Apprendre des erreurs des autres, partie 2 : assumer les conséquences (narratives) de ses actes
Depuis sa naissance en 2014, j’ai pris le parti de n’écrire sur ce blog qu’à propos des sujets qui m’ont positivement marqué, à de rares exceptions près. Il me semble en effet plus intéressant de mettre en avant les sujets et œuvres que je trouve pertinentes ou réussies, plutôt que de critiquer et de chroniquer absolument tout et d’exposer aussi des objets artistiques dont je trouve qu’ils ne le méritent pas.
Cependant, le monde n’est pas non plus fait que de ce que l’on aime.
J’ai déjà d’ailleurs pu pousser un coup de gueule ci et là.
Car il est vrai que l’on peut aussi apprendre de l’erreur. Chaque tentative, même avortée, même échouée, peut nous rapprocher un peu plus de ce que nous voulons accomplir.
Nos propres erreurs tout d’abord. Savoir les reconnaître est non seulement une marque de sagesse, mais aussi le premier pas vers notre amélioration. Et chacun sait combien il est difficile de reconnaître avec justesse et justice que nous pouvons avoir tort. Avec justesse, c’est à dire sans mauvaise foi, sans nous dédouaner de nos responsabilités, mais aussi avec justice c’est-à-dire sans nous accabler outre mesure. Il est des erreurs vénielles dans la création artistique comme dans la vie, et c’est heureux !
Et nous pouvons également apprendre des erreurs des autres, tout autant que de leurs réussites.
Puisque je suis un éternel insatisfait pour ce qui est de mes propres créations, j’ai toujours tendance à me dire que j’aimerais éviter telle ou telle erreur, tel ou tel piège, tel ou tel écueil dans mon écriture. Je garde en mémoire ce qui m’a touché et ému, ce qui m’a plu et bouleversé dans tout ce qui me nourrit artistiquement, mais je tente aussi de me souvenir de ce que je ne veux pas reproduire.
J’ai donc eu envie de vous proposer une série d’articles en forme de liste d’erreurs que je m’efforce de ne pas commettre, autour de quelques œuvres, récentes ou non, qui illustreront à la fois la thématique et mon propos.
Qu’est-ce qui fait vraiment une bonne histoire ? Est-ce un concept original ? Est-ce un monde cohérent ou réaliste ? Est-ce une intrigue bien ficelée et surprenante ? Je crois que chaque lectrice et chaque lecteur aura sa réponse préférée, et je parie que, pour beaucoup d’entre nous, ce sera un mélange de toutes ces propositions, à des proportions diverses.
Mais il manque dans cette liste un élément fondamental qui est trop souvent négligé dans les œuvres de l’imaginaire comme dans d’autres genres de la fiction : les personnages, leur cohérence, leur crédibilité, leur caractère vivant. Car sans eux, comment réellement suivre l’intrigue palpitante (il n’y aura personne pour en vivre les péripéties) ? Sans eux, pas de monde cohérent (il n’y aura personne pour le peupler, ce sera donc une coquille architecturale vide). Sans eux, à quoi bon développer un concept original (il n’y aura aucune différence entre ce que j’hésite alors à appeler de la fiction et un essai académique ou scientifique intéressant, certes, mais sans l’attrait principal d’une histoire) ?
Et si beaucoup d’œuvres fictionnelles les oublient, le jeu de rôle, lui, a bien compris qu’ils étaient au centre de l’expérience. Les personnages, dans une fiction, sont les véhicules des émotions que nous, artistes, distillons mot après mot, ou image après image, jusqu’à notre public. S’il n’y a pas de personnage cohérent et à l’apparence de la vie, alors il n’y a pas de transmission de l’émotion, des sentiments. La fiction n’étant finalement que cela : parler aux autres à travers les émotions. Sinon, nous écririons des traités philosophiques ou réaliserions des documentaires. Et qu’on ne s’y trompe pas : je respecte infiniment les traités philosophiques et les documentaires. J’en lis et j’en regarde. Je les trouve essentiels. Mais je n’en écris pas moi-même ni n’en réalise. Je suis un auteur de fiction, un réalisateur de fiction.
Alors, comme pour le premier épisode de cette série d’articles où je m’intéressais à deux œuvres qui avaient, selon moi, échoué à atteindre mon enthousiasme, je voudrais m’expliquer à moi-même, tout en vous l’exposant, quelles sont les erreurs que je ne voudrais pas commettre envers mes personnages.
Mais d’abord, il me semble essentiel de répondre à une question fondamentale :
Qu’est-ce qui crée l’illusion de la vie dans une fiction ?
C’est une vaste question, et je suis certain qu’il existe déjà des tonnes de traités (philosophiques ?) d’écriture et de théories qui ont disséqué ses implications de façon bien plus savante et profonde que je ne vais le faire ici. J’avoue ne pas avoir réalisé de recherches sur le sujet, et ce que je vais livrer dans ces lignes est seulement le fruit de ma réflexion sur mes propres ressentis, sur ma propre expérience. Cet avertissement pour être totalement honnête et ne pas me prétendre expert en la matière.
Cependant, mon métier (médecin), ma passion (les histoires), me rendent certainement capable de dégager certaines constantes dans ce qui crée dans notre esprit la perception qu’un personnage réel ou imaginaire soit vivant.
Un système de valeurs intrinsèque
L’autre est fondamentalement nécessaire pour créer l’illusion de la vie chez un personnage de fiction.
Chaque être vivant a un comportement qui lui appartient. Il agit suivant des règles de conduite qui sont dictées par son règne (végétal, animal, champignon, ou alien), son espèce, sa génétique, mais aussi son éducation et les influences qui l’ont modelé, façonné. Ces influences sont d’ailleurs le fondement des troisième et quatrième points que je développe plus loin.
Même si ce système de valeurs est incompréhensible, car trop étranger à ma façon de penser, il est nécessaire d’en percevoir l’existence pour imaginer que tout cela soit organisé, et non pas aléatoire. L’esprit humain considère de façon automatique que ce qui est organisé l’a été par une intelligence, dans un but précis, même s’il ne distingue pas clairement lequel. C’est ainsi que nous avons eu tendance, au fil de notre Histoire, à imaginer des êtres intelligents, même si parfois très différents de nous, dans des manifestations naturelles : esprits de la nature, divinités diverses…
Un comportement organisé est donc une des clefs pour créer l’illusion de la vie.
Ceci dit, ce n’est pas la seule.
Et elle n’est pas non plus obligatoire, car on peut créer des personnages dont le comportement semble si étranger que nous ne parvenons pas à y distinguer de système de valeurs. Mais cela donne naissance à des personnages qui deviennent inquiétants pour nous, et c’est l’un des moyens pour faire émerger des monstres, quels qu’ils soient : psychopathes, aliens, Grands Anciens Cosmiques, etc. Bref, un personnage sans système de valeurs perceptible colorera votre récit d’horreur, si, par ailleurs il suit les autres règles.
Dans tout autre but, votre personnage sera ressenti comme non cohérent par votre public.
Une volonté propre, distincte de la mienne
On poursuit dans l’exploration de l’altérité, pour s’intéresser à ce que le personnage veut.
Fondamentalement, un être vivant possède une volonté, c’est-à-dire un ou plusieurs buts.
Il n’est pas nécessaire que ces buts soient très élaborés, et ils peuvent même être inconscients, comme tout simplement les deux pulsions de tout système vivant : se préserver & se perpétuer. D’où les comportements de territorialité, de reproduction, de nourriture, de prédation.
On s’intéresse alors aux désirs, donc aux actes et à leurs motivations.
Si vous faites comprendre à votre public que chaque personnage a ses propres motivations, ses propres objectifs, alors vous créez l’illusion d’une volonté différente de celle de la lectrice ou du spectateur.
Et comme nous l’avons énoncé plus haut : tout ce qui nous semble organisé semble l’avoir été, pour notre cerveau, par une entité vivante.
La faculté d’apprendre et de s’adapter
Pourtant, l’une des facultés les plus importantes de tout système vivant, des bactéries aux aliens, reste celle de l’adaptabilité.
Ne peut en effet être perçu comme vivant qu’un être qui ressent les modifications de son environnement, et y adapte son comportement, voire sa constitution propre (sa génétique, ses vêtements, son organisation, ou encore l’environnement lui-même), ou même ses objectifs et ses désirs, pour continuer à se préserver & se perpétuer.
Par essence, la vie est un processus qui tente de maintenir un équilibre exceptionnel : un milieu intérieur constant, séparé et différent d’un milieu extérieur (un humain dans un désert, par exemple). En biologie, nous appelons cela l’homéostasie. Nous la définissons comme l’ensemble des mécanismes qui permettent à un organisme vivant de préserver des caractéristiques essentielles à sa survie malgré les changements de son environnement.
De façon basique, on peut illustrer cela par le mécanisme de la vie d’une cellule.
Une cellule est constituée d’un liquide intérieur contenant des éléments nécessaires (matériel génétique, protéines), protégé par une barrière appelée membrane, qui est capable de réaliser des échanges avec l’extérieur, dont la composition n’est pas la même selon qu’il pleuve, qu’il fasse très froid ou très chaud (évaporation), qu’il y ait de l’oxygène (capable de dégrader les protéines par le phénomène d’oxydation), etc.
De même, un personnage dont les buts et les valeurs sont bien posées devra adapter ses actes, mais aussi ses pensées et ses paroles en fonction des ressentis qui seront les siens dans une situation donnée. S’il voit son propre frère bien aimé précipité littéralement en Enfer, il ne peut pas ne pas réagir (nous reprendrons cet exemple plus tard). Et s’il parvient à ramener son frère des affres de la damnation, tout ce qu’il aura vécu ce faisant sera pour lui une expérience dont il aura appris.
Car oui, pour s’adapter au mieux, les êtres vivants, même les plus simples (comme le blob, un organisme unicellulaire très «primitif» sans cerveau), ont une mémoire pour se rappeler la manière dont leurs précédentes expériences ont réussi ou échoué.
La mémoire1 est une faculté du vivant qui a été sélectionnée très tôt par les impératifs de survie et d’adaptation dans l’évolution. Elle en est devenue une caractéristique fondamentale.
Un personnage crédible ne peut donc pas faire abstraction d’expériences passées qui lui auront coûté, ou qui auront exigé de lui d’adapter son comportement. Lorsqu’une situation similaire se représentera, il ne peut pas agir exactement de la même façon que lors de la première fois. Sauf si cette première fois a été un succès sur toute la ligne. Mais c’est rarement le cas, car :
La fragilité du vivant
… Car le vivant est par essence fragile.
Le principe d’homéostasie demande une adaptation constante, donc des ressources, et le maintien de la complexité de ces mécanismes dans le temps est une lutte permanente. À l’échelle d’une cellule, c’est la variation d’infimes proportions de la composition en éléments chimiques, mais à l’échelle d’un individu, c’est l’organisation du fonctionnement interne, le vieillissement, l’usure, les conditions météorologiques extérieures, les relations avec les autres êtres vivants, etc.
Bref, l’intégrité d’un être vivant est un perpétuel défi. Physiquement, mais aussi psychologiquement.
Le vivant est donc constamment malmené, blessé, bouleversé, par ce qui se déroule à l’extérieur, voire à l’intérieur de lui-même. C’est l’une des raisons pour lesquelles ce que l’on veut nous faire passer comme intelligent dans les «IA» ne le sera jamais vraiment tant que ces programmes n’auront pas été confrontés à la nécessité de se maintenir eux-mêmes malgré des agressions extérieures et intérieures.
Cela a une conséquence majeure : la mémoire sera aussi celle des traumatismes, reçus, infligés, surmontés ou subis, et le comportement changera en fonction.
Vos personnages devront donc, pour posséder l’illusion de la vie, être vulnérables, fragiles, mais aussi sensibles, touchés par des émotions, donc faillibles, imparfaits. Oui, même les superhéros ont une faiblesse. D’ailleurs, la plupart du temps, cette faiblesse est ce qui rend l’aventure possible (la kryptonite pour Superman, le tiraillement entre une vie normale et ses responsabilités pour Spiderman, le doute du bien-fondé de son action pour Batman…) et qui nous rend le personnage proche et attachant, proche car attachant et attachant car proche.
Même les personnages non humains (puisque nous sommes ici entre personnes qui aiment particulièrement les genres de l’imaginaire) ont cette fragilité, fussent-ils des Elfes, des androïdes comme les Répliquants de Blade Runner, ou même des «super-IA» totalement synthétiques comme Poe dans Altered Carbon.
Même les antagonistes, comme Sauron dans les écrits de Tolkien, même Le Mulet dans Foundation de Asimov, même Le Terminator, ont une fragilité.
À partir du moment où vous destinez un personnage à apparaître vivant, vous ne pouvez pas faire l’impasse sur l’exposition de sa fragilité.
C’est totalement différent si vous lui donnez un rôle d’antagoniste écrasant, voire de force cosmique indépassable, comme c’est le cas des Grands Anciens dans le Mythe de Cthulhu de ce cher Lovecraft. Dans ce cas, vous pouvez (et même devez) oublier la fragilité, et au contraire le montrer comme démesuré, invincible.
À la lumière de toutes ces caractéristiques, voyons quelles sont les erreurs à ne pas commettre à partir de deux exemples.
Supernatural, ou comment détruire la crédibilité de ses personnages
Je suis un grand fan de Supernatural, une série américaine née en 2005 pour s’étirer (hélas au sens propre du terme) sur 15 saisons et 327 épisodes. J’en ai déjà un peu parlé dans ma série d’articles sur les anges et les démons.
Pour vous planter le décor, nous suivons les aventures de Sam (Jared Padalecki) et Dean Winchester (Jensen Ackles), deux frères orphelins chasseurs de monstres (vampires, fantômes, loups-garous, démons), sillonnant les États-Unis dans leur mythique voiture Chevy Impala de 19672, à la recherche de la force maléfique qui tua leur mère alors qu’ils n’étaient que des enfants, et élevés dans la vengeance par leur père, John (Jeffrey Dean Morgan, que l’on retrouvera dans The Walking Dead dans le rôle de Negan). Ils vont, au fil des saisons, comprendre peu à peu la machination qui impliquait le rapt de leur mère par une entité infernale, alors qu’ils règlent les infestations de monstres à travers le pays ncomme dans d’autres univers le Witcher ou L’Agence tous risques (The A-Team), sur le principe : 1 épisode = 1 enquête = 1 monstre et 1 fil rouge sur toute la saison, constituant des arcs narratifs sur toute la série.
Pourtant, dès la saison 6 (oui, 6 sur 15 !), on commence à tourner en rond car les personnages, au premier chef desquels les deux héros Sam & Dean, n’apprennent pas des événements qu’ils vivent. Ils rejouent encore et encore les mêmes «dilemnes», qui deviennent au fil des saisons des erreurs insupportablement répétées, et finissent par apparaître comme irréalistes. Je peux vous en donner un aperçu plus bas, mais à vos risques & périls si vous n’avez pas regardé la série.

Attention divulgâchage
À la fin de la saison 3, alors que le Démon aux yeux jaunes est vaincu, le prix à payer est la mort de Sam, mais Dean décide de se sacrifier pour son frère et conclut un pacte avec le Diable : son âme en damnation éternelle pour sauver la vie de son frère.
Déjà, le marché est un peu déséquilibré : une éternité de tourments contre une vie humaine de durée limitée, sachant que Sam s’était sacrifié et que donc il avait de bonnes chances d’être plutôt dans les bonnes grâces du gars qui gère le paradis…
Mais d’accord, on va y croire pour cette fois.
Pourtant, au début de la saison 4, Dean est de retour, s’étant échappé de l’Enfer grâce à un Ange, Castiel.
Mais après une saison 5 en forme de lutte pour ou contre les Anges, les Démons et tout le reste, le final remet ça et arrêter l’Apocalypse revient à sacrifier Sam (à nouveau lui). Cette fois, Dean semble devenir plus sage et laisse le Destin se dérouler. Mais Sam revient (c’est son tour, il semble) des Enfers, sans son âme. Dans le final de la saison 7, Dean se sacrifie à nouveau pour son frère et reste coincé au Purgatoire…
Vous commencez à saisir le schéma récurrent ?
Parce que cette succession de «oh, mon frère est perdu, je me sacrifie pour lui» se reproduit jusqu’à la saison 13, qui est la dernière que j’ai eu le courage de regarder…
En résumé, les décisions des deux frères deviennent répétitives et cycliques, sans prendre en compte les conséquences des précédentes (c’est-à-dire de la même décision, en réalité).
J’ai alors «décroché».
J’ai lâché l’intérêt émotionnel que j’avais pour les deux héros, pourtant bien campés dans les premières saisons, avec un Sam réfléchi et un Dean impulsif, s’influençant l’un l’autre pour au final prendre l’un et l’autre un peu plus de complexité et d’épaisseur. Malgré les motivations compréhensibles, la répétition de la même erreur encore et encore a fini par me détacher de l’empathie que je pouvais éprouver pour eux.
Et quand cette empathie s’est totalement envolée (il a fallu encore quelques saisons pour cela), c’est la cohérence du monde qui en a été ébranlée, car ma «suspension d’incrédulité» s’est envolée. La suspension d’incrédulité, c’est le pacte (le mot est bien choisi) que le public conclut avec l’artiste et lui permet d’accepter quelques libertés avec la réalité pour mieux le suivre dans son univers. On parle ici de crédibilité. Crédibilité n’étant pas réalisme.
Je ne pouvais plus croire ce que les scénaristes me proposaient, car la cohérence des choix était impossible. Aucun des personnages ne parvenait à apprendre de ce qu’il avait vécu auparavant, comme si la mémoire de ces aventures leur faisait défaut.
Au lieu d’apprendre et d’évoluer, de changer, ce qui doit être le propre d’un être vivant, les frères Winchester stagnaient dans une boucle adolescente. Or, aucun être vivant ne reste figé dans son comportement. Aucun. Même les plus bornés d’entre les humains. Tous essaient de changer leurs façons de faire, même s’ils n’y parviennent pas toujours.
Un personnage de fiction doit évoluer, sinon, il n’est plus crédible.
Et une fois la crédibilité d’un univers de fiction détruite, il n’y a plus de retour en arrière.
J’ai donc abandonné les aventures de Sam & Dean… et j’ai ressenti beaucoup de déception car j’avais été très attaché aux personnages sur les premières saisons.

The Lincoln Lawyer, ou le syndrome du protagoniste incassable
La série judiciaire est un grand classique de la télévision, notamment de la télévision américaine.
The Lincoln Lawyer (La défense Lincoln en français sur Netflix) essaie de la moderniser un peu en mettant en scène un avocat latino (d’origine mexicaine), Mickey Haller (Manuel Garcia-Rulfo), dans le Los Angeles des années 2020, qui tente de se reconstruire après un syndrome de stress post-traumatique causé par une noyade.
Là, d’emblée, on a la fragilité.
Oui.
Mais pas longtemps.
Deux épisodes dans la saison 1 sont (un peu) influencés par cette fragilité, que le héros surmonte. Et c’est bien : il apprend et évolue.
«Tu devrais être content, là, non, Germain ?»
Oui, pour cette première saison.
Mais à la fin de la deuxième saison (je crois, je n’ai pas noté exactement l’épisode), Mickey se fait tirer dessus et est laissé pour mort. Nous le retrouvons l’épisode d’après réveillé à l’hôpital, et… il se remet direct, sans questionner son agression ni le danger auquel il vient de réchapper ! D’ailleurs, sa blessure guérit extraordinairement vite. Dans le reste des épisodes (et dans les épisodes passés, d’ailleurs, aussi, mais ça, on ne s’en rend compte que rétrospectivement), il n’est jamais mis à mal. Jamais réellement en danger, ni sur ses plaidoiries, ni sur ses enquêtes, ni sur sa vie privée. Il est incassable. Rien ne peut l’atteindre. Ou rien ne semble l’atteindre ou même le mettre un tant soit peu en difficulté.

Au fil des épisodes, on suit donc des aventures qui n’ont pas de réel enjeu, puisqu’on se rend compte que le héros principal ne vit pas dans l’adversité. Il nous paraît survoler les péripéties si aisément qu’on ne tremble plus une seule fois pour lui…
Et on se désintéresse de lui.
Donc de l’intrigue.
Donc de la série.
Il n’est pas nécessaire de faire souffrir inutilement nos personnages, l’excès inverse de l’acharnement étant aussi préjudiciable à une intrigue (comme pour Sansa Stark dans Game of Thrones), mais ils doivent faire face à un minimum syndical d’adversité pour que leur fragilité les rende crédibles, ou plus exactement attachants.
Sinon, il est impossible de s’identifier à eux. Et s’ils ne souffrent pas du tout, si rien ne leur arrive, ils vont même nous paraître ennuyeux, voire détestables. Car il n’existe pas d’être humain ou d’êtres vivants à qui il n’arrive rien de dramatique dans une vie. Et quel est donc l’intérêt de raconter l’histoire de quelqu’un à qui il n’arrive rien ? Comment le personnage peut-il surmonter des épreuves si ces dernières n’en sont pas vraiment ?
Point n’est besoin de sauver le monde à chaque page ou à chaque scène, car aller chercher son pain peut parfois être une aventure, et casser son talon dans une plaque d’égout peut être un véritable drame pour notre héroïne qui doit absolument trouver une baguette de pain avant que ses invités ne débarquent pour un dîner aux enjeux épiques pour sa carrière…
Ce à quoi je m’engage à veiller dans ma propre écriture
Si je veux éviter l’écueil de créer des personnages bancals, je dois être vigilant sur un point essentiel :
Les actes de mes personnages doivent avoir des conséquences réelles pour eux ou pour d’autres, voire pour le monde, ce qui veut dire que quelqu’un, quelque part, doit voir sa vie changée par ces actes.
Car il ne peut exister d’histoire que s’il se produit un changement pour des personnages, que ce soit pour l’héroïne ou pour d’autres protagonistes, voire l’antagoniste. Mais en fait pour chacun des personnages importants de cette histoire.
Il est donc vital de penser, au fil de l’écriture, le Destin de chacun d’entre eux.
Dans «Destin», il est sous-entendu le mot «destination», comme dans l’endroit où va le mener le petit bout de chemin de vie qui est transcrit dans le récit que je vais écrire, ce bout que j’ai décidé de raconter à d’autres parce qu’il m’a semblé intéressant. Après tout, c’est bien ça, le but. Raconter un bout qui m’a semblé intéressant, quelle qu’en soit la raison.
Ce «Destin» fait écho à une réflexion publiée récemment (lorsque j’écris cet article) par Lionel Davoust, sur le fait que, par contre, les personnages ne connaissent que leur présent. Si je creuse un peu cette idée, cela implique nécessairement que l’incertitude qu’ils ont sur leur destinée (ou destination dans le récit) doit venir de la tension entre leur volonté (voir plus haut) et leur fragilité. D’où les enjeux de l’histoire.
Et qu’est-ce qu’un bon enjeu ?
Un enjeu qui, remporté ou perdu, aura des conséquences sur le monde, donc sur les personnages eux-mêmes.
La boucle est bouclée.
Je dois assumer les conséquences narratives de mes actes (et surtout de ceux de mes personnages).
Bonus et discussion : les dieux des Consultations extraordinaires sont-ils vivants ?
À la lumière de tout cela, à quel point les personnages des dieux égyptiens de la première saison des Consultations extraordinaires de Belladone Mercier, psychologue des dieux, ma podfiction, sont-ils réussis et vivants ?
La question peut se poser car, dans le dernier épisode, l’Antagoniste la soulève. Des dieux peuvent-ils être réellement vivants, ou sont-ils par essence immobiles, figés ?
Si j’ai réussi mon coup, la réponse doit être évidente sous l’angle qui nous occupe dans cet article : ils doivent apparaître à l’auditoire comme incontestablement vivants, c’est-à-dire avec des valeurs, des désirs, des fragilités, et une capacité à changer. C’est d’ailleurs sur cette dernière que porte le débat dans l’épisode au titre évocateur : Bring Me To Life.
Examinons donc ensemble les trois premières qualités :
- Chaque divinité présentée est porteuse de certaines valeurs, et c’est même ce qui la caractérise. Le devoir pour Thot, la piété filiale pour Horus, l’amour pour sa mère Isis, la célébration de la vie pour Hathor, la vengeance pour Sekhmet, la responsabilité pour Osiris, le rôle dans la société pour Set. Quant à Anubis, c’est l’équité qui lui importe.
- Chacune est mue par un désir dans l’histoire qui est racontée par cette première saison, au-delà de la simple guérison de leurs traumatismes, qu’ils ont tous en commun. Thot veut rentrer chez lui, Horus reprendre sa place, Isis retrouver son époux, Hathor et Sekhmet veulent remplir leurs devoirs respectifs, Osiris et Set veulent savoir qui ils sont vraiment, et Anubis désire raconter cette histoire.
- Enfin, il est évident que toutes ces divinités ont une faiblesse, puisque chacune vient trouver Belladone Mercier et Adélaïde Chamberlain pour la dépasser et retrouver une sérénité perdue.
Le résultat ?
Vous pouvez l’écouter directement dans les épisodes
Dans mon objectif, les «humaniser». Ces dieux sont déjà anthropozoomorphes, mais les présenter comme des patients ne pouvait que conduire à leur conférer un caractère auquel nous pourrions nous identifier. Ainsi, ils paraissent plus proches, et on peut s’intéresser à ce qui leur arrive. On peut raconter leur histoire beaucoup mieux qu’en les laissant dans leurs mythes originels, et ce, même si nos ancêtres leur avaient conféré des expériences universellement humaines et des émotions (jalousie, colère, amour, etc.).
Ce sera encore plus vrai avec les dieux des mythes grecs et romains, dont les désirs sont intimement liés aux destinées des Mortels avec lesquels ils jouent souvent un jeu pervers.
Raison pour laquelle j’ai intitulé cette nouvelle saison Wicked Game.
Car si le format des épisodes est plus court (20 minutes maximum) et si leur nombre est plus grand (il y a plus de divinités à rencontrer), chacun aura également pour titre des chansons populaires, dont certaines seront francophones…
Tout cela est encore en cours d’écriture au moment où j’écris ces lignes, et c’est pour cela que j’avais besoin de me répéter ces conseils.
J’espère relever le défi des conséquences narratives, à mes yeux ainsi qu’aux vôtres, pour notre plus grand plaisir commun.
En attendant, vous pouvez déjà écouter ce qui a déjà été publié. Vous pouvez même rejoindre la tribu des Ptérophidiens & Ptérophidiennes qui sont inscrites à ma lettre d’écaille & de plume, où je chronique tous les trois mois mes progrès dans l’écriture de mes différents projets, et même décider de faire partie de mes Mécènes sur Patreon, où je poste des épreuves originales et les coulisses de la production.
Et dans tous les cas, rendez-vous bientôt pour la suite !
































