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Deux séries sur un thème : Take a walk on the light side (of Humanity)

Deux séries sur un thème : Take a walk on the light side (of Humanity)

Deux séries sur un thème : Take a walk on the light side (of Humanity)

Notre époque est troublée. Pessimiste. Peut-être pas plus que les autres époques en réalité. Il suffit de se projeter quelques décennies ou quelques siècles en arrière pour faire quelques comparaisons simples. Dans les années 90, le terrorisme islamique existait déjà (attentats dans le métro de Paris), dans les années 70 et 80, le terrorisme d’extrême gauche touchait la France, l’Italie, l’Allemagne, dans les années 50 et 60, l’OAS, l’IRA, l’ETA, l’OLP, faisaient sauter des bombes et assassinaient déjà. La Guerre froide, les Deux Guerres mondiales. Je pourrais remonter encore dans le temps, et nous trouverions encore d’autres violences.

Notre époque est troublée. Pessimiste. Surtout dans la représentation qu’elle se fait du monde. Surtout dans les séries, les films, les livres qui en sont l’expression.

On considère de nos jours que les « bons sentiments » sont trop naïfs, que le monde n’est pas « le monde des Bisounours », que tout est noir, ou au moins gris foncé. Et le succès de certaines œuvres en témoigne : Game of Thrones et ses complots, ses trahisons, sa violence et sa cruauté, la pléthore de films et séries de zombies ou post-apocalyptiques qui nous brossent le portrait d’une Humanité déchirée, perdue, au bord de l’extinction.

Notre vision du monde est-elle seulement celle-ci ?

Deux séries tentent de nous faire changer légèrement de paradigme. Et à mon avis, elles sont un contrepoint bienvenu à l’ambiance générale.

Sense8, ou l’amour qui vient de la compréhension

Si les Wachowski ont à leur actif la trilogie Matrix, ils ont aussi commis des choses beaucoup moins bonnes (Jupiter Ascending, par exemple), et depuis la saga de Neo, Trinity et Morpheus, c’est surtout Sense8 que je retiendrai. À des éons de Matrix, leur série fantastique bénéficie d’une véritable vision.

Dans des pays différents, sur les cinq continents, huit jeunes gens qui sont nés le même jour à la même heure, au même moment, se trouvent liés par un pouvoir extraordinaire : ils sont capables de partager leurs pensées, leurs émotions, leurs sentiments les uns avec les autres, comme une intelligence collective, tout en gardant chacun leur personnalité. Ils découvrent également qu’ils peuvent agir les uns pour les autres, à des milliers de kilomètres de distance. Ainsi, l’une, championne de boxe thaïe, peut guider les gestes d’un autre, simple chauffeur de bus en Afrique lorsque ce dernier se retrouve confronté à des malfrats qui veulent le tuer.

Mais ces pouvoirs sont jalousés par une mystérieuse organisation qui cherche à les retrouver tous et à les éliminer, en remontant le fil de leurs pensées grâce à un traître qui a déjà détruit plusieurs « cercles » précédents.

La première saison est déjà pour moi une très grande réussite, dont l’épisode spécial de Noël 2016 est le pont vers la deuxième, qui a mis du temps avant d’être mise en chantier, pour bientôt voir le jour. Des acteurs ont été remplacés (celui qui joue Capheus, le chauffeur de bus africain, par exemple), mais on espère que le casting retrouve cette homogénéité qui avait si bien fonctionné jusque là.

L’intrigue de l’organisation qui veut retrouver les héros n’est pas véritablement le cœur de la série. Au demeurant parfois un peu faible, cette intrigue n’est pas très originale dans son traitement non plus. Le chasseur, lui-même « hypersensitif », essaie plus ou moins de corrompre celui qui tombe entre ses mains, de lui soutirer des renseignements, de le tromper, pour le localiser et localiser les autres, entrer dans le cercle des pensées. C’est classique, et fait sans grande imagination.

Mais l’essentiel est vraiment ailleurs.

L’essentiel c’est l’exploration par les Wachowski de tous les aspects et de toutes les conséquences de cette communion d’esprit, de cœur et de corps qui lie des personnes aussi différentes qu’un malfrat allemand, une Indienne de la classe moyenne, un acteur star de télénovella mexicaine, un policier américain, une hacker activiste LGBT de San Francisco, ou encore une DJ islandaise accroc à différentes drogues.

Ces différentes personnes, hommes, femmes, transgenres, partagent leurs pensées les plus intimes, leurs désirs, leurs peurs, mais aussi et surtout leurs forces et leurs faiblesses. Ce faisant, ils parviennent à s’entre-aider, mais surtout à se comprendre parfaitement, dans une sorte de communion presque mystique.

Les scènes où les interrogations de l’un font échos aux conseils ou aux représentations personnelles de l’autre, où les doutes sont partagés, où les fardeaux sont endossés par plusieurs, où des vies sont sauvées par la coopération, des problèmes résolus par la collaboration, le tout sans aucune arrière-pensée sont le cœur de la série.

Les Wachowski réalisent là une fresque qui résonne comme un hymne à la fois à la différence entre toutes les cultures, toutes les opinions et toutes les identités de l’Humanité et à tout ce qui rassemble les êtres humains entre eux, à ce qui fait qu’ils peuvent se respecter, se comprendre, s’accorder, collaborer, et au final s’aimer malgré ou plutôt grâce à ces différences. Un hymne à la tolérance et à la conscience que notre espèce est riche de ses dissemblances, de sa diversité. Chacun des protagonistes du cercle a quelque chose à apprendre et à apporter. Même les faiblesses de chacun peuvent profiter aux autres.

Tout en utilisant le concept d’esprit de ruche, les Wachowski l’humanisent, car chaque personnage garde sa personnalité et aucun d’eux ne se fond dans le cercle formé par les autres. Comme si le cercle devenait plus fort que la simple somme de ses parties. C’est là une notion assez novatrice, car souvent la SF ou la Fantasy abordent la communion de pensée et l’intelligence communautaire sous le spectre de la soumission, de la dilution, de la disparition de l’individualité. Or c’est tout le contraire qui se concrétise dans Sense8.

Je ne peux pas m’empêcher d’y voir une allusion ou une illustration plutôt, des principes collaboratifs qui se développent dans nos sociétés, depuis le monde du logiciel libre jusqu’aux fab labs. Cette idée que la puissance de la collaboration des êtres humains entre eux peut transcender les barrières que l’on aurait pensées comme absolues est parfaitement imagée par la distance qui sépare physiquement les protagonistes, alors même qu’ils peuvent vivre le même instant. Il est d’ailleurs assez étonnant qu’aucune de ces scènes (souvent des scènes de combat) ne nous ait pas encore vraiment montré que les protagonistes sont capables de vivre plusieurs choses à la fois. Car, et c’est assez intéressant, les personnages sont souvent occupés à leurs propres affaires lorsque l’un de leurs « frères & sœurs » a besoin d’eux. Ils « basculent » alors vers la conscience de l’autre, tout en continuant à agir pour eux-mêmes. Si j’ose, ils sont « multitâches », une qualité que notre cerveau a hélas le plus grand mal à acquérir.

Les nombreuses scènes de partage de conscience pendant les actes charnels sont sans doute intéressantes de ce point de vue, même si à mon goût elles sont trop appuyées, car trop nombreuses. Elles construisent des tableaux très esthétiques visuellement et très forts émotionnellement, mais se reproduisent trop souvent pour ne pas apparaître comme des orgies. C’est là une des faiblesses de la première saison.

This is Us, ou la famille comme allégorie de l’Humanité

Il y avait les bonnes vieilles comédies familiales à l’ancienne, celles qui d’Arnold & Willy à Madame est servie, de Huit à la maison à La vie à cinq, nous montraient sous le prisme de la famille les problèmes que notre société engendre et ceux qu’elle a du mal à régler. Il y avait même eu Mariés, deux enfants, cette série caustique qui mettait en scène une parodie de tous ces soaps en prenant le contrepied avec des personnages stupides, radins, libidineux, cruels et irresponsables les uns envers les autres.

Dans toutes ces séries, c’est bien moins la famille elle-même qui est au centre de l’intrigue, qu’une succession de thèmes plus ou moins drôles, plus ou moins graves, plus ou moins moraux. Chaque personnage y était l’occasion de développer des valeurs représentant l’idée de famille à l’américaine.

Et il y a This is Us, dont le pitch de départ est volontairement flou, car le premier épisode est un bijou conditionnant tout le reste de la série, et il est donc impensable de trop le déflorer.

L’histoire entrecroisée de cinq personnages nés le même jour (comme dans Sense8) à travers leurs relations, leurs choix, leur cheminement, leur destin.

Sans trop en dire, on peut tout de même expliquer que la série met en scène le concept de famille de façon magistrale. Tout d’abord avec le montage des scènes, temporellement non linéaire. Les moments se répondent à différentes époques de la vie des personnages, font écho d’une vie à l’autre, et créent une unité (nous vivons tous la même chose) et une diversité (nous y réagissons tous d’une façon différente) en même temps.

Ensuite, c’est une des rares séries familiales de ma connaissance à s’intéresser plus aux relations entre les personnages qu’aux thèmes de société qui les impactent. Les problématiques ne sont pas la drogue, le petit ami, le secret que l’on ne doit pas dévoiler ou que l’on devrait dévoiler, mais bien des problématiques plus universelles : la maladie, la mort, l’adoption, l’identité, l’amour que les membres d’une famille peuvent se porter, leurs rivalités, les incompréhensions. Bref, on entre dans une série américaine, mais dont la pertinence est de ne pas faire l’apologie de la famille américaine. C’est assez rare pour être souligné, et encouragé.

Enfin, la pudeur de This is Us est aussi quelque chose de très rare. Des scènes tout en retenue, des acteurs justes, des dialogues sincères. Sans sensiblerie, sans être puérile ou niaise, This is Us nous entraîne très facilement dans une vie où tout, n’est pas rose, mais où rien n’est non plus tout noir.

En prenant des protagonistes très différents unis par un lien fort n’ayant pas vraiment à voir avec celui du sang, la série fait vivre épisode après épisode l’idée que nous sommes tous embarqués dans une aventure commune qui s’appelle la vie. Cette vie nous offre, à nous tous, plus ou moins de cadeaux, et nous impose, à nous tous, plus ou moins d’épreuves. Et face à tout cela, chacun de nous affronte la réalité avec ses propres armes, ses forces et ses faiblesses, mais surtout avec ce que d’autres avant nous sont parvenus à nous transmettre. L’idée de transmission, d’héritage, est au centre de l’intrigue. Ce peut être un héritage positif, mais aussi un héritage négatif (le poids de Kate, par exemple).

Au fond, c’est plus l’idée d’une famille à l’échelle de l’Humanité qui est déroulée au fil des épisodes, qu’une simple famille américaine, fut-elle de cœur.

Cette idée que génération après génération, l’amour que nous pouvons nous témoigner perdure, s’ancre, se déploie dans la vie des autres.

Pas d’ombre sans lumière

C’est un peu ce que je serais tenté de conclure. Je suis surpris, souvent, par le manque de vision à long terme, d’idéal, de mes contemporains. Sans doute avons-nous trop entendu de fables qui ne se sont jamais réalisées, ou qui ont servi de prétexte à des asservissements. Les idéaux politiques, religieux, ont tous failli à leurs prétentions. Et notre Humanité se trouve bien seule sans utopie à laquelle se raccrocher.

Mais c’est je crois ce qui la fera grandir. Trouver un équilibre entre l’ombre et la lumière qu’elle a en elle. Nous sommes capables du pire, mais aussi du meilleur. Et vouloir occulter ce meilleur sous prétexte de ne pas être naïf ne fait que nous plonger dans une autre naïveté.

Alors, osons être tolérants sans être laxistes, osons être aimants et bienveillants sans tout gober.

Osons l’équilibre. Entre l’écaille & la plume, par exemple.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Super-héros en séries, au pays des masques, l’aveugle est roi

Super-héros en séries, au pays des masques, l’aveugle est roi

Super-héros en séries, au pays des masques, l’aveugle est roi

On a peine à l’imaginer aujourd’hui, mais il fut un temps où les superhéros faisaient office de thème ringard pour adolescents boutonneux, et les seuls producteurs de cinéma ou de télévision qui osaient parier dessus dirigeaient des studios pour enfants. Il fallut attendre le très réussi et mémorable Spider-Man de Sam Raimi pour lancer la mode maintenant déferlante des hommes (et des femmes) en collants et en masques avec des super-pouvoirs et des super-responsabilités, même si la série des Batman dans les années 1990, avait déjà entamé le travail de fond qui avait habitué le public.

Le cinéma s’en est emparé le premier, mais dernièrement, le succès des séries télévisées a poussé Marvel comme DC Comics à produire des shows mettant en scène les héros de leurs deux univers distincts, avec plus ou moins de bonheur.

C’est à ces derniers avatars de nos redresseurs de torts que j’ai eu envie de consacrer une petite revue des troupes.

La logique de la série

Historiquement, bien sûr, les années 1950 et 1960 ont déjà vu des adaptations de ces héros de comics pour la télévision (on pense à Batman, au Frelon Vert). Puis plus grand-chose pendant quelques décennies.

Cependant, la déclinaison des aventures super-héroïques en série télévisée était déjà en gestation lorsque Marvel a commencé à produire des films qui croisaient et recroisaient les chemins empruntés par différents héros : Hulk, Iron Man, Thor, Captain America. Les aventures se mêlent et s’entremêlent sur plusieurs opus, s’échangeant les méchants, les artefacts de pouvoir, tissant une trame qui s’étend sur plusieurs années, plusieurs réalisateurs, plusieurs intrigues.

Il n’y avait qu’un pas à franchir pour traduire ce concept dans une forme plus naturelle encore : la série télévisée, qui par essence construit son cheminement sur la durée, croise et entrecroise ses arcs narratifs.

Et c’est DC Comics qui s’est lancée la première, avec deux héros emblématiques : Green Arrow d’un côté et The Flash de l’autre, pour pousser ensuite la logique jusqu’à des cross-overs entre les deux et même des séries spin-off : Constantine, puis Legends of Tomorrow.

Ne voulant pas être en reste, Marvel a contre-attaqué avec Agents of Shield, puis Daredevil, et Luke Cage.

Les deux univers s’étendent donc sur deux médias : le grand et le petit écran, avec une répartition des rôles assez nette.

Au grand écran les héros majeurs (Batman, Superman, Wonder Woman chez DC, les Avengers de Marvel), les effets spéciaux impressionnants et coûteux, les batailles cosmiques.

Au petit écran les héros plus modestes, aux pouvoirs moins grandioses, aux préoccupations plus personnelles : Arrow, Flash, Constantine chez DC, Daredevil, Luke Cage et maintenant Jessica Jones puis bientôt Iron Fist chez Marvel.

Et pourtant, même si la stratégie semble la même, les deux univers ont fait des choix très différents sur le traitement de leurs héros.

Le superhéros comme adolescent attardé

Chez DC, on fait le pari de l’adaptation façon soap. Les héros, pour bardés de super-pouvoirs qu’ils soient, ont des préoccupations assez banales, parfois même triviales, qui parlent à un public assez jeune.

Arrow (ou Oliver Queen de son véritable nom), est un milliardaire playboy le jour et un justicier la nuit, un peu moins classe que Batman, mais jouant sur le même registre, finalement. Marqué par son exil forcé sur Lian Yu, une île déserte en Asie, où il a dû survivre par ses propres moyens, il est l’ombre et la lumière incarnées dans un seul et même être.

Cet avatar de l’Homme Chauve-Souris s’interroge comme son illustre modèle sur la justice et les moyens de la rendre, sur sa véritable place dans la société, sur son identité réelle : l’héritier ou le survivant ?

Hélas, le traitement apporté tout au long des quatre premières saisons de la série dévie vite en interrogations familiales bancales, en diverses coucheries ou histoires sentimentales croisées, que viennent un peu perturber des haines récurrentes et des super-vilains eux aussi englués dans des problématiques assez conventionnelles, dignes de méchants d’opérette.

De la même façon, The Flash (Barry Allen sous sa véritable identité), possède une vitesse surnaturelle après avoir été frappé par un éclair quantique lors d’un accident provoqué par un ennemi venu de son futur. La série débute par des problématiques assez bien vues sur le temps, sa relativité, la causalité des événements. On se prend au jeu, malgré là encore des protagonistes caricaturaux, des motivations taillées à la faux, des répliques (même en VO) dignes du café du commerce.

Mais au bout de deux saisons, on saisit que la production de la série veut garder son axe de narration intact, sans prendre en compte les changements ou l’évolution du personnage principal, qui loin d’apprendre de ses erreurs et loin de devenir plus sage, plus héroïque, reste enfermé sur sa boucle de névroses familiales à base de culpabilité et de toute-puissance mêlées, comme dans une boucle temporelle infinie.

À la fin de la deuxième saison, Barry n’a toujours pas compris qu’il était dangereux sinon irresponsable et irrespectueux de jouer avec le temps, et tente encore une fois de changer le passé, sachant pertinemment qu’il effacera du même coup non seulement sa propre réalité, mais aussi et surtout celle de ses amis et de sa famille, pas forcément pour le meilleur d’ailleurs…

Et si encore la motivation était la plus noble (sacrifice, sauver le monde, empêcher un méchant de le détruire), on aurait pu comprendre. Mais non, il s’agit uniquement de sa propre envie, d’un besoin égoïste.

On repassera pour le côté héroïque.

Et on décroche. Le personnage perd en crédibilité, la série en intérêt.

Il est assez symptomatique de constater que chez DC, le seul héros qui évoluait durant le cours de la série qui lui était consacrée était John Constantine, dont je vous ai déjà parlé ici. Mais le show a été annulé à la fin de la première saison, au prétexte de son coût élevé.

Je le regrette profondément.

Le superhéros comme modèle de dépassement de soi

Au contraire, le choix de Marvel me semble plus adulte, plus mature artistiquement, et pour tout dire plus en adéquation avec l’idée que je me fais du superhéros : celle d’un héros, tout bonnement. C’est-à-dire d’un humain qui évolue, apprend de ses erreurs, se dépasse pour finalement atteindre une compréhension de lui-même et de son monde qui en fait un modèle pour nous qui ne possédons pas toutes ses facultés surnaturelles.

Le dernier exemple en date est celui de Luke Cage.

Injustement accusé et emprisonné dans un pénitencier où il subit une expérience qui le rend fort et invulnérable, le héros choisit une nouvelle identité, et sous le nom de Luke Cage cherche une nouvelle vie sans histoire dans le Harlem noir. Mais comme tous les héros, il est rattrapé par l’injustice qu’il voit autour de lui, et il ne peut rester indifférent.

On s’attaque ici à la corruption, à la façon dont certains méchants ont détourné de bonnes causes en causes égoïstes, à la fidélité envers des serments, des promesses. À des codes de conduite.

Mais c’est Daredevil qui selon moi incarne le mieux la réussite de l’adaptation du superhéros à la télévision.

Matthew Murdock est aveugle depuis son enfance, lorsque percuté par un camion, il perd la vue définitivement, mais gagne une syncinésie parfaite de ses autres sens, qui compensent largement sa cécité et lui offrent une perception plus large, plus précise, plus grande encore que le commun des mortels.

Marqué par l’obsession de la justice, il devient avocat le jour, défendant les opprimés dans un cabinet modeste (pour en pas dire miteux), avec son ami et associé, et, en digne fils de son boxeur de père, il devient justicier la nuit, dans un quartier de New York, Hell’s Kitchen, dans lequel il a grandi.

On peut trouver des points communs avec Luke Cage, et c’est normal, les deux héros manquent même de se croiser, certain personnage côtoyant d’ailleurs les deux successivement.

Mais aussi avec Arrow. L’obsession de la justice est le plus marquant de ces traits communs, et pourtant, on fait vraiment la différence entre les deux séries, tant leur traitement est aux antipodes.

Daredevil pose des choix moraux mieux amenés, moins caricaturaux. Le héros doute avant de devenir justicier. Il se tient à un code de conduite qui, s’il n’est pas à proprement parler légal, respecte les fondements de la société et la vie humaine. Il ne se débat pas avec de pseudo remords, il lutte pour ses valeurs. Ses forces sont aussi ses faiblesses, et son passé lui joue des tours. Mais au final, et de façon crédible, sans surjouer, il finit par grandir, par apprendre, devenir plus sage, même s’il perd aussi quelque chose dans ce processus.

C’est ce qui me semble le point central différenciant les deux types de héros, ceux du soap, et ceux du drama : la perte est réelle dans le dernier cas, elle est fausse dans le premier.

Exemple tout bête : la mort d’un personnage important (un héros ou un allié très proche).

Dans Arrow, le personnage est ressuscité trois épisodes plus tard (deux personnages passent par ce processus en deux saisons).

Dans Daradevil, le personnage est mort. Point.

L’enjeu n’est pas le même, les conséquences de chaque acte n’ont pas la même portée.

D’un côté nous sommes dans un monde sans conséquence, un monde d’enfants, d’adolescents, un monde virtuel, où les choix n’ont pas vraiment d’importance parce qu’ils n’ont pas de conséquence définitive.

De l’autre, nous sommes dans une réalité crédible, un véritable conte, une fable même, où les choix moraux ont de véritables conséquences et où le héros devient adulte justement en prenant conscience de ces conséquences.

Esthétiques et choix artistiques : de la chaîne à la volonté de bien faire

On peut opposer aussi deux manières de faire, et décliner deux types de séries de superhéros, à la manière dont elles sont réalisées, tournées, peaufinées, sur le plan de la qualité des images et du soin apporté à leur conception.

D’un côté, les séries de DC Comics, à part Constantine qui se démarquait déjà, mais aussi la série Agents of Shield de Marvel, sont des productions classiques de la télévision américaine, formatées, tournées rapidement et sans véritable ambition d’originalité artistique. Les dialogues sont simplistes, le jeu peu élaboré, les plans de caméra sont sans surprise, les décors assez cheap, pour ne pas dire en carton-pâte, voire baroques. Les effets numériques sont trop visibles, les scènes d’action sont trop chorégraphies, il n’y a ni sang, ni véritable tension ou enjeu dramatique.

On se rapproche de la philosophie du soap, qui met l’emphase sur le questionnement familial, les valeurs de l’Amérique profonde, un conformisme commercial et grand public. On exalte la prouesse sans vraiment insister sur le déchirement qu’elle implique, ou alors on appuie sur des dilemmes convenus : le conflit de loyauté, la nécessité ou la légitimité du mensonge, de la dissimulation. Des préoccupations très nord-américaines.

Ces séries ont 23 épisodes par saison, signe de leur rapidité à tourner, et du peu de soin pris à penser chacun.

De l’autre côté, dans Daredevil, Luke Cage ou dans une moindre mesure Constantine, on prend plus de soin à poser des décors, une ambiance, des plans de caméra étudiés et moins convenus, on sent un plus grand travail sur les dialogues (bon, ce n’est pas du Shakespeare, non plus, hein), et surtout sur les chorégraphies des scènes d’action, beaucoup plus crédibles. Le sang coule, les mâchoires sont fracassées. Matt Murdock a beau être un excellent combattant à qui rien ne résiste, il prend des coups et se voit salement amoché plusieurs fois dans les deux saisons déjà tournées. Il ne récupère pas de ses blessures en deux jours, et son état physique reste crédible, même si la méditation lui permet de passer outre ses douleurs et ses traumatismes. De même avec les blessures infligées à Luke Cage par sa némésis, qui font l’objet d’un épisode à part entière.

On se rapproche d’une ambition cinématographique ou de séries de haut niveau, comme les Game of Thrones, House of cards ou même certains épisodes de Desperate Housewives, série qui en son temps avait quand même changé l’image de la série américaine.

Ces séries se contentent de 10 épisodes seulement par saison, mais chacun est un opus pensé pour lui-même en plus d’être une pierre sur un chemin plus grand, celui de l’arc narratif de la saison elle-même.

On y travaille les images, le générique y compris.

Et surtout, les questions morales posées aux héros ne sont pas uniquement tournées vers eux-mêmes, mais embrassent des valeurs plus abstraites. La justice et la responsabilité de la rendre, défendre les opprimés au mépris de la loi, utiliser la violence comme moyen de redresser les torts. Les enjeux sont plus élevés. Les interrogations plus adultes.

Et les héros évoluent.

Conclusion : le bon héros n’est pas celui à qui tout réussit

Nos héros nous structurent non pas parce qu’ils réussissent là où nous échouons, mais bien parce qu’ils réussissent malgré une opposition forte et en prenant des décisions morales. Leur réussite déjoue les pronostics, et survient parce qu’ils ont été inventifs, ou loyaux, ou justes. Parce qu’ils ont su s’élever au-dessus de leur propre condition.

J’ai donc fait le tri dans les séries que je suis actuellement. J’ai arrêté de perdre du temps avec des personnages qui n’apprennent pas, et je me suis tourné vers ceux qui peuvent encore prétendre au titre de héros.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Now you (almost) see me, ou les espoirs déçus de deux films de magiciens

Now you (almost) see me, ou les espoirs déçus de deux films de magiciens

Now you (almost) see me, ou les espoirs déçus de deux films de magiciens

Le cinéma est un art de l’illusion. Depuis les débuts, le septième art s’est attaché à montrer des choses qui n’existent pas, non pas à travers l’imaginaire actif du lecteur comme en littérature, ou d’après des conventions comme au théâtre. Des choses qui n’existent plus, pas encore, ou qui n’existeront jamais, prennent donc vie devant nos yeux avec une exigence toujours plus grande de réalisme. Les effets spéciaux, de Méliès à J.J. Abrams, sont devenus une part si essentielle de chaque film, que l’on pourrait presque les considérer comme la colonne vertébrale même de toute image réussie.

Je ne parle pas seulement des films fantastiques, ou de science-fiction, mais bien aussi des thrillers, des films policiers, et jusqu’aux drames intimistes, en passant par les comédies. Une goutte de sang, un décor, des costumes, tout cela est à mon sens une part des effets spéciaux.

Une perruque, un angle de caméra un peu calculé pour faire croire à un éloignement de deux acteurs, un traitement par ordinateur, et abracadabra ! la magie du cinéma opère.

Car le cinéma partage avec la magie, la prestidigitation, cet art consommé de tromper le spectateur, ses sens et sa raison, en jouant d’illusions parfaitement maîtrisées, de techniques éprouvées et plus ou moins secrètes, de mystifications auxquelles la victime est généralement consentante.

Avouons-le, nous sommes tous prêts à croire ce que nous allons voir au cinéma, même les choses les plus invraisemblables, pourvu que l’image soit convaincante et l’histoire bien menée et portée par la sincérité de la mise en scène comme du jeu d’acteur.

L’idée de pousser l’analogie plus loin était donc très séduisante lorsque sont sortis, en 2013 Now you see me (Insaisissables en français), et en 2016 Now you see me 2 (avec le titre français aussi original de Insaisissables 2), qui se proposaient de narrer le parcours de plusieurs magiciens d’exception réalisant que leurs vies étaient engagées dans une illusion titanesque impliquant une organisation mystérieuse appelée L’Œil.

Dans le premier opus, Daniel Atlas (Jesse Eisenberg), Merritt McKinney (Woody Harrelson), Henley Reeves (Isla Fisher) et Jack Wilder (Dave Franco), quatre magiciens aux talents divers, mais surdoués dans leur domaine de prédilection, sont contactés par l’Œil, qui leur donne les moyens de devenir les Quatre Cavaliers et de monter plusieurs spectacles incroyables à travers le monde, durant lesquels ils vont accomplir des exploits impossibles, mais également dérober des banques et conduire une vengeance. Seul un inspecteur du FBI, Dylan Rhodes (Mark Ruffalo), sera à même de comprendre leur modus operandi, aidé de Thaddeus Bradley (Morgan Freeman), un journaliste d’investigation spécialisé qui n’aime rien tant que dévoiler au public les secrets des charlatans que sont les magiciens. Car l’Œil est une légende dans le milieu des prestidigitateurs, celle de magiciens pratiquant la véritable magie, celle qui n’est pas qu’illusion, mais bien manipulation de la réalité elle-même. Et les spectacles des Quatre Cavaliers ne sont que les tests qu’ils doivent passer pour être jugés dignes d’approcher l’Œil.

Cast de Now You See Me

Dans le deuxième opus, les Quatre Cavaliers se reforment sous l’impulsion de leur mentor qui agissait dans l’ombre dans le premier film, et sont eux-mêmes victimes d’une machination à plusieurs niveaux, dont l’Œil est à la fois la cible, le spectateur amusé, et l’instigateur. Ils tombent dans un piège que leur tend un jeune et riche héritier (Daniel Radcliffe, décidément très bon dans les rôles de méchant) désirant se rendre maître d’une technologie permettant de pénétrer les systèmes de sécurité les mieux gardés. Mais le plan est lui-même à plusieurs niveaux, et l’Œil, qu’ils n’avaient pas encore rejoint à la fin du premier film, semble de plus en plus éthéré et mystérieux.

Car le thème principal de ces deux films est bien le rapport entre l’image et la réalité, le rapport entre ce qui est caché, qui doit le demeurer, qui veut le demeurer, qui le demeurera, et ce qui est révélé, qui doit être révélé même s’il ne le désire pas, qui ne sera jamais révélé, qui cherche à ne jamais l’être.

Le secret, son pouvoir comme sa difficulté, comme les sacrifices qu’il implique, et sa divulgation, ce qu’il faut accomplir pour l’atteindre.

À qui l’on peut divulguer, à qui l’on peut accorder l’occultation de son existence, de ses actes, à qui on doit la refuser. Qui mérite d’être mis dans le secret, qui n’aura jamais cet honneur. Qui mérite de rester caché, qui mérite au contraire d’être exposé à la vue de tous.

C’est le combat de Thaddeus dans le premier film. Exposer les escroqueries des magiciens. C’est la quête des Quatre Cavaliers et de leur mentor caché : découvrir l’Œil et s’en montrer digne.

Les deux films explorent en ce sens une préoccupation de notre temps : l’information et son pouvoir. De Snowden aux mouchards introduits dans les systèmes d’information par des états ou des organisations qui nous veulent plus ou moins de bien, notre début de XXIe siècle est en effet l’âge du secret et de ses implications.

Vivons cachés pour vivre heureux, comme le jeune héritier psychopathe, comme l’Œil lui-même. Et ceux qui sont exposés au regard des autres n’ont d’autre châtiment que d’être surveillés, et voir leur vie réduite.

Mais c’est un autre aspect qui rend ces films décevants.

Le Secret implique un enjeu. Ici, rejoindre l’Œil et sa quasi mystique (surtout dans le premier film).

On attend donc beaucoup de cet enjeu. Découvrir des traces, même fugaces, de cette organisation, de ses membres, de son passé, des légendes qui y sont attachées. Et si quelques indices sont semés çà ou là, ils font monter l’enjeu, bien naturellement. On attend de plus en plus quelque chose d’énorme.

On se prend à rêver, comme Daniel Atlas et ses compagnons.

On pense à un univers caché, ou la magie pourrait certes exister, avec un prix énorme, une emprise sur la réalité, des implications plus fantastiques. On songe à l’univers développé par le jeu de rôle Mage dans les années 1990, où les magiciens, les vrais, vivent parmi nous, tentant de trouver une transcendance à travers la pratique de leur art mythique, et confrontés au drame de la perte des croyances. Un monde comme le nôtre, où la masse des humains (nous, quoi) a embrassé la science et refuse l’existence de la magie, et par là-même rend toute magie impossible, ou du moins très dangereuse et délicate. La problématique de la confiance et de la foi en plus de celle du secret et de la vérité.

Affiche The Magicians pa Syfy

L’Œil aurait eu de la gueule, là.

Hélas, malgré une interprétation plutôt convaincante, mais des dialogues un peu trop caricaturaux, les deux films partagent une même tare : le manque de souffle, de puissance dramatique, et de vision. Le manque de crédibilité dans les enjeux. Et surtout, le fait de retomber comme des soufflés. Les deux twists de fin sont attendus, si attendus. Le premier réflexe est de se dire : tout ça pour ça ? Deux Everest qui accouchent de deux musaraignes…

L’Œil n’est ni plus ni moins qu’un club londonien de gentlemen cambrioleurs sans aucune véritable envergure. Le mentor caché est celui auquel on ne pense pas et donc celui auquel on pense tout de suite. Chacun des Cavaliers est prévisible.

On pourra me rétorquer que justement l’illusion va jusqu’au bout, que les légendes ne sont que des légendes et que l’Œil est très fort d’avoir fait croire qu’il possédait le véritable art de la magie.

On pourra.

Mais je persisterai à dire que c’est un peu facile et que la moindre des choses est de suivre les enjeux dramatiques que l’on a soi-même fait monter. Même si l’on introduit un twist qui bascule la totalité du film, ce genre de procédé s’utilise en ne dégonflant pas l’intrigue, mais au contraire en le dévoilant suivant un angle totalement inattendu et plus impressionnant.

Je continuerai donc à penser que c’est encore une occasion gâchée par Hollywood…

Et pourtant.

Pourtant, il y a matière à parler des magiciens et de leur vie cachée. Du secret et de la divulgation. De la foi et de la confiance, des dangers de croire à la magie. Des révélations.

Par exemple avec The Magicians, la série diffusée par Syfy l’année dernière.

Cast The Magicians partie 1
Cast The Magicians partie 2

D’après une série de livres, elle raconte le quotidien d’étudiants en magie qui seraient ceux de la saga Harry Potter version adulte : sexe, drogues, rock n’ roll et invocations. Je vous la recommande, comme je la recommanderai aux scénaristes de Now you see me 3, s’ils me lisent un jour.

Et tiens, pour vous mettre en appétit, en voici la bande-annonce.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Le Maître du Haut Château, les mots plus forts que l’image ?

Le Maître du Haut Château, les mots plus forts que l’image ?

Le Maître du Haut Château, les mots plus forts que l’image ?

Philip K. Dick est une de ces personnes dont nous connaissons tous au moins une œuvre, sans forcément connaître son auteur. S’il existe évidemment des gens qui n’ont jamais vu ni Blade Runner, ni Minority Report, ni Total Recall (celui avec Swarzy ou celui avec Collin Farrell), je fais le pari que tous ceux qui liront cet article (sauf peut-être mes parents) auront au moins vu l’un de ces films-là.

Ces adaptations cinématographiques ont toutes pour point commun d’avoir été au départ des fictions littéraires écrites par le même homme : Philip K. Dick.

Et si vous faites partie de ceux qui ont vu tous ces films, vous n’avez pas pu manquer leur indéniable thème commun : la réalité n’est jamais vraiment ce qu’elle paraît être. Un androïde qui fait des rêves, une police préventive qui incarcère les futurs criminels en se basant sur les prémonitions de mutants capables de voir les crimes avant qu’ils ne soient commis, ou un homme dont les rêves se révèlent être des souvenirs d’une vie effacée et dont la vie actuelle n’est faite que de faux souvenirs. Voilà à quoi ressemble une de ces histoires.

Brouiller les codes de la réalité pour en faire presque douter le lecteur, pour l’amener progressivement à adopter le point de vue décalé, dérangeant, profondément déstabilisant du monde fictif qu’il décrit, au point de se demander s’il est si fictif que cela, voilà le talent jusqu’ici inégalé de Philip K. Dick.

Et ce talent a explosé avec une œuvre fondatrice : The Man in the High Castle, roman de plus de 300 pages dont la nouvelle traduction en français est parue en 2012.

Le point de départ de l’univers du roman est une uchronie, un monde alternatif en tous points semblable au nôtre, mais dont le cours historique aurait divergé lors d’un moment charnière.

Dick imagine un monde où, à la suite de l’assassinat réussi de Roosevelt, les Américains n’ont jamais été préparés à la Seconde Guerre mondiale, entraînant la défaite des Alliés face aux puissances de l’Axe en 1948, et le partage du monde entre l’Allemagne Nazie et l’Empire du Soleil levant. Dans ce 1956 alternatif, les anciens États-Unis d’Amérique ont été scindés en trois. Les Japonais ont colonisé la côte ouest devenue les Pacific States of America, les nazis ont annexé la côte est comme partie du Reich, pour ne plus laisser qu’une zone neutre dans les Rocheuses aux vaincus. Dans ce monde, les fusées allemandes jouent le rôle des avions transcontinentaux du nôtre. La logique raciale des nazis a quasiment exterminé l’Afrique, sans parler du sort des juifs. Et l’autre moitié du monde vit sous la férule du Japon, pétri de philosophie zen et de sens du devoir. Dans ce monde, pourtant, un livre fait sensation. Le poids de la sauterelle raconte comment les Alliés ont gagné la guerre en 1945, et comment ce sont les Britanniques qui dominent le monde en 1956. Le livre est bien sûr interdit dans les territoires sous domination allemande, mais circule sous le manteau, jusque dans les Pacific States, où l’éminent M. Tagomi en prend connaissance, lui qui ne jure que par un autre livre, le Yi King. Les enseignements millénaires du Livre des mutations guident la conduite du responsable japonais à travers ses prédictions, comme il guide également d’autres personnages : Franck Frink, le métallurgiste juif, Robert Childan, le marchand d’antiquités américaines, et jusqu’au Maître du Haut Château, l’auteur mystérieux du poids de la sauterelle. Julianna Frink, l’ex-femme de Franck, se met alors en quête d’Hawthorne Abendsen, l’auteur du poids de la sauterelle, alors que le Chancelier du Reich héritier d’Hitler vient de mourir, ouvrant une guerre de succession entre les dignitaires nazis, et qu’un rendez-vous secret doit avoir lieu entre l’énigmatique M. Baynes, un espion allemand, et un haut responsable du gouvernement japonais, sous la protection involontaire de M. Tagomi.

The Man in the High Castle est l’un des rares écrits majeurs de Dick qui n’avait jusque là pas été porté à l’écran. Amazon a comblé cette lacune, en sortant en 2015 la première saison d’une série prometteuse basée sur l’univers et reprenant les personnages.

L’adaptation télévisuelle est intéressante à bien des égards.

D’abord parce qu’elle permet d’accéder à l’univers de façon différente, par le biais de la reconstitution d’époque (si l’on peut dire ça d’une uchronie). Ensuite parce qu’elle remet en perspective la lecture différente qu’on peut faire d’une même œuvre.

Car la série est une interprétation du livre.

Beaucoup de choses différencient les deux : les personnages n’ont pas les mêmes rôles, les mêmes relations, les mêmes ambitions, les mêmes caractères, par exemple. L’ambiance même de la série n’est pas celle du livre, le ton non plus. Et le Yi King comme Le poids de la sauterelle ne sont pas les mêmes dans les deux versions.

À partir d’ici, je vais sans doute dévoiler des choses que vous ne devriez pas connaître si vous voulez garder intact le plaisir de la découverte de l’une ou l’autre. Rebroussez chemin, donc, si vous êtes allergique aux spoilers.

Les personnages

Signe des temps ou vision différente des choses, les personnages de la série ne ressemblent pas vraiment à ceux du livre, même s’ils portent le même nom.

Julianna Frink est sans doute l’un de ceux qui changent le plus. Le roman présente une femme mentalement dérangée que ses sautes d’humeur rendent dangereuse, instable. Elle a quitté Franck, son mari, on ne sait trop pourquoi. Peut-être parce qu’elle ne l’aimait pas, parce qu’il n’était pas assez macho à son goût. Peut-être parce qu’il est juif. Peut-être ne le sait-elle pas elle-même. Elle flotte donc, sans véritable but, jusqu’à ce qu’elle lise Le poids de la sauterelle, qui lui donnera une véritable quête dans laquelle elle se perdra presque (ou se retrouvera presque, c’est selon) : celle de l’auteur, le Maître du haut Château. La Julianna de la série est beaucoup plus une femme de tête, active, moderne, avec des idéaux clairs. Elle est pétrie de culture japonaise, mais se rebelle contre la tutelle imposée par la Kempeitai, la police politique des Orientaux. C’est alors que sa sœur meurt dans ses bras, tuée par la Kempeitai pour avoir fait passer clandestinement une copie d’un film réalisé par le mystérieux Maître du Haut Château, qu’elle décide de remplir la mission à sa place, et se retrouve sur les traces des origines du film.

Elle rencontre toujours Joe Cinnadella, l’agent nazi infiltré pour trouver et éliminer l’auteur du poids de la sauterelle. Mais lui aussi est très différent dans les deux versions.

Dans le livre, c’est une sorte de bellâtre macho, brutal, presque violent, avec un trouble du comportement. Il a une mission et s’y tient, à moitié par idéologie, à moitié pour assouvir ses propres pulsions. Un sale type dont le destin est scellé par Julianna. La série le présente au contraire comme l’un des personnages principaux, avec un dilemme moral. Il est contraint de remplir sa mission. Contraint parce que le général S.S., John Smith, dont il prend ses ordres menace sa compagne et son enfant. Il doit donc infiltrer la Résistance et tuer le réalisateur des films, mais prend soin de ne pas exposer Juliana, comme s’il tentait de ne pas faire de zèle. Il recèle en lui une grande violence, également, mais il n’en apparaît pas psychopathe pour autant.

Ce rôle est dévolu à John Smith, qui mène une existence très american way of life, version nazie. C’est un personnage que l’on ne retrouve pas dans le roman. La série le magnifie en l’érigeant en méchant complexe. Sa vie, centrée autour du Parti, de la Famille et de tout ce qu’il doit accomplir pour protéger les deux, est une caricature de celle qui était présentée en modèle dans les années 60. Celle que les soaps américains ont tant popularisée.

Franck Frink trouve dans le livre sa raison de vivre en créant des bijoux de métal après avoir démissionné de son emploi dans une fabrique de répliques d’armes. Dans la série, il entre en Résistance, après que sa famille ait été gazée par la Kempeitai, presque par erreur, pour faire pression sur lui.

M. Tagomi est l’un des personnages qui changent le moins. Droit, loyal, juste, poli, humain, il est presque le véritable héros de la série, en essayant d’éviter une Guerre mondiale. Dans le livre, il est plus encore attaché au guide que constitue le Yi King. Il s’y réfère en permanence. Le fait qu’il croise Julianna dans la série apporte indéniablement un éclairage nouveau, qui éloigne plus encore le personnage féminin de son modèle dans le livre, et la rend plus humaine elle aussi.

Enfin, Robert Childan, dans la première saison, a un rôle plus secondaire encore que dans le livre. Il sert à montrer la soumission des Américains à la culture et à la façon de penser des Japonais.

Les sept principaux personnages de la saison 1 de The Man in the High Castle (de gauche à droite) : M. Tagomi, Julianna Frink, Franck Frink, Joe Cinnadella, John Smith, Ed McCarthy, l’inspecteur Kido.

Miroir déformé de notre réalité ou histoire d’espionnage fantastique ?

Vous ne serez pas obligés de faire votre choix, puisque chaque œuvre se concentre sur un aspect de l’histoire.

La puissance du livre est la façon dont l’écriture de Dick nous entraîne à l’intérieur d’un système de pensée. Chacun des personnages est imprégné d’une culture qui nous est étrangère en même temps qu’elle nous est familière. L’auteur décrit parfaitement l’Amérique des années 1950, mais les valeurs qui animent ses personnages sont des valeurs étrangères. Childan a si complètement intégré le mode de vie oriental qu’il pense toujours en termes de bienséance, de code, d’honneur. Perdre la face est impensable, devant des inférieurs surtout. Se courber, s’humilier, même, devant un supérieur (un japonais, forcément) est par contre non seulement envisageable, mais même obligatoire. Il est même enclin à renier sa propre culture, acceptant la supériorité du mode de pensée oriental.

De même, les ruminations de Julianna dans le roman, ou les déclarations de Joe Cinnadella, sont-elles façonnées par des esprits qui ont intégré les valeurs d’inégalité raciale comme allant de soi. Le mode de pensée nazie les a si totalement conquis qu’ils en ont du mal à imaginer la possibilité que décrit Le poids de la sauterelle.

Et en même temps, Le poids de la sauterelle fait sauter chez eux (ou pas, selon les personnages), les verrous qui enferment leurs certitudes. Et si les Alliés avaient vraiment gagné la guerre en 1945 ?

La force de Dick est de nous plonger dans ce miroir de nous-mêmes, de nous forcer à poser la question : et si les nazis avaient gagné ?

La description qu’il fait de notre monde dans ce renversement de valeurs est saisissante. Et elle tombe juste. Si juste.

Le roman atteint ainsi une qualité littéraire rare, celle de l’authenticité, de la résonance, deux qualités qui tiennent une place importante dans l’intrigue même.

Quant à la série, aux décors soignés, à la reconstitution réussie de l’époque, elle se concentre plus sur l’intrigue elle-même, et nous plonge plutôt dans l’ambiance d’un film d’espionnage. Le parallèle avec la Guerre Froide, présent dans le roman également, est ici marqué par l’affrontement en sous-main entre les deux puissances dominantes que sont le Japon et l’Allemagne à travers les personnages eux-mêmes. Le renversement des valeurs opère moins. Il existe une Résistance, ce qui n’est pas le cas dans le roman, et l’on s’identifie donc aux résistants, à ceux qui ont gardé leur façon de pensée, notre façon de pensée. Même John Smith, malgré tout, est présenté à la fin de la saison comme quelqu’un qui sera broyé par son intransigeance. On quitte la métaphore pure pour entrer dans le domaine de l’action. La tonalité en devient plus fantastique. Ce n’est plus un livre unique que l’on poursuit, mais bien une série de petits films sur pellicule, montrant des images d’archives authentiques d’un monde où les Alliés ont gagné la guerre. Chaque nouveau film peut être un ferment de révolte à lui tout seul.

La scène pivot du roman se retrouve dans la série, presque à l’identique, quand M. Tagomi se retrouve brièvement propulsé dans le San Francisco de notre réalité, mais le propos des deux médias en transforme la portée. Miroir déformant dans l’un, elle devient point de bascule vers une intrigue attendue dans la deuxième saison pour l’autre.

On pourrait presque se demander si dans la deuxième saison, les personnages ne vont pas être transportés dans notre réalité, pour y rencontrer le Maître du Haut Château à la manière dont Olivia Dunham se retrouve propulsée dans l’autre réalité pour rencontrer son double Folivia dans la série Fringe de J.J. Abrams. On l’attend, mais on serait presque déçus que ce soit le cas.

Une mise en abîme dans une mise en abîme ?

Dans les deux médias, cependant, la mise en abîme fonctionne parfaitement.

On lit un livre qui décrit un univers alternatif au nôtre dans lequel des personnages lisent un livre qui décrit un monde alternatif au leur, qui se trouve être très proche du nôtre…

On regarde une série (donc un film) qui décrit un univers alternatif au nôtre, dans lequel des personnages regardent des films (une série de films) qui décrivent un monde alternatif au leur, qui ressemble au nôtre…

La série n’est pas achevée, on ne sait donc pas quelle conclusion les scénaristes vont y apporter, mais dans le roman, c’est le Yi King lui-même, un livre de 5000 ans, qui a dicté chaque rebondissement, chaque détail, à son auteur, Abendsen. Et Dick lui-même a suivi cette méthode pour écrire le déroulement de son roman.

Le cercle se referme sur une impression à la fois d’harmonie totale et de vertige existentiel.

Existe-t-il une bibliothèque quelque part, recensant tous les livres qui ont été écrits et tous ceux qui seront écrits, et que les auteurs iraient consulter pour savoir ce qu’ils doivent, ou devront, écrire ?

C’est le talent ultime de Philip K. Dick : faire douter de la réalité sans avoir à être affligé, comme il le fût lui, d’une maladie mentale.

Changer notre point de vue sur le monde.

Pour aller plus loin : un fifthy dickien ?

L’œuvre de Philip K. Dick a donc marqué la culture imaginaire de façon radicale, au point que d’autres artistes s’y soient abreuvés, s’en soient inspirés, ou même l’aient copié ou imité.

Et ce mouvement continue d’exister.

C’est ainsi que Saint Épondyle, sur son blog Cosmo Orbüs, lançait il y a peu un concours d’écriture de fifty.

Un fifty est une histoire très courte en 50 mots, pas un de moins, pas un de plus.

Il s’agissait d’écrire un fifty à la manière de Philip K. Dick.

J’ai relevé le gant, et écrit ma propre histoire.

Pour ne pas enlever la primeur à Saint Épondyle, je vous invite à visiter son site, où vous lirez les textes envoyés, et découvrirez le vainqueur (l’Axe ou les Alliés ?).

Vous pourrez trouver mon texte ici même lorsque le concours sera achevé, simplement en cliquant sur la boîte ci-dessous.

The Woman in the High Tower

Elle se souvenait parfaitement de la chute du Mur. Elle y était. Journaliste à la Pravda, elle avait vu les drapeaux rouges sur la porte de Brandebourg. Elle avait couvert ensuite la démission de Bush, déliquescence du Capitalisme. Vertige. À l’écran, le drapeau. Non pas une étoile. Mais cinquante.

Les jurés m’ont placé en sixième place (bien mieux qu’en 666e), ce dont j’avoue être très fier. Car à la lecture des 23 autres textes, ce n’était pas gagné. Pour les lire, et découvrir le podium, rendez-vous à cette adresse.

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Les univers de superhéros sont parfois de vrais capharnaüms. On y trouve aussi bien des mutants (Les X-Men, ou Captain America chez Marvel, Flash chez DC) que des humains ayant développé des capacités extraordinaires à cause d’une histoire dramatique (Black Window chez Marvel, Green Arrow chez DC), ou encore des extraterrestres (Guardians of the Galaxy pour Marvel, Superman chez DC).

Assez singulièrement, le monde de l’occulte occupe une place un peu plus marginale dans les deux univers principaux des comics.
Le Docteur Strange dans celui de Marvel, dont Benedict Cumberbatch va bientôt être l’incarnation cinématographique.
Et John Constantine pour l’univers de DC Comics, qui vient de voir se terminer l’unique saison d’une série télévisée qui lui est dédiée.

Comme tous les superhéros, John Constantine possède un don fantastique, et une faiblesse fondamentale.

Gamin des rues venu de Liverpool, en Angleterre, il entre dans le monde de l’occulte très tôt, par attrait du danger. Il devient rapidement un maître dans les arcanes magiques, et se lance dans la pratique de l’exorcisme. Mais l’un d’entre eux tourne très mal, et l’âme de Constantine est vouée à la damnation éternelle à cause des actes perpétrés lors de cette séance catastrophique. Survivant néanmoins à l’épreuve, il tente de se racheter en combattant les forces du Mal venues des Enfers partout là où cela est nécessaire, n’hésitant pas à risquer sa vie comme celle de ses comparses Zed et Chas, ou de ses anciens associés. Damné mais Élu en même temps, il est plus ou moins guidé par un ange mystérieux, Manny, dont les motivations sont troubles. Ce petit groupe affronte ensemble une menace sourde nommée la Levée des Ténèbres, fomentée par une organisation secrète très ancienne, la Brujeria, à travers de nombreuses affaires sataniques faisant surface dans tout le territoire des États-Unis.

Zed est une médium très puissante, et Chas semble avoir plusieurs vies, mais ce sont surtout les immenses connaissances, l’audace suicidaire et le talent fabuleux teinté de désinvolture crâne de John Constantine qui leur permet de survivre et de contrecarrer les plans de la Brujeria.

Ce n’est pas la première fois que le magicien désinvolte et damné est porté à l’écran, si l’on se souvient de la tentative ratée du film des années 2000 avec Keanu Reeves dans le rôle-titre.

La direction prise par la série est cependant assez différente de son aîné.

L’univers, tout d’abord, est beaucoup moins centré sur une base judéo-chrétienne. Si dans le film l’Archange Gabriel et Lucifer étaient les références de chaque côté de l’affrontement, le champ est considérablement plus ouvert dans la série, avec des démons égyptiens ou assyriens, des exorcismes en langue vaudou, en sanskrit, en quechua, même. C’est d’ailleurs à la fois une qualité, et un défaut.

Élargir le champ de bataille pour l’ouvrir à d’autres traditions magiques permet de faire varier les points de vue, de donner plus de couleurs aux rituels magiques accomplis dans la série que les simples symboles judéo-chrétiens, rapidement évoqués dans les deux adaptations (la croix, l’eau bénite, les prières en latin, utilisées seules, pourraient sans doute paraître réductrices et répétitives). Cela donne aussi l’impression que le Mal est universel et que chaque tradition occulte dans le monde et au fil du temps a trouvé des parades originales et complémentaires pour lutter contre lui.

Mais le revers de la médaille est de perdre en cohérence, et de ne rester qu’à la surface des choses.

Les arts magiques occidentaux (et donc judéo-chrétiens) ne se limitent pas aux rituels de la Sainte Église Apostolique et Romaine et à un remake de l’Exorciste. On aurait pu plonger dans les traditions hermétiques alchimiques ou kabbalistiques juives comme chrétiennes, se servir de la diversité des récits bibliques plus encore, intégrer quelques idées venues de l’Apocalypse, voire approfondir les origines anglaises du personnage et le rattacher aux mages élisabéthains célèbres comme John Dee, ou à Aleister Crowley. Cela demandait peut-être de fouiller dans les arts occultes historiques et de faire quelques recherches pour rendre tout cela cohérent avec l’univers du comic book, mais au vu des recherches linguistiques pour faire entendre de véritables mots de vaudou, d’égyptien antique ou de sanskrit, cela ne me paraît pas un problème.

Le traitement est donc volontaire. On y retrouve la façon qu’ont les Américains de voir leurs cousins d’outre-Atlantique, et leur difficulté à penser l’histoire longue et complexe du Vieux Continent autrement que comme une sorte d’exotisme rafraîchissant.

Autre caractéristique de la série, un penchant pour la caricature très marqué, qui heureusement s’atténue quelque peu au fil des derniers épisodes.

Non seulement le personnage de John Constantine est-il taillé à la serpe dans les premiers épisodes, mais encore son évolution est-elle très lente. Sa culpabilité n’est que très légèrement effleurée à la fin de la saison, et son arrogance, sa désinvolture, sont beaucoup trop appuyées. Même pour quelqu’un qui apprécie les poncifs attachés aux personnages arrogants (de Han Solo à Cobra en passant par James Bond), la coupe est très rapidement emplie à ras bord. Le personnage en devient parfois agaçant, et l’identification s’en trouve amoindrie. On n’espère qu’une chose : qu’il en prenne plein la figure pour enfin perdre de sa superbe et redescendre sur terre.

Cela change il est vrai de l’interprétation monocorde de Keanu Reeves avec son talent inégalé pour ne faire apparaître sur son visage que le même masque dénué d’expression dans toutes les situations du film.

Le choix également d’escamoter le cancer du poumon et l’urgence que vivait le personnage dans le film sur la fin imminente de son existence et la confrontation inévitable avec son Destin, change considérablement la portée de sa damnation.

Les personnages secondaires de Zed et de Chas sont plus intéressants, mais la caricature n’est pas non plus absente. Zed est bien évidemment une plantureuse créature qui joue de séduction avec Constantine tout en traînant un passé lourd et complexe que la série n’a pas le temps d’explorer, tant son rythme est lent. Chas est le plus humain, finalement, bien qu’il n’apparaisse pendant toute la première moitié de la série que comme un faire-valoir étrange.

Même Papa Midnite, le sorcier vaudou, ni ennemi, ni allié de Constantine, est d’abord présenté comme un guignol, avant de prendre plus de profondeur ensuite.

Quant à Manny, son rôle ambigu aux côtés de Constantine et son rapport avec les Mortels ne sont qu’esquissés, et trop tardivement également.

La série a été interrompue après la fin de la première saison. Trop chère à produire (le nombre d’effets spéciaux par épisode est exponentiel), pour un succès probablement mitigé. Certainement que son mauvais positionnement sur le ton et l’ambiance, sur le rythme de l’intrigue générale, sur son propos, a joué un grand rôle dans cet échec.

C’est bien dommage, car au-delà de ces défauts, les derniers épisodes devenaient plus prometteurs, et la trame commençait à prendre une tournure moins manichéenne, avec le twist final.

Restent de très bonnes idées dans certains épisodes, comme dans le troisième, The Devil’s Vinyl, où un disque portant la voix du Diable devient l’enjeu.

Et malgré tout un certain attachement aux personnages et à l’univers.