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Cinquante nuances d’horreur

par Jan 21, 2017L'encre & la plume, Vers l'Infini et Au-delà0 commentaires

L’ami Saint Épondyle a pris l’habitude d’organiser de temps à autre des concours de fifties sur son blog.

Alors, non, il ne s’agit pas d’un concours de mode des années 1950, ou d’un radio-crochet centré sur le rock de la même époque.

Non, un fifty est une histoire très courte écrite en cinquante mots tout juste, ni plus, ni moins. Les règles de comptage des mots y sont particulièrement drastiques, car l’intérêt de l’exercice réside justement dans cette limite qui oblige à toutes les ellipses, aux métaphores, aux mots riches de puissances évocatrices.

On pourrait penser que les histoires qui en découlent sont fades et sans couleur. Au contraire. Le texte doit être ciselé avec précision, comme une mécanique horlogère d’antan, ou comme un bijou de belle facture. Et moyennant de gros efforts, il est possible de produire des textes à la fois percutants, colorés, structurés. Et courts. Si courts qu’ils laissent souvent la part belle à l’interprétation, à l’imagination du lecteur, qui va construire tout un « avant » et parfois même un « après » les cinquante mots.

Je n’ai jamais été un fan des concours d’écriture, mais c’est en découvrant le concours de fifties « à la manière de Philip K. Dick » que j’ai décidé de tenter l’expérience. J’étais alors en train de lire et de regarder The Man in the High Castle, et cela m’a semblé stimulant. Essayer de transposer une uchronie « dickienne » en cinquante mots… le défi était assez étrange pour me tenter. J’ai donc participé et The Woman in the High Tower (que vous trouverez au bas de cet article) en a été l’enfant.

J’ai trouvé l’exercice difficile, exigeant, presque cruel. Enlever des mots, les réorganiser. Amputer des phrases, les tordre. Trouver des images fortes, et choisir lesquelles garder et lesquelles abandonner. C’est très difficile. Ça oblige à la synthèse, mais aussi à la poésie.

Il y a quelques mois, Saint Épondyle a remis ça. Avec un thème qui avait peu de chances de me parler : l’horreur.

Mes univers de prédilections sont plus le merveilleux, le fantastique, le noir, et surtout la fantasy et la SF. J’ai une sainte horreur (!) des histoires de zombies (elles me font trop peur) et si je suis attiré par celles qui causent de vampires, c’est cause de la beauté du mal et du sous-titre sensuel, mais certainement pas à cause de l’aspect horrifique. Bref, sorti de l’indicible lovecraftien, qui a pour moi le goût de l’interrogation métaphysique et du jeu de rôle de mon adolescence, je n’aime pas avoir peur.

Mais ce fut encore un défi supplémentaire. Comment instiller la peur, l’horreur, en cinquante mots ?

La peur est un sentiment si diffus, si personnel. Ce qui terrifiera une personne en laissera une autre de marbre. Sans doute plus encore que les histoires d’amour ou les drames, les histoires d’horreur font appel à un noyau primal du lecteur. Ceux qui ont une arachnophobie comme moi seront certainement plus touchés par une histoire de toiles et de morsures par des êtres à plusieurs pattes et plusieurs yeux globuleux que d’autres personnes.

Je me suis fixé une méthode. Le thème doit être traité de façon la plus universelle possible. Il doit avoir un lien avec nos peurs primitives. Avec notre chair. Les mots doivent être forts, mais pas trop. Ils doivent porter des images connues, par chacun d’entre nous.

Et voici ce que cela donne.

La chère de ma chair
Il me regarde et sourit. La peau de mon visage écorchée sur la table par des épingles en fer se crispe lorsque sa main accouche nos enfants. Chacun arrache une part de mon âme ou de mon corps. Et les dévore.

Il me regarde encore, sourit.

Mon fils. L’Antéchrist.

J’en suis assez fier, même s’il n’a pas brillé dans le classement.

D’une part parce que j’ai estimé avoir rempli mon objectif. Raconter une histoire horrifique en cinquante mots tout juste, moi qui n’ai jamais vu d’autres films d’horreur que l’Exorciste et Projet Blair Witch, ainsi que les parodies Scream.

D’autre part, et c’est aussi un aspect essentiel, parce que j’ai pu lire les presque cent autres productions des participants qui comme moi avaient sué sang et eau sur leur fifty. La profusion est grande et on y trouve de belles perles. Mon préféré étant (ça tombe assez bien) le deuxième choix du jury, le texte de Groucho qui vous pourrez lire sur le blog de Saint Épondyle.

J’en retire aussi une discipline pour l’écriture de textes plus longs ou plus conventionnels. Il faut remettre sur le métier notre ouvrage, le penser, le peaufiner. Si nous mettons un peu de l’énergie du fifty dans nos textes plus longs, l’ensemble y gagnera sans doute en cohérence et en efficacité, sans pour autant perdre en intensité, en développements, en digressions essentielles. Il « suffit » de s’attacher à varier le vocabulaire, à varier les sens sollicités, à changer les angles. Bref, à travailler le texte.

C’est en tous les cas ce que je m’efforce de faire.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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