La Désolation de Smaug, Extended Cut
C’est toujours la même chose avec Peter Jackson : à chaque sortie d’un film de son interprétation de la Terre du Milieu, il faut attendre un an de plus avant d’avoir la véritable version, celle qui donne le plus de sel à l’œuvre, celle qu’il a vraiment pensée.
Ce qui est sans doute un peu une ficelle marketing permet aussi paradoxalement de prolonger le plaisir de la découverte de cet univers riche et fouillé qu’il met autant d’ardeur à explorer que Tolkien à le créer. Ainsi, chaque « version longue » est l’occasion de se demander si on avait bien vu tel détail lors de la sortie en salle, ou si on avait remarqué tel plan, ou, parfois, si les scènes ajoutées apportent vraiment quelque chose à l’histoire et à l’univers.
C’est en quelque sorte une école de patience qui apprend à goûter plus encore ce que l’on a anticipé si longtemps.
La Désolation de Smaug ne fait pas exception.
Le deuxième volet de la trilogie du Hobbit était pour moi à sa sortie le morceau le plus attendu. J’avais hâte de voir le Cracheur de Feu du Nord, et l’interprétation qu’en avait imaginé Peter Jackson avec la voix et les mouvements de Benedict Cumberbatch. J’avais hâte de rencontrer Bard. J’avais hâte de contempler le Royaume des Elfes Sylvestres.
Lorsqu’il y a un an le film est enfin sorti, j’ai comme tout le monde été surpris par la romance qui se nouait entre un Nain et une Elfe Sylvestre. J’ai été un peu déçu par certaines scènes à mon avis trop numériques (Legolas virevoltant lors du combat contre les Orcs sur la rivière). Mais j’avais été conquis par Bard, impressionné par Smaug, fasciné par Thranduil.
Un an après, Peter Jackson sort le troisième volet, mais aussi son « extended cut » du deuxième, sur lequel je me suis rué.
Comme pour la version longue de La Communauté de l’Anneau ou des Deux Tours, celle-ci apporte un montage un peu différent sur des scènes clefs, même si le bouleversement n’est pas aussi grand que sur le premier volet du Seigneur des Anneaux (dans lequel tout le début a été complètement remonté dans la version longue, avec une introduction bien plus fidèle au livre tout en étant bien plus dynamique par rapport à la version sortie en salle).
Des scènes clefs qui sont tellement importantes que l’on se demande bien pourquoi elles ont été éliminées de la première version cinéma. Car si elles ne concernent pas véritablement le cœur de l’histoire, elles ont à voir avec la toile de fond du plan de Sauron, avec les machinations qui se sont tramées depuis l’attaque du Dragon sur Erebor. On apprend donc beaucoup de choses sur le destin d’un personnage essentiel : Thrain, le père de Thorin. Pourquoi il a disparu, et comment il a disparu. Le lien avec le Seigneur des Anneaux est encore plus prégnant avec ces révélations, qui esquissent le plan à long terme de Sauron. L’incursion de Gandalf au cœur de Dol Guldur prend une tout autre ampleur.
Par contre, que Gandalf découvre autant de choses peut interroger sur le temps qu’il mettra ensuite à faire le lien entre l’anneau de Bilbon et l’Anneau Unique dans La Communauté de l’Anneau, qui se déroule bien des années plus tard.
Toujours est-il que ces nouvelles scènes donnent une dimension plus « politique » à l’intrigue, en l’insérant dans une vision globale de l’hexalogie qui donne de la cohérence à l’ensemble.
Bien sûr, les puristes pourront arguer que la cohérence ainsi exposée n’est pas tout à fait fidèle aux écrits de Tolkien. L’adaptation d’une œuvre artistique doit forcément passer par une interprétation personnelle, une appropriation de l’œuvre originale et donc une modification de certains détails. Dans le cas présent je trouve les ajustements assez bien faits pour passer inaperçus et s’intégrer dans le reste de la trame tout en apportant au film cette dimension, absente du Hobbit littéraire.
Les autres ajouts sont plus discrets : quelques échanges supplémentaires entre le Maître de Lacville et son âme damnée, notamment, ou bien l’entrée clandestine des Nains dans Lacville (ou plutôt Esgaroth), plutôt bien faite. J’ai regretté de ne pas en avoir plus vu sur Smaug, mais il faut reconnaître que toutes les scènes avaient déjà été montrées dans la version cinéma et qu’il n’y avait probablement pas grand-chose de plus à tourner sans trop délayer.
On ressort de cette séance avec des étoiles plein les yeux, et l’esprit encore bouillonnant. L’immersion fonctionne mieux encore qu’avec la version cinéma, ce qui me semble être le but de ce genre d’exercice.
Il ne reste plus qu’à clore la trilogie en dégustant La Bataille des Cinq Armées une première fois au cinéma… et à attendre l’année prochaine pour une nouvelle version longue !