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Le Choix des Anges en précommande

Le Choix des Anges en précommande

Le Choix des Anges en précommande

Tout est dans le titre, ou presque.

Après de nombreuses années d’efforts souvent entrecoupés hélas par les vicissitudes de la vie, je suis arrivé au bout de l’écriture de ce deuxième roman, puis au bout de sa préparation pour une publication en autoédition.

Le Choix des Anges est donc disponible en précommande tant dans sa version papier (livre broché de 296 pages en format A5, au prix de 12,66 €) que dans sa version numérique (format ePub, au prix de lancement de 2,99 €). Il sortira officiellement le 20 mars 2018, date à laquelle vous pourrez le lire véritablement. La version Kindle est en préparation et sera disponible le 20 mars également.

Vos commentaires et vos partages sont bien entendu les bienvenus.

Quant à moi, après avoir bouclé un mémoire professionnel qui attend une relecture depuis 2 mois, je vais pouvoir lancer un nouveau projet : Fée du Logis, dont l’écriture est tout juste entamée.

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Version papier

  • Date de publication 2018 (1ère édition), 2021 (2e édition)
  • Urban fantasy
  • 292 pages
  • Format A5, couverture rigide à signet
  • ISBN 9791093734033
  • Prix : 24€
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Version numérique

  • Date de publication 2018 (1ère édition), 2021 (2e édition)
  • Urban fantasy
  • Format ePub3 compatible ePub2 et Kobo
  • 1,4 Mo sans DRM
  • ISBN 9791093734026
  • Prix : 5,99€
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Version livre audio

  • À paraître en 2021 (texte de la 2e édition)
  • Lu par l'auteur
  • Urban fantasy
  • Formats .mp3, .m4b
  • 40 Mo
  • Prix : 14€
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Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Jeu de Rôle

Le Choix des Anges, les 3000 premiers mots

Le Choix des Anges, les 3000 premiers mots

Le Choix des Anges, les 3000 premiers mots

Malgré les difficultés et les obstacles que la vie pose sur son chemin, mon deuxième roman avance peu à peu. Il atteint actuellement la barre fatidique des cinquante mille mots, la dépasse même quelque peu. Il fera certainement dans les soixante dix mille une fois terminé.

Mais la gestation est longue, elle est parfois frustrante. Car je ne peux pas passer autant de temps que je le voudrais dans l’écriture. La fatigue physique qui me guettait depuis deux ans comme un félin pervers à l’affût m’a rattrapé il y a peu et a planté ses griffes dans ma chair. Comme tous les félins pervers (pléonasme ?), cette bête-là joue avec moi. Je dois donc ralentir mon rythme d’écriture, quand je voudrais tant l’augmenter. Mais les exigences de la vie font que d’autres priorités viennent percuter mes envies profondes.

La bonne nouvelle est que cet état aura une fin, une fin prévisible, même, puisque les ajustements professionnels qui sont à l’origine de mon épuisement seront enfin passés, digérés, résorbés, métabolisés d’ici l’été. Je prévois donc une accalmie à la rentrée, et si le plan se déroule sans accroc, Le Choix des Anges devrait sortir de la matrice au début de l’automne.

Mes bêta-lecteurs (qui sont loin d’être des lecteurs bêtas) seront alors les premiers à poser leurs yeux sur l’aventure noire et surnaturelle d’Armand et de Marianne. Une fois leurs retours intégrés et les inévitables corrections faites, le livre devrait sortir avant la fin de l’année.

Il prendra deux formes : une incarnation de papier bien concret, et une incarnation numérique, puisqu’il est juste que l’océan des données informatiques mondial puisse lui aussi s’en nourrir. Après tout, les algorithmes aussi ont le droit de s’évader en lisant un bon bouquin !

Je voulais cependant partager avec vous ce qui semblerait être devenu les premières pages du livre, après la refonte totale que j’ai entamée en septembre dernier. Il se pourrait que ce soit cette fois le véritable début de la narration, même si je ne peux garantir que mon choix soit définitif. Comme dirait un petit bonhomme vert de ma connaissance « toujours en mouvement est l’avenir ».

Je vous livre donc un peu plus des premiers mille quatre cents mots du livre. Une introduction in media res.

Et si vous voulez en savoir plus sur la genèse du Choix des Anges, vous pouvez aussi lire les articles que j’y ai déjà consacrés.

Un commencement est une chose fragile, délicate, précieuse.

Car au commencement, il n’y a pas vraiment la lumière. Mais bien l’ombre. L’ombre contient en elle-même tout ce qui n’est pas encore réalisé, et cependant qui pourrait l’être.

C’est un choix qui fait sortir la lumière hors de l’ombre. L’étincelle divine qui scinde l’incréé.

Alors la Création se déploie. Chaque acte, chaque mot, chaque idée, tout naît de cette étincelle primordiale qui désormais donne naissance à mille rayons de feu sans cesse renouvelés à chaque moment de notre existence.

Nous prenons à cet instant-là un chemin qui se déroule au fur et à mesure que nous le parcourons. Des lignes de lumière émergent de nos choix en permanence, pour l’éclairer et nous guider.

Parfois, on peut se demander comment cet enchaînement de choix et de conséquences nous a conduits là où nous en sommes. En se retournant sur son chemin, il est vertigineux de se rendre compte de l’improbabilité de ses méandres.

C’est le lot de chaque être vivant doué de conscience en ce monde.

C’était mon lot comme c’est le vôtre.

Si j’en avais vraiment eu l’occasion, j’aurais pu m’étonner ou rire intérieurement de la position dans laquelle je m’étais enferré lorsque tout cela a vraiment commencé. Outre que je n’en avais pas le loisir, maintenu par une poigne d’acier et frappé en tous sens, j’aurais peut-être déjà aperçu un pan de la vérité. Déjà, à ce moment-là, les lignes de mes avenirs n’étaient plus aussi claires. Elles avaient entamé leur métamorphose. Elles étaient plus floues, et se chevauchaient les unes les autres, se recoupant même à différents points précis. À dire vrai, définir le moment exact du commencement était déjà impossible. Je le sais maintenant.

Même alors, quand la douleur me vrillait la chair et que la volonté de survivre occupait toutes mes pensées, je pus confusément sentir la présence de ces lignes de lumière qui s’entremêlaient si bien que mon existence se déployait non pas de façon linéaire, mais selon différentes strates d’une seule réalité.

Des fragments de sons, d’images, de sensations, me percutaient avec autant de violence que les coups assénés sur mon corps. Les phrases se mélangèrent. Les contours de la réalité se firent plus imprécis, les visages se substituèrent à d’autres. Les odeurs se confondirent les unes aux autres. Ma tête se fit lourde et bascula. J’entendis à peine le Comte de Flamarens cracher son mépris.

— Je suis déçu de votre réponse, mon ami.

Le coup de poing ganté fit exploser la peau de ma pommette gauche avec un bruit mat, ébranlant l’une de mes dents et faisant jaillir une nouvelle gerbe de sang dans la nuit. Le goût âcre de métal s’insinua dans ma bouche, sur ma langue déjà gonflée. Je finis par renifler bruyamment et cracher à terre.

— Si c’est tout ce dont votre chien de chasse est capable, vous feriez mieux d’en changer, Monsieur le Comte.

Mon ton était plus bravache encore que je ne l’avais voulu. La sanction ne se fit pas attendre et un nouveau coup atteignit ma tempe.

— Qui tu traites de chien, face de rat ? Quand j’en aurai fini avec toi, tu regretteras d’avoir encore une gueule, et tu me supplieras de t’achever. Et je sais pas si je le ferai.

Serge avait mieux ajusté, cette fois. Mais il commençait à perdre patience. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une ouverture ne se présente.

Le sourire goguenard du Comte de Flamarens vint interrompre mes pensées. Sa figure aristocratique me toisait avec dédain, mais intérêt. À ce moment-là, je ne pouvais savoir pourquoi.

— J’admire vraiment votre pugnacité, Monsieur de Saint Ange. Mais elle est totalement inutile en l’occurrence. Quant à vous, Monsieur de Saint Amans, je veux vous confesser quelque chose, en guise de bonne volonté.

Le ton mielleux contenait une menace délibérée qui lui donnait une résonance macabre. Pierre, ficelé à un pilier de granit moussu tout comme moi, son verre de lunettes droit fendillé et ses vêtements déchirés par la lutte qui nous avait opposés à nos adversaires, regardait le Comte de Flamarens avec un courage teinté de fatalisme.

— Je vous l’ai dit, Monsieur le Comte, nous n’avons parlé à personne de ce projet, depuis le jour où vous nous avez envoyé votre commande jusqu’à ce soir. Les plans de l’instrument sont restés enfermés dans un coffre de l’atelier, nos données numériques ont été cryptées avec l’algorithme que vous nous avez fourni, nous avons brûlé le reste, et personne n’a été admis à entrer dans l’atelier lorsque nous y avons travaillé, tous volets clos. Depuis un an, nous n’avons pas accepté d’autre commande, et l’atelier est resté fermé tout ce temps. Vous pouvez me croire, Monsieur le Comte. Nous avons le plus grand respect pour vous et nous avons fait selon vos volontés depuis le début…

Flamarens le coupa.

— Voyez-vous, plus encore que la pugnacité de votre élève, j’admire les personnes capables de confiance. C’est si difficile à gagner, mais surtout à garder, la confiance. Si difficile que je ne suis pas loin de la considérer comme le trésor le plus précieux qui soit dans la vie. Car lorsque l’on peut se reposer sur cette certitude qui prend racine dans la relation entre deux personnes, la vie semble vous rendre les choses plus faciles. On possède une foi capable de soulever les montagnes. Le sommeil est plus facile à trouver, quand vient la nuit. Nul besoin de regarder sans cesse derrière son épaule pour surveiller ses arrières. Ceux qui ont cette capacité à faire confiance sont bénis des dieux, ne croyez-vous pas ?

La question était toute rhétorique, bien entendu, mais il la posa tout de même. Si le discours était adressé à Pierre, il était en réalité destiné à Marianne, la propre fille de Flamarens, dont la lèvre était coupée et meurtrie presque autant que la mienne. Elle était fermement maintenue par Renaud, l’autre sbire de son père, au milieu des ruines d’une vieille église gothique, seulement éclairées par les puissantes lampes qu’ils avaient rapidement déposées çà et là. Elle ne quittait pas son père des yeux, si perçants et si beaux, pourtant acérés et meurtriers à ce moment-là. Sa mise étudiée de jeune femme de bonne famille était ruinée par les traces qui maculaient son bustier, les déchirures de sa robe, les branches qui l’avaient décoiffée.

— J’aimerais être ce genre d’homme. Vraiment. Et j’ai essayé, vous pouvez me croire. J’ai essayé aussi fort que je le pouvais. Mais hélas, trois fois hélas, il se trouve que j’en suis incapable. Je ne sais pas. Je ne peux pas. Avec le temps, j’ai fini par penser que je n’étais tout simplement pas destiné à l’être. Voilà pourquoi je ne suis pas convaincu par votre réponse. Vous m’en voyez tellement désolé.

Comme si cette simple phrase avait été un signe ardemment guetté, Serge frappa à nouveau. Mon foie. Il savait où porter le coup pour obtenir une douleur maximale. L’onde de choc mit quelques fractions de seconde à m’atteindre. J’eus l’impression que ma cage thoracique explosait.

— Je crains fort de devoir pousser votre élève dans ses retranchements pour être vraiment sûr que vous ne me cachez rien. Vous comprenez sans doute que je doive m’assurer que vous n’avez parlé à personne de notre arrangement et que toutes les règles que j’avais exigées ont été respectées. C’est d’une importance vitale pour mes projets.

— Vous êtes un vrai malade, Flamarens.

Serge me fit taire à nouveau, puis il se recula, mit sa main dans sa poche de pantalon et en ressortit un petit objet métallique qu’il ouvrit d’un bruit clair. À travers le rideau de sang qui me recouvrait en partie les yeux, je vis le reflet d’une lame.

— C’est une intéressante hypothèse, mon cher ami. Et je suppose qu’elle n’est pas dénuée de vérité. La méfiance est sans doute une maladie, après tout. Mais je ne connais qu’une seule façon d’y remédier.

Serge prit ma main gauche et la lame commença à piquer ma peau.

— On va y aller tout doux, mon beau. D’abord une phalange, puis une autre, et une autre. Puis j’attaquerai la main elle-même, et pour varier les plaisirs, j’enfoncerai juste la pointe de quelques centimètres dans les plaies déjà ouvertes, et je tournerai. Dans un sens, puis dans l’autre. On va bien s’amuser, tu vas voir…

Le tranchant entama la peau de mon petit doigt. Doucement, lentement. Comme lorsqu’on prend le temps de peaufiner la taille d’une éclisse de violon. Je m’efforçais de ne pas crier, supportant chaque vague de souffrance comme on aborde un nouvel adversaire sur le ring. Je soufflais, expirais, inspirais, rapidement, bruyamment.

— Arrête, Charles ! Tu vois bien qu’ils n’ont rien dit ! Laisse-les partir !

Serge s’arrêta, le métal encore hésitant entre le muscle et le tendon.

Flamarens se retourna vers sa fille, une rage visible déformant son visage en une caricature pathétique. Il écumait mais continua de s’adresser à Pierre.

— Savez-vous ce que ça fait, Monsieur de Saint Amans, de ne pas atteindre le but qu’on s’est fixé, malgré tous les efforts que l’on a pu faire ?

Il planta ses yeux dans ceux de sa fille. Ils soutinrent leur duel muet de longs instants. Puis le père continua à parler sans briser l’affrontement.

— On se sent trahi. On se sent déçu. Profondément. De confiance, il ne peut plus en être question. On voit soudain toute la réalité des choses, dans leur entière cruauté, dans leur nudité crue. On est seul, Monsieur de Saint Amans. Irrémédiablement seul. C’est en prenant conscience de cette vérité première, cependant, qu’on se libère vraiment. Et que l’on fait ce qui doit l’être pour accomplir son véritable destin.

Il dirigea le révolver vers Marianne.

— M’empêcher de nuire, c’est bien ce que tu veux ? Et dis-moi, ma fille, qui a bien pu nuire à l’autre durant toutes ces années ? Je ne te demandais pas grand-chose à part respecter le nom que tu portes. Même ça, tu n’en as pas été capable. J’ai passé l’éponge sur toutes tes frasques, j’ai même accepté tes fréquentations et je ne t’ai pas punie lorsque tu as délibérément mis notre famille en danger pour me nuire. Oui, me nuire, à moi, ton père ! Mais ça, ma fille, je ne peux pas te le pardonner. Tu ne te mettras pas en travers de mon chemin. Et d’ailleurs, tu pensais vraiment que j’étais aussi faible que ça ? Qu’il suffisait de me pointer une arme dessus pour que je m’effondre en pleurant ? Tu penses que tu pourrais être capable de me tuer, simplement ? Comme ça ?

Le coup de feu prit tout le monde de court. Encore aujourd’hui il retentit dans ma tête, mêlé au cri d’horreur que poussa Marianne. Quand après une fraction de seconde j’ai compris que ce n’était pas sur sa fille que Flamarens avait tiré, et que j’ai vu la tâche écarlate s’étaler sur la chemise blanche de Pierre, le monde a soudain basculé. Pierre était avec René ma seule famille, le seul repère dans ma vie depuis aussi longtemps que je m’en souvenais. L’univers s’est contracté autour de lui. Il respira soudain si difficilement, ses traits déformés par la douleur, son souffle court, et ses mains s’agitèrent pour trouver la force de chaque battement de cœur. Je ne pouvais pas y croire. Tout le reste devint brumeux et me parvint avec décalage. Ma tête résonnait encore de l’explosion. Je ne percevais plus rien d’autre que la douleur de Pierre, sa lutte pour survivre. Cependant, même à cet instant, il était déjà évident pour moi qu’il ne tarderait pas à perdre ce combat-là. Marianne se dégagea de la poigne de Renaud pour se ruer vers le corps de Pierre qui glissait déjà à terre. Elle chercha à comprimer la plaie par laquelle s’épanchait un sang trop noir avec un morceau de tissu arraché à sa robe. Même dans la lumière incertaine et crue des lampes, il me fut facile de comprendre que le flot ne cessa pas vraiment. Les vêtements de Pierre devenaient peu à peu plus poisseux et pourpres. La vie voulait sortir de son corps, et chaque flot épais en charriait plus que la terre ne pouvait en boire avidement. Tant et tant qu’une flaque plus sombre commençait déjà à se former près de lui, qui teintait les lichens et les pierres. Il voulut parler mais ne put prononcer la moindre parole. À chaque effort son visage devenait plus pâle, ses membres se faisaient plus lourds, ses doigts plus gourds. Puis tout à coup son regard se figea, sa respiration se suspendit à l’infini, son cœur s’arrêta. J’ai senti le mien se serrer.

Flamarens s’était rapproché. Il était tout à côté de nous maintenant.

Il tenait la cithare entre ses mains. Celle que Pierre et moi avions mis une année entière à fabriquer selon ses plans.

Une cithare, une simple cithare. Un instrument vieux comme le monde, utilisé par les Hébreux et les antiques Chinois. Sa forme, cependant, se rapprochait plus du dessin organique d’une feuille d’érable que de la simple géométrie d’un instrument classique. Ses dix cordes de longueurs différentes étaient placées non pas de façon parallèle mais suivant un agencement qui paraissait défier toute logique. Aucun musicien de ma connaissance n’aurait cru possible d’en sortir un son.

Car Charles de Flamarens n’avait pas désiré une cithare banale. Descendant en ligne directe d’un seigneur médiéval dont la légende vantait la cruauté, il avait presque réussi à éclipser l’aura de son aïeul. Il détenait une fortune colossale qui lui assurait un pouvoir incontournable sur la région et qui lui servait entre autres à corrompre les autorités locales pour satisfaire ses excentricités. Il était connu pour être un grand amateur d’art, de ceux qui ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins. Pour parfaire le tableau, sa réputation voulait qu’il s’intéresse également à l’occulte. De sombres histoires courraient à son sujet, qui ne se murmuraient que dans le secret des alcôves. Des histoires de chair et de sang.

Dans le sang qui s’étalait désormais à nos pieds, le sang de Pierre qui emportait toute sa vie, il déposa avec soin la cithare. Le bois happa le liquide rouge. Il se teinta peu à peu, comme s’il changeait d’essence. Charles s’assura que l’instrument entier s’imprègne d’écarlate. Il ne souriait pas, soupira.

— C’était un mal nécessaire, hélas. Il manquait une chose, un élément essentiel à l’instrument que vous m’avez apporté ce soir. Afin qu’il soit complet, le bois doit être imbibé du sang de son créateur. Je n’avais donc d’autre choix que de sacrifier Pierre. J’en suis désolé. Il était un grand luthier.

J’ai à peine entendu ce qu’il était en train de dire. Je ne comprenais qu’une chose. Pierre venait de mourir sous mes yeux et c’était cet homme qui l’avait tué. De sang-froid. Je voyais son visage tout près du mien. Une fureur incontrôlable s’est emparée de moi.

Et apparemment aussi de Marianne.

Elle parvint à saisir, en jouant de l’effet de surprise, le révolver que tenait son père, et à l’en frapper de la crosse. Flamarens tomba à terre, et elle braqua aussitôt le calibre vers Serge.

— Libère-le, Serge. Maintenant.

Le couteau hésita encore, mais la jeune femme tenait son arme fermement et on ne pouvait douter de sa détermination. La lame trancha mes liens au lieu de trancher ma chair.

Mon poing droit vola instantanément, pour s’écraser en plein dans le visage couturé de Serge, qui partit à la renverse, couché pour le compte.

Renaud tenta de dégainer son arme, mais Marianne surprit son geste et tira une sommation. Il resta pétrifié et laissa tomber le révolver.

Je me ruai vers Flamarens à terre, agrippant sa gorge dans une rage meurtrière. Il lutta faiblement mais il n’était pas de taille et j’ai commencé à serrer, serrer, serrer. Je n’avais qu’à peine conscience de ce que je faisais. Tout était rouge, tout était noir. Tout était violence et souffrance.

Une main se posa doucement sur mon bras. Je vis le visage de Marianne. Cela m’arrêta net, comme si le simple contact de sa main avait brisé mon aveuglement, comme si notre long tête à tête dans la voiture avait laissé des traces en moi. Une porte ouverte.

Renaud avait récupéré son arme et nous tenait en joue, mais n’osait pas agir par crainte de blesser son employeur.

Je compris que si je ne revenais pas à la raison, nous irions rejoindre Pierre dans un monde meilleur.

— Lâchez votre arme.

Je raffermis ma prise afin de montrer que je ne plaisantais pas. Mais je crois que mon expression était déjà suffisamment éloquente.

Marianne, voyant que le majordome obéissait, s’empressa de ramasser la cithare dont le bois couleur d’automne était maintenant luisant. Après un signe de sa part, je déroulais brusquement mon bras en lâchant ma prise et dans le même mouvement je lâchai un violent crochet du gauche qui envoya Charles de Flamarens valdinguer à travers les pierres. Lorsque son crâne heurta les restes d’une colonne, il s’immobilisa, sonné. Dans l’élan, Marianne et moi nous sommes mis à courir en direction de la voiture, à travers les ruines illuminées par la pleine lune.

Moins d’une centaine de mètres nous séparaient de la voiture noire qui était notre seule vraie chance de salut. Je crois n’avoir jamais couru aussi vite de mon existence. À chaque bond, je m’efforçais de garder les yeux fixés sur l’endroit où était posée la masse sombre de métal luisant. J’avais conscience de la présence de Marianne un peu derrière moi mais rien ne comptait plus que de se rapprocher du but.

Soudain, à une distance que je ne saurais estimer, une brutale impulsion éclata dans mon esprit. Je m’immobilisai, manquant de faire trébucher Marianne, et un son étrange, un mot que je ne connaissais pas jaillit de ma bouche.

Une image s’imposa d’elle-même.

L’image d’un homme d’âge mûr, la quarantaine robuste, dont le costume de soirée ne pouvait totalement dissimuler la carrure imposante. Cet homme qu’à peine une heure plus tôt j’avais croisé dans le jardin luxuriant qui servait d’écrin à la demeure du Comte de Flamarens.

Le souvenir de ce début de nuit revint à ma mémoire, syncopé, désordonné, et pourtant porteur d’un sens nouveau.

Le parc tout entier avait été éclairé par des milliers de bougies pour la Fête du Solstice. Les lueurs captives de lanternes de métal dansaient de façon mystérieuse sur les robes de soirée chatoyantes et dénudées des jeunes femmes ou sur les formes menaçantes ou grotesques des statues d’êtres mythologiques qui peuplaient l’endroit.

L’homme semblait être plongé dans la contemplation du reflet des étoiles et de la lune dans l’eau d’un bassin. Il portait une barbe bien taillée et aussi noire que la nuit. Machinalement, je tournai la tête dans sa direction. Presque au même instant, il se désintéressa de la surface liquide pour me regarder droit dans les yeux. Je fus capté par ce regard, aussi profond que le rêve le plus sombre. Quelques fugitives secondes, j’eus la sensation que mon environnement s’était rétréci pour se résumer à ce regard. Plus rien ne parvenait à attirer mon attention. Les bruits s’assourdirent. La lumière faiblit. Il a ostensiblement regardé le coffret que je portais dans mes bras. Puis quelque chose brisa le silence. J’eus la certitude que sans remuer ses lèvres, il m’avait chuchoté quelque chose. Une phrase dont je ne parvenais pas à saisir le sens et dont pourtant je savais qu’elle s’éclairerait au moment voulu, comme un jeu de mots ou un proverbe dont on comprend enfin, des années plus tard, le sens profond.

En pleine fuite dans la nuit, je venais juste de prononcer l’un de ces mots étranges, incompréhensibles mais lourds, que j’avais cru entendre dans le jardin de Flamarens. Presque aussitôt, un son étrange fit écho à celui que je venais de prononcer. Une note de musique d’une telle majesté qu’elle produisit en retour un silence plus complet que si le monde s’était arrêté de tourner, ou si la Création dans son ensemble avait retenu son souffle.

Un son véritablement divin. La cithare répondait.

Cela paraissait étrange, même à ce moment-là.

Ce son rappelait les autres, ceux de la Fête du Solstice au Manoir des Flamarens, que nous avions quitté quelque temps plus tôt. La plus courte nuit de l’année et son cortège de festivités débridées avaient toujours suscité chez moi une fascination proche de la ferveur religieuse, même si je n’ai jamais cru en un quelconque Dieu, ni en aucun de ses saints, et encore moins aux anges et aux démons. J’étais encore bien naïf à cette époque-là, même avec mes vingt-huit ans. Pourtant je sentais confusément que cette ambiance hors du temps naissait de quelque mystère ancien et cela me mettait à chaque fois dans un état d’esprit étrange.

Une heure plus tôt, autant dire une éternité, le coffret de bois laqué que je gardais dans mes bras n’était pas le seul à occuper mes pensées. Deux jours plus tard devait avoir lieu le combat pour lequel je me préparais depuis dix ans : le tournoi de Saint Gilles. Le remporter me conférerait le statut d’Initié de Saint Gilles, je deviendrais l’un des sept Maîtres de l’art de la boxe. Dix ans plus tôt, Yvain le Bel, le plus vieux et le plus respecté des Sept, avait fini par mourir, et les tournois de sélection pour trouver son successeur avaient débuté dans tout le pays. J’avais aussitôt désiré tenter ma chance. Je boxais depuis des années déjà, guidé et entraîné par René de Saint Antoine, un ancien élève d’Yvain. Il m’avait jugé prêt, il m’avait fait confiance, et j’avais entamé le long processus de sélection, enchaîné les combats durant dix longues années, pour me hisser jusqu’au tournoi final. Celui qui aurait lieu deux jours plus tard.

Dans la voiture noire de Pierre, je me sentais écartelé entre mon désir de gagner le combat des Initiés, et mon regret de quitter, si je le remportais, la douce routine de l’atelier de lutherie. Les gens s’étaient toujours étonnés de l’apparente dichotomie de ma vie, campée entre les gestes précis, méticuleux, doux et artistiques de la facture d’instruments, le contact chaud du bois, la faculté de créer, et les explosions brutales de force destructrice, la sueur, le sang et les cris, la rage de vaincre, les chocs, les craquements des os, les hématomes et la fureur des combats de boxe. Mais j’étais ainsi fait, et si l’on considère ce que je suis devenu, tout ceci entre dans un schéma cohérent qui témoigne de ce que pouvait être mon Destin. Créer et détruire ne sont pas des actes si éloignés l’un de l’autre si on les considère comme les deux faces d’une même pièce.

Mais les gens n’ont pas ce regard-là.

Pour l’heure, ma vie était donc divisée entre ces deux pôles apparemment contradictoires. Mon travail de Compagnon Luthier dans l’atelier réputé de Pierre de Saint Amans, le plus grand facteur d’instruments de tout le pays. L’entraînement éprouvant et les combats de boxe sous la houlette de René, dans l’espoir de devenir l’un des Sept.

Et ce soir-là, c’était ma vie de luthier qui avait décidé de mon Destin.

À suivre, dans quelques mois…

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L’univers du Choix des Anges

L’univers du Choix des Anges

L’univers du Choix des Anges

Originellement destiné à être un court ou un moyen métrage, Le Choix des Anges s’est peu à peu transformé en un projet purement littéraire. Par manque de temps, par manque d’une équipe motivée, et aussi par choix personnel, l’œuvre est devenue une nouvelle, puis un roman, qui prend une forme plus approfondie, plus aboutie, sous cette enveloppe de mots, que je ne l’avais pensé au départ sous une apparence d’images animées.

Il se peut que dans plusieurs années le désir d’en faire un film puisse se concrétiser, mais pour le moment le cœur du projet est bien littéraire.

Et il avance. La rédaction du premier jet est depuis longtemps derrière moi. Actuellement, je travaille à lui donner une dimension plus profonde, plus réfléchie, plus mature. Une ambition plus grande. La réécriture avance à un bon rythme, et j’espère qu’elle sera achevée à la fin de l’année, pour remise en correction vers de nouveaux bêta-lecteurs en plus des anciens.

Cependant, tout le travail de réflexion sur le film qui devait être tourné (et qui le sera peut-être un jour) n’a pas été inutile, loin de là. Toutes ces heures de méditation et d’exploration de l’intrigue et de l’ambiance se retrouvent dans les mots mieux encore qu’ils n’auraient pu l’être imprimés sur la pellicule.

Elles m’ont aidé à construire un univers je l’espère à la fois cohérent et dépaysant, familier et fantastique.

Géographie et toponymie

L’ambition de départ était donc de construire un récit noir et fantastique qui chercherait à trouver de nouvelles images, une nouvelle esthétique.

Je me suis tourné vers l’idée de construire un monde où la nature pourrait jouer le rôle que la ville incarne dans la tradition des romans hard-boiled américains. Celui d’un cadre, d’un écrin, mettant en scène les désirs, les pulsions, les sacrifices, les renoncements, des personnages, eux-mêmes prisonniers de cet environnement.

En même temps, l’esthétique des romans gothiques et l’importance des bâtiments dans l’ambiance noire m’ont conduit à penser que le côté fantastique, voire mythologique, du récit serait renforcé par la présence d’un monde historique, d’un passé.

Voilà pourquoi rapidement mon imaginaire a fait émerger des paysages du vieux sud-ouest de la France, de cette région occitane qui a vu naître et s’épanouir le catharisme, qui a vécu la guerre de religion qui y mit fin comme celles qui déchirèrent les catholiques et les protestants. Des centaines de châteaux en ruines, de vieilles églises, de bâtisses médiévales ou renaissance sont posés dans un cadre vallonné ou escarpé tour à tour, parsemé de bois, de forêts ou de champs.

Plus particulièrement, c’est un mélange de paysages du Lauragais, du Gers, des Corbières et du Minervois qui ont ainsi structuré mes décors : des collines sur lesquelles sont perchées de vieilles fermes de briques ou d’antiques châteaux, des demeures de maîtres, des manoirs, des églises fortifiées. La présence des pins, des cyprès, une végétation qui rappelle un peu la Toscane.

J’ai construit le récit autour d’un village médiéval aux habitations de pierre grise qui pourrait être Bruniquel, Cordes, Lagrasse, ou Minerve. Un village assez grand, assez ancien, assez mystérieux, à l’histoire assez tourmentée pour accueillir l’intrigue biblique qui emporte Armand et Marianne, mais assez petit pour que la nature alentours ait un rôle, celui d’un océan qui met à distance le reste du monde. Et rende crédible les événements fantastiques tout en plaçant un flou volontaire sur l’époque où tout est sensé se dérouler.

C’est donc naturellement que les noms de lieux et les noms des personnages font référence à nos contrées.

Le village, dont Armand porte le nom, est Saint Ange. Le tournoi de boxe est celui des Initiés de Saint Gilles. Le maître luthier d’Armand est Pierre Saint Amans. Le père de Marianne est le Comte de Flamarens.

Costumes, habitudes, technologie… fantastique

J’ai été marqué par plusieurs œuvres qui ont osé mêler des ambiances et des époques différentes pour construire une véritable couleur originale. La principale est Caprica, la série préquelle de Battlestar Galactica, qui réussit à construire un tout cohérent en mélangeant la mode des années quarante et cinquante à une technologie informatique et spatiale, comme Matrix l’avait fait en incorporant une esthétique punk (voire cyberpunk) à une couleur gothique. Ou Bienvenue à Gattaca d’une manière encore différente.

Ainsi, j’ai repris la mode des années quarante et cinquante, celle de l’âge d’or du noir (Le faucon maltais, pour ne citer que lui), en y poussant notre technologie actuelle : tablettes tactiles, piratages informatiques, réseau internet. Marianne se trouve dans le rôle de la hackeuse sinon de génie, du moins très douée.

Les voitures sont toutes des berlines noires, les hommes portent le chapeau de feutre à la Bogart, les femmes fument des porte-cigarettes, un peu comme dans la série de photographies qu’Annie Leibovitz avait réalisée en 2007 pour le Spécial Hollywood de Vanity Fair.

Et pourtant, le fait de nous situer à une époque indéterminée dans un pays qui ressemble à la France ou au moins le sud de l’Europe permet de comprendre que l’intrigue se porte rapidement vers des enjeux mystiques, fantastiques, bibliques. Un peu comme dans La neuvième porte, dont la seule véritable réussite est cette plongée dans le fantastique.

Mais s’il faut vraiment chercher un modèle, c’est bien du côté de Angel Heart qu’il faut porter son attention. Le passé historique, les vieilles pierres du sud-ouest, me semblaient un parfait pendant aux croyances animistes et vaudou de La Nouvelle-Orléans poisseuse du film d’Alan Parker.

La dualité : la musique et le Noble Art

Armand est un luthier. L’un des décors est donc l’atelier de son maître, Pierre. Il m’a suffi de puiser dans mes souvenirs d’enfance, lorsque j’accompagnais mon père dans l’atelier de son luthier.

Mais Armand est aussi un boxeur. Je voulais une autre passion pour mon personnage principal, quelque chose qui l’ancre dans la matérialité, qui soit physique, et en même temps avec une connotation qui rappelle l’époque des années quarante et cinquante. La boxe était le choix évident. En faire un élément central de l’intrigue paraissait aussi une bonne idée, histoire de mettre en scène un milieu plus interlope que le milieu des artistes.

Mais il était essentiel aussi que la musique accompagne Armand différemment. Laurie, la chanteuse de jazz à laquelle il est lié, peut faire le trait d’union entre la musique et la boxe, entre un univers artistique et un univers plus matérialiste, plus dangereux. Archétype de la femme fatale aux motivations plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord, Laurie est à la fois la révélatrice de la double nature des choses dans le Choix des Anges, une alliée comme une adversaire, une victime comme un bourreau, et une personnalité dont les désirs vont être le moteur d’une partie de l’intrigue.

Bien qu’elle soit physiquement différente, j’ai pris comme modèle le personnage d’Emma dans le Dark City d’Alex Proyas, joué par Jennifer Connelly. Emma chante Sway, Laurie aura son moment de lumière avec une version française revisitée de Cry me a river.

Toujours une histoire de temps…

C’est la réponse à la question de la fin : quand sera-t-il possible de lire Le Choix des Anges ?

J’aimerais beaucoup pouvoir être plus précis. Mais il reste encore du travail. Et une fois la nouvelle version écrite, il restera à attendre les retours de mes nouveaux bêta-lecteurs et les conclusions de mes anciens. J’en profiterai pour terminer les maquettes des versions électronique et papier de l’ouvrage, déjà bien avancées. C’est ensuite que, les corrections et la chasse aux coquilles terminées, je me lancerai dans ma première expérience dauto-édition.

Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai hâte !

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Jeu de Rôle

Deux séries sur un thème : Anges et Démons

Deux séries sur un thème : Anges et Démons

Deux séries sur un thème : Anges et Démons

Dans le même esprit que la comparaison entre deux (ou trois) films sur un thème, il peut être intéressant de mettre face à face deux séries traitant d’un même sujet, afin d’y chercher quelques bonnes ou mauvaises idées.

Sur ma lancée après Horns, j’ai donc décidé de parler ici des Anges (et des Démons) dans Carnivàle (connue en France sous le nom de Caravane de l’étrange) et Dominion.

Les deux séries sont assez éloignées dans le temps comme dans leur traitement, et c’est justement ce qui à mon avis rend la comparaison intéressante.

Carnivàle, ou comment se perdre dans la narration

S’étalant sur deux saisons de 2003 à 2005, Carnivàle est une série très prometteuse sur le papier. Nous sommes durant le Dust Bowl des années trente aux États-Unis, et le jeune Ben Hawkins perd sa mère en même temps que ses terres à cause de la famine et de la Grande Dépression. Il croise alors la route d’une étrange caravane de forains menée par un nain énigmatique, dans laquelle il s’engage autant pour gagner sa vie que pour échapper aux forces de l’ordre.
Il y rencontrera des marginaux possédant parfois des talents inhabituels, pour ne pas dire des pouvoirs mystiques : un prestidigitateur aveugle, une diseuse de bonne aventure mutique et tétraplégique qui communique à sa fille ses prémonitions par télépathie, et par-dessus tout, le « Patron », de la caravane, son véritable guide, n’apparaissant jamais car affligé d’une infirmité ou d’une blessure, et dont le nain Samson n’est que l’exécuteur frustré.
Parallèlement à la découverte des pouvoirs de résurrection et de guérison qu’il possède depuis longtemps, cause du rejet de sa mère, la série s’intéresse à des centaines de kilomètres de là au destin d’un pasteur, le Frère Justin Crowe, en proie à des visions mystiques tout droit sorties de l’Ancien Testament, qui sera lui aussi peu à peu le réceptacle de pouvoirs miraculeux.

La série va progressivement glisser vers un fantastique biblique comparant la Grande Dépression à une Apocalypse transposée dans l’Amérique profonde. Vont s’y opposer Ben avec son pouvoir pas si bénéfique que cela (le vieux principe magique d’un échange d’énergie ou de « une vie contre une vie » étant le prix de la guérison, voire de la résurrection) et Justin accomplissant des prodiges dignes de Moïse et de ses Sept Plaies d’Égypte (hallucinations imposées aux mécréants, par exemple) mais aux prises avec des pulsions intérieures très sombres (inceste avec sa sœur, sadomasochisme avec ses servantes, meurtre, soif de sang). Cet univers un peu glauque et poisseux devient très intéressant par sa proposition de brouiller les cartes du manichéisme classique : on en vient rapidement à se demander quel côté est celui des Anges, quel côté celui des Anges Déchus. On pense à l’opposition cathare entre le Dieu du Nouveau Testament (Ben, la guérison genre « Lève-toi et marche ») et le Dieu de l’Ancien Testament, plus sombre car maléfique (Justin et « Œil pour Œil »). Entre les Anges menés par Michaël et les Anges Déchus tombés sur Terre à la suite de la rébellion de Lucifer, le plus beau d’entre les Archanges de Dieu dans la tradition biblique.

Malheureusement, pour se rendre compte de tout cela, il faut arriver au bout de deux saisons très décousues et marquées par des épisodes plats, sans aucun intérêt, noyant d’autres épisodes parfaitement captivants.

Sous prétexte de dévider la progression initiatique de son personnage principal (Ben), Daniel Knauf, le créateur de la série, s’enlise dans des digressions qui n’apportent rien d’autre que de l’ennui. Les relations entre les personnages pourraient être passionnantes (la faune de la Caravane étant très riche en personnalités hautes en couleur, rappelant le Freaks de Tod Browning), mais tournent vite en rond, sans que l’on comprenne bien où le scénariste voulait en venir.

Quant à la méta-intrigue qui devait courir sur pas moins de six saisons, elle fait du sur-place.

La réalisation est pourtant relativement soignée.

Les derniers épisodes sont les plus intéressants, paradoxalement, parce que l’arrêt programmé de la série par HBO pour cause de mauvaise audience et de mauvaises critiques imposait de tomber sur une fin plus ou moins satisfaisante. On assiste d’ailleurs plutôt à un twist final qu’à une véritable fin, qui laisse un goût amer d’inachevé au téléspectateur.

Reste que la série est un bijou documentaire sur la vie dans l’Amérique de la Grande Dépression, et parvient à installer une ambiance très particulière. On doit aussi reconnaître que les idées qui semblent sous-tendre sa mythologie sont très séduisantes, et auraient pu faire une très bonne intrigue si elles avaient été bien exploitées.

Dominion, ou quand la Colère de Dieu manque de souffle

Dominion nous amène dans un futur où, après la disparition soudaine et inexpliquée de Dieu, les Anges inférieurs menés par l’Archange Gabriel rendent l’Humanité responsable de ce désastre, et décident d’éradiquer cette plaie ouverte de la surface de la Terre. Michaël décide de se ranger du côté des Humains, tandis que les autres Anges Supérieurs restent neutres.

La série fait directement suite au film Légion qui raconte l’invasion des Anges.

Dans la série, une prophétie proclame qu’un humain deviendra l’Élu, capable de mettre fin à la guerre que se livrent les Créatures de Dieu. Ce pourrait bien être Alex, un jeune soldat de la garde angélique formée par Michaël dans la cité fortifiée de Vega, qui fut Las Vegas.
Autour de lui se nouent les intrigues entre des Anges infiltrés, des luttes de pouvoir, des opportunismes politiques, et d’inévitables rivalités amoureuses.
Il progressera cependant vers la compréhension des factions en présence et prendra peu à peu conscience de sa destinée.

Nous sommes là dans un registre tout à fait différent : le post-apocalyptique. La question centrale est : que reste-t-il si Dieu nous abandonne et que les Anges se tournent contre l’Humanité ? Que devient la religion ? Que deviennent les valeurs de l’Humanité (la série est américaine, bien sûr, ce qui explique la relation faite entre valeurs morales et religion) ?

On pense inévitablement à The 100 et à sa capacité à nous plonger dans un suspense et des interrogations morales sans cesse renouvelées. Mais ce qui aurait pu être une excellente idée de départ manque sur la durée du souffle épique que l’on attendrait d’un thème biblique. Les hésitations du jeune Alex sont presque irritantes.

La réalisation est cette fois très poussée, avec des décors, des effets spéciaux (les ailes des anges sont fantastiques), bref, des moyens.

Mais là encore la construction de la série est peu convaincante. Elle hésite constamment entre l’intrigue ésotérique assumée et les déchirements internes du personnage principal. Elle souffre aussi d’une impression tenace d’amateurisme, malgré un casting plutôt réussi, et quelques décors soignés. On n’y croit pas vraiment.

Les images de synthèse sont inégales, ce qui contribue peut-être à l’échec relatif de cette première saison.

La deuxième saura peut-être aller plus loin dans l’intrigue en reprenant des bases de réalisation plus cohérentes, et en assumant une direction claire dans son approche.

Ce que pourrait être une série biblique réussie

La comparaison entre les deux séries est difficile, puisqu’elles attaquent un angle différent de la question des Anges et des Démons. Mais toutes deux s’échouent sur des écueils qui les font sombrer hélas dans la catégorie des séries médiocres ou des bonnes idées gâchées.

Aucune des deux ne parvient à réunir scénario efficace et fouillé, personnages attachants et éclatants, réalisation soignée, et souffle épique.

Et pourtant la relation si particulière que les êtres angéliques sont censés entretenir avec à la fois leur Créateur, les Humains, et la Création pourrait donner lieu à une véritable série d’anthologie.

La base du scénario, comme les deux séries l’ont proposé, pourrait être le parcours initiatique d’un héros ou d’une héroïne découvrant sa véritable nature. Il ou elle serait confronté à la fois à des pouvoirs déroutants, mais aussi à des choix moraux non pas basés sur une opposition entre le Bien et le Mal, mais entre le Bien, le Mal, et l’Humanité. L’opposition avec les Anges Déchus, mais aussi la relation trouble que ces derniers entretiennent avec l’Humanité, pourrait être un bon ressort. N’oublions pas que Lucifer serait censé être entré en rébellion contre Dieu pour conquérir sa propre liberté. N’oublions pas qu’il est devenu le Tentateur, c’est-à-dire celui qui laisse le choix. La lutte devrait être intime, mais également cosmique, car si les enjeux personnels sont forts, les enjeux universels sont évidents lorsqu’il s’agit de Bien et de Mal.

En réfléchissant, je prendrais bien comme exemple de ces oppositions tripartite un film espagnol, Sin Noticias de Dios (en français Sans nouvelles de Dieu), avec Gael Cargia Bernal en Lucifer, Fanny Ardant en Archange, Victoria Abril en Ange et Penelope Cruz en Démon. Un film jouissif sans beaucoup d’effets spéciaux, et où l’enjeu entre l’Ange et le Démon, depuis que Dieu a disparu (tiens, comme dans Dominion…), est de savoir qui va remporter la « guerre » entre Ciel et Enfer. Or, c’est le destin d’une seule âme, celle du boxeur Manni, qui va décider de la victoire finale de l’Enfer (surpeuplé), ou de la résistance renouvelée du Ciel (dont si peu d’âmes sont dignes qu’il est devenu un désert déprimant).

Ici pas d’images de synthèse, mais un simple jeu de couleurs et de langages : l’Enfer est filmé en couleurs chaudes au Mexique et les personnages y parlent anglais, le Paradis est filmé en couleurs froides à Paris et les personnages y parlent français, la Terre est filmée en Espagne avec une balance classique et les personnages y parlent bien sûr espagnol, quand enfin le Purgatoire est filmé avec une saturation de blanc avec des dialogues en latin.

C’est une comédie, mais les enjeux impliquent vraiment tout l’éventail des rapports entre anges, démons, et humains. Tentation, pouvoir, fascination, amour, rancune, envie.

Une série qui reprendrait certaines de ces idées en les remettant au goût du jour aurait à mon avis un bel avenir devant elle…

Si des réalisateurs me lisent : n’hésitez pas, lâchez-vous !

Allez, je ne résiste pas au plaisir de vous lâcher la bande-annonce. Et si vous voyez le film, ne manquez pas le plus beau strip-tease de l’histoire du cinéma, celui fait à l’envers (en se rhabillant donc) par Penelope Cruz… Vous n’écouterez plus Kung Fu Fighting de la même façon ensuite…

Et si les Anges avaient le choix ?

Mon deuxième roman, Le Choix des Anges, traite justement de du Bien, du Mal et du chemin qui mène à l’un ou à autre, ou à l’un et à l’autre.

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Jeu de Rôle

Horns, d’Alexandre Aja

Horns, d’Alexandre Aja

Horns, d’Alexandre Aja

La dualité portée par le thème de l’Ange et du Démon est un classique du fantastique. Elle porte souvent la problématique de la connaissance et du choix entre le Bien et le Mal, l’Idéal et les Instincts.

Je ne suis pas un grand amateur des films d’Alexandre Aja (La colline a des yeux, Mirrors, Haute tension), dont le fantastique tourne trop souvent à mon goût vers l’horrifique facile, mais je me suis laissé attirer par l’affiche du dernier en date, Horns, dont l’esthétique semblait plus se rapprocher d’un Pan’s Labyrinth (Guillermo del Toro) que d’un Saw.
Je dois avouer aussi que le fait d’y trouver Daniel « Harry Potter » Radcliffe affublé de cornes de bélier à la manière d’un faune en t-shirt et blouson de cuir m’a vraiment intrigué.

L'affiche de Horns

L’affiche de Horns

Le pitch est extrêmement simple, et très attirant : accusé du viol et du meurtre de sa petite amie Merrin Williams (Juno Temple), Ignatius « Ig » Perrish (Daniel Radcliffe), rongé par cette disparition, remarque dès le lendemain que des cornes poussent inexplicablement et très rapidement sur son crâne. En sa présence, désormais, les habitants de sa petite ville ne peuvent plus s’empêcher de confesser et de se laisser aller à leurs penchants les plus inavouables. Il va se servir de ce pouvoir pour découvrir qui lui a enlevé l’amour de sa vie.

L’intrigue hésite ensuite entre plusieurs genres et plusieurs thèmes : la fable merveilleuse, la bluette mélodramatique (une révélation très prévisible sur la défunte Merrin), l’étude de mœurs, le conte fantastique noir. À vrai dire, on a parfois du mal à s’y retrouver tant le film prétend explorer d’angles différents.

Mais l’intérêt réside véritablement ailleurs.

L’ambiance qu’installe la caméra d’Aja est pour moi le premier et le plus important. Toutes proportions gardées, on se retrouve un peu dans un « Twin Peaks biblique » : les personnages secondaires déjantés et cachant des secrets sombres et décalés, la figure angélique de la jeune fille assassinée après avoir été violée, les décors du nord-ouest des États Unis (forêt mystérieuse, petite ville, climat océanique), et ce fantastique d’abord insidieux puis progressivement de plus en plus prégnant. La musique est également très présente, ce qui renforce l’analogie avec la série culte de Lynch.

Cette caméra joue aussi avec le thème de la dualité : le mouvement de panoramique/plongée du début du film entre le plan du paradis perdu (couleurs chaudes, Ig et Merrin près de l’Arbre comme Adam et Ève, allongés l’un près de l’autre têtes bêches, leurs visages inversés comme des figures de tarot divinatoire) et celui de l’enfer (Ig étendu au sol, avec la gueule de bois après s’être saoulé pour oublier la mort de sa bien-aimée) est une véritable réussite à la fois sur le plan esthétique que sur le plan symbolique de la descente aux enfers. On retrouve à plusieurs reprises ces brusques transitions de plans comme autant de ruptures dans le réel, d’intrusions du Mal dans la réalité, ou de flash-back dans le présent, venant à la fois éclairer les événements et les assombrir de leurs révélations crues. Aja use aussi des symboles et les détourne : les serpents qui s’enroulent autour d’un bras ou d’un bâton, les talismans protecteurs.

Ensuite, la qualité esthétique des décors, des costumes, le soin pris dans la gestion des couleurs, font que l’esprit s’attache immédiatement à cet univers à la fois intrigant et dérangeant.

Enfin, voir Daniel Radcliffe parvenir à effacer l’image du petit sorcier de Privet Drive qui aurait pu lui coller à la peau pour endosser celle d’un jeune adulte torturé et lui-même possédé par l’ivresse du pouvoir comme par une culpabilité et une violence ambiguës n’est pas le moindre des plaisirs. Il devient rapidement très crédible, et parfaitement à l’aise dans ce jeu à contre-courant de ce que l’on connaissait de lui après la saga adaptée de J.K. Rowlings.

Ainsi, malgré une intrigue parfois prévisible et un éclairage trop hésitant, malgré une fin un peu trop grand guignol ou le manque de constance dans l’angle d’approche, Horns reste pour moi une réussite en matière de mélange entre film noir, conte fantastique, et éléments bibliques.

Toutes choses qui, justement, sont les ingrédients de base de ce qui occupe actuellement mon écriture.