Mes carnets de jeu de rôle
J’ai ri, frissonné, été ému ou révolté.
J’ai vécu de nombreuses vies grâce à mes alter ego de papier et à mes camarades de jeu.
Au fil des années, j’ai construit avec eux des souvenirs incroyables.
Et parfois, je me les remémore. Il m’arrive même, en bon vétéran, de ressortir quelques anecdotes qui pourraient me faire passer pour un vieux radoteur (n’ayez pas peur, ce n’est pas ce que je vais faire dans cet article).
Je prends des notes sur chaque partie, chaque intrigue, depuis très longtemps (plus de deux décennies).
Mes notes ont longtemps été, et ce même sur des campagnes qui se sont étalées sur des années, prises sur des feuilles volantes qui étaient aussi brouillonnes que mal présentées. Et si l’on ajoute à mon écriture non euclidienne une propension naturelle des feuilles volantes à s’envoler (sic) vers les interstices étranges qui se cachent dans les limbes, des centaines d’heures de jeu ne vivent plus que dans mes souvenirs forcément parcellaires. Ainsi, cet assaut d’un immense caravillion venn’dys par une équipe de trois fous furieux à Guildes n’est plus vivant que dans les neurones de mon hippocampe cérébral et dans ceux de mes compagnons de table d’alors.
Puis je me suis mis à reprendre mes notes pour en écrire des textes à la qualité littéraire discutable mais censée reproduire un peu de l’ambiance des aventures que nous avions vécues. C’est donc dans cette période que les odyssées de notre groupe de Voyageurs dans les Rêves des Dragons ont été narrées par mon personnage, Sire Arnaud de Oanefor’ol. Dans cette même période, les moines copistes de l’abbaye de Glastonbury ont chroniqué la vie de l’enchanteresse Oriane que j’incarnais dans de très longues parties de Pendragon aux côtés de preux chevaliers. Les nuits gothiques de l’Amérique des années 1990 ont brui des murmures effrayés des méfaits des anciens vampires que nous animions à la Mascarade. Puis les roseaux calligraphiés d’idéogrammes ont raconté les légendes de nos wu xia dans la campagne Tian Xia à Qin.
Pourtant, le premier but de ces notes était et reste toujours le même : retrouver les détails qui permettaient de reprendre le fil de l’histoire là où nous l’avions laissé d’une séance sur l’autre. Permettre à nos cervelles de geeks de se remémorer les choses les plus importantes, les motivations qui avaient guidé nos personnages, les noms de leurs alliés, de leurs ennemis. Les petits indices qui pouvaient nous sauver la vie durant une confrontation avec une némésis, ou ceux qui nous guidaient vers la résolution d’un mystère.
Longtemps j’ai eu un classeur pour regrouper tout cela. Mais c’était encombrant.
D’autres écrivaient dans des carnets, mais je n’aimais pas avoir mes notes de Vampire mélangées avec celles de Rêve de Dragon, ou de Star Wars.
Et puis au bout d’un moment, quand j’ai eu moins de temps à consacrer à la reprise de mes gribouillis pour en faire des comptes-rendus potables, je me suis retrouvé avec des feuilles hideuses et un peu inexploitables.
Et puis, en 2014, j’ai trouvé un compromis.
Ni bullet journal comme Antoine Saint Épondyle, ni carnet de jeu comme Aemarielle, mais un peu des deux sans doute grâce à la magie des étiquettes numériques, j’ai adopté la prise de notes manuscrites sur une tablette avec un stylet.
Pourquoi prendre des notes ?
Il y a le bon rôliste, qui prend des notes. Et le mauvais rôliste, qui prend des notes, mais… c’est un mauvais rôliste, quoi.
Sérieusement, je crois que tous les rôlistes de par le monde prennent des notes lors de leurs séances de jeu. La seule différence qu’il y a entre eux, c’est comment ils le font. Parce que le pourquoi, je pense, reste le même : pouvoir retrouver une information importante durant le déroulement de l’histoire, même si c’est lors d’une séance jouée six mois ou un an après.
D’une part, cela assure de ne pas confondre un personnage allié avec un ennemi. Il est impératif d’identifier les autres protagonistes, et notamment les PNJ. Lorsqu’on les rencontre pour la première fois, la description de la Meneuse est aussi très importante. Je note souvent des informations clefs, comme la taille, les caractéristiques physiques marquantes, l’attitude. Lorsque nous croiserons à nouveau le personnage, il sera alors plus facile pour moi de l’imaginer et retrouvant ces notes.
D’autre part, cela fixe le déroulement des événements. Il est parfois vital de retrouver une chronologie de faits survenus durant la partie, afin d’échafauder les hypothèses (souvent fausses) et des plans (souvent foireux). Ces conjectures des PJ se déroulent rarement sans accroc, mais pour paraphraser un héros de série télé de mon enfance :
«J’adore que nos plans se déroulent sans accroc».
Écrire des notes à la main
C’est pour moi la méthode la plus naturelle. D’abord parce que cela demande moins de concentration que de taper sur un clavier. Ensuite parce qu’il y a dans le geste une certaine façon de fixer ce que l’on écrit dans une mémoire particulière, la mémoire procédurale, qui pour moi fonctionne vraiment.
Cela ancre autant que cela encre, si je puis dire.
Le seul écueil pour moi est mon écriture. Parfois, j’écris si vite que j’ai peine à me relire.
D’autre part, pris dans le scénario, il est parfois fastidieux de tout noter, alors que des détails peuvent être fondamentaux pour la suite. Voilà pourquoi je pense qu’il est bon que tous les membres de l’équipe (ou au moins la majorité, Sixte, je te vois) prennent chacun leurs propres notes. Car elles pourront sans doute se compléter à un moment donné.
Retrouver ses notes
Deuxième difficulté : retrouver ses notes. Dans un carnet papier, on peut choisir de séparer par campagne, comme Aemarielle. Par jeu, par thème, par ambiance. Mais difficile souvent de retrouver un moment particulier. Il faut alors fouiller, feuilleter interminablement. À moins d’utiliser le système du bullet journal. Je ne le trouve personnellement pas pratique du tout en cours de partie. Il faut là encore trop fouiller et feuilleter pour trouver l’endroit où noter ce que l’on veut garder sous la main, tout en ayant son attention toujours focalisée sur ce qu’il se passe autour de la table.
C’est d’ailleurs encore plus vrai lorsqu’on est obligé, comme c’est le cas depuis plus d’un an, de jouer à distance via une interface virtuelle type Roll20. La gestion de l’outil de virtualisation de la table et le nécessaire contact visuel avec les autres participants rendent l’exercice de la prise de notes beaucoup plus énergivore, je trouve.
Voilà pourquoi je préfère depuis quelques années me servir d’une application iPad qui s’appelle NoteShelf. Elle me permet d’écrire à la main sur l’iPad avec un stylet, et grâce à la reconnaissance d’écriture intégrée, de rechercher un terme (si je ne l’ai pas trop mal écrit, bien entendu, et c’est là que mon plan se déroule souvent «sans» accroc, comme vous pouvez vous en douter) et de retrouver toutes ses occurrences dans le fichier.
Il est aussi possible de tout centraliser dans un seul carnet (ou un carnet par année si on veut) et de marquer chaque page par des étiquettes ou des balises. Cela facilite grandement le classement et la relecture.
Mes notes de Meneur
Comme le plaisir du jeu de rôle est aussi de mener des parties en tenant le rôle de MJ, prendre des notes peut également s’avérer crucial lorsque l’on a cette place-là. Mais ces notes sont différentes.
Je construis depuis longtemps (même si je n’ai formalisé ma pratique que depuis quelques courtes années) mes scénarios ou campagnes originales avec des cartes heuristiques, et un carnet de notes ne me sert pas vraiment, sauf de fourre-tout.
Par contre, en cours de partie, il m’arrive de noter à la volée quelques détails de ce qui se passe.
En effet, le plus intéressant pour ma place de Meneur est de consigner certains actes ou certaines paroles de mes PJ pour tenir compte ensuite de leur impact sur la suite de l’histoire, ou sur le monde. Un personnage a insulté ou s’est fait un ennemi d’un de mes PNJ ? Il faut absolument en garder trace, parce que plus tard cela va finalement ressortir. Le groupe a laissé filer un suspect ? Bonjour la culpabilité lorsque ce suspect aura à nouveau frappé.
Ainsi, mes notes de Meneur sont plus laconiques que mes notes de joueur.
Elles sont aussi vouées à être intégrées dans les cartes heuristiques des prochaines parties, car tout le sel de l’exercice consiste à me servir de ces pistes pour modifier ensuite l’histoire. Les joueurs se rendront ainsi compte que leurs actions ou non-actions ont de véritables conséquences, et cela renforcera la crédibilité à la fois de l’histoire et du monde, tout en consolidant l’impression qu’ils auront (que nous aurons tous) d’évoluer dans un véritable monde imaginaire cohérent.
Je trouve de même que prendre des notes ainsi est également plus difficile lorsque l’on maîtrise une partie à distance par une interface virtuelle du type de Roll20 et consorts.
Je n’ai pas encore vraiment trouvé l’organisation qui me conviendrait parfaitement.
Mais après tout, la vie est un éternel recommencement…
Que faire de ses notes ?
D’abord, c’est évident, les relire avant la prochaine partie.
Ensuite, les partager avec ses camarades de jeu. On ne sait jamais, ils pourraient avoir égaré les leurs, ou bien n’avoir pas noté une information capitale qui ne vous a pas échappé.
On peut aussi faire comme j’en avais l’habitude dans les années 90 : en tirer des comptes-rendus de partie rédigés.
Et puis… et puis on peut aussi en faire quelque chose d’autre.
C’est un de mes nouveaux projets, qui peut-être verra le jour cette année.
Je n’en dirai pas beaucoup plus pour le moment, si ce n’est un seul nom : les Mésaventuriers.
Merci pour ta présentation de tes prises de notes ! Je trouve ton écriture très lisible, et on sent que tu structures drôlement tes prises de notes, j’adore !
Petite note sentimentale avec le classeur, vraiment j’adore ce genre de support qu’on peut rouvrir, tripoter, déplacer.
Tu fais donc partie des rares personnes à déchiffrer les hiéroglyphes ! Félicitations ! Mais je n’en attendais pas moins de toi, qui arpentes les contrées de Khem depuis si longtemps… 😉
La structure, c’est un peu ma marotte. En fait je suis paradoxalement très bordélique, mais j’ai besoin de structurer des choses en particulier. Et ma prise de notes, comme tu as pu le constater, est à la fois un peu fouillis et un endroit où je dois organiser ma pensée. Le numérique a ceci de génial qu’il permet de revenir sur une page autant de fois qu’on veut. Et la recherche des termes, même imparfaite, c’est ce que je trouve de plus magique là-dedans.
Quant au classeur, c’est une antiquité des années 1980… honnêtement, ça fait partie de mes objets fétiches. Un temps il a accueilli des vieux scénarios de Casus Belli, puis certains de mes personnages. Actuellement il est dédié à mes notes de Qin d’il y a plus de 10 ans maintenant. Mais je ne le consulte plus beaucoup. Il va falloir que ça change, tu as raison !