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Écrire plus rapidement : mes astuces

Écrire plus rapidement : mes astuces

Quand on écrit souvent les mêmes mots, on développe vite des abréviations. Je crois que nous avons tous et toutes appris cela durant notre scolarité. Ou si ce n’est pas le cas, cela aurait dû l’être. Il est en effet beaucoup plus rapide d’écrire « tjr », plutôt que « toujours ».

La difficulté est de le faire dans un texte destiné à être lu par d’autres personnes que soi-même.

Lorsque nous écrivions à la main, nous n’avions d’autre choix que de recopier le texte en écrivant toutes les lettres de tous les mots. Et bien évidemment, cela prenait du temps, beaucoup de temps.

Mais depuis que les ordinateurs se sont généralisés et que nous pouvons écrire sur un clavier, notre capacité à modeler et remodeler un texte a été centuplée par la virtualité. Tout comme le copier-coller que nous savons toutes et tous utiliser, un ordinateur peut nous aider en remplaçant, soit après coup, soit même à la volée une abréviation par ce qu’elle signifie. Le gain de temps est alors exponentiel, voire incalculable. En effet, il n’est plus nécessaire de recopier le texte, simplement de savoir programmer l’ordinateur pour qu’il accomplisse ces petits miracles tout seul, lorsque nous en avons besoin.

Ce petit article va peut-être enfoncer des portes ouvertes, pourtant, je pense qu’il peut servir à certaines personnes.

Car si certaines et certains connaissent déjà les expanseurs de texte et les utilisent pour écrire, voire coder, il existe une difficulté à laquelle, je crois, toutes et tous ont été confrontés sans trop trouver de solution satisfaisante dans un traitement de texte ou un studio d’écriture : comment écrire plus vite le texte mais aussi, en même temps, le mettre en forme plus vite ?

The Expanse (of text)

Au début était le copier-coller. Nous l’avons tous en tête : sélectionner un mot ou un groupe de mots avec la souris (ou le trackpad), puis taper Control+C (Command+C avec un Mac) pour copier le texte, positionner le curseur là où nous désirons mettre à nouveau le même mot, et taper Control+V (Command+V sur un Mac) pour coller le texte copié.

Le procédé est simple, mais on peut faire mieux.

Avec les logiciels expanseurs de texte, on peut attribuer une abréviation à un mot, taper cette abréviation, et l’ordinateur la remplace par le mot dans son entier. Par exemple, une de mes expansions les plus utiles est « tjr » que mon ordinateur traduit facilement pour afficher à la place un bien écrit et compréhensible « toujours ».

On peut aller encore plus loin et utiliser ces snippets, ces petits morceaux de texte, pour expandre un groupe de mots, une phrase, un paragraphe entier, voire des pages…

Il existe quantité de logiciels d’expansion de texte.

Le plus connu n’est malheureusement accessible que sur abonnement, et je déteste ce principe.

Je me suis tourné quant à moi vers Typinator, qui est une application strictement Mac, pour laquelle vous n’aurez qu’à ouvrir votre porte-monnaie qu’une seule fois, ce qui est très appréciable.

Et vous verrez qu’on peut vraiment faire beaucoup de choses avec.

Une bonne partie des astuces que je vous présente plus loin vont nécessiter son emploi, d’ailleurs.

Le problème : mise en forme & gain de temps

Si vous avez déjà voulu écrire quelque chose de joli avec un ordinateur, vous avez sans aucun doute remarqué une chose importante.

Si taper du texte brut est suffisamment rapide quand on a l’habitude (même avec deux doigts comme moi), on perd ensuite un temps assez affolant pour mettre en forme le texte une fois écrit. Avons-nous décidé de mettre tous les textes en taille 20, police Arial, en souligné ? Il faut le faire en sélectionnant les titres avec la souris, déroulant des menus, etc., etc. Même chose pour mettre certains mots ou certaines expressions en exergue avec de l’italique, du gras, du souligné, etc.

Je ne vous raconte même pas le temps perdu lorsque vous devez faire ça sur un long article de blog.

Et je n’ai pas encore parlé des liens internet. Sélectionner la phrase, cliquer sur l’icône qui permet d’y insérer un lien internet, et taper l’adresse du site (au hasard, celui de d’écaille & de plume). C’est répétitif et c’est long.

C’est d’ailleurs ce qui m’a conduit à chercher une solution pour que les liens que j’utilise fréquemment puissent être mis en forme dans Scrivener le plus rapidement possible, sans avoir à refaire la manipulation à chaque fois.

Deux approches différentes ont été développées par les geeks pour régler ce problème, l’une très ancienne, l’autre assez récente.

Je vais commencer par la plus récente.

Le Markdown

Le Markdown est une syntaxe, c’est-à-dire une façon d’écrire qui donne un sens à ce que l’on écrit par certains signes qui codent ce sens. C’est une syntaxe de mise en forme, car les signes utilisés permettent de déterminer si un mot ou une phrase doit être en italique ou en gras, par exemple. Et c’est tellement simple que l’on peut très rapidement prendre l’habitude de l’utiliser en même temps que l’on tape le texte sur le clavier.

Exemple : pour montrer à l’ordinateur que l’on veut mettre un mot ou un groupe de mots en italique, on encadre ce groupe de mots par un astérisque «  ». Et lorsque l’on tape « *ceci est en italique* », le logiciel qui utilise la syntaxe Markdown va automatiquement montrer le texte suivant mis en italique « ceci est en italique ». Pour mettre le même texte en gras, il suffisait de l’encadrer par deux astérisques et non plus par une seule. « **Ceci est en gras** » devient « Ceci est en gras* ».

« Merveilleux ! », dites-vous. Moi aussi, je le pense.

Mais le diable est dans les détails.

Car avec ce système, la mise en forme est figée.

Ce que vous avez mis en gras ne peut pas, par exemple, apparaître en couleur, ou souligné, parce que vous avez décidé une semaine après avoir tapé votre texte que les passages importants seraient mieux mis en exergue par une belle couleur verte et un trait. Pour cela, il vous faudrait parcourir à nouveau tout votre texte et changer tous les mots ou groupes de mots un à un… Vous imaginez déjà le nombre d’heures que cela vous ferait perdre.

Pourtant, il existe un outil bien plus flexible, et il existe depuis presque les débuts des traitements de texte : les styles de texte.

Les Styles de texte

J’en ai déjà parlé dans mes premiers articles sur la série Making of a Book.

L’idée derrière les Styles de texte est à la fois simple, élégante, et versatile : expliquer à l’ordinateur que le texte sélectionné est important et en quoi, de façon à séparer la forme et le fond du texte.

En effet, si l’on veut mettre une phrase en gras, c’est souvent qu’on veut lui donner plus d’importance aux yeux de son lectorat. C’est le signe qu’il s’agit d’un passage particulièrement important. Nous pourrions l’appeler « accentuation forte ». Mais il peut se trouver aussi du texte qui soit important à distinguer dans un paragraphe, sans qu’il soit pourtant aussi important que ce qui sera en « accentuation forte ». Il serait par exemple en italique. On pourrait l’appeler « accentuation ».

Si vous avez compris cela, vous savez utiliser les Styles de texte.

Car une fois que vous avez dit à un traitement de texte que tel mot était en Style accentuation forte et que tel autre était en Style accentuation, alors vous avez la possibilité de déterminer ensuite et à tout moment de changer la façon dont chaque Style de texte va apparaître esthétiquement.

Si vous aviez décidé que l’accentuation forte devait être en gras au départ, mais que cela ne vous convient plus, vous n’avez qu’à dire au logiciel que vous préférez que ce soit en vert et souligné. Une fois cela déterminé, tous les passages que vous aurez mis avec un Style accentuation forte seront changés en une seule opération, vous faisant gagner un temps très précieux.

« C’est génial ! », vous entends-je vous exclamer.

Oui, j’en conviens.

Mais.

Mais cette façon de faire nécessite que vous sélectionniez les passages les uns après les autres après avoir écrit votre texte, ou alors pendant mais en lâchant votre clavier et en cliquant avec votre souris sur des menus déroulants. Cela vous fait donc retomber dans ce que nous voulions éviter : l’obligation de sélectionner les mots et utiliser des menus déroulants à n’en plus finir…

Les frères ennemis de la mise en forme

Ainsi, soit vous utilisez une syntaxe spécifique de mise en forme comme le Markdown, mais vous ne stylez pas votre texte, soit vous voulez utiliser les Styles de texte et vous devez le faire après coup, en perdant beaucoup de temps.

Il semble que vous ne puissiez pas faire les deux en même temps.

Il n’existe en effet pas de syntaxe Markdown qui permettrait d’indiquer quel Style de texte vous désirez utiliser en tapant un signe juste avant le mot que vous désirez écrire.

Et il y a un autre cas où c’est encore plus pénible : quand vous désirez insérer un lien internet. Alors qu’avec le Markdown vous pouvez faire cela sans quitter les touches de votre clavier (pourvu que vous connaissiez l’adresse internet par cœur ou que vous ayez paramétré une expansion de texte pour vous éviter d’avoir à encombrer votre mémoire), avec un Style c’est impossible.

Pire : si vous avez un groupe de mots que vous écrivez souvent et qui contient une mise en forme particulière, comme le nom d’un site avec un lien qui pointe vers son adresse sur la Toile (au hasard), vous devrez souvent faire les mêmes manipulations.

Le texte formaté des expanseurs de texte

Les expanseurs de texte ont tous une option pour formater le texte que vous leur confiez. On peut en effet déterminer que le mot « toujours » soit écrit en gras lorsqu’on tape l’abréviation « tjgras ».

Aurions-nous résolu le problème ?

Non, hélas. Car la mise en forme proposée n’utilise pas les Styles mais bien plutôt un format figé.

Retour à la case départ, donc.

Mais pas vraiment, car la solution est comme souvent dans la combinaison de plusieurs outils.

La solution : combiner

Après avoir beaucoup cherché, j’ai fini par découvrir une solution qui, sans être parfaite, me satisfait suffisamment.

L’idée est de combiner le principe du Markdown (c’est-à-dire baliser mon texte en même temps que je l’écris), l’utilisation des Styles de texte (donc la séparation de la forme et du fond du texte par un balisage sémantique), et l’expansion de texte.

Cette solution fonctionne dans Scrivener mais également dans LibreOffice et même dans Word.

D’abord, il s’agit de se servir de la possibilité que les trois logiciels vous offrent d’affecter un raccourci clavier à chacun de vos Styles de texte.

Dans mon cas, je me sers vraiment beaucoup de trois balises de mise en forme pour écrire sur d’écaille & de plume : un style de mise en évidence, un style nommé strong pour une accentuation forte, et un style nommé Strong & italic qui me sert à baliser les titres des œuvres que je cite (car savez-vous que par convention typographique les titres des œuvres doivent se noter en italique ? Non ? Alors je vous l’apprends). J’ai donc affecté un raccourci clavier pour chacun de ces styles. Dans Scrivener c’est faisable dans le Volet des styles. Comme vous pouvez le voir sur les captures d’écran ci-dessous, cette personnalisation peut se faire facilement dans Scrivener et dans LibreOffice. Avec les mêmes raccourcis. Vous remarquerez que j’ai un raccourci pour revenir à « aucun style ». En effet, lorsque je tape mon texte, j’enclenche le raccourci clavier qui correspond au style que je veux utiliser juste avant d’écrire le mot en accentuation forte, par exemple, puis lorsque j’ai terminé d’écrire ce mot, je tape le raccourci de « remise à zéro » et je peux poursuivre ma rédaction.

Ceci fait, pour les liens internet, je définis des expansions spéciales avec Typinator, comme par exemple celle qui permet d’insérer un lien vers d’écaille & de plume automatiquement. Cette expansion est déterminée comme une expression HTML mais n’en est pas vraiment une. Il s’agit d’un moyen de dire au logiciel de traitement de texte que c’est une expression qui contient un lien internet. Lorsque je tape « - lien.d&p », Typinator m’écrit décaille & de plume. En gardant le lien internet.

Ces raccourcis clavier et ces abréviations demandent bien évidemment un apprentissage (tout comme la syntaxe Markdown, en fait), mais à l’usage, cela me fait gagner un temps très précieux.

Les raccourcis clavier

De manière générale, et de plus en plus, j’utilise les raccourcis clavier lorsque je me sers de mon Mac. La souris ou le trackpad permettent de faire beaucoup de choses de façon très précise, mais combiner cette précision avec des raccourcis clavier fait gagner beaucoup de temps.

Par exemple, pour le montage des Consultations extraordinaires, avec les logiciels GarageBand ou LogicPro, je me sers évidemment du trackpad pour déplacer les régions audio les unes par rapport aux autres, mais également des touches du clavier pour passer d’une vue d’édition de la région elle-même à une vue de montage des régions entre elles.

Si vous utilisez un Mac vous aussi, je ne saurais trop vous conseiller deux utilitaires gratuits qui permettent de s’en servir de façon vraiment poussée : KeyClu et CustomShortcuts.

Vous verrez, une fois qu’on a essayé, on ne peut plus s’en passer !

Nouvelle donne pour Poker d’Étoiles

Nouvelle donne pour Poker d’Étoiles

Il y a des choses que l’on attend pendant très longtemps, que l’on se désespère de ne pas voir arriver au point de n’y plus penser autrement que sous la forme d’un arrière-goût amer, d’un regret léger mais persistant. Et qui finissent tout de même par advenir lorsque l’on s’y attend le moins.

Dans ma vie, j’ai remarqué que ce fut souvent le cas. Comme si des attentes trop fortes intimidaient le destin. Comme s’il se détendait en remarquant que je ne m’accrochais plus à l’espoir tel un naufragé à sa bouée.

Il y a quelques jours, cela m’est à nouveau arrivé.

À propos d’un de mes rares regrets artistiques.

Poker d’Étoiles revient entre mes mains après tant d’années d’éloignement et de frustrations.

Genèse d’un premier roman

Poker d’Étoiles est né dans l’impulsion d’une rencontre.

Il y a de nombreuses années, j’ai fait la connaissance d’une jeune femme qui m’a donné envie d’écrire une histoire d’aventures spatiales. Évidemment, pour l’impressionner. Mais aussi parce qu’elle m’inspirait le rêve d’une vie romanesque et une ambiance de film noir. Peut-être aussi parce qu’elle avait une forte ressemblance avec Andie MacDowell.

J’ai écrit une nouvelle, que bien entendu elle ne lut jamais, nos chemins s’étant croisés trop furtivement pour qu’ils ne se séparent pas à jamais.

Pourtant, le texte est resté, et je sentais qu’il portait en lui ce petit quelque chose qui demande à éclore, à grandir, à devenir une histoire plus large.

Alors je l’ai retravaillé encore et encore, avec l’aide d’une amie chère.

Et Poker d’Étoiles est devenu un véritable roman.

Mon premier roman.

L’impulsivité de la jeunesse

C’était vers la fin des années 2000, et j’étais jeune, encore.

Mon caractère impulsif était plus marqué. Et je rêvais depuis longtemps de débuter une carrière artistique, littéraire. J’avais déjà commis un court-métrage sous la forme d’un film de potes, L’Amitié selon Paul, qui restera confidentiel car destiné simplement à faire mes premières armes de cinéma. J’avais déjà brûlé les planches avec mes camarades de La Compagnie Raymond Crocotte, dans des pièces qui firent notre succès localement, telles qu’une adaptation déjantée à la Tex Avery de Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim. J’avais déjà écrit et réalisé Ultima Necat, un moyen métrage semi-professionnel.

Mais l’écrit a toujours eu ma préférence. Peut-être parce que, je crois, je suis beaucoup plus doué dans l’écriture que dans le jeu d’acteur, et que les mots ont toujours eu une magie pour moi plus importante lorsqu’ils étaient imprimés que lorsqu’ils étaient prononcés.

J’ai donc désiré ardemment, comme beaucoup de jeunes auteurs, faire publier mon premier roman.

J’ai envoyé mon manuscrit à de nombreuses maisons d’édition. J’ai essuyé des refus à chaque fois.

À cette époque, l’autoédition n’existait pas, et n’était même pas un concept que l’on pouvait imaginer dans les rêves les plus fous. Il n’existait que l’édition à compte d’auteur, dont je savais que ce n’était qu’un autre mot pour «arnaque». Et l’édition à compte d’éditeur, l’édition traditionnelle, dans laquelle, j’en étais sûr et certain, je pouvais «percer», devenir célèbre, être lu par des milliers, peut-être des millions de lecteurs et de lectrices à travers le monde, dans des dizaines de langues différentes. Et, qui sait, être adapté en film par Hollywood. À l’époque, les séries télévisées n’étaient pas autant prisées. Netflix n’était qu’une entreprise de location de VHS californienne. L’internet découvrait à peine l’ADSL.

Bref, quand une maison d’édition novatrice, uniquement présente sur internet, accepta mon manuscrit, je devins l’homme le plus heureux de l’univers connu et inconnu…

La déception

… Pendant environ un an.

Car après l’euphorie, vint le désenchantement.

Une version numérique qui se limitait au PDF, à l’époque, c’était le Graal, mais quand les véritables livres numériques, comme les Kindle d’Amazon, ou bien le format EPUB, sont arrivés, mon éditeur n’a pas du tout investi le créneau.

La mise en avant était inexistante. Les ventes n’ont pas du tout décollé au-delà de mon cercle d’amis.

J’ai eu l’impression que mon texte avait été accepté simplement pour gonfler un catalogue et montrer des muscles comme un culturiste qui se dope à la créatine.

Et puis il y avait la clause de préférence.

Jugée abusive par la Société des Gens de Lettres comme par la Ligue des Auteurs Professionnels, cette clause enchaîne l’auteur à un éditeur qui lui impose de lui présenter en priorité ses prochains textes dans un genre défini. Au vu de ce que ledit éditeur avait fait pour que mon premier soit un succès, je n’étais pas vraiment motivé pour lui en fournir d’autres…

Lorsque l’autoédition est devenue une possibilité pérenne, alors, au lieu de revenir sur le genre de la science-fiction, je me suis tourné vers l’urban-fantasy avec Le Choix des Anges.

J’ai tout de même essayé de récupérer mes droits sur Poker d’Étoiles, dans les années 2010. En vain…

C’était comme si je n’avais plus aucune prise sur cet univers qui pourtant me tenait à cœur.

Alors oui, c’est vrai que je ne me suis pas démené pour en faire une promotion débridée. Naïvement, je pensais que c’était le rôle de l’éditeur… sinon, quel bénéfice à se faire éditer par une société qui capte la grande majorité des bénéfices des ventes ?

Aucun, me direz-vous.

Vous aurez raison, et c’est ce que je pensais déjà en 2014, à l’ouverture d’écaille & de plume.

Du reste, j’ai un rapport un peu complexe à la promotion, dont je vous parlerai dans un prochain article.

Bref, pendant des années, ce fut comme si mon premier roman n’avait jamais existé.

Et puis un jour de juin 2023…

Un nouvel espoir

Alors que je cherchais à connaître le montant des ventes de Poker d’Étoiles, j’ai découvert par hasard que la maison d’édition qui en détenait les droits non seulement ne m’avait pas fourni de reddition des comptes depuis de très nombreuses années, mais encore semblait ne publier que des écrits universitaires. Plus encore : mon compte d’auteur sur le site de ladite maison d’édition n’existait plus. Mon livre semblait enterré quelque part et lorsque je demandai des explications, un mail m’expliqua que la maison d’édition s’était «recentrée» sur des écrits non fictionnels. Bien entendu, on ne m’avait pas prévenu de ce léger changement, qui a sans doute encore plus contribué à l’invisibilisation de Poker d’Étoiles.

J’aurais pu entrer dans une sainte et légitime rage si dans la même réponse par message électronique, on ne m’avait pas proposé spontanément ce que je cherchais en vain à obtenir depuis des années : reprendre mes droits sur Poker d’Étoiles.

Ce qui est désormais chose faite.

Conseils à celles et ceux qui voudraient être publiés dans l’édition traditionnelle

Cette petite histoire, qui heureusement se termine bien, illustre parfaitement certains des pièges du monde littéraire.

Vous aspirez à faire publier votre roman, qu’il soit le premier ou pas, par une maison d’édition ?

À mon avis, vous devriez vous poser très sérieusement deux questions centrales.

D’abord : pourquoi ?

Pourquoi vouloir entrer dans la vie littéraire par l’intermédiaire d’un éditeur ? Pour la reconnaissance ? Vous n’en aurez pas plus que les milliers de nouvelles têtes qui apparaissent dans le milieu littéraire chaque année. Vous ne serez qu’une autrice de plus, qu’un numéro de plus. Pour avoir l’estampille de quelqu’un certifiant que votre écrit est de qualité ? Savez-vous que Poker d’Étoiles n’a jamais, jamais, bénéficié de suivi éditorial ? Aucune correction, aucun conseil. Heureusement que j’avais déjà suivi ce processus avec l’amie qui m’avait accompagné dans l’écriture, sinon, j’aurais pu soumettre un texte très différent de ce qu’il était devenu. Un éditeur n’est pas la garantie d’un accompagnement de qualité.

Deuxième question : comment ?

Votre objectif est-il d’être publié coûte que coûte, ou d’être bien publié par un éditeur qui se soucie vraiment de votre texte et qui cherche à le faire connaître au plus grand nombre, réellement, non pas pour gonfler artificiellement un catalogue et se gargariser de donner leur chance à de jeunes talents simplement parce qu’il exhibe sur son site internet des centaines de jeunes auteurs n’ayant produit qu’un seul texte ?

Soyez méfiante, soyez exigeant. Au moins autant, si ce n’est plus, que votre éditeur sera exigeant avec vous.

En 2023, plus encore qu’en 2014, faire le choix de l’autoédition est une option à prendre en compte, et sans doute que nous en reparlerons.

Poker d’Étoiles, Renaissance

Maintenant que je suis à nouveau le légitime détenteur de tous les droits sur le texte de Poker d’Étoiles, il est bien évident que je vais faire ce que j’aurais dû faire depuis le début : lui offrir une véritable existence, une vraie chance.

Poker d’Étoiles va donc bénéficier d’une nouvelle édition au sein de mon label d’écaille & de plume, avec une nouvelle maquette intérieure, une véritable couverture, une édition numérique digne de ce nom et digne du XXIe siècle. Et peut-être une version audio.

Cette nouvelle naissance aura lieu pour le mois de l’imaginaire, au mois d’octobre 2023.

Restez donc à l’affût…

La règle d’accord de proximité

La règle d’accord de proximité

La règle d’accord de proximité

La langue que nous parlons modèle-t-elle notre façon de voir le monde ?

C’est historiquement l’une des deux grandes thèses de la linguistique, dite thèse de Sapir-Whorf, concurrente et opposée à celle de Chomski, pour qui il existerait une langue universelle1. Si dans l’imaginaire et les œuvres de fiction de l’imaginaire notamment, l’une et l’autre thèse ont été prises comme postulats par de nombreux univers (la langue universelle est la base des univers où la magie est fondée sur la connaissance et la prononciation des Noms Véritables des choses et des êtres, donnant à celui ou celle qui détient ce pouvoir tout contrôle sur ce qu’on sait Nommer), dans notre réalité, comme toujours, la vérité semble se situer entre ces deux extrêmes.

Ainsi, nous sommes nombreux à considérer que les mots dont nous nous servons ont une certaine influence sur ce qui nous entoure. Cela paraît bien évident pour tous ceux et toutes celles qui connaissent le pouvoir d’évocation des mots. Poétesses, écrivaines, orateurs, psychologues, politiciennes, ou simplement vendeurs et commerciaux, comme on dit maintenant, savent que certains mots peuvent ouvrir des portes et d’autres les fermer.

La langue est notre messagère vers l’autre, ou du moins l’une de nos messagères, car il existe aussi d’autres façons de communiquer, comme nos gestes et nos attitudes, nos regards.

Mais on peut aussi imaginer que le pouvoir des mots aille plus loin, et que leur utilisation change réellement les perceptions cognitives de ceux qui les utilisent et de celles qui les reçoivent. Les mots sont des symboles, et les symboles ont un pouvoir sur nos cerveaux que nous ne mesurons pas toujours. Un pouvoir immense.

C’est ainsi que l’un des débats qui agitent notre société a fait émergé la question de la primauté donnée au genre masculin dans la langue française comme l’un des leviers à manœuvrer pour rétablir une égalité entre hommes et femmes. Selon cette conception des choses, la vision trop masculine de notre société est renforcée par la règle grammaticale qui veut qu’en français l’on accorde en genre et en nombre un adjectif ou un verbe avec le masculin lorsque le sujet est composé d’au moins un terme masculin, et ce même si la majorité des termes du sujet sont féminins.

Je sais que c’est une discussion passionnée, et que les deux camps, ceux qui tiennent à conserver cette règle de grammaire et ceux qui désirent la changer, sont enflammés et souvent excessifs.

Je ne cherche à convaincre personne, ni dans un sens ni dans l’autre.

Mais j’ai bien réfléchi à la question, et j’ai décidé que mon inclination naturelle me conduisait plus volontiers vers un rééquilibrage des représentations symboliques du féminin et du masculin dans la langue française. J’ai donc fait le choix d’utiliser une règle antérieure, commune à plusieurs langues latines, voire indo-européennes, et promue par les tenants de ce rééquilibrage symbolique. La règle de l’accord de proximité.

J’ai même adopté la règle d’accord selon le sens, qui déroge elle aussi au dogme de la primauté du masculin.

Ce petit article est simplement là pour aider ceux et celles qui auraient fait le même choix que moi à le mettre en pratique dans leurs écrits, dans un monde où la règle de l’accord au masculin est encore une norme.

Ce que dit la règle

Tout simplement que l’on peut accorder en genre et en nombre un adjectif avec le plus proche des noms qu’il qualifie, ou un verbe avec le plus proche des chefs de groupes qui forment son sujet.

L’article de Wikipedia qui lui est consacré en explique bien les racines dans les langues proches du français : latin, grec, espagnol, tout en donnant des exemples de son utilisation en français qui était semble-t-il courante jusqu’au XVIIe siècle.

La page qu’Éliane Viennot lui consacre sur son site est également remplie d’exemples.

Ainsi, j’ai choisi d’écrire que :

J’ai bien réfléchi et les accords et fautes ratées par Antidote me laissent perplexe.

Au lieu de :

J’ai bien réfléchi et les accords et fautes ratés par Antidote me laissent perplexe.

La règle d’accord selon le sens ou syllepse grammaticale

Corollaire direct de l’utilisation de l’accord de proximité, l’accord selon le sens permet de moduler l’accord grammatical. On s’affranchit ainsi du seul masculin pour embrasser (c’est d’ailleurs le sens étymologique de syllepse) le sens profond de la phrase. Pour quelqu’un comme moi, qui considère les mots comme autant de symboles chargés de pouvoir, c’est cohérent.

De nombreux exemples peuvent être trouvés sur l’article que Wikipedia lui consacre.

Pourquoi cette règle ?

En préambule, je répète que je ne désire convaincre personne.

J’ai simplement l’envie d’exposer les raisons qui m’ont conduit à ce choix.

Tout d’abord, comme je l’ai dit au début de cet article, pour moi, les mots sont des symboles, et en ont donc la puissance, d’autant plus quand ils sont écrits, car leur permanence et leur matérialité, leur forme, leur confèrent plus encore de force.

Tout en rejetant toutes les outrances de ceux que les Anglais appellent les social justice warriors (les guerriers de la justice sociale en français, qui sont pour moi seulement des trolls avides de reconnaissance cherchant à mettre de l’huile sur le feu au lieu de discuter sereinement), il me semble naturel d’accorder (sic) ma façon d’écrire avec les valeurs qui ont du sens pour moi. Des valeurs que l’on peut appeler progressistes ou humanistes.

Il se trouve que la langue est tout de même un ensemble de codes, et qu’il est nécessaire d’y introduire des règles, afin que tout le monde puisse se comprendre. C’est d’ailleurs pour cela que le débat est si polarisé : chacun est conscient, des deux côtés, que sa vision porte en elle-même un implicite politique car le choix n’est pas neutre. La règle qui ressortira victorieuse de ce combat sera imposée à tous. Elle modèlera donc le discours de tous, tenants comme opposants. À terme, elle modèlera aussi les conceptions inconscientes, automatiques, de tous.

Une langue est aussi un ensemble de règles vivantes. Une langue n’est pas figée, sinon elle meurt. Il me semble donc légitime de la faire évoluer. Nous avons le droit de revendiquer les évolutions qui nous paraissent légitimes, et c’est l’usage qui tranchera, car qu’est-ce qu’une langue, si ce n’est un accord entre tous ses locuteurs ? Si nous décidons collectivement d’utiliser l’accord de proximité, alors il deviendra (ou redeviendra, plutôt), une règle établie du français.

La conclusion logique m’a conduit à adopter l’usage de l’accord de proximité comme celui de l’accord de sens.

Utiliser la règle d’accord de proximité

C’est bien beau, tout ça, me direz-vous (et vous aurez diablement raison) mais comment utiliser concrètement cette règle quand on a comme métier (ou passion) d’écrire, de corriger, voire d’éditer, et qu’on doit relire et corriger des centaines de pages de manuscrit ?

Car si au fil de l’écriture, cela me paraît assez simple en suivant les quelques règles qui précèdent, le problème est plus prégnant lors de l’étape de la correction elle-même, puisque vous allez commencer probablement par vous corriger vous-même à l’aide d’un logiciel (que ce soit le correcteur basique de Word ou Antidote) puis à confier cette tâche à d’autres yeux que les vôtres, plus aguerris ou simplement plus naïfs envers le texte.

Or, la règle n’étant pas encore officielle, il s’agira de vérifier tous les accords en gardant en tête cette particularité.

Je ne saurai trop vous conseiller de prévenir vos ß-lecteurs et ß-lectrices ou vos correcteurs, vos correctrices, pour leur éviter de s’arracher les cheveux à chaque accord, voire de barbouiller votre manuscrit avec tant de marques rouges qu’on n’y verra goutte au bout de deux pages. Une petite discussion sur votre choix et sur la règle elle-même est indispensable.

Pour ce qui est des logiciels de correction automatique, qui seront indispensables à un moment ou à un autre de votre processus de travail, c’est plus simple et plus compliqué à la fois.

À ma connaissance, aucun n’a encore été paramétré à ce jour pour tenir compte de cette règle.

Il faut donc ruser un peu.

Utiliser la règle de proximité avec Antidote

Étonnamment, Antidote semble ne pas remarquer de faute d’accord de genre dans la phrase d’exemple, ce qui pourrait faire penser qu’il accepte l’accord de proximité. Pourtant, il n’en est rien, car il suffit de faire une faute d’accord de nombre (oublier le s pluriel dans ratées) pour qu’il détecte non seulement celle-ci, mais aussi une faute d’accord selon le principe de primauté du masculin. Pourtant, un billet de blog récent sur le site de Druide, la société canadienne éditrice d’Antidote, explique la façon dont la société recommande son usage pour améliorer l’inclusivité. Et si le billet en question mentionne bien l’accord de proximité… rien n’est prévu dans les réglages d’Antidote pour l’activer.

Je pense que cela peut s’expliquer par le fait qu’Antidote utilise la syllepse grammaticale, mais je n’en jurerai pas.

Il me semble donc que la solution consiste à laisser Antidote rechercher les fautes d’accord, puis, à chaque fois, vérifier soigneusement que la faute qu’il détecte ne soit pas basée sur l’utilisation de la primauté du masculin.

Il serait souhaitable, pourtant, que Druide accepte d’intégrer l’accord de proximité dans ses réglages.

Pour aller plus loin

Si le sujet vous intéresse, il est possible que vous trouviez quelques autres réflexions à votre goût en écoutant deux émissions en podcast.

Le dernier épisode de la saison 2020 Du vent dans les synapses de France Inter, avec Daniel Fiévet, est notamment consacré à la langue française.

Et le podcast Parler comme jamais, de Laélia Véron, sur Binge Audio, qui à chaque épisode explore une facette de notre langue sous plusieurs angles passionnants.


  1. Et pour en savoir plus sur ces deux thèses, tout en apprenant comment communiquer avec E.T. si vous le croisez, je vous recommande de lire le très didactique Comment parler à un Alien ? de Frédéric Landragin, aux éditions du Bélial.  ↩

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Le livre papier et moi

Le livre papier et moi

Le livre papier et moi

J’aime lire. C’est pour moi un plaisir véritable, de ces plaisirs qui rendent la vie si belle que je ne la conçois pas sans. J’aime lire pendant des heures, la journée comme la nuit. J’aime être accroché par une histoire, emporté dans un univers. J’aime ce plaisir de me glisser dans d’autres mondes, dans d’autres vies que la mienne.

Pendant longtemps, je ne me suis pas posé de questions sur la façon dont je lisais.

Et puis la lecture numérique a fait son apparition, à la faveur des liseuses, d‘Amazon, du Kindle et de l’ePub.

J’ai résisté, longtemps. Et puis j’ai fini par essayer, en adoptant un iPad qui me permettait de me dire que ce ne serait pas que pour lire, mais aussi pour écrire, parfois, lorsque je ne suis pas chez moi.

Et j’ai aimé la lecture numérique.

Au point de publiquement le déclarer quelque temps après la naissance de ce site, dans un des premiers articles.

Et les années ont passé.

J’ai beaucoup lu sur écran. Puis, imperceptiblement, j’ai ressenti comme une lassitude.

J’ai vécu ma première expérience de réalisateur de livre, en créant à la fois la maquette papier et la maquette numérique du Choix des Anges.

Étonnamment, je me suis rendu compte que ce livre se vendait presque exclusivement en format papier, contrairement à tous les retours que pouvaient faire les auteurs et les autrices qui produisent dans le même genre littéraire que moi, l’imaginaire. Pour cinquante ventes en format papier, je n’ai à ce jour qu’une seule vente numérique… Un mystère que j’ai du mal à m’expliquer, puisque je sais avec certitude que le livre est parvenu à dépasser le cadre familial et amical. Il est évident que les proches aiment à posséder le livre physique, comme une preuve tangible, un totem ou un objet de fierté. Mais souvent, les personnes qui découvrent un auteur de l’imaginaire préfèrent le “tester” avec un format numérique, beaucoup moins cher donc beaucoup moins risqué si l’on n’accroche pas à l’univers ou au style.

Parallèlement, et sans vraiment de lien je pense, mon propre rapport au support de lecture a évolué.

Je revenais au papier, doucement mais sûrement.

Je suis conscient que tout ceci est éminemment personnel, que ce cheminement est seulement le mien.

J’ai pourtant envie de le poser noir sur blanc pour le comprendre un peu mieux.

Et j’espère que cela pourra entrer en résonnance avec certains ou certaines d’entre vous, qui, comme moi, aimez lire comme on aime la vie, pour ses ratés comme pour ses bonheurs. Vous pourrez peut-être m’aider à comprendre où m’emmène ce chemin étonnant qui louvoie entre les écrans et le papier, entre l’encre et la lumière des diodes, entre le virtuel et le réel, le concret et l’abstrait.

Je vais donc poser quelques réflexions, un peu comme elles viennent, sans vraiment les hiérarchiser ou les relier entre elles. Peut-être qu’une cohérence s’en dégagera a posteriori.

Bienvenue dans les états d’âme d’un lecteur du XXIe siècle…

Coûts

Avez-vous remarqué un étrange paradoxe ?

La version numérique d’un livre a un coût de production ridiculement faible une fois qu’on a le texte lui-même. La maquette ePub peut s’obtenir presque automatiquement avec certains outils, même si à mon humble avis, pour avoir quelque chose de propre et de vendable, mieux vaut mettre les mains dans le code. Même dans ce cas, le salaire d’un spécialiste n’atteindra pas les coûts énormes d’un imprimeur, d’un transporteur et d’un entrepôt.

Et pourtant, le prix d’un livre numérique vendu dans le circuit classique de l’édition est souvent très peu différent du format papier du même livre. Même dans le genre de l’imaginaire.

On peut parfois s’y retrouver lors des opérations spéciales faites dans certains circuits de distribution numérique, comme 7switch, mais cela reste tout de même assez rare. Ou bien avec les réalisateurs artisanaux de livres numériques (ceux que l’on appelle les autoédités).

Un livre en format papier ne coûte donc pas beaucoup plus cher que la version numérique, et pour la différence, on acquiert un objet physique dont la lecture est plus traditionnelle et ne nécessite pas de technologie.

Je trouve donc que, quitte à payer mon livre assez cher, je préfère l’avoir en papier.

Écologie

Encore un paradoxe.

Au début de la lecture numérique, dans les années 2000, il était courant d’entendre l’argument de l’empreinte écologique catastrophique du livre papier, qui était affublé du sobriquet de “format arbre mort”. Le livre numérique, virtuel, ne coûte pas la vie à un arbre et ne requiert pas de pétrole pour faire rouler les camions qui transportent des tonnes de bouquins hideusement emballés dans du plastique (encore de la pétrochimie).

Oui, mais nous avons un peu plus réfléchi, dans les années 2010, et un livre électronique nécessite tout de même un stockage informatique sur un serveur dans un datacenter qui consomme beaucoup, beaucoup d’électricité, produite parfois avec de la pétrochimie. Ce serveur est constitué de plastiques, mais aussi de composants électroniques qui sont obtenus à partir de terres rares, dont l’extraction est une calamité écologique. Il nécessite aussi, pour être lu, un appareil technologique obtenu à partir de composants utilisant également des terres rares. Cet engin fonctionne aussi à l’électricité, et consomme donc de l’énergie à chaque fois qu’on veut lire.

Tout bien considéré, qui peut dire quelle façon de lire est la moins polluante ?

Personne.

Genres et sujets

Autre paradoxe.

Si presque tous les livres de fiction (notamment dans les littératures de l’imaginaire) sont disponibles en numérique, alors qu’il n’est pas forcément vital de prendre des notes ou de rechercher précisément un terme rapidement pour le retrouver plus tard, les ouvrages de référence, donc de non-fiction, le sont rarement alors que ce serait une aide précieuse que de pouvoir prendre des notes, faire des renvois, disposer d’un glossaire renvoyant directement au passage recherché, et autres choses que permet exclusivement le format numérique.

En gros, ce sont les ouvrages dont on aurait le plus besoin qui manquent.

C’est particulièrement vrai dans mon domaine, celui du soin. 90 % des ouvrages n’ont qu’une édition papier (d’après un sondage réalisé à partir d’un échantillon représentatif de moi-même).

Plaisirs

L’odeur du papier, sa texture, celle de la couverture, parfois gaufrée ou vernie de façon sélective, sont des plaisirs évidents pour qui aime lire. Mais d’autres viennent peu à peu à manquer avec le numérique.

Le poids d’un livre, s’il peut parfois être un peu désagréable dans le cas des pavés gargantuesques de certaines éditions, est aussi paradoxalement un plaisir, même lorsqu’il frise l’obésité. Il est aussi impressionnant que rassurant. On se dit qu’on va avoir du chemin à accomplir avec les personnages, avec l’auteur, et ce chemin est physique. La mesure du compteur numérique d’un nombre de pages restant n’a pas cette force tangible.

Car pour moi lire est une immersion qui passe aussi par le corps. Et je m’en rends compte de plus en plus, avec les années. Je crois que lire n’est pas seulement un loisir de l’esprit, mais une attitude corporelle. On se tient d’une certaine manière, on change de position, on se crispe ou se décontracte en fonction de ce qu’on lit. Le corps est vigilant.

Ce n’est pas du sport, bien entendu. Mais ce n’est pas uniquement une activité intellectuelle.

Et d’autres plaisirs, d’autres sensations, y sont associées. L’odeur est aussi celle de l’encre.

La mise en page est diablement importante, et certains ouvrages pourront être doublement agréables à lire et immersifs pour peu que l’éditeur ait prévu une maquette plaisante. Cette réflexion est d’autant plus évidente à mes yeux maintenant que je me suis lancé à mon tour dans la réalisation de livres. Je me rends compte de l’importance primordiale de la maquette dans le confort de lecture et dans le pouvoir du livre à faire entrer le lecteur dans son monde.

Pour moi, une bonne maquette se compose de quelques ingrédients simples.

  • Une fonte confortable et lisible, mais si possible éloignée du Times New Roman de taille 12 points, qui fait trop penser à un document Word.
  • Une typographie qui épouse le sens du texte. Par exemple un changement de fonte pour signifier qu’il s’agit d’un SMS ou d’un mail, un changement en italique pour un flashback ou un flashforward.
  • Un en-tête et des numéros de page me permettant de savoir où j’en suis de la lecture.
  • Un interlignage calculé pour que les lignes ne soient ni trop proches ni trop éloignées les unes des autres.
  • Des lettres d’une bonne taille mais pas non plus trop grandes (j’aime lire des romans et des essais, pas des livres pour enfants, même si de temps à autre il ne me déplaît pas de faire la lecture à des bambins).
  • Et surtout, surtout, des marges confortables pour ne pas risquer de mettre mes doigts sur du texte.

Cela veut dire des marges extérieures plus importantes que les marges intérieures, elles-mêmes assez importantes pour que le texte ne fasse pas de plongeon à chaque fin de ligne sur la page de droite ou ne surgisse des ténèbres en début de ligne sur la page de gauche, ce qui oblige à plier la reliure du livre de façon excessive. Non seulement ça fait mal aux doigts mais en plus ça abîme le bouquin…

Or, tout au moins sur ce dernier point, on voit beaucoup l’inverse depuis quelques années (c’est-à-dire des marges extérieures plus petites que les marges intérieures) même sur des livres papier en grand format. Sans parler des livres de poche qui, pour avoir leur charme eux aussi, ont tendance à réduire les marges extérieures, intérieures, basses et hautes à leur plus simple expression. C’est inconfortable et ça me gâche parfois le plaisir.

On pourra alors penser que le livre numérique, qui offre la possibilité au lecteur de choisir sa fonte, son interlignage, la taille des caractères et des marges, est pour moi parfait.

Pas tout à fait.

Car peu de livres numériques sont conçus de manière à reproduire les changements de fontes et de typographie qui sont si importants pour moi, et puis le poids d’un iPad ou d’une liseuse n’est pas celui d’un livre, et enfin, surtout, on ne tient pas un iPad ou une liseuse comme on tient un livre. Je trouve la tenue moins naturelle et moins confortable.

Il est vrai que la lecture numérique a un avantage indéniable : pouvoir exister dans une pièce sombre ou même noire si on a un appareil rétroéclairé et un mode sombre.

La vie d’un livre

Un autre plaisir de lecteur assidu : relire un livre. Parfois plusieurs fois.

Frissonner lors des mêmes passages. Les anticiper. Et frissonner par anticipation.

Nous pouvons faire cette expérience en lisant sur papier ou en numérique.

Mais sur papier, nous aurons des repères physiques immuables alors que la pagination peut changer en numérique.

Mais sur papier, nous aurons aussi des marques possibles sur la texture. Une page cornée, par exemple.

Un livre papier vit. Il est organique, par essence. Il pourra garder des marques gagnées au cours de son existence entre les mains de ses différents lecteurs ou des différentes lectures.

Je ne suis pas de ceux qui annotent leurs lectures, mais il m’est arrivé d’hériter de livres dont les précédents propriétaires, parfois disparus depuis longtemps et que je ne connaissais même pas, avaient laissé quelques mots dans la marge, au crayon à papier. J’ai trouvé cela très beau.

Un fichier ePub ou Kindle restera le même, inchangé, durant l’éternité. Et s’il est plus facile de mettre des notes, celles-ci sont stockées dans l’appareil, pas dans le fichier. Il faut alors passer par quelques astuces pour récupérer ses notes et les transférer dans l’appareil suivant quand le premier tombe en rade…

Le caractère immuable du numérique peut aussi être un gage de longévité, pour peu que les technologies pour lire le format soient encore valables dans cent ou deux cents ans… mais lorsque l’on est suffisamment geek pour connaître l’histoire des formats technologiques, on sait ce qu’il peut advenir de supports aussi éternels que les cassettes VHS…

Un livre fait de papier, s’il est protégé de l’humidité et du feu, pourra être lu dans cent ou deux cents ans par quelqu’un qui maîtrisera la langue dans laquelle il est écrit.

Pour cela, bien sûr, il faut aussi que le livre soit suffisamment bien fabriqué.

Ce qui veut dire que les couvertures au dos carré collé qui sont la norme dans l’autoédition de par la prééminence technique d’Amazon ne sont pas forcément les mieux placées…

On préférera la reliure cousue… si l’on parvient à trouver à qui la faire réaliser…

Consommation

Le caractère virtuel d’un livre numérique l’assimile dans l’esprit des lecteurs aux autres fichiers informatiques. Que faisons-nous de nos fichiers informatiques ? Nous les archivons sans vraiment nous y intéresser. Nous les produisons et les oublions dans un coin de l’ordinateur.

Une preuve de ce que j’avance ?

Non, deux preuves, en deux mots : photographies, morceaux de musique (bon, quatre mots…).

Depuis l’avènement de la photographie numérique, nous prenons des photos tout le temps, à tout bout de champ, là où auparavant une photographie était un événement en soi. Qui parmi nous regarde encore ses photographies numériques de temps à autre ? Je veux dire, à part celles qu’on partage sur Instagram ? Je vous laisse juge de la quantité de musique que vous écoutez par rapport à la quantité de morceaux informatiques que vous possédez. C’est pire encore si comme moi vous vous êtes converti au streaming légal.

Je me rends compte que nous consommons la musique, nous ne l’écoutons plus vraiment, ou alors si rarement.

Nous consommons des photos sur Instagram. Nous ne regardons plus celles que nous prenons nous-mêmes.

Je me suis surpris à accumuler des fichiers de livres numériques et à les laisser dormir dans mon ordinateur ou mon iPad, de la même façon que pour mes photos.

Certains livres numériques sont là, à attendre mon bon vouloir, depuis quelques années.

Je n’ai pas lu tous les livres papier de ma bibliothèque (car j’en ai hérité parfois), mais acheter un livre papier revêt une autre importance, et généralement je commence assez vite ma lecture.

Lecture fractionnée

Le temps file. C’est le luxe ultime que de le posséder en quantité suffisante.

Suffisante pour lire, bien sûr. Lire vraiment, comme une véritable activité, en prenant son temps. En prévoyant une bonne heure rien que pour faire honneur à l’ouvrage, sans être interrompu par la sonnerie d’un mail ou d’un SMS. Sans décrocher parce qu’on doit accomplir une tâche en particulier, sans être dérangé par un coup de téléphone intempestif.

Ce temps-là devient rare.

Et lire peut rester un besoin vital pour certains, comme pour moi. Alors on s’adapte.

On adapte sa façon de lire. On fractionne sa lecture. On lit trois phrases dans un bus, un chapitre dans le métro, dix pages dans une salle d’attente. On lit donc sur liseuse, car c’est plus pratique qu’un livre, c’est moins encombrant, c’est plus léger, et cela peut être dégainé aussi simplement qu’un ticket de métro. Mieux, on finit par lire sur un téléphone portable, qui même s’il gagne en taille d’écran chaque année n’affiche que quelques phrases à la fois.

Certains auteurs l’ont bien compris, qui écrivent des chapitres très courts, nerveux, qui se lisent vite.

J’ai pour ma part envie de lire de longues heures d’affilée. De déguster les mots. Sans traîner. Mais sans me presser non plus.

Objet & possession

Posséder des livres, cela prend de la place. Beaucoup de place. Il faut des étagères, des bibliothèques. Des mètres carrés.

Un fichier informatique n’a pas d’encombrement physique. Rien n’empêche de stocker toute sa bibliothèque dans une seule liseuse, suivant le modèle que l’on possède. Et cela est économique quand on songe à toute cette place gagnée. Nous n’habitons pas tous dans des maisons ou des appartements assez vastes pour accueillir une pièce dédiée aux livres.

Et puis posséder prend une valeur différente dans notre société qui tente de mutualiser pour réduire son empreinte écologique ou économique. On mutualise les espaces de travail, les vélos, les voitures. Pourquoi ne pas mutualiser les livres en les empruntant à la bibliothèque ?

Pourtant, la possession d’un livre a une autre portée, symboliquement.

Finalement, on peut dire que je possède mes livres, mais aussi qu’ils m’ont adopté.

Notre civilisation a développé un lien purement utilitaire voire utilitariste aux objets. Un lien qui leur a ôté toute valeur autre. Même l’esthétique est parfois sacrifiée. Pourtant, il ne s’agit pas vraiment de dépouillement matériel, contrairement à ce qu’on pourrait croire, puisque nous finissons par posséder un nombre incalculable de choses. Un nombre si grand que les objets en perdent d’autant plus de valeur individuellement, sans que nous puissions cependant nous détacher d’eux. Nous sommes doublement prisonniers de notre matérialité : nous ne pouvons plus fonctionner sans objets, mais nous n’y attachons plus de valeur. C’est même étonnant de se rendre compte que la prise de conscience écologique pourrait encore amplifier cette tendance du matérialisme utilitariste désincarné.

Finalement, ne pas accorder d’importance aux objets en restant dans une dépendance vis-à-vis d’eux conduit à ne plus s’intéresser à l’objet lui-même, à ne plus en prendre soin, ce qui peut aller jusqu’à se désintéresser de la façon dont il est produit et dont il continuera sa vie (ou la finira) après que nous nous en sommes servis. Ce désintérêt est à la base de comportements actuellement délétères pour la Nature et pour nous-mêmes. Le tout-jetable, le tout-consommable.

Je suis partisan d’une approche radicalement différente.

Dans ma façon de voir les choses, un objet est la production d’un être humain qui y a mis toute son attention, parfois pendant un temps assez long. C’est le produit d’une chaîne d’inventeurs, d’avancées humaines. C’est un morceau de notre humanité. Comme tel, et surtout s’il a été fait dans le respect de certaines règles, incluant le souci de préserver les ressources naturelles, mais aussi la santé de ceux qui l’ont fabriqué, un objet n’a pas qu’une valeur utilitaire. Il a une valeur esthétique, une valeur symbolique. Une valeur émotionnelle, parfois. Et presque toujours.

Pour moi, on doit donc respecter un objet.

Cela inclut la nécessité de s’intéresser à la façon dont on en prend soin, dont il a été fabriqué, et à son devenir.

Certains objets ont une charge émotionnelle ou symbolique plus forte.

Pour moi, les livres entrent dans cette catégorie.

Un livre que l’on considère ainsi devient précieux, même s’il en existe des milliers ou des millions d’exemplaires à travers le monde. Et posséder un tel objet donne une certaine responsabilité. On doit en prendre soin. On doit aussi le faire découvrir, le faire lire à d’autres.

Je peux encore aller plus loin dans la description de mon lien affectif et émotionnel aux objets et aux livres.

Car certains ne sont pas loin d’avoir une âme, un esprit, dans ma façon de voir.

C’est que je me sens proche de la pensée animiste, sans me départir pourtant de ma posture agnostique. Je nomme souvent les objets dont je me sers souvent. Et en leur conférant un nom, je leur assigne non plus une fonction mais aussi une importance.

Mon ordinateur principal, celui avec lequel j’aime écrire, porte le nom de Tezcatlipoca, le Miroir Fumant, d’après le dieu aztèque. Autant vous dire que lorsqu’il sera temps de mettre Tezcatlipoca à la retraite, ce sera en m’assurant de son devenir.

On peut sourire de cette habitude (ne vous gênez pas, j’en souris et m’en moque moi-même) mais je crois qu’elle a au moins une vertu : celle de me faire prendre conscience de la responsabilité de posséder un objet dans un monde où les ressources sont limitées.

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Balade chinoise, d’Anatole X

Balade chinoise, d’Anatole X

Balade chinoise, d’Anatole X

S’il est des expériences qui ont pu me marquer dans ma plus si courte existence, la découverte de la Chine fait assurément partie des plus fortes.

Ce fut sans doute aussi le cas pour Anatole X, nom de plume choisi par l’une de mes compagnons de voyage à l’époque, puisque son premier roman se déroule à Shanghai.

Balade Chinoise est un court roman sur l’escapade d’une photographe reconnue qui se rend pour la première fois dans l’Empire du Milieu, presque à contrecœur, pour un vernissage. Elle sera bouleversée dans ses certitudes, ses angoisses et sa vision du monde par cet autre univers qui la happe et l’attire tout autant qu’il la repousse et l’effraie. Un choc suffisant pour changer réellement sa vie ?

Ce premier roman s’attaque à la force d’attraction d’un continent qui a déjà inspiré bien des écrivains, mais il le fait à travers les interrogations et les préoccupations artistiques d’une femme dont la vie s’est embourbée dans un confort matériel et moral dont elle est elle-même la complice autant que la victime.

Un sujet délicat que de parler du choc de la découverte mutuelle entre l’Orient et l’Occident, de leurs relations complexes et des échos qu’ils trouvent l’un dans l’autre dans la réalité et dans leurs fantasmes respectifs.
L’originalité tient ici dans le fait que cette rencontre est très personnelle, presque physique, entre le personnage principal et ce nouveau monde rempli de potentialités et de dangers. Elle est aussi et surtout psychique, morale, intime.

Ayant la chance de bien connaître l’auteur et d’avoir participé à la relecture du manuscrit, j’ai eu envie de lui poser quelques questions sur ce roman et sur sa façon d’écrire en général, tant il est vrai que chaque écrivain ressent les choses différemment des autres. Et elle a accepté de se prêter au jeu.

Chère Anatole, bienvenue dans le Nid du Phoenix. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Tu ne veux pas le faire plutôt ?

Hum… Peut-on dire que tu es de la génération née dans les années 70, que tu as une formation et que tu travailles dans un milieu très technique ?

Et que l’écriture est une respiration nécessaire et un besoin jamais démenti depuis mon enfance.

Dans ton premier roman publié, Balade Chinoise, l’héroïne découvre plus qu’un nouveau continent, une autre planète. On sent la fascination que semble exercer ce monde tout au long de cet ouvrage sur elle. Pourquoi avoir choisi la Chine, et pourquoi cette fascination ?

La Chine a un pouvoir mystérieux. Tout la différencie du reste du monde : sa langue, son histoire, sa volonté de puissance actuelle inébranlable. Le meilleur comme le pire y cohabitent. La Chine est un pays qui a l’intelligence économique, pour le reste, la partie politique, je suis plus réservée. C’était pour moi le pays idéal pour évoquer un dépaysement brutal.

Sasha, l’héroïne, est photographe, et son récit est fait à la première personne. Est-ce que l’image et la couleur, si importantes pour son œuvre dans le livre ont changé ta façon d’écrire ?

Pas particulièrement. La photographie est à la fois une technique utile et un art. Cette ambivalence est étrange. Pour ce roman, choisir comme personnage principal, en mode subjectif, une photographe permet une lecture de l’environnement particulière où le regard et la sensibilité artistique dominent. Creuser cette approche m’intéressait.

Le milieu artistique est important dans le livre. Sasha est une artiste « arrivée », qui a du succès, qui gagne bien sa vie, confortablement même, mais qui semble opposer créativité et confort de vie. C’est un peu ce que l’on ressent aussi avec son « pendant » chinois, le personnage de Lao Wang, qui par force fait des choix totalement différents. Est-ce aussi ta façon de penser ? Duquel te sens-tu la plus proche ?

Sasha s’est détachée d’un milieu d’artistes « maudits » pour passer du côté des artistes plus établis, aux dépens de sa créativité. Elle a fait le choix de vivre sans idéal à un moment où son inspiration se tarissait. Lao Wang est un artiste jeune, engagé, résistant, dissident d’une politique qu’il juge totalitaire. Il s’inscrit cependant dans une tradition formelle de l’art de la calligraphie. Il est porté par un idéal politique et artistique que Sasha a perdu. Il ne s’agit pas d’une posture.
Ce n’est pas le confort matériel de Sasha qui a tari sa créativité. Sasha n’est pas un génie porté par son ego, son œuvre, sa vision de l’univers ou un idéal. C’est une femme qui a voulu réussir et a saisi les opportunités sans forcément en comprendre les enjeux et qui en ressent cruellement l’impact à ce moment de sa vie, où tout semble joué. Le confort matériel ne freine pas la créativité, il peut au contraire l’accompagner, la faciliter. Ce n’est pas le cas de Sasha.

Sasha fait souvent référence à son âge, et dans le roman les Européens comme les Occidentaux au sens large sont souvent décrits comme des gens sclérosés ou irrespectueux, bref comme des vieillards ou des enfants. Ce parallèle est-il calculé ?

Ce sont des occidentaux expatriés, qui viennent profiter de la manne chinoise. De vieux relents d’esprit colonialiste se révèlent dans leur comportement. Et puis, pour être honnête, ça m’amusait de nous caricaturer dans ce contexte.

L’ambivalence entre le frère Wu Li et la sœur Wu Jian est si forte qu’on a l’impression de voir deux facettes radicalement opposées et pourtant si proches. C’est encore une autre dualité au sein du roman, construit autour de multiples couples qui s’attirent et se repoussent à la fois. Est-ce finalement ta vision de la Chine, ou bien d’une façon plus large des relations que nous avons avec elle ?

C’est le yin et le yang…

Parlons un peu de toi. Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire dans ta vie, puis à publier ?

Rien ne m’a poussé, j’en ai eu envie dès que j’ai appris à écrire.
Pour la publication, dans ce cas précis, elle me permet de passer à un autre projet l’esprit libre.

As-tu des habitudes d’écriture, des rituels ?

Non, pas particulièrement.

As-tu des références littéraires précises, cultes ou qui t’ont marquées ?

Les plus marquantes sont :

  • Colette, pour la liberté au féminin après la série des Claudine

  • Boris Vian, pour sa sensibilité, sa façon d’imposer au roman sa prose poétique et ses histoires originales

  • John Irving, Le monde selon Garp a été mon livre de chevet pendant quelque temps. J’admire sa créativité, chaque page est surprenante !

  • Hanif Kureishi, Black Album et le Bouddha de Banlieue sont des portraits forts et, comme pour Irving, très créatifs, inhabituels, et en prise avec la société contemporaine de leur œuvre.

  • John Fante, Demande à la poussière est un chef d’œuvre absolu.

Balade Chinoise est autoéditée et seulement disponible en version électronique. Pourquoi ce choix ?

Parce que Le Dilettante n’a pas voulu le publier. Ça m’a vexée, j’ai décidé de m’auto éditer. Ça prend cinq minutes et on ressent une impression de liberté totale. Ça me plaît.

Tu as publié sur la plateforme Kobo, connue pour son application stricte de DRM (Digital Rights Management, un dispositif anticopie qui s’apparente à un verrou numérique empêchant de partager le livre) même s’il est possible de publier sans DRM depuis peu. Quelle est ta position sur les DRM dans l’édition ?

Aucune, je n’avais pas compris ce qu’impliquait ce choix. J’aurais dû te demander avant de le faire.

As-tu des projets littéraires ou artistiques en cours ?

J’écris un roman « choral » que j’espère humoristique, et je participe à un blog où je traite des questions d’éducation (http://www.energies-libres.fr). Je ne suis pas une artiste, en fait.

Qu’est-ce qui fait un artiste, alors, pour toi ?

Pour moi un artiste vit librement, guidé par sa vision personnelle du monde, sans autre forme de contrainte.

Merci Anatole et longue vie à Balade Chinoise.

Couverture_Balade_chinoise_Anatole_X

Je suis sûr qu’on aura l’occasion de parler à nouveau littérature ensemble dans le Nid du Phœnix…