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Premier Contact, le pouvoir des mots

par Avr 8, 2017Chimères Animées0 commentaires

Le thème du Premier Contact, cette rencontre entre l’espèce humaine et une espèce extra-terrestre, est un fantasme puissant dans l’imaginaire contemporain. Il a donné naissance à quantité de livres et de films plus ou moins réussis, plus ou moins orientés. La plupart ont montré surtout la difficulté de comprendre les intentions de nos éventuels visiteurs en les classant selon deux registres : l’affrontement brutal (Independance Day, Mars Attacks) ou le messianisme dérangeant (Le Jour où la Terre s’arrêta). Même s’il y a eu des tentatives de se situer entre ces deux extrêmes (la saga d’Ender d’Orson Scott Card, ou Babylon 5, ou encore Mass Effect, commencent par exemple avec un malentendu menant à une guerre terrible, puis se muent en une coopération, pour se terminer dans l’utopie), très peu ont essayé de regarder les choses sous un angle un peu différent. Moins nombreuses encore sont les œuvres qui y parviennent avec succès.

Premier Contact (Arrival en version originale) choisit avec élégance de s’attaquer à une facette étonnamment peu développée : celle de la compréhension par le langage d’une espèce non humaine extrêmement évoluée.

 

Un beau jour, au même moment, aux quatre coins du monde, douze vaisseaux étranges apparaissent dans le ciel. C’est l’effervescence. Louise Banks, brillante linguiste américaine, est recrutée par l’armée pour déchiffrer en collaboration avec Ian Donnelly, un physicien réputé, les intentions des voyageurs Aliens qui attendent au-dessus d’une plaine herbeuse d’Arizona. Sous la bienveillante, mais sévère férule du colonel Weber, responsable de l’opération, elle devra défendre son approche raisonnée face notamment aux services secrets ou à d’autres gouvernements.

Ses progrès décisifs vont changer à la fois sa vie, sa perception du monde, mais aussi la texture même de sa réalité, et le cours de l’Histoire humaine.

Au premier abord (attention jeu de mots inside), le film paraît un peu décousu, mais rapidement l’enchaînement étrange des scènes et la confusion qui s’en dégage laissent place à une sorte de poésie.

Et puis, fait inhabituel, les protagonistes principaux ne sont pas des combattants, et ne le deviennent pas non plus. S’ils se battent, ce n’est qu’avec leurs mots, leurs convictions, leurs conceptions du monde, de l’humanité, de notre humanité. Il n’est pas question ici de rayons laser, de destruction du monde. Seulement de l’étrangeté, de l’autre.

Enfin, le film est riche, car il se construit autour de trois idées fortes qui dérangent, passionnent, étonnent.

L’étrangeté devenue familière

Comme dans tout bon film de science-fiction traitant d’extra-terrestres, les êtres venus d’ailleurs sont d’abord entourés de mystère. D’abord physiquement, car on les voit assez tardivement, et lorsqu’on les aperçoit, ce n’est que pour en deviner des formes indistinctes entourées de brume blanchâtre derrière une paroi vitrée qui leur sert autant à se protéger des regards qu’à respirer leur propre mélange gazeux et à permettre aux humains de respirer le leur.

Peu à peu, ils dévoilent des appendices. La conception de leur forme a-t-elle été particulièrement étudiée par l’équipe de réalisation ?

Car ces appendices ressemblent à des tentacules, puis on découvre avec une pointe d’écœurement que ces tentacules s’ouvrent comme des fleurs malsaines. Cette forme est particulièrement utilisée pour représenter des monstres. Le dernier avatar de cette forme-là a été la bête de Stranger Things (dont je vous parlerai peut-être un jour, d’ailleurs) dont la gueule s’ouvre de la même façon.

Mais de façon surprenante, lorsque la fonction de l’appendice en question est dévoilée, il en devient presque banal. C’est en effet grâce à cet appendice que les Heptapodes, selon le nom que leur donne Ian, tracent dans l’air des formes circulaires complexes qui constituent leur langage écrit. Et la beauté des formes circulaires, comme des idéogrammes venus d’une autre planète (et le tracé en a sans doute été pensé de façon à ressembler aux calligraphies chinoises), fait reculer le sentiment d’écœurement.

Lorsqu’enfin, près de la conclusion du film, nous voyons un Heptapode en entier, sa forme fait penser à celle d’un arbre inversé, et on se le représente finalement de façon assez sympathique.

Ce mouvement qui va de la surprise dégoûtée à la surprise bienveillante a-t-il été pensé ? J’aimerais le croire.

Les mots qui formatent l’esprit

Le langage écrit des Heptapodes que déchiffre Louise est non linéaire : il exprime des concepts complexes en un seul signe combinant divers paramètres. Et au fur et à mesure que Louise l’apprend, elle commence à « rêver dans [leur] langue ».

Le film développe là une idée qui m’est chère depuis très longtemps et qui traverse tous mes univers d’écriture, qu’ils soient achevés (Poker d’Étoiles), en passe de l’être (Le Choix des Anges), encore en projet (Rocfou, Sur les genoux d’Isis), ou même d’anciens écrits inachevés (ma saga Tarot, mêlant univers arthurien et époque napoléonienne) : le fait que parler un langage influence la façon de penser, et peut donc façonner en partie la réalité.

C’est d’abord une très sérieuse théorie du langage, assez en vogue, le relativisme linguistique, qui explique que la manière de nommer conforme notre cerveau et donc notre façon de voir le monde. Vous pourrez vous y plonger à travers deux ou trois lectures, comme ici, , ou encore .

Poussée plus loin, cette idée est à la base de la croyance qui mena John Dee, l’occultiste élisabéthain, à construire un pseudo « alphabet angélique », et d’autres à penser que la langue primordiale de l’Humanité, celle parlée avant le mythique épisode de la Tour de Babel, était la langue de Dieu lui-même. On peut même tracer les racines de cette croyance dans la tradition kabbaliste hébraïque, qui donne une valeur mystique intrinsèque à chacune des vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu.

Les kabbalistes croient ainsi qu’en perçant le mystère des textes sacrés, ils pourront saisir le projet de Dieu et gagner une connaissance ineffable, divine.

Cette idée est si séduisante à mon esprit que chacun de mes univers la fait vivre un peu différemment, mais avec toujours la même base : il existe une langue mystérieuse dont les mots, non seulement désignent leur signifiant, le symbolisent, mais l’incarnent même. Ainsi, prononcer ou écrire le mot « feu » dans cette langue donne pouvoir de créer, façonner, éteindre, contrôler le feu lui-même.

Dans Premier Contact, la langue des Heptapodes a cette faculté d’être non linéaire et selon la même idée, la parler signifie voir tous les segments d’une phrase temporelle en une seule fois. Donc embrasser le Temps lui-même en une seule fois.

Et c’est en comprenant la langue des aliens que Louise gagne le pouvoir de s’affranchir des limites temporelles de sa perception humaine. Elle parvient à voir des événements de son futur, d’autres de son passé, d’autres encore de son présent, sans aucun ordre chronologique, mais avec toujours un ordre « dramatique » construit pour le film et son histoire, bien sûr, mais aussi pour souligner sa Destinée et celle de l’Humanité toute entière.

En ce sens, le langage des extra-terrestres en lui-même devient déjà un cadeau qu’ils font à l’Humanité : « parlez notre langue et vous serez capable de gagner en sagesse et en connaissance ».

Le Temps et le Destin

Mais s’affranchir du Temps et de son déroulement à sens unique (sa flèche, comme disent les astrophysiciens) n’est pas paradoxalement synonyme de s’affranchir du Destin. C’est en effet en voyant son futur que Louise comprend qu’elle doit accomplir certains actes afin de mener à bien son rôle d’intermédiaire entre les Heptapodes et l’Humanité.

Tout se passe comme si en se libérant de la flèche du Temps, elle s’enferrait plus encore dans la chaîne des causalités. Ironie et paradoxe, c’est en s’affranchissant du Temps que l’on devient esclave du Destin.

On me rétorquera, comme l’a fait quelqu’un qui m’est cher, que Louise, sachant ce que sera son futur (douloureux, mais aussi rempli de bonheurs), sachant ce qu’elle pourrait vivre et ce qu’elle devrait subir comme conséquences à tous ces bonheurs, choisit de tout de même accomplir l’acte qui va la mettre sur le chemin de son destin. Une phrase du film soutient cette interprétation, lorsqu’elle dit à Ian qu’elle est prête à vivre ce qu’elle doit vivre.

On peut donc penser que c’est un véritable choix qu’elle fait, et que d’autres chemins auraient pu s’ouvrir à elle, malgré les visions incessantes de son futur tout au long du film. Ce ne seraient que des visions d’un avenir possible parmi une infinité d’autres.

Une interprétation assez intéressante qui n’a pas de soutien dans le film, mais que l’on peut choisir de suivre.

C’est d’ailleurs un peu ce qui arrive à mon héros, Armand dans Le Choix des Anges : il peut voir se dessiner des lignes d’avenir différentes suivant les choix que décident de faire les personnages qui croisent sa route.

Vous comprenez maintenant pourquoi Premier Contact m’a vraiment parlé ?

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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