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Mémoires rôlistes d’un vieux briscard, chapitre 3 : Alter ego imaginaires

par Oct 8, 2022Chimères Partagées0 commentaires

J’ai découvert le jeu de rôle1 à l’âge de 13 ans. À la date à laquelle j’entreprends l’écriture de cette série d’articles, j’en ai 49. Et durant tout ce temps, je n’ai jamais vraiment cessé de pratiquer ce loisir à la fois créatif, artistique, instructif, social, et quelque peu mystérieux pour beaucoup d’entre mes contemporains. Lorsque j’ai commencé, seuls les garçons, en général des adolescents parés de lunettes à culs de bouteille et arborant leurs boutons d’acné comme de fières oriflammes, osaient se passionner pour ces histoires construites à plusieurs voix. Le reste de l’Humanité (c’est-à-dire les filles et bon nombre de nos camarades mâles) nous considérait comme des gens bizarres. C’est de là que viennent les images classiques de ce que l’on appelle maintenant les geeks, ou pire, les nerds, une sous-espèce de geeks encore plus étranges parce qu’ils préféraient tuer des dragons imaginaires plutôt que de taper dans un ballon comme on l’attendait d’eux.

Pourtant, plus de trente ans après, ma tribu de rôlistes (ainsi nous nommons-nous nous-mêmes) est devenue banale, voire sexy. Une série à succès prend même des geeks dans mon genre comme héros et fait du jeu de rôle une base de son intrigue, à savoir Stranger Things, qui tourne autour de monstres dignes de Donjons & Dragons.

Les ados des années 1980 sont devenus parents, et ont fait infuser la culture de leurs histoires de trolls et d’elfes dans toute la société. Ils ont même partagé cette culture avec leurs épouses, leurs enfants.

De plus jeunes rôlistes sont nés.

Et je suis devenu, comme tous ceux de ma génération, un vieux de la vieille. Un vieux briscard des tables de jeu. Presque un grognard de la Grande Armée de D&D.

Durant toutes ces années, j’ai évolué avec des jeux différents, exploré des univers variés, incarné des personnages divers.

J’avais envie de parler de certains d’entre eux, des souvenirs que j’en ai, et de ce que nous pouvons en faire aujourd’hui, dans les années 2020. Cette série d’articles est donc à la fois une biographie ludique et une incitation à découvrir ou revisiter des pépites vintages.

Après les univers, puis les aventures qui ont jalonné mon parcours rôliste jusqu’à maintenant, il est temps de vous présenter mes alter egos. Ces personnages sont ceux que j’ai le plus aimé incarner, soit parce qu’ils résonnent très fortement avec moi (et en ce cas vous découvrirez certaines de mes facettes), soit parce que je les ai incarnés longtemps, soit parce qu’ils étaient très éloignés de moi.

Ma carrière de joueur est longue, mais paradoxalement, il y a peu de personnages dont je puisse dire avec certitude qu’ils m’aient vraiment marqué. Pour cela, il faut qu’ils aient été parés de certaines qualités, qui la plupart du temps se sont révélées en jeu. Et cela explique que tous sont des personnages issus de Campagnes et jamais de one-shots, même si j’aurais pu présenter Hieronymus du scénario La Nuit des Damnés, ou Timothy Free, qui apparait dans Amerikla, deux scénarios de convention dont je vous ai parlés dans l’épisode précédent. Je les ai écartés justement parce que vous pouvez les trouver avec les liens glissés dans ce dernier article.

Quant aux incarnations que j’ai retenues, je me suis rendu compte qu’elles peuvent aisément se classer en quatre catégories.

Les combattants au grand cœur

J’ai toujours aimé jouer les combattants. Mais pas n’importe quel soudard assoiffé de sang. Non. Comme mon enfance s’est déroulée sous le regard de Gauvain, de Roland, ou de du Guesclin, c’est plutôt la figure du chevalier, ou du moins du guerrier possédant un grand sens de l’honneur, qui vient spontanément chez moi quand il s’agit d’incarner un personnage maniant les armes.

Sire Arnaud de Oanefor’olh

Il fut le premier de cette lignée de personnages. Inspiré, comme vous l’aurez sans doute deviné avec le jeu de mots affiché par son nom lui-même, de Cyrano de Bergerac, il alliait une compétence certaine pour trucider autrui et une âme de poète un peu naïf.

Sire Arnaud était toujours prêt à se jeter dans une bataille pourvu qu’il y eût une juste cause à défendre, voire une belle dame sans merci à délivrer. Il était quelque peu haut-rêvant, et certainement rêveur.

C’est avec lui que j’ai commencé à écrire mes comptes-rendus de partie comme des petits morceaux de nouvelles littéraires. Ici, il s’agissait de les présenter comme des extraits d’une autobiographie du personnage. J’avais d’ailleurs déjà dans l’idée que cette relation ne pouvait qu’être partiale, ce qui conduira bien des années plus tard au concept fondateur d’un autre de mes personnages mythiques, Will l’Écarlate, alias Étienne Beaulieu de Rocfou.

C’est aussi avec lui que j’ai commencé à remplir les fameuses feuilles détaillées de personnage que mes camarades de l’époque et moi-même avions conçues pour peaufiner l’interprétation.

Ses aventures s’achevèrent dans un gris-rêve qui ne me laisse que peu de souvenirs précis, mais plutôt une impression d’avoir passé de très longues et agréables heures de jeu.

Un petit extrait de ses mémoires ?

Cherche-Lune

C’est sur le chemin de Cherche-Lune que mes yeux s’ouvrirent enfin des nébuleux souvenirs. C’est à Trois Clairières que je rencontrai, dans la Maison des bûcherons, cette jeune damoiselle aux cheveux cuivrés2, elle que je ne comprendrai sans doute jamais. Elle était la preuve que les Dragons rêvent aussi la Beauté, autant que l’Incompréhensible, la Folie et la Futilité. Elle devint bien vite ma compagne de Voyage, une compagne bien étrange. C’est en cheminant vers le nord et les montagnes que Cherche-Lune nous apparut, petit village de tailleurs de pierres blotti au creux des premiers contreforts.

[…]

Le rêve faillit me faire hurler de terreur. Bréman était là, devant moi, et, penché sur ma figure, il ricanait avec un rictus qui déformait ses traits d’une façon horrible. Il ne cessait de répéter qu’il allait se venger, et ses paroles resteront gravées en moi… Je sursautai en me réveillant. Il fallait en avoir le cœur net.

[…]

L’escalier de bois, comme je venais de le rêver dans les Terres médianes, se liquéfia en partie et se transmuta en eau, juste à l’endroit où courrait le Groin, qui se retrouva au rez-de-chaussée en moins de temps qu’il ne faut pour pousser un soupir. Je pouvais remonter m’occuper de Bréman, et l’empêcher de continuer sur Élaïd et moi ses envoûtements maléfiques. Arrivé au premier étage, je provoquai le malfaisant en duel, mais le lâche m’attendait avec déloyauté. Il fit agir ses maléfices sur moi et me fit mettre à genoux par sorcellerie. La seule solution fut de rêver de faire appel à la puissance de mes songes. Je savais qu’il invoquait Thanatos par la boule de cristal qui devait se trouver devant lui sur la table de bois. Je rêvai donc que cette boule de cristal se métamorphosât en mouchoir vert à pois oranges et rayures écossaises. La malchance s’en mêla : il ne se servait pas d’une boule de cristal… mais d’un mouchoir !

Le sorcier put donc me forcer à ne plus parler. Puis il se leva et vint me frapper d’un tabouret, trop couard pour m’affronter l’arme à la main, et trop vicieux pour me laisser une chance. Je ripostai, tirai ma rapière et essayai de l’en frapper, mais rien n’y fit, et j’entendais les villageois qui venaient aider Bréman… car ce diabolique sorcier avait envoûté tout le village. Je résolus donc de rêver encore une fois. Ailes, bras, ailes, bras, plumes, peau, plumes, peau… oiseau.

[…]

Chan me parla ouvertement. Deux jeunes filles avaient disparu en un an, à six mois d’intervalle. Mes soupçons contre Bréman et son «domestique» Groin se confirmèrent. Mon départ fut évoqué. Chan me renseigna beaucoup, et me fit donner, en échange de mon luth, un «globalet», sorte de lanterne fonctionnant grâce à des champignons qui éclairent durant des mois. Il me parla du Tunnel. J’attendis la nuit et le lendemain.

Un cri déchira le silence que faisaient peser les étoiles. Le cri d’Élaïd. Elle m’appelait, elle avait besoin de moi. Et Bréman était derrière tout cela. C’était clair, maintenant. Il était bien le ravisseur des jeunes filles, d’Anna et d’Elaïd. Il fallait le châtier.

[…]

Le labyrinthe s’ouvrait devant moi. D’anciennes galeries d’une carrière de marbre. Les grilles une fois forcées par les villageois, je laissai Fine Masse et les autres. Il fallait trouver ce méprisant sorcier, et son châtiment m’appartenait. Il respirait d’un souffle court et haletant, d’un souffle de bête traquée, d’un souffle de misérable. Je me ruai. Mais mon épée rencontra la lame du Guerrier Sorde. Le scélérat l’avait sorti des songes des Dragons pour couvrir sa fuite. […] Les plaques de métal enfin réduites en carcasse inanimée par les marteaux des villageois, je repris la traque, seul. Enfin, ma lame trouva sa poitrine, tandis qu’Élaïd était hors de danger. Ma colère apaisée pour le moment, je trouvai refuge dans le sommeil que dispensent les Dragons. Tout était prouvé. Tout serait expliqué. Les corps sans vie des deux victimes, retrouvés dans la faille où les avait entreposés Bréman, en seraient les ultimes sentences.

Ah ! Cherche-Lune, herbe de lune, kussek et globalet. Adieu en ce songe, au revoir en d’autres vies…

Chan, FineMasse, adieu tous. Notre route doit nous mener vers l’est, vers le Tunnel qui traverse les montagnes, vers le nord où s’étend l’Inconnu, où nous poussent le désir du Voyage et les pensées des Dragons.

Chapitre I : «À travers les Montagnes» (Ibid I, 1)

Eilidh MacLean

Aux antipodes de Sire Arnaud, Eilidh est une tentative de ma part pour concilier de nombreuses images disparates et en faire naître un syncrétisme improbable. Jugez-en plutôt : née dans les Hautes-Terres d’Écosse au XVIe siècle, et guerroyant contre les envahisseurs anglais, elle est faite vampire (puisqu’il s’agit de mon personnage fétiche de Vampire the Masquerade) par une puissante sorcière Brujah de la Cinquième Génération, Altamira, avant de devoir s’exiler dans le Nouveau Monde au XVIIe siècle et de vivre parmi les Amérindiens hurons. Malgré son statut d’Ancienne, elle épouse la cause des Anarchs lorsque la campagne D.C. by Night commence, ce qui lui vaut d’attirer sur elle la méfiance à la fois des Anciens pour qui elle est une traîtresse dangereuse et des Anarchs qui la voient comme une dominatrice en puissance.

Vous avez donc là Highlander (le film et la série), l’image de la Morrigane et des sorcières amérindiennes, celle des bikers.

Le plus intéressant fut de confronter ces différentes images que j’avais réussi à construire avec la mythologie de Vampire : la Guerre secrète des Générations entre elles, les peurs millénaristes des Vampires, et surtout, une conception assez subtile de l’horreur intérieure développée patiemment par notre meneur d’alors.

Il avait en effet construit tout un passé entourant non seulement Eilidh elle-même, mais aussi et surtout son Sire, Altamira, auquel il avait donné un rôle dans les événements primordiaux du clan Brujah que sont le meurtre du Fondateur par Troilos. Mieux, il avait centré l’arc narratif du personnage sur une question fondamentale de quête d’identité. Il s’avérait en effet que beaucoup de l’histoire d’Eilidh avait été refaçonnée dans sa mémoire par son propre Sire. Ainsi, Eilidh était-elle beaucoup plus vieille. En cours de jeu, nous avions découvert que mon personnage était né au XIIe siècle, peut-être avant, et que des souvenirs avaient été implantés en elle, quand d’autres avaient été effacés. Ainsi, elle avait participé à l’assassinat d’un puissant vampire du clan Ventrue, et l’avait oublié. Ainsi, son frère Eoghan, qu’elle retrouva au XXe siècle à D.C., était-il son véritable frère Étreint par un vampire d’un clan rival (celui des Tremere), ou bien était-il un étranger qu’on lui avait fait prendre pour son frère ? Tout cela n’était qu’une «expérience» d’Altamira, qui voulait se prouver à elle-même que les véritables sentiments ne pouvaient être effacés de la mémoire. Car elle avait été elle-même traumatisée par sa trahison. Avait-elle tué son frère ? Avait-elle séparé son être en deux pour tenter de se débarrasser de la Bête intérieure des Vampires et ainsi créé une sorte de double ? Je ne le saurai jamais, car la Campagne s’est arrêtée avant.

Je garderai beaucoup de très bons souvenirs de ces longues années à incarner Eilidh. Car, voulant toujours agir en «bien» (pour une vampire, s’entend), elle se confrontait toujours à une réalité beaucoup plus délicate et cruelle. Cette frustration me forçait à essayer de trouver d’autres moyens. Et le mystère qui entourait son passé rendait l’envie de creuser irrésistible. J’ai beaucoup imaginé sur les réponses que «Pappy Boyington» avait réellement trouvées à ce mystère, à ce qu’il avait réellement construit. Je sais que mes hypothèses sont toutes fausses, car je n’ai jamais pu en discuter franchement avec lui. Par contre, elles ont infusé dans certaines de mes créations. Car la quête d’identité est l’un de mes thèmes favoris. Je crois qu’il s’exprime dans beaucoup de ce que j’écris, que ce soit en jeu de rôle ou ailleurs.

Yumiko Kusanagi

J’ai par exemple exploré ce thème quelques années après avec Lasverinas, dans sa campagne manga Olympus 2061. J’y interprétais ma version personnelle du major Motoko Kusanagi, le cyborg de Ghost in the Shell. Le questionnement identitaire du personnage originel du manga m’a toujours fasciné. Femme ? Machine ? Femme-machine ? Machine-femme ? J’avais essayé de baser mon interprétation sur une dichotomie, celle d’un corps mécanique, de sens électroniques, d’un mode de réflexion analytique en probabilités, et des intuitions où je logeais les «fulgurances» de créativité du personnage. J’avais formalisé cela dans des comptes-rendus de partie où Yumiko exprimait ses souvenirs et formulait des hypothèses pondérées statistiquement, chiffrées, mais où certains flashes s’exprimaient cependant.

Et Lasverinas en avait rajouté une couche de son côté. Non content de jouer sur cette dichotomie être humain contre machine, il avait construit son intrigue sur la réincarnation. Nos personnages étaient tous des réincarnations d’êtres humanoïdes extra-terrestres ayant des millénaires auparavant habité Mars et la Lune, et dont la civilisation avancée avait été exterminée par un mystérieux virus. Yumiko était donc en réalité la réincarnation d’un certain Shinn, un scientifique qui travaillait à combattre ce virus mortel.

Si bien que le personnage, déjà perdu entre ses rouages et ses cellules, se retrouvait à partager des souvenirs vieux de plusieurs éons et plus encore : des pouvoirs parapsychiques.

Lasverinas avait construit tout un ensemble de pouvoirs basés sur la Kabbale, comme dans Neon Genesis Evangelion, une de ses inspirations majeures.

Les sages

J’ai toujours aimé jouer les personnages savants, mesurés, malins, ceux qui malgré un physique faible possèdent des pouvoirs magiques ou un savoir scientifique. Ils forment le contrepoint parfait à la catégorie des combattants au grand cœur. Parfois, ils peuvent même être plus ambigus que leurs homologues, moins tenus par la morale. Ils n’ont pas toujours à se soucier de la veuve et de l’orphelin.

Le thème principal de ces personnages est alors la responsabilité que leur pouvoir, leur savoir, leurs capacités font peser sur leurs épaules.

Oriane d’Avalon

La toute première de ces personnages est Oriane, née d’une envie de jouer une enchanteresse dans le jeu Pendragon. Je voulais à la fois y incarner une figure «morganique», mais aussi me rapprocher un peu plus de l’idée que je me faisais d’un mélange entre Viviane et Merlin.

Et je voulais explorer la condition difficile d’une femme, magicienne, païenne et libre dans une société d’hommes, chevaliers, chrétiens, liés par de nombreuses obligations, telle que décrite dans Pendragon. Oriane a donc vécu d’abord à l’ombre de ses compagnons chevaliers, puis a pris de l’importance, s’est mariée, est devenue suzeraine, entrée dans le jeu des liens de vassalité. Elle s’est affrontée aux préjugés de religion, notamment. Elle a eu des enfants. Elle s’est retrouvée au beau milieu du conflit entre chrétiens et païens. Elle avait bâti un temple à la Déesse et commencé l’instruction de jeunes enchanteresses et prêtresses païennes.

Je ne saurai jamais ce qu’il aura pu advenir de ses protégées. Probablement que la fin des Enchantements de Bretagne les aura laissées démunies après que le Dieu Unique aura conquis toute l’île. Peut-être que certaines, dont Oriane, auront pu trouver refuge chez les Pictes. Cela restera un mystère.

Og’Mah’Ka

J’ai découvert Symbaroum grâce à Jérôme, l’un de mes compagnons de table actuels. L’univers de dark fantasy décrit dans le jeu renverse beaucoup de tropes. Les elfes sont décrits comme fanatiques, les humains sont tous plus ou moins corrompus à des degrés divers par un environnement souillé par une ancienne magie noire dont les effets se font sentir des siècles voire des millénaires après la chute d’un empire sombre. En un sens, c’est un peu une allégorie post-apocalyptique de fantasy.

Le défi, dans ce genre d’ambiance, est de trouver à incarner un personnage qui renverse lui aussi les codes.

Pourquoi pas, me suis-je dit alors, choisir un troll ? Dans Symbaroum, les trolls sont des créatures venant de la grande forêt sombre et maléfique de Davokar, mais ne sont pas corrompus par les ruines qui y dorment. Pas forcément. Ils ont une culture, plus fine qu’on ne le pense. Et ils ont un secret. Ils sont un stade d’évolution intermédiaire d’une espèce qui englobe les gobelins, stade juvénile, et des monstruosités, stade ultime probable.

En quelque sorte, ils sont suspendus entre l’esclavage qui est le lot des gobelins, et la malfaisance qui les rattrapera un jour, quand ils se transformeront. Ce court état de grâce est le moyen pour moi d’explorer ce qu’une entité douée de raison et de conscience, voire de morale, peut tenter pour échapper à son sort ou, à défaut, pour atténuer l’impact que sa Chute aura sur le monde.

Ainsi, j’ai choisi de faire d’Og’Mah’Ka un mage au bâton, un membre d’un ordre ancien dédié au combat contre la corruption dans la forêt de Davokar, à rapprocher d’une secte de moines shaolin dans notre propre monde. Og’Mah’Ka, unanimement craint par les humains et les elfes pour sa carrure, sa force, sa résistance, est en quête de rédemption par anticipation.

Il essaie donc d’agir pour «le bien» pendant qu’il le peut encore, c’est-à-dire de façon juste et pour chasser le plus de corruption de Davokar. Il essaie aussi de découvrir le plus possible de secrets concernant le passé de Davokar et la malfaisance qui y est à l’œuvre, dans l’espoir de trouver, peut-être, une échappatoire à son propre destin, ou à défaut pour ceux des autres, notamment de son compagnon de route, Goltass, le gobelin que joue Laurent, un autre de mes compagnons de table.

Ironiquement, Og’Mah’Ka s’expose à la corruption pour en apprendre plus, et tenter de la combattre.

J’ai toujours eu un faible pour les causes désespérées, et celle de ce personnage l’est clairement.

Sekhmet

Comme vous avez dû le comprendre en lisant les deux premiers épisodes de cette série, Néphilim est l’un de mes jeux fétiches. Sans doute, à mon avis, le plus réussi de tous avec Rêve de Dragon. J’ai donc joué plusieurs personnages Néphilim, mais celui qui reste mon chouchou est Sekhmet, la Première Sphynge.

Le jeu étant un syncrétisme parfaitement conçu, le personnage mêle diverses influences, comme pour Eilidh.

Mon propos avec lui est cependant d’explorer une acception du mot «quête ésotérique» qui est rarement mise en avant dans le jeu de rôle. Pour moi, changer, évoluer spirituellement, veut parfois dire faire le deuil de l’être qu’on était au départ. Et dans Néphilim, je crois que cet aspect pourrait être une voie.

Ainsi, Sekhmet est-elle au départ une demi-sœur des Kaïms de l’Alliage, ces cinq fondateurs de la science occulte alchimique3 nés avec une tare particulière, un manque. Mais elle est née avec cinq tares, cinq dons. Au lieu d’apprendre à vivre avec son handicap et d’être poussée à le dépasser, comme les Cinq, elle naît avec des pouvoirs qui ne sont pas à elle, car ils sont les négatifs des cinq tares de ses frères et sœurs. Et son chemin consiste à perdre. À rendre au Monde un à un ces cinq pouvoirs surnuméraires, qui la polluent et pourtant la constituent. Elle trouve, sur son chemin, comment abandonner ces pouvoirs, et à qui, pourquoi, comment.

Son chemin est donc inverse de celui des autres. Elle doit perdre et se purifier en abandonnant ce qui la constitue pour atteindre l’Agartha, cet état d’Illumination que recherchent tous les Néphilim.

Les aventuriers saltimbanques

La troisième catégorie de personnages que j’aime jouer est celle des êtres épris de liberté et qui parcourent les routes à la recherche de quelque chose que finalement ils voudraient ne pas trouver, afin que leur errance ne se termine jamais. Je me rends compte que Sire Arnaud peut très bien se ranger dans cette catégorie, d’ailleurs. Pourtant, les saltimbanques sont pour la plupart beaucoup plus ambigus que lui. Ils ne placent rien plus haut que leur indépendance et leur liberté, même s’ils s’attachent à leurs compagnons de route. Leur morale est plus élastique, leur égocentrisme beaucoup plus prononcé.

Will l’Écarlate

L’archétype de ces personnages est Will, que j’ai conçu à partir de l’image virevoltante et ambivalente de celui que joua en 1991 Christian Slater dans le Robin des Bois Prince des Voleurs de Kevin Reynolds. Un brin égoïste, désinvolte, parfois sournois, capable en tous les cas de ruse et de duplicité, Will parcourt les routes en vivant de sa verve et de sa musique.

Pourtant, le sel de ce personnage vient, comme souvent, de ses liens avec le monde.

Lorsque nous avons conçu le groupe qui donna naissance à l’univers de Rocfou, mes amis rôlistes Obi-Wan, Sixte, Equites et moi, nous avons tout de suite imaginé un trio tragi-comique. Mon personnage, Will, était le frère ou demi-frère, on ne saura jamais, d’Eustâche, celui d’Obi-Wan. Cadet de la famille nobliaute à la mauvaise réputation des Rocfou, il s’était échappé d’un monastère où il avait été envoyé pour contrôler son «Don Obscur», une manifestation de magie devenue rarissime (le monde est celui d’une low fantasy où la magie est très faible et quasi-absente). Revenu dans la tour familiale, loin au nord, il sait qu’il doit changer d’identité mais il a soif de liberté, alors il convainc son aîné, un chevalier compétent mais beaucoup moins malin et dont la droiture ne peut concevoir les manipulations de son frère, de partir à l’aventure, sur les routes, tel un chevalier errant accompagné de son «ménestrel» chantant ses exploits et ses louanges, et d’un écuyer, Béric, joué par Equites.

Will est un réprouvé, un paria, à la fois dans sa famille et dans le monde. Sa naissance entachée par la mort de sa mère en couches scella son destin depuis. Son père préféra toujours Eustâche, dont il était plus proche de physique comme de caractère, à cet avorton dont les traits gracieux lui rappelaient par trop ceux de sa défunte épouse bien-aimée. Le Don Obscur, sans doute suspect d’être hérité d’une alliance contre nature du Seigneur de Rocfou avec les puissances du Petit Peuple en la personne de sa première femme, est comme une tare que l’on cherche à cacher à tout prix au clergé du Resplendissant, le dieu unique dont les prêtres si fanatiques ont gagné l’oreille de la marâtre des deux frères.

Bref, Will fuit. Il fuit pour trouver ce qu’il n’aura pas tant qu’il ne se sera pas accepté lui-même. Et pour cela, il plonge ses deux compagnons de route, frère et écuyer, dans les mésaventures les plus délicates. Il sabote malgré lui les tournois (sa magie étant parfois un peu versatile), manque de faire accuser son frère de trahison, réveille les inimitiés que leur ami écuyer avait passé des décennies à endormir.

Will est un personnage «attachiant», comme l’est celui qui lui a succédé dans nos parties de jeu de rôle :

Amergin

En plus d’être l’anagramme de mon prénom, le nom Amergin renvoie à deux druides mythiques de la tradition irlandaise. C’est donc ce nom que j’ai choisi pour incarner l’un des Champions de Toujours, le groupe de personnages un peu caricaturaux de ma table de jeu actuelle, d’après un vieux scénario de Rêve de Dragon qui servit de base à Sixte pour lancer une série d’aventures et de mésaventures de fantasy. Amergin est un semi-homme (un hobbit, donc, pour être clair), tiraillé entre son amour du confort, de la bonne chère, du calme, et son envie irrépressible de l’aventure et de la découverte des savoirs magiques. Car Amergin est un «alchimiste4 itinérant», avide d’apprendre, d’explorer, de vivre des choses extraordinaires… tant qu’il peut rentrer boire une bonne cervoise à l’heure du thé…

Son humeur alterne donc entre des périodes d’excitation presque maniaques, où il trouve tout ce qu’il voit absolument passionnant, et des phases, trop nombreuses au goût de ses compagnons, où il râle et soupire après un second petit-déjeuner, une collation, un bon lit douillet…

Il trouve ainsi en ses compagnons un équilibre assez subtil.

Grümph le nain (Laurent) est toujours à la recherche du profit maximum, ce qui assure à Amergin des ressources suffisantes pour assouvir ses besoins alimentaires et son confort.

Elrohir l’elfe (Jérôme) est tourné vers la défense des causes désespérées, ce qui pousse le groupe à se lancer dans de nouveaux défis.

Quant à Brunehilde l’humaine (Equites), elle navigue dans les hautes sphères féodales qui offrent de nombreuses opportunités à la fois d’une vie agréable et de péripéties.

En bonus, le Chant d’Amergin, ancien poème en gaélique irlandais avec sous-titres anglais et une belle mise en images.

Eabhanaerys Elfarsdottir

Dernière en date de ces personnages vivant un peu en marge, Eabhanaerys (prononcer évanéris) «fille d’un elfe», est une demie-elfe barde venue d’un pays nordique à la culture proche des vikings jusqu’à la Ville Sainte de Laëlith, où elle pense trouver les traces de son mystérieux géniteur, un haut elfe qui l’abandonna avant même sa naissance.

Manifestement, elle passe les premiers mois dans la Ville des Quatre Éléments à faire tout autre chose, puisqu’elle déploie ses talents de conteuse et de musicienne au point d’intégrer l’Académie du Bel Art, et d’agir comme enquêtrice discrète dans des affaires qui touchent à l’intégrité même de la Cité du Roi-Dieu, en compagnie de ses amis le moine Siam (Jérôme), le demi-orque Vladak (Laurent) et le gnome Isidore (Sixte).

Désire-t-elle vraiment retrouver son père ? Recule-t-elle le moment de se confronter à la réalité d’un être qui ne s’est jamais soucié de son existence, si tant est qu’il l’ait même soupçonnée ? Qui cherche-t-elle vraiment ? Son père ou elle-même ?

Elle n’a de cesse de défendre les êtres écorchés ou laissés pour compte qu’elle croise durant ses aventures, comme pour se prouver qu’elle peut, elle, prendre soin des autres.

Elle conte les légendes et les histoires anciennes, mais tente de se hisser jusqu’à leurs héros et leurs héroïnes, comme pour entrer elle aussi dans une fresque digne d’être chantée.

Les voleurs & les assassins

L’existence de certains personnages a pu les pousser à des extrémités que nous réprouvons dans l’absolu, comme le vol, voire le meurtre ou l’assassinat. Qu’ils y soient poussés par les circonstances, par les manigances d’autres acteurs peu recommandables, pour protéger les leurs ou simplement pour assurer leur survie, ils sont désormais des réprouvés et tentent de trouver une vie satisfaisante même dans les ombres.

Varrel

Varrel fut mon premier «vrai» voleur à AD&D. Il commença sa carrière comme niveau 1, dans une longue campagne que nous jouions tous les étés lorsque j’étais étudiant en médecine, il y a très longtemps, et la termina au niveau 10. Je ne suis pas un grand amateur des systèmes D&D en général, mais j’avoue que Varrel m’accompagna pendant de très bons moments de jeux. Ce d’autant qu’il participa à sauver le monde plusieurs fois, après avoir failli le détruire. Oui, la campagne de Wilybird était pleine de rebondissements.

Varrel était censé être le plus sournois du groupe, mais se trouva tout de même l’un des plus loyaux, car la sorcière Arka, jouée par Jiphi, avait un agenda encore plus tordu. Et ce n’est pas Malter, le paladin un peu balourd, qui allait pouvoir rivaliser.

J’avoue ne plus avoir beaucoup de souvenirs des aventures communes de nos personnages, mais Varrel excellait dans l’art de survivre, ce qui pouvait parfois poser quelques problèmes aux autres membres du groupe.

Œil de Jade

Il était une fois un groupe de joueurs qui voulut vivre la Campagne Tian Xia, «Tout sous le ciel» du jeu de rôle Qin.

L’un d’eux créa un personnage de calligraphe dont le destin avait basculé, le propulsant dans le monde des lacs et des rivières, le monde des guerriers errants, des vagabonds, des réprouvés.

Au fil des aventures, Œil de Jade s’est aguerri, a acquis des techniques qui lui permirent de combattre des démons ou de tenter de rétablir la justice. Mais même marié, même reconnu par le prince du Royaume du Qin, il reste un étranger, comme ses camarades Main Agile et Renard Blanc.

Istara

Courtisane officiant dans la plus grande maison des plaisirs de Satarla, la plus grande Cité de Lemurie, Istara a l’apparence d’une frêle jeune femme d’une beauté stupéfiante. Mais elle est en réalité une assassin redoutable et sans pitié. Souvent confrontée à la violence dans son passé, elle a appris à jouer le jeu dangereux de ceux qui doivent être plus malins et plus retors que les autres pour survivre.

Lorsque débutent les événements de la campagne Le Dieu Voilé, elle n’est encore que cela. Mais au fil des aventures qui mèneront ses compagnons et elle à affronter un homme ayant capturé des pouvoirs presque divins d’invincibilité, elle s’endurcit encore. Elle prend conscience que les simples mortels ne sont rien en comparaison des sorciers qui trament des complots maléfiques dans l’ombre, que d’autres assassins hantent le monde sans avoir son goût pour la justice.

Istara est l’un des personnages les plus sombres que j’ai joués, alors qu’elle a l’apparence d’un des plus «classiques», en prenant le masque du fantasme de la femme fatale.

Les contradictions & les conflits intimes

En contemplant cette galerie de personnages, je pense que, comme moi, vous allez trouver des traits communs assez nombreux. On dit souvent que l’on rejoue sans cesse le même personnage, sous des masques différents, et je crois que dans mon cas c’est probablement vrai. Tout comme nombre d’acteurs ont ce travers, comme beaucoup d’écrivains mettent toute une œuvre à explorer le même thème, que des musiciens composent des morceaux qui reprennent les mêmes ambiances…

Le portrait-robot de ce personnage syncrétique est celui d’un être pétri de contradictions, on en conflit avec le monde dans lequel il vit, que ce monde soit intérieur ou extérieur. Souvent, j’aime jouer des personnages qui ne savent pas vraiment qui ils sont, qui sont rejetés à la fois par les leurs et par le reste du monde, et qui doivent trouver leur propre voie.

Et vous, vous avez aussi un archétype qui revient sans cesse hanter vos sessions de jeu ? Rassurez-moi !


  1. L'originel, celui qu’on joue à plusieurs autour d'une table, réelle ou virtuelle, pas celui des jeux vidéos, qui n’a ni les mêmes objectifs, ni les mêmes techniques.  ↩︎

  2. Il s'agit d’Élaïd, le personnage de Jiphi, l'un de mes compagnons de table d’alors. Ce personnage fut présenté dans le numéro de VITRIOL consacré à Rêve de Dragon.  ↩︎
  3. L'Alchimie est un concept que j’affectionne tout particulièrement dans Néphilim, mais aussi dans la vraie vie.  ↩︎
  4. Quand je vous disais que j'adorais l’alchimie…  ↩︎

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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