose de véritablement utile à apporter à la conversation ou à l’article.
  • Ne vous abonnez au flux RSS que des sites ou des podcasts qui vous paraissent mériter l’effort de les suivre, de les lire ou écouter régulièrement.
  • Ne donnez votre adresse mail à une newsletter que si vous pensez que vous aurez le temps d’en lire les missives.
  • N’entrez dans un serveur Discord qu’en étant prête ou prêt à y participer régulièrement.
  • Et surtout, ne gardez rien qui ne vous soit plus utile ou qui n’éveille plus votre intérêt.

Dans le cas des newsletters ou des serveurs Discord, la politesse voudrait que vous expliquiez votre démarche à la personne qui en est l’expéditrice ou la propriétaire. Mais je sais que ce n’est pas dans les us et coutumes de l’internet, ni même de la vie réelle.

Dans tous les cas, sachez rester minimalistes et souvenez-vous que peu d’abonnements de grande qualité sont plus importants que de trop nombreux abonnements qui vous encombreront.

Au besoin, pour vous aider à choisir, vous pouvez utiliser la méthode des cercles concentriques.

Conclusion : pour un internet et une vie numérique apaisées

Ma vie relationnelle numérique est organisée en cercles concentriques selon la proximité et l’intérêt que suscitent les rencontres que je fais.

  • Premier cercle : les trouvailles, la boussole
    • Navigateur internet
    • Moteur de recherche
    • Bookmarks
  • Deuxième cercle : les références
    • Flux RSS
    • Podcasts
    • Commentaires par flux RSS
  • Troisième cercle : les «amitiés virtuelles»
    • Newsletters
    • Communautés Discord
    • Patreon

Tout ce que je trouve sur internet, au cours de mes voyages dans les océans virtuels, commence par arriver dans mon navigateur, à la périphérie du premier cercle. Si ce que j’y trouve éveille ma curiosité, je garde le site dans mes bookmarks avec l’étiquette #à revoir. Dans un deuxième temps, quand j’ai parcouru le site, je décide si je lui trouve toujours autant d’intérêt.

Si c’est le cas, alors, dans le cas où le site peut me servir de référence ou d’outil, de tutoriel, je le garde dans mes bookmarks avec l’étiquette adéquate. Si le site publie régulièrement sur un sujet qui est important pour moi, il franchit le deuxième cercle et je peux en plus m’abonner à son flux RSS, voire commenter et dans ce cas m’abonner au flux RSS des commentaires de l’article ou du site en entier pour suivre la conversation qui va peut-être s’amorcer.

Au fil des articles reçus par le flux RSS, je décide si certains valent la peine de les garder en bookmarks, voire de commenter.

Lorsqu’un site suscite vraiment de ma part des commentaires réguliers, ou que ses articles me plaisent, alors je lui fais franchir le troisième cercle, et je m’abonne à la newsletter, voire au serveur Discord, ou bien aux deux.

Enfin, lorsque le travail de quelqu’un m’interpelle vraiment, je peux devenir son mécène.

J’imagine que vous avez un système similaire, si ce n’est exactement le même, car il est simplement basé sur le modèle de ce qui se passe dans la vie réelle. Lorsque nous rencontrons quelqu’un, à moins d’un coup de foudre qui fait directement franchir un ou deux cercles, nous laissons la personne dans le premier, le temps de tester la relation. Puis peu à peu, la personne peut changer de cercle. Parfois, même, passer d’un cercle plus proche à un cercle plus éloigné.

Il reste que, comme dans la vie, nos compétences relationnelles sont inégales, et ont tendance à changer avec l’âge. On espère qu’elles s’améliorent, mais ce n’est pas toujours le cas. Comme dans la vie réelle, il y a des personnes plus douées que d’autres. Comme dans la vie réelle, il est nécessaire d’acquérir un savoir-vivre.

Et ça, ça s’apprend. Ce sera peut-être l’objet d’un prochain article.

Quel cercle ?

Si vous utilisez un autre principe, je suis curieux de connaître lequel. Vous pouvez en parler dans les commentaires… si d’écaille & de plume est dans votre deuxième cercle, bien sûr 😜.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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De l’importance du vocabulaire sur la pensée, partie 1 : Je ne publie pas des contenus

De l’importance du vocabulaire sur la pensée, partie 1 : Je ne publie pas des contenus

De l’importance du vocabulaire sur la pensée, partie 1 : Je ne publie pas des contenus

Je suis un vieux con.

C’est du moins l’impression que j’ai de plus en plus souvent lorsque je ressens ce mélange de colère désabusée et de nostalgie irritée à la lecture du vocabulaire de l’Internet des années 2020.

Je dois être au minimum dépassé. Voire réac’.

Je pense être quelqu’un de résolument humaniste et progressiste sur le plan social.

Mais, que voulez-vous, entendre certains mots à propos de ce que l’on peut rendre public sur la Toile, sur ce que l’on crée, sur les raisons pour lesquelles il est légitime de le faire… tout ça me rend chafouin.

Non, décidément, je dois être un vieux con.

Comment expliquer autrement le fait que mes poils se hérissent à la lecture ou l’écoute de certains mots, de certaines expressions ?

C’est que, comme écrivain, comme individu, comme soignant, je suis persuadé que les mots ont un pouvoir. Un énorme pouvoir. Celui d’influencer la pensée de celui ou celle qui les utilise. Chaque mot a la capacité de modeler le raisonnement, de faire naître une certaine vision du monde, ou du moins de diriger l’attention des locuteurs qui l’utilisent ou l’entendent dans une direction bien particulière. Avec des mots, les écrivains, les poètes, les journalistes, les politiques, les séducteurs influencent leurs publics, aussi divers puissent-ils être.

Utiliser un mot plutôt qu’un autre est donc un choix, conscient ou pas, qui vise à produire un effet bien spécifique. Ainsi, vous n’aurez pas pu manquer que ma première phrase n’est pas anodine.

Plus encore, les mots sont les briques de la conceptualisation, donc de notre façon de percevoir ce qui nous entoure. Si je dis «une personne», mon interlocutrice et moi allons immédiatement visualiser un être humain un peu neutre, flou. Si j’écris «un individu», la connotation péjorative aura déjà fait naître une image beaucoup moins agréable et très orientée.

Jusque là, la raison de mon agacement ne vous a peut-être pas encore sauté aux yeux.

La voici donc dans toute sa crudité : je suis agacé au plus haut point par le jargon qui s’est développé sur Internet ces dernières années avec l’essor des réseaux dysociaux mais surtout de l’ère des influenceurs, youtubeurs et autres community managers. Ce jargon qui contamine peu à peu toutes les personnes qui publient et créent sur la Toile. Ce jargon qui réduit tout ce qui se passe en ligne à une transaction commerciale.

Et ce qui m’irrite encore plus, c’est que personne n’à l’air de s’en soucier.

Tout le monde s’en fout, pour paraphraser le titre d’une chaîne YouTube que j’aime beaucoup malgré ses défauts, dont le moindre n’est pas d’être sur YouTube, justement.

Eh bien pas moi. Et dans cette petite série, je voudrais exposer mon propre vocabulaire de substitution, pour résister à ce formatage.

Si vous ressentez la même chose que moi, peut-être que vous utiliserez les mêmes mots que moi et que nous pourrons proposer une autre façon d’envisager internet. Mais ne vous faites pas trop d’illusions.

Le destin fait rarement plaisir aux vieux cons.

Le contenu

Aujourd’hui, il ne faut plus dire qu’on sort une vidéo. On n’a plus le droit de penser que l’on publie un article ou qu’on a édité un podcast. Non. Aujourd’hui, dans les années 2020, on publie forcément des contenus.

C’est vrai, c’est pratique.

Un contenu, ça englobe tout ce qu’on peut balancer sur la Toile.

Un article sur les 10 manières de coiffer les franges des chihuahuas comme une vidéo de conseils sur la meilleure façon de réussir la pâte à crêpes, un long cours écrit sur l’origine des barrages en Chine ancienne, ou un petit délire musical parodiant Thriller de Michael Jackson avec des paroles en javanais.

Oui, c’est pratique.

Mais surtout pour peu à peu vous faire intégrer que tout ceci n’est pas le plus important, finalement. Que tout ceci est interchangeable, standardisé. Que l’essentiel est ailleurs. Dans l’intention cachée derrière cette publication. Ou dans le contenant, dont on ne parle jamais, bizarrement, alors qu’il est un implicite constamment présent lorsqu’on parle de contenu, comme l’ombre l’est quand on parle de lumière.

Le nom générique et neutre : un appauvrissement du vocabulaire, donc de la pensée

Finalement, tout se vaut.

La vidéo qui aura pris des jours de tournage, des heures de montage et de postproduction afin d’expliciter une notion ardue d’un côté, et le texte de 150 mots pondu à l’arrache pour plus ou moins présenter un concept dispensable de l’autre. Ben oui, tout se vaut, puisque ces deux objets, qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, sont tous les deux des contenus

Or, la diversité de ce qui est publié sur la Toile est presque infinie.

Vouloir réduire cette infinité est non seulement impossible, mais surtout une entreprise d’appauvrissement.

La richesse du vocabulaire induit la richesse de la conceptualisation.

La pauvreté du vocabulaire induit un appauvrissement de cette même conceptualisation. Elle abaisse notre capacité à appréhender la diversité, les nuances. Elle induit des raisonnements simplistes, elle réduit notre capacité à comprendre les subtilités du monde. Elle provoque chez nous des comportements binaires : l’accord sans distance ou l’opposition sans discussion possible. Elle fait naître les trolls.

C’est une des raisons pour lesquelles je refuse d’abaisser le niveau de langage de mes écrits pour les rendre plus «accessibles». Ce n’est pas à moi d’abaisser mon vocabulaire, c’est au lecteur, à la lectrice, de faire l’effort de découvrir de nouveaux mots, de nouvelles expressions, de nouvelles images, d’enrichir son propre lexique de métaphores, de sensations, de liens, comme je fais l’effort de mon côté de proposer ce que je sais faire de mieux.

L’art ne vise pas au consensus, il vise à enrichir la complexité du monde, à l’enrichir d’une vision singulière, donc distinctive, donc irréductible à quoi que ce soit d’autre.

Tout ne peut donc pas être regroupé sous un même vocable interchangeable.

Un contenu, finalement, c’est quoi ? Un salmigondis informe, vague, composé d’ingrédients totalement indiscernables les uns des autres. Parce qu’il ne faut pas oublier ce que veut dire le mot.

Un contenu, c’est tout ce qu’on veut qui peut être contenu dans un récipient. Dans un contenant.

Le contenant

Il n’est pas anodin que le mot contenu ait d’abord été utilisé sur les réseaux dysociaux.

Se présentant comme de puissants vecteurs de diffusion permettant de mettre en relation des créateurs et leurs publics, les plateformes comme YouTube ou Facebook s’efforcent de nous convaincre que le plus important pour elles est ce que nous leur confions.

Arrêtons d’être naïfs.

Le plus important pour YouTube, c’est YouTube et ses profits. Peu lui importe que ces profits soient générés par de la publicité sur votre vidéo ou sur celle de votre voisin. Pour YouTube, toutes les vidéos se valent et sont interchangeables dans leur potentiel de rapporter de l’argent. Votre création est un contenu. Mais ce qui importe à YouTube, c’est que le contenant tire son épingle du jeu.

Peu importe si votre bouteille contient de l’eau ou du lait. L’important c’est que vous avez d’un côté une bouteille d’eau et de l’autre une bouteille de lait. Le seul point commun, ce n’est pas le contenu, c’est bien la bouteille. Et finalement si c’est le seul point commun, c’est bien la seule chose qui ait de l’importance. Comme un alcoolique sera indifférent au contenu de cette bouteille pourvu qu’il y ait de l’alcool et ne distinguera pas un grand cru d’une piquette de supermarché.

La logique du Maître adoptée par l’Esclave

Que YouTube utilise le mot contenu est dans sa logique. C’est compréhensible. Et quelque part, c’est même sain parce que c’est une façon d’afficher la couleur. Une sorte de sincérité involontaire qui proclame bien haut :

Je veux faire du fric sur ce que tu vas publier via ma plateforme, et c’est en gros tout ce qui m’intéresse.

Il est plus difficile de comprendre que les créateurs eux-mêmes se soient approprié le terme et l’utilisent sans véritablement mesurer son impact.

Les mots que nous utilisons reflètent la façon dont nous voyons le monde, dont nous interagissons avec lui. Plus important encore, ils conditionnent nos actes et nos relations avec les autres.

Il n’est pas neutre de parler de contenus au lieu d’œuvres, ou simplement de créations. C’est un choix beaucoup plus politique et beaucoup plus important que nous le croyons. Sans tomber dans le politiquement correct, faire attention aux mots que nous utilisons, c’est éviter de nous soumettre à des idées qui sont contraires à nos propres intérêts, c’est aussi éviter de nous soumettre volontairement au pouvoir que les plateformes ont sur nous.

Car les mots sont le pouvoir, comme le savent tous ceux et toutes celles dont le métier est d’influencer les autres, quel qu’en soit le but.

On peut user de ce pouvoir pour aider ceux et celles qui en sont l’objet, comme le font les psychologues et les soignants en général. On peut le faire pour donner à rêver, à réfléchir ou à s’évader comme c’est le cas pour les artistes, écrivaines et chanteuses, les acteurs. On peut le faire pour vendre des biens matériels ou des idées, comme les publicitaires et les politiciennes.

Adopter le langage des plateformes, c’est se soumettre à l’influence de leur façon de voir le monde, et ce monde-là est fait pour elles, pas pour nous. Adopter leur langage, c’est donc nous emprisonner volontairement, nous aliéner, nous enchaîner à leur futur plus ou moins dystopique.

Ce que je choisis de nommer

Je décide donc de nommer ce que je libère sur la Toile, ce que je partage, ce que je confie, ce que j’offre. Ou ce que je vends.

Je décide que ce sont des articles, ce sont des podcasts, des vidéos, des poèmes, des nouvelles.

Je choisis de nommer tout ceci mes créations.

J’en suis le démiurge. J’accepte que mes créations puissent s’émanciper. De moi comme des canaux qui les transportent.

Je choisis de considérer que mes créations puissent se suffire à elles-mêmes sans dépendre de la façon dont je les diffuse, du carton qui les contiendrait ou du biais par lequel elles pourraient atteindre leur public. Cela implique le refus des DRM, des verrous numériques. Cela signifie aussi que les exclusivités ne doivent répondre qu’à un seul but : le lien privilégié avec le public de ces mêmes créations.

Je ne suis pas, heureusement, le seul à penser cela, mais pourtant, cette lucidité est encore trop peu partagée sur Internet.

Vous aussi, osez faire naître des créations

Et parlez-en comme telles.

Elles sont plus importantes que le vague sac numérique qui les porte vers votre public.

Car ce qui est vraiment essentiel réside dans ce que vous avez créé.

Le proverbe le dit bien :

Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, partie 3 : Comment soigner le système de santé

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, partie 3 : Comment soigner le système de santé

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, partie 3 : Comment soigner le système de santé

Le premier juin 2022, j’ai fermé mon cabinet libéral de médecine générale, en laissant, sans successeur, mes 800 patients chercher par eux-mêmes quelqu’un pour les prendre en charge. J’ai tourné le dos à la médecine de premier recours. La pénurie actuelle ne s’en trouvera pas améliorée. Et si j’en assume la décision, je crois que mon devoir est aussi de vous expliquer pourquoi ce sont plutôt les choix politiques de ces trente dernières années qui l’ont provoquée, et ce que nous devrions faire pour que nous puissions tous et toutes, un jour, retrouver malgré tout un système de santé efficace et juste.

Pourtant, je ne suis pas dupe, et je ne crois en aucun cas que les politiques auront le courage et la décence de reconnaître leurs erreurs et surtout d’y porter remède.

Je suis lucide : ce qu’ils ont déjà accompli, ils le poursuivront, et un jour pas si lointain la population française ne pourra plus se soigner correctement.

Ce jour approche bien plus vite que vous ne le pensez.

Alors j’imagine déjà leurs cris d’orffraie, puisqu’ils ont commencé à les pousser durant cette campagne électorale, alors qu’ils sont les pompiers pyromanes à l’origine du désastre.

Ce texte est donc là surtout pour éclairer nos concitoyens sur la réalité, et empêcher les politiques de la travestir en essayant de se dédouaner de leurs responsabilités. Mais c’est aussi un appel adressé à chacune et chacun d’entre nous afin de changer de regard sur la fonction de soignant.

Je vais ainsi égréner dans une série d’articles les différentes raisons qui m’ont poussé à quitter la médecine générale.

Mais il ne suffit pas de dénoncer. Il est temps pour moi d’égrener la liste des solutions que j’entrevois pour reconstruire. Et si je le fais maintenant, c’est aussi parce que le gouvernement actuel nous promet des «états généraux» de la santé. Il convient d’être circonspect, car l’histoire récente regorge de pseudoconcertations qui n’ont pas abouti à autre chose qu’à de la poudre aux yeux.

Les mesures que je propose dans cet article réclament du courage politique. Elles seraient aussi, pour la plupart, relativement longues à porter leurs fruits1. Elles demanderaient surtout des changements d’habitudes de vie assez profonds dans de très nombreux domaines de la société, que probablement vous ne soupçonnez pas : la vie des entreprises, notre manière de nous comporter les uns envers les autres, et de considérer le monde qui nous entoure.

Pourtant, je ne les crois pas utopistes. Toutes sont possibles, mesurables, et réalistes.

Je crois seulement que nous ne sommes pas collectivement prêts à les prendre. Aucune force politique, actuellement, de quelque bord que ce soit, ne songe sérieusement à réformer le monde de la santé dans cette direction-là. Les programmes politiques que vous pourrez lire sont à des années-lumière de ce que je propose, car ils sont, tous, encore englués dans le piège de l’offre et de la demande de soin.

Notre nouveau ministre de la santé, le Docteur François Braun, afficherait une volonté de «transformer un système basé sur l’offre de soin en un système qui répond aux besoins de santé». Si les premières mesures de régulation médicale prises dans l’été 2022 vont dans le bon sens selon moi, il s’agit de savoir ce qu’il entend exactement par là. S’il compte tordre encore un peu plus les professionnels du soin pour les faire entrer dans des objectifs gouvernementaux décidés selon le prisme de la demande non régulée, il nous précipitera vers la catastrophe au lieu de nous en éloigner. N’oublions pas non plus que de nombreux ministres qui étaient médecins ont également participé à plonger dans le pétrin où nous sommes.

Si ce que j’écris plus loin vous paraît sensé, discutez-en ici et surtout autour de vous, portez ces idées, et peut-être que nous pourrons collectivement changer notre futur.

Je garde une certaine foi en l’humain, malgré tout…

Redonner du sens

C’est une expression que l’on entend très souvent, dans de nombreux domaines de notre vie, mais plus particulièrement dans les métiers du soin. Nous faisons face à «une perte de sens» de nos métiers. Nous avons besoin de leur «redonner du sens».

Qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ?

Cela signifie que l’être humain, animal social, a besoin de savoir que ce qu’il fait est utile à quelque chose ou à quelqu’un. De façon plus précise, je crois que nous avons tous besoin de savoir que notre vie compte, que notre existence a une signification, au moins pour nos contemporains, si ce n’est au regard de l’univers. Certaines et certains d’entre nous cherchent cette signification dans une religion, une philosophie, un code d’honneur, d’autres dans leur métier, d’autres encore dans leur famille ou leur vie relationnelle. Pour nous tous, il est vital, psychologiquement, de savoir que notre existence importe à quelqu’un ou à quelque chose. Nous sommes reliés au monde, d’une façon ou d’une autre, que nous le voulions ou pas. Et ce lien est tout simplement ce qui nous fait agir.

Si nous examinons les raisons profondes de nos véritables choix de vie2, je crois que nous pouvons tous et toutes faire le constat que nous avons pris ces décisions parce qu’elles nous paraissaient cohérentes avec une «vision» de ce que devait être une vie réussie. Certaines sont des stratégies pensées depuis l’enfance, d’autres sont improvisées, et parfois ces visions émergent suivant les événements. Mais je suis sûr que toutes ces décisions conscientes que nous prenons, celles qui comptent vraiment, le sont parce que nous pensons qu’elles nous permettront de laisser une trace dans le monde. Notre existence sera ainsi, à nos propres yeux, légitime. Elle aura compté pour nous, et pour les autres, quels que soient ces autres. Une famille, un groupe, une communauté, le monde entier…

Alors si nous prenons ce qui précède comme base de discussion, quel est le sens d’être soignant ?

Chaque soignant aura sa réponse, pourtant je crois qu’on peut trouver quelques raisons constantes.

Soigner c’est prendre soin de quelqu’un, et cela demande donc d’être attentif à l’autre. Cela demande donc de prendre le temps. Le temps de connaître la personne, de s’intéresser à ses besoins, à ses habitudes, à ses valeurs, à ses difficultés, à ses forces et ses faiblesses. Le temps d’examiner son problème et de déterminer avec elle ce que nous pouvons faire pour elle afin de lui permettre de guérir ou, au moins, de continuer à vivre selon ses valeurs malgré sa maladie. Ensuite, de mettre en œuvre les moyens à notre disposition pour aider.

Redonner du sens dans les métiers du soin c’est donc considérer que la relation humaine est à la fois l’objectif et le moyen par lequel on l’atteint.

Si nous sommes d’accord sur ce point, alors tout le reste découle de ce simple axiome, et toutes les propositions que je vais faire ensuite ne devraient pas vous sembler si incohérentes, même si certaines pourront paraître difficiles à mettre en place ou très éloignées de nos habitudes. Vous devrez simplement vous rappeler qu’elles sont toutes dirigées vers l’objectif, et vous pourrez alors voir si elles n’auraient pas le mérite de nous en rapprocher.

Comme tout changement entraine des résistances, vous pourrez ressentir une gêne, une surprise, ou même une réticence.

Nous pourrons en discuter dans les commentaires si vous le désirez.

Rendre du temps de soin

Premier levier : le temps.

Vous savez que je considère le temps comme une partie intégrante du soin. D’une part certaines pathologies bénignes guérissent seules avec le temps (rhumes banals, courbatures liées à l’activité physique, par exemple). D’autre part, notre rapport au temps doit se caler à nouveau sur celui des processus biologiques, qui sont à la fois lents et très rapides. Lents parce qu’ils ne sont jamais aussi efficaces que nous l’aimerions (et toute maladie est donc un inconvénient avec lequel nous devons accepter de vivre un certain temps) et rapides parce que malgré tout les organismes vivants sont les seuls processus qui se réparent par eux-mêmes dans l’univers, même s’ils mettent parfois des années pour cela. Avec tout autre processus dans le monde, vous pourrez attendre une éternité, il n’y aura aucune réparation possible. Celle qui œuvre au sein des êtres vivants est donc incroyablement plus rapide, simplement parce qu’elle existe…

Mais ce rapport au temps doit changer dans le système de soin également, de plusieurs manières.

D’ailleurs, beaucoup de solutions que je propose dans cet article auront pour effet de rendre du temps aux soignants pour faire simplement leur métier : soigner.

Supprimer les certificats

Dans quel but formons-nous des médecins ? Pour soigner les gens ou pour signer des mots d’excuse à leurs patients comme les parents le font pour leurs enfants ?

Présenté comme ça, je pense que votre réponse se dirigera vers la première proposition. Pourtant, nous avons tous, collectivement, fait dériver le travail des médecins vers la deuxième.

Aujourd’hui, une part importante3 du travail d’un médecin généraliste4 est dédiée à la production de morceaux de papier attestant de la possibilité ou de l’impossibilité pour quelqu’un d’accomplir une tâche, à cause d’une raison de santé plus ou moins déterminée. Certificats de non-contre-indication à la pratique du sport, certificats d’arrêts de travail, certificats de nécessité de garde des enfants malades, certificats pour obtenir des aides sociales, certificats de maladie professionnelle, certificats d’accidents de travail, certificats d’impossibilité de signer un acte officiel, certificats de nécessité de disposer d’un ascenseur ou de prendre un ascenseur, certificats pour permettre à un enfant d’aller uriner5 lors des heures de cours, certificats pour demander un aménagement dans un lieu de vie, certificats pour attester de la possibilité médicale de contracter un prêt financier, immobilier ou autre, certificats pour déclarer qu’un enfant qui a été malade n’a pas été à la cantine et donc permettre aux parents de ne pas payer le repas ce jour-là… J’en oublie encore.

Ce temps est-il un temps de soin ?

Pour une part infime, peut-être.

On pourrait même considérer que pour certains, ce serait l’occasion de faire de la prévention. Mais hélas c’est loin d’être le cas. La demande est trop souvent abusive6, et le temps perdu à examiner la personne et à rédiger le certificat, ou à expliquer que le certificat est inutile et abusif est du temps que l’on ne consacre pas à aider quelqu’un qui en a réellement besoin.

Je propose donc de supprimer tous les certificats médicaux sauf deux : les déclarations de maladie professionnelle et d’accident de travail.

Tout le reste n’étant pas du soin serait donc simplement du temps de soin gagné.

Il s’agirait donc de réformer le Code du travail pour que les personnes malades puissent tout de même bénéficier de jours de récupération, mais déterminés par l’assurance maladie directement, sans passer par le médecin. Vous pensez que c’est un autre abus ? Comment croyez-vous que cela se passe pour le Covid ? Une simple déclaration sur internet, et vous obtenez un arrêt de travail de sept jours… comme quoi quand ça arrange l’État, c’est possible…

Cela aurait aussi le mérite de considérer les gens comme des adultes, et non comme des enfants resquilleurs ayant besoin d’un chaperon en permanence…

Les compétences de soin de chaque profession

Pour récupérer du temps de soin, il ne suffit pas de supprimer les tâches qui ne sont pas du soin.

Il faut aussi revoir les actes qui peuvent être accomplis par chaque profession dans une vision globale, afin de retrouver une cohérence avec les effectifs disponibles.

Cela passe donc par une refonte complète des décrets de compétence de chaque profession : quelles sont les prérogatives des médecins (et de chaque spécialité médicale7), des sages-femmes, des dentistes, des psychologues, des infirmiers, des psychomotriciens, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des aides-soignants, des pharmaciens ?

Actuellement, ces prérogatives sont complètement inadaptées à la réalité du terrain, et font perdre un temps précieux aux professionnels mais aussi aux patients, parfois en aboutissant à une perte de chance et à des retards de prise en charge8, ou même à des mises en danger.

Il serait donc nécessaire de revoir les choses en totalité, de tout remettre à plat, et surtout ne pas se contenter d’un rafistolage qui rendrait le système illisible. Tout doit être logique et simple.

Les professionnels doivent aussi être considérés comme responsables, et l’obligation de passer par un médecin pour avoir une prescription devrait être repensée. En effet, qui est le mieux placé pour savoir si une entorse de genou est guérie : le kinésithérapeute qui voit le patient deux fois par semaine pour ses séances ou le généraliste qui ne l’a vu qu’une fois au début ? Pour moi la réponse est claire, ce n’est pas le médecin.

De manière générale, il me semble évident qu’il faut repenser le parcours du patient, et le fluidifier au maximum. Cela lui bénéficiera autant qu’aux professionnels.

Il est important aussi d’arrêter de considérer les professions non médicales comme non-responsables a priori, un peu comme d’arrêter de considérer les patients comme des enfants immatures et resquilleurs9 par nature.

Recruter

Bien évidemment, pour laisser aux soignants le temps de faire leur métier, il s’agit de s’assurer que le travail en sous-effectif ne devienne pas la norme qu’il est actuellement, où tous les services de France et de Navarre se sont habitués à fonctionner avec trois ou quatre fois moins de personnels qu’il serait nécessaire. Si chaque soignant doit en effet faire le travail de trois collègues en plus du sien, il ne pourra jamais prendre le temps nécessaire à l’accompagnement des patients, et on continuera à voir des professionnels en burn out, qui perdent le sens de leur métier, et qui deviennent maltraitants même involontairement. Ne parlons même pas du simple fait d’aimer son travail…

Il est donc nécessaire de recruter dans les métiers de soin.

Il ne s’agit pourtant pas de le faire n’importe comment, de dire, comme l’a décrété Emmanuel Macron, qu’on «supprime le numerus clausus». Car une formation ne peut pas se faire sans formateurs, à moins de vouloir faire une formation au rabais10. Et quand les professionnels de soin manquent sur le terrain, vous imaginez bien que le nombre de formateurs est très limité. Donc au-delà de la poudre aux yeux, la suppression du numerus clausus n’a de sens que si on augmente les possibilités d’avoir des formateurs, des terrains de stage, des gens motivés à transmettre… donc qu’on augmente d’abord le nombre de soignants. Pour recruter, il faut donc d’abord… recruter.

Tel l’Ouroboros, le problème semble se mordre la queue.

Pourtant, un cercle vicieux peut aussi devenir un cercle vertueux, il suffit pour cela de le renverser.

Si l’on recrute plus, on aura mécaniquement plus de formateurs et on pourra donc plus et mieux recruter, car plus il y aura de soignants et plus le travail de soin reposera sur plus de personnes, donc chaque personne pourra passer plus de temps auprès des patients…

Comment passer donc du vice à la vertu ?

À mon avis, il faut se servir de toutes les autres propositions que je fais, afin de rendre à nouveau les métiers du soin attractifs. Nous les détaillerons plus bas, mais je crois que les plus efficaces seront : la revalorisation financière11, la reconnaissance sociale, et surtout l’éducation de la population à la santé.

La place du soignant dans la société

Quand les infirmières manifestent dans la rue, ce qui hélas s’est produit très régulièrement depuis des années, sans que personne ne bouge le petit doigt jusqu’à ce que nous soyons dans une telle pénurie de personnel infirmier que des services entiers soient obligés de fermer leurs portes, elles demandent deux choses seulement : avoir les moyens de faire leur métier, et obtenir la reconnaissance de leur dévouement.

Nous l’avons vu plus haut, les moyens se résument à du temps de soin, donc à du personnel, donc à des recrutements.

Quant à la reconnaissance, je crois qu’elle est indispensable pour donner envie à plus de personnes d’embrasser ces métiers.

Nous devons arrêter de penser que soigner est une vocation. Elle peut l’être pour certains et c’est très bien. Mais ce métier peut aussi être passionnant et épanouissant même lorsque l’on n’a pas la vocation. Pour cela, cependant, il faut arrêter de voir les médecins comme des curés et les infirmières comme des bonnes sœurs, tous uniquement motivés par l’appel d’une force supérieure qui suffirait à leur bonheur. Si nous attendons que chaque infirmière soit Sœur Emmanuelle et que chaque médecin soit l’Abbé Pierre, nous n’aurons plus beaucoup de soignants très rapidement. A contrario, l’image des médecins vénaux doit aussi être battue en brèche.

Il est nécessaire de revoir nos priorités.

L’argent sert à bien vivre et sert à reconnaître la qualité et l’importance du métier que nous exerçons dans la société.

Que dire donc d’une société qui paie ses infirmières à un taux horaire inférieur à celui de ses serruriers12 ? Que dire d’une société qui rémunère mieux les traders que les personnes qui prennent soin de nous quand nous sommes incapables d’assurer notre toilette intime, ou de manger seuls ? J’ai honte de voir que les aides-soignants et aides-soignantes gagnent en un mois ce que des traders gagnent en une heure…

Et si nous cautionnons collectivement ce déséquilibre, cela dit beaucoup de la société dans laquelle nous avons décidé de vivre. Cela explique aussi que nous ayons si peu de candidats pour exercer ces métiers du soin et du prendre soin. Les jeunes ne rêvent pas de prendre soin des autres, ils rêvent de devenir influenceurs sur Instagram… parce que c’est plus valorisé dans notre société du paraître et de l’argent.

Alors pour amorcer la pompe des recrutements, je suis désolé de le dire, mais il va falloir revoir la hiérarchie des fonctions dans notre monde. Le soin est-il ou n’est-il pas une priorité plus grande que la finance virtuelle ou l’influence des autres à travers une image fabriquée par des photos retouchées ?

Si nous choisissons de reconnaître que prendre soin des autres est l’une des fonctions les plus nobles et les plus utiles dans la société, au même titre que de protéger la sécurité de chacun, d’éduquer et de transmettre le savoir et le savoir-faire, et de veiller à ce que la justice soit rendue, alors nous devons traduire cela sur la fiche de paie.

La juste rémunération

Pourtant, ce ne sont pas les 183 € mensuels des différents plans dérivés du soi-disant Ségur de la santé qui vont suffire.

Au risque de me répéter, il me semble indispensable de juger des rémunérations en fonction de l’utilité du métier pour l’ensemble de la Nation. Et si nous tombons d’accord pour considérer que le soin et le prendre soin sont parmi les métiers les plus utiles, ce ne sont pas 183 € qui changent la donne.

Une mesure indispensable : mener les plus bas salaires à au moins 2 000 € net mensuels. Cela concernerait la fonction d’aide-soignant (scandaleusement mal payée actuellement) et quelques infirmières.

Une mesure nécessaire : hausser les salaires des infirmières à au moins 3 000 € net mensuels.

Une mesure logique : monter les rémunérations des autres personnels du soin et du prendre soin, hors médecins, d’au moins 20 %.

Une mesure finale : monter les rémunérations des professions médicales d’au moins 10 %.

Cela fait beaucoup d’argent. J’en suis conscient.

Encore une fois, c’est une question de choix. Voulons-nous des candidats à ces métiers, ou pas ? Celles et ceux qui les exercent méritent-ils une telle rémunération ? À nous de le décider collectivement. Ne nous étonnons pas, dans le cas où nous répondions par la négative, de ne pas réussir à recruter.

L’exercice libéral en question

Reste que le contingent le plus important de médecins exerce en libéral, ainsi qu’une bonne part des infirmières, de nombreux kinésithérapeutes, les psychologues, les psychomotriciens et psychomotriciennes…

Le mode d’exercice libéral dans notre pays est prédominant, du moins en théorie.

En pratique, il en est autrement.

Car le blocage des honoraires par le biais de l’imposition d’un tarif conventionnel décidé par l’État (via l’assurance maladie elle-même), mais aussi l’encadrement de plus en plus serré des pratiques de soins ont vidé le mot libéral de sa substance. Le médecin généraliste libéral n’est pas libre de fixer ses tarifs, mais il n’est pas libre non plus de fixer d’autres modalités fondamentales de son exercice, puisqu’il lui est imposé de faire partie d’une CPTS, et que celle-ci doit trouver un médecin traitant pour tous les patients de son territoire. Comme conséquence, cela signifie que le médecin généraliste ne peut plus déterminer lui-même le nombre raisonnable de patients qu’il peut prendre en charge en fonction de ses propres critères.

En d’autres termes : comment appelez-vous l’exercice d’un métier dans lequel quelqu’un vous impose votre rythme de travail ainsi que votre rémunération ?

Pour moi, c’est du salariat… mais avec tous les inconvénients du libéral (pas de congés payés, des charges sociales supérieures, et une responsabilité individuelle totale en cas de problème).

Je crois donc que nous devons repenser complètement ce mode d’exercice du soin. Et faire un choix.

Soit nous décidons de garder un secteur libéral, et dans ce cas il est nécessaire de s’extraire de ce carcan administratif des CPTS comme du carcan de l’offre et de la demande. Cela veut dire supprimer ces machins qui n’ont aucune utilité dans un monde libéral, mais aussi revaloriser le montant de l’acte afin de permettre aux médecins comme aux autres de sortir de la dictature du nombre d’actes pour entrer enfin dans un monde où on fait du soin de qualité. Un médecin pourrait voir deux fois moins de patients mais deux fois plus longtemps à rémunération égale et temps de travail égal, ce qui permettrait d’effectuer les actes de prévention et d’éducation dont nous parlerons plus loin.

Soit nous sommes logiques avec le mode d’exercice déjà en place et décidons de salarier tous les acteurs du monde du soin, avec l’assurance maladie comme employeur. Mais cela signifie : 35 heures de travail hebdomadaire, congés payés, et salaires à la hauteur de ce que nous avons discuté plus haut, convention collective, et responsabilité de l’employeur dans de nombreux domaines, notamment la gestion des cabinets médicaux, du personnel de support (secrétaires), des formations (orientées vers les objectifs de santé publique déterminée par l’État)… Bon nombre de vieux médecins y sont opposés mais cela séduirait beaucoup de jeunes praticiens. Libérer les médecins de la pression financière permettrait là aussi de les engager dans des missions qui actuellement ne sont pas réalisées car non rémunérées : la prévention, l’éducation à la santé, la formation des internes et des étudiants.

Supprimer la ROSP

En tous les cas, la rémunération sur objectif de santé publique devrait être supprimée. Les études indépendantes sont au mieux sceptiques sur son utilité dans la progression des bonnes pratiques et l’amélioration de ladite santé publique. Elle participe par contre au système de captivité des médecins dans un objectif paradoxalement quantitatif et non qualitatif, puisque ne revalorisant pas l’acte médical.

Salarier les médecins serait par contre plus clair. L’employeur est l’assurance maladie et les objectifs de santé publique peuvent en découler.

La place du soin dans la société

Pourtant, les conditions de travail financières et d’exercice des soignants ne sont pas suffisantes pour changer la situation actuelle et mener vers un autre monde de la santé. C’est même la partie émergée de l’iceberg. Quant à la partie immergée, personne, à ma connaissance, n’a encore proposé de s’y attaquer de front. Pourtant, c’est de là que tout découle, et si l’on revalorise les soignants sans changer le fond du problème, on n’aura rien réglé, au contraire.

Cela commence par replacer le soin là où il doit l’être, et que la population soit associée à cette discussion.

Soigner n’est pas un service

Il doit d’abord être clair que soigner n’est pas un acte anodin qui pourrait entrer dans la comparaison marchande.

Il ne s’agit pas ici d’un service comme la téléphonie mobile, par exemple. On ne se sert pas du système de soin quand on en a envie mais quand on en a un réel besoin, un besoin qui doit être raisonné par autre chose que l’impulsion seule, mais par autre chose également que les considérations financières, du côté du patient comme du côté de l’État.

Oui, soigner les gens coûte de l’argent à l’État. Dans quel monde peut-on imaginer que l’État gagne (immédiatement) de l’argent en soignant ses citoyens ? Mais bien sûr, soigner les citoyens fait gagner à long terme beaucoup de richesses à l’État, puisque des citoyens en bonne santé vont payer des impôts plus longtemps, rester productifs plus longtemps, et faire partie de la Nation plus longtemps. Il faut donc arrêter de considérer l’assurance maladie comme un budget qui devrait être à l’équilibre. Il est normal de dépenser de l’argent pour soigner. Il est donc normal que l’assurance maladie soit en déficit. D’ailleurs, ce n’est pas un déficit, c’est un investissement. Tout ce que la société dépense pour se soigner lui permet de créer ensuite plus. Cette femme qui a été sauvée d’un cancer va peut-être inventer un procédé agricole révolutionnaire, cet homme qui ne mourra pas de son asthme va garder ses petits-enfants plus longtemps, ce qui permettra à la mère d’inventer ce même procédé agricole révolutionnaire. Ces bénéfices ne sont pas quantifiables directement. Mais ils existent.

Soigner n’est pas un service de téléphonie mobile et nous devons donc comprendre que les soignants ne sont pas à notre disposition, mais à la disposition de notre santé, ce qui est très différent.

Ce dont nous avons besoin et ce dont nous avons envie sont parfois deux choses très différentes, voire opposées.

Non, guérir un rhume en moins de 7 jours n’est pas réalisable. Même si notre envie d’être débarrassés de nos symptômes gênants le plus vite possible est bien là. Ce n’est pas cette envie qui doit nous guider, mais bien notre besoin : j’ai besoin d’attendre que mon rhume guérisse tout seul en une semaine.

C’est un discours qu’il faut faire unanimement passer auprès de la population.

Le soin n’est pas au service de la productivité au travail. Il est au service de la santé des individus et de la population.

La régulation médicale

Il est donc essentiel que les soignants aient la possibilité de réguler l’accès au soin, et arrêter de considérer que tout le monde peut aller voir tout le monde tout le temps sans se poser de questions. D’abord parce que les soignants ne peuvent pas être assez nombreux actuellement, ensuite parce que la logique de la consommation n’est pas la logique du soin.

Comprenons bien que le but du soin est de permettre à celle ou celui qui en a besoin de retrouver une autonomie le plus rapidement possible, même si l’on ne peut pas corriger entièrement le problème de santé dont elle ou il souffre, et surtout pas de la ou le rendre dépendant des soins. Bien évidemment, les pathologies chroniques demandent un suivi régulier, parfois rapproché. Cela n’entre pas en contradiction avec une certaine sobriété13. On peut très bien soigner sans multiplier les examens d’imagerie, sans multiplier les intervenants à l’excès, sans faire une prise de sang tous les mois (sauf bien sûr dans certaines circonstances).

Les soignants sont les mieux placés pour savoir quels sont les suivis à réaliser, les examens à prescrire, les professionnels à consulter, et quand.

Pas les patients. Pas les politiques. Pas les laboratoires pharmaceutiques.

Les soignants, chacun dans leur domaine. Et en premier lieu les professions dites médicales (actuellement les dentistes, les sages-femmes, et bien sûr les médecins), c’est-à-dire celles qui ont un droit de prescription.

La régulation qui a été autorisée cet été dans certains services d’urgence (et qui a consisté à les réserver aux seuls patients en réelle situation d’urgence appréciée par un régulateur médecin, en réorientant les pathologies non graves et non urgentes vers une autre réponse) devrait être considérée comme un fonctionnement normal, n’en déplaise à une certaine frange de mes confrères, dont l’angélisme14 me sidère.

Je propose même d’aller plus loin : après une régulation médicale, il devrait être possible de répondre à quelqu’un que son état ne nécessite pas de consultation au moment où il le demande. Car dans un nombre de cas assez grand, c’est la stricte vérité.

La démocratie en santé

Mais avant que l’on puisse me faire un procès en patriarcat médical, je tiens à expliquer pourquoi il faut aussi que le pilotage du système de santé se fasse en toute démocratie, et pourquoi il faut y associer les citoyens eux-mêmes.

D’abord tout simplement parce que les citoyens englobent non seulement les soignants mais aussi et surtout ceux qui ont besoin d’être soignés, c’est-à-dire nous tous. N’oublions jamais que les professionnels du soin ne sont pas immunisés contre les maladies, les accidents, et autres tracas que la vie nous réserve. Ils sont donc eux aussi des patients en puissance.

Ensuite parce qu’il semble normal que les citoyens aient leur mot à dire avec l’argent public.

Mais surtout, parce qu’il n’y a que peu d’autres moyens pour que l’ensemble de la société puisse réellement comprendre ce que c’est de soigner quelqu’un, et la logique si particulière que cela sous-entend. La démocratie en santé est l’un des piliers de l’éducation à la santé que je détaillerai plus loin. Si nos concitoyens comprennent mieux le soin, ils comprendront aussi mieux comment utiliser le système de santé, pourquoi il est si important pour tout le monde, et pourquoi tout ce qui précède et tout ce qui suit est nécessaire.

Cela signifie aussi que les choix de santé ne doivent plus être pris par les politiques, et surtout le budget, le si infâme ONDAM15. Les choix doivent être faits par les citoyens eux-mêmes, tirés au sort pour siéger dans une instance indépendante, éclairés par des professionnels du soin de toutes les disciplines, eux-mêmes élus par leurs pairs. Cette instance serait inscrite dans un temps long, avec des mandats de sept ans non renouvelables, et une mission de planification décidée à chaque fin de ce laps de temps.

Elle serait en charge de la politique du médicament au sens large, de la décision de construction d’infrastructure, de la fixation des tarifs de référence, par exemple. Voire de la répartition des postes salariés, des postes d’internat, etc.

Ainsi, à mon sens, les ARS devraient disparaître ou être subordonnées aux décisions de cette instance.

Mieux former les soignants

D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que prendre soin des autres mérite une formation exigeante et plus poussée.

Il y a d’abord de nombreuses personnes qui exercent dans des métiers du soin peu qualifiés et qui ne reçoivent pas une formation suffisante. Les aides de vie, les aides-soignants, notamment. Ces professionnels-là devraient bénéficier de meilleures et de plus fréquentes formations, tout au long de leur exercice, comme en reçoivent les infirmières, les médecins, les kinésithérapeutes et tous les autres.

Ensuite, il est urgent de former les professions médicales à la pluridisciplinarité pour développer le respect des autres domaines du soin et la prise en compte de l’expertise de professionnels qui ne sont pas médecins. Les compétences de savoir-être que développent les psychologues, par exemple, devraient être inscrites dans les prérequis nécessaires à l’exercice de la médecine, et des rudiments devraient être enseignés aux autres professionnels.

La juste distance au patient, le respect de l’autonomie, le non-jugement, sont encore à étendre dans certains domaines.

(Re) Créer des lits d’hospitalisation directe dans les services

Lorsque j’ai commencé mes études de médecine16, chaque service à l’hôpital disposait d’un certain nombre de lits pour faire ce que l’on appelait des «hospitalisations directes» (ou entrées directes). Ils étaient destinés à accueillir des patients, connus du service ou non, qui avaient besoin d’être hospitalisés pour un motif relevant de la spécialité du service (par exemple une pneumopathie dans un service de pneumologie). Les patients étaient alors admis sans passer par les urgences, et étaient pris en charge très rapidement, recevaient des soins adaptés, et ressortaient quand le problème était stabilisé.

À la faveur des suppressions massives de lits d’hospitalisation depuis trente ans, cette possibilité a totalement disparu, sauf dans de très rares services, et les patients se retrouvent tous à embouteiller les services d’urgences, déjà saturés. Ces services se retrouvent en effet eux-mêmes face au problème de ne pas avoir de place d’hospitalisation dans les services spécialisés.

La conséquence est simple : les patients passent beaucoup plus de temps à attendre qu’à être soignés, donc ont une perte de chance de prise en charge et donc de guérison. Ils sont mis en danger, malgré toute la bonne volonté du personnel soignant.

Plus encore, le fait de présenter les services d’urgence comme la porte unique d’entrée dans le système hospitalier a accrédité l’image dans la population d’un hub nécessaire, d’un passage obligé par ces structures qui n’ont absolument pas la vocation de l’être. Ainsi, le recours systématique aux urgences par la population n’est-il que le reflet de la façon dont le système lui-même a considéré ces mêmes urgences…

Recréer des lits d’hospitalisation directe est l’un des moyens pour montrer que les urgences sont réservées aux urgences vitales, mais que des pathologies plus chroniques déstabilisées peuvent être prises en charge directement par les spécialistes, sans perte de chance.

Bien sûr, cela demande d’abord des moyens financiers et d’accepter que le taux de remplissage de ces lits ne soit pas optimal (vous vous souvenez : on n’est pas censé faire gagner de l’argent à l’État en soignant les gens), et aussi du personnel en nombre suffisant pour faire tourner ces services à plein régime.

Décloisonner les métiers et les renforcer chacun dans leur domaine

Je parle plus haut de la nécessité de former à la pluridisciplinarité. C’est une des limites du système actuel. Beaucoup de professions s’ignorent les unes les autres et beaucoup de professionnels essaient de faire (mal) le travail d’autres professions dans un domaine qui n’est pas le leur.

Un kinésithérapeute va vous affirmer qu’il faut faire une IRM pour voir une fracture du petit orteil, alors qu’une infirmière va vous conseiller de faire des étirements pour soigner une tendinite et qu’un médecin aura la prétention de faire de la psychothérapie avec ses patients.

Pourtant, aucun de ces trois professionnels n’a les compétences pour ce qu’il annonce.

Seul un médecin saura s’il faut faire un examen radiologique, un kinésithérapeute vous conseiller correctement des étirements, et un psychologue mener à bien avec vous une psychothérapie.

Il est temps de rendre à chacun ses compétences et d’apprendre à ne pas exercer (car mal) celles des autres. Les pharmaciens ne savent pas prescrire, ni faire des injections, pas plus que les infirmières ne savent poser de diagnostic médical, ni les médecins mettre en place une sonde urinaire par l’opération du Saint-Esprit.

Par contre, il est grand temps de considérer que les compétences qui nous manquent peuvent et doivent être exercées par les autres domaines du soin, il est temps d’arrêter de considérer les professionnels paramédicaux comme inférieurs aux professionnels médicaux, et il est temps de prendre leur expertise pour ce qu’elle est : une expertise supérieure à la nôtre dans leurs domaines. Ce n’est qu’en coopération que les professionnels du soin peuvent réellement accompagner un patient dans un parcours fluide qui lui rende vraiment service.

Et ceci devrait être promu et accentué.

Intégrer le soin psychologique dans les professions médicales

Une des conséquences de ce raisonnement est d’enfin intégrer les psychologues dans le champ des professions médicales, c’est-à-dire avec droit de prescription, même si bien entendu on ne parle pas ici de prescription médicamenteuse. Le champ d’action des médicaments est réservé aux psychiatres qui ont seuls les connaissances pharmacologiques suffisantes pour comprendre et maîtriser le maniement des médicaments psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques, hypnotiques et autres). Mais le champ des thérapies psychologiques non médicamenteuses est vaste et riche, et les études internationales montrent de plus en plus et de mieux en mieux leur intérêt, souvent très supérieur en efficacité par rapport aux traitements sus-cités.

L’expertise des psychologues dans les psychothérapies est très largement supérieure à celle de tous les autres corps de métier, et pour cause : ils et elles sont les inventeurs et les développeurs de ces psychothérapies. C’est le cœur de leur métier, tout comme la connaissance des processus psychologiques et cérébraux, de façon complémentaire aux neurologues et aux psychiatres (nous y revenons dans le point suivant).

La santé mentale étant une composante à part entière de la santé, les spécialistes de ce champ devraient logiquement obtenir un statut équivalent aux spécialistes de la santé physique : un statut médical, avec droit de prescription des psychothérapies et d’orientation vers les psychiatres et les autres spécialités de la santé mentale (psychomotriciens, orthophonistes) dont les champs d’intervention sont connexes mais moins larges.

Les thérapies modernes prouvent leur efficacité scientifiquement, et il est donc évident que la psychanalyse doit être exclue de ce statut, comme l’homéopathie l’a été pour la santé physique.

Les psychologues devraient donc être titulaires d’un doctorat au même titre que les médecins. Leur cursus porté à la même durée que les médecins. Leur rémunération très largement revue à la hausse.

La santé mentale : psychologues et psychiatres, neurologues et psychiatres, renaissance des neuropsychiatres

La santé n’est pas seulement physique.

Nombreux sont les patients dépressifs à avoir une santé physique correcte, pourtant, on ne peut pas dire qu’ils soient en bonne santé.

La santé mentale est au moins aussi importante. Parfois, elle conditionne même la santé physique. L’esprit a la capacité de nuire comme d’être bénéfique au corps, et on peut même penser que corps et esprit ne sont qu’une seule et même chose, si l’on suit la théorie d’Antonio Damasio.

L’indigence du système de santé mentale en France est telle que je ne sais par où commencer.

D’abord, peut-être, par l’évidence : si l’on remet chacun à sa place, le fonctionnement s’en portera mieux et les patients seront mieux pris en charge. Donc, aux psychiatres la maladie mentale (en gros, ce que l’on classait auparavant dans les psychoses, donc des pathologies qui impliquent des altérations de la perception de la réalité, les délires, les hallucinations, les syndromes schizophréniques, paranoïaques, les bipolarités), et aux psychologues les pathologies bénignes, la santé mentale au sens plus large. Les uns utilisent les médicaments et des techniques médiées par du matériel (sismothérapie, magnétothérapie, par exemple), les autres les multiples psychothérapies.

Ensuite, arrêter d’enseigner la psychanalyse dans le cursus de soin. Rien n’empêche de l’enseigner ailleurs, mais une technique ne doit être enseignée que lorsqu’elle est efficace et prouvée.

Dans le même ordre d’idée, réformer le fonctionnement des Centres Médico-Psychologiques et Médico-Psychologiques Pédiatriques, pour les recentrer sur des thérapies prouvées.

Redonner du personnel et des moyens au secteur hospitalier de la santé mentale, encore plus en difficulté que les autres, si cela est encore possible.

Le fonctionnement du cerveau et de l’esprit est si imbriqué, et si intriqué entre les aspects neurologiques et psychologiques, que les compétences des neurologues sont insuffisantes pour prendre en charge les processus psychologiques qui sont à l’œuvre dans les pathologies comme les accidents vasculaires cérébraux et les maladies neuroévolutives, et les compétences des psychiatres insuffisantes pour s’occuper des troubles neurologiques qui accompagnent les désordres psychiatriques majeurs comme la schizophrénie ou les autismes sévères. Nous devrions donc logiquement faire renaître la spécialité perdue de neuropsychiatrie, qui existait au XXe siècle. Le cerveau est un tout, et des spécialistes qui auraient la double vision neurologique et psychiatrique seraient un atout pour mieux soigner ces pathologies, comme pour les prévenir.

Car finalement, même la santé mentale est dépendante d’un facteur que notre système n’a jamais vraiment investi :

La prévention

Connaissez-vous la pathologie qui se soigne le mieux et avec le moins de moyens ?

C’est tout simplement celle qui ne s’est jamais développée.

Pas besoin d’aller aux urgences pour une amputation d’un doigt si l’on a suivi toutes les consignes de sécurité avec sa scie circulaire, pas besoin de subir des séances de chimiothérapie répétées et émétisantes comme exténuantes si l’on n’a jamais déclaré de cancer, pas besoin d’un rendez-vous semestriel chez le cardiologue si l’on n’a jamais fait d’infarctus du myocarde… Et donc autant de consultations, de soins, d’examens, de temps, que l’on n’a pas eu besoin de passer dans le système de santé, qui par conséquent peut supporter la charge des pathologies que l’on ne sait pas encore prévenir, et faire face aux maladies émergentes.

Il n’est cependant pas ici question de la prévention du style «ayatollah» comme on l’a vue se développer ces dernières années avec les injonctions comme «mangez 5 fruits et légumes par jour». Il s’agit plutôt de graduellement changer les comportements, ce qui ne peut se faire qu’en montrant aux individus que ces changements sont en accord avec leurs valeurs profondes, et surtout, surtout, de faire comprendre aux citoyens ce qui fait la santé. Il ne peut y avoir de prévention sans éducation, et c’est précisément par là qu’il faut commencer.

Pourtant, ce serait une erreur de penser que seule l’éducation peut tout révolutionner.

Tout changement ne devient réel que lorsqu’il est systémique. Lorsqu’il infuse dans tous les domaines de notre vie. Et il faudra donc bouleverser beaucoup d’autres habitudes de société.

Les consultations de prévention

Nous pouvons éviter nombre de pathologies. Nous en avons le savoir, et mieux encore nous en avons les moyens concrets.

Plutôt que de ne faire que courir après les pathologies déjà installées, nous pourrions faire porter nos efforts sur le fait de les éviter. Nous pourrions instaurer des consultations de prévention, qui seraient longues, de manière à prendre en compte la globalité de la vie d’une personne, et de déterminer quels sont les axes qui pourraient être changés pour permettre une vie en meilleure santé plus longtemps. Elles pourraient être remboursées intégralement, et bien entendu très bien rémunérées. D’autant plus que je les imagine pluridisciplinaires. Vous pouvez déjà comprendre pourquoi après ce que j’ai déjà écrit plus haut, mais mon argument principal est qu’on ne peut appréhender la globalité d’une personne que si l’on croise les regards de différentes manières et de différentes personnes. J’imagine donc des consultations conjointes entre des médecins (généralistes car ce sont eux qui ont la vision la plus synthétique et globale), des diététiciens, des kinésithérapeutes, et des psychologues de manière à guider la stratégie de changement, puisqu’il s’agit de connaître les mécanismes cérébraux qui favorisent ou freinent les changements.

Vous pourrez me rétorquer :

Cela existe déjà, ce sont les consultations de prévention de l’assurance maladie, que l’on peut gratuitement réaliser tous les cinq ans.

Je ne pourrais que vous donner raison. Mais.

Mais non, en fait. D’abord, elles ne sont accessibles qu’aux seuls salariés du régime général, donc des millions de citoyens en sont exclus. Ensuite, pour avoir à de nombreuses reprises reçu des patients qui venaient de les réaliser, je peux vous dire que ce ne sont absolument pas des consultations de prévention globale. Certes, tous les organes sont passés en revue, mais personne ne prend la peine de vous recevoir pour vous expliquer les résultats qui sont produits par un programme informatique, et donc sont non personnalisés, et personne ne discute avec vous des axes de changement, personne ne prend le temps d’entamer un entretien motivationnel pour vous inciter à acter ces changements, personne ne vous aide.

Je pense quant à moi à de réelles consultations de suivi. Parce que pour changer il faut d’abord vouloir changer, et que ce n’est pas évident pour tout le monde. D’ailleurs, même quand c’est évident, il existe de très nombreux freins, chez nous tous et nous toutes, avant de le réaliser dans notre vie, de l’intégrer comme une nouvelle habitude de vie.

Il se peut même que nous ne voulions pas changer. Et cela se respecte. Mais le simple fait d’évoquer les changements possibles aura planté une graine, qui peut-être un jour germera.

L’éducation à la santé

Cependant, pour comprendre que des changements sont bénéfiques, il faut apprendre pourquoi. Il faut apprendre.

Mieux être acteur ou actrice de sa propre santé, mieux être autonome et faire de meilleurs choix pour soi-même, tel est le but de la prévention. Mais cela n’est possible que si l’on possède quelques clefs, quelques connaissances, quelques bases. Il faut donc que les professionnels de santé partagent avec leurs patients certaines connaissances. Qu’ils soient formés à l’éducation thérapeutique, dont les outils sont taillés pour cela. Qu’ils sortent de leur position de toute-puissance. Et il faut qu’ils comprennent que l’intérêt général (et donc le leur) est que les citoyens soient moins dépendants d’eux. Cela n’empêchera pas que les professionnels du soin seront toujours indispensables lorsqu’une pathologie se déclarera. Cependant, en axant la pratique sur la prévention, nous devrions modifier la gravité de nombreuses situations cliniques, mieux associer les patients aux traitements, et prolonger la qualité de vie comme la durée de vie en bonne santé.

Hélas, notre système n’a jamais fonctionné comme cela.

Depuis les ordonnances hippocratiques jusqu’aux injonctions du «bien-être», en passant par le mépris des médecins pseudosavants de Molière, au paternalisme du XXe siècle ou au charlatanisme de Knock, la médecine occidentale n’a jamais pris le temps de diffuser réellement son savoir. Elle l’a toujours gardé jalousement. Et c’est une erreur fondamentale.

Savoir libère. Et si un patient comprend ce qui se passe en lui, cela le libère d’une bonne partie de la peur, celle venant de l’inconnu. Cela lui permet de faire ses choix de façon plus saine. Cela le rend aussi plus impliqué dans son traitement, dans ses soins, dans les efforts qu’il est toujours indispensable de faire pour aller vers un mieux ou pour accepter qu’il n’y aura pas de retour en arrière dans le cas des maladies chroniques. Pour se reconstruire, si besoin, avec la maladie, et pas se bercer d’illusions qui retarderont son adaptation en le faisant souffrir inutilement.

Quelle serait donc cette éducation, pour moi ?

Assez simplement, j’imagine un transfert de connaissances, tout au long de la vie, effectué par des professionnels du soin dont ce serait une partie de l’activité seulement et pas l’activité unique, de manière à garder un contact avec la réalité clinique. Cette éducation serait en lien d’abord avec le système scolaire, sous la forme de cours obligatoires, et elle débuterait dès le plus jeune âge, pour se poursuivre ensuite avec les médecins traitants à la sortie de la scolarité.

Et que comprendrait-elle ?

  • D’abord et avant tout une éducation à la science et au raisonnement scientifique. La pandémie de COVID19 a en effet montré dans la population française une absence presque totale de culture scientifique et la prééminence des croyances sans aucun lien avec la réalité du fonctionnement biologique. Dans ce domaine, l’éducation nationale a largement échoué dans sa mission. Cela doit changer.
  • Ensuite, elle devrait constituer un socle solide de connaissances sur le fonctionnement du corps humain et la biologie au sens large. Bien évidemment ce qu’enseignent les cours de biologie actuels, mais pas seulement. Je crois qu’il faut diffuser des notions d’anatomie basique, et de physiologie du corps humain en dehors de la reproduction. Une éducation aux processus qui dirigent les cycles de vie des cellules, de tous les organismes vivants et notamment des cellules du corps humain, le rôle des divers organes. Il y a trop de croyances actuellement induisant des idées fausses.
  • Puis bien entendu, elle devrait insister sur le temps des processus biologiques, sur ce qui peut dérailler dans le fonctionnement (effleurer les pathologies), sur les capacités de réparation mais aussi les facultés évolutives et les effets de l’âge, du vieillissement.
  • Plus largement sur les moyens de rester en bonne santé le plus longtemps possible avec des principes de vie saine, sans pour autant bannir les plaisirs de la vie.
  • Enfin, une indispensable éducation au respect de soi et des autres, de notre environnement, car :

Le soin global : One Health

Nous ne sommes pas, ni aucun être vivant sur cette planète, ni aucun objet céleste dans l’univers, une création sans lien avec le reste du monde. Chacun d’entre nous, chacune d’entre nous, n’existe qu’en lien avec les autres. Bien évidemment avec nos parents, nos enfants, nos amies, nos relations, nos contacts. Notre vie sociale n’a de sens que parce que nous sommes en lien avec d’autres, qu’ils soient nos alliés ou pas. Nous ne vivons pas seuls, sauf si nous sommes sur une île déserte. Et même là, nous dépendons des poissons que nous pêchons, des fruits que nous cueillons, du gibier que nous chassons, simplement pour survivre. Plus intimement encore, si nous pouvons simplement vivre, c’est-à-dire manger et digérer, respirer, nous reproduire et nous défendre, c’est parce que nous vivons en symbiose avec des milliards de micro-organismes vivants, bactéries ou virus, à l’intérieur de notre tube digestif, de nos poumons, de nos muqueuses, de notre vagin, et jusque sur notre peau. Sans ce lien, notre peau est incapable de se défendre, notre intestin incapable d’assimiler les aliments. Nous ne serions pas vivants.

L’espèce humaine, de la même façon, n’est pas isolée. Elle n’existe que parce qu’elle est en lien avec d’autres espèces.

Sans végétaux, pas d’oxygène, pas de pain non plus. Sans animaux, pas de lait, pas de viande, et pas de protéines indispensables (deux acides aminés ne se trouvent dans la nature que dans les protéines animales).

La vie en bonne santé des êtres humains dépend des autres espèces qui nous entourent et qui ont co-évolué avec nous.

Nous préoccuper de notre santé, c’est donc nous préoccuper de la santé des autres espèces, et de l’écosystème dans lequel nous vivons. Il se trouve que cet écosystème englobe la totalité de la planète appelée Terre.

Ce concept est appelé One Health en anglais. Une seule santé, littéralement.

Sa signification profonde est simple : nous n’avons pas d’autre choix que de prendre soin de tout ce qui nous entoure si nous voulons vraiment prendre soin de nous.

Nous sommes condamnés à être des défenseurs de la qualité de l’eau, de la qualité de l’air, de la qualité de vie des animaux, de la diversité biologique, des conditions dans lesquelles les végétaux croissent.

Nous sommes condamnés à être écologistes, d’une certaine manière.

Ainsi, toute personne qui voudrait prendre soin de soi et des autres ne peut qu’être concernée par le bien-être des autres êtres vivants, et donc de tous les processus de vie sur cette planète.

Cela implique donc, si nous voulons changer notre système de soin pour le rendre plus efficace, de prendre soin de notre environnement afin d’éviter des maladies qui solliciteraient trop et le mettraient potentiellement à terre. Ça ne vous rappellerait pas une certaine pandémie ? Que le SARS-CoV-2 soit apparu sur un marché de Wuhan ou dans un laboratoire n’est pas la question. Dans les deux cas, il est issu d’une trop grande proximité avec des animaux dont nous envahissons les niches écologiques et n’aurait pas franchi la barrière d’espèce si nous avions été respectueux de notre place.

Des centaines de milliers de morts, des millions de gens en difficulté sociale, des milliards de personnes confinées pendant des mois, tout cela à cause de notre irrespect.

Et si nous voulons éviter un effondrement de notre système de soin à l’avenir par une autre pandémie17, nous n’avons d’autre choix que de changer notre rapport aux autres animaux. Notre espèce est une espèce animale comme les autres. À ce titre elle n’est pas immortelle et elle pourrait disparaître.

Promouvoir le respect des êtres vivants, quels qu’ils soient, humains ou non, c’est donc, je le défends et le martèle, l’un des moyens d’éviter la crise des urgences, même si l’on ne voit au départ pas le lien de façon évidente. J’espère vous avoir montré qu’en fait tout est lié.

Conclusions

Au terme de ce très (trop ?) long article, il est temps de conclure. Je le ferai de deux manières. D’abord pour expliquer un dernier principe qui ne va jamais de soi en politique, et qui est même à rebours de ce que font tous nos dirigeants à cause des compromis (ou des compromissions). Puis en expliquant comment, pour ma part, j’ai résolu la souffrance que je ressentais dans mon ancien métier de médecin généraliste en cabinet libéral.

Une vision systémique : une seule mesure isolée est inefficace, seule la totalité produit des effets

Vous aurez (ou pas) remarqué combien nos dirigeants adorent commander des «rapports» à des experts, et ensuite y piocher quelques mesures par-ci par-là, au gré de leur bon vouloir ou des compromis qu’ils savent pouvoir passer, voire des compromissions qu’ils ont faites par le passé avec des intérêts particuliers ou des lobbies, et qui entrent en conflit avec ce qui serait l’intérêt général.

Or, il est évident qu’un système est un tout.

Si l’on change seulement un aspect, sans tenir compte du reste, on va juste déséquilibrer le système qui aura plus de chances de partir en quenouille que de retrouver un fonctionnement voulu.

Ainsi, si l’on supprime les certificats médicaux sans créer une réelle éducation à la santé, cela ne marchera pas. Tout comme simplement filtrer les urgences avec une régulation médicale n’empêchera pas le système en entier de s’effondrer à relativement court terme, car il est nécessaire de prendre en charge des demandes qui restent avec une offre insuffisante. Et réduire les dépenses de santé, ou laisser les métiers du soin dans une paupérisation grandissante empêchera de créer des lits d’hospitalisation, car nous n’aurons personne pour y exercer.

Si l’on veut réellement améliorer les choses, éviter un effondrement, des catastrophes avec des gens qui mourront, des professionnels de santé qui quitteront leurs métiers, une baisse de l’espérance de vie, et une casse sociale impensable, alors il n’y a pas d’autre choix que de penser les mesures en cohérence et en globalité.

Il s’agit alors d’appliquer toutes les mesures que je propose, et de ne pas en oublier une seule, pour changer le système et pas juste déplacer le problème.

Nous n’aurions des effets positifs que si la totalité de ces changements était mise en œuvre. Et c’est sans doute le plus compliqué, dans l’affaire.

Ma nouvelle vie de soignant

De façon plus personnelle, puisque j’ai fait le choix de quitter la médecine libérale, comment ai-je pour ma part résolu la souffrance que je ressentais ? Fermer mon cabinet a été autant une libération qu’un deuil. J’ai quitté des personnes auxquelles j’étais attaché, avec qui j’avais noué des liens forts. Mais après, quoi faire ?

Depuis le début de mes études de médecine, j’étudie régulièrement l’hypothèse de quitter le monde du soin. Complètement. Je m’imagine vivre de mon écriture, même si je sais que c’est inaccessible à la majorité des candidats qui se lancent dans l’aventure. Je brise cette chimère assez vite, la plupart du temps. C’est également ce que j’ai fait cette fois-ci.

Je devais, pour être en accord avec qui je suis, rester dans le monde du soin.

Alors quoi ? Devenir un médecin hypnothérapeute ? J’y ai pensé. Je suis formé, je pourrais prétendre à la reconnaissance par la Confédération française d’hypnose et de thérapies brèves de mon titre. J’aime cette relation si particulière avec les personnes qui se laissent découvrir la puissance de leur imaginaire et j’adore leur permettre d’ouvrir la porte de leurs propres ressources. La puissance des mots est la base de l’hypnose et si vous me connaissez par ce site vous imaginez combien cela me convient. Mais cela signifiait, dans la façon dont on peut actuellement exercer en France, rester dans le même système libéral qui m’écrasait. Cela impliquait aussi une insécurité financière que ma situation personnelle et familiale ne permettait pas, en plus d’une insécurité mentale à l’idée d’entrer dans une précarité d’exercice.

L’Univers m’a cependant aidé. Il a mis une opportunité sur ma route.

Je suis devenu l’un des deux médecins d’une structure de vie hébergeant des personnes atteintes de maladies neuroévolutives de type sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Parkinson et autres maladies rares du système nerveux. Je travaille en équipe pluridisciplinaire, dans un domaine passionnant (la neurologie) qui m’a toujours attiré. Avec des patients qui sont aussi des résidants, avec qui je peux utiliser les techniques de l’hypnose si besoin, afin de les aider dans les douleurs, l’anxiété qu’ils peuvent ressentir. Je peux passer du temps avec eux sans être esclave d’une rentabilité, même s’il y a beaucoup à faire et beaucoup à construire dans un établissement neuf qui est le plus grand de France. Je coordonne les efforts des autres professionnels. Je suis salarié et assez bien payé. Je développe des projets de soin, des projets tout court. J’ai la liberté de prendre en compte et de peser sur les choix d’un accompagnement global qui considère les patients comme des personnes à part entière, intègre leurs familles et leurs amis. Tout n’est pas rose, bien loin de là. Mais beaucoup est possible et pour le moment du moins, je me sens enfin à ma place.

J’ai de nouveau du temps pour écrire. Je développe à nouveau mes projets personnels. Je récupère de l’énergie, laisse ma fatigue peu à peu s’envoler. Je vis à nouveau.

Si c’était à refaire, je quitterais avec encore moins de regrets ce qui fut ma vie précédente en tant que soignant.

J’ai eu la chance de trouver une porte de sortie très honorable.

Je pense à celles et ceux pour qui ce n’est pas le cas et qui se retrouvent sans perspective. Ils et elles sont plus nombreuses que vous ne le pensez. J’espère qu’ils et elles trouveront le courage de prendre les décisions qui s’imposent. Même si cela précipitera la chute de notre système de soin.

Mais après tout, peut-être faudra-t-il cela pour que nous comprenions collectivement que nous faisons fausse route.

Ouvrir une discussion

Les trois volets de cette discussion sur les raisons de la fermeture de mon cabinet sont une pièce à deux faces.

D’une part, ils sont un peu mon «testament de médecin libéral». Un témoignage qui vaut ce qu’il vaut, mais également une tentative pour moi de comprendre ce qui m’est arrivé, et d’imaginer ce qui aurait pu se passer si les conditions initiales avaient été toutes autres. Je n’ai peut-être pas raison, mais je suis totalement sincère et honnête, du mieux que je le puis en tous cas, dans tout ce que j’ai décrit dans ces trois textes. Comme pour tout testament, j’espère qu’il sera pris en compte, mais ne puis être certain de la façon dont il le sera. Et il n’existe pas de notaire pour le faire respecter. C’est donc à vous qui le lisez, de décider ce que vous voulez en faire, si même vous désirez vous en saisir et pas le laisser de côté comme les divagations qu’il constitue parfois.

D’autre part, c’est aussi une bouteille à la mer. Ma contribution, si humble soit-elle, pour tenter d’influer sur le cours des choses, d’éviter la chute que je pressens si douloureuse pour beaucoup d’entre nous. Si vous trouvez cette bouteille et avez la curiosité de l’ouvrir, j’espère que son contenu vous touchera, et qu’il fera naître en vous des questions, des réflexions, des réactions.

Si c’est le cas, alors j’aurai un peu réussi.

Si c’est le cas, nous aurons ouvert une porte vers une discussion, vers un changement.

Si c’est le cas, nous pouvons confronter nos points de vue, dans les commentaires si vous le désirez.

Si c’est le cas, vous pouvez aussi porter ces interrogations vous-mêmes, et les faire vivre dans votre propre cercle.

Parce que ce qui compte, c’est le plus petit changement possible, celui qui a le pouvoir de rendre possibles tous les autres, jusqu’au plus improbable. Ce qui compte, c’est souhaiter le changement, et non pas le subir. C’est du moins ce que j’ai appris en quittant mon ancienne vie de soignant.


  1. Mais après tout, comment penser que des décennies de destruction puissent être réparées en quelques mois ?  ↩︎

  2. J’entends par là ce que nous pouvons réellement choisir dans notre existence  ↩︎
  3. Hélas non quantifiable actuellement car il n'existe pas vraiment d’études sur les proportions des motifs de consultation en France.  ↩︎
  4. L'une des spécialités les plus touchées par la baisse d’effectifs.  ↩︎
  5. Si, si, ça existe…  ↩︎
  6. Par le système éducatif notamment, qui parfois me fait l’effet de nourrir de papier les personnels qui y travaillent.  ↩︎
  7. Par exemple, actuellement, les généralistes sont considérés comme trop idiots pour pouvoir prescrire de nombreux médicaments ou matériels médicaux alors qu’on manque de professionnels dans les spécialités qui sont habilitées à le faire…  ↩︎
  8. Exemple (et voir note précédente) : les prescriptions de certains matériels de rééducation comme des fauteuils roulants électriques, ne pouvant être réalisées que par des médecins spécialistes très rares (de médecine physique et de réadaptation), certains patients atteints de maladies neuroévolutives rapides peuvent se voir attribuer des fauteuils qui ne correspondent plus à leurs besoins puisque leur état s’est dégradé plus vite que le délai pris pour la prescription…  ↩︎
  9. Je sais, c’est un changement énorme dans notre culture…  ↩︎
  10. Et ce n'est pas ce que nous voulons, n’est–ce pas, mon Précieux ? Oh que non !  ↩︎
  11. «I’m living in a material world» chantait Madonna à ses débuts, et ce n’est pas faux. Nous faisons tous un métier pour gagner notre vie. Si nous gagnons bien dans un domaine, il sera plus attractif.  ↩︎
  12. Et je n'ai rien contre les serruriers, qui sont nécessaires à la société et que je suis bien heureux de trouver quand j’en ai besoin !  ↩︎
  13. Le mot est à la mode, mais je n’en trouve pas de meilleur dans ce cas.  ↩︎
  14. ou le complexe du sauveur ?  ↩︎
  15. Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie, un chiffre fixant l’augmentation annuelle autorisée des dépenses de santé dans notre pays, voté par le Parlement. Comme si l’on pouvait décider de ne dépenser que 1% de plus pour soigner les gens, même si les besoins réels sont de 2%… que fait–on du pour–cent qui reste ?  ↩︎
  16. C’était au siècle dernier…  ↩︎
  17. Je rappelle que le SARS–CoV–2 n'a qu’une léthalité faible. Que se passerait–il si la léthalité montait à 20 ou 25% ? Nos hôpitaux se seraient probablement effondrés en quelques semaines…  ↩︎

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 1 : Le piège du paradigme de l’offre et de la demande

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 1 : Le piège du paradigme de l’offre et de la demande

Pourquoi j’ai fermé mon cabinet de médecine générale, raison 1 : Le piège du paradigme de l’offre et de la demande

Le premier juin 2022, j’ai fermé mon cabinet libéral de médecine générale, en laissant, sans successeur, mes 800 patients chercher par eux-mêmes quelqu’un pour les prendre en charge. J’ai tourné le dos à la médecine de premier recours. La pénurie actuelle ne s’en trouvera pas améliorée. Et si j’en assume la décision, je crois que mon devoir est aussi de vous expliquer pourquoi ce sont plutôt les choix politiques de ces trente dernières années qui l’ont provoquée, et ce que nous devrions faire pour que nous puissions tous et toutes, un jour, retrouver malgré tout un système de santé efficace et juste.

Pourtant, je ne suis pas dupe, et je ne crois en aucun cas que les politiques auront le courage et la décence de reconnaître leurs erreurs et surtout d’y porter remède.

Je suis lucide : ce qu’ils ont déjà accompli, ils le poursuivront, et un jour pas si lointain la population française ne pourra plus se soigner correctement.

Ce jour approche bien plus vite que vous ne le pensez.

Alors j’imagine déjà leurs cris d’orffraie, puisqu’ils ont commencé à les pousser durant cette campagne électorale, alors qu’ils sont les pompiers pyromanes à l’origine du désastre.

Ce texte est donc là surtout pour éclairer nos concitoyens sur la réalité, et empêcher les politiques de la travestir en essayant de se dédouaner de leurs responsabilités. Mais c’est aussi un appel adressé à chacune et chacun d’entre nous afin de changer de regard sur la fonction de soignant.

Je vais ainsi égréner dans une série d’articles les différentes raisons qui m’ont poussé à quitter la médecine générale.

Et tout d’abord, nous devons parler de la façon dont est conçu actuellement notre système de santé et de soin. Cela nous conduira à comprendre l’impasse, car c’est bien ainsi qu’il faut la nommer, dans laquelle se trouve notre société sur ce terrain-là comme sur beaucoup d’autres.

La source du malaise : l’incompréhension

On parle des «déserts médicaux», on devrait parler des déserts de soin.

Ce ne sont pas seulement les médecins qui manquent et qui vont manquer dans l’avenir, ce sont bien tous les acteurs et tous les métiers du soin et du prendre soin : infirmières, aides-soignantes, auxiliaires de vie, kinésithérapeutes, sages-femmes, la liste peut encore s’allonger si on le souhaite.

Cela fait des années qu’on en parle.

Cela fait des années que tout ce qui est décidé n’a aucun effet.

Pourquoi ?

Parce que, fondamentalement, les autorités de santé ne comprennent pas le monde du soin.

Parce que, fondamentalement, la société dans son ensemble s’éloigne de plus en plus des valeurs qui fondent les métiers du soin.

Si l’on ne comprend pas un problème, il y a peu de chance qu’on puisse le résoudre. Encore moins si l’on ne comprend même pas la langue dans laquelle est posé le problème.

J’ai écrit en introduction que tout cela était la faute des politiques. De tous bords.

Ce n’est pas complètement exact.

C’est la faute de nous toutes et nous tous.

La faute des soignants qui ne savent pas expliquer clairement les choses et qui le plus souvent se soumettent au nom de leurs valeurs d’assistance, en acceptant par là même de les bafouer.

La faute de chaque citoyenne et chaque citoyen en ne réclamant pas des changements véritables aux politiques et en reconduisant un modèle de société qui nous fait aller dans le mur.

La faute des politiques qui sciemment ou non tiennent fermement les rênes qui empêchent toute remise en cause du postulat erroné suivant : la santé se pilote comme une entreprise.

C’est surtout la faute à une idéologie qui imprègne toutes les couches sociales et toutes les opinions politiques, de quelque bord qu’elle se réclame : l’idéologie de l’offre et de la demande.

Pour le démontrer, je vous propose de faire le descriptif de la logique actuelle.

Tomber malade dans notre société

La maladie dans notre société est en effet une nuisance.

Elle provoque des symptômes qui sont la plupart du temps désagréables, néfastes. Tellement néfastes qu’ils gênent nos activités courantes, et entravent nos fonctions dans la société de production et de performance.

D’ailleurs, ce qui nous amène à consulter, ce sont eux : les symptômes. Ils sont finalement plus gênants que la maladie elle-même. Personne ne se soucierait d’un simple rhume s’il ne s’accompagnait pas de l’impression d’avoir un robinet ouvert à la place des narines. D’ailleurs, ce que nous voulons vraiment, c’est bien nous débarrasser des symptômes. La maladie elle-même, tant qu’elle n’est pas gênante, n’est pas si importante. Pour preuve le diabète, qui ne donne aucun symptôme lorsqu’il est déclaré depuis très peu de temps, ou l’asthme, autre maladie chronique peu symptomatique en dehors des crises. L’important, croyons-nous, c’est le symptôme.

Quand donc un symptôme apparait, nous désirons le faire partir ?

Vite. Très vite. Le plus vite possible.

Parfois, nous nous automédicamentons (néologisme que j’assume).

Mais, quelquefois, même en avalant des médicaments, le symptôme résiste.

Là, ça devient intolérable.

C’est compréhensible : nous n’aimons pas être gênés. Notre corps ressent du bien-être lorsqu’il est dans une sorte de confort où toutes les fonctions sont satisfaites. Il est même conçu pour réagir lorsqu’un paramètre menace de sortir de cette zone de confort, qu’on appelle l’homéostasie. L’homéostasie est cette fonction basique de tous les êtres vivants, depuis la bactérie jusqu’à l’être humain, qui permet de maintenir le milieu interne de l’organisme dans des paramètres compatibles avec la vie : une température ni trop chaude ni trop froide, un milieu bien hydraté mais pas trop, des concentrations de sels minéraux ou autres ni trop importantes ni trop faibles.

Toutes les fonctions les plus primitives, les plus anciennes de la vie sont celles qui doivent maintenir l’homéostasie. C’est la condition même de la survie, et donc de la vie.

Lorsque l’on est malade, existent donc en nous deux craintes : celle d’être gêné, et celle de mourir.

L’une et l’autre se renforçant, d’ailleurs. Plus nous nous sentons gênés et plus nous pensons que cela peut menacer notre vie. Plus nous croyons que le symptôme menace notre vie et plus nous nous sentons gênés.

C’est à ce stade-là qu’intervient un élément essentiel du débat : la peur.

La peur est une émotion archaïque, l’une des premières émotions apparues dans l’Évolution. Elle pousse l’animal qui la ressent à agir pour éviter un danger, soit en le fuyant, soit en l’affrontant. En ce sens, c’est un puissant agent de l’homéostasie, une alliée importante de la survie, et donc de la vie.

Pourtant, pour être efficace, la peur doit être rapide. Elle doit induire une réaction en quelques dixièmes de seconde face à un prédateur, par exemple. On comprend donc que par nature la peur bloque le raisonnement intellectuel. On n’est pas là pour penser, mais pour agir vite.

Les actions entreprises sous l’emprise de la peur sont donc irréfléchies, de façon à être les plus rapides possibles.

Alors quand la peur est celle d’être malade, à cause de symptômes gênants, nous allons aussi en craindre la conséquence la plus importante : la mort. Nous allons déclencher les actions les plus drastiques pour éviter ce sort.

Nous avons donc besoin de personnes soignantes très disponibles. Idéalement, disponibles en permanence. Ce qui veut dire aussi en grand nombre. En très grand nombre, pour être en mesure de répondre instantanément à chaque peur, chaque besoin ressenti.

Le rôle des autorités de santé

Les autorités de santé vont être sollicitées afin de garantir cet accès rapide et inconditionnel, sous la double pression de la population inquiète de ne pas pouvoir se soigner et des politiques qui ont à cœur de répondre aux besoins exprimés par leurs potentiels électeurs.

En faisant un constat simple, les politiques au sens large (les autorités de santé non élues, fonctionnaires et gestionnaires, qui ne viennent en général pas du monde du soin et qui donc n’en connaissent pas forcément les spécificités, encore moins le mode de pensée que nous verrons plus tard, mais aussi les politiciens élus, à tous les échelons administratifs) vont confronter deux paramètres : la demande de soins d’un côté et l’offre de soins de l’autre. Voyant que la demande est explosive, et que l’offre n’est pas suffisante, ils vont être sommés de prendre des décisions.

Cependant, un autre paramètre s’impose à eux : le coût des soins.

Soigner demande de mettre des moyens en œuvre, qui ont un coût : payer des soignants, acheter du matériel pour faire des bilans biologiques, réaliser des radiographies, construire des machines pour faire des scanners, des IRM, acheter des médicaments pour apaiser les symptômes rapidement, etc.

Tout cela coûte cher. Parfois même très cher.

Et comme la demande en soins explose, les coûts suivent la même courbe exponentielle, et les gestionnaires commencent à s’affoler. L’assurance maladie dépense de plus en plus, et nous assistons à la naissance du fameux «trou de la sécu».

Comment donc répondre à la demande en soins sans mettre le pays à genoux financièrement ?

Les manettes à leur disposition sont assez nombreuses, mais il y a deux leviers qui sont les plus évidents : le nombre et le temps. Le nombre, bien sûr : augmenter le nombre de soignants pourrait répondre à la demande croissante, mais cela pourrait aussi augmenter le nombre de prescriptions, d’examens, de médicaments, donc faire exploser plus encore le coût du domaine de la santé. Pendant des années, on a donc sciemment bloqué le nombre de médecins formés, en pensant que moins de médecins voudrait dire limiter la hausse du coût des soins.

Cependant, la demande continue, elle, à augmenter. Car la population devient plus nombreuse démographiquement, plus âgée, donc plus susceptible de tomber malade. Et comme le nombre de médecins a été bloqué, non seulement chaque médecin travaille plus, mais aussi les personnes qui désirent les consulter ont plus de mal à en trouver de disponibles.

Alors on va jouer sur le temps.

En bloquant le montant des consultations à un niveau bas, qui place le revenu moyen des médecins français à environ la moitié de celui des médecins allemands, on s’assure que chaque médecin soit obligé de faire de nombreuses consultations chaque jour pour gagner sa vie. On oblige donc à multiplier les actes, et donc à diminuer le temps de consultation par patient, pour augmenter le nombre de patients vus par chacun.

Bien évidemment, cela augmente beaucoup le nombre de prescriptions, donc cela entraîne aussi une augmentation du coût de la santé. Donc on décide de bloquer le coût total. Ce qui fait mécaniquement diminuer la part de chaque acte médical payé, de manière à pouvoir augmenter le nombre d’actes.

Le raisonnement est le même avec les actes infirmiers à domicile, ou les salaires des aides-soignantes.

On paupérise une profession de manière à l’obliger à un objectif de rentabilité.

C’est aussi ce que les pouvoirs publics sont en train de tenter avec les psychologues, en essayant de les obliger à accepter d’être remboursés par l’assurance maladie environ deux fois moins que leur niveau de rémunération actuel moyen.

Cette stratégie provoque bien entendu des épuisements au travail (le célèbre burn-out), un surcroît de suicides, et autres pathologies liées à un rythme de vie inadapté (infarctus du myocarde, troubles du sommeil, dépressions) chez les soignants, et par conséquent un manque d’attrait de ces métiers. Le nombre des soignants continue à diminuer, pendant que les demandes de soin continuent à grimper.

Alors, tout en n’augmentant pas le tarif de la consultation, on crée la «rémunération sur objectifs de santé publique» (ou ROSP de son petit nom), qui donne une prime aux soignants de ville (libéraux) en fonction de critères négociés par les syndicats avec l’assurance maladie (prescrire des génériques, suivre régulièrement les paramètres de patients atteints de certaines pathologies, comme le diabète, etc.). Le niveau de rémunération se stabilise, conditionné à certains critères qui au départ sont plus ou moins médicaux.

Mais la pénurie de soignants s’aggrave. Car on ne relève toujours pas le nombre de soignants formés et les demandes de soin continuent à augmenter d’autant plus que les médecins ne font plus seulement du soin, mais aussi beaucoup de para-soin : ils voient des personnes qui ne sont pas malades mais qui ont besoin qu’on atteste, qu’on certifie, qu’elles ne soient pas malades, ou bien encore plus compliqué, qu’elles ont été malades de telle date à telle date, ou même que leur activité personnelle ou professionnelle ne puisse pas les rendre malades.

Alors on change les critères de la ROSP (à compter de 2022), qui au départ sont médicaux, pour introduire une obligation d’adhérer à une structure qui détermine combien chaque médecin doit suivre de patients, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS, parce que l’administration adore les sigles). Cela permet de fixer les soignants dans un cadre contrôlé par la puissance publique, de s’assurer aussi que tous les médecins vont entrer dans ce cadre et obéiront aux injonctions de rentabilité en termes de nombre de patients vus (je n’ose plus dire soignés).

Car on a bien pris soin d’augmenter leurs revenus seulement à travers la ROSP, qui finit par représenter 20 % de ce que chaque médecin généraliste gagne en moyenne. Il est donc pour eux impossible de se priver de 20 % de leurs revenus, et s’ils veulent continuer à maintenir ce qu’ils gagnent, ils n’ont pas d’autre choix que de plier : ils adhèrent à ces structures. Parfois même en essayant de se persuader eux-mêmes que ce sont eux qui choisissent, et que «c’est pour le bien de la population», un discours que beaucoup de vieux médecins tiennent en ce moment, ne percevant ou ne voulant pas percevoir tout ce que ce système contient de perversité intrinsèque. Car en acceptant ce marché de dupe, ils se soumettent à ce que ces structures vont ensuite décider. Pour le moment, elles sont censées être dirigées par des soignants. Mais quiconque sait ce que cela veut dire que de diriger une structure connait la masse de travail que cela demande. Un soignant n’en a pas ni la formation, ni, souvent, la volonté, préférant exercer son véritable métier auprès des patients. Dans quelques années, donc, les CPTS auront à leurs têtes des personnes dont le profil sera le même que les directeurs d’EHPAD, de cliniques, ou d’hôpitaux : des gestionnaires qui ne seront pas issus du monde du soin. Les soignants qui seront donc engagés dans ces structures seront de facto dirigés par des gestionnaires, qui leur imposeront un nombre de patients à voir par jour, une organisation décidée par la structure et pas selon des critères de soin. Ils seront pieds et poings liés, avec tous les inconvénients d’un exercice en salariat, sans aucun de ses avantages.

Parallèlement, cette logique a déjà été imposée à l’hôpital, avec ce que l’on a appelé la T2A, la tarification à l’activité. C’est ni plus ni moins que l’imposition d’un tarif pour chaque acte médical effectué dans un établissement de santé, public comme privé. Et plus l’établissement réalise d’actes «bien payés» par l’assurance maladie, plus il gagne d’argent pour fonctionner. Vous réalisez comme moi que c’est la même logique : pour payer les personnes qui y travaillent, pour payer les machines à faire des IRM et des scanners, pour payer les analyses médicales, pour donc continuer à soigner des gens, un hôpital en France est obligé de soigner beaucoup de monde, et plus on soigne plus on est «rentable». Même si plus on soigne plus on coûte d’argent. Alors on impose à l’hôpital de faire des économies, et on supprime des lits. Parce que ça coûte cher d’abord, parce que les soignants ne sont pas aussi fous qu’on le pense et s’en vont ensuite, donc il ne reste plus grand monde pour vouloir soigner à la chaîne sans avoir de bonnes conditions de travail.

Il y a donc moins de soignants en ville, et moins de soignants à l’hôpital. Ceux qui restent doivent supporter une charge de plus en plus grande parce qu’ils sont de moins en moins nombreux et qu’on leur demande de plus en plus.

Le système tient comme cela depuis 30 ans.

Mais il est en train de s’effondrer.

Parce que lorsqu’on forme de moins en moins et qu’on fait partir ceux qui étaient en place, on vide le système de santé de ce qui en est le cœur : les soignants. Lorsqu’il n’y a plus de médecins et plus d’infirmières, lorsqu’il n’y a plus d’aide-soignant ni plus de kinésithérapeutes, pensez-vous vraiment que ce seront les fonctionnaires des ARS et les politiques qui pourront vous (nous) soigner ?

Bien sûr, on peut être tenté, comme c’est dans l’air actuellement, de forcer les soignants qui restent, de leur imposer par la loi de :

  • Faire des gardes aux urgences.
  • Voir plus de patients.
  • Faire des horaires à rallonge. Je rappelle que notre Président «bien-aimé» a osé dire en public en 2018 (comme vous pourrez l’entendre ici à 44:30 du discours) qu’en substance, il lui semblait normal que les médecins généralistes travaillent de 8 heures du matin (ça, il ne le dit pas mais toutes les structures de garde ferment à 8 heures du matin) à 22 heures le soir… donc 14 heures dans une journée, une durée de travail abolie depuis le XIXe siècle dans les pays développés, mais sans doute encore en vigueur dans des contrées aux avancées sociales certaines, comme la Chine ou la Corée du Nord.
  • S’installer même s’ils ne le veulent pas (les médecins remplaçants vont apprécier, je n’en doute pas). Dans quel métier force-t-on quelqu’un à l’exercer s’il ne le désire pas ?
  • S’installer là où on leur dira.

En somme, on peut essayer de leur imposer de réparer les erreurs que non seulement ils n’ont pas commises, mais qu’ils ont essayé d’empêcher en prévenant en vain les autorités de santé depuis au moins 20 ans (mon sujet de thèse était un sujet de démographie médicale, je l’ai rédigé en 2002). Dit autrement : on peut essayer de les rendre responsables d’une catastrophe causée par les décisions des politiques.

Conséquences

Que pensez-vous qu’il puisse se passer ?

Dans mon cas, c’était assez évident : on ne me forcera pas à laisser ma santé physique et mentale pour tenter en vain de réparer des fautes commises par des politiques que j’ai toujours combattues. J’ai donc refusé de rester dans ce système inhumain. J’ai fermé mon cabinet. Et comme mes collègues ne sont pas seulement des curés et des bonnes sœurs prêtes à faire le sacrifice de leur vie, je n’ai pas réussi à trouver de successeur. Les soignants ne sont pas plus fous que d’autres, ils n’ont pas très envie de ce qui est clairement un poison pour eux-mêmes et pour leur vie.

Si un jour on tente de me forcer à quoi que ce soit, je quitterai totalement les métiers du soin. Sans état d’âme.

Le résultat est donc simple : un médecin de ville de moins pour prendre en charge les soins de premier recours.

Epic fail.

Game over.

Raisonner autrement

Je ne suis pas le seul à être dégoûté de ce qui est en train de se passer. Deux ans de pandémie durant lesquels tous les métiers du soin ont été sursollicités mais aussi tour à tour conspués parce qu’ils risquaient de contaminer les autres, puis applaudis parce qu’ils étaient courageux (mais applaudis tant qu’ils étaient loin et qu’ils ne risquaient pas de ramener la maladie dans l’immeuble) puis encore conspués parce qu’ils refusaient de prescrire des traitements non éprouvés comme l’hydroxychloroquine, ont encore plus entamé les réserves d’énergies de celles et ceux qui subissent ces logiques délétères de l’offre et de la demande depuis des décennies.

Le système de soin s’enfonce de plus en plus dans un marasme dont il ne sortira pas avec les remèdes qui sont évoqués actuellement, ni par les uns ni par les autres.

Forcer les médecins à s’installer ne marchera pas : ils choisiront de changer de métier ou de mode d’exercice, comme moi. Continuer à faire peser sur ceux qui restent la charge de ceux qui partent ne fonctionnera pas plus : eux aussi quitteront leur métier ou refuseront de prendre des postes sous-payés et déconsidérés.

Décréter un «numerus apertus» ne marchera pas non plus, car les conditions de travail continuant à se dégrader, les étudiants abandonneront leurs études.

Mettre de l’argent ne sera pas plus efficace, car continuer sur cette logique de l’offre et de la demande sans fin mènera à toujours courir après une chimère sans jamais la rattraper. Les dépenses de santé seront bien vite si intenables que les assurances privées s’en mêleront et que le système deviendra profondément inégalitaire : ceux qui auront les moyens financiers pourront bien se soigner, les autres devront se contenter de soins au rabais.

Alors quoi ? Tout est perdu ?

Non.

Tout n’est pas perdu si nous acceptons de changer de paradigme, de changer de mode de pensée.

Si nous décidons de raisonner autrement, nous pouvons adapter le système pour le rendre à sa mission première : protéger la santé de toutes et tous.

Cela demande de sortir de la logique de l’offre et de la demande, et de jouer sur un paramètre que personne, jusqu’à présent, ne propose de prendre enfin en compte : l’adéquation de la demande de soin avec une certaine sobriété, une certaine sagesse. Par exemple en acceptant de réserver l’accès au système de soin à ceux qui ont réellement besoin d’être soignés, au moment où ils en ont besoin.

C’est un peu iconoclaste et je m’attends à une volée de bois vert dans les commentaires. Pourtant, j’ai des arguments, que j’exposerai dans le troisième volet de cette série d’articles, comme la prévention et l’éducation ou comme le concept de santé globale.

En attendant, dans le deuxième, nous parlerons de la deuxième raison de mon départ de la médecine générale : la marchandisation de la santé et du soin.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Grand débat médical

Grand débat médical

Grand débat médical

Le monde de la santé en France est secoué depuis plusieurs années par une crise profonde. Un peu comme le reste de la société en France. Un peu comme le reste du monde.

Le malaise est palpable chez les soignants, et chez les patients également.

Faute d’avoir été écoutés à temps, les professionnels de santé sont moins nombreux qu’il le faudrait, épuisés, surmenés, et très souvent démotivés.

Je dis «faute d’avoir été écoutés à temps», car lorsque j’ai soutenu ma thèse en 2003, l’évolution démographique actuelle du corps médical était déjà prévue. J’ai écrit ma thèse en partie sur ce sujet-là. Je connais donc bien le problème, et pas seulement parce que je suis maintenant confronté à ses conséquences.

Des solutions existaient et étaient promues à l’époque.

Mais les politiques ont fait la sourde oreille et les décisions qui auraient dû être prises ne l’ont pas été.

Pire, des décisions inverses ont continué à déconstruire le système.

Pour nous amener là où nous en sommes.

La santé est même absente des sujets officiels du Grand débat national qui a été ouvert en réponse aux manifestations de la fin 2018. À la place, on nous sert des propos lénifiants sur des assistants médicaux qui régleraient soi-disant le problème de l’accès au soin en faisant en sorte que les médecins généralistes voient six patients toutes les heures, en oubliant allègrement la qualité des soins au passage (dont pourtant on brandit l’étendard en imposant à ces mêmes médecins déjà surchargés des normes et des obligations de plus en plus grandes), ainsi que les autres causes plus profondes du marasme dans lequel le système de soin se trouve.

Nous ne savons pas même si ce Grand débat fera sortir quelque chose de positif. Si même les contributions vont ailleurs que dans un grand vide intersidéral puisque les gouvernants ont tendance dans ce pays comme dans d’autres à ne pas vouloir écouter réellement ce que leurs peuples leur crient.

Mais je suis d’un naturel optimiste (sans doute trop pour mon bien).

Et si l’on me donne l’occasion de proposer, alors je ne peux que m’en saisir.

Au moins, même si mes propositions finissent dans le grand vide du Grand débat, je les aurai formulées auparavant.

Et pour être sûr qu’elles ne seront pas totalement anéanties dans l’oubli, je les publie aussi sur cet espace virtuel qui est le mien.

Ce sont mes propositions pour le système de soin, en tant que professionnel de la santé, en tant que médecin.

Je ferai de même avec des propositions plus globales, en tant que citoyen cette fois, sur tous les autres sujets, et de la même façon, je publierai ma contribution sur cet espace.

Libre à vous, à chaque fois, de vous en emparer.

Dans ce but, je laisse les commentaires ouverts pour l’instant.

Les buts du système de soins

Il faut revenir à l’essentiel : à quoi doit servir le système de soin ?

À soigner. À prendre soin.

Prendre soin c’est suivant le Larousse, «procurer les soins nécessaires à la guérison ou à l’amélioration de la santé de quelqu’un». Ce qui nous amène à la définition de la santé qui est, selon l’OMS, « un état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Mais un mot dans cette définition me gêne énormément, le mot «complet».

Car la santé est une notion relative. Nous sommes tous, un jour ou l’autre, atteints d’une affection chronique (infirmité motrice, diabète, asthme, dysfonctionnement cardiaque) qui pour autant peut ne pas obérer notre santé si nous prenons soin de nous.

Ainsi, pour moi, le but du système de soin est de faire en sorte que les individus et la population en général (santé individuelle et santé publique) puissent garder une bonne santé malgré les aléas de la vie, et cela jusqu’à la mort, qui est le lot de tous les êtres humains comme de tous les êtres vivants.

Ce qui veut dire traiter les maladies déjà apparues, mais aussi prévenir l’apparition de celles qui sont humainement évitables, tout en conservant à l’individu sa liberté, son libre arbitre. Car il n’est pas de santé sans liberté, notamment sans liberté de choix dans sa vie.

Donc le système de soin doit :

  • Respecter le libre arbitre des soignés (que nous appellerons des «patients» faute de mieux).
  • Être porté par des soignants dont on prendra soin également (car on ne peut aider les autres que si l’on est soi-même en capacité d’être en état de le faire, donc en bonne santé).
  • Protéger ceux qui sont fragiles, socialement, physiquement, mentalement, de façon définitive ou temporaire.
  • Protéger l’environnement dans lequel les humains vivent.
  • Être pérenne, donc géré efficacement, par des personnes connaissant les spécificités du domaine du soin.

Voilà donc les principes qui guident ma réflexion dans les propositions suivantes.

Le rôle du médecin : soigner et prévenir

Le rôle des soignants est donc de soigner.

Dans un contexte où la démographie des soignants en général, comme des médecins en particulier est très tendue, et où la population peut avoir du mal à accéder à un soignant, il n’est d’autre solution pérenne que de recentrer les missions des soignants sur leur cœur de métier : le soin.

Il est aussi nécessaire d’éduquer les patients à se tourner vers le système de soin lorsque c’est nécessaire, et seulement dans ce cas-là. Un système de soin, pour être pérenne, doit être financièrement tenable sur le long terme, et ne doit donc pas être instrumentalisé à d’autres fins. Il est là pour prendre soin des patients, de tous les patients, mais seulement pour cela.

Deux propositions importantes peuvent remettre le système actuel sur une mission unique de soins.

Suppression des certificats inutiles

Les consultations médicales sont embouteillées par des demandes qui n’ont rien à voir avec le soin. Des questions purement administratives qui n’ont aucune raison d’être si ce n’est l’habitude et les procédures.

Les certificats médicaux divers et variés, sans aucun fondement ni scientifique ni de soin, n’ont plus de raison d’être dans un système qui est tourné vers sa seule mission première : soigner.

Je propose donc la suppression de toutes les obligations de certificats médicaux pour : absences scolaires, non-contre-indication à la pratique des sports, exonération des jours de crèche, garde d’enfant, cantine, et autres activités des enfants comme des adultes, absence du travail durant les jours de carence.

La suppression des certificats de MDPH, en imposant que ce soient des médecins des structures MDPH qui reçoivent les patients et les examinent. Pour que les structures ne soient pas embouteillées à leur tour, déterminer une liste de pathologies pouvant potentiellement bénéficier d’une reconnaissance de handicap, et écarter les autres, mais aussi considérer qu’un handicap est généralement acquis à vie, et supprimer l’obligation de refaire des certificats périodiquement, sauf dans certains cas, déterminés individuellement par le médecin ayant fait le premier examen.

Éducation à la santé

Pour que les individus et la population dans son ensemble puissent faire appel au système de soin quand cela est nécessaire, mais aussi pour améliorer la santé en général, il est indispensable de faire une éducation à la santé.

Les patients sont trop souvent apeurés par des symptômes bénins qu’ils pensent être graves, ou au contraire minimisent des symptômes qui peuvent être des signaux d’alerte ou des signes plus graves.

Chaque citoyen devrait pouvoir apprendre tout au long de sa scolarité des bases du fonctionnement du corps humain, de sa propre physiologie, au même titre qu’il apprend à faire du sport.

Une heure par semaine durant toute la scolarité devrait être occupée à apprendre que certaines affections sont bénignes, comme les rhumes, que les médicaments doivent être pris avec prudence, que certains gestes peuvent sauver des vies, que d’autres sont nocifs.

Il serait ainsi possible d’inculquer enfin au plus grand nombre les quelques mesures simples d’hygiène qui sont susceptibles d’empêcher la transmission de nombreuses maladies infectieuses comme se laver les mains correctement à des moments clefs dans la journée. Cela diminuerait l’incidence de la gastro-entérite, de la grippe, des rhumes, et d’autres encore.

Le parcours de soins : à chacun son rôle

La notion de parcours de soin correspond à la façon dont une personne va pouvoir utiliser toutes les ressources du système de soin pour recouvrer ou préserver sa santé. Elle implique que le système soit organisé en classiques soins de premier et de deuxième recours, afin de structurer les moyens que l’on attribue à chaque composante.

Le premier recours est actuellement majoritairement la médecine générale et la médecine d’urgence, mais aussi certaines spécialités en accès direct (pédiatrie, ophtalmologie, psychiatrie, gynécologie) et les soins dentaires simples, la pharmacie, les psychologues cliniciens.

Le deuxième recours est constitué par toutes les spécialités qui ne sont pas en accès direct actuellement (spécialités médicales comme la cardiologie, chirurgicales), et les soins paramédicaux en général qui sont accessibles uniquement sur prescription (kinésithérapie, soins infirmiers).

Pour rendre le parcours de soins plus efficace, une mesure simple est de concentrer les moyens les plus importants sur le premier recours, qui doit donc en termes humains et financiers représenter la priorité. Cela veut dire augmenter le nombre de pédiatres, de psychiatres, de médecins généralistes. Et leur donner les moyens réellement de faire leur travail de soin : libérer du temps de soin en éliminant l’administratif au maximum (voir suppression des certificats médicaux) et en revalorisant les honoraires en les mettant au niveau de la moyenne européenne.

Permanence des soins

La permanence des soins est le principe qui veut que le premier recours soit disponible en permanence lorsqu’un patient en a besoin. La médecine d’urgence est la principale actrice de la permanence des soins.

Actuellement, la médecine d’urgence traverse une crise profonde, car elle est utilisée à mauvais escient.

Souvent, elle joue le rôle de la médecine générale non urgente, en étant sollicitée pour des pathologies bénignes qui n’ont qu’un caractère gênant mais non urgent, car la médecine générale n’est pas disponible la nuit ou les jours fériés.

Or, la médecine générale et la médecine d’urgence, pour être toutes deux des médecines de premier recours, ne sont pas les mêmes métiers, et n’ont pas les mêmes buts.

La médecine générale doit dépister, diagnostiquer et orienter les patients dans un suivi long, chronique. Les patients reviennent voir leur médecin généraliste régulièrement et ont besoin de soins continus ou au moins chroniques, pour des situations qui ne mettent pas en jeu leur pronostic vital à très brève échéance. La médecine générale prend son temps dans des situations complexes mais non urgentes. Elle est aussi le temps de la prévention.

La médecine d’urgence doit diagnostiquer, traiter immédiatement et orienter éventuellement les patients souffrant de maladies ou affections mettant en jeu le pronostic vital à très court terme, et ayant donc besoin de soins immédiats. La médecine d’urgence est là pour répondre à un besoin ponctuel vital.

Faire jouer aux médecins urgentistes les médecins généralistes de substitution est, on le voit bien, catastrophique pour le système de soin dans son ensemble.

Mais demander aux médecins généralistes de jouer aux urgentistes est tout autant idiot.

Chacun son métier, chacun ses compétences.

Je propose donc de :

Rendre les services d’urgence à leur but véritable : les urgences. Cela en excluant complètement le remboursement des patients qui viendraient pour des soins non véritablement urgents et en développant l’éducation à la santé tout au long de la vie pour apprendre aux patients à faire la différence entre une pathologie gênante et une pathologie urgente. Bien entendu, il va de soi que les postes d’urgentistes, d’infirmiers et infirmières, d’aide-soignants et aide-soignantes dans ces services devront être augmentés pour leur permettre de faire face à leurs missions. Par définition, l’urgence peut frapper à tout moment, ces services doivent donc pouvoir être disponibles en permanence, jour, nuit, jours fériés, fins de semaine, vacances.

Rendre à la médecine générale sa véritable fonction : une médecine de suivi et de prévention, donc pas une médecine d’urgence. Pour cela supprimer les gardes sauf pour ceux qui veulent s’investir dans des services d’urgence s’ils le désirent et s’ils y sont correctement formés et former la population à comprendre qu’une pathologie gênante mais non urgente va pouvoir attendre quelques jours avant d’être prise en charge, ou que parfois même elle va guérir seule.

Cela veut dire faire comprendre à la population que la santé n’est pas un état de performance optimale permanent.

La protection sociale est la marque d’une société avancée

Faire appel à des professionnels formés a toujours un coût, qu’il est juste de faire supporter par une solidarité de la société dans son ensemble afin que chacun puisse y avoir recours lorsqu’il en a besoin.

Cela suppose que chacun participe au financement du système selon ses moyens et l’utilise selon ses besoins.

Cela suppose aussi une obligation de cotisation.

Cela suppose enfin que l’assurance maladie doit être universelle et gérée au mieux, sans faire entrer en considération des enjeux de profit ou de spéculation sur les montants de cotisation ou de prestation.

Cela exclu donc l’assurance privée, et induit trois propositions.

Extension de la CNAM à tous et à 100 % des soins

La caisse nationale d’assurance maladie publique, financée par les cotisations de chaque citoyen, doit donc prendre en charge la totalité des montants des soins, comme c’est le cas en Alsace avec le régime spécial, par exemple. Un régime qui marche bien depuis des décennies, sans déficit. Il est donc possible de construire un système de financement des soins qui soit pérenne, juste et qui exclut les assurances dont le seul véritable but est l’inflation des coûts pour maximiser les profits d’intérêts privés au détriment du patient et de l’intérêt de la collectivité.

Suppression des mutuelles

Puisque la caisse nationale d’assurance maladie remboursera les frais de soin à 100 %, il n’y a plus besoin de mutuelles ou d’assurances privées gérant ce risque, avec des coûts de gestion qui sont faramineux comparés à ce que sait faire le secteur public.

Cela entraînera mécaniquement une hausse de pouvoir d’achat des citoyens, et une meilleure couverture contre les risques de maladie.

Extension du remboursement aux psychothérapies

Pour sortir de l’inflation toujours plus grande de la consommation de médicaments psychotropes qui est galopante dans notre pays, tout en étant complètement inefficace, il suffit de rembourser l’accès aux psychothérapies modernes ayant fait la preuve scientifique de leur efficacité (thérapies cognitivo-comportementales, thérapies brèves).

Cela aura pour effet de diminuer drastiquement les taux de rechute des patients pour ces affections mentales, et dans le même temps de diminuer les coûts de remboursement en médicaments chroniques, dans le traitement des effets secondaires de ces traitements médicamenteux psychotropes, et donc de remettre plus rapidement les patients en capacité de travailler, ce qui va mécaniquement augmenter les bénéfices collectifs (plus de cotisations sociales, plus de rentrées d’impôts, plus de consommation).

La santé, affaire de tous

La société dans son ensemble doit considérer la santé comme une affaire prioritaire dans les missions de l’État. La bonne santé des citoyens est une condition pour toutes les autres stratégies.

Pôle public du médicament

Ces dernières années, les ruptures de stock de médicaments sont de plus en plus fréquentes, longues et impactent de plus en plus la sécurité des citoyens.

Ces ruptures sont dues en partie à la primauté des intérêts commerciaux des firmes pharmaceutiques sur l’intérêt collectif de la population.

Puisqu’il n’est pas pensable de nationaliser les firmes pharmaceutiques, il est envisageable de créer une Agence du Médicament dont une des missions sera de produire sur le sol national les substances qui auront été considérées comme stratégiques pour la nation : antalgiques, antibiotiques, par exemple. Ces substances seront des molécules tombées dans le domaine public, peu chères à produire, mais essentielles au maintien de la santé de la population.

Ce pôle public du médicament pourra en outre offrir des emplois, qualifiés.

Démocratie sanitaire

Le système de soin est actuellement piloté par l’État via le ministère de la Santé et les Agences Régionales de Santé (ARS), par les négociations entre la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et les syndicats médicaux.

Il manque une actrice majeure : la population elle-même. Y compris les médecins et les autres soignants, qui sont soumis à la décision de syndicats non représentatifs de leurs sensibilités.

Je propose donc la création d’une assemblée citoyenne qui sera obligatoirement associée à toute décision prise sur le système de soin (taux de remboursement, honoraires, etc.). Cette assemblée sera constituée à parts égales de professionnels tirés au sort et de citoyens non spécialistes tirés au sort également. La participation à une telle assemblée sera obligatoire, comme pour la participation à un jury d’assises.

Ses décisions auront le même poids que les autres instances de décision (CNAM, syndicats, État).

L’ARS ne doit être qu’une instance exécutive chargée de mettre en œuvre les décisions de cette assemblée citoyenne. Sa direction devra être nommée par l’assemblée citoyenne.

Réforme de l’Ordre des Médecins

L’Ordre des médecins doit avoir une mission double :

Protéger les patients des éventuels abus des soignants, en veillant à l’application de la déontologie médicale.

Protéger les soignants des éventuels abus des patients.

Ainsi je propose que sur le même principe de tirage au sort avec participation obligatoire, le Conseil de l’Ordre soit formé de médecins obligatoirement en exercice, et que deux citoyens tirés au sort également en soient membres de droit pour un mandat. Que les mandats soient renouvelables une seule fois.

Qu’une plainte d’un patient envers un soignant ou d’un soignant envers un patient soit d’abord jugée en recevabilité avant d’être instruite, afin de minimiser l’impact des procédures de justice ordinale sur la santé mentale des uns et des autres.

Des soignants dont on prend soin

Pour qu’un soignant puisse prendre soin d’un patient, il doit être lui-même en état de le faire, donc il doit être dégagé de toute pression et de tout conflit d’intérêts, suivre une éthique et une déontologie qui lui interdit de pratiquer son art comme un commerce, mais également qui l’éloigne des tentations. Il doit donc pouvoir correctement vivre de son activité.

Revalorisation de la rémunération

Dans cet esprit, je crois qu’il faut considérer qu’un soignant a le droit de prétendre à une certaine valorisation de son expertise, d’autant qu’il apporte à la société un service non négligeable.

La rémunération des médecins doit donc être à la hauteur.

Si la rémunération à l’acte est encore perçue comme le socle indispensable de cette rémunération, cet acte doit être réévalué pour entrer dans la moyenne européenne (44 €), et ceci immédiatement.

Si la part forfaitaire de la rémunération est vue comme souhaitable, celle-ci doit permettre au soignant d’avoir le temps de prendre en considération tous les paramètres de la personne malade qu’il a en face de lui. Elle doit donc lui permettre de faire son travail sans pression sur le temps ou la rentabilité, la cadence horaire ou journalière.

Suppression de la ROSP

La rémunération sur objectifs de santé publique, actuellement en vigueur, est inspirée des expériences menées dans les pays anglo-saxons. Il est à noter qu’elle a été abandonnée dans plusieurs de ces pays, car prouvée comme inefficace et délétère pour la qualité des soins qu’elle prétendait augmenter.

La ROSP doit donc être supprimée et les montants alloués à l’augmentation de la valeur de l’acte médical.

Le patient, droits et devoirs

Le patient, raison d’être du système de soin, a donc bien évidemment le droit de l’utiliser s’il en a le besoin. Le droit également de bénéficier de toutes les ressources du système qui sont pertinentes dans son état et pour ses besoins.

Il a cependant aussi des devoirs.

  • Participer aux assemblées citoyennes sur la santé s’il est tiré au sort.
  • Respecter les professionnels de santé et honorer ses rendez-vous, prévenir en cas d’empêchement.
  • Respecter l’organisation du système de soin.

La prise en charge ou le remboursement des frais pourront être conditionnés au respect de ces règles.

Des professionnels de santé formés correctement

Le cursus actuel des études médicales ne met pas assez en avant la dimension humaine et psychologique du métier de soignant.

Faire intervenir des psychologues cliniciens dans les études, ainsi que la formation à des compétences clefs comme l’annonce de diagnostics, la prise en charge multidisciplinaire de certaines pathologies (douleurs complexes) est maintenant nécessaire.

De la même manière que des professionnels paramédicaux doivent être partie prenante de la formation des médecins, les médecins doivent intervenir dans la formation des professionnels paramédicaux.

L’interdisciplinarité et la connaissance du rôle de chaque profession afin d’en optimiser la complémentarité pour la prise en charge des patients doivent se développer et être incluses dans la formation de tous les soignants.

L’apprentissage à l’hôpital, qui concentre une population de pathologies lourdes et non habituelles, doit devenir une exception à terme. Les étudiants en médecine doivent être d’abord formés aux soins de ville. Chaque médecin en exercice devrait prendre en stage régulièrement des étudiants, et chaque étudiant devrait avoir comme tuteur un médecin en exercice qui le suivrait durant toutes ses études. Pour cela, il faut généraliser le statut de maître de stage universitaire et rémunérer correctement cette activité.

L’hôpital comme un troisième recours

Le système français est centré sur l’hôpital, alors qu’il ne prend en charge que les cas les plus complexes et les plus lourds. Ses missions doivent être recentrées sur ces pathologies. Il n’a pas vocation à être le modèle du reste du système de soin.

Il doit plutôt représenter le troisième recours, la troisième ligne après la médecine générale ou d’urgence et la médecine spécialisée.

Le numérique en santé : des garanties solides

Les usages informatiques et numériques ont bouleversé nos vies, mais il est essentiel qu’ils ne transforment la relation de soin que pour un mieux. Aussi, face aux risques de piratage, de mésusage des données, de discrimination, le numérique dans la santé doit-il être très fortement encadré.

Un véritable dossier médical numérique bien gardé

Le principal atout du numérique, outre sa longue mémoire, est la possibilité de le consulter depuis n’importe quel endroit, ce qui crée de facto un véritable dossier médical partagé.

Mais contrairement au dispositif actuel, entre les mains de la structure de l’assurance maladie, donc potentiellement de l’assureur privé si une loi le décidait, le dossier médical partagé devrait être hébergé par une entité non commerciale. L’Ordre des Médecins me paraît le plus indiqué, si on lui en accorde aussi les moyens financiers.

En effet, il faut s’assurer que ce dossier sera protégé par les meilleurs dispositifs de sécurité possible, accessible en permanence, infalsifiable et pérenne.

En confier la garde au Conseil de l’ordre permet de s’affranchir du risque de conflit d’intérêts entre le payeur des soins (l’assurance publique ou privée) et le secret médical. Cela permet d’éviter que des données sensibles soient utilisées à des fins commerciales ou de discrimination.

Les dispositifs médicaux connectés

Leur utilisation est poussée par des firmes commerciales qui ont fait de la santé un vrai marché. Avec le sous-entendu constant de faire du profit grâce à cela.

Les données récoltées sont cependant sensibles. Elles sont toutes liées à l’intimité de la personne qui porte ces objets connectés médicaux ou à visée de soin.

Afin de garantir que ces données ne seront pas utilisées à mauvais escient, je propose que tous les objets connectés aient l’obligation de déposer leurs données de façon anonymisée dans le coffre-fort numérique gardé par l’Ordre des médecins, et uniquement à cet endroit-là. Ces données ne seraient plus accessibles ensuite qu’à des personnes désignées par la personne elle-même, et seulement à des fins de recherche ou de soin.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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