Grand débat médical

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Grand débat médical

Le monde de la santé en France est secoué depuis plusieurs années par une crise profonde. Un peu comme le reste de la société en France. Un peu comme le reste du monde.

Le malaise est palpable chez les soignants, et chez les patients également.

Faute d’avoir été écoutés à temps, les professionnels de santé sont moins nombreux qu’il le faudrait, épuisés, surmenés, et très souvent démotivés.

Je dis «faute d’avoir été écoutés à temps», car lorsque j’ai soutenu ma thèse en 2003, l’évolution démographique actuelle du corps médical était déjà prévue. J’ai écrit ma thèse en partie sur ce sujet-là. Je connais donc bien le problème, et pas seulement parce que je suis maintenant confronté à ses conséquences.

Des solutions existaient et étaient promues à l’époque.

Mais les politiques ont fait la sourde oreille et les décisions qui auraient dû être prises ne l’ont pas été.

Pire, des décisions inverses ont continué à déconstruire le système.

Pour nous amener là où nous en sommes.

La santé est même absente des sujets officiels du Grand débat national qui a été ouvert en réponse aux manifestations de la fin 2018. À la place, on nous sert des propos lénifiants sur des assistants médicaux qui régleraient soi-disant le problème de l’accès au soin en faisant en sorte que les médecins généralistes voient six patients toutes les heures, en oubliant allègrement la qualité des soins au passage (dont pourtant on brandit l’étendard en imposant à ces mêmes médecins déjà surchargés des normes et des obligations de plus en plus grandes), ainsi que les autres causes plus profondes du marasme dans lequel le système de soin se trouve.

Nous ne savons pas même si ce Grand débat fera sortir quelque chose de positif. Si même les contributions vont ailleurs que dans un grand vide intersidéral puisque les gouvernants ont tendance dans ce pays comme dans d’autres à ne pas vouloir écouter réellement ce que leurs peuples leur crient.

Mais je suis d’un naturel optimiste (sans doute trop pour mon bien).

Et si l’on me donne l’occasion de proposer, alors je ne peux que m’en saisir.

Au moins, même si mes propositions finissent dans le grand vide du Grand débat, je les aurai formulées auparavant.

Et pour être sûr qu’elles ne seront pas totalement anéanties dans l’oubli, je les publie aussi sur cet espace virtuel qui est le mien.

Ce sont mes propositions pour le système de soin, en tant que professionnel de la santé, en tant que médecin.

Je ferai de même avec des propositions plus globales, en tant que citoyen cette fois, sur tous les autres sujets, et de la même façon, je publierai ma contribution sur cet espace.

Libre à vous, à chaque fois, de vous en emparer.

Dans ce but, je laisse les commentaires ouverts pour l’instant.

Les buts du système de soins

Il faut revenir à l’essentiel : à quoi doit servir le système de soin ?

À soigner. À prendre soin.

Prendre soin c’est suivant le Larousse, «procurer les soins nécessaires à la guérison ou à l’amélioration de la santé de quelqu’un». Ce qui nous amène à la définition de la santé qui est, selon l’OMS, « un état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Mais un mot dans cette définition me gêne énormément, le mot «complet».

Car la santé est une notion relative. Nous sommes tous, un jour ou l’autre, atteints d’une affection chronique (infirmité motrice, diabète, asthme, dysfonctionnement cardiaque) qui pour autant peut ne pas obérer notre santé si nous prenons soin de nous.

Ainsi, pour moi, le but du système de soin est de faire en sorte que les individus et la population en général (santé individuelle et santé publique) puissent garder une bonne santé malgré les aléas de la vie, et cela jusqu’à la mort, qui est le lot de tous les êtres humains comme de tous les êtres vivants.

Ce qui veut dire traiter les maladies déjà apparues, mais aussi prévenir l’apparition de celles qui sont humainement évitables, tout en conservant à l’individu sa liberté, son libre arbitre. Car il n’est pas de santé sans liberté, notamment sans liberté de choix dans sa vie.

Donc le système de soin doit :

  • Respecter le libre arbitre des soignés (que nous appellerons des «patients» faute de mieux).
  • Être porté par des soignants dont on prendra soin également (car on ne peut aider les autres que si l’on est soi-même en capacité d’être en état de le faire, donc en bonne santé).
  • Protéger ceux qui sont fragiles, socialement, physiquement, mentalement, de façon définitive ou temporaire.
  • Protéger l’environnement dans lequel les humains vivent.
  • Être pérenne, donc géré efficacement, par des personnes connaissant les spécificités du domaine du soin.

Voilà donc les principes qui guident ma réflexion dans les propositions suivantes.

Le rôle du médecin : soigner et prévenir

Le rôle des soignants est donc de soigner.

Dans un contexte où la démographie des soignants en général, comme des médecins en particulier est très tendue, et où la population peut avoir du mal à accéder à un soignant, il n’est d’autre solution pérenne que de recentrer les missions des soignants sur leur cœur de métier : le soin.

Il est aussi nécessaire d’éduquer les patients à se tourner vers le système de soin lorsque c’est nécessaire, et seulement dans ce cas-là. Un système de soin, pour être pérenne, doit être financièrement tenable sur le long terme, et ne doit donc pas être instrumentalisé à d’autres fins. Il est là pour prendre soin des patients, de tous les patients, mais seulement pour cela.

Deux propositions importantes peuvent remettre le système actuel sur une mission unique de soins.

Suppression des certificats inutiles

Les consultations médicales sont embouteillées par des demandes qui n’ont rien à voir avec le soin. Des questions purement administratives qui n’ont aucune raison d’être si ce n’est l’habitude et les procédures.

Les certificats médicaux divers et variés, sans aucun fondement ni scientifique ni de soin, n’ont plus de raison d’être dans un système qui est tourné vers sa seule mission première : soigner.

Je propose donc la suppression de toutes les obligations de certificats médicaux pour : absences scolaires, non-contre-indication à la pratique des sports, exonération des jours de crèche, garde d’enfant, cantine, et autres activités des enfants comme des adultes, absence du travail durant les jours de carence.

La suppression des certificats de MDPH, en imposant que ce soient des médecins des structures MDPH qui reçoivent les patients et les examinent. Pour que les structures ne soient pas embouteillées à leur tour, déterminer une liste de pathologies pouvant potentiellement bénéficier d’une reconnaissance de handicap, et écarter les autres, mais aussi considérer qu’un handicap est généralement acquis à vie, et supprimer l’obligation de refaire des certificats périodiquement, sauf dans certains cas, déterminés individuellement par le médecin ayant fait le premier examen.

Éducation à la santé

Pour que les individus et la population dans son ensemble puissent faire appel au système de soin quand cela est nécessaire, mais aussi pour améliorer la santé en général, il est indispensable de faire une éducation à la santé.

Les patients sont trop souvent apeurés par des symptômes bénins qu’ils pensent être graves, ou au contraire minimisent des symptômes qui peuvent être des signaux d’alerte ou des signes plus graves.

Chaque citoyen devrait pouvoir apprendre tout au long de sa scolarité des bases du fonctionnement du corps humain, de sa propre physiologie, au même titre qu’il apprend à faire du sport.

Une heure par semaine durant toute la scolarité devrait être occupée à apprendre que certaines affections sont bénignes, comme les rhumes, que les médicaments doivent être pris avec prudence, que certains gestes peuvent sauver des vies, que d’autres sont nocifs.

Il serait ainsi possible d’inculquer enfin au plus grand nombre les quelques mesures simples d’hygiène qui sont susceptibles d’empêcher la transmission de nombreuses maladies infectieuses comme se laver les mains correctement à des moments clefs dans la journée. Cela diminuerait l’incidence de la gastro-entérite, de la grippe, des rhumes, et d’autres encore.

Le parcours de soins : à chacun son rôle

La notion de parcours de soin correspond à la façon dont une personne va pouvoir utiliser toutes les ressources du système de soin pour recouvrer ou préserver sa santé. Elle implique que le système soit organisé en classiques soins de premier et de deuxième recours, afin de structurer les moyens que l’on attribue à chaque composante.

Le premier recours est actuellement majoritairement la médecine générale et la médecine d’urgence, mais aussi certaines spécialités en accès direct (pédiatrie, ophtalmologie, psychiatrie, gynécologie) et les soins dentaires simples, la pharmacie, les psychologues cliniciens.

Le deuxième recours est constitué par toutes les spécialités qui ne sont pas en accès direct actuellement (spécialités médicales comme la cardiologie, chirurgicales), et les soins paramédicaux en général qui sont accessibles uniquement sur prescription (kinésithérapie, soins infirmiers).

Pour rendre le parcours de soins plus efficace, une mesure simple est de concentrer les moyens les plus importants sur le premier recours, qui doit donc en termes humains et financiers représenter la priorité. Cela veut dire augmenter le nombre de pédiatres, de psychiatres, de médecins généralistes. Et leur donner les moyens réellement de faire leur travail de soin : libérer du temps de soin en éliminant l’administratif au maximum (voir suppression des certificats médicaux) et en revalorisant les honoraires en les mettant au niveau de la moyenne européenne.

Permanence des soins

La permanence des soins est le principe qui veut que le premier recours soit disponible en permanence lorsqu’un patient en a besoin. La médecine d’urgence est la principale actrice de la permanence des soins.

Actuellement, la médecine d’urgence traverse une crise profonde, car elle est utilisée à mauvais escient.

Souvent, elle joue le rôle de la médecine générale non urgente, en étant sollicitée pour des pathologies bénignes qui n’ont qu’un caractère gênant mais non urgent, car la médecine générale n’est pas disponible la nuit ou les jours fériés.

Or, la médecine générale et la médecine d’urgence, pour être toutes deux des médecines de premier recours, ne sont pas les mêmes métiers, et n’ont pas les mêmes buts.

La médecine générale doit dépister, diagnostiquer et orienter les patients dans un suivi long, chronique. Les patients reviennent voir leur médecin généraliste régulièrement et ont besoin de soins continus ou au moins chroniques, pour des situations qui ne mettent pas en jeu leur pronostic vital à très brève échéance. La médecine générale prend son temps dans des situations complexes mais non urgentes. Elle est aussi le temps de la prévention.

La médecine d’urgence doit diagnostiquer, traiter immédiatement et orienter éventuellement les patients souffrant de maladies ou affections mettant en jeu le pronostic vital à très court terme, et ayant donc besoin de soins immédiats. La médecine d’urgence est là pour répondre à un besoin ponctuel vital.

Faire jouer aux médecins urgentistes les médecins généralistes de substitution est, on le voit bien, catastrophique pour le système de soin dans son ensemble.

Mais demander aux médecins généralistes de jouer aux urgentistes est tout autant idiot.

Chacun son métier, chacun ses compétences.

Je propose donc de :

Rendre les services d’urgence à leur but véritable : les urgences. Cela en excluant complètement le remboursement des patients qui viendraient pour des soins non véritablement urgents et en développant l’éducation à la santé tout au long de la vie pour apprendre aux patients à faire la différence entre une pathologie gênante et une pathologie urgente. Bien entendu, il va de soi que les postes d’urgentistes, d’infirmiers et infirmières, d’aide-soignants et aide-soignantes dans ces services devront être augmentés pour leur permettre de faire face à leurs missions. Par définition, l’urgence peut frapper à tout moment, ces services doivent donc pouvoir être disponibles en permanence, jour, nuit, jours fériés, fins de semaine, vacances.

Rendre à la médecine générale sa véritable fonction : une médecine de suivi et de prévention, donc pas une médecine d’urgence. Pour cela supprimer les gardes sauf pour ceux qui veulent s’investir dans des services d’urgence s’ils le désirent et s’ils y sont correctement formés et former la population à comprendre qu’une pathologie gênante mais non urgente va pouvoir attendre quelques jours avant d’être prise en charge, ou que parfois même elle va guérir seule.

Cela veut dire faire comprendre à la population que la santé n’est pas un état de performance optimale permanent.

La protection sociale est la marque d’une société avancée

Faire appel à des professionnels formés a toujours un coût, qu’il est juste de faire supporter par une solidarité de la société dans son ensemble afin que chacun puisse y avoir recours lorsqu’il en a besoin.

Cela suppose que chacun participe au financement du système selon ses moyens et l’utilise selon ses besoins.

Cela suppose aussi une obligation de cotisation.

Cela suppose enfin que l’assurance maladie doit être universelle et gérée au mieux, sans faire entrer en considération des enjeux de profit ou de spéculation sur les montants de cotisation ou de prestation.

Cela exclu donc l’assurance privée, et induit trois propositions.

Extension de la CNAM à tous et à 100 % des soins

La caisse nationale d’assurance maladie publique, financée par les cotisations de chaque citoyen, doit donc prendre en charge la totalité des montants des soins, comme c’est le cas en Alsace avec le régime spécial, par exemple. Un régime qui marche bien depuis des décennies, sans déficit. Il est donc possible de construire un système de financement des soins qui soit pérenne, juste et qui exclut les assurances dont le seul véritable but est l’inflation des coûts pour maximiser les profits d’intérêts privés au détriment du patient et de l’intérêt de la collectivité.

Suppression des mutuelles

Puisque la caisse nationale d’assurance maladie remboursera les frais de soin à 100 %, il n’y a plus besoin de mutuelles ou d’assurances privées gérant ce risque, avec des coûts de gestion qui sont faramineux comparés à ce que sait faire le secteur public.

Cela entraînera mécaniquement une hausse de pouvoir d’achat des citoyens, et une meilleure couverture contre les risques de maladie.

Extension du remboursement aux psychothérapies

Pour sortir de l’inflation toujours plus grande de la consommation de médicaments psychotropes qui est galopante dans notre pays, tout en étant complètement inefficace, il suffit de rembourser l’accès aux psychothérapies modernes ayant fait la preuve scientifique de leur efficacité (thérapies cognitivo-comportementales, thérapies brèves).

Cela aura pour effet de diminuer drastiquement les taux de rechute des patients pour ces affections mentales, et dans le même temps de diminuer les coûts de remboursement en médicaments chroniques, dans le traitement des effets secondaires de ces traitements médicamenteux psychotropes, et donc de remettre plus rapidement les patients en capacité de travailler, ce qui va mécaniquement augmenter les bénéfices collectifs (plus de cotisations sociales, plus de rentrées d’impôts, plus de consommation).

La santé, affaire de tous

La société dans son ensemble doit considérer la santé comme une affaire prioritaire dans les missions de l’État. La bonne santé des citoyens est une condition pour toutes les autres stratégies.

Pôle public du médicament

Ces dernières années, les ruptures de stock de médicaments sont de plus en plus fréquentes, longues et impactent de plus en plus la sécurité des citoyens.

Ces ruptures sont dues en partie à la primauté des intérêts commerciaux des firmes pharmaceutiques sur l’intérêt collectif de la population.

Puisqu’il n’est pas pensable de nationaliser les firmes pharmaceutiques, il est envisageable de créer une Agence du Médicament dont une des missions sera de produire sur le sol national les substances qui auront été considérées comme stratégiques pour la nation : antalgiques, antibiotiques, par exemple. Ces substances seront des molécules tombées dans le domaine public, peu chères à produire, mais essentielles au maintien de la santé de la population.

Ce pôle public du médicament pourra en outre offrir des emplois, qualifiés.

Démocratie sanitaire

Le système de soin est actuellement piloté par l’État via le ministère de la Santé et les Agences Régionales de Santé (ARS), par les négociations entre la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et les syndicats médicaux.

Il manque une actrice majeure : la population elle-même. Y compris les médecins et les autres soignants, qui sont soumis à la décision de syndicats non représentatifs de leurs sensibilités.

Je propose donc la création d’une assemblée citoyenne qui sera obligatoirement associée à toute décision prise sur le système de soin (taux de remboursement, honoraires, etc.). Cette assemblée sera constituée à parts égales de professionnels tirés au sort et de citoyens non spécialistes tirés au sort également. La participation à une telle assemblée sera obligatoire, comme pour la participation à un jury d’assises.

Ses décisions auront le même poids que les autres instances de décision (CNAM, syndicats, État).

L’ARS ne doit être qu’une instance exécutive chargée de mettre en œuvre les décisions de cette assemblée citoyenne. Sa direction devra être nommée par l’assemblée citoyenne.

Réforme de l’Ordre des Médecins

L’Ordre des médecins doit avoir une mission double :

Protéger les patients des éventuels abus des soignants, en veillant à l’application de la déontologie médicale.

Protéger les soignants des éventuels abus des patients.

Ainsi je propose que sur le même principe de tirage au sort avec participation obligatoire, le Conseil de l’Ordre soit formé de médecins obligatoirement en exercice, et que deux citoyens tirés au sort également en soient membres de droit pour un mandat. Que les mandats soient renouvelables une seule fois.

Qu’une plainte d’un patient envers un soignant ou d’un soignant envers un patient soit d’abord jugée en recevabilité avant d’être instruite, afin de minimiser l’impact des procédures de justice ordinale sur la santé mentale des uns et des autres.

Des soignants dont on prend soin

Pour qu’un soignant puisse prendre soin d’un patient, il doit être lui-même en état de le faire, donc il doit être dégagé de toute pression et de tout conflit d’intérêts, suivre une éthique et une déontologie qui lui interdit de pratiquer son art comme un commerce, mais également qui l’éloigne des tentations. Il doit donc pouvoir correctement vivre de son activité.

Revalorisation de la rémunération

Dans cet esprit, je crois qu’il faut considérer qu’un soignant a le droit de prétendre à une certaine valorisation de son expertise, d’autant qu’il apporte à la société un service non négligeable.

La rémunération des médecins doit donc être à la hauteur.

Si la rémunération à l’acte est encore perçue comme le socle indispensable de cette rémunération, cet acte doit être réévalué pour entrer dans la moyenne européenne (44 €), et ceci immédiatement.

Si la part forfaitaire de la rémunération est vue comme souhaitable, celle-ci doit permettre au soignant d’avoir le temps de prendre en considération tous les paramètres de la personne malade qu’il a en face de lui. Elle doit donc lui permettre de faire son travail sans pression sur le temps ou la rentabilité, la cadence horaire ou journalière.

Suppression de la ROSP

La rémunération sur objectifs de santé publique, actuellement en vigueur, est inspirée des expériences menées dans les pays anglo-saxons. Il est à noter qu’elle a été abandonnée dans plusieurs de ces pays, car prouvée comme inefficace et délétère pour la qualité des soins qu’elle prétendait augmenter.

La ROSP doit donc être supprimée et les montants alloués à l’augmentation de la valeur de l’acte médical.

Le patient, droits et devoirs

Le patient, raison d’être du système de soin, a donc bien évidemment le droit de l’utiliser s’il en a le besoin. Le droit également de bénéficier de toutes les ressources du système qui sont pertinentes dans son état et pour ses besoins.

Il a cependant aussi des devoirs.

  • Participer aux assemblées citoyennes sur la santé s’il est tiré au sort.
  • Respecter les professionnels de santé et honorer ses rendez-vous, prévenir en cas d’empêchement.
  • Respecter l’organisation du système de soin.

La prise en charge ou le remboursement des frais pourront être conditionnés au respect de ces règles.

Des professionnels de santé formés correctement

Le cursus actuel des études médicales ne met pas assez en avant la dimension humaine et psychologique du métier de soignant.

Faire intervenir des psychologues cliniciens dans les études, ainsi que la formation à des compétences clefs comme l’annonce de diagnostics, la prise en charge multidisciplinaire de certaines pathologies (douleurs complexes) est maintenant nécessaire.

De la même manière que des professionnels paramédicaux doivent être partie prenante de la formation des médecins, les médecins doivent intervenir dans la formation des professionnels paramédicaux.

L’interdisciplinarité et la connaissance du rôle de chaque profession afin d’en optimiser la complémentarité pour la prise en charge des patients doivent se développer et être incluses dans la formation de tous les soignants.

L’apprentissage à l’hôpital, qui concentre une population de pathologies lourdes et non habituelles, doit devenir une exception à terme. Les étudiants en médecine doivent être d’abord formés aux soins de ville. Chaque médecin en exercice devrait prendre en stage régulièrement des étudiants, et chaque étudiant devrait avoir comme tuteur un médecin en exercice qui le suivrait durant toutes ses études. Pour cela, il faut généraliser le statut de maître de stage universitaire et rémunérer correctement cette activité.

L’hôpital comme un troisième recours

Le système français est centré sur l’hôpital, alors qu’il ne prend en charge que les cas les plus complexes et les plus lourds. Ses missions doivent être recentrées sur ces pathologies. Il n’a pas vocation à être le modèle du reste du système de soin.

Il doit plutôt représenter le troisième recours, la troisième ligne après la médecine générale ou d’urgence et la médecine spécialisée.

Le numérique en santé : des garanties solides

Les usages informatiques et numériques ont bouleversé nos vies, mais il est essentiel qu’ils ne transforment la relation de soin que pour un mieux. Aussi, face aux risques de piratage, de mésusage des données, de discrimination, le numérique dans la santé doit-il être très fortement encadré.

Un véritable dossier médical numérique bien gardé

Le principal atout du numérique, outre sa longue mémoire, est la possibilité de le consulter depuis n’importe quel endroit, ce qui crée de facto un véritable dossier médical partagé.

Mais contrairement au dispositif actuel, entre les mains de la structure de l’assurance maladie, donc potentiellement de l’assureur privé si une loi le décidait, le dossier médical partagé devrait être hébergé par une entité non commerciale. L’Ordre des Médecins me paraît le plus indiqué, si on lui en accorde aussi les moyens financiers.

En effet, il faut s’assurer que ce dossier sera protégé par les meilleurs dispositifs de sécurité possible, accessible en permanence, infalsifiable et pérenne.

En confier la garde au Conseil de l’ordre permet de s’affranchir du risque de conflit d’intérêts entre le payeur des soins (l’assurance publique ou privée) et le secret médical. Cela permet d’éviter que des données sensibles soient utilisées à des fins commerciales ou de discrimination.

Les dispositifs médicaux connectés

Leur utilisation est poussée par des firmes commerciales qui ont fait de la santé un vrai marché. Avec le sous-entendu constant de faire du profit grâce à cela.

Les données récoltées sont cependant sensibles. Elles sont toutes liées à l’intimité de la personne qui porte ces objets connectés médicaux ou à visée de soin.

Afin de garantir que ces données ne seront pas utilisées à mauvais escient, je propose que tous les objets connectés aient l’obligation de déposer leurs données de façon anonymisée dans le coffre-fort numérique gardé par l’Ordre des médecins, et uniquement à cet endroit-là. Ces données ne seraient plus accessibles ensuite qu’à des personnes désignées par la personne elle-même, et seulement à des fins de recherche ou de soin.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Mr. Robot saison 2, Réalité Virtuelle ou Virtualité Réelle ?

Mr. Robot saison 2, Réalité Virtuelle ou Virtualité Réelle ?

Mr. Robot saison 2, Réalité Virtuelle ou Virtualité Réelle ?

Un peu difficile à suivre et très surprenante, la deuxième saison de la série racontant les exploits informatiques du hacker Elliot Alderson plonge plus encore que la première dans la dichotomie floue entre le réel et le virtuel.

Si vous avez manqué le début, je vous invite à lire l’article que j’avais consacré à cette première saison en 2015. J’y dévoilais moins de spoilers que je ne le ferai ici, car la saison 2 est si complexe qu’en parler sans dévoiler est devenu complètement impossible. 

Mr. Robot, quand le hacker devient un héros de série

par Germain Huc | 28 novembre 2015 | Chimères Animées

De nos jours, le hacker n’est plus vraiment ni ce jeune garçon immature, ni ce nerd incapable de nouer des relations normales avec les autres, obsédé par sa machine et par le codage de programmes, ou le franchissement de barrières de sécurité.

Rien n’est ce qu’il paraît être

Pour aborder cette deuxième saison, il faut se souvenir du vertige qui a suivi les révélations majeures de la première.

Première révélation : Elliot est certes un génie du hacking, mais c’est aussi un garçon atteint de schizophrénie qui ne peut se résoudre à la mort de son père et qui a donc « décidé » de le ressusciter à travers des hallucinations qui donnent corps au mystérieux Mr. Robot. Elliott, ou du moins une partie de lui, est réellement Mr. Robot. Et cette existence parallèle est si autonome que la personnalité « première » d’Elliott est tenue à l’écart du plan monté par Mr. Robot dans la première saison, mais aussi dans la deuxième.

Deuxième révélation : Mr. Robot a échafaudé un plan d’une complexité inimaginable pour faire tomber la société E-Corp, mais également le système bancaire mondial dans son ensemble. Et ce plan a fonctionné. La saison 2 s’ouvre donc alors que la société dans son ensemble est tout juste en train de tenter de s’adapter à un monde dont la monnaie s’est écroulée, remplacée par une monnaie virtuelle ou des bons de rationnement.

Dès lors, ce sont les conséquences de ces deux révélations qui mènent l’intrigue.

Ainsi, Mr. Robot et FSociety deviennent célèbres. Tour à tour héros ou escrocs, bandits ou sauveurs, fléaux ou modèles, la population entière est à leur recherche, notamment une enquêtrice du FBI, l’agent DiPierro, dont les talents informatiques sont dignes de ceux d’Elliott.

Commence un jeu du chat et de la souris qui confronte l’agent DiPierro à la mouvance qui gravite autour de Mr. Robot : la Dark Army chinoise, les anciens acolytes d’Elliott dans la première saison, comme Darlene, sa sœur, Angela son amie d’enfance, ou Trenton l’une des chevilles ouvrières de FSociety, tandis qu’Elliott lui-même vit des déboires presque déconnectés de cette intrigue en se frottant à des trafiquants du dark web, ce pan du réseau où les crimes s’échangent comme des marchandises (drogues, armes, êtres humains).

Et pourtant toute la construction de la saison est une gigantesque mascarade.

D’abord parce que les aventures d’Elliott sont encore une façon pour son esprit de traverser une réalité plus sombre, parfois avec de véritables délires comme dans l’épisode 6, totalement foutraque.

Ensuite parce que le plan de Mr. Robot ne se termine pas seulement avec la conclusion de la première saison. Il va bien plus loin et implique la Chine, le gouvernement des États-Unis, E-Corp, et au-delà.

Enfin parce que les divers agendas des autres protagonistes sont eux aussi souvent des faux-semblants, des dissimulations, ou même totalement incompréhensibles. Les mensonges couvrant d’autres mensonges couvrant une vérité relative sont la norme.

Lorsque le spectateur prend conscience de tout cela, il peut ressentir un malaise assez profond. Lorsque chaque image, chaque dialogue, chaque situation peut être un pare-feu protégeant une autre vérité, elle-même sujette à caution, on devient méfiant, presque paranoïaque. On doute de tout, à chaque instant de la série. Comment savoir si Elliott est vraiment battu comme plâtre par des hommes de main dans une ruelle, ou s’il invente même ce passage-là ?

On ne le peut pas. Le spectateur est par définition le jouet des scénaristes dans une série télévisée, comme dans un film, une pièce de théâtre ou un roman. Mais cette vérité première ne m’a jamais paru si grande que dans la saison 2 de Mr. Robot. Car nous avons tous appris à nous méfier des « trucs » que le scénario pouvait utiliser pour nous perdre volontairement, et nous avons tous plus ou moins consciemment l’habitude de nous dire « OK, ça, à mon avis, c’est une hallucination, mais en fait il se passe vraiment telle autre chose ». Et nous élaborons des scénarios alternatifs. Pour parfois (et trop souvent dans les mauvaises séries) tomber juste. Mais pas ici, car tout est potentiellement faux, aucun repère ne peut nous permettre de tomber juste.

Ça en devient dérangeant.

Par exemple les motivations de certains personnages qui en deviennent incompréhensibles. L’exemple le plus frappant pour moi c’est celui d’Angela. On pense qu’elle veut faire tomber E-Corp de l’intérieur pour des motifs similaires à ceux d’Elliott, mais ses actions d’agent infiltré sont si convaincantes qu’on se prend à croire qu’elle a vraiment retourné sa veste pour épouser le cynisme du grand patron de la multinationale, mais qu’elle veut quand même se venger, mais qu’elle veut quand même devenir la prédatrice sans cœur qui prendrait sa succession.

Bref, on est perdu…

Les personnages principaux de la saison 2 de Mr. Robots

La folie comme métaphore du virtuel… et du réel

Cette sensation de perte de repères ne peut pas être gratuite. Elle est à mon sens à rapprocher du propos de la série, qui décrit notre propension de plus en plus grande à intégrer le virtuel dans notre réel, au point d’en perdre la notion de frontière entre les deux.

La folie est par définition un état de conscience qui ne distingue plus la réalité matérielle des productions fantasmées de notre psychisme. Nous prenons nos désirs pour des réalités, au sens propre.

En affublant Elliott d’un trouble psychiatrique de schizophrénie (certes un peu enjolivé, parce que la véritable schizophrénie ne se manifeste pas du tout comme de multiples personnalités étanches entre elles), la série nous place d’emblée dans la position de celui qui ne sait plus si ses amis Facebook sont véritablement des amis, des vrais, c’est-à-dire des gens sur lesquels on peut compter en cas de difficulté, qui pourraient venir chez nous à 3 heures du matin pour nous consoler lors d’un chagrin d’amour, ou boire des bières autour d’un bon match de rugby. Et elle nous le fait comprendre en prenant une autre image, celle de l’humain qui ne sait plus s’il est réellement emprisonné pour un piratage informatique ou s’il se cache pour échapper à des maffieux particulièrement dangereux.

La folie entre finalement peu à peu dans notre univers à tous par le biais des réseaux sociaux, des sites internet, des amis Facebook, des banques en ligne, des assistants virtuels, de la réalité augmentée qui nous montre des choses qui n’existent pas au milieu de l’image d’une chose ou d’une personne qui est physiquement présente devant nous.

Notre monde devient un monde fou, au sens propre.

Distinguer ce qui est réel et ce qui est informatiquement généré devient de plus en plus difficile.

Sommes-nous notre avatar sur un forum comme Elliott est finalement Mr. Robot ?

La lutte entre le réel et le virtuel

En même temps la série illustre une tendance qui s’accentue dans notre existence : le virtuel qui tente de prendre possession de notre réel.

Tout comme Mr. Robot s’ingénie à mettre Elliott dans des situations embarrassantes, difficiles, gênantes, voire intenables, pour pouvoir se retrouver avec les mains libres et continuer à échafauder son plan, certaines créations virtuelles commencent à nous dicter nos actions, comme tous les objets connectés qui sont inventés depuis quelques années : le frigo connecté est vide ! Va faire tes courses !

Le virtuel domine de plus en plus le réel, mais le réel essaie de résister. De même Elliott tente divers stratagèmes pour empêcher Mr. Robot de prendre le contrôle de sa vie. Privation de sommeil, ou bien de système informatique, écriture de tout ce qui lui passe par la tête et même d’un compte-rendu minute par minute de sa journée, médicaments, tout y passe.

Rien n’y fait.

Mr. Robot est une part de lui-même, si ancrée qu’il ne pourra s’en débarrasser.

Cela sera-t-il le cas pour nous aussi ?

La critique politique

Un aspect important de Mr. Robot est la critique assumée du système capitaliste et libéral dans lequel la société occidentale s’enfonce de plus en plus. Les divers personnages sont tous positionnés face à ce mode de fonctionnement. Il y a ceux qui luttent contre, et ceux qui vivent pour et par ce système. Parfois même la frontière est floue, un peu comme pour la distinction entre le réel et le virtuel.

Ceux qui luttent le font avec des idéologies différentes, et ce qui change c’est justement de savoir ce que la chute du système va entraîner ensuite. De répondre à la question : « on fait tomber le capitalisme financier, d’accord, mais pour mettre quoi à la place ? »

Les retraites qui ne sont plus payées, les fonctionnaires plus rémunérés, les investissements financiers gelés, la vie de millions de gens à travers les USA se trouve changée par la chute du système financier. Des conséquences que la série n’évoque que par petites touches même si elle n’omet pas les émeutes, les réquisitions, la création d’une monnaie transitoire.

Le système broyait déjà la vie des anonymes, mais sa chute entraîne aussi son lot d’avanies, plus ou moins voulues par les autorités, par la E-Corp, par la Dark Army et la Chine, pour des raisons totalement différentes et souvent opposées.

Fracture là encore, entre le simple quidam et les hautes sphères comme entre le réel et le virtuel. Entre les idéologues et les pragmatiques. Entre les anarchistes comme Darlene et les revanchards, entre les cyniques et les victimes.

La réponse apportée dans la série est tout sauf simple. Là encore, le flou domine.

Ce n’est pas là le moindre des compliments, car pour une fois une série américaine semble ne pas défendre mordicus une thèse, qu’elle soit pro ou antisystème.

En conclusion, Mr. Robot est un OVNI sériel, étrange, intéressant, plein de potentialités. Souvent difficile à suivre et donc difficile à regarder, noire, presque dépressive à certains moments. Mais essentielle lorsque l’on veut réfléchir aux enjeux de notre temps, et de ceux à venir.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Arès, hommage dystopique de la « french touch »

Arès, hommage dystopique de la « french touch »

Arès, hommage dystopique de la « french touch »

Il y a peu, je râlais (il n’y a pas d’autre mot) contre les réalisateurs français et leur manque de sérieux dans la production de leurs films.

Ironie de l’existence, j’ai vu avec plaisir Arès, un film français d’anticipation dystopique, dont la qualité vient en contrepoint parfait des trois exemples que je prenais dans mon précédent article, tant le soin apporté à de nombreux aspects me semble dénoter. En forme d’hommage à la référence anglo-saxonne du genre qu’est Blade Runner (dont une suite sera bientôt sur les écrans, d’ailleurs), Arès apporte cependant une vision un peu différente en se concentrant sur le destin d’un personnage égoïste dont la seule préoccupation est de survivre. Et c’est en cela que sa trajectoire tout au long de l’intrigue est assez originale pour un protagoniste principal.

 

Arès (alias Reda) est un ancien champion de l’Arena, un sport de combat qui fait s’affronter pour le plaisir et l’abrutissement des masses des gladiateurs aux poings nus, sans aucune règle ni aucune limite. Au contraire, même, puisque la compétition est le terrain d’expérimentation de drogues de combat produites par de puissants conglomérats financiers et industriels qui ont remplacé le gouvernement en France, pays gangréné par le chômage de masse, la pauvreté, les bidonvilles, et la violence.

Reda est un survivant, dont le regard sur la société est sans aucune illusion, presque cynique. Il n’a de loyauté qu’envers sa famille. Sa sœur, idéaliste militante d’une ONG qui dénonce la mainmise des conglomérats sur la société. Ses nièces Anouk l’adolescente rebelle engagée dans le militantisme plus violent dans une organisation subversive, et Anna l’innocente et attachante enfant.

Lorsque la société Donevia trouve une nouvelle drogue de combat létale pour tous ceux qui l’ont testée sauf pour Reda, son coach propose au gladiateur de remonter sur le ring en haut de l’affiche, lui faisant miroiter la gloire et la fortune, à lui l’ancien champion raté. Reda va alors devoir redevenir Arès, non pas pour l’argent lui-même, mais pour libérer sa sœur emprisonnée à tort par malveillance. Aidé par son amante, une policière aux fréquentations douteuses, par un ami de sa sœur membre d’une organisation rebelle armée, et par son voisin transsexuel Myosotis, il va entamer une nouvelle carrière. Mais le ring n’est pas le plus grand danger qu’il va devoir affronter, car la véritable arène se trouve plus dans les rues, dans les salons feutrés des boards qui dirigent les conglomérats, dans les alcôves où les trahisons sont la règle de la survie, qu’en face des caméras, des publicités et du divertissement de masse.

Arès est une excellente surprise tout d’abord par sa réalisation, soignée et crédible.

La fameuse « qualité d’image » made in France, celle qui fait reconnaître une production hexagonale au premier coup d’œil par l’excessive banalité de sa texture, fait place à une photographie très étudiée qui mélange les couleurs ternes et blafardes, qui projette vraiment dans la réalité de cette époque fantasmée où la pauvreté ronge la population et les cœurs. La référence à Blade Runner est assumée et bien endossée : néons, imperméables longs, boue, pluie, omniprésence de la nuit, et les « aréneurs » qui font vraiment penser aux « répliquants » du glorieux ancêtre.

Ensuite, l’interprétation est crédible. Arès est parfaitement incarné par Ola Rapace, et jusqu’au plus petit rôle, chacun et chacune est dirigé de façon à ce que l’univers devienne réaliste. Aucune faute de goût sur le casting, un engagement parfois très physique. Les dialogues sont justes, même si on aurait aimé plus de truculence dans leur écriture. Le tout est efficace, et fait honneur aux multiples références du genre tout en préservant un côté décalé que j’ai trouvé particulièrement réussi avec le personnage de Myosotis, dont la caricature (un univers dystopique appelle forcément la caricature) n’est pas gratuite et sert à montrer comment la « déviance » peut être parfois la seule façon saine de vivre dans un environnement lui-même déviant.

Le combattant, image du résistant

Prendre un gladiateur cynique comme héros principal est inhabituel dans les œuvres dystopiques, mais pas inédit. On se rappelle de Running Man, avec Arnold Schwarzenneger en 1987, dont le rôle, plus caricatural encore, était plus ou moins basé sur ce modèle.

En prenant comme point de vue un personnage dont la survie est le principal moteur, on entre de plain-pied dans la dureté et l’âpreté de l’univers. Seuls les forts survivent, en se battant et en éliminant leurs adversaires. Ils doivent pour cela faire des compromis : prendre des drogues, accepter de considérer leur adversaire comme un obstacle, développer leur agressivité. Et pactiser avec plus fort qu’eux pour ne pas se faire broyer eux-mêmes. Dans ces univers, les plus forts ce sont ceux qui ont le plus urgent et le moins de scrupules. Ceux qui siègent aux boards des grandes sociétés multinationales, mais aussi ceux qui sont prêts à trahir les leurs pour grailler un peu de ce pouvoir. Les petits malfrats, mais aussi les « lâches du quotidien », ceux qui dénoncent, qui manipulent, qui vendent leur âme.

Et pourtant, Reda qui commence comme un solitaire désabusé intéressé par sa seule survie devient peu à peu une figure de résistance, un véritable héros : il transcende ses propres limites pour des valeurs plus hautes que lui. Il prend conscience que sa force peut aussi servir à protéger les plus faibles que lui, à combattre non pas seulement pour lui, mais aussi pour ceux qu’il aime, puis aussi plus tard, pour tous les autres. En se jetant dans l’arène, Arès se sacrifie. Il accepte de prendre les risques insensés de la nouvelle drogue de combat. Il accepte de gagner, de perdre. Il accepte d’être pourchassé, voué aux gémonies. Il accepte d’affronter son destin. En toute connaissance de cause. Et il met sa force au service de ce qui le grandit.

Il devient même un symbole. Le combattant qui a refusé de se soumettre. L’image est forte depuis l’exemple de Spartacus dans la Rome antique, qui est utilisée dans Arès.

La vision cyberpunk

Les choix d’univers dans Arès classent d’emblée le film dans le courant cyberpunk, qui a fleuri dans les années 1980-1990 avec l’avènement de la pensée de l’hybridation homme-machine, des dérives du capitalisme globalisé, la faiblesse des gouvernements face à l’argent, la corruption organisée en valeur au cœur de la société, le divertissement de masse comme propagande et contrôle du peuple par les classes dirigeantes. Et si cela vous rappelle quelque chose (par exemple notre propre époque), vous n’auriez peut-être pas tout à fait tort.

En même temps, ce courant littéraire et cinématographique fait la part belle aux héros « à hauteur humaine ». À ceux qui vivent suivant des valeurs morales et éthiques à contre-courant de toute cette crasse. Un peu à la manière du Noir des années 40 et 50, les intrigues sont des intrigues personnelles et la fin n’est pas forcément heureuse. Mais elle éclaire l’âme de ceux qui résistent, même s’ils se font écraser à la fin.

Arès est moins désespéré, moins pessimiste, que les canons du genre cyberpunk classique, cependant. Il mêle un peu de cette fin de Trepallium que j’aurais aimé voir dans la série dont je vous parlais il y a quelque temps, même s’il se concentre moins sur les mécanismes qui tournent autour du travail et de l’argent qu’autour des valeurs de vie et du sacrifice que l’on peut consentir pour elles.

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Les Affinités, de Robert Charles Wilson

Les Affinités, de Robert Charles Wilson

Les Affinités, de Robert Charles Wilson

L’une des lettres de noblesse de la littérature de l’imaginaire est la licence d’inventer une nouvelle façon de se représenter le monde futur, de conjuguer le présent au moins-que-parfait ou à l’inconditionnel d’une évolution pressentie, anticipée, fantasmée.

Les maîtres parmi les écrivains de l’imaginaire sont ceux qui peuvent faire ressentir ce paradigme dans les moindres détails ou dans un quotidien qui devient étrange, sinon étranger, et qui font se percuter le réel et le non-encore-advenu, ou le réel et ce-qui-pourrait-advenir. Il y a Philip K. Dick, bien sûr, Neil Gaiman. Il y a Jules Verne.

Et il y a également Robert Charles Wilson.

Si vous n’avez rien lu de lui, jetez-vous dans la première librairie et dévorez Spin ou Darwinia, deux monuments dans lesquels il revisite notre monde selon deux postulats bien distincts mais tout aussi puissants. Dans Spin, son chef d’œuvre, la Terre est enfermée brutalement dans une bulle impalpable où le temps écoule beaucoup plus vite, précipitant la fin du monde à l’échelle d’une trentaine d’années. Et Darwinia nous convie dans un monde où en une nuit, l’Amérique a été remplacée par un continent inconnu et vierge.

Dans chacun de ses ouvrages, Wilson nous entraîne à penser notre quotidien différemment, il tord nos habitudes, questionne nos certitudes.

Avec Les Affinités, il essaie de répondre à une interrogation sur le devenir des réseaux sociaux en imaginant comment ils pourraient redéfinir la façon dont les êtres humains coopèrent.

Adam Fisk est un Tau, un membre de l’une des plus importantes Affinités, ces groupements humains constitués après qu’un chercheur israélien du nom de Meir Klein ait mis au point une nouvelle sociologie basée sur la capacité des individus à coopérer suivant divers critères à la fois physiques, physiologiques, psychologiques et génétiques. Les vingt-deux Affinités embarquent le monde dans une révolution des rapports humains où la nation, la religion, la famille, l’amour même s’effacent devant la fraternité qu’elles représentent. Et Adam Fisk, jeune étudiant en graphisme cherchant à se libérer d’une famille recomposée complexe et toxique, entre lui aussi dans la danse sans se douter le moins du monde qu’il va jouer un rôle déterminant dans l’évolution drastique qui s’annonce. Jusqu’à en expérimenter les joies les plus intimes, les doutes, les angoisses. Jusqu’à en subir la violence. Jusqu’à se transformer profondément lui aussi.

Le concept d’Affinité développé par Wilson est très riche et ne peut que faire écho à notre époque où les réseaux sociaux drainent des contacts et des façons de coopérer (ou de se déchirer) entre les êtres humains qui dépassent le simple cadre physique. Je pense par exemple au safety check du Livre des Figures, qui a matérialisé pour moi cette solidarité sans visage (jeu de mots ?) lors des attentats de Paris en novembre 2015. Et ce même si l’auteur dit lui-même que son interrogation va plus loin que les réseaux sociaux.

Si l’on peut se demander où va le Web ?, on peut aussi réduire la question à « où vont les rapports humains ? ». Comment le fait de se regrouper par followers, amis, cercles, contacts va modifier notre façon d’être ensemble ? Qu’est-ce qui va profondément changer dans notre monde relationnel ?

Robert Charles Wilson pose cette question en s’inspirant d’un autre maître de la SF.

Car la téléodynamique qu’aurait inventé Meir Klein pour baser le concept d’Affinité et redéfinir les façons qu’ont les humains de se regrouper selon des critères scientifiques rappelle beaucoup la psychohistoire d’Isaac Asimov et son cycle de Fondation, dans lequel la chute de la civilisation a été prévue par une nouvelle branche de la connaissance qui permet de réduire la période de barbarie qui doit suivre inévitablement l’Effondrement.

Les Affinités s’attache véritablement au concept de communautarisme, en cherchant à quel point les façons de se percevoir comme faisant partie d’un groupe peuvent remodeler notre rapport aux autres et donc au monde. Il est assez intéressant de souligner que Wilson est américain installé au Canada. Le monde anglo-saxon a une façon différente d’appréhender la communauté et le communautarisme, si on compare avec notre vision française héritée de l’Universalisme des Lumières et surtout du jacobinisme et de la devise de la République, « Une et Indivisible ».

Wilson en montre des travers possibles : guerre de communautés (entre Tau et Het, entre personnes affiliées à une Affinité et celles qui ne le sont pas), exclusions, exclusivités (des banques gérées par Tau pour des clients exclusivement Tau).

Adam en vient rapidement à considérer les non-affiliés comme des étrangers, y compris sa propre famille.

Ce qui a été créé pour symboliser une nouvelle voie de coopération entre les êtres humains devient en réalité une nouvelle ségrégation.

On peut réfléchir à ce que cela implique dans la transformation que les réseaux sociaux opèrent dans notre quotidien.

Nous coopérons avec des personnes que nous ne connaissons pas vraiment, en nous regroupant par affinité subjective. Sur Twitter, tel follower aura retweeté mon lien, alors il va m’apparaître sympathique, un autre va m’avoir suivi récemment, vais-je être tenté d’en faire de même ? Sur le Livre des Figures, quelle est la proportion de mes véritables amis et celle de mes « amis virtuels » ?

Ce qui pourrait apparaître (et qui apparaissait au début des années 2000), comme une nouvelle Universalité du genre humain, un rapprochement des peuples et une abolition des frontières, a tendance à recréer des tribus, des clans. Il n’y a qu’à voir comment les disputes se déroulent sur Twitter pour déjà le vivre, à une échelle moindre que dans Les Affinités, bien sûr, mais avec le même mécanisme.

En y pensant un peu, j’ai fini par conclure, en toute humilité, que le changement véritable dans les relations humaines est impossible.

Nous restons les mêmes animaux sociaux grégaires et claniques qu’il y a des millions d’années au début de notre évolution.

Les mêmes moteurs sont à l’œuvre dans nos rapports aux autres : des sentiments nobles comme l’amour, l’amitié, la loyauté, d’autres moins comme l’ambition, la haine, la peur.

Notre tendance à nous regrouper, à entrer en coopération, est toujours contrebalancée par une égale force d’opposition avec ceux qui nous sont dissemblables.

Les individus ne peuvent survivre seuls, alors ils forment des clans.

Mais les clans ne peuvent vivre que s’ils s’opposent à d’autres clans.

Et ainsi va l’Humanité, entre déchirements et rapprochements, entre Union et Brexit, entre rencontre et rupture.

C’est cette dualité, présente en toutes choses, qui structure notre histoire, comme elle structure toute évolution.

Et si l’Universalisme est une belle valeur, une de celles que je partage avec les philosophes des Lumières, elle reste une utopie improbable, une fantasque asymptote vers laquelle nous devrions tendre, sans jamais parvenir à l’atteindre.

Ou alors à la Fin des Temps, lorsque nous serons tous Sages.

Trepalium, le travail ou la mort

Trepalium, le travail ou la mort

Trepalium, le travail ou la mort

Le travail.

Dans nos sociétés où détenir un emploi est pratiquement devenu un marqueur de la valeur d’une personne, le sens étymologique du mot prend un sens nouveau.

Ce n’est donc pas un hasard si les scénaristes de la nouvelle série originale produite par Arte l’ont mise en exergue dans le premier épisode.

Trepalium, en latin, désigne le chevalet sur lequel les suppliciés étaient torturés. Il deviendra en français le mot travail, pour signifier aussi bien l’emploi d’un individu dans la société, sa tâche, que l’acte d’enfanter, véritable torture avant l’invention de l’anesthésie péridurale.

Torture.

Cette filiation étymologique est la base du pitch de la série.

Imaginez un monde où 80 % de la population est au chômage, et seulement 20 % occupent un emploi. Les tensions sociales ont été si fortes que 30 ans auparavant, les Actifs ont érigé un Mur autour de leur forteresse, laissant le reste de la population se débrouiller seule dans les ruines du reste de la cité. Alors qu’au dehors du Mur les Inactifs survivent dans des conditions très dures, à l’intérieur, chacun est prêt à tout pour garder son emploi, voire pour monter dans la hiérarchie en profitant de la moindre faiblesse d’un égal ou d’un supérieur. Ceux qui meurent au travail sont à peine froids qu’une lutte sans merci se joue pour se voir confier leur poste.

Même les enfants ne peuvent échapper à leur destin. Inactifs, ils sont livrés à eux-mêmes et doivent survivre d’expédients. Enfants d’Actifs, ils sont condamnés à réussir une scolarité impitoyable s’ils veulent contenter les espoirs que leurs parents ont placés en eux, espoirs de réussite sociale ou simplement de non-déclassement. Car à la moindre faiblesse, à la moindre maladie, point de protection sociale : c’est à la famille d’assurer la subsistance de celui ou de celle qui trébuche. Avoir des enfants possédant un bon emploi est donc la garantie de pouvoir vivre, ou survivre.

La série débute lorsque, pour libérer le Ministre du Travail retenu en otage depuis plus d’un an par des activistes au-delà du Mur et obtenir des aides financières de la communauté internationale, la Première Ministre décide de donner des gages en promulguant une loi obligeant dix mille Actifs à employer chacun un Inactif tiré au sort, qui chaque jour quittera la Zone pour entrer en ville, et chaque soir regagnera le bidonville des déshérités.

C’est ainsi que les deux sociétés vont à nouveau se côtoyer, apprendre chacune des horreurs que vit l’autre.

Izia Katell, jeune femme issue de la Zone, va ainsi entrer dans le quotidien de la famille de Ruben Garcia, jeune père de famille dont le regard désabusé sur sa propre existence cache mal des valeurs plus humaines que celles dont il est obligé de s’accommoder pour survivre.

C’est Mais où va le web ?, toujours à l’affût, qui m’a prévenu depuis Twitter de la diffusion de la série par Arte.

J’ai donc relevé le défi.

Trepalium décrit une évolution très noire de notre société actuelle. Une vision donc très irréaliste, mais qui a le mérite d’interroger la place que nous accordons à la valeur travail au travers d’une fable où Bienvenue à Gattaca aurait croisé Hunger Games.

Les références sont d’ailleurs assumées, jusque dans les lumières : ternes et froides dans la Zone, avec des débris, de la poussière, de la saleté, claires et brillantes dans la ville, où tout est aseptisé, artificiel, technologique. Ces choix fonctionnent bien, même s’ils sont empruntés à des références un peu trop appuyées, et si la réalisation a ce côté « image de série télé française » qui se voit immédiatement. Une qualité d’image qui gêne au départ pour entrer dans l’ambiance, d’ailleurs.

Le jeu est quant à lui un peu inégal, mais fonctionne relativement bien lorsqu’on saisit que les codes du théâtre ont été parfois choisis pour accentuer le trait. Et on entre petit à petit dans l’univers froid et glaçant. La réalisation s’améliore au fil des épisodes (ou bien on s’habitue).

L’intrigue quant à elle est sans grande inventivité (mais ce n’est pas là le véritable intérêt d’une dystopie, c’est vrai), et se déroule de manière classique, en empruntant le cheminement commun à Hunger Games, Divergente, et autres univers imaginaires totalitaires récents. Une révolution se prépare, dans laquelle les personnages « ordinaires » que sont Izia Katell, Ruben Garcia, et leurs familles, vont jouer un rôle de premier plan sans vraiment l’avoir cherché, simplement parce qu’ils se sont soulevés contre la tyrannie. Ce cheminement est surtout l’occasion pour chaque personnage de faire des choix moraux, de les mettre en pratique, d’y sacrifier éventuellement quelque chose.

La Zone suivant Trepalium (en haut) et le District d’Hunger Games (en bas), une belle ressemblance, non ?

Il faut dire que la dichotomie entre les deux mondes s’étend aussi au domaine psychologique, et c’est à la fois une bonne et une mauvaise surprise.

Mauvaise parce que la caricature paraît un peu trop marquée. Les Actifs, tout entiers tournés vers la réussite à tout prix, sont engoncés, méfiants, ne se touchent presque jamais. Leurs émotions sont cadenassées, car assimilées à des faiblesses potentielles. Les notions d’amour, d’amitié, de loyauté, sont toutes subordonnées à la réussite professionnelle. L’enfance même est une épreuve. Le loisir n’existe pas. Le personnage de la fille de Ruben, mutique, reflète toute l’absurdité et toute l’inhumanité de la société des Actifs. Elle choisit de se couper volontairement d’un monde qu’elle refuse. D’un autre côté, au-delà du Mur, les Zonards sont décrits comme des êtres plus instinctifs, avec des sentiments « normaux », même s’ils évoluent dans un monde dur où la survie physique est une épreuve de chaque instant.

C’est un petit peu manichéen, mais la bonne surprise est de sentir la cohérence du propos. Clairement, la série est prise comme une fable, et si on la regarde comme telle, la caricature, le manichéisme peuvent faire sens.

Et ce sens est une invitation à réfléchir sur notre façon d’envisager le fonctionnement et la place du travail dans nos vies.

On peut regretter cependant qu’avec 6 épisodes de 50 minutes, l’intrigue ne se contente que de décrire sur 3 épisodes un statu quo pour se concentrer sur les 3 derniers de narrer la chute du Mur. On aurait attendu d’une série produite et mise en avant par Arte d’approfondir un peu plus la réflexion. Surtout si l’on considère que les toutes dernières minutes de la série rebattent les cartes sur un twist non seulement prévisible mais assez dommageable, car on a l’impression qu’il est là pour focaliser l’attention du spectateur sur le déroulement de la Révolution plutôt que sur ce qui va se passer ensuite.

J’aurais bien aimé une proposition sur ce qui pouvait advenir une fois le Mur tombé. Quel genre de rapport au travail peut-on inventer si l’on sort de la dualité emploi/non emploi ? Si Trepalium est une série militante, clairement, j’aurais aimé qu’elle le soit d’une manière plus constructive. Il ne sert pas à grand-chose de dénoncer une fois de plus un état de fait, de décrire comment il peut mener à la ruine, sans proposer des pistes pour en sortir. Même si ce sont des chemins utopiques, même si ce sont des fantasmes sociologiques.

Les travers d’une société clivée, où le travail est montré comme aliénant, déshumanisant, toxique, où le cynisme des politiques et des dirigeants économiques (tout au long de la chaîne des responsabilités dans l’entreprise Aquaville, du plus petit chef de service au grand PDG) fait miroir avec les aspirations de la masse des exclus qui voient l’insertion dans un système inique comme étant la plus haute réalisation dans leur vie ; tout ceci est certes présent. Mais en poussant un peu plus la réflexion, on se rend compte que Zonards et Actifs sont unis dans cette soumission au travail. Les uns dans leur supplice de Sysiphe consistant à ne jamais perdre, les autres dans celui de Tantale, à ne faire que rêver d’atteindre un Graal qu’ils haïssent au demeurant.

Le trio dirigeant de la Ville (en haut) font face à Noah et sa mère Izia Katell, dans la Zone (en bas).

D’un autre côté, un personnage se détache de tous, celui de Robinson, la figure sage qui rêve de réunifier la société, même si son moteur n’est peut-être pas si innocent et altruiste qu’affiché. Il incarne une autre facette du travail, une facette qui tranche avec la vision qu’en ont tous les autres protagonistes. C’est un Zonard, mais il assume une fonction dans la Zone. Une double fonction. Celle d’un professeur, d’abord. Celui qui transmet aux autres non pas seulement des connaissances sur « le monde d’avant », mais aussi et surtout des outils pour réfléchir, pour penser par eux-mêmes. Gardien d’une bibliothèque, la seule que l’on voie dans la série, où les livres et les journaux sont conservés et prêtés alors que dans la cité tous les biens doivent être rendus pour être achetés à nouveau et faire fonctionner la machine productiviste, il incarne à la fois la mémoire d’une société plus civilisée, et la possibilité d’un autre modèle. Deuxième fonction, celle de dirigeant, dans l’ombre sous le pseudonyme de Sol, avec une grande ambition, celle de faire changer son monde. Celle d’un révolutionnaire.

C’est cette vision qui m’aurait vraiment intéressé de voir se développer. Il manque à Trepalium une ambition, et c’est justement celle de dépasser le simple cadre d’une fable commune comme peuvent nous en proposer tous les ans les studios hollywoodiens avec leurs dystopies produites pour les adolescents en manque de rébellion (et je n’ai rien ni contre les adolescents ni contre les rebelles).

On aurait pu montrer la chute du Mur en un seul épisode, le quatrième, et développer sur les deux derniers une ébauche de ce que le futur pouvait prendre comme forme. Évoquer un autre système. Changer les valeurs entre l’emploi et le non-emploi. Montrer une tentative.

Montrer comment, par exemple, un travail (celui d’enseignant) peut aussi être vu non seulement par le prisme du productivisme, mais aussi par celui de la vocation, de la fonction, du rôle.

Je crois profondément que le travail n’est pas aliénant, si et seulement si, il correspond à la place de chacun dans « l’Univers ». Je m’explique sur cette vision presque confucéenne des choses.

Il est faux de penser que les Zonards n’ont pas de travail, puisque chacun, pour survivre, est obligé d’occuper une fonction. Tel Robinson, tous occupent une place. Et si certains le font uniquement pour survivre, lui le fait par engagement. Il montre qu’un travail peut être à la fois utile, épanouissant, et donner un statut, une reconnaissance, même s’il n’est pas intégré dans la cité, même s’il vit en dehors du Mur. La bibliothèque semble être en effet comme un sanctuaire dans la série.

Ainsi, le travail peut être vu comme une fonction accomplie dans l’ordre des choses, et non comme une valeur à placer au-dessus des autres. Et sans notion de hiérarchie entre les différentes fonctions, puisque l’ensemble de la société a besoin de chacune de ses parties, comme un organisme a besoin de chacun de ses organes, pour fonctionner.

Si j’ai invoqué les mânes de Confucius, c’est sans doute parce que cette idée « d’ordre céleste » est ce qui résume le mieux pour moi cette vision idyllique et utopique certes, mais souhaitable, du monde du travail. Que chacun se sache à sa place, sans craindre le déclassement, mais en faisant de son mieux pour remplir sa fonction, ce qui lui offre non seulement les moyens de vivre de son travail, mais aussi la reconnaissance sociale après laquelle courent les Zonards dans Trepalium. Ce qui n’empêche pas non plus la mobilité, la promotion, la reconnaissance du mérite, le changement de poste, l’évolution de carrière.

Très loin, il est vrai, de la réalité actuelle que caricature la série en poussant dans ses retranchements la logique du système dans lequel nous vivons.

Actuellement, le travail est vu tel que le montre la série, comme une compétition permanente où chacun doit écraser l’autre. Les firmes commerciales doivent vendre plus que leurs concurrents, toujours plus. Les dirigeants doivent augmenter la productivité et les bénéfices de leur société, toujours et toujours plus. Les actionnaires doivent engranger plus de dividendes, toujours et toujours plus. Les salariés doivent augmenter leurs cadences, faire toujours mieux avec toujours moins de moyens, toujours et toujours plus. Et à chaque étage, écraser un concurrent n’est en aucune manière un interdit. Au contraire, c’est une pratique encouragée.

Un monde tel que le décrit Trepalium, sans les excès les plus visibles ?

Peut-être pas, parce que la série fait l’impasse sur les transformations actuelles du monde du travail dues à la révolution numérique, et ce même s’il tente une percée du côté des lanceurs d’alerte (des informations confidentielles à propos de l’entreprise Aquaville sont vitales pour la révolution qui se prépare, Sol se proposant de les divulguer pour créer une insurrection dont les activistes profiteraient). D’autres en parlent bien mieux que moi, mais si l’on peut craindre que cette révolution n’accentue un fossé entre classe possédante et classe subissante, on peut aussi penser qu’elle soit le bon moment pour repenser notre rapport avec le travail et notre rôle dans la société.

L’univers clair et aseptisé de Trepalium (en haut), et celui de Bienvenue à Gattaca (en bas)…

Le travail n’est-il pas qu’une façon de faire avancer l’Humanité ?

Si vivre c’est créer quelque chose de différent, qui n’existait pas avant, pour ajouter de la diversité et de la complexité à l’Univers qui nous entoure, alors le travail ne doit viser qu’à cela. Vivre.

Depuis les virus recombinant leurs génomes à l’infini pour constituer des espèces toujours plus diverses, jusqu’aux inventions que les esprits humains matérialisent, la vie n’est que création. Y compris dans les postes de travail les plus « simples », dont les techniques, les astuces professionnelles, les coups de main, sont toujours plus fins, sophistiqués, pensés, affinés, par les expériences, les échecs, l’apprentissage.

Pour le moment, l’Homme est irremplaçable dans le domaine de l’évolution, la création, l’inventivité.

Sa place est peut-être là, et non dans l’inutile course à la rentabilité.

Des mouvements sont à l’œuvre, ici ou , pour repenser notre place dans le travail.

Et au vu de l’explosion des pathologies plus ou moins directement liées à la sphère professionnelle (burn-out, dépressions, maladies professionnelles), dont je suis l’un des témoins privilégiés et impuissants, il est sans doute urgent d’y parvenir.

Trepalium y participe à sa manière, celle d’un miroir déformant.

Il est hélas frustrant de ne pas distinguer dans ce miroir une autre réalité, un reflet vers une autre proposition.

C’est peut-être notre rôle à nous, spectateurs, citoyens, que de le construire de nos mains.