Grammaire narrative, comment s’inspirer du théâtre et du cinéma dans l’écriture

Grammaire narrative, comment s’inspirer du théâtre et du cinéma dans l’écriture

Si raconter une histoire est tout un art, il est plus juste de dire que c’est l’affaire de plusieurs.

Depuis la voix du conteur à la veillée au coin du feu, jusqu’aux choix d’actions laissés à un joueur dans un jeu vidéo, les êtres humains ont en effet créé une grande variété de moyens pour transmettre une fable à un public. Car toutes ces approches, aussi différentes soient-elles, comme le cinéma muet, la littérature et la chanson, partagent le même but : transmettre, faire ressentir une émotion. Et la faire vivre ou ressentir à un autre être humain (ou à un autre être vivant, pour ne pas oublier le Petit Peuple).

Toutes les disciplines artistiques ne visent pas forcément la narration, c’est-à-dire la relation d’une série d’événements qui adviennent à un ou plusieurs personnages, mais toutes peuvent être utilisées pour cela et plus encore, chacune peut enrichir la narration de ses propres spécificités.

Il semble évident que l’on ne peut pas raconter une même histoire, une même série d’événements, de la même façon dans un livre de quatre cents pages que dans un film de deux heures, une série télévisée de huit épisodes de quarante-cinq minutes chacun, ou dans une pièce de théâtre d’une heure quarante cinq minutes. D’une part car on ne dispose pas du même temps, mais surtout parce que les canaux de réception de cette histoire par le public seront bien différents. La vue et l’ouïe sollicitées par les trois dernières disciplines pourraient sembler plus riches que le seul déchiffrage des signes d’écriture de la première, même si nous avons tous expérimenté l’immersion totale dont est capable un texte écrit par sa puissance d’évocation.

Chaque discipline impose donc d’adapter son discours, sa façon de faire.

Au fil du temps, les êtres humains perfectionnent leurs techniques, et découvrent de nouvelles façons de parler aux autres, de transmettre leurs émotions et leurs expériences, d’une part en développant de nouvelles disciplines artistiques (la bande dessinée puis le jeu vidéo étant les deux derniers enfants de cette nombreuse progéniture) mais aussi en construisant des codes de communication à l’intérieur de chacune de ces disciplines qui, surprenants et déroutants pour le premier public qui les aura abordés, deviennent ensuite partie d’une culture narrative partagée. Les premiers spectateurs d’un flashback au cinéma ont sans doute perçu la technique comme un tour de force narratif. Peut-être y eut-il des spectateurs qui ne saisirent pas tout de suite ce que signifiait ce changement de temps brutal dans la narration. Mais peu à peu, les générations se succédant, cette technique est devenue partie intégrante des codes du cinéma, pour être maintenant l’un des outils de base de tout réalisateur.

Plus encore, et c’est le sujet dont j’aimerais que nous discutions dans cet article, je pense que chaque moyen d’expression, chaque discipline artistique, peut emprunter à d’autres leurs techniques, puis, en ayant soin de les adapter à son propre paradigme, en enrichir son propre lexique.

C’est ce qui s’est passé à la naissance du cinéma, lorsque les pionniers ont adapté les techniques théâtrales comme le célèbre fusil de Tchekov, ou pensé la voix off comme une façon d’aborder la narration à la première personne des romans noirs.

Je crois qu’à notre époque c’est la littérature qui emprunte à son tour aux autres disciplines.J’aimerais ainsi montrer comment, par un curieux effet de boomerang, mon écriture personnelle se retrouve influencée par les deux autres arts que j’ai pu approcher de près, à savoir le théâtre et surtout le cinéma.

Une grammaire narrative ?

Cette notion de grammaire narrative existe déjà, et je vous invite à aller jeter un œil sur cet article qui explique de façon très théorique (et un peu trop mathématique) ce que le terme recouvre habituellement. Comme vous pourrez le déduire, il s’agit ici de tenter de structurer la façon dont le récit s’enchaîne, la colonne vertébrale elle-même des actions et des événements, les causes et les conséquences. Dans cette acception, la grammaire narrative s’intéresse donc à une notion objective : elle se pose la question “que se passe-t-il ?”

Cependant je vais ici utiliser le terme de grammaire narrative dans un tout autre sens.

Je vais m’intéresser non pas à la façon dont l’histoire se déroule d’un point de vue objectif (c’est-à-dire quels sont les événements qui se sont réellement déroulés, comment et pourquoi, avec quelles implications à la fois physiques et psychologiques pour les personnages et le monde considéré) mais bien plus d’un point de vue subjectif : comment l’histoire est racontée, avec quels moyens, en choisissant sur quel événement appuyer, quel événement passer sous silence, quoi mettre en exergue et quelle couleur donner à une scène, voire par quel endroit commencer à raconter l’histoire.

Je vais me poser la question : “comment raconter ce qu’il s’est passé ?”

Car si un récit est l’enchaînement des événements et des actions qui se déroulent dans un cadre donné avec des personnages donnés, la narration est la façon dont ce récit sera raconté, transmis, à travers un discours artistique. De là l’idée que ce discours artistique peut être un véritable langage. Il devient évident que raconter une histoire à travers l’écrit équivaut à utiliser un langage particulier et la raconter à travers l’image animée du cinéma implique d’utiliser un autre langage. Comme si l’on utilisait le français dans un cas et l’anglais dans l’autre. Nous savons tous que si l’histoire est la même, dans les deux langues elle sera racontée différemment. Car chaque langue possède ses propres règles.

Comme pour une langue, maîtriser la narration par un art en particulier implique d’en connaître les règles de syntaxe (la façon correcte d’agencer les mots et les phrases, ici les procédés artistiques tels que l’ellipse, le flashback ou la caméra subjective par exemple) et de sémantique (le sens de chaque mot, ici le sens que peut revêtir un trans-trav au cinéma, par exemple). En un mot : la grammaire.

Théâtre et cinéma, correspondances et différences avec la littérature

Ce titre pourrait vous paraître curieux.

D’une part, il est évident que le théâtre partage avec la littérature des racines communes. Dans les temps anciens, les scènes écrites ont sans doute d’abord été contées, et peut-être mimées, avant d’être couchées sur des tablettes puis du parchemin. Les grandes sagas nordiques, les poèmes homériques, ont certainement été plus ou moins mises en scène durant leurs déclamations.

D’autre part, le théâtre et le cinéma se distinguent tant de la littérature par leur côté visuel prédominant, qu’il semble impossible de considérer qu’il y ait correspondance.

Mais si l’on regarde de plus près, ces trois arts partagent bien plus, et ce qui les sépare n’est pas ce que l’on aurait pu penser au premier abord.

Correspondances

La structure des histoires classiques en trois actes — le mot n’est pas anodin — que sont l’exposition, le développement et le dénouement, ou parfois en cinq, est héritée par la littérature depuis l’art théâtral. C’est que la conception même de la narration a été explorée au départ dans la dramaturgie. Plus tard, cette structure sera utilisée également dans le cinéma, depuis les origines jusqu’à Hollywood, depuis Ben Hur jusqu’aux Avengers.

Plus loin encore, dans chacune des trois approches, l’auteur ou l’autrice (metteur en scène, réalisatrice) choisit ce qu’il ou elle montre et ce qu’il ou elle cache. On détermine le cadre de l’histoire, et ce qu’il recouvrira. On détermine ce qui sera passé sous silence, ce qui sera expliqué et comment. On choisit les zones d’ombre également. On choisit même les ambiguïtés éventuelles. Comme les fins où finalement on peut renverser toute l’intrigue.

Dans les trois arts, on utilise les mêmes ingrédients de base : des personnages, des ressorts dramatiques, des décors, des enjeux, des univers.

Dans les trois arts, on joue avec les représentations mentales du public, avec ses préjugés.

Dans les trois arts, on détermine le point de vue d’où l’histoire sera racontée. Et on pourra en changer si le besoin s’en fait sentir. C’est une autre façon de raconter les mêmes événements, mais en variant leur interprétation.

Dans les trois arts, on utilise l’image et le son. On peut même utiliser l’odeur et le toucher, par l’évocation. Si cela est évident pour un texte qui va facilement vous faire penser à l’odeur de la lavande rien qu’en écrivant ces quelques mots, cela peut aussi se faire au théâtre ou au cinéma en montrant des brins ou des plants de lavande. On peut aussi évoquer la chaleur de la même manière.

Une narration réussie se servira de tous les sens du spectateur ou de la spectatrice pour évoquer les émotions adaptées à ce que l’on désire exprimer. Et cela est possible dans les trois façons de raconter l’histoire.

La puissance du regard : la différence

La véritable différence entre les trois approches me semble consister en la liberté laissée ou pas au public de co-construire la scène qu’on lui présente.

Je m’explique.

La littérature joue énormément, si ce n’est exclusivement, sur le mécanisme d’analogie, car le langage humain, qu’il soit oral ou écrit, repose sur la propriété fondamentale que les mots sont des symboles, non des axiomes. Ils représentent un concept qui sera compris par tous, mais qui sera compris différemment par tous. Pour mieux me faire comprendre, il suffit de vous demander de fermer les yeux (ou pas, ça peut aussi se faire les yeux ouverts), et de vous représenter un éléphant. Imaginez-le. La grande majorité d’entre nous aura à l’esprit l’image d’un éléphant d’Afrique, avec ses grandes oreilles, ses défenses imposantes, son air majestueux. Mais peut-être qu’une petite partie d’entre nous aura imaginé un éléphant d’Asie, avec des oreilles bien plus petites, des défenses de taille plus modeste, et quelques touches de poils drus sur un crâne plus bosselé. Le mot que j’ai écrit était le même pour tous. Éléphant. Pourtant, l’image mentale et l’ambiance qui colorait cette image, jusqu’à l’environnement même que votre esprit y aura rajouté (tropicale humide ou de savane sèche), auront été aussi différentes pour presque chacune et chacun d’entre nous. Ainsi, quand j’écris une scène, je sais que tous mes mots seront interprétés par mes lectrices et mes lecteurs différemment.

Je peux d’ailleurs en jouer. Car cette propriété fondamentale, si elle peut être un écueil quand il s’agit de faire passer une image très précise, peut devenir une grande force si on accompagne son pouvoir d’évocation. Il est alors très facile de provoquer l’émergence de sentiments, d’émotions, de sensations, en agençant les mots de façon correcte. Il faut pour cela accepter de laisser l’esprit du lecteur ou de la lectrice construire une partie de la scène. Lui permettre de s’approprier les mots et les concepts qu’ils recouvrent. Ainsi, chaque livre est un peu une création partagée entre celui ou celle qui l’écrit et celle ou celui qui le lit. À chaque personne qui ouvrira le livre correspondra une réalité différente du message du livre.

À l’opposé, le cinéma fixe et fige car il repose sur la relative universalité de deux sens physiques, la vue et l’ouïe. Je sais que l’on pourrait aussi discuter ce fait car scientifiquement, il semblerait que notre vision soit aussi une création intérieure permanente d’interprétation de la part de notre cerveau. Néanmoins, cette interprétation est basée non plus sur des symboles humains, mais sur des forces physiques : les longueurs d’onde des couleurs, les contours des ombres et des lumières reflétant ceux des objets, etc. Le mécanisme à l’œuvre ici est donc plus une réception d’un cadre défini, plutôt qu’une co-création.

Lorsque vous et moi regardons le film Excalibur, nous voyons tous et toutes les armures scintiller et briller comme si elles étaient passées au polish. Aucun et aucune d’entre nous ne les a imaginées ternes.

Le cinéma impose sa vision au spectateur. Il commence à lui imposer le cadre de l’image, les mouvements de caméra. Mais il lui impose surtout le contexte des couleurs, les décors, les accessoires et leurs formes, les sons. C’est même tout l’enjeu de cet art majeur que de susciter des émotions à travers des choix fixés.

Le mouvement de la narration dans une œuvre écrite et dans une œuvre filmée est donc totalement déterminé par cette opposition fondamentale. Liberté absolue de celle ou celui qui reçoit et perçoit l’œuvre dans un cas, liberté très surveillée dans l’autre.

Quant au théâtre, il se situe finalement à l’interface des deux.

Le théâtre fige, c’est vrai, car il fixe un cadre de décor et un choix d’accessoires, de costumes. Mais ces choix de mise en scène seront tout d’abord différents d’un metteur en scène à l’autre à partir d’un même texte. Et plus encore, comme il s’agit d’un spectacle vivant, par nature donc changeant à chaque représentation, ces choix peuvent également changer. Si l’on se place maintenant du point de vue du spectateur ou de la spectatrice, certaines choses restent encore du domaine du symbole : le hors-cadre, les effets spéciaux (largement plus rudimentaires qu’au cinéma), et aussi la qualité de l’interprétation par les comédiens. Car si dans le cinéma on peut reprendre une scène autant de fois qu’il le faut pour obtenir exactement l’effet recherché, c’est impossible par nature au théâtre. La performance de l’actrice ou de l’acteur va donc conditionner la précision du symbole et donc la réception par le spectateur ou la spectatrice.

Je soutiens donc que ce qui fait la véritable différence entre les trois arts, c’est la puissance contenue dans la volonté de l’auteur ou de l’autrice. Absolue au cinéma, elle s’édulcore nettement dans le théâtre où les interprètes seront les comédiens, véritables intermédiaires dans la restitution de l’œuvre, et finalement cette puissance est totalement partagée en littérature avec le lecteur ou la lectrice, qui seuls décident quoi faire des mots qu’ils déchiffrent.

L’écrivain est un metteur en scène ou un réalisateur

Il résulte de cette brève comparaison que les mécanismes mis en œuvre dans l’un des trois arts peuvent être exploités dans les deux autres, avec en tête l’adaptation nécessaire pour donner au public sa juste place. Il ne faut jamais oublier quel est le canal que l’on utilise, pour ne pas risquer le contresens ou le faux-sens.

Et il est même évident que le travail d’un écrivain se rapproche fondamentalement du metteur en scène comme du réalisateur, plus encore que du scénariste.

Le scénario est, au cinéma, le texte brut de l’histoire. Il se rapproche du texte brut de la pièce de théâtre.

Dans les deux cas, la forme de ces écrits est aride. Elle est succincte. Elle va à l’essentiel. Elle est constituée de deux paramètres très déséquilibrés dans leurs proportions. Essentiellement des dialogues. De façon très minoritaire des indications visant à expliciter le propos du dramaturge ou du scénariste, les didascalies.

Il n’y a pas de fioritures sur la couleur du ciel, le chant des oiseaux, ou même, ce qui pourrait pourtant paraître fondamental, l’état d’esprit des personnages durant le dialogue, les sous-entendus, la façon dont ils se regardent, dont ils marchent ou se font face.

Un scénario ou un texte de théâtre ne contiennent presque pas d’indication de mise en scène.

Voici plus bas deux exemples, qui vont vous montrer la nette différence qui existe entre un scénario et une œuvre littéraire.

Quelle est cette différence ?

La mise en scène.

L’écrivain aura non seulement écrit un scénario, mais il l’aura également habillé de tout ce qui aurait été l’art du réalisateur qui l’aurait porté à l’écran.

Ainsi, il aura pensé aux costumes de ses personnages, à leur passé, à leurs mouvements au cours de la scène, aux décors qu’ils traverseront, tout comme un metteur en scène de théâtre l’aurait fait.

Mais plus encore, il aura pensé à ce qu’il montre et comment il le montre, à ce qu’il cache. Parlera-t-il seulement du regard des personnages dans un face-à-face tendu, comme s’il avait fait un très gros plan dans un film ? Ou bien aura-t-il à cœur de montrer la totalité des attitudes corporelles, de décrire les gestes nerveux des protagonistes, comme s’il avait décidé de filmer en plan large ? Ou bien mélangera-t-il les deux approches ?

Plus encore, il va penser au mouvement de son point de vue, comme s’il braquait sa caméra, son œil, ses mots, vers une direction particulière.

Comme un réalisateur.

Il va penser aux effets spéciaux, aux couleurs et aux sons, aux autres sens. Au hors-champ.

Le travail d’un écrivain, c’est de créer le film que vous auriez vu si vous aviez été voir son histoire au cinéma. Mais avec le concours de votre propre caméra intérieure manœuvrée par la puissance de votre capacité de représentation mentale. L’avantage énorme est que le budget n’est plus limité du tout. Et que la puissance de chaque évocation est maximale car c’est votre esprit à vous qui sera en charge de chaque sensation. Et chaque sensation sera donc taillée sur mesure pour vous.

C’est ainsi qu’à mon avis, il est essentiel pour un écrivain ou une écrivaine de s’intéresser aux techniques narratives du cinéma et du théâtre. D’autant que d’autres nous ont précédés, et en ont déjà importé certains usages.

Structure narrative

L’un des apports les plus discrets mais les plus fondamentaux du cinéma dans ma façon d’appréhender la narration réside dans sa structuration. Parce que toute histoire est faite d’un enchaînement d’événements, d’actions et de réactions, on peut la représenter sous la forme d’une suite logique (dans le sens cause puis effet voire effets) depuis les prémices (ce qui est parfois caché au début de l’histoire) jusqu’à sa conclusion voire ses conséquences (qui sont aussi parfois non racontées), en passant par chaque étape d’un chemin. Cette suite logique est parfois la même dans le récit et dans sa narration, parfois la narration emprunte un chemin différent pour raconter le récit. Mais toutes les étapes de l’histoire sont bien les mêmes, et ce y compris dans les cas où la narration ne les montre pas toutes.

Cela posé, il est naturel d’en déduire que chaque histoire possède une structure. Et que chaque façon de raconter cette histoire aura également une structure.

La brique narrative fondamentale

On peut en effet se représenter chaque moment important de l’histoire sous la forme d’une brique, et ainsi comprendre l’histoire sous la forme d’un enchaînement de ces briques. Donc la narration comme un enchaînement propre à laisser le public reconstituer l’histoire selon un schéma parfois superposable, parfois très différent.

Ce concept a été poussé à son paroxysme par James Harris, dans son Tableau périodique de la narration.

En partant des tropes narratifs, ces archétypes populaires qui sous-tendent toutes les histoires, cette table permet de construire une base sur laquelle un récit peut se déployer. Elle joue sur l’analogie entre les tropes et les atomes dans l’univers. Comme en chimie, si vous agencez certains atomes les uns avec les autres, vous obtenez une molécule qui représentera votre histoire. Vous pourrez vous amuser, comme le fait James Harris lui-même, à reconstituer les molécules qui représentent des histoires très connues, comme Star Wars ou Ghostbusters.

Cependant, ces briques sont faites pour symboliser l’histoire.

Je vous propose d’utiliser le même principe pour décrire la narration, et donc la façon dont l’histoire est racontée, ce qui n’est pas toujours la même chose.

Traditionnellement, l’écriture fictionnelle prend comme brique narrative fondamentale la scène, qu’elle a empruntée au théâtre. Ainsi, une scène contient en elle-même un morceau de l’intrigue et l’enchaînement des scènes mène le public depuis le début du livre jusqu’à son terme, et d’habitude (dans un schéma temporel traditionnel) depuis le début de l’histoire jusqu’à son dénouement.

Si l’on reprend la molécule de Star Wars, elle décrit l’histoire du conflit de “la bande des cinq personnages” (Luke, Han, Chewbacca, les droïdes) contre l’Empire représenté par l’ancien Élu (Vador) devenu le Dragon (l’âme damnée) et qui se rebelle contre le Grand Méchant (You have failed me).

Cependant, les scènes du film commencent par la présentation de Vador lorsqu’il aborde le vaisseau de Leïa. Celle-ci envoie les droïdes chercher de l’aide auprès d’Obi-Wan, mais ils trouvent Luke à la place. Pour le reste du film, je fais confiance à votre mémoire.

Cette petite comparaison est là pour montrer que chaque scène introduit une étape dans la progression de l’intrigue.

C’est ainsi souvent que les écrivains structurent leurs trames. Scène après scène, ils font progresser leur récit.

Et c’est bien ainsi que je procède moi aussi lorsque je construis une intrigue, au départ, dans ce que j’appellerais la préproduction, pour me rapprocher encore un peu plus du vocabulaire de l’image. Pourtant, lorsque je rédige, je descends d’un cran dans le détail, et j’utilise une brique fondamentale plus petite, qui me vient là encore de la puissance du cinéma.

Le plan cinématographique comme brique narrative

Au cinéma, un plan est défini comme l’intervalle durant lequel l’image n’est pas interrompue par une coupe. Ainsi, dans une scène de dialogue classique filmée en champ (personnage 1 face à la caméra) et contrechamp (personnage 2 face à la caméra), chaque moment filmé en champ correspondra à un plan, qui sera séparé des plans en contrechamp par une coupe nette (un cut, dans le jargon). On aura ainsi un plan en champ, puis un plan en contrechamp, puis un plan en champ et ainsi de suite jusqu’à la fin de la scène.

Ce qui est une nécessité au cinéma (changer la caméra de place pour montrer un personnage de face alors qu’il est disposé de dos sinon) permet au réalisateur de découper sa scène (on dit une séquence) et de la travailler de façon indépendante.

Cela permet aussi de jouer avec les points de vue, comme avec le temps et le mouvement, comme nous allons le voir plus loin.

Je me suis surpris à utiliser ce même découpage dans beaucoup de scènes de mes romans, car je me rends compte que mon écriture est souvent construite d’après des images que je visualise moi-même.

Ce qui veut dire qu’une fois que je sais quel est l’enjeu de ma scène (de ma séquence écrite), je vais la découper en plus petites unités de temps, correspondant peu ou prou à une action importante d’un personnage, et je vais rédiger chaque plan ainsi créé. Puis, comme au cinéma, une fois mes plans “filmés” (enfin, rédigés), je vais passer par une phase de “montage”, où je vais agencer certains plans différemment pour construire une séquence parfois un peu différente de ce que je prévoyais au départ. Car souvent, il peut être intéressant de faire surgir des choses que l’on n’avait pas vraiment prévues ou dont on n’avait pas vraiment conscience.

Ce procédé m’est devenu si naturel que je me prends parfois à structurer d’emblée mes plans puis à les regrouper en scènes.

Voilà pourquoi, dans la structure de base de mes projets Scrivener, la brique narrative fondamentale est devenue le plan cinématographique, et non plus la scène.

Le temps dans la narration

La narration n’est ni plus ni moins que de devenir le maître du temps.

Car le fait de raconter une histoire n’est pas autre chose que de transmettre à quelqu’un l’enchaînement des événements qui se sont déroulés pour des personnages dans un contexte donné. Chaque action s’inscrit donc dans une succession temporelle de causes et d’effets. Et comme le narrateur seul sait ce qu’il s’est passé, il peut maîtriser totalement comment il relate ces événements.

Il peut donner plus d’importance à certains (et donc prendre beaucoup de temps pour les raconter, même si dans la réalité ces événements ont duré une fraction de seconde) et moins à d’autres (et résumé en une phrase des événements qui ont pris plusieurs années de la vie des personnages).

Le théâtre et le cinéma surtout gèrent le temps d’une façon très différente de la littérature, et pourtant, il y a des techniques qui semblent vraiment pouvoir être basculées de l’un à l’autre.

Les ellipses

Les ellipses sont aussi vieilles que le monde et tous les écrivains les utilisent.

Ce sont ces raccourcis temporels que nous faisons pour résumer en quelques mots ou quelques phrases des périodes entières, variant d’une minute à une vie entière, afin de concentrer le récit (l’attention de notre public) sur ce que nous pensons être plus important, en écartant délibérément des périodes que nous jugeons inintéressantes, ennuyeuses ou sans rapport avec l’intrigue principale.

Ainsi les propositions du style “le lendemain matin” ou “trois jours plus tard”, sont des ellipses.

Au théâtre, faire passer une période de temps en quelques instants est plus délicat. Les mots n’étant pas écrits, il faut jouer sur un changement de décors, de costumes, de maquillage.

Au cinéma, on peut à la fois utiliser les artifices de l’écrit (un texte déclamant sur fond noir “trois jours plus tard” était très utilisé dans les films muets), et ceux du son (avec une voix off, dont nous reparlerons plus tard). Mais ce que je trouve le plus intéressant est l’image. Les coupes et les transitions entre plans (les fondus enchaînés, fondus au noir ou au blanc par exemple) sont par définition de bonnes façons de créer une ellipse.

S’inspirer de la dissolution d’images dans d’autres peut ainsi être une façon créative de marquer le passage du temps dans un texte. Il faut certes le faire prudemment et délicatement. Il faut baliser cette transition pour nos lectrices et nos lecteurs, mais c’est faisable. Et je crois que cela peut amener une véritable ambiance, si bien entendu on n’en abuse pas.

J’aurais tendance à penser qu’une telle utilisation est possible seulement pour des ellipses temporelles couvrant des périodes de temps très importantes, comme des années.

On peut ainsi imaginer un effet du genre d’un gros plan sur le visage du personnage principal avec une description de ses traits, de ses yeux, puis glisser un changement de couleur de ses iris vieillissants, de ses cheveux ou des poils de sa barbe qui pourraient blanchir, puis la caméra pourrait à nouveau élargir son cadre pour détailler le même visage, mais ridé et fatigué.

L’effet serait à mon sens, si c’est bien réalisé, d’une poésie extrême.

Flashbacks et flashforwards

Le cinéma a popularisé le flashback, même si l’analepse était connue dans la littérature. Elle était pratiquée de façon plus discrète, sans être marquée ni vraiment posée comme telle. Lorsque l’on écrivait d’un personnage que “dans son enfance, il avait perdu son vélo rouge, celui qu’il aimait tant, au point de ne pas pouvoir s’arrêter de pleurer pendant des jours”, c’était déjà une analepse.

De même pour le contraire de l’analepse, la prolepse, ou flashforward en cinéma. Écrire que “des années plus tard, lorsqu’il se pencherait à nouveau sur le déroulé des événements, il en rirait bien volontiers”, c’est déjà projeter l’action dans le futur, et donc faire une prolepse.

La seule véritable différence réside dans l’utilisation assumée et marquée de ces sauts temporels dans le récit, au point d’en faire un plan, voire une scène entière. C’est, je crois, totalement faire sien le célèbre adage artistique “show, don’t tell” (ou “montre-le, ne le raconte pas”) qui est inhérent au langage cinématographique.

Là où en effet la littérature (par essence un médium qui s’interpose entre ce qu’il veut montrer et à qui il veut le montrer) et le théâtre (qui démontre plus par l’image, l’action, mais reste bloqué dans le moment présent du spectacle vivant, sans pouvoir jouer avec le temps au-delà de certaines conventions) ont tendance ou sont obligés de passer par le discours indirect pour développer des sauts temporels originaux, le cinéma possède à la fois la qualité essentielle d’être par nature démonstratif et les contraintes comme les moyens techniques d’enregistrement qui lui donnent une souplesse incroyable dans la maîtrise de la ligne chronologique.

C’est donc naturellement le cinéma qui a exploré ces dimensions de jeux chronologiques.

Pourtant, je pense que la littérature a presque plus de potentiel dans ce domaine que l’image, de par l’absence totale de contraintes physiques. Les possibilités sont infinies, si on adapte un peu les codes.

Il est par exemple nécessaire de définir une convention avec le lecteur ou la lectrice, lorsque l’on change d’époque dans le récit. Soit à l’intérieur de l’écriture elle-même, en prenant soin que les articulations logiques au sein même de la phrase ou du paragraphe soient nettes et claires, mais surtout reproductibles. Soit par la typographie, qui est une alliée trop souvent négligée. Mettre un passage en italique, ou changer de fonte, ou encadrer un paragraphe avec un glyphe symbolisant une époque, un personnage (comme le fait Damasio dans La Horde du Contrevent), une façon d’être, tout est possible.

La narration mélangée

On peut même aller plus loin. Et là encore, c’est le cinéma qui m’a poussé à y réfléchir et à oser.

Lorsque j’ai vu pour la première fois le chef-d’œuvre de Christopher Nolan, Memento, j’ai pris une énorme claque narrative. Si vous ne l’avez pas vu, courrez d’abord combler cette lacune en interrompant tout de suite votre lecture car je vais un peu spoiler dans les lignes qui suivent. Si vous l’avez déjà vu, souvenez-vous de ces deux lignes temporelles qui s’entrecroisent à rebours, l’une montée à l’envers, de la fin jusqu’au début, l’autre dans un sens chronologique antérograde pour expliquer la réalité de ce qui arrive à Léonard, depuis le diabète de sa femme, l’agression et son traumatisme, jusqu’à la véritable nature de ce qui lui est arrivé.

À ma connaissance, c’est le premier film à jouer ainsi avec le temps de la narration.

La littérature depuis longtemps entremêle les fils d’intrigues, les arcs et les points de vue, et je suis sûr que parmi les millions de livres que je n’ai pas lus, quelqu’un, quelque part, a déjà utilisé cet entrelacement de fils narratifs en littérature.

C’est pourtant le cinéma qui m’y a amené.

J’ai utilisé ce procédé dans Le Choix des Anges comme dans Fæe du Logis, à chaque fois avec un grand bonheur.

Le narrateur et le point de vue

L’une des premières questions à se poser quand on débute l’écriture d’un livre de fiction est de savoir quel point de vue l’on va adopter. Du côté de qui allons-nous placer la caméra, par les yeux de qui l’histoire va-t-elle être vue ? Et, corollaire : qui va la raconter ? Il se peut que les deux se confondent, que le narrateur soit la personne dont le point de vue aura été choisi. Il se peut aussi que les deux soient différents, et que la narratrice raconte l’histoire depuis le point de vue d’un personnage en particulier, qui n’est pas elle, ou depuis le point de vue de plusieurs personnages.

Ces deux choix sont communs à la littérature et au cinéma.

Deux techniques de changement de point de vue peuvent être transposées de l’un à l’autre.

La Voix Off

Originellement, la voix off est un procédé utilisé dans les films noirs, les polars désabusés des années 40 et 50, permettant de donner des informations inaccessibles autrement sur les états d’âme du protagoniste principal, sensé raconter lui-même ses (més) aventures. Il autorise les mêmes choses que la narration à la première personne du singulier en littérature. Le point de vue se confond avec le narrateur. On raconte l’histoire telle que le narrateur, qui en est l’un des protagonistes, l’a lui-même vécue. On a accès à ses réflexions, à ses doutes, à ses conjectures.

La voix off commente presque l’action, en un métatexte qui offre un niveau de lecture un peu plus élevé que l’action elle-même.

Cet artifice, très critiqué à une époque, semblait une maladroite façon de singer la narration à la première personne.

L’envie m’est venue de la faire traverser la frontière dans l’autre sens et de m’en servir de façon assumée dans l’écriture.

Quand le narrateur est omniscient, mais fait tout de même partie de l’intrigue, comme Armand dans Le Choix des Anges, la voix off peut parfaitement s’intégrer de temps à autre dans le fil du récit.

Plus encore, on pourrait estimer la souligner avec une certaine typographie, afin de suivre le métatexte comme une intrigue parallèle. On pourrait imaginer un dialogue, une discussion, une argumentation, entre deux protagonistes omniscients à propos de l’intrigue, par exemple deux divinités commentant les actions de leurs champions. Je visualise assez bien Poséidon et Athéna discutant des mérites respectifs d’Hector et Achille durant leur duel devant les murs de Troie.

La caméra subjective

Un cran plus loin dans le fameux “show, don’t tell”, la caméra subjective consiste au cinéma à voir l’action littéralement par le regard de l’un de ses effecteurs. L’objectif est placé à hauteur du regard, elle bouge souvent beaucoup, étant portée à l’épaule. On voit parfois même les bras et les jambes du protagoniste pour accentuer l’effet d’identification.

C’est une technique très puissante pour impliquer le spectateur. Il est en prise directe avec le sens principal du personnage, la vue.

Par définition impossible au théâtre, elle est par contre totalement transposable en littérature, mais il faut pour cela respecter, je crois, une règle absolue : il faut éliminer toute référence à une identité dans le texte, et ne livrer que les sensations brutes, dans des phrases nominales, si possible courtes. Car la caméra subjective est utile dans des scènes d’action, afin d’en accroître l’intensité. Pour cela, il me semble fondamental d’effacer tout ce qui pourrait faire écran entre les sensations ressenties par le personnage et la perception qu’en a la lectrice ou le lecteur.

Je pense que dans cette optique-là, il faut bombarder le public avec un feu nourri de sensations, d’images, de sons, d’odeurs, de goûts. Autant profiter de la puissance d’évocation des mots pour saturer le cerveau du lecteur. Ne jamais dire à qui sont les bras et les jambes va conduire le cerveau à les faire siennes. Ne pas dire qui reçoit les informations sensorielles va de même impliquer que c’est l’esprit de la lectrice qui va se les approprier.

Pour que cela réussisse, cependant, il vaut mieux avoir un petit bagage poétique, et maîtriser un peu les règles de prosodie.

La caméra : cadre et mouvement

Tout comme le point de vue est la question la plus importante à laquelle un écrivain doit répondre, le cadre est celle à laquelle est confronté le réalisateur, de façon à la fois plus complexe et plus aiguë, car l’image est forgée par les réponses qu’il y apportera, tandis que la nature symbolique de l’écrit tendra à pallier potentiellement un mauvais choix de l’écrivain par la puissance d’imagination du lecteur. Les réflexions du réalisateur peuvent donc grandement profiter à l’écrivain pour améliorer l’immersion dans le texte.

Où placer le cadre ?

Le cadre, c’est ce rectangle horizontal qui délimite ce que voit le spectateur. C’est un outil surpuissant, car il impose à ce dernier un point de focalisation de son attention. Et élimine de fait (hormis bien entendu techniques particulières) ce qui est hors de son champ, comme si cela n’existait pas.

Pour chaque plan, le réalisateur doit se demander ce qu’il va montrer en plaçant la caméra à un endroit particulier et en choisissant la puissance des lentilles afin de déterminer comment il le montre. Par exemple, utiliser une focale longue va permettre de s’éloigner du sujet sans le perdre dans un trop grand espace, mais utiliser une focale courte va obliger à se rapprocher de lui pour détailler ses expressions, rendant la scène très intime avec lui. Les deux choix impliquent une ambiance très différente dans la scène, et donc évoquent des émotions différentes aussi.

Il me semble nécessaire de faire le même travail quand on entame la rédaction d’une scène ou même d’un plan. Quelle va être notre focale ? Où vais-je placer la caméra ? Qu’est-ce que je vais montrer, qu’est-ce que je vais laisser dans l’ombre ?

Les valeurs de plans

Corollaire : à quel point vais-je détailler certaines parties et en laisser floues d’autres ?

Ainsi, vais-je faire un gros plan, ou un plan d’ensemble ?

Les valeurs de plans sont la dimension première du cadre.

Si vous ne les maîtrisez pas encore, vous trouverez ici de bons exemples.

Et comme un réalisateur ou une réalisatrice, vous saurez alors que vous pouvez choisir de changer de valeur entre deux plans, de manière à donner plus ou moins de détails, à corriger l’attention, à élargir la scène.

La ligne d’action

La règle de ligne d’action est délicate à manier au cinéma. Elle régit la direction des regards dans un montage en champ et contrechamp, par exemple. Elle détermine ce qui est compréhensible naturellement et presque instinctivement par le cerveau humain en fonction de comment on lui a montré les choses.

Là encore, ce questionnement me semble utile à transposer dans l’écriture. Toujours se demander si ce que l’on a montré sera interprété correctement ou si ce ne sera pas l’objet d’un possible contresens.

https://youtu.be/aK-6qPgAyfo

Le mouvement

Le cinéma contemporain use et abuse des mouvements de caméra, là où le cinéma classique ne pouvait que laisser sa caméra à une place fixe dans la durée d’un même plan.

La littérature moderne, surtout la littérature de l’imaginaire, gagnerait, je pense, à intégrer également certains de ces mouvements.

Les panoramiques droit et gauche sont simples et sont fréquents en littérature. Les “autour de lui”, ou “aux alentours” introduisent ce genre de mouvement de l’œil de la caméra littéraire. Comme le zoom, qu’il soit avant ou arrière, peut être suggéré par la focalisation brutale ou graduelle vers des détails de plus en plus fins dans une description (par exemple en partant de l’allure générale d’un personnage vers son visage, ses traits, puis son regard et enfin le puits de ses iris).

Beaucoup plus complexes à utiliser sont les travellings, qui suivent une ligne rectiligne ou courbe, dans les trois plans de l’espace. Pourtant, il est possible de construire une action ou une description en suivant l’un ou l’autre de ces mouvements.

Le trans-trav

Inventé par Hitchcock, le trans-trav est l’association entre un zoom avant et un travelling arrière, ou au contraire un zoom arrière et un travelling avant. Il donne une impression de malaise dans les deux sens, en perturbant les notions de distance relative entre le sujet filmé et son environnement. Il met en exergue.

C’est l’un des mouvements de caméra les plus complexes à rendre par des mots. Je n’y suis jamais parvenu.

Pourtant, je pense que réussir cette transposition serait vraiment une technique puissante pour suggérer une émotion très forte, comme la peur, le vertige, l’épiphanie ressentie par un personnage ou une révélation faire au lecteur.

https://youtu.be/yAkSXTqKj7Q

Conclusion

Au terme de ce très (trop ?) long article, j’en viens à déduire que m’intéresser de près à d’autres formes artistiques, à d’autres façons de raconter les histoires, m’a vraiment enrichi sur le plan littéraire.

Je ne saurais donc trop vous conseiller d’explorer à votre tour les autres disciplines qui vous parlent, pour y dénicher des choses à transposer, à adapter, à malaxer.

Les arts se nourrissent les uns les autres.

Pour aller plus loin, quelques références

Quelques références à lire et relire si vous voulez en savoir plus sur la narration dans le cinéma.

L’écriture de scénarios, édition revue et augmentée, de Jean-Marie Roth, chez Chiron éditeur, 2004. ISBN 2702710468.

Réaliser ses films plan par plan, par Steven D. Katz, chez Eyrolles, 2005. ISBN 2212116829.

Raconter en images ou l’art du montage, par Nathalie Hureau, aux éditions Scope et la Maison du film court, 2005. ISBN 2912573165.

La règle d’accord de proximité

La règle d’accord de proximité

La langue que nous parlons modèle-t-elle notre façon de voir le monde ?

C’est historiquement l’une des deux grandes thèses de la linguistique, dite thèse de Sapir-Whorf, concurrente et opposée à celle de Chomski, pour qui il existerait une langue universelle1. Si dans l’imaginaire et les œuvres de fiction de l’imaginaire notamment, l’une et l’autre thèse ont été prises comme postulats par de nombreux univers (la langue universelle est la base des univers où la magie est fondée sur la connaissance et la prononciation des Noms Véritables des choses et des êtres, donnant à celui ou celle qui détient ce pouvoir tout contrôle sur ce qu’on sait Nommer), dans notre réalité, comme toujours, la vérité semble se situer entre ces deux extrêmes.

Ainsi, nous sommes nombreux à considérer que les mots dont nous nous servons ont une certaine influence sur ce qui nous entoure. Cela paraît bien évident pour tous ceux et toutes celles qui connaissent le pouvoir d’évocation des mots. Poétesses, écrivaines, orateurs, psychologues, politiciennes, ou simplement vendeurs et commerciaux, comme on dit maintenant, savent que certains mots peuvent ouvrir des portes et d’autres les fermer.

La langue est notre messagère vers l’autre, ou du moins l’une de nos messagères, car il existe aussi d’autres façons de communiquer, comme nos gestes et nos attitudes, nos regards.

Mais on peut aussi imaginer que le pouvoir des mots aille plus loin, et que leur utilisation change réellement les perceptions cognitives de ceux qui les utilisent et de celles qui les reçoivent. Les mots sont des symboles, et les symboles ont un pouvoir sur nos cerveaux que nous ne mesurons pas toujours. Un pouvoir immense.

C’est ainsi que l’un des débats qui agitent notre société a fait émergé la question de la primauté donnée au genre masculin dans la langue française comme l’un des leviers à manœuvrer pour rétablir une égalité entre hommes et femmes. Selon cette conception des choses, la vision trop masculine de notre société est renforcée par la règle grammaticale qui veut qu’en français l’on accorde en genre et en nombre un adjectif ou un verbe avec le masculin lorsque le sujet est composé d’au moins un terme masculin, et ce même si la majorité des termes du sujet sont féminins.

Je sais que c’est une discussion passionnée, et que les deux camps, ceux qui tiennent à conserver cette règle de grammaire et ceux qui désirent la changer, sont enflammés et souvent excessifs.

Je ne cherche à convaincre personne, ni dans un sens ni dans l’autre.

Mais j’ai bien réfléchi à la question, et j’ai décidé que mon inclination naturelle me conduisait plus volontiers vers un rééquilibrage des représentations symboliques du féminin et du masculin dans la langue française. J’ai donc fait le choix d’utiliser une règle antérieure, commune à plusieurs langues latines, voire indo-européennes, et promue par les tenants de ce rééquilibrage symbolique. La règle de l’accord de proximité.

J’ai même adopté la règle d’accord selon le sens, qui déroge elle aussi au dogme de la primauté du masculin.

Ce petit article est simplement là pour aider ceux et celles qui auraient fait le même choix que moi à le mettre en pratique dans leurs écrits, dans un monde où la règle de l’accord au masculin est encore une norme.

Ce que dit la règle

Tout simplement que l’on peut accorder en genre et en nombre un adjectif avec le plus proche des noms qu’il qualifie, ou un verbe avec le plus proche des chefs de groupes qui forment son sujet.

L’article de Wikipedia qui lui est consacré en explique bien les racines dans les langues proches du français : latin, grec, espagnol, tout en donnant des exemples de son utilisation en français qui était semble-t-il courante jusqu’au XVIIe siècle.

La page qu’Éliane Viennot lui consacre sur son site est également remplie d’exemples.

Ainsi, j’ai choisi d’écrire que :

J’ai bien réfléchi et les accords et fautes ratées par Antidote me laissent perplexe.

Au lieu de :

J’ai bien réfléchi et les accords et fautes ratés par Antidote me laissent perplexe.

La règle d’accord selon le sens ou syllepse grammaticale

Corollaire direct de l’utilisation de l’accord de proximité, l’accord selon le sens permet de moduler l’accord grammatical. On s’affranchit ainsi du seul masculin pour embrasser (c’est d’ailleurs le sens étymologique de syllepse) le sens profond de la phrase. Pour quelqu’un comme moi, qui considère les mots comme autant de symboles chargés de pouvoir, c’est cohérent.

De nombreux exemples peuvent être trouvés sur l’article que Wikipedia lui consacre.

Pourquoi cette règle ?

En préambule, je répète que je ne désire convaincre personne.

J’ai simplement l’envie d’exposer les raisons qui m’ont conduit à ce choix.

Tout d’abord, comme je l’ai dit au début de cet article, pour moi, les mots sont des symboles, et en ont donc la puissance, d’autant plus quand ils sont écrits, car leur permanence et leur matérialité, leur forme, leur confèrent plus encore de force.

Tout en rejetant toutes les outrances de ceux que les Anglais appellent les social justice warriors (les guerriers de la justice sociale en français, qui sont pour moi seulement des trolls avides de reconnaissance cherchant à mettre de l’huile sur le feu au lieu de discuter sereinement), il me semble naturel d’accorder (sic) ma façon d’écrire avec les valeurs qui ont du sens pour moi. Des valeurs que l’on peut appeler progressistes ou humanistes.

Il se trouve que la langue est tout de même un ensemble de codes, et qu’il est nécessaire d’y introduire des règles, afin que tout le monde puisse se comprendre. C’est d’ailleurs pour cela que le débat est si polarisé : chacun est conscient, des deux côtés, que sa vision porte en elle-même un implicite politique car le choix n’est pas neutre. La règle qui ressortira victorieuse de ce combat sera imposée à tous. Elle modèlera donc le discours de tous, tenants comme opposants. À terme, elle modèlera aussi les conceptions inconscientes, automatiques, de tous.

Une langue est aussi un ensemble de règles vivantes. Une langue n’est pas figée, sinon elle meurt. Il me semble donc légitime de la faire évoluer. Nous avons le droit de revendiquer les évolutions qui nous paraissent légitimes, et c’est l’usage qui tranchera, car qu’est-ce qu’une langue, si ce n’est un accord entre tous ses locuteurs ? Si nous décidons collectivement d’utiliser l’accord de proximité, alors il deviendra (ou redeviendra, plutôt), une règle établie du français.

La conclusion logique m’a conduit à adopter l’usage de l’accord de proximité comme celui de l’accord de sens.

Utiliser la règle d’accord de proximité

C’est bien beau, tout ça, me direz-vous (et vous aurez diablement raison) mais comment utiliser concrètement cette règle quand on a comme métier (ou passion) d’écrire, de corriger, voire d’éditer, et qu’on doit relire et corriger des centaines de pages de manuscrit ?

Car si au fil de l’écriture, cela me paraît assez simple en suivant les quelques règles qui précèdent, le problème est plus prégnant lors de l’étape de la correction elle-même, puisque vous allez commencer probablement par vous corriger vous-même à l’aide d’un logiciel (que ce soit le correcteur basique de Word ou Antidote) puis à confier cette tâche à d’autres yeux que les vôtres, plus aguerris ou simplement plus naïfs envers le texte.

Or, la règle n’étant pas encore officielle, il s’agira de vérifier tous les accords en gardant en tête cette particularité.

Je ne saurai trop vous conseiller de prévenir vos ß-lecteurs et ß-lectrices ou vos correcteurs, vos correctrices, pour leur éviter de s’arracher les cheveux à chaque accord, voire de barbouiller votre manuscrit avec tant de marques rouges qu’on n’y verra goutte au bout de deux pages. Une petite discussion sur votre choix et sur la règle elle-même est indispensable.

Pour ce qui est des logiciels de correction automatique, qui seront indispensables à un moment ou à un autre de votre processus de travail, c’est plus simple et plus compliqué à la fois.

À ma connaissance, aucun n’a encore été paramétré à ce jour pour tenir compte de cette règle.

Il faut donc ruser un peu.

Utiliser la règle de proximité avec Antidote

Étonnamment, Antidote semble ne pas remarquer de faute d’accord de genre dans la phrase d’exemple, ce qui pourrait faire penser qu’il accepte l’accord de proximité. Pourtant, il n’en est rien, car il suffit de faire une faute d’accord de nombre (oublier le s pluriel dans ratées) pour qu’il détecte non seulement celle-ci, mais aussi une faute d’accord selon le principe de primauté du masculin. Pourtant, un billet de blog récent sur le site de Druide, la société canadienne éditrice d’Antidote, explique la façon dont la société recommande son usage pour améliorer l’inclusivité. Et si le billet en question mentionne bien l’accord de proximité… rien n’est prévu dans les réglages d’Antidote pour l’activer.

Je pense que cela peut s’expliquer par le fait qu’Antidote utilise la syllepse grammaticale, mais je n’en jurerai pas.

Il me semble donc que la solution consiste à laisser Antidote rechercher les fautes d’accord, puis, à chaque fois, vérifier soigneusement que la faute qu’il détecte ne soit pas basée sur l’utilisation de la primauté du masculin.

Il serait souhaitable, pourtant, que Druide accepte d’intégrer l’accord de proximité dans ses réglages.

Pour aller plus loin

Si le sujet vous intéresse, il est possible que vous trouviez quelques autres réflexions à votre goût en écoutant deux émissions en podcast.

Le dernier épisode de la saison 2020 Du vent dans les synapses de France Inter, avec Daniel Fiévet, est notamment consacré à la langue française.

Et le podcast Parler comme jamais, de Laélia Véron, sur Binge Audio, qui à chaque épisode explore une facette de notre langue sous plusieurs angles passionnants.


  1. Et pour en savoir plus sur ces deux thèses, tout en apprenant comment communiquer avec E.T. si vous le croisez, je vous recommande de lire le très didactique Comment parler à un Alien ? de Frédéric Landragin, aux éditions du Bélial.  ↩
Maîtriser la compilation dans Scrivener, les bases

Maîtriser la compilation dans Scrivener, les bases

Je ne cesse de vous vanter les mérites de Scrivener, mais il est vrai que certains de ses aspects les plus intéressants peuvent paraître intimidants, voire rebutant pour nombre d’entre nous au premier abord. Sa structuration en scrivenings, par exemple. Sa gestion un peu étrange des styles.

Mais c’est sa caractéristique la plus emblématique qui me semble être la plus problématique quand on rencontre ce logiciel pour la première fois. La compilation.

Alors pour ceux qui ont envie de mieux comprendre et surtout de maîtriser cette fonction essentielle de Scrivener, et pour accompagner l’utilisation des quelques formats de compilation que j’ai déjà partagés avec vous, je me suis dit qu’il était temps de plonger dans un petit tutoriel. Vous allez voir, tout est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît.

La Compilation, quèsaco ?

Ce n’est peut-être pas un hasard si beaucoup d’entre nous ont été pris d’une appréhension en découvrant que Scrivener utilisait le mot de compilation pour désigner l’exportation d’un texte.

Car ce mot est d’ordinaire utilisé dans un vocabulaire qui est très éloigné de l’écriture, même si l’on s’y sert du clavier aussi : la programmation informatique.

Dans ce domaine du codage, la compilation est l’opération qui permet d’obtenir un code binaire (donc une suite de 0 et de 1) à faire comprendre à la machine que vous allez programmer, et ce à partir d’une suite d’instructions écrites dans un langage plus «naturel» (naturel pour des programmeurs, hein, pas pour vous ou moi). Ainsi, à partir d’instructions écrites en anglais telles que la boucle conditionnelle if... then... else... l’opération de compilation va sortir une suite de nombreux 0 et 1 qui sera interprétable par le processeur de votre machine.

Si le processus est le même dans Scrivener, il ne vous sera pas nécessaire d’apprendre un langage informatique pour vous y retrouver, mais par contre il sera sans doute bon que, comme un codeur, vous appreniez à penser à la structure de votre texte en amont de votre écriture.

Car dans Scrivener, il s’agit par analogie avec le codage informatique d’obtenir plusieurs formes possibles à partir d’un même texte brut. En gros, vous écrivez dans Scrivener, et la compilation vous permet de programmer des mises en page différentes en fonction de vos besoins, simplement en choisissant le format désiré. Le tout sans avoir besoin de passer un temps fou à souligner les titres et à changer la police de caractère de votre corps de texte à chaque fois.

Vous pouvez ainsi choisir un format de compilation qui mettra en page votre texte avec une marge intérieure de 6 cm avec pages à droite et à gauche, une fonte Garamond pour le corps, taille 12, et une fonte Gotham en Black taille 24 pour vos titres de chapitre lorsque vous voudrez exporter votre texte en PDF pour le donner à vos correcteurs (c’est mon cas), mais par contre avec d’autres valeurs de marges, d’autres fontes et d’autres tailles de fonte pour l’envoyer à votre éditeur. Le tout à partir d’un même texte.

Le principe est simple, là aussi hérité du codage informatique, mais dans le domaine de l’internet : on sépare le fond (votre texte) de sa forme (la mise en page). Ainsi, vous pouvez changer à volonté la forme sans toucher au fond. C’est un principe que nous avons déjà abordé lorsque nous avons parlé de la fabrication d’un livre électronique au format EPUB.

C’est particulièrement utile pour une œuvre littéraire, je trouve, quand vous allez devoir reprendre toute la forme du texte en fonction de vos usages. Pour mes corrections, j’aime avoir une marge large pour mettre mes annotations, mais votre éditeur, lui, aura sans doute d’autres exigences de mise en page. Mieux, si vous écrivez des scénarios de cinéma ou de télévision ou des pièces de théâtre, peut-être que vous préférerez écrire dans votre propre fonte avec vos propres réglages (ceux de Scrivener) et devrez ensuite y appliquer la mise en forme classique recommandée, c’est-à-dire une fonte type «machine à écrire» comme Courrier et des indentations à chaque changement de personnage dans un dialogue.

Loin d’être une contrainte, la compilation est donc une chance : elle vous fait gagner du temps. Si et seulement si vous comprenez véritablement comment elle fonctionne. Parce que sinon, cela risque de vous en faire perdre beaucoup.

Étant donné que le manuel du Scrivener n’existe qu’en anglais et qu’il est peu didactique, mais aussi que les tutoriaux sur le site de l’éditeur (en anglais eux aussi) ne sont pas des plus clairs sur la façon de s’en servir au mieux, j’ai eu envie de vous faire profiter de la façon dont j’ai apprivoisé la bête.

La structure du texte

Le plus important pour saisir le fonctionnement de la compilation dans Scrivener c’est de comprendre la philosophie qui se cache derrière. Et elle tient en un mot : structurez.

Car votre texte n’est pas seulement composé de lettres qui forment des mots. Tout texte est structuré de multiples façons.

Les mots forment des phrases, qui s’agencent en paragraphes, qui vont former des sections, qui vont donner des chapitres. Les chapitres vont être regroupés en parties qui vont former un livre. Qui sera peut-être l’un des tomes d’une série. C’est la structure de la forme d’un roman. Mais vous pouvez aussi décider d’une autre structure, comme celle des pièces de théâtre : des répliques structurées en scènes structurées en actes. Ou au cinéma et à la télévision : un plan (comprenant des répliques différentes et des mouvements de caméra par exemple) fera partie d’une séquence qui composera le film ou l’épisode, dont chacun sera une saison.

La compilation dans Scrivener va se servir de votre structure pour la mettre en forme suivant vos instructions. Chaque chapitre commencera sur une nouvelle page, avec le mot «chapitre» et un numéro, par exemple.

C’est pour cela qu’un format de compilation doit être pensé en fonction de la structure que vous donnez à l’Ébauche (en anglais le logiciel appelle cela le Draft, le brouillon) de votre texte brut.

Il est donc nécessaire que vous pensiez cette structure à l’avance, en fonction de votre projet.

Voici les structures comparées de deux de mes projets : un article de blog et un roman. Vous pouvez constater que ce n’est pas la même chose du tout. Et la compilation de ces deux projets ne pourra pas se faire de la même façon. Sauf. Sauf si on avait structuré de façon superposable.

Le premier pas à faire est donc de construire dans votre Ébauche une structure type. En s’intéressant aux structures de mes articles de blog et de mes romans, vous pouvez comparer et constater que les deux structures utilisent des dossiers, des fichiers seuls et des fichiers imbriqués.

Vous pouvez très bien décider de faire ce travail de structuration de votre texte une fois qu’il est totalement écrit, ou en cours d’écriture. Vous pouvez même le changer au milieu de votre projet si vous en avez envie. Mais je trouve personnellement qu’il est plus pratique et plus intéressant de la faire avant de commencer à écrire. Car, pour ma part, cela m’aide à dégrossir un peu la forme que va prendre le projet.

Comment procède-t-on ?

Je vous recommande de commencer par le haut, le plus grand ensemble, et de descendre petit à petit dans le détail. Tome avant Partie, avant Chapitre, avant Scène avant Plan. Ou Article avant Section, avant Sous-section. Il est important de structurer jusqu’à atteindre la brique fondamentale de votre texte : pour mes textes littéraires, ce sont les plans («cinématographiques») qui correspondent à des actions importantes, pour mes articles de blog, ce sont les sous-sections qui correspondent à une idée ou une notion. Essayez de subdiviser jusqu’à ce que vous vous disiez que c’est inutile (certains pourront peut-être subdiviser jusqu’au paragraphe, d’autres pas). Quand vous atteignez ce moment, vous savez que vous avez votre brique d’écriture fondamentale (ce que dans un autre article j’ai appelé ma brique narrative fondamentale, mon plan «cinématographique»).

Cette unité fondamentale sera forcément un fichier (un texte, dit Scrivener). Pour tout ce qui est situé au-dessus dans l’arbre de votre structure, par contre, vous allez devoir choisir entre texte et dossier. Quelle est la différence ? Il n’y en a pas vraiment car les deux entités sont capables d’agir comme des «contenants» d’autres entités textes, et les deux entités sont capables de contenir de l’écrit. Disons que c’est à mon sens purement psychologique. C’est ainsi que j’ai considéré que les Scènes étaient chez moi des textes et les Chapitres comme les Parties des dossiers. Pourquoi ? Parce que ça m’a paru plus logique pour moi. Mais au fond, il n’y a aucune obligation, et j’aurais très bien pu décider que mes Chapitres étaient des textes.

La seule véritable différence va se voir plus tard, quand on déterminera la mise en page suivant la structure.

Une fois que vous avez décidé du squelette de votre projet, vous pouvez vous rendre dans Projet > Paramètres du Projet...

Exercice de structure du texte

À titre de petit exercice, je vous propose de reconstituer le cœur du format de compilation d’épreuve pour correction que vous pouvez télécharger plus bas.

Commencez par créer deux dossiers que vous allez nommer Introduction et Développement.

Dans chacun de ces dossiers, créez deux fichiers que vous allez nommer Scène d’introduction 1, Scène d’introduction 2, Scène de développement 1 et Scène de développement 2. Dans chaque scène, collez du lorem ipsum ou un autre texte de remplissage. Cela nous aidera à visualiser le résultat de votre compilation.

Types de section

Cette première fenêtre qui s’ouvre permet de déterminer les différents rôles que vont jouer les sections de votre structure dans votre mise en page.

Par exemple, mes plans cinématographiques, briques narratives constitutives des scènes, sont des moments dans la scène où une action précise se déroule. Je peux vouloir distinguer deux possibilités. D’un côté des plans qui seront intégrés dans la suite des actions d’une scène, dans une continuité narrative (un plan sur mon héros qui donne un coup d’épée sur les écailles du dragon en face de lui, et ensuite un autre plan où l’épée lui tombe des mains car elle a été brisée par la résistance incroyable de l’armure du monstre) et d’autres qui vont rompre la continuité narrative dans la scène pour introduire la vision d’un autre personnage, ou bien une analepse (un flashback). Simplement parce que j’ai envie que le lecteur puisse distinguer les deux visions de la scène (exemple, le premier plan vu par le dragon, le deuxième par le héros) par un formatage spécial de mon texte (un Style) ou une transition particulière entre les deux plans (par exemple un caractère spécial, comme la suite de trois astérisques *** qui est classiquement utilisée pour signifier un changement de temps, de lieu ou de perspective).

Dans un texte non fictionnel, certaines sous-sections pourront être des encadrés et d’autres de simples subdivisions d’un raisonnement.

Il s’agit donc de réfléchir à tous les types de rôles que va pouvoir jouer chaque section du texte. Voici mes types de sections pour mes romans et ceux pour mes articles.

Exercice types de sections

Pour recréer notre format de compilation, créez deux rôles : Chapitre et Scène.

Dossiers et fichiers

C’est en pensant aux types de sections que vous allez devoir déterminer si chaque section est importante par son texte, par son titre, ou par les deux. Typiquement, un dossier est juste là pour contenir d’autres fichiers et seul son titre est important. Mais on pourrait imaginer qu’un dossier formant un titre de chapitre puisse aussi contenir parfois du texte, sous la forme d’une citation inscrite en début de chapitre juste après le titre.

La vraie question pour déterminer si l’on a affaire à un dossier ou à un fichier c’est : la section contiendra-t-elle majoritairement le corps du texte ? Ou simplement un titre ?

Niveaux de structure

Dans l’onglet de droite de cette même fenêtre, vous allez trouver le titre Default Types by Structure.

Il s’agit de faire coïncider les deux listes précédentes : la structure de votre texte et les rôles de chaque section. Cela donnera à Scrivener une idée des rôles par défauts de chaque section en fonction de sa place dans la structure de votre texte.

Construction du format de compilation

Une fois que vous avez trouvé la structure de votre texte et que vous savez quel type de texte doit contenir chaque scrivening, il ne vous reste plus qu’à écrire.

Puis quand votre travail d’écriture est terminé, vient la partie la plus délicate mais aussi la plus intéressante : déterminer la mise en page.

La compilation visant à sortir un texte mis en forme, il faut donc se pencher sur la mise en forme que vous voulez pour un objectif donné, comme on l’a vu plus haut. Tout le travail qui vient maintenant peut d’abord se faire sur un morceau de papier, pour que vous puissiez décider de la matérialité de ce que vous allez décider. Ensuite, vous pouvez entrer dans le processus de la construction du format de compilation lui-même en sélectionnant dans Scrivener Fichier > Compiler... puis dans la fenêtre qui s’ouvre, soit vous choisissez un format déjà présent et voulez le modifier (si ce n’est pas un format d’origine) en cliquant droit Modifier le format... soit vous sélectionnez Dupliquer et modifier le format... pour en créer un nouveau à partir d’une base.

Vous pouvez aussi partir de zéro et cliquer sur le + en bas à gauche.

Dans tous les cas, bienvenue dans l’atelier du ciseleur de format…

La page

Tout texte depuis l’invention du livre sous forme de feuillets et non plus de rouleaux est présenté en tenant compte des contraintes physiques de la taille et de la forme du papier qui détermine une limite à la disposition. C’est pour cela que, paradoxalement, je pense qu’il est plus intéressant de commencer par le dernier item de la fenêtre de construction de format de compilation, les paramètres de page.

Ce sera indispensable pour les formats physiques (impression directe ou PDF) ou les fichiers de texte habituels (un fichier Word ou RTF), mais sans doute inutile pour les sorties purement numériques comme une page internet ou un livre EPUB.

Il se peut aussi que votre objectif soit simplement de sortir le texte brut sans tenir compte du format des pages parce que vous allez ensuite utiliser un logiciel spécialisé pour cela (c’est mon cas lors de la publication d’un texte définitif après toutes les corrections effectuées). Dans ce cas vous pouvez passer à la prochaine étape.

Si ce n’est pas le cas, demandez-vous donc ce que vous souhaitez pour la taille de la page (A4, A5, autre chose ?), des marges. Est-ce que vous allez opter pour une présentation en livret avec une reliure ou simplement des pages identiques sans distinction gauche/droite ? Vous pouvez aussi déterminer des entêtes et des pieds de page.

Les sections

C’est le cœur de votre format de compilation.

Vous allez y construire des gabarits de mise en page qui vont ensuite vous servir à habiller chaque scrivening en fonction de deux critères : son rôle dans le texte (plan sans rupture narrative, plan avec rupture narrative, scène…) et le la variation de forme que vous voulez lui donner.

Pour illustrer mon propos, nous pourrions construire trois gabarits différents.

Un premier sera appelé «Chapitre numéroté et avec titre». Il s’assurera que chaque scrivening dont le rôle sera Chapitre réponde à la forme suivante : le mot «Chapitre» suivi d’un numéro qui sera écrit en chiffres arabes, et à la ligne le titre du chapitre qui sera égal au titre du scrivening. C’est la forme dont je me sers pour Fæe du Logis.

Le deuxième sera «Chapitre numéroté romain sans titre». Au contraire du premier, chaque scrivening dont le rôle sera Chapitre prendra la forme suivante : le mot «Chapitre» suivi d’un numéro inscrit en chiffres romains, un saut de ligne et pas de titre. C’est la forme que j’ai adoptée pour Le Choix des Anges.

Quant au troisième, ce sera «Scène». Il contiendra le texte de chaque scène, sans titre particulier.

Chapitre numéroté avec titre

Dans l’onglet Mise en page des sections, cliquez sur le + en haut à droite.

Vous pouvez renommer le gabarit créé en «Chapitre numéroté avec titre».

En gardant ce gabarit sélectionné, vous cochez la case Title, et laissez décochées les autres cases (Metadata, Synopsis, Notes, Text). Cela indique à Scrivener que ce gabarit placera seulement le titre du scrivening en sortie. Comme il s’agit d’un dossier dans la structure que nous avons adoptée, et qu’il n’est pas prévu qu’il y ait du texte dans ce scrivening, cela nous servira simplement à placer le titre à chaque début de chapitre, et le texte du chapitre débutera à partir de celui qui sera dans la première Scène (donc le premier scrivening avec un rôle de Scène) qui sera placée dans l’arborescence de ce dossier.

Dès que vous avez coché la case, vous pouvez voir que Scrivener place en bas Titre de Section dans un espace de mise en page appelé Formatting. Vous pouvez cliquer dessus et modifier la mise en forme. Sélectionnez Titre de Section et mettez-le en gras, par exemple. C’est donc là que vous allez déterminer à quoi chaque titre de chapitre va ressembler.

En cliquant sur Title options, vous trouvez deux cases : Title prefix et Title suffix. Elles vont déterminer ce qui va automatiquement être inséré avant le titre du chapitre et après. Dans notre cas, nous aimerions un préfixe qui sera «Chapitre» puis une espace (vous verrez alors un petit point bleu matérialisant l’espace) suivie d’un chiffre arabe. Nous allons utiliser ce que Scrivener appelle un placeholder, un code générique. Il prend la forme d’un petit n précédé s’un $ et encadré entre < et >. Il fera en sorte d’insérer un chiffre arabe qui sera automatiquement généré avec le bon ordre. Si vous désirez obtenir la liste de tous les placeholders dans Scrivener faites Aide > Liste de tous les caractères génériques...

Puis, comme nous voulons que le titre du chapitre soit placé sur une ligne en bas du mot et du numéro de chapitre, nous devons faire un saut à la ligne, matérialisé par le caractère spécial adéquat : ¶.

Lorsque cela est fait, si vous revenez sur l’onglet Formatting, vous verrez que Scrivener a fait exactement ce que vous lui avez demandé…

Pour l’instant, nous ne nous intéresserons pas aux autres onglets.

Chapitre numéroté romain sans titre

De la même façon, cliquez sur le + en haut à droite.

Vous verrez que Scrivener crée automatiquement une copie du précédent, que vous pouvez renommer «Chapitre numéroté romain sans titre».

Comme vous ne voulez pas que Scrivener mette le titre du chapitre, vous pouvez décocher la case Title. Aucune des cases Title, Metadata, Synopsis, Notes, Text ne sera cochée. Et vous pouvez voir le résultat juste en bas dans l’onglet Formatting.

Mais comme nous voulons des chiffres romains, nous allons remplacer le placeholder par un grand R précédé du $ et encadré toujours par < et >.

Scène

Même chose pour le texte des Scènes.

Cliquez sur le + en haut à droite.

Scrivener copie automatiquement une copie du précédent gabarit, que vous pouvez renommer en «Scène».

Cette fois-ci, cochez la case Text. Vous pouvez mettre en forme le texte sa fonte, sa taille, etc.

Puis dans l’onglet Title options, vous effacez ce que vous avez mis dans la case prefix. Ainsi, vous obtenez simplement le texte de la scène, sans insertion du titre du scrivening.

Lorsque vous compilerez votre texte, il ressemblera à cela :

Les transitions

C’est déjà bien, c’est vrai. Mais ce n’est pas encore tout à fait ce que nous voulons.

Car comme je vous le disais plus haut, un livre est organisé en fonction de la place que laisse une page pour disposer le texte. Au fil des siècles, les imprimeurs puis les typographes et les éditeurs ont cherché les façons les plus harmonieuses, agréables et pratiques d’organiser le texte en fonction des pages et des conventions sont apparues, qui nous semblent si naturelles de nos jours que nous ne les remarquons même plus, mais qui existent bel et bien.

La plus élémentaire est que dans un roman, les chapitres commencent toujours sur une nouvelle page, et la plupart du temps sur une page de droite. C’est aussi souvent le cas des sections importantes et des chapitres dans les œuvres de non-fiction comme les essais. Deuxième convention, plus ou moins respectée, lorsque dans un chapitre on change de scène de façon marquante (changement de lieu, de temps, par exemple), cela se marque dans le texte par une ligne vide ou un signe typographique (les fameux trois astérisques *** ou l’astérisme qui reprend ces trois astérisques en les disposant en triangle).

C’est dans les Séparateurs que vous allez pouvoir programmer cela.

En cliquant sur cette section, vous allez voir qu’il y a deux possibilités de réglages : les réglages suivant les types de sections (donc les rôles, Section layout) et ceux suivant la distinction simple entre fichiers texte et dossiers. Il me semble plus fin et plus puissant de rester sur la première option, qui est présentée plus bas.

L’ordre de compilation

L’un des principes fondamentaux de la compilation dans Scrivener, c’est l’ordre dans lequel le logiciel va traiter vos scrivenings. Imaginez un petit lutin facétieux mais rigoureux qui va prendre la liste de vos scrivenings et va commencer… par le début, bien entendu, puis prendre le deuxième, puis le troisième, etc. Et à chacun il va regarder les paramètres de transition et les appliquer, puis passer au scrivening suivant sans prêter attention à sa place dans la hiérarchie de l’arborescence.

Un schéma valant mieux qu’un long discours, voici ce qui se passe (à droite) et ce qui ne se passe pas mais qu’on aurait pu imaginer (à gauche).

Retenez bien ce schéma, il aide à comprendre la suite, et souvent les erreurs que l’on peut commettre en programmant un nouveau format sont dues à ce qu’on a oublié cet ordre de priorité. Il vous permettra donc de savoir où vous avez commis une erreur.

Les types de transition

Scrivener propose quatre possibilités de marquer une transition entre deux scrivenings.

  • Single return, ou simple retour à la ligne, aura pour effet de rendre la transition invisible. Deux morceaux de texte séparés de cette manière donneront l’impression de n’être qu’un seul et même texte. C’est utile quand vous découpez votre texte en petits morceaux pour le rédiger mais que tous ces petits morceaux sont censés être une seule et même scène. Les plans sans rupture narrative sont typiquement séparés comme cela : ils n’ont pas d’existence marquée pour le lecteur alors qu’ils ont eu une vie séparée pour l’auteur lorsqu’il a écrit son livre.
  • Empty line créera une ligne vide comme séparation. C’est utile quand on veut marquer une séparation entre deux scènes.
  • Saut de page est plus radical, et cela sera le choix royal lorsque l’on changera de chapitre.
  • Custom, ou personnalisé, vous propose de choisir un ou plusieurs caractères à insérer sur une ligne pour marquer la séparation. C’est l’endroit où vous pouvez mettre votre astérisme ou vos trois astérisques.

Le choix de l’endroit : stratégie et logique

Le plus compliqué reste de savoir où faire la séparation car il existe trois possibilités : avant la section, après la section (c’est un peu spécial on le verra), ou entre deux sections de même nature. Sur un seul niveau (s’il n’y avait que des fichiers/dossiers de chapitres avec titre et texte des scènes) ce serait assez facile, et les trois possibilités seraient équivalentes.

Mais nous sommes ici sur (au moins) deux niveaux d’arborescence : des dossiers-titres de chapitre contenant des fichiers-scènes.

Si nous déterminons que le saut de page entre deux chapitres se fera à la fin de la section dossier-titre de chapitre, nous allons obtenir un saut de page non pas entre la fin du chapitre précédent et le titre du chapitre suivant, mais entre le titre du chapitre suivant et le début du texte dans ce chapitre… C’est sans doute mieux illustré avec un petit schéma.

Il est donc plus intelligent de placer le saut de page avant la section dossier-titre de chapitre.

Ainsi tous les chapitres vont débuter sur une nouvelle page, par le titre, puis le texte.

La séparation entre deux dossiers-titre de chapitre (donc sections de même nature) n’est pas importante car il est très peu probable que vous ayez dans votre structure de texte un titre de chapitre sans fichier-scène avant le prochain dossier-titre de chapitre.

Car il faut se souvenir que la compilation va parcourir votre arborescence dans l’ordre, soit : premier dossier, premier fichier, deuxième fichier, puis deuxième dossier, troisième fichier, quatrième fichier. Vous n’aurez donc jamais l’ordre : premier dossier, deuxième dossier. Cela équivaudrait à un titre de chapitre sans texte puis un deuxième titre de chapitre avec du texte.

Exercice transition

Sélectionnez le type de section que nous avons appelé Chapitre.

Commencez par décocher Use default separators qui vous forcerait à utiliser les séparateurs suivant dossier/texte.

Dans Separator before sections, sélectionnez Saut de page.

Aller ensuite dans le type de section que nous avons nommé Scène.

Vérifier que les options Separator before sections et Separator between sections soient bien réglées sur Single return, donc un simple retour à la ligne.

Compilez. Regardez ce que vous obtenez.

L’override après section

Jusqu’ici nous avons utilisé les transitions avant la section et entre les sections de même nature. Mais il existe une troisième option, plus délicate à manier (et je dirais même qu’elle est un peu vicieuse car on a tendance à vouloir l’utiliser alors qu’elle n’est intéressante que dans des circonstances bien précises). C’est la transition forcée après la section, ou Override separator after, comme elle est appelée dans le logiciel (oui, beaucoup de termes n’ont pas été traduits en français par l’éditeur de Scrivener).

Pour bien comprendre son principe, il faut se souvenir que ce n’est pas une «transition après», mais bien une «transition forcée après». Cela veut dire que si vous cochez cette option pour une section, la transition que vous allez ensuite déterminer (single return, empty line, saut de page ou custom) sera imposée à la place de la transition placée avant la section suivante, même si la section suivante avait une autre séparation normalement prévue à cet endroit. Dans le doute, c’est toujours cette transition forcée après la section actuelle qui prendra le pas sur une éventuelle transition prévue avant la section suivante.

Et je vais vous montrer pourquoi je vous mets en garde contre son usage immodéré.

Si votre structure ne contient que deux niveaux, par exemple des dossiers-titres de chapitre et des fichiers-textes de scènes, vous voudrez qu’à chaque chapitre, on commence par une nouvelle page, avec le titre du chapitre, puis son texte.

Pour obtenir cela, vous pouvez soit utiliser la méthode de l’exercice précédent, soit décider qu’après chaque dernière scène du chapitre, il y ait une transition forcée de saut de page. Et si vous cochez cette option pour la mise en page des scènes, vous allez obtenir une transition forcée comme prévu à la fin de la dernière scène.

Mais.

Mais si votre structure contient plus de deux niveaux, comme des dossiers-titres de chapitre, des fichiers-textes de scènes et plus bas encore des fichiers-textes de divisions de scène pour affiner un peu la construction et faciliter l’écriture de votre œuvre, là, tout s’écroule.

Parce que si vous avez utilisé l’option de l’Override after, comme la compilation prend scrivening après scrivening quelle que soit sa place dans l’arborescence mais dans l’ordre chronologique, si votre dernière scène de chapitre est composée de deux divisions de scène, vous allez obtenir une sortie texte où un saut de page sera inséré juste entre le dernier fichier-texte de chapitre et le premier fichier-texte division de scène.

Résultat : votre scène sera visuellement coupée avec un saut de page au beau milieu… et de plus, comme votre chapitre suivant ne sera pas prévu avec un dossier-titre de chapitre ayant un séparateur de saut de page avant, votre chapitre suivant va commencer juste sous la fin de votre chapitre actuel…

Votre mise en page sera complètement ratée…

La transition forcée après la section (ou override) n’est donc à utiliser que dans le cas où vous voulez que systématiquement, après une section déterminée, n’importe quelle autre section soit séparée par une seule et même transition.

Les règles de bonne utilisation et le petit schéma récapitulatif

On peut déduire de tout cela quelques règles de conduite à adopter quand on compile un texte dans Scrivener ou qu’on veut créer son propre format de compilation.

  1. Il faut savoir quelle structure on choisit, en partant de la plus grande division et en fractionnant jusqu’à la plus petite brique de texte que l’on va utiliser comme scrivening.
  2. Il faut déterminer quels sont les rôles et donc les gabarits de mise en page dont on va avoir besoin (chapitres avec titres ou sans titre, scènes, flashbacks, plans, etc.)
  3. La compilation suit un ordre systématiquement chronologique sans s’encombrer de l’arborescence.
  4. Il vaut mieux toujours prévoir la séparation dans les gabarits de mise en page comme une séparation avant la section actuelle et très rarement forcer une transition après.

Je vous récapitule le processus que nous venons de voir sur un schéma que j’espère clair et concis.

Le bonus : format de compilation à télécharger

Pour que la fête soit plus folle, voici le format de compilation dont je me sers pour mes épreuves de correction. Il est prévu pour le template de roman version 3 que je vous glisse également. Je suis sûr que vous en ferez bon usage.

Conclusion

Même si la compilation ne permettra jamais d’atteindre une mise en page complexe (pour cela, il vous faudra apprendre à vous servir d’un véritable logiciel de mise en page et un peu de temps de pratique avec), elle peut déjà rendre bien des services pour sortir un manuscrit assez rapidement et avec un très bon résultat pour peu qu’on ait compris quelques points de base. Surtout, il est indispensable de démystifier cette étape du logiciel pour en tirer le meilleur.

Et d’ailleurs, si ce type d’article vous intéresse, n’hésitez pas à me le faire savoir, il se pourrait que je vous réserve d’autres astuces pour mieux maîtriser encore le processus et l’utilisation de Scrivener.

Le rituel créatif, ou comment trouver sa Pierre philosophale artistique

Le rituel créatif, ou comment trouver sa Pierre philosophale artistique

Il y a quelques années, un film proclamait fièrement dans son titre : La sociologie est un sport de combat.

Mes amis, mes amies, la création peut en elle-même constituer un combat1.

Un art martial, si l’on peut dire, car je crois que, comme les techniques que l’on regroupe sous ce vocable, la création requiert de s’appliquer à soi-même une discipline stricte. Comme un judoka enchaîne les katas, un musicien doit travailler ses gammes, une peintre peaufiner son coup de pinceau, une dessinatrice son trait, et un écrivain doit… écrire.

L’analogie peut cependant aller plus loin. Comme un art martial, la création ne vise pas forcément à briser un adversaire de chair et d’os, mais bien plutôt à vaincre le seul véritable Ennemi : cette part de nous-mêmes qui se sert de la peur et de toutes les ressources qu’elle peut trouver pour nous limiter.

La création peut donc être vue comme un combat dirigé contre cet Ennemi intérieur, celui que je nomme le Défaiseur2. Je vois cette force primordiale comme la résistance naturelle de l’Univers à organiser sa matière brute, un peu comme une manifestation des lois de la thermodynamique, l’Entropie.

Le Défaiseur est puissant. Il y a une part de lui en chacun de nous, et au creux de notre âme, de notre corps, il étend ses tentacules gluants pour nous forcer à repousser ce moment fatidique, ce moment précis où nous passons à l’acte, où nous dirigeons toute notre énergie, toute notre concentration, toute notre attention vers l’acte de création. Il redoute tant ce moment où nous mettons en forme le chaos originel qu’il tente tout ce qui est possible pour nous en détourner. Il use de tous les stratagèmes, et notamment de la peur. La peur de ne pas réussir, la peur de mal faire (alors à quoi bon commencer puisque ce que je vais créer sera forcément mauvais ?). Au final, la peur de ne pas être aimé.

Deux forces sont donc à l’œuvre en nous, à l’image des deux dragons se combattant sans cesse dans le rêve du légendaire Uther Pendragon. Le dragon blanc et le dragon rouge. Deux forces opposées et d’égales puissances. Le Faiseur et le Défaiseur.

J’ai longtemps cru que le travail de l’artiste était de trouver quel dragon était son Faiseur, et de lui donner la victoire contre le Défaiseur. Je croyais qu’il s’agissait de vaincre les Ténèbres et d’assurer le règne de la Lumière.

C’est en substance ce que l’on nous répète depuis toujours, et qu’on continue de nous répéter, jusqu’à Julia Cameron dans sa méthode de développement personnel3 destiné aux artistes et aux créateurs. La création serait donc une opposition stérile entre le Bien et le Mal. Comme une guerre sans merci. Une ordalie. Qu’il faut remporter.

Et c’est vrai on peut souvent se sentir oppressé par ces deux forces contradictoires à l’œuvre en nous.

Et puis un jour…4

Un de mes amis, lors d’un bon repas, a prononcé une simple phrase. Quelques mots, sans fioritures. Précis.

«Moi, je profite de chaque instant dans ma journée, même de ce que je n’ai pas envie de faire».

Cette phrase a résonné en moi avec la force d’une formule magique pour dessiller mes yeux.

Quelques jours plus tard, j’ai commencé à penser qu’on pouvait voir ce combat autrement.

Je me suis souvenu de ces traités alchimiques du moyen-âge, qui enseignaient que la destruction n’était que la première étape d’un processus qui mènerait l’Adepte vers la réalisation de son Grand Œuvre, l’obtention de la Pierre philosophale.

Il se pourrait bien que l’opposition soit féconde, au contraire. Que l’interaction de l’ombre et de la lumière, du yin et du yang des arts martiaux, du soleil et de la lune, du soufre et du mercure alchimiques, soit justement un moteur.

Et si la création naissait justement du combat lui-même ? Le combat serait alors non seulement impossible à remporter, mais si l’on y parvenait vraiment, ce serait une catastrophe, puisqu’on tuerait du même coup toute possibilité de création. En conséquence de quoi, il serait vital de continuer à entretenir le combat le plus longtemps possible, pour continuer à créer. Comme un cycle de jours et de nuits ininterrompu créant le monde dans lequel nous vivons. Comme une interaction plutôt que comme un combat.

Tout cela m’a fait réfléchir.

J’ai l’impression d’avoir enfin compris quelque chose de fondamental sur ma façon de créer, d’avoir trouvé la clef qui mène à ma Pierre philosophale créative personnelle. Le Faiseur et le Défaiseur ne sont que les deux faces d’une même pièce. La pièce dans sa globalité, c’est moi, tout simplement. Ce n’est sans doute plus un combat, mais un dialogue.

J’ai découvert que dès lors, je pouvais construire un véritable rituel d’écriture pour permettre aux deux faces de se parler réellement, et de faire naître ce que je cherche à créer.

En le ressentant, j’ai eu envie de vous le faire partager.

Un rituel de création est une chose éminemment personnelle, mais qui sait si certaines de mes vérités ne pourraient pas résonner avec votre propre façon d’envisager les choses ?

L’état de flow

Le principe de ce rituel est tout simple : comment trouver à ce que le Faiseur et le Défaiseur puissent dialoguer, se nourrir l’un l’autre, pour accoucher de cet élan, de ce flow que nous recherchons tous dans nos activités créatrices. Il s’agit donc de trouver les forces et les faiblesses de l’un comme de l’autre, et de s’en servir pour trouver le point d’équilibre entre mon désir de Faire et les tentations du Défaiseur.

L’état de flow (que l’on pourrait traduire par écoulement ou flux, en français, mais que je désignerais plus sous le nom de flux & reflux, pour bien montrer sa dualité permanente) est un concept psychologique très populaire chez les sportifs, mais qui peut s’appliquer à toutes les activités humaines nécessitant de la concentration extrême, c’est-à-dire… toutes les activités humaines.

C’est cette constatation universelle, expérimentée au moins une fois dans la vie de chaque être humain sur la planète, qu’il existe un état très étrange de la conscience qui se manifeste par une complète absorption des facultés cognitives et physiques sur une tâche précise, avec une disparition presque totale des autres considérations, notamment les sollicitations extérieures distractrices, ce qui a comme conséquence de mobiliser toutes les ressources d’une personne vers la réalisation de la tâche. Nous entrons ainsi dans une sorte de mouvement en pleine harmonie où chacune de nos réalisations semble couler de source, où tout ce que nous faisons nous paraît non seulement facile, mais naturel, et où aucune difficulté ne parvient à nous freiner.

Cet état est très similaire à celui que l’on peut atteindre quand on maîtrise la méditation de pleine conscience ou dans les phénomènes liés à l’hypnose, la visualisation anticipatoire, les expériences chamaniques. Scientifiquement, il s’explique par l’activation de certains circuits cérébraux impliqués dans l’anticipation ou l’imagination.

Chacune des méthodes que je viens de mentionner (méditation, chamanisme, hypnose) se sert de techniques permettant de déclencher la modification de l’état de conscience. Dans la méditation de pleine conscience, c’est le travail qui ramène l’attention toujours au même endroit lorsqu’elle a tendance à s’évader. Dans le chamanisme, c’est souvent l’utilisation de conditions physiques ou physiologiques : chaleur, sudation, privation de nourriture, musique et son répétitifs, substances hallucinogènes.

Dans l’hypnose, que je connais beaucoup mieux, c’est une succession codifiée d’étapes mentales : la fixation de l’attention, la confusion, et enfin la dissociation. On peut apprendre à les utiliser assez facilement, mais la difficulté réside dans la prolongation de l’état de transe hypnotique, équivalent au flow, qui nécessite un apprentissage et une pratique régulière. Comme toute activité humaine, me direz-vous. Et vous aurez raison. Pour cela, il s’agit de se servir d’un outil que j’ai également emprunté à l’hypnose : l’ancrage, qui consiste à rappeler toute une séquence à l’aide d’un symbole qui peut être un geste, une forme, un parfum, une couleur. Finalement, un rituel.

Nous faisons tous appel plus ou moins consciemment à des rituels de création.

L’astuce ici consiste à construire délibérément ce rituel de manière hypnotique.

Une cascade pour illustrer l'état de flow

Le combat & le dialogue : la discipline

Bien évidemment, comme vous avez sans doute déjà votre propre rituel, vous avez remarqué que son existence n’est pas une condition suffisante à l’éloignement du Défaiseur et de ses manifestations les plus sournoises, comme la procrastination, par exemple.

Car le rituel, l’ancrage, n’est que le deuxième pilier d’une discipline.

Lorsque la création est un véritable désir, nous l’avons vu, elle réclame de la pratique. Un judoka répète ses katas quotidiennement, une peintre joue du pinceau tous les jours, un sculpteur prend ses outils chaque jour, un écrivain tape sur son clavier (ou trace ses lettres à la main) tous les jours.

Les arts martiaux nomment cela une discipline.

Je n’aime pas beaucoup le mot, pourtant il est assez parlant.

Il signifie vraiment que la création doit entrer dans notre vie comme une habitude, une façon de voir les choses, un temps incontournable. Il contient aussi toute cette connotation de progression, d’apprentissage, d’expérience, que l’on acquiert par la pratique renouvelée et l’intégration de techniques dans nos automatismes.

Une discipline implique de changer notre façon d’être pour un nouveau mode de vie.

Pour le dire simplement, créer doit devenir aussi indispensable à notre équilibre que dormir, manger, boire, ou avoir des contacts sociaux.

Pour cela, un rituel est indispensable, mais pas suffisant.

Parce que pour intégrer une nouvelle habitude, pour provoquer un changement significatif dans notre vie, il est nécessaire de trouver le pilier principal : la motivation, ce qui va nous donner l’énergie. Il nous faut un but, un objectif. Et reconnaître cette force qui nous pousse à l’atteindre. J’appelle cela le Désir.

Toute création est désir. Même les plus abstraites ont ce côté charnel, cette pulsion physique qui s’est extraite de l’artiste et incarnée dans l’œuvre. On ne peut pas créer sans ressentir le désir de la création, comme dans toute activité humaine.

Voilà pourquoi la première chose à découvrir, c’est notre motivation.

Tout le secret ensuite réside dans une simple mise à l’épreuve de notre motivation au feu du Défaiseur, et d’accepter que ce que nous prenions pour un ennemi est en fait un allié précieux. Refusez l’existence du Défaiseur et vous le verrez vous attaquer de plus belle. Acceptez son rôle et vous pourrez vous servir de la frustration qu’il fait naître pour alimenter votre désir, des distractions qu’il engendre pour nourrir votre inspiration, du découragement qu’il souffle pour trouver un nouveau défi, de la procrastination qu’il suggère pour comprendre ce qui vous fait peur.

Pour cela, j’ai quelques astuces, que je vous présente plus loin. Elles fonctionnent bien pour moi, mais peut-être devrez-vous les adapter pour vous-même.

La Motivation

Votre premier travail est de trouver votre motivation, c’est-à-dire le résultat de la confrontation entre votre Désir et le Défaiseur.

Le Désir

Quel est votre Désir ? Qu’est-ce qui vous pousse à créer ? Ce sont les deux premières questions auxquelles il faudra répondre. Les réponses seront différentes pour chacun de nous, elles seront intimes, et vous n’aurez pas besoin de les partager avec quiconque, sauf si vous en ressentez l’envie. Chacun et chacune d’entre nous a ses propres raisons, elles sont respectables.

La seule exigence est d’aller au bout de soi-même, et de se défaire des faux-semblants, d’être honnête envers soi-même.

Il ne peut s’agir d’un désir externe. Votre Désir n’est ni un engagement envers quelqu’un d’autre que vous, une promesse faite à un tiers, ni une deadline.

Le véritable Désir est interne, il vient de vous, naît en vous.

Il peut s’agir d’une envie, voire d’un besoin aussi physiologique que la nourriture.

Prenez-en conscience.

Reconnaissez-le.

Ce désir peut changer en fonction de vos projets, mais dans ce cas, il est plus efficace de reconnaître quelle est la racine qui lie tous ces désirs entre eux. Quelle est la cause première de votre engagement ? Pourquoi écrire ? Pourquoi peindre ? Qu’est-ce que ça vous apporte ?

Il est possible que ce Désir ne se laisse pas enfermer dans le cercle des mots, que ce ne soit qu’une impression, un sentiment vague, une émotion sans réelle définition.

L’important est d’en prendre conscience.

Vous voulez créer ? Alors approchez ce Désir de créer au plus près. Car c’est lui qui vous guide à chaque instant, c’est lui qui vous donne l’énergie de continuer. C’est lui qui est la raison profonde de votre engagement. C’est lui qui fait que vous êtes artiste, et pas financier (même si on peut être les deux, pourquoi pas ?).

Une fois que vous avez cerné votre Désir, ne le perdez pas. Ancrez-le.

Moi, j’utilise un ancrage visuel pour me rappeler en permanence mon Désir de créer. Une statuette représentant la déesse-chat égyptienne Bastet, qui trône sur mon bureau. Mais il y a quantité d’autres possibilités (un mantra sur un post-it, par exemple), et chacun doit trouver la sienne.

Le Défaiseur

Une fois en conscience de notre Désir, nous devons faire face au Défaiseur.

Pour moi, c’est la force en nous qui disperse nos tentatives d’organiser le chaos du monde, cette force primordiale qui s’oppose en permanence à nos efforts.

Le Défaiseur emploie essentiellement quatre types d’armes.

Les distractions pour nous détourner de la tâche créative. Vous aurez remarqué que dans ces moments-là, l’activité la plus insignifiante, la plus triviale, même celle que nous n’aimons pas particulièrement, nous paraît plus attractive que ce que nous sommes en train de créer.

Le découragement vient juste après, quand nous regardons ce que nous avons produit et ce qu’il reste à accomplir pour que le résultat nous satisfasse. Nous pensons que nous n’y parviendrons jamais, et même que ce que nous avons fait ne mérite pas même que l’on continue. Cela conduit à la troisième phase.

La frustration place nos désirs de réalisation en face de la réalité de ce que nous avons pu créer et utilise le décalage inévitable pour créer un sentiment désagréable de dévalorisation.

La procrastination, enfin, referme le cercle du Défaiseur en intégrant les trois dimensions précédentes dans une peur de ne pas réussir si forte qu’elle nous éloigne du passage à l’acte créatif. Elle utilise les distractions et notre le découragement, puis engendre de la frustration.

Yin & yang

La motivation peut faire dialoguer les deux dragons. Si l’on parvient à voir le Défaiseur comme un allié, ses armes peuvent être mises au service de notre Désir au lieu de se retourner contre lui.

Ainsi, les distractions peuvent nourrir l’inspiration. Notre cerveau est fait pour emmagasiner en permanence de nouvelles choses et il les malaxe ensuite dans le secret de ses circuits neuronaux. L’un d’entre eux, surtout, appelé le circuit par défaut, est celui qui est activé quand on ne fait rien de précis, ou que l’on ressent de l’ennui, bref, qu’il n’existe aucune sollicitation ni extérieure ni intérieure. Des plages de repos total du cerveau sont donc nécessaires à l’émergence de nouvelles idées. Mais les distractions du Défaiseur le sont tout autant pour alimenter notre stock. Il suffit d’encadrer ces distractions. Nous verrons comment grâce à l’ancrage du rituel.

Le découragement peut faire naître un nouveau défi, et donner un nouvel élan à notre création. L’état de flow est en effet dépendant en partie du niveau de défi qui nous est proposé dans la tâche en cours. Le découragement est juste la croyance que notre capacité à relever ce défi est insuffisante. Ma solution est simple : découper le défi en plusieurs sous-défis plus faciles à atteindre. C’est ce que les psychologues appellent le «minimal change» (en anglais dans le texte). Il est plus facile d’atteindre un objectif minime, et une fois qu’on y est parvenu, il est plus facile de remplir des objectifs plus ambitieux. Et le découragement lui-même peut être un moteur de notre Désir si nous sommes capables d’avoir un sursaut d’orgueil. «Ah il croit que je ne vais pas y arriver ? Je vais lui montrer, moi, à ce sacripant5, de quoi je suis vraiment capable !».

La frustration, elle, est encore plus facile à gérer. Il s’agit d’une impression d’inachevé. Qu’à cela ne tienne, nous remettre au travail va nous mener plus près encore de l’achèvement de notre objectif. La frustration est la clef qui peut nous permettre d’augmenter notre régularité, et la régularité limitera notre frustration à un niveau soutenable. Tout simplement parce que savoir que l’on est capable de travailler chaque jour quoi qu’il arrive est libérateur. Pas besoin de tout terminer aujourd’hui si je sais que demain, et après-demain, et les jours suivants, je saurai m’accorder le temps nécessaire et reprendre ce que j’ai entamé.

Enfin, la procrastination est le signal d’alarme qui me prévient que j’ai peur de quelque chose, que je me laisse entraîner vers les manifestations du syndrome de l’imposteur. Parfois, elle peut m’indiquer qu’une distraction est nécessaire à la «recharge» de mon inspiration, ce qui referme la boucle de façon vertueuse. Je m’accorde un temps de repos, un temps où je ne fais «rien», et cela remet paradoxalement mon esprit en marche vers là où il va naturellement : un foisonnement de liens entre diverses choses et un buissonnement créatif.

Mais comment parvenir à entrer dans ce cercle ?

C’est le rôle de l’Ancrage, le rituel lui-même.

L’Ancrage

Je crois que l’être humain partage avec les chats une affinité particulière pour le concept de ritualisation, d’habitude, de répétition. Nos félins domestiques ont érigé le rituel en style de vie : ils élisent leurs endroits préférés, leurs promenades en circuits bien définis. Ils apprennent vite. Le mien, par exemple, réclame toujours que je remplisse son écuelle d’eau dès que je remplis ma propre bouilloire pour me faire un thé, chaque matin, et ce même si ladite écuelle est déjà pleine. Ce satané animal ne daignera pas en boire tant que je n’aurai pas cédé.

Si tous les êtres humains ne sont pas aussi rigides dans leur ritualisation du quotidien, nous avons tous nos habitudes et nos préférences, nos petites manies et nos rituels. Certains se laveront le matin, et d’autres ne concevront de faire leur toilette que le soir avant de se coucher.

Si l’on se place à un niveau plus global, notre vie est rythmée par des rituels sociétaux comme nos horaires de travail, de repas et de repos, nos vacances. Plus encore, l’existence elle-même est marquée par des rituels fondamentaux (le jour et la nuit, les saisons, les lunaisons, les années, les fameux rythmes). Et chaque moment vraiment important dans notre vie sera ritualisé. Notre naissance ou la naissance de nos enfants (il y aura des faire-part, des cadeaux), nos anniversaires (qui seront prétexte à des célébrations diverses), nos unions (qu’est-ce que le mariage si ce n’est un rituel ?), nos deuils et notre propre mort (les funérailles représentant le rituel ultime, je crois).

C’est que j’ai l’intime conviction que la ritualisation a une fonction primordiale dans notre vie.

D’une part, elle est la pierre angulaire de l’apprentissage. Notre cerveau apprend par la répétition. Il existe même des méthodes d’apprentissages basées sur un système de rappels des informations à des intervalles très précis. Ces méthodes devraient être au moins citées à tous les élèves durant leur apprentissage parmi d’autres astuces permettant de rendre notre fonctionnement cognitif plus performant.

D’autre part, elle est la matière à partir de laquelle se créent les symboles dans notre vie. Elle nous permet de fonder notre existence sur des repères et d’en tirer une stabilité. Elle nous amène à créer du sens à partir des événements de notre vie.

Il me semble donc tout naturel de tirer parti de cette force dans la création.

L’Ancrage répond donc à deux enjeux principaux dans cet objectif.

  • La pérennisation de l’acte de création, afin de le garder vivace sur le long terme, au fil des semaines, des mois, des années de notre existence.
  • La concentration, de manière à ce que le temps de création soit le plus riche et foisonnant possible.

Voici comment je crée mon propre rituel.

Le Moment

Le plus important, car le plus difficile à trouver dans notre vie moderne, c’est bien le Temps. Si vous me suivez depuis quelque temps, justement, vous savez que c’est là ma Quête, et pas seulement la mienne d’ailleurs.

Avoir le temps de faire ce que l’on a envie de faire tout en réalisant ce que nous sommes obligés d’accomplir comme tâches imposées par notre vie, c’est la gageure de tout un chacun dans notre société. Et si la pandémie actuelle fait bien ressortir le luxe qu’est la mise à disposition du temps et la façon dont on l’emploie, ce n’est qu’une mise en exergue d’un fait déjà ancien.

Cette Quête du temps peut se résumer souvent à un dilemme central : à quel moment de la journée pouvons-nous réserver la pratique de notre Art ?

C’est la question. Celle à laquelle nous répondons souvent «je ne sais pas», ou pire «je n’ai pas vraiment le temps». Si vous avez répondu par la deuxième phrase, alors vous avez déjà abandonné la partie, et vous échouerez dans votre Quête, comme je l’ai fait à de nombreuses reprises. Car même le «dès que j’ai un moment» ne fonctionne pas. Je sais, je l’ai essayé.

Parce que la réponse, la seule qui vous ouvrira les portes du château du Graal, tel un Perceval moderne (le vrai, hein, pas celui de Kaamelott), se trouve être celle-ci :

Le temps que vous êtes prêt ou prête à imposer à votre vie. Donc à vous imposer accorder à vous-même.

Car comme nous sommes dans un rituel, ce temps doit si possible toujours être le même, de la même durée, et au même moment de la journée. Mais surtout, il doit être celui que vous choisissez de vous imposer accorder. Chaque personne aura son moment privilégié, qui sera certainement différent des autres. Beaucoup d’artistes disent qu’ils aiment profiter du calme du petit matin ou de celui de la nuit pour créer. Parfois il sera nécessaire de faire des ajustements ou des changements dans le choix de ce moment, pour tenir compte de la réalité des contingences quotidiennes.

Pour tout vous dire, mon moment à moi, actuellement et si j’ai le choix, se situe après 17 heures, dans une fenêtre qui peut durer jusqu’à 21 heures environ. C’est à cette période-là de la journée que je suis le plus efficace dans mon écriture, que tout coule avec une fluidité si grande que j’ai l’impression d’être né pour écrire. Or, il se trouve que dans la semaine, je suis au travail assez tard dans la journée et certainement bien après 17 heures. J’ai donc dû choisir un autre moment dans la journée. Le petit matin et la nuit me sont interdites car mon sommeil est un trésor sacré. J’ai donc jeté mon dévolu sur cette période étrange de la «mi-journée», entre 12 heures 30 et 13 heures 30, qui est mon temps d’écriture. Mon Temps Sacré, pour paraphraser le calendrier Gloranthien.

Ce moment est devenu incontournable, immuable. Non négociable.

Il fait désormais partie de mes besoins, au même titre que le repas. Au passage, je ne fais pas partie et n’ai jamais fait partie des gens qui sacrifient leur repas à leur travail, car je considère qu’il n’existe pas de travail si important qu’il justifie de se maltraiter soi-même, et penser qu’on est un héros parce qu’on n’a pas le temps de manger, ça me fait bien rire. Oui, même quand on est médecin, on peut et on doit prendre le temps de manger. Le monde ne dépend pas de notre anorexie. Je vous renvoie à ma façon de considérer le soin.

Ce moment est celui de la semaine. Le week-end, je suis libre de reprendre mon rythme naturel et d’écrire en fin d’après-midi. Si cela n’est pas possible, je m’arrange toujours pour trouver une heure d’écriture par jour durant ces deux jours.

Au départ, ce fut un véritable effort de ma part. Puis c’est devenu tellement naturel que je me prends à guetter mon heure d’écriture comme si c’était ma récompense. Je vous avoue que certains matins, je me lève avec l’espoir de cette heure-là dans la tête.

Car une fois qu’on a le moment, il faut l’ancrer en nous.

Pour cela, j’ai deux atouts. La répétition est le premier. Le deuxième est le temps lui-même, à travers sa limitation intentionnelle. Une heure c’est peu. C’est justement là l’intérêt. On n’a pas la possibilité de se disperser. Il faut être efficace, concentré, dédié. Au terme de l’heure, même si l’on est au beau milieu d’un passage qui coule de source, s’arrêter est essentiel, quitte à utiliser un réveil ou une alarme.

Cela peut paraître un peu cruel, voire masochiste. On se plaint de ne pas avoir assez de temps pour créer et on se limite volontairement quand l’inspiration est là mais qu’on a dépassé le temps ? Ça ne veut rien dire !

Au contraire.

En faisant cela, j’entretiens une certaine frustration volontaire, qui sera donc contrôlée, maîtrisée, domptée. D’ennemie, elle deviendra mon alliée, pour la simple et bonne raison que le lendemain, le cycle se répétera. Et que ce que je n’aurai pas écrit ce jour-là, je l’écrirai le lendemain. Je serai même impatient de l’écrire. J’aurai peut-être oublié la phrase exacte qui pointait le bout de son nez, mais mon esprit y aura travaillé toute une journée, et aura certainement fait d’autres liens, d’autres créations qui seront profitables. Cette frustration me garantira que je serai ponctuel au rendez-vous, et me permettra d’installer une habitude qui deviendra peu à peu une façon de vivre. Je ne perdrai plus le fil de mon écriture ou de mon intrigue. Je ne perdrai plus mes idées. Elles seront juste remisées dans un coin de ma mémoire pour y mûrir jusqu’au lendemain.

Le Lieu

Une fois que nous avons trouvé notre Moment, la deuxième question importante est de déterminer le Lieu dans lequel accomplir notre rituel de création.

Dans l’absolu, il est vrai que l’on peut créer n’importe où. Cependant, dans l’optique de se créer un rituel, avoir un environnement propice est essentiel. Une habitude se fonde aussi sur des repères sensoriels. De plus, une certaine ambiance peut nous aider à entrer plus vite dans un bon état de concentration.

Je pense donc qu’il est plus efficace de se choisir un lieu qui sera toujours le même.

Et plus encore, de se choisir un lieu agréable. Un lieu où l’on sait qu’on sera confortablement installé. Avec une bonne lumière, notamment. On doit bien sûr tenir compte des contraintes et nous n’avons pas tous accès à un atelier de 300 mètres carrés avec vue sur une forêt ou une chaîne de montagnes. L’essentiel est de s’aménager un endroit où l’on se sent bien, où l’on a envie de rester un peu, où l’on se sent apaisé.

Pour ma part, j’ai la chance d’avoir un bureau très agréable chez moi, mais je n’y suis donc que deux jours par semaine. J’ai donc investi la salle de repos de mon cabinet médical le reste du temps.

La Musique

Il existe deux écoles parmi les artistes : ceux qui aiment créer en musique, et ceux qui préfèrent le silence.

Vous l’aurez compris, je fais partie de la première espèce.

Pourtant, au final, il s’agit bien de la même chose : se confectionner un environnement sonore propice à la concentration. Les sons nous parviennent quoi que nous fassions car, alors que nous pouvons facilement fermer les yeux pour ne plus voir, nous pouvons difficilement fermer les oreilles pour ne plus entendre. Il est donc important de savoir si l’on préfère peupler son environnement de sons choisis (la musique) ou de silence, qui peut aussi être considéré comme une autre forme de musique. Car le silence total n’existe pas, sauf peut-être dans l’espace (où l’on ne vous entendra pas crier… mais c’est une autre histoire).

Les sons forment une sensorialité omniprésente dans notre vie, donc, ce qui explique qu’ils tiennent une si grande place dans mon rituel.

Peu importe si vous aimez le death metal ou la salsa, le funk ou la musique classique, l’essentiel est de choisir la musique qui vous convient. Vous pouvez vous constituer une playlist sur mesure. Ou vous pouvez vous servir de celles que les services de streaming musical vous concoctent régulièrement. C’est mon choix personnel. Chaque semaine, le service me propose une liste de lecture basée sur mes goûts musicaux. J’ai choisi d’utiliser ce mix de mes morceaux préférés comme compagnon d’écriture pour mes séances. Il change toutes les semaines, ce qui m’aide aussi à marquer le passage du temps.

Couper les distractions

Nous l’avons vu, l’état de flow se caractérise, un peu comme les autres états de conscience modifiés, par une oblitération aux stimuli extérieurs, une abstraction des distractions. Si l’on veut favoriser son émergence, il est indispensable de couper toutes les sources potentielles de distraction qui ne pourraient pas nous inspirer dans ce que nous créons.

Sans forcément opter pour le mode «anti-distraction» des applications d’écriture modernes (Ulysses, Scrivener ou autres) que je trouve personnellement trop extrémistes dans leur manière de nous plonger dans un environnement froid (noir ou blanc) et une police de caractère de type machine à écrire qui ne me convient pas, voire qui nous imposent un style de musique censément zen (type new age, un style que je peux aimer mais pas tout le temps) un peu monotone, il me semble nécessaire de poser comme règle d’or dans mes moments d’écriture l’interdiction de tout dérangement.

Donc, lorsque j’écris, je m’assure que toutes les personnes présentes sachent qu’il ne faut me déranger que si la maison brûle (de manière à ce que je puisse sauver le manuscrit et éventuellement ma peau) ou bien entendu de péril imminent.

Je quitte l’application de messagerie électronique, les mails, les messageries instantanées. N’étant plus sur les réseaux sociaux, je n’ai pas à me soucier de les couper le temps de mon rituel d’écriture, mais si vous avez encore un pied dans ces pièges attentionnels, je ne peux que vous encourager fermement à bloquer toutes les communications pendant que vous écrivez ou créez.

Je mets mon téléphone en mode «avion». Ou bien je l’éteins carrément.

L’idée est de considérer que durant cette heure-là, je ne suis pas disponible, donc pas joignable.

Je me retire dans un lieu symbolique de création, donc à la fois hors du monde et dans un monde autre (à défaut de l’Autre Monde celte que j’aimerais pouvoir visiter un jour). Dans ce monde, rien ne peut venir perturber ma concentration.

Par contre, j’ai besoin de laisser mon esprit avoir accès à des sources de documentation externe, donc à un navigateur internet, car parfois j’ai besoin de vérifier une information, un fait, une définition. J’ai aussi besoin de musique, comme on l’a vu plus haut, et parfois certains morceaux vont devoir changer selon mon humeur et la teneur, l’ambiance, de ce que j’écris. Je dois donc avoir accès aux contrôles de l’application de lecture musicale, au choix des morceaux, voire des listes de lecture.

C’est aussi pour cela que disposer d’un lieu bien éclairé et si possible avec une vue sur un paysage naturel m’aide énormément. Car parfois, il est nécessaire de laisser son regard errer plus ou moins vers l’extérieur pour que la concentration se recharge. Par exemple, alors que j’écris ces lignes, je vois le chat des voisins qui parcourt nonchalamment notre jardin, et ça me fait sourire, et étonnamment cela contribue à ma concentration.

Les étapes et la progression : du minimal change à la brique narrative

Fractionner la transe hypnotique est l’un des moyens que l’on utilise pour paradoxalement l’approfondir.

Vous aurez compris que l’édifice de mon rituel se base sur ce principe.

Je fractionne mon écriture dans le temps (une heure chaque jour), pour approfondir mon habitude.

Mais je fractionne aussi physiquement mon texte.

En effet, l’un des moyens les plus efficaces pour entretenir la motivation (et ce dans n’importe quel domaine) est de donner au cerveau la sensation d’un résultat sensible. Plus il verra que les résultats sont substantiels et réguliers, plus il engrangera de la satisfaction, et plus il sera entraîné à continuer.

Cependant, il est fondamental de lui fixer des objectifs qui soient atteignables et mesurables.

Le mieux est même de lui fixer des objectifs facilement atteignables au départ, quitte si l’on en a envie, à les augmenter par la suite, mais ce n’est pas nécessaire. Cela pourra éventuellement se faire plus tard.

L’essentiel est d’appliquer ce que l’on appelle d’un anglicisme facilement traduisible le minimal change. Le plus petit changement possible. Ancrer une habitude qui demande de la discipline peut être difficile à obtenir, car je vous rappelle que toute cette dynamique est sous la menace d’un déséquilibre des forces en présence au profit du Défaiseur et de ses alliés entropiques. Réussir demande donc de montrer à notre cerveau que le changement est possible. Voilà pourquoi le changement doit être visible, mais le plus petit possible pour ne pas demander un trop gros effort qui renforcerait le Défaiseur.

Il est donc nécessaire de trouver à mesurer notre progression.

Non pas pour le chiffre et la performance (vous savez que je déteste ça). Mais bien pour entretenir la motivation et montrer à mon cerveau que oui, je continue à avancer sur le chemin qui me mènera jusqu’à avoir terminé la rédaction de mon bouquin.

On pourrait se donner un objectif purement chiffré en nombre de pages (genre 1 page par jour), ou en nombre de mots (1000 par jour, comme certains auteurs de mes amis).

Personnellement je trouve que ça manque de sens. Le chiffre n’étant pas important en soi pour moi, il ne me satisfait pas. Je ne peux pas m’en contenter. J’ai besoin que la mesure de ma progression ait une signification.

C’est pourquoi je trouve plus intéressant de me servir de mon découpage du texte.

Quand je construis mon intrigue, je le fais en imaginant un cheminement de narration, une sorte de voyage du lecteur dans sa découverte de l’histoire, qui mélange à la fois la progression chronologique de l’histoire, la progression de la narration (ce qui n’est pas toujours la même chose), la progression de l’évolution des personnages, des événements. Je découpe donc mon livre en parties, chaque partie en chapitres, chaque chapitre en scènes. Ça, c’est ce que tous les écrivains font.

Je vais plus loin, en découpant chaque scène en sous-scènes, et parfois chaque sous-scène en actions.

J’ai emprunté ce découpage au cinéma, qui base toute sa grammaire narrative sur l’élément fondamental du plan pour en faire sa brique narrative. Chaque brique permet de savoir ce que l’on va observer sur l’écran. Un gros plan, un plan d’ensemble. Ce qui sera exprimé à l’écran, quel dialogue, quelle lumière. Quel mouvement de caméra. C’est l’unité fondamentale de la construction d’un film.

Je trouve que cela permet une grande liberté et une grande finesse dans l’élaboration d’une intrigue.

Mais pour rester dans notre propos de l’installation d’un rituel d’écriture, cela me donne une base de mesure facile de ma progression, non pas en substitution de la mesure chiffrée, mais en complément, afin de lui donner plus de sens.

De façon pratique, c’est l’une des raisons pour lesquelles j’adore travailler sur Scrivener, et plus sur un traitement de texte classique comme Word ou LibreOffice Writer.

Scrivener permet à la fois de découper et organiser un texte en briques narratives (qu’il appelle scrivenings) qui sont flexibles à l’infini et selon mes besoins, agençables en scènes, puis en chapitres, puis en parties, voire en plusieurs livres se répondant l’un l’autre et donc de construire une œuvre de façon fractale.

À chaque scrivening, j’associe un objectif en nombre de mots, selon l’importance que je veux lui donner en poids dans le récit. Par exemple, une scène très importante sera détaillée et aura un grand nombre de mots dans son objectif. Disons 2000. Une autre scène pourra être très peu importante, et pourra «peser» seulement 500 mots. Bien évidemment, cela peut bouger dans le temps en fonction de l’évolution de mon projet. Mais cela forme une fondation.

Ma progression se mesurera de deux manières à chaque séance d’écriture.

D’abord, je vais choisir quelle brique narrative je vais travailler. Cela me permet de travailler dans l’ordre que je veux, celui que je sens le mieux selon mon humeur. Par contre, lorsque je m’attaque à l’écriture d’un scrivening, donc d’une brique narrative fondamentale, je m’y tiens jusqu’à ce que cette brique soit totalement rédigée, et je ne change jamais en cours de route, jusqu’à ce que son statut change une fois. Quitte à ensuite, lorsqu’elle est posée, m’attaquer à la rédaction d’une brique narrative située bien avant ou bien après dans le récit. Mais lorsque j’ai terminé mon travail de rédaction sur une brique narrative, je passe son statut (chaque scrivening a un statut permettant de savoir où l’on en est de son élaboration) de «À écrire» à «Ébauche» puis «Premier jet», puis «Corrections stylistiques», enfin «Corrections orthographiques». Cela forme un objectif majeur dans mon rituel. Chaque scrivening qui avance ainsi dans son statut me donne une satisfaction me poussant à continuer.

Scrivener m’indiquera ensuite à chaque session combien de mots j’ai réussi à produire, avec deux barres de progression. L’une propre au scrivening en cours, l’autre suivant un objectif total du manuscrit. Chacune m’aide à me situer dans mes efforts. La première est tactique et me guide dans mes séances au jour le jour. La deuxième me montre à quel point le projet dans son ensemble avance vers sa conclusion, pour suivre la stratégie globale d’écriture du livre.

Plus tard, je peux aller voir les statistiques et l’historique de mes séances d’écritures, et rétrospectivement me féliciter d’avoir tenu la distance et d’avoir bien travaillé. Mon cerveau en sera encore plus motivé.

Conclusion

Tout ceci est ma façon de faire. Elle est très personnelle. Cependant, vous pourrez peut-être y trouver quelques principes ou quelques astuces qui serviront à la construction ou à l’amélioration de votre propre rituel.

Pour ma part, cette méthode fonctionne bien, depuis maintenant trois mois, sans discontinuer. Elle m’a permis de me reconnecter durablement au plaisir d’écrire. Le moindre de ses mérites n’a pas été celui de contribuer à me rendre un équilibre de vie satisfaisant malgré ma charge professionnelle. Le plus important a sans doute été qu’elle m’a à la fois donné la preuve que je pouvais reprendre la maîtrise de ma vie et rendu fier d’y parvenir.


  1. Certains même parlent de guerre, comme Steven Pressfield dans son essai The War of Art, un livre que je confesse ne pas avoir lu mais dont le titre a fait écho en moi, en référence au célèbre Art de la Guerre de Sun Tsu.  ↩
  2. D’après l’univers développé par Orson Scott Card dans la saga d’Alvin Maker, Alvin le Faiseur.  ↩
  3. Libérez votre créativité, publié en France chez J’ai Lu  ↩
  4. C’est souvent comme cela que naissent les changements…  ↩
  5. Oui, je suis adepte des mots anciens, et cette «insulte» est pour moi d’un charme fou. J’assume…  ↩
Outils & astuces pour écrire depuis plusieurs ordinateurs

Outils & astuces pour écrire depuis plusieurs ordinateurs

Il est en de l’écriture comme de toutes les autres activités humaines : une pratique en constante évolution au fil des siècles et des outils inventés pour la faciliter et l’améliorer. Les tablettes de cire gravées à l’aide d’un stylet, les rouleaux de papyrus (Égypte) ou de bambou (Chine) encrés grâce à des calames, les vélins enluminés, ont cédé la place aux plumes et aux papiers. Puis ce furent les machines à écrire dactylographiques. Puis les ordinateurs et leurs traitements de texte.

Et de nos jours, le texte (mais aussi l’image, parfois) n’est plus cantonné à un support unique. Il est autant virtuel qu’ubiquitaire car les outils actuels s’appuient beaucoup sur le stockage en ligne, dans le fameux (et fumeux) nuage électronique de nos données.

Le processus créatif est imprévisible par nature. Il fait surgir des idées de façon brusque, presque incongrue parfois. Et chaque artiste, depuis toujours, a trouvé ses propres techniques, ses propres astuces, pour apprivoiser ce bouillonnement et capturer chaque idée, puis pour en organiser le chaos, en ordonner le flot, et en faire surgir l’œuvre aboutie.

Beaucoup d’entre nous sont d’ailleurs en quête constante du flux parfait, celui qui nous conviendra encore mieux. C’est, je crois, une quête consubstantielle à la création.

C’est pour cela que je suis avec intérêt autant qu’amusement les essais de mes camarades comme les miens.

Car ma pratique de l’écriture, et peut-être aussi la vôtre, est tributaire du temps que j’ai à lui consacrer. Parfois j’ai du temps quand je suis chez moi, parfois j’ai du temps lorsque je suis ailleurs que chez moi.

Il m’arrive de noter rapidement quelques mots ou quelques phrases sur un bout de papier, mais quand j’ai vraiment du temps pour écrire en dehors de chez moi, il est important que je puisse me référer à ce que j’ai déjà pu rédiger, aux notes que j’ai prises chez moi, à tout un tas de références. Que je n’ai pas dans un carnet car cela prendrait trop de place pour être transporté. J’ai déjà une lourde mallette à emporter presque partout avec moi pour mon métier.

Je dispose par contre de mon ordinateur portable, un MacBook Pro qui rend de fiers services, même s’il n’est pas doté du clavier le plus agréable que j’aie connu.

Donc, comme beaucoup d’entre nous, j’ai choisi de synchroniser mes deux ordinateurs : Tezcatlipoca, le Miroir Fumant de 27 pouces qui me sert de machine principale à la maison, et Paracelse, mon MacBook Pro qui me suis jusqu’au cabinet dans lequel j’exerce.

Oui, je donne des noms à certains de mes objets. Nous pourrons en discuter une autre fois, et je suis sûr qu’en entendant certains de mes arguments vous trouverez cette habitude moins puérile qu’il n’y paraît au premier abord.

Pour le moment, le fait essentiel est que Tezcatlipoca et Paracelse sont synchronisés sur mes travaux d’écriture en cours. Une fois terminés, les fichiers réintègrent la seule mémoire de Tezcatlipoca, tout en étant sauvegardés ailleurs, au cas où.

C’est pour cela que je voudrais ici vous présenter quelques astuces qui me permettent de commencer un texte chez moi, et parfois de le poursuivre quand j’ai du temps entre deux patients, de le reprendre et de le terminer de retour à la maison, le tout dans une fluidité presque parfaite. Presque. Ne rêvons pas, la perfection n’est pas de ce monde.

Mais si vous utilisez les mêmes outils que moi, peut-être que vous pourrez trouver dans les paragraphes qui suivent deux ou trois choses qui vous faciliteront la vie.

Il est possible d’ailleurs que cet article évolue au fur et à mesure que je dénicherai pour vous de nouvelles astuces, ou que j’en trouverai pour de nouveaux outils.

Le nuage et sa pluie de données

Alors bien sûr, vous aurez deviné seuls que tout mon système repose sur le nuage, le cloud, bref, un stockage de données accessible à chaque machine du flux via internet.

Mais pas n’importe lequel.

Un nuage privé.

En clair, un disque dur réseau branché chez moi, qui stocke mes données comme un nuage type Dropbox, Drive, ou iCloud pour les redistribuer à chaque ordinateur branché sur son flux, en permanence.

Pourquoi un nuage privé ?

Pour deux raisons principales.

La première est que je déteste l’idée que des firmes américaines aient des copies de mes fichiers sensibles. Bien évidemment, je ne stocke pas des secrets d’État (à la différence d’Hilary Clinton qui s’était faite épinglée lors de l’élection américaine de 2016 à cause de cela), mais la loi américaine est moins protectrice que les lois européennes et par principe, je pense que ce qui est privé doit rester privé.

La deuxième raison est que les nuages commerciaux sont hébergés dans des centres de données qui consomment énormément d’électricité pour leur fonctionnement mais plus encore pour leur refroidissement. Avoir un petit nuage chez soi consomme assez peu et votre disque dur réseau n’aura besoin que d’un simple ventilateur intégré, pas de centaines avec passages de fluides. La facture énergétique est donc beaucoup plus légère ainsi que la consommation en ressources.

Il existe aussi une troisième raison, mais je n’ai pas vraiment calculé donc elle est simplement intuitive (donc potentiellement erronée), son coût est plus avantageux. Car pour un investissement de départ assez peu important (achat du boîtier réseau et des disques durs à mettre dedans), je dispose d’un espace de stockage plutôt conséquent (dans ma configuration potentiellement 3 To, oui, vous lisez bien, trois téra-octets). Cela coûterait assez cher tous les mois si je décidais de m’offrir le même stockage chez un fournisseur.

Cela dit, les petites astuces que je vais vous livrer plus loin fonctionnent également avec Dropbox, OneDrive, et les autres. Sauf iCloud, qui pour l’instant est un peu plus fermé.

La seule chose à savoir d’important est que ces nuages, privés ou publics, vous allouent une zone où vous pouvez déposer vos fichiers comme vous l’entendez. Vous pouvez même les organiser comme bon vous semble.

Cela permet un principe simple qui est la base de mon flux : les données partagées par mes deux ordinateurs, Tezcatlipoca et Paracelse, sont paramétrées pour être trouvées par chaque application sur le nuage privé. C’est le cas des textes que j’écris, mais aussi et surtout des réglages de chaque application, ce qui m’offre un confort extraordinaire : retrouver un environnement de travail familier complètement paramétré sur les deux machines, comme si elles n’en formaient qu’une seule.

Le principe universel… sur Mac

Je sais, tout le monde ne travaille pas sous Mac.

Mais c’est mon cas, donc ces astuces seront, je le crains, valables seulement sur cette plateforme, sauf si une version Windows existe pour une application en particulier, comme c’est le cas pour Scrivener.

En pratique, je crée un dossier «réglages» dans mon espace synchronisé, où je glisse les fichiers qu’utilise l’application en question pour enregistrer mes préférences. La seule difficulté consiste à trouver ces fichiers et à demander à l’application d’utiliser un emplacement spécial : celui de votre nuage.

Scapple

Il y a quelques années, j’utilisais beaucoup MindNode pour concevoir mes cartes heuristiques (oui, je me sers de cartes heuristiques notamment pour concevoir les intrigues de mes romans, de mes scénarios de jeu de rôle, et beaucoup d’autres choses encore). Puis j’ai découvert Scapple. Sorti de la même forge que Scrivener, il s’y intègre très bien. Mais surtout, il laisse plus de liberté sur la disposition des idées et les liens entre chaque nœud.

Il a cependant un gros défaut : sa façon de gérer les styles des nœuds est archaïque, pour le moins.

Ainsi, il est impossible de créer un fichier de styles qui serait partagé sur vos deux ordinateurs.

L’astuce est que Scapple peut par contre parfaitement importer les styles d’un autre document Scapple.

Il suffit donc de créer un document Scapple qui vous servira de légende pour vos cartes heuristiques, de le placer sur votre nuage. Et de demander ensuite, lorsque vous créerez un nouveau document qui devra respecter les mêmes codes pour identifier des nœuds précis, Format > Note Style > Import Note Styles... en spécifiant le nom de votre document de référence.

Typinator

J’ai longuement hésité avant de choisir un logiciel d’expansion de texte. J’avais bien sûr lu les louanges que Lionel Davoust a déclamées plusieurs fois sur TextExpander. J’ai hésité, puis je me suis décidé à tenter l’expérience, et il est vrai que ce genre de logiciel fait gagner du temps, même si pour moi, c’est plutôt paradoxalement dans mon métier et pas dans l’écriture proprement dite.

Si, je vous assure, c’est plus facile de taper «strptn» que d’écrite à chaque fois «streptotest négatif». Je suis formel, j’ai fait l’essai. Je fais moins d’erreurs, et je vais plus vite.

Car, pour ceux et celles d’entre vous qui ne connaissent pas les expanseurs de texte, le principe est simple. Vous définissez une abréviation qui sera automatiquement développée par le logiciel à chaque fois que vous allez la taper au clavier.

Il faut écrire souvent les mêmes mots ou les mêmes expressions pour que ce soit utile.

Parce qu’on peut donner une abréviation à un mot, une suite de mots, une phrase entière (comme une formule de politesse par exemple) ou même un paragraphe complet, voire un texte stéréotypé.

J’ai personnellement choisi Typinator pour deux raisons : je suis uniquement sous Mac (je n’aime pas vraiment écrire sur mon iPhone ou mon iPad, je n’ai donc pas besoin d’une application présente sur iOS), et je déteste les logiciels qui sont commercialisés via un abonnement (ce que fait hélas TextExpander).

Il faut donc paramétrer vos propres abréviations, les tester, et les modifier si besoin.

Comment faire pour qu’elles soient synchronisées entre Tezcatlipoca et Paracelse ?

Dans la fenêtre de Typinator, il suffit de cliquer sur Préférences. Puis dans l’onglet Expansion, en bas, vous trouverez un chemin d’accès au dossier des jeux d’abréviations. Il vous suffit de cliquer sur Modifier... puis vous choisissez le dossier de votre nuage où vous allez déposer vos réglages. Vous sélectionnez, et voilà le travail !

Il ne vous reste plus qu’à faire de même sur votre deuxième ordinateur.

Dorénavant, dès que j’ajoute, modifie, ou supprime un réglage d’abréviation sur Tezcatlipoca, il est répercuté automatiquement sur Paracelse, et inversement.

Scrivener

Scrivener est un outil d’écriture fantastique.

Mais il a un gros souci sur la synchronisation qu’il est censé permettre. Outre le fait qu’elle n’est prévue pour fonctionner qu’avec Dropbox (ce qui est un peu léger, quand même), il ne s’agit pas d’une véritable synchronisation, mais plutôt d’une sauvegarde déportée. En effet, vous ne pourrez pas vous en servir pour faire du travail collaboratif car le système ne permet pas à deux copies du même document d’être ouvertes en même temps.

Ceci posé, si comme moi vous êtes seul à travailler sur vos textes, et que comme moi vous n’avez pas encore acquis le pouvoir de vous trouver à deux endroits en même temps, cela ne devrait pas vous poser de problème majeur. Car vos besoins seront simplement de pouvoir reprendre sur un ordinateur là où vous vous serez arrêté avec un autre. Une sauvegarde déportée fera très bien l’affaire.

Ceci pour le texte lui-même.

Mais pour les Modèles de Projets ? Pour les formats de Compilation ?

Et pour vos réglages ?

Car Scrivener est un outil d’écriture fantastique.

Mais il regorge de réglages fins et complexes.

Et une fois qu’on a enfin trouvé à les paramétrer, tout recommencer sur une deuxième machine sans rien oublier est… presque impossible. Alors voilà comment je me débrouille.

Le projet lui-même (le texte)

L’astuce est assez simple.

Pour que vous puissiez retrouver votre texte dans l’état où vous l’avez laissé sur votre précédente machine, il suffit de placer le fichier (il a une extension en .scriv) dans un dossier de votre nuage privé. Vous l’ouvrirez toujours depuis cette zone tant que vous n’aurez pas fini de travailler avec.

Il y a une précaution à prendre pour ne pas se retrouver avec un conflit (Scrivener ne saurait pas quelle version de votre texte garder si n’aviez pas laissé votre copie distante se synchroniser correctement, celle sur votre ordinateur, ou celle sur votre nuage privé).

À chaque fois que vous fermez le document en cours, laissez le temps à votre système de nuage de synchroniser le fichier c’est-à-dire de le transférer sur votre Dropbox ou votre disque dur réseau. Cela se voit en général à la petite pastille verte que votre système indique à côté du fichier. Si ce n’est pas le cas, vous devriez voir une pastille rouge ou alors, lorsque la synchronisation est en cours, une pastille bleue avec deux flèches circulaires.

À partir de là, vous pouvez sans inquiétude ouvrir le même fichier depuis votre autre ordinateur. Et retrouver votre texte dans l’état où vous l’aviez laissé.

Je sais que cette façon de faire n’est pas recommandée par les créateurs de Scrivener, encore qu’ils donnent la même astuce que moi ici, mais pour moi, ça marche vraiment parfaitement.

Réglages de l’application : Préférences

Vous les trouverez dans Scrivener > Préférences...

La personnalisation de l’interface peut aller très loin. Je vous laisse l’explorer, au besoin en vous servant du manuel très complet (bien qu’en anglais) accessible à partir de Aide > Manuel de Scrivener. Peut-être qu’un jour je vous donnerai quelques astuces concernant Scrivener lui-même, d’ailleurs. Si vous êtes sages…

Mais pour transférer vos réglages d’un ordinateur vers l’autre, il suffit de cliquer sur le petit menu déroulant Gérer... qui se trouve en bas à gauche de la fenêtre des préférences et de sélectionner Save Preferences to File... (oui, Scrivener n’est jamais totalement traduit en français).

Vous déterminez un endroit sur votre nuage privé pour enregistrer le fichier des réglages.

Puis sur votre deuxième ordinateur, vous cliquez toujours sur le menu déroulant Gérer... dans les préférences et sélectionnez Load Preferences from File...

C’est aussi simple que cela.

Modèles de Projets

Les modèles de projets sont des structures de fichiers Scrivener qui permettent de gagner du temps dans l’organisation de votre texte comme dans quelques réglages qui ont trait à votre document lui-même. Par exemple les statuts que peuvent prendre vos morceaux de texte. Personnellement j’ai défini ces statuts comme étant, dans l’ordre chronologique de progression de mon écriture :

  • À écrire
  • Ébauche
  • Premier jet
  • Révisions
  • Corrections stylistiques
  • Corrections orthographiques
  • Définitif

Mais vous pouvez très bien choisir d’en rajouter ou d’en supprimer, de les renommer.

Vous pouvez aussi modifier la structure de votre plan en fonction du type de texte que vous êtes en train d’écrire.

Tous mes articles de blog (y compris celui-ci) sont structurés sous un dossier portant le titre de l’article, en fichiers portant le titre de la section de l’article, et éventuellement des sous-sections. Mes romans sont structurés avec un dossier par partie, regroupant des dossiers par chapitre, et des fichiers qui correspondent aux unités narratives dans chaque chapitre, voire des sous-unités au-dessous.

Cette structure est intéressante pour l’écriture elle-même, car elle aide à se concentrer sur une partie en particulier et à réorganiser la narration ou la démonstration si besoin, mais elle est surtout fondamentale pour exporter votre texte une fois terminé.

Car, nous en avions parlé lorsque je vous avais présenté Scrivener dans ma série d’articles Making of a book, votre texte terminé sera exporté (on dit compilé) pour être mis en forme de façon différente en fonction de l’usage que vous en ferez. Il peut par exemple être transformé en un texte papier avec une marge importante et des interlignes confortables pour être envoyé à un correcteur, ou transformé en fichiers séparés pour construire un livre électronique au format ePub3 comme nous avons appris à le faire dans cette série d’articles. Le tout, si votre structure a été bien pensée au début et que vos formats de compilation sont corrects (un format pour la copie papier de correction et un format pour la création de l’ePub) en quelques clics.

Pour cela, il faut de nombreux réglages, et tout recommencer à chaque fois est trop long, donc Scrivener permet de créer des modèles de projets. J’écris mes articles avec un modèle de projet spécialement conçu (que vous pouvez télécharger).

Pour partager ces modèles d’un ordinateur à l’autre, il vous suffit d’abord de créer votre modèle (ou template, en anglais). Vous le sauvegardez comme un modèle en sélectionnant Fichier > Enregistrer comme modèle... Puis vous choisissez Fichier > Nouveau projet... et Scrivener vous amène jusqu’à la fenêtre des modèles de projets. Vous sélectionnez le vôtre (vous lui avez préalablement donné un nom, bien sûr, et une icône). Vous cliquez sur le menu déroulant Options, et sélectionnez Exporter le modèle... pour ensuite choisir le dossier sur votre nuage privé où vous allez stocker vos modèles.

Sur votre deuxième ordinateur, en ouvrant Scrivener, vous faites Fichier > Nouveau projet... > Options > Importer des modèles... et vous retrouvez le fichier du modèle sur votre nuage.

Vous pouvez donc commencer un nouveau projet sur ce modèle exactement de la même façon sur vos deux machines.

Formats de Compilation

Les modèles (templates) de projet de Scrivener embarquent en général leurs propres formats de compilation, puisque chaque modèle est conçu avec un flux de travail bien précis. Mais il se peut que vous ayez des formats de compilation «passe-partout» disponibles pour plusieurs modèles.

Pour partager ces formats entre vos deux machines, il faut d’abord se rendre dans la fenêtre de compilation (Fichier > Compiler...). Grâce à la roue dentée en bas à gauche, vous pouvez Exporter le format... à partir de votre première machine, enregistrer le fichier obtenu sur votre nuage privé, puis sur votre deuxième machine Importer des formats... et le tour est joué !

Antidote

Antidote est un correcteur orthographique assez bien fichu (meilleur en tous les cas que ceux de Word ou de LibreOffice), et relativement bon marché. Il est disponible sur Mac et sur Windows.

Comme tous les correcteurs, il peut apprendre au fur et à mesure les nouveaux mots que vous pourrez intégrer dans des dictionnaires personnels.

La synchronisation apportée par l’éditeur, Druide, ne concerne finalement que les favoris que vous aurez déterminés (des mots ou des listes de mots) et ces dictionnaires personnels, mais pas les réglages ni l’apparence, que vous devrez paramétrer sur chaque machine (la licence vous offre le droit d’utiliser Antidote sur 3 machines).

De plus, cette synchronisation est une option… payante bien entendu.

Mais il existe un moyen très simple et gratuit pour partager vos dictionnaires personnels grâce à votre nuage privé. Il suffit de savoir où chercher.

Tout d’abord, il faut afficher vos dictionnaires personnels. Cliquez sur Fenêtre > Dictionnaires personnels ou tapez ⌘U et sur le volet de gauche, cliquez sur la roue dentée. Commencez par Créer un dictionnaire. C’est dans ce dictionnaire personnel que vous pourrez mettre les mots que vous allez apprendre à Antidote. Une fois que cela est fait, sélectionnez ce dictionnaire dans le volet de gauche, puis à nouveau avec la roue dentée, cliquez sur Afficher dans le Finder. Une fenêtre va s’ouvrir pour vous montrer l’emplacement du dictionnaire créé.

Il y a deux fichiers par dictionnaire personnel. L’un a une extension en .atq et le deuxième en .xml. Copiez les deux, et déplacez-les dans le dossier de votre nuage privé que vous avez dédié à Antidote.

Ensuite, en revenant sur Antidote lui-même, supprimez votre dictionnaire personnel (cliquez dessus, et via la roue dentée, cliquez sur Supprimer).

Enfin, à nouveau avec la roue dentée, sélectionnez Ajouter un dictionnaire existant. Une fenêtre du Finder va s’ouvrir pour vous permettre de trouver le dossier réservé à Antidote sur votre nuage privé. Vous n’avez plus qu’à sélectionner le fichier se terminant par .atq que vous y aviez copié. À la question que vous pose le système, vous répondez que vous voulez l’original. Et votre dictionnaire personnel est maintenant localisé sur votre nuage privé.

Il ne vous reste plus qu’à allumer votre deuxime machine, à ouvrir la fenêtre des dictionnaires personnels (Fenêtre > Dictionnaires personnels ou tapez ⌘U), à Ajouter un dictionnaire existant avec la roue dentée, répondre que vous désirez l’original.

Votre dictionnaire personnel est désormais partagé entre vos deux machines.

Dès que vous y ajouterez un mot nouveau, il sera disponible instantanément sur les deux.

LibreOffice

Je ne rédige plus directement avec lui, puisque vous avez compris que j’utilise essentiellement Scrivener pour cela, mais LibreOffice peut dans l’étape suivante rendre service pour la mise en forme de documents simples (lettres, ou compte-rendu de réunions par exemple) sans qu’il soit besoin de faire appel à un logiciel de mise en page comme je le fais avec Affinity Publisher pour des écrits longs comme mes romans.

J’ai donc besoin que ma mise en forme soit codifiée pour chaque type de document.

Il suffit de déterminer des modèles de styles.

Ces modèles sont par défaut localisés sur un ordinateur, mais vous pouvez facilement demander à LibreOffice de déplacer son intérêt sur un dossier situé sur votre nuage.

Pour cela, cliquez sur LibreOffice > Préférences... et dans l’onglet LibreOffice de la fenêtre qui s’ouvre (panneau latéral gauche), cliquez sur Chemins puis sur Modèles, et enfin sur le bouton Éditer...

Vous allez découvrir à quel endroit LibreOffice stocke les modèles sur votre ordinateur.

Cliquez à droite sur Ajouter... trouvez le chemin d’accès au dossier partagé sur votre nuage où vous voulez placer vos modèles de styles. Une fois que cela est fait, cliquez sur le rond de sélection à gauche pour en faire le chemin par défaut puis sur OK et à nouveau sur OK.

Ensuite, redémarrez LibreOffice.

Vous n’aurez plus qu’à faire pointer LibreOffice sur votre deuxième machine exactement au même endroit.

Lorsque vous créerez un modèle de styles, il sera enregistré par défaut sur votre nuage.

Conclusion (provisoire)

Bien évidemment, toutes ces astuces étant basées sur l’utilisation d’un nuage informatique, un accès internet est une nécessité. Même si la synchronisation de vos données peut se faire a posteriori également.

On peut d’ailleurs imaginer utiliser le même système avec une clef USB, ce qui élimine le besoin d’une connexion internet mais oblige à avoir en permanence la clef USB contenant les données branchée à l’ordinateur qui est en cours d’utilisation, et de la déplacer à chaque fois que l’on change.

Si vous utilisez les mêmes logiciels, n’hésitez pas à partager vos propres astuces dans les commentaires.

Être éclectique au XXIe siècle, ou comment prendre à rebrousse-poil tous les conseils marketing sur son blog

Être éclectique au XXIe siècle, ou comment prendre à rebrousse-poil tous les conseils marketing sur son blog

«Il est chouette, ton blog… je relaierais bien quelques articles. Dommage que des écrits sur le soin côtoient d’autres sur le jeu de rôle et encore d’autres sur la littérature. Ce mélange des genres ne fait pas vraiment sérieux.»

La remarque était bienveillante et, après en avoir discuté avec l’auteur, avait pour but de déplorer le peu de fréquentation de cet espace virtuel au regard de son intérêt, d’y trouver une explication, et de m’aider donc à conquérir un lectorat plus nombreux. Une bonne intention, donc.

Et c’est vrai. Ce blog n’a pas d’autre ligne éditoriale, comme on dit dans le journaliste ou les maisons d’édition, que mon bon plaisir et mon intérêt pour certains sujets, sans se soucier d’instaurer une thématique unique qui permettrait à coup sûr d’identifier à l’avance de quoi va traiter le prochain article. Il n’y a ici d’autre cohérence que cette multiplicité d’intérêts, justement. Cette curiosité pour des sujets variés.

Cela dit, en creusant bien, on pourrait certainement dénicher un fil rouge : cet espace traite la plupart du temps de ma passion pour les histoires, les contes, la fiction. Et parfois s’y invitent cependant des sujets sans aucun rapport. Sur mon métier, qui n’a pas vraiment de lien direct avec la fiction… quoique, comme dirait Raymond Devos… Les histoires des vies qui se succèdent dans mon cabinet médical pourraient parfois nourrir nouvelles, romans et séries… D’autres médecins d’ailleurs, ont entamé leur carrière littéraire par ce biais-là, tel Martin Winckler. Ce ne serait pas déshonorant pour moi. Sauf que je n’ai pas envie d’écrire sur mon métier, d’en faire un objet de fiction. Je peux m’en servir dans l’écriture de mes propres intrigues, pour leur instiller vraisemblance par exemple, ou parce que cela peut servir le récit (j’ai en tête l’une des explications cliniques des symptômes qui accompagnent l’exercice de la magie par l’un des héros de Rocfou, ou bien une scène d’accouchement en Égypte antique du deuxième millénaire avant Jésus-Christ dans Sur les genoux d’Isis, un roman qui verra peut-être le jour dans quelques années). Mais la médecine n’est pas mon sujet en tant que telle.

Et par conséquent, mon blog peut donner l’impression d’un joyeux capharnaüm.

Ce qui peut être l’une des explications, parmi une multitude d’autres, de son audience confidentielle (pour l’année 2019, en moyenne 458 visites mensuelles, soit un peu plus de 15 par jour) si l’on écoute les conseils avisés des gourous du blogging.

Car si vous avez déjà traîné vos guêtres du côté des sites spécialisés dans l’activité qui consiste à expliquer comment écrire des articles pour attirer le plus de lecteurs sur votre blog1, l’un des premiers conseils que vous allez lire sera celui-ci : trouvez votre niche, le sujet que les gens ont envie de lire, et tenez-vous-y, n’y dérogez surtout pas.

En gros, un blog doit aborder un thème et un seul (sous-entendu : pour avoir du succès).

Autant dire qu’en effet d’écaille & de plume dénote…

Sauf que.

Sauf que cette injonction de spécialisation me déplaît fortement. Elle est même aux antipodes de ce que je suis.

Aux antipodes de ce que j’aimerais voir devenir le monde.

Et c’est cette vision du monde et ce regard que j’aimerais partager avec vous dans cet article.

Le monde (du blog, mais pas que) tel qu’il est

Pour comprendre à quel point le modèle que j’ai envie de promouvoir sur ce site est éloigné du modèle dominant sur la Toile, il faut commencer par brosser le portrait de ce qu’est cette norme, justement. Laissez-moi donc vous faire découvrir les travers de la blogosphère, en précisant d’emblée qu’il existe, bien heureusement et bien évidemment, de nombreux blogs qui ne suivent pas cette tendance sur tous les points, même si Google et Google Analytics sont très (trop) largement répandus, hélas.

Il est aussi entendu que je vais parfois un peu pousser le trait, cela seulement pour montrer la logique sous-jacente.

La suprématie du moteur de recherche

Dans les années 2010, et depuis longtemps, trouver un site internet ou un blog pour la première fois passe dans 90 % des cas par une requête sur un moteur de recherche. Au hasard, et même s’il a maintenant des concurrents2 qui commencent à prendre de l’ampleur… Google.

Depuis des années, ce moteur a écrasé les alternatives, qui sont devenues marginales, jusqu’à imposer son propre modèle à l’ensemble du web, et en dicter de nombreuses caractéristiques actuelles. L’histoire des moteurs de recherche internet est déjà riche bien que jeune, et vous pourrez comprendre en lisant cet article ou même celui-ci, comment Google est arrivé là où il en est.

À la fin de l’histoire (du moins la fin jusqu’à maintenant), c’est donc Google qui domine. Les robots et autres crawlers ne sont certes pas son apanage, et le règne des algorithmes n’est pas seulement de son fait, mais c’est son algorithme qui détermine de fait la politique de visibilité de presque tous les sites existants.

Car le problème essentiel des sites internet, c’est la visibilité. Comment, en effet, trouver son public, son lectorat, alors qu’il existe des milliards de sites et de blogs ? Et pour l’internaute perdu dans la vaste étendue des océans numériques, comment trouver la perle rare ?

Nous avons déjà parlé des flux RSS et des webrings dans un précédent article. Il y eut aussi des annuaires web, des portails qui permettaient d’indexer les sites sur une base volontariste.

Mais ce sont bien les moteurs de recherche, avec leurs algorithmes et leurs robots, qui ont permis de faire avancer le recensement du web à une vitesse fulgurante.

Et la recherche a commencé à se faire à l’aide des fameux mots-clefs, ce que l’on appelle les métadonnées, des balises décrivant le sujet du site ou du blog, le sujet de l’article, son titre, son auteur, etc. Autant d’étiquettes qui permettent de détailler réellement le sujet dont il va être question. L’algorithme compare ces métadonnées avec la phrase de requête, et classe les résultats en fonction de la pertinence de chacun par rapport à la demande initiale de l’internaute.

Premier écueil : comment déterminer la pertinence d’un résultat ? Vous avez certainement comme moi été surpris de constater que le langage naturel n’est pas forcément bien compris par les moteurs de recherche, et qu’il fallait parfois chercher longtemps avant de trouver un site qui convienne à votre demande.

La deuxième question qui se posa ensuite fut la présentation des résultats trouvés par ces algorithmes. Sur des requêtes simples, des millions de résultats de pages internet peuvent facilement avoir été considérés comme pertinents par le moteur. Laquelle ou lesquelles de ces pages privilégier ? Celle qui est considérée comme «plus pertinente» ? On a vu que cela pouvait être hasardeux. Celle qui a le plus de popularité ? C’est le principe même de Google.

Et ce sont donc les sites qui sont considérés par les utilisateurs eux-mêmes comme pertinents qui sont mis en avant par Google. Mais comment ? Tout simplement en se basant sur le principe qu’un site aura plus de visites s’il répond à une demande. En somme, les plus gros sites, les plus populaires, remportent la mise et se voient présenter dans les dix premières places du listing des résultats de votre recherche.

Et ça marche. Je veux dire que cette méthode permet en effet dans de très nombreuses situations de trouver l’information que vous recherchez. Mais dans certains cas, cela peut quand même avoir quelques inconvénients, dont le principal est simple : plus vous aurez de visiteurs, plus vous aurez de chances d’en avoir.

La course à l’audience

Que les choses soient claires : écrire un blog et clamer ne pas vouloir être lu par la terre entière n’est pas une position tenable ni même simplement crédible. Nous voulons tous que notre blog affiche des millions de vues par jour. Ce n’est pas du narcissisme. C’est le même principe de partage que celui qui pousse un écrivain à publier ses écrits, un peintre à exposer ses toiles, un cinéaste à chercher à ce que son film soit distribué dans le plus de salles de cinéma possible.

C’est le propre d’un moyen d’expression que d’être destiné à un public. Le plus large possible.

Tendre vers toujours plus de visibilité et toujours plus de public est donc logique.

Le classement des résultats sur une recherche Google est tel que les dix premiers sont souvent les seuls visités réellement par les internautes à la recherche d’une information précise (je n’ai pas les chiffres sous la main). Et comme nous l’avons évoqué plus haut, Google donne une prime à ceux qui ont déjà beaucoup de visites. Cela entraîne mécaniquement une course à l’audience, les sites ayant le plus de fréquentation étant jugés plus pertinents, donc mieux exposés, et donc récoltant plus encore d’audience.

Ce qui semble intéressant si l’on recherche une recette de charlotte aux fraises : on va forcément la trouver. Mais on va trouver la recette la plus populaire. Peut-être celle qui statistiquement aura le plus de chance de plaire à ses convives. Mais peut-être va-t-on passer à côté d’une pure merveille gustative qui sera mal notée par Google…

Si l’on rajoute à cela la course aux likes et aux retweets venue des réseaux commerciaux, on comprendra que la mesure d’une audience d’un site est devenue le Graal, l’alpha et l’oméga, la pierre fondatrice du web des années 2010 (en attendant de voir ce que cela deviendra dans les années 2020 que nous venons d’aborder).

Mais puisque tout le monde va trouver la fameuse recette de charlotte aux fraises mise en avant par Google sur le premier résultat, la deuxième recette, celle qui est perdue dans les tréfonds du classement, n’aura que peu de chance d’être même essayée. Et tout le monde fera la charlotte aux fraises de la même manière, sans chercher à aller plus loin.

Alors pour éviter cela, bien sûr, il existe des moyens d’influencer l’algorithme de Google, de jouer avec lui, de le tromper, parfois. Dans le but de faire plus d’audience. Et de participer à cette course à l’échalote (aux fraises ? Bon d’accord je sors).

La SEO

Oui, je dis bien la SEO et non le SEO, comme tous les gourous le répètent à l’envi.

Car que je sache, dans Search Engine Optimization, ou Optimisation pour les Moteurs de Recherche, le mot optimisation est bien féminin, en français…

Et maintenant que Maître Capello a glissé son grain de sel dans la conversation, mon exposé peut reprendre.

Il existe, disais-je plus haut, des moyens de ruser avec l’algorithme de Google.

Ces moyens sont regroupés dans la discipline marketing de la SEO.

Discipline complexe, elle vise à optimiser le placement du site dans les résultats de Google (puisque c’est le dominant) en jouant sur tous les paramètres connus de l’algorithme du moteur de recherche. Je dis bien connus, car l’algorithme est le secret le mieux gardé de l’entreprise, donc personne n’a de certitude… même si.

Si vous avez parcouru la page mise en lien sur les explications de Google quant au fonctionnement de son moteur, vous avez pu voir que de nombreux paramètres peuvent influencer la façon dont il va présenter votre site. S’il est optimisé pour les appareils mobiles, il aura plus de chances d’être haut dans le classement que s’il ne l’est pas, par exemple.

Il y a donc toute une série de manipulations possibles à effectuer sur un blog ou un site pour «forcer la main» de Google et vous «propulser» plus haut dans la liste des sites recommandés par le moteur de recherche.

Des dizaines, voire des centaines d’articles vont vous expliquer comment optimiser votre site. Certaines de ces optimisations sont bienvenues (vitesse de chargement des pages, accessibilité, sécurité), mais d’autres m’ont toujours fait dresser les cheveux sur la tête (pour ne pas dire l’inverse, qui est carrément inconfortable).

On vous expliquera par exemple, entre autres conneries billevesées comment bien rédiger un titre, avec si possible le fameux «les x façons de savoir comment les articles de SEO vont faire ressembler le vôtre à un inventaire à la Prévert auquel on aurait retiré toute poésie». On vous expliquera aussi comment rédiger votre texte (non, pardon, votre contenu, pour parler comme il faut). Si possible en se contredisant : beaucoup vous diront qu’il faut privilégier les articles courts et écrire moins de 600 mots (autant dire que sur d’écaille & de plume je dois être classé comme bavard, voire verbeux par l’algorithme), mais environ le même nombre vous dira que finalement, plus de 2000 mots c’est mieux. Et qui a raison ? Personne ne le sait.

Et je ne mentionne même pas les conseils sur le vocabulaire à utiliser (pas trop compliqué, surtout)…

Au final, cela revient à changer votre façon d’écrire dans le but d’augmenter votre référencement.

Donc, pour aller au fond des choses : d’écrire dans le but d’avoir plus de visites, donc d’écrire ce que les gens ont envie de lire, et pas ce que vous avez envie d’écrire vous-même. D’écrire de façon standardisée.

Au temps pour la promotion de l’individualité et de l’originalité.

Google Analytics, comment transformer un blogueur en espion numérique

Google a donc créé Analytics, un code (javascript pour les geeks qui sont parmi nous) à insérer dans certaines parties de votre site pour créer des cookies (les fameux cookies) permettant de suivre à la trace le comportement de chacun des visiteurs de votre site. Dans les moindres détails.

Ce code, installé sur presque tous les sites, car fortement conseillé et poussé en avant comme étant un indispensable plus dans la gestion de votre vitrine numérique, espionne en réalité purement et simplement votre audience.

Grâce à lui, vous pouvez savoir (liste non exhaustive) : tout sur l’appareil qu’a utilisé un visiteur en particulier pour surfer sur votre site (marque, taille de l’écran, résolution de l’écran, navigateur internet utilisé), tout sur l’emplacement du visiteur lui-même (continent, pays, région, ville, adresse IP), tout sur le moyen utilisé par le visiteur pour arriver jusqu’à votre site (adresse du site qui l’a redirigé vers vous, requête complète utilisée sur le moteur de recherche, réseau social éventuel), tout sur le comportement qu’il a eu sur votre site (la première page consultée, les pages suivantes éventuelles et dans l’ordre, son temps de lecture de vos articles, le temps pendant lequel il est resté sur votre site, sur quels liens il aura cliqué, les sujets qui l’auront intéressé ou pas).

Il permet aussi de croiser toutes ces données entre elles et avec d’autres encore, pour trouver l’âge ou la tranche d’âge de chaque visiteur, son sexe, ses centres d’intérêt.

Tout cela vous abreuvera ensuite de statistiques sur votre lectorat, ses habitudes, les articles qui chez vous fonctionnent le mieux, etc.

Objectif affiché : vous permettre de mieux connaître vos visiteurs et d’adapter votre contenu à leurs besoins.

Ce qui est étonnant, c’est qu’Analytics ne choque personne. Tout le monde trouve normal de suivre à la trace les gestes de ses visiteurs… Et bien pas (plus, en fait) moi.

La mesure d’audience sert à quoi, au final ?

Dans le cas d’un petit site comme le mien, à me rassurer sur le fait d’être un peu lu. Et cela, une extension simple et non intrusive comme Jetpack de WordPress peut très bien le faire. Grâce à elle je sais à peu près quelle est mon audience, mais je ne la détaille pas comme un statisticien de chez BVA. Parce que ça ne me sert à rien. Je le sais, j’ai traîné sur les statistiques d’Analytics pendant de longues sessions… et je n’ai rien appris de concret sur ce que ça allait apporter à mon site de savoir quelle était la tranche d’âge de mes visiteurs. J’ai donc fermé mon compte Analytics et supprimé le code sur mon blog. Ce qui accessoirement a aussi libéré mon lectorat de cookies intrusifs…

Dans le cas d’un plus gros site, j’ai du mal à voir ce que cela apporte vraiment.

L’omniprésence de la publicité

Cependant, si beaucoup sont obnubilés par leur classement Google et par l’engagement de leurs visiteurs, c’est surtout parce qu’il y a un enjeu financier à la clef.

Le monde fonctionne grâce et malgré l’argent. Internet ne fait pas exception.

Je parle surtout du fait que créer, héberger, maintenir un site ou blog, sont des activités qui ont un coût. Pour rentabiliser ce coût, ou simplement pour l’amortir, on peut être tenté par la publicité, véritable cancer du net.

Plus votre site va être visité, plus la régie publicitaire va engranger de clics, plus vous serez payé. Vous rentabiliserez votre site.

Personnellement, je ne supporte plus la moindre publicité sur un site internet tant j’en ai été abreuvé durant des années, à grands coups de bannières clignotantes flashy, de boutons qui apparaissent sans crier gare, de fenêtres intempestives qui surgissent comme un diable de sa boîte.

Là encore, comme vos cookies publicitaires auront ciblé votre visiteur, on va lui proposer des publicités en rapport avec son historique de visites. Il est donc plus intéressant que vous ayez une niche bien déterminée, afin de pouvoir nouer des partenariats plus intéressants financièrement.

Il me semble plus sain de construire un véritable site vitrine, qui affiche ce que l’on vend, comme celui d’Aemarielle, par exemple, que je vous conseille de visiter.

Là, au moins, les choses sont claires et le visiteur n’est pas trahi.

La fragmentation du monde

L’un des paramètres les plus pervers mesurés par Google et consorts pour déterminer la pertinence d’un site conduit à considérer qu’il ne doit avoir qu’une thématique, ou du moins doit avoir une seule thématique principale. C’est en tous les cas le conseil que vous trouverez dans tous les articles traitant des «x règles à suivre pour faire de votre site un succès».

Comme le moteur de recherche tente de déterminer la pertinence de votre site, il va se fier à des recommandations. Celles des sites déjà reconnus comme spécialisés dans le domaine de la requête de l’internaute seront très fortement mises en valeur, comme vous avez pu le lire dans les liens précédents.

Ce qui est assez vertueux sur le principe d’un groupe de pairs. Les spécialistes du domaine vous recommandent, vous êtes donc utile et votre site pertinent.

Mais là encore c’est le chiffre qui pose problème. Car Google part du principe que plus vous avez de recommandations par des sites plus importants dans le domaine, et plus vous êtes pertinent. Il vous faut donc obtenir un grand nombre de recommandations par vos pairs. Et cela n’est atteignable que si vous publiez beaucoup d’articles dans le domaine en question.

Donc cela encourage de fait des sites monothématiques.

Okay.

C’est efficace, c’est vrai, pour trouver une information en particulier. Il faut reconnaître que ça marche. Sinon, nous n’utiliserions plus de moteurs de recherche.

Mais j’y vois juste un corollaire qui me déplaît.

Le web se transforme en une infinité de sites traitant chacun d’un sujet en particulier, et un seul si possible.

Comme si chaque domaine devait se traiter indépendamment de tout le reste.

En poussant le trait à fond, cela signifie que chaque domaine sur le net va creuser son sillon sans faire de lien avec d’autres sujets. Un comble quand on songe que le principe même du net, c’est le lien hypertexte !

Le système promu par Google nous incite de fait à voir le monde avec des œillères, en prenant chaque activité humaine isolément. Il pousse à se spécialiser de plus en plus.

Mais comment faire pour voir la globalité du monde ? Comment appréhender sa complexité croissante ?

En suivant la logique de cette façon de voir, l’internet, mais en fait et surtout le savoir humain, devient un kaléidoscope si inextricable que plus personne ne pourrait en dégager une vue d’ensemble. Sauf peut-être une machine. C’est peut-être le véritable but poursuivi, d’ailleurs, puisque je rappelle que Google est très impliqué dans les recherches sur l’intelligence artificielle et sur d’autres thématiques orientées vers le transhumanisme.

Une vision bornée de la vie

Au final, l’internet des années 2010 est orienté dans une direction qui promeut les statistiques de visite, la catégorisation des visiteurs, la spécialisation toujours plus grande, et partant de là une vision un peu bornée du monde et de la façon de l’envisager.

Une vision du monde où il n’est pas sérieux de présenter un article sur le jeu de rôle à côté d’un article sur l’évolution du système de santé en France.

Mais pourquoi cela ne serait-il pas sérieux ?

Deux réponses me viennent à l’esprit.

D’une part on peut considérer que le jeu de rôle est une activité qui n’est pas sérieuse. C’est vrai, quoi, ces grands enfants à peine responsables (au passage, les quadras qui jouent avec moi ont tous des métiers à responsabilité) qui jouent aux cow-boys et aux indiens… enfin, à l’Empire et la Rebellion… ou au Gondor et au Mordor… ils ne peuvent pas être sérieux, et on ne mélange pas du jeu à de la réflexion. Et bien j’ai envie de dire : perdu ! Le jeu est une façon de voir les choses sous un autre angle. De découvrir d’autres façons de faire. D’y réfléchir ensuite. Du moins cela peut l’être.

D’autre part ne sont considérées comme sérieuses par notre société que les personnes qui choisissent une voie sans jamais la quitter, et surtout sans jamais voir ailleurs. On prend pour postulat que maîtriser un sujet interdit forcément de s’intéresser en profondeur à d’autres.

Je soutiens le contraire.

Le monde (du blog, mais pas que) tel que je le conçois

L’exposé qui précède a peut-être été un peu long, mais il me semblait nécessaire pour montrer à quel point la spécialisation était non seulement ancrée dans nos représentations mentales, mais aussi encouragée par l’organisation actuelle des moteurs de recherche.

Or, à mon sens, les sites les plus intéressants ne sont pas forcément ceux qui creusent le même sillon depuis leur naissance (il y en a de très bien et très riches, cependant) mais bien ceux qui mettent en lien les divers domaines du savoir et des activités humaines, ou qui tentent de mettre en perspective leur thème de prédilection avec ces autres domaines. Tel Cosmo Orbüs par exemple, qui explore notre société à travers des productions artistiques et culturelles mais aussi une réflexion de fond sur le transhumanisme, nourrie parfois par des moyens surprenants (comme le jeu de rôle, au hasard).

Voilà donc maintenant venu le temps de présenter mon manifeste pour un éclectisme du XXIe siècle.

Une vision « holistique » de la vie

Il me semble évident que chaque être humain est potentiellement impliqué dans de nombreux domaines et de nombreuses activités. Nous avons tous plusieurs facettes. Nous pouvons être enfants de nos parents, parents de nos enfants. Nous pouvons être un conjoint, une amante, mais également une amie, une professionnelle d’un domaine, un passionné d’un autre domaine. Tout cela à la fois et en une seule personne. Nous pouvons être médecins et devoir bricoler une étagère. Nous pouvons être ingénieurs et aimer cuisiner. Nous pouvons être chaudronniers et passionnés de culture manga.

Nous sommes des êtres multiples, chacun et chacune d’entre nous.

Parce que la vie n’est pas une succession de spécialisations. Elle est une mise en lien de multiples sphères d’activité.

Plus encore, chaque sphère peut se nourrir des liens qu’elle fait avec les autres.

L’art de cuisiner peut parfaitement nourrir non seulement au sens propre, mais au sens figuré, les intuitions de l’ingénieur. L’archéologue qui aura quelques connaissances de cuisine pourra peut-être mieux imaginer dans son métier comment des vestiges épars peuvent s’imbriquer pour former les ruines d’un four à bois antique. L’acteur de cinéma qui veut incarner correctement un marin va sans doute s’intéresser à la navigation, à la vie en mer, et va peut-être nourrir son interprétation de ses propres expériences nautiques.

La vie est multiple. L’expérience de la vie est multiple.

Vivre c’est embrasser tout ce qu’il est possible d’apprendre, et le mettre en lien avec tout le reste.

Partant de là, il est naturel pour moi de considérer que le jeu de rôle sera aussi sérieux que la réflexion sur le système de soin en France. Les deux pouvant naturellement se compléter dans une vision de la vie qui sera globale.

L’authenticité

Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans un grand discours au vocabulaire politico-marketing qui vanterait mes «valeurs».

Authenticité, pour moi ce n’est pas seulement un mot, ce sont des actes. Et aussi des écrits, dans le cas présent.

Assumer qui l’on est

Mon discours ici n’est pas calibré. Il n’est pas fabriqué. Il n’est pas feint.

Lorsque j’ai envie d’écrire quelque chose sur cet espace virtuel, comme lorsque j’écris un livre, j’y mets mes tripes.

Je fais bien sûr attention à ce que j’écris, afin de rester en permanence fidèle à ma ligne de conduite générale, à savoir le respect que tout un chacun mérite.

Et pourtant je ne cherche pas à plaire.

J’écris avant tout ce que j’ai envie d’écrire, et sur les sujets qui me touchent ou me font envie. Sur les sujets qui m’intéressent ou qui me passionnent. Sur ceux que je connais. Sur ceux que je découvre. Sur ceux vers lesquels je fais des liens, de véritables liens qui se transforment ici en liens hypertextes.

Ma pensée, comme la vôtre, fonctionne par analogies, par rapprochements d’idées entre elles. Des idées ou des concepts qui parfois n’ont qu’une lointaine parenté l’un avec l’autre, l’une avec l’autre.

Cet espace n’a d’autre dessein que de me ressembler, au moins un peu.

Il n’est pas un reflet exact, mais vise à une certaine fidélité en intention.

Et si ma pensée est éclectique, si elle fait des liens entre divers domaines qui n’ont a priori que peu de points communs, alors cet espace en sera sans doute à un moment l’expression.

Je ne me limite pas à une profession, à une passion, à une case, ou même à un formulaire avec plusieurs centaines de cases.

Je suis un être vivant et conscient, donc je cherche à embrasser toute l’étendue de ce que le monde veut bien m’offrir.

Je cherche à être moi.

Ici aussi.

Ce qui est « sérieux » et ce qui ne l’est pas…

Et donc ce qui est «sérieux», pour moi, c’est l’intention que l’on met dans le geste, autant que le geste lui-même.

L’enfer en est pavé, je le sais.

Mais l’intention c’est aussi ce qui colore le geste que l’on fait, comme le mot que l’on écrit ou prononce.

Dire bonjour et sourire (sourire vraiment, avec cette intention-là), c’est autre chose que dire bonjour et offrir un sourire calibré de vendeur calculant déjà combien on peut tirer du pigeon à qui l’on serre la main.

On peut donc discuter de sujets graves en étant soi-même manipulateur, donc pas sérieux.

On peut aborder des sujets qui paraissent futiles avec une intention réelle d’en faire émerger quelque chose de surprenant.

Toute la démarche artistique est là : faire émerger quelque chose de surprenant, de plus grand.

L’art est un jeu.

Parce que le jeu c’est sérieux.

C’est par le jeu que, nous tous, nous avons abordé le monde quand nous étions enfants.

C’est par le jeu que notre esprit parvient souvent à saisir ces paradoxes qui fondent notre vie.

C’est par le jeu que nous parvenons à bousculer nos certitudes et à comprendre l’autre.

Et si le jeu de rôle, c’était aussi sérieux, dans ce sens-là ?

Sans se prendre au sérieux.

Sans se croire arrivé à une compréhension totale.

Parce que la vie est mouvement perpétuel, et que nous avons tous, tout le temps, à nous adapter à ce mouvement.

Ce que nous avons cru éternel un jour est remis en cause quelque temps après, ce que nous avions cru mouvant peut soudainement se pérenniser.

Donc il n’est pas pour moi question de pontifier, d’édicter, de professer, de sentencer.

Il est question d’être moi.

Avec des contradictions, sans doute, que vous aurez peut-être déjà relevées.

Nous sommes tous contradictoires et paradoxaux. C’est la nature humaine. C’est peut-être même la nature de la vie.

Que ceux qui ne sont pas pétris de contradictions le clament, que je puisse dévoiler leur mensonge.

Et au passage, c’est certainement l’une des raisons qui m’ont fait quitter les réseaux prétendument sociaux. La proportion de gens qui s’y croient cohérents en permanence et s’en gargarisent à l’envi en rabaissant les autres a fini de m’en dégoûter.

Le refus de l’affiliation, du sponsoring, de la publicité

Premier acte de cette authenticité : refuser d’entrer dans le cercle pour moi vicieux de la monétisation de cet espace numérique.

Je maintiens son existence sur mes deniers propres, parce que j’en ai les moyens actuellement, et parce que je considère que c’est un plaisir que je m’offre. C’est aussi, soyons honnêtes jusqu’au bout, une façon pour moi de faire connaître ce que j’écris, ce que je produis, ce à quoi je tiens vraiment. Parfois d’ailleurs je l’utilise pour faire connaître des œuvres que j’écris mais aussi celles des autres. Toujours des œuvres qui m’ont vraiment touché.

Et c’est pourquoi ici il ne sera jamais question d’affiliation.

Si mon métier de médecin m’a appris quelque chose sur l’indépendance, c’est bien le refus des conflits d’intérêts. Il est pour moi évident qu’un tel conflit est inévitable si l’on entre dans le circuit des affiliations, sponsorings et autres partenariats. On est immanquablement confronté à des biais qui emprisonnent l’esprit et empoisonnent les écrits.

De la même façon, ici, il n’y aura jamais de publicité.

Je suis devenu allergique aux publicités, vraiment.

Je fuis les sites qui en affichent. Et ceux que je ne peux pas fuir, je les lis soit grâce au RSS, soit en activant un bloqueur.

Je me suis demandé si le mécénat numérique, type Patreon ou Tipeee, pouvait être une façon de pérenniser l’existence de ce site. Le mécénat me semble parfaitement respectable, car il est une démarche active et volontaire du mécène, pas un matraquage éhonté de publicités de la part de l’auteur du site, ni une activité un peu honteuse de demi-mondain aliénant sa liberté pour un peu d’argent (je suis volontairement caricatural).

Pour le moment je ne me sens pas légitime à proposer un mécénat, mais peut-être que cela changera un jour. Je vous explique plus longuement pourquoi ici, en même temps que je décris comment je désire remplacer le mécénat d’argent par un mécénat d’implication.

Dans l’intervalle, d’écaille & de plume restera financé uniquement par mes propres ressources, ce qui me semble être un gage d’indépendance et par là même d’authenticité.

La disparition des statistiques de comportement des utilisateurs

Deuxième corollaire, ce site n’utilise plus, et ce depuis un bon moment, aucune technologie capable de suivre le comportement de ses visiteurs.

J’ai supprimé mon compte Google Analytics, comme mon compte Google tout court, d’ailleurs, mais c’est une autre histoire.

Je ne dispose plus que de statistiques brutes de visites : nombre de visiteurs, de pages lues, sites référents et liens sur lesquels des visiteurs ont pu cliquer. Mais sans mettre en relation ces données entre elles, je ne sais donc pas qui est venu d’où pour cliquer où.

Je considère que ceux qui me font l’honneur de leur visite ont droit à leur intimité.

Je ne cherche pas à en savoir plus sur eux.

Libre à eux, par contre, d’entrer en contact avec moi s’ils le désirent. Ils ont pour cela la possibilité de me laisser un message via le formulaire de contact du site, ou même ma lettre d’information.

Un carnet de bord

Parce que depuis le début, ce site est conçu, pensé, maintenu, comme si c’était vraiment mon carnet de bord.

Une chose personnelle, laissée à disposition, cependant, de ceux qui le trouveraient par hasard sur la Toile.

Je navigue sur les flots numériques de l’internet, et sur les océans de l’existence en même temps.

Ceci est la transcription de mes voyages.


  1. Au passage, l’acte de coller à des règles de marketing dans l’écriture du texte pour attirer le chaland est pour moi la négation même de l’authenticité.  ↩
  2. Par exemple, Ecosia et Qwant commencent à faire partie des référents réguliers pour d’écaille & de plume.  ↩
Une Communauté d’écaille & de plume

Une Communauté d’écaille & de plume

Nous venons de quitter les années numérotées en 10 selon le vingt et unième siècle du calendrier grégorien du monde occidental.

Nous ouvrons une nouvelle période, un nouveau cycle commun.

J’espère qu’à vous tous et toutes, il offrira de vivre en bonne santé, ainsi que de nombreuses découvertes artistiques et d’émerveillements quotidiens.

Comme à chaque ouverture de cycle, nous définissons ou redéfinissons nos buts, nos désirs, nos contraintes.

Cette année, je cherche une nouvelle articulation entre ma vie professionnelle et ma vie artistique.

Une quête, périodique chez moi, qui trouve cette fois un écho dans la réflexion sur ce qui me pousse à écrire et à vouloir être lu, mais aussi sur les moyens d’y parvenir à notre époque, entre offre pléthorique, marketing omniprésent, réseaux dits sociaux surtout commerciaux, financement participatif et micromécénat, œuvres collaboratives, entre-aide et groupes de pairs.

Cela a fait naître deux articles que je vous livre l’un après l’autre.

Deux articles qui tournent autour d’un pivot : la création artistique est pour moi indissociable de l’idée de partage.

L’un parlera de ce que je veux partager sur ce blog et comment je veux le partager.

L’autre, celui que vous êtes en train de lire, traite de ma conception d’un mot que l’on entend très souvent sur le net, la communauté d’un artiste.

The Fellowship of Writing

Un mot pour les trouver, et dans la lumière les lier.

Librement adapté de J.R.R. Tolkien

Tout artiste crée pour exprimer quelque chose. Pour dire quelque chose du monde extérieur ou plus fréquemment de son monde personnel, voire de l’intersection des deux.

Je ne fais pas exception.

J’écris pour être lu, comme j’ai pu interpréter des personnages de théâtre ou réaliser des films pour être vu (au sens que ce terme a pris depuis la belle définition de James Cameron dans Avatar, c’est-à-dire vraiment compris).

J’ai des choses à dire, dont je ne suis pas d’ailleurs forcément toujours conscient avant de les écrire ou de les publier. Une œuvre artistique s’écrit parfois sans se révéler complètement à son auteur, même après quelques années. Mais c’est un autre débat.

Ce qui compte est là : ce que j’ai à dire n’est que chaos stérile s’il n’est pas reçu par quelqu’un, qui entendra, ressentira, comprendra, résonnera, raisonnera à partir de ce message. Comme une pierre jetée dans l’eau provoque des ondes concentriques qui toucheront le rivage au bout du chemin, mes mots sont là pour provoquer une réaction. Il n’est pas même besoin que cette réaction soit dirigée dans le même sens, qu’elle soit en accord complet avec le message. Elle peut parfois être à rebrousse-poil. Peu importe, si le message crée une réaction féconde.

Il s’ensuit naturellement que chaque artiste s’adresse à un public, à une audience.

Si le message qu’il clame parle à quelques personnes, cette audience peut commencer à s’intéresser à son travail, à regarder ses autres productions, à attendre les prochaines, à suivre son parcours, de plus ou moins près.

Peu à peu se constitue une communauté.

Un groupe de personnes qui partagent un intérêt commun, basé sur ce que l’artiste crée, sur ce qu’il ou elle exprime. Suivant la notoriété et la résonnance de l’artiste, la communauté peut être limitée à la contenance d’un local à vélo, ou s’étendre à des millions d’individus.

Pourtant, quel que soit le nombre, chaque membre de cette communauté a une fonction, comme dans la prestigieuse compagnie qui aide un certain Hobbit à porter un anneau maléfique jusque dans la fournaise où il fut jadis forgé. Le but est radicalement différent, mais à l’instar des Sam, Aragorn, Meriadoc ou Boromir, j’aime à croire que chacun et chacune d’entre nous peut jouer un rôle.

J’en vois quelques grandes catégories.

Les plus nombreux sont ceux qui sont touchés par l’œuvre, et qui continuent à suivre le travail de l’artiste. Ils forment la base de la communauté. Leur soutien est essentiel, car ils sont l’audience. Ils reçoivent l’œuvre, voire l’achètent.

Ensuite il y a les évangélistes, ceux qui font la promotion des œuvres de l’artiste qu’ils ont appréciées et contribuent à diffuser plus encore ses œuvres, à élargir le diamètre des ondes concentriques vers d’autres publics. On peut ranger les booktubeuses, les journalistes, les fans inconditionnels, dans cette catégorie. D’ailleurs, leur fonction est également de critiquer l’œuvre, de montrer ses forces et ses faiblesses.

Il y a les mécènes, qui sont prêts à soutenir l’artiste financièrement pour lui permettre d’aller au bout de ses réalisations en supportant les coûts de production en totalité ou en partie, voire en le dégageant de certaines contraintes matérielles pour lui offrir plus de temps à consacrer à son art. C’est le travail principal des producteurs de cinéma, des grandes institutions qui prennent des artistes “en résidence”. C’est une fonction qui se développe, nous le verrons plus loin, dans ce que l’on appelle le micromécénat, accessible à tout un chacun.

D’autres peuvent s’impliquer dans la correction des manuscrits, sur le versant orthographique ou plus profondément, sur le versant de ce que l’on nomme la “bêta-lecture” ou le travail éditorial, une critique en profondeur de la structure d’un récit, des personnages, de leur épaisseur psychologique, de ce qui fonctionne bien ou moins bien dans la narration, avant que l’œuvre ne soit terminée. C’est le travail également des éditeurs dans le monde littéraire.

Enfin, les plus impliqués peuvent co-créer. Il peut s’agir d’autres artistes qui partagent un même univers, ou qui nourrissent leurs créations d’une réflexion en commun. J’y range les illustrateurs qui font émerger les couvertures des livres, les compositeurs de bande originale, les cinéastes qui adaptent certaines œuvres, ceux qui s’inspirent d’une œuvre pour faire naître la leur, les auteurs de fan-fictions.

Je vous accorde que ces catégories sont un peu artificielles, mais elles m’ont servi dans ma réflexion.

Car tout cela a tout de même pour moi une application pratique.

Notre époque a ceci de fantastique qu’elle met à disposition de tous les moyens de créer. Que ce soit d’écrire, de peindre, de dessiner, de composer, de sculpter, il est plus facile de nos jours de se lancer dans une aventure artistique que lors des siècles qui ont précédé. Mais la médaille possède toujours un revers, et en l’occurrence, plus d’accessibilité signifie beaucoup plus d’offre. Et donc moins de visibilité. Tous les écrivains débutants sont noyés dans la masse des milliers, si ce n’est des dizaines de milliers, d’autres. Il est donc beaucoup plus facile d’avoir accès aux moyens de s’exprimer, mais beaucoup plus difficile de trouver un public, d’atteindre une audience.

Il est donc plus difficile encore de vivre de son art, c’est-à-dire de parvenir à ce que la société reconnaisse la valeur d’un artiste au point de lui offrir les moyens de mener une vie matérielle correcte. À côté des rares succès fulgurants, l’écrasante majorité des artistes doit composer soit avec des revenus très faibles (pour ne pas dire indigents) soit avec une autre activité professionnelle offrant une stabilité financière suffisante.

Il est de ce fait devenu impossible pour quelqu’un qui cherche à s’exprimer à travers une activité artistique de le faire sans penser un minimum à la façon dont il va atteindre son public.

J’ai essayé. J’ai bien vu que cela ne menait pas très loin.

Il est donc nécessaire de trouver une stratégie qui permette de trouver une audience, une communauté.

Vous trouverez sur la Toile de nombreux conseils sur ce qu’il est devenu classique d’appeler du marketing (même si ce terme me révulse). Parce que d’autres y ont pensé avant moi, bien entendu. Pourtant, je crois vraiment que, plus que tous les conseils du monde, le plus important est de trouver la façon de faire qui soit la plus en phase avec l’artiste que vous êtes. Cela veut dire trouver votre propre stratégie, à partir de vos forces et de vos faiblesses (nous en avons tous).

En guise d’illustration, et tout autant afin de la servir, car le partage en fait intimement partie, je vais exposer ici celle que j’ai choisi de suivre en ce début d’année 2020 après y avoir longuement réfléchi. Pour ce faire, je vous propose de passer en revue tous les moyens communément utilisés à notre époque et de voir ceux que je vais utiliser en les structurant sur le modèle précédent des rôles.

Vous pourrez trouver aussi un article très intéressant de Lizzie Crowdagger sur son blog (ça date de 2017 mais je trouve la réflexion globale encore valable début 2020) à propos de ce modèle de communauté et de ce qu’il implique dans la création artistique.

Les données initiales du problème

Pour que la stratégie de la communauté ait une cohérence, le plus efficace reste de la tailler sur mesure pour nous-mêmes, ce qui implique bien entendu de déterminer précisément ce que l’on veut mais aussi ce que l’on ne veut pas, ce que l’on peut investir et ce que l’on ne peut pas.

Cela équivaut à se regarder dans un miroir, et à discuter sérieusement avec son reflet dans la glace.

Dans mon cas, la donnée fondamentale est ma dualité de Serpent à Plume.

La plume est mon côté artistique, celui que j’aimerais développer un peu plus avec cette stratégie.

Le serpent, tout aussi important pour moi, reste mon métier de médecin, puisque je désire le conserver, tout au moins dans les années qui viennent, même si cela sera avec des changements.

D’abord, et ce n’est pas le moindre des points à prendre en considération, mon métier m’offre une relative aisance financière (j’ai dit relative, hein, je ne suis pas héritier d’une grande fortune) qu’il serait difficile d’égaler avec le revenu d’une activité artistique littéraire balbutiante. Sans être matérialiste, la vie n’est pas seulement faite d’art, d’amour et d’eau fraîche, mais également de quelques contingences matérielles et de menus plaisirs. Étant lucide sur le succès que mes œuvres peuvent potentiellement remporter, je ne pense pas que mon activité artistique pourra un jour suffire à assurer ma subsistance et celle de ma famille. Je pense au contraire que mon métier me donne la chance rare de ne pas dépendre des ventes de mes livres pour vivre. Il me dégage donc de la pression matérielle, et me laisse la capacité de prendre le temps de mûrir mes projets. Don à double tranchant puisqu’en contrepartie il me prend beaucoup de temps, ce qui bloque parfois vraiment mes envies et mes capacités à écrire comme je le souhaiterais.

C’est donc plus de temps que je manque, comme nous en avons déjà discuté à d’autres reprises. Et toutes les solutions pour développer ma communauté qui empiéteront sur mon temps de création de façon disproportionnée seront à écarter.

De plus, les règles de la déontologie médicale m’imposent de séparer nettement les deux facettes. Il n’est donc en aucune manière question de promouvoir l’une en me servant de l’autre, que ce soit mon exercice de médecin par ma qualité d’écrivain ou mes livres par ma fonction de médecin.

La contrainte fondamentale de tout cela est donc le temps. Il me sera donc primordial de réserver ce temps à ce qui sera pour moi source de plaisir, de création, d’échanges féconds. Et de refuser de perdre ce temps à faire ce que je ne sais et ne saurai jamais faire, sous prétexte de promouvoir ce que j’écris.

Communautés communément rencontrées chez les créatures autoéditées

Vous savez cependant que je préfère le néologisme maison réalisauteur (réalisautrice au féminin, je fais ce que je veux, c’est moi qui ai inventé le mot), mais passons sur cette entorse à ma propre règle.

Pour qui ose tenter l’aventure de se passer d’un éditeur pour produire ses livres, il existe plusieurs moyens pour se faire connaître et développer une communauté.

Un blog

D’abord, les auteurs ouvrent un blog. Ça tombe bien, d’écaille & de plume existe déjà et commence à avoir une petite histoire depuis 2014. C’est certain, il n’attire pas les foules, et vous comprendrez sans doute mieux pourquoi dans le prochain article où je détaille tout ce que j’ai décidé de faire ici et qui ne se fait soi-disant pas quand on veut développer son blog.

Les réseaux dits sociaux

Ensuite, ils sont presque tous sur les réseaux dits sociaux, dans une stratégie que la langue de Justin Bieber nomme le social marketing. Ils y communiquent en se créant une toile de followers qui parfois répercutent leurs paroles, ou interagissent avec eux directement. Ils peuvent y annoncer la sortie de leur prochain livre ou de leur dernier article de blog, y faire des concours pour faire gagner un exemplaire dédicacé, y discuter habitudes d’écritures, techniques avancées, ou parfois de la pluie et du beau temps, voire de leur vie en général. Il y a tout un monde de stratèges qui vous expliqueront comment vous servir des réseaux numériques pour parvenir à promouvoir votre activité et vous promouvoir vous. Nombre de publications concernant votre promotion par rapport au nombre total de vos publications (ratio de 1/6 si je me rappelle bien), comment tweeter, comment retweeter, comment suivre, comment liker, comment écrire…

Certains paient même des annonces publicitaires sur ces réseaux.

Ceci n’est pas pour moi. J’ai essayé. Longtemps.

Mais décidément, soit je suis un asocial, soit les réseaux portent mal leur nom.

Facebook assume presque désormais son vrai visage (jeu de mots ?), celui d’une entreprise dédiée à la collecte et la revente des données de ses clients, sans aucune éthique et sans aucune vergogne, à d’autres entreprises dont le but est la manipulation (hello Cambridge Analytica). On ne m’y a jamais vu. On ne m’y verra jamais.

Instagram, racheté par Facebook, suit presque la même trajectoire, avec une variante, tout de même. Le poids de la publicité y est proche du ratio terrifiant : un espace de réclame pour un post des gens que vous suivez. Et en prime, vos données sont désormais versées dans le grand entonnoir de Facebook. J’ai tenté l’expérience sur les insistances de ma sœur. J’ai bien aimé au début. J’avais même commencé à raconter une histoire en m’astreignant à illustrer avec des photographies, ce que j’appelais mon projet #storygram. Mais l’omniprésence de la publicité m’a dégoûté. Et je suis parti. On ne m’y verra plus.

Twitter. Il me faut reconnaître qu’il y a quelques années, j’adorais Twitter. Un espace où j’ai rencontré plusieurs personnes, des vraies. Mais depuis pratiquement deux ans, Twitter est devenu un lieu étrange. Car maintenant, sur Twitter, tout le monde pense que tout le monde l’insulte ou l’attaque, que tout le monde lui en veut. Un tweet banal et informatif vaut souvent à son auteur une volée de bois vert de gens qui s’arrogent le droit de s’élever en redresseurs de torts et qui sont en constante recherche de combats à mener, quitte à en dénicher là où il n’y en a pas. Twitter est devenu le règne de la colère et de l’instinct de défense, de l’agressivité, de la malveillance. De la paranoïa. Un terrain où des luttes réelles et légitimes (#meetoo) côtoient les pires trolls et les donneurs de leçon et où la propagande s’épanouit. J’ai quitté le réseau le 31 décembre. On ne m’y verra plus.

Il pourrait y avoir les réseaux libres décentralisés, comme Mastodon.

Mais j’ai pris conscience il y a peu d’une tare consubstantielle au concept des réseaux sociaux numériques : ils sont tous des pièges attentionnels (même si cela n’est pas encore démontré scientifiquement, on s’en rapproche peu à peu). Tout est fait dans leur fonctionnement, mais également dans leur interface et plus encore dans leur essence même, pour retenir le plus longtemps possible l’utilisateur, le forcer à scroller indéfiniment sans pouvoir s’en extirper.

En cela, ils participent tous, libres ou commerciaux, au même paradigme de la capture de notre cerveau. Ils nous asservissent. Au lieu d’une démarche active de recherche ou d’une lecture attentive d’un article de bonne taille, argumenté et documenté, le principe d’un réseau social repose sur le changement permanent, la distraction constante. On ne lit que des phrases lapidaires, des punchlines parfois très bien tournées ou senties, mais sans aucun argumentaire. On passe d’un titre accrocheur à un autre. D’un interlocuteur à un autre. Impossible dans ces conditions de se concentrer sur quoi que ce soit.

Impossible également de ne pas rester scotché sur l’écran, dans une posture de passivité extrême, car le flux ne s’interrompt jamais. Notre cerveau est conçu, dans un but de survie, pour capter tout changement dans notre environnement. De changement en changement, le flux de distractions ininterrompu des posts qui se succèdent à l’infini garde notre cerveau en perpétuelle alerte sans lui permettre de poser son attention. Nous devenons des créatures stimulées en permanence. Notre cerveau perd l’habitude de se concentrer.

Je ne sais pas vous, mais moi, quand j’en ai pris conscience, j’ai eu peur. Parce que je me suis rendu compte que cela vampirisait mon temps. La chose la plus précieuse dans ma vie, aspirée à jamais dans un vortex interdimensionnel.

Il est donc évident que pour atteindre une communauté sur les réseaux sociaux, il faut y investir du temps. Beaucoup de temps. Beaucoup trop de temps pour moi, qui n’en dispose déjà que de très peu pour écrire. Donc consumer le peu de temps que j’ai à faire la promotion de ce que je n’avais plus le temps d’écrire… c’était un peu marcher sur la tête…

Une newsletter

Beaucoup offrent sur leur site la possibilité de s’abonner à une lettre d’information, une newsletter, comme dirait Justin. Mais moins nombreux sont ceux et celles qui en envoient une réellement. Pourtant, dans certaines d’entre elles, on peut nouer une véritable communauté. On a le temps de s’étendre un peu plus sur un sujet. On peut recevoir des réponses qui s’adressent spécifiquement à soi, pas à la totalité de l’univers connecté.

Convaincu depuis près de neuf mois, j’ai commencé à envoyer la mienne.

Et je crois que cela a beaucoup de potentiel dans mon cas, comme vous allez pouvoir le lire dans la suite de cet article.

Les salons littéraires

Beaucoup de réalisauteurs et de réalisautrices mouillent leur chemise et sortent de leur bureau pour se rendre dans des salons de littérature. Il y a une multitude de salons de littérature, même dans le genre de l’imaginaire dont je fais partie. C’est pour beaucoup l’occasion de rencontrer des lecteurs et des lectrices en chair et en os, de nouer des contacts, voire de vendre quelques exemplaires. De l’avis général, c’est un gros investissement, mais tous ceux et toutes celles avec qui j’ai pu discuter disent que c’est une expérience qui peut être très agréable.

Je rêve depuis des années de me rendre dans certains, des festivals prestigieux, comme les Imaginales, par exemple.

J’ai commencé il y a deux ans à rendre visite au salon de l’Imagina’livres, qui se tient tout près de chez moi (et qui va même se tenir dans la ville où je travaille en 2020). J’ai pu, comme simple visiteur, faire la connaissance en chair et en os de certains, comme Olivier Saraja et Fred Marty.

Pour passer de l’autre côté du miroir, il me semble cependant qu’il me manque une chose : une bibliographie un peu plus étoffée. Je n’ai à mon actif à ce jour que deux romans, dont un publié de façon classique mais dans des conditions peu satisfaisantes sur le plan des relations éditoriales, malgré l’attachement que je porte à ce texte.

Aussi, je crois que je ne suis pas encore prêt pour cette stratégie qui, je pense, est une des plus fortes pour rencontrer son public et créer une communauté.

Cependant, je projette de m’y intéresser dès lors que Fée du Logis, mon projet actuel, aura enfin vu le jour.

Nous en reparlerons.

Les séances de dédicace

Dans le même esprit, les séances de dédicace dans des librairies ou des lieux plus étonnants pour de la littérature permettent de rencontrer directement son public. C’est une bonne alternative aux salons de littérature, si l’on parvient à convaincre un libraire ou le gérant de l’endroit. Cela demande une organisation, une entente, et quelques démarches qui me semblent indispensables, comme de rédiger et signer un contrat pour que les deux parties (l’auteur et l’organisateur) y trouvent leur compte et soient protégées en cas de problème.

Un gros effort, donc, notamment en investissant du temps.

Mais ce temps peut potentiellement être récompensé bien plus facilement qu’à travers un réseau social.

Les services presse et les booktubeuses

Le milieu de l’auto-édition a acquis une certaine visibilité grâce aux prescripteurs (souvent des prescriptrices, d’ailleurs, d’où le nom de booktubeuses, qui s’est imposé) qui se sont développés sur internet, souvent à partir de YouTube, mais parfois aussi simplement sur des blogs de chroniqueurs ou de chroniqueuses.

Pour être un réseau social comme un autre, avec sa dette attentionnelle, YouTube a un fonctionnement différent dans la mise en avant d’un livre, car c’est souvent l’équivalent d’un vlog, un blog sous forme vidéo. On peut y développer un propos plus construit et cohérent que sur Twitter.

Il suffit pour cela de parvenir à faire lire son bouquin par l’une de ces prescriptrices, en espérant que la chronique sera positive. Puis de s’armer de patience, car la liste d’attente est longue, très longue. C’est pour cela que je n’avais pas franchi le pas lors de la sortie du Choix des Anges.

Mais j’ai bien envie de tenter l’expérience. Et en plus du contact direct, il existe le site SimPlement, qui permet de multiplier facilement les mises en relation.

Le mécénat

Depuis quelques années, internet a permis le développement d’une forme de financement de projets qu’on appelle financement participatif, ou crowdfunding (littéralement financement par la foule). L’idée est de lancer une souscription auprès d’un public potentiellement intéressé par la réalisation d’un projet (littéraire par exemple). Chaque internaute qui soutient le projet paie donc une participation selon un montant prédéfini par le porteur de projet. En fonction du niveau de participation financière que l’internaute décide, il a en échange droit à acquérir le projet une fois finalisé (comme pour une souscription classique, on reçoit le livre une fois qu’il a été écrit), mais aussi à des bonus, dont le plus emblématique est son nom dans les remerciements de l’œuvre. On peut également proposer d’autres contreparties aux souscripteurs, plus originales : des textes inédits autour de l’œuvre, une amélioration du livre physique (signet de lecture, couverture avec verni sélectif).

Est ensuite apparu le micromécénat. Des internautes donnent une somme à un artiste, mais ce n’est pas pour financer un projet en particulier. C’est pour aider l’artiste lui-même, en considérant que l’argent récolté lui permettra de financer ses outils (un logiciel d’écriture, un correcteur orthographique, l’hébergement de son site web) ou de passer plus de temps à créer. Dans ce cas, les internautes donnent une plus petite somme, mais s’engagent à la donner chaque mois. Par exemple, 1$, 2$, 5$. Je parle en dollars américains car le premier site à lancer l’idée a bien évidemment été créé sur le sol américain. Il s’appelle Patreon. Depuis, un équivalent français a été lancé, très en vogue en ce moment, j’ai nommé Tipeee.

Ainsi, c’est bien un artiste qu’on finance, et plus simplement un de ses projets. On devient un véritable mécène.

En contrepartie, en plus des habituels remerciements, il est d’usage de donner accès à des avant-premières, ou à la possibilité de faire un chat vidéo, ou même de rencontrer l’auteur ou l’autrice.

Ce type de communauté a un défaut majeur : il faut déjà avoir une audience prête à soutenir l’artiste. Et mettre de l’argent, même 1$ par mois, alors que nous avons sans doute tous un budget où les abonnements, les charges fixes et autres ponctions récurrentes sont légion, ce n’est pas donné à tout le monde.

Le revenu ainsi dégagé par l’artiste permet peu de choses (quelques dizaines d’euros par mois, en moyenne, ça ne permet pas de vivre), même si bien sûr il y a des exceptions. Cela permet juste de faire face à des investissements basiques ou récurrents et, me direz-vous (et vous aurez raison) c’est déjà ça pour faciliter la vie.

J’y vois pour mon cas personnel trois inconvénients.

D’abord, prosaïquement, le revenu dégagé ne me permettrait pas de m’offrir ce dont j’ai le plus besoin : du temps. Le reste, je l’ai déjà : un ordinateur qui tient la route, un site internet et un hébergement qui va avec et que je paie sur mes propres deniers car je suis assez chanceux d’en avoir les moyens, un correcteur orthographique correct, un logiciel d’écriture fantastique déjà acheté, un logiciel de mise en page professionnelle sans abonnement même s’il est au top. Et des idées, même si parfois elles sont tordues. Il ne me faut pas grand-chose de plus.

Ensuite, étonnamment (ou pas), je ne me sens pas légitime pour demander à quiconque de donner même un seul euro par mois pour soutenir ma création, car les contreparties seraient très aléatoires. Je n’ai déjà pas assez de temps pour écrire ce que je voudrais écrire absolument, alors écrire des contreparties en plus, je ne sais pas quand je le ferais.

Enfin, et c’est sans doute le plus important, j’ai un problème philosophique avec le concept qui met encore une fois l’argent au centre de tout. Car ce système induit que seuls ceux qui vous donnent de l’argent, juste leur argent, peuvent accéder à ces contreparties. Mais qui a dit que l’argent était la seule contribution qui comptait ? Okay, je sais que vous avez quelques noms en tête. Moi aussi. Mais ces noms appartiennent à des écoles philosophiques qui ne me conviennent pas.

Pour moi – et encore une fois, c’est de mon cas personnel qu’il est question, pas de quelqu’un d’autre qui pourra faire des choix différents aussi respectables que les miens – ce n’est pas l’argent qui montre que l’on s’implique le plus.

J’ai plutôt envie de promouvoir une façon différente de participer. Donnez-moi un peu de temps, donnez-moi une voix pour porter mes écrits plus loin. En échange, sans doute y a-t-il des choses que vous pourriez recevoir.

À la limite, j’accepterais les dons d’argent pour ce qu’ils sont. Des dons. Sans contrepartie aucune, à part des remerciements (car ma maman m’a bien élevé et je sais qu’un merci fait toujours plaisir). Mais comme je le disais dans les prémices de ce petit tour d’horizon, ce n’est pas d’argent dont j’ai le plus besoin pour développer mon activité littéraire, alors que je peux parfaitement saisir l’intérêt de cette stratégie quand on se lance comme artiste à son compte sans avoir d’autre source de revenus pour assurer sa subsistance et celle de sa famille.

Les sites d’écriture par épisodes

Si l’on ne donne pas d’argent, que peut-on donner, alors ?

On peut donner de soi-même.

Et c’est le but des sites qui proposent de publier en avant-première à un rythme particulier des morceaux de vos écrits à un public inscrit qui en échange pourra soit vous faire de la promotion, soit vous proposer leurs retours et leurs critiques, soit les deux. Nombreux sont les auteurs et les autrices à avoir adopté les wattpad et autres.

Pour ma part, le bât blesse sur ma régularité d’écriture, d’abord. Je n’ai hélas pas un rythme qui me permet de prévoir que je vais sortir un chapitre toutes les semaines ou tous les mois.

Mais plus encore, je fais partie des gens un peu psychorigides qui ont besoin que leur œuvre soit cohérente. Et donc je ne peux pas présenter mes chapitres au fur et à mesure qu’ils s’écrivent. Parce que souvent ils changent de forme, de place, de taille, de contenu. Jusqu’à la relecture finale.

Il est donc bien entendu que ces sites sont souvent faits pour tester une première mouture d’un texte par exemple. Ou pour s’adapter au fur et à mesure.

Je n’aime pas cela. J’aime avoir mon texte fignolé au maximum avant de le faire lire à mes bêta-lecteurs et mes bêta-lectrices.

Publier ensuite le texte à la découpe, un peu comme des épisodes de série télévisée (dont je suis un grand amateur) une fois qu’il est terminé, je ne dis pas, ça peut se concevoir pour moi. Mais un livre n’est pas exactement une série télévisée. Chaque chapitre ne peut pas toujours correspondre à un épisode. Parfois un épisode correspond à un chapitre, parfois il correspond à un seul paragraphe, parfois il correspond à un livre entier.

Les médias artistiques ont chacun une grammaire narrative propre (ce n’est pas moi qui le dis). Et je crois que si l’on peut emprunter à la série télévisuelle certains codes pour les transposer dans la littérature (ainsi que l’inverse), ce n’est pas possible pour tout. Je n’oublie pas les feuilletons publiés au XIXe siècle par les Dumas et consorts, qui peuvent contredire mon propos. Je dis juste que ce n’est pas ainsi que j’aime actuellement écrire mes bouquins (parce que des scénarios de jeu de rôle, peut-être plus).

Les forums d’entraide entre auteurs

Et les bêta-lecteurs, on en parle, des bêta-lecteurs ?

Voilà justement un soutien important à un auteur.

Et c’est aussi ce que proposent certains forums d’entraide entre auteurs, comme CoCyclics.

La bêta-lecture, cette activité qui ne consiste pas à lire comme si l’on était un imbécile mais au contraire à lire très attentivement un texte avant sa publication en analysant la forme comme le fond pour aider l’auteur ou l’autrice à lui donner ensuite une plus grande cohérence et une plus grande portée, est finalement un début de travail éditorial.

C’est comme participer un peu à la mise au monde d’un enfant littéraire.

C’est aussi difficile : il faut parfois pousser l’auteur à aller plus loin, l’encourager, le contredire, le houspiller, le fouetter (ne faites jamais cela à une femme enceinte, non plus).

C’est aussi long.

C’est aussi émouvant au final.

Mais il faut toujours se rappeler que c’est l’auteur qui aura le dernier mot, même si une bonne collaboration devrait permettre au bêta-lecteur de faire entendre des arguments construits qui vont peut-être faire évoluer le point de vue de l’auteur sur certains points qu’il peut ne pas avoir assez travaillé ou pas avoir réussi à rendre dans son texte.

Participer à un tel forum d’échange me plairait beaucoup. Je me heurte cependant au même problème, celui du temps. Et de plus, j’aime bien connaître un peu avant les personnes qui vont me “bêta-lire” ou dont je vais moi-même devenir le bêta-lecteur. Histoire de partager un peu nos façons de voir.

Ptérophidie

Alors, c’est bien joli, mais finalement, après avoir vu ce que je ne voulais ou ne pouvais pas faire, vous devez vous demander (ou pas) ce que j’ai décidé.

L’image des cercles concentriques se rapprochant peu à peu de moi et de mon travail me semble être une bonne base pour déterminer ma stratégie. J’ai envie d’organiser ces cercles sur un échange qui ne soit pas déterminé par l’investissement financier seulement, mais surtout par une qualité d’échanges. La fondation essentielle en sera naturellement la lettre d’écaille & de plume, cette newsletter trimestrielle dans laquelle j’écris ce qui m’a inspiré, bouleversé ou préoccupé pendant la saison passée.

Ainsi, j’espère que chacun de mes correspondants aura peu à peu l’occasion, s’il désire le faire, d’entrer dans des cercles où il deviendra lecteur, évangéliste de plume, bêta-lecteur, ou pourquoi pas co-créateur. Mon idée de tribu de Ptérophidiens et Ptérophidiennes, néologisme hellénisant dont je suis assez fier, est née. Voici comment.

Le premier cercle : le théorème des ricochets

Être lu, c’est donc la base de tout.

Et je me dis que cela commence par une simple chose. Il suffit parfois d’avoir eu dans les mains un livre qui nous a touchés ou qui nous a surpris, pour découvrir un auteur. Parfois, c’est l’univers du livre lui-même qui peut rester en nous. Ou bien celui, plus large, des autres œuvres de l’auteur. Un peu comme des ricochets dans l’eau. Un galet va toucher une première fois la surface du liquide, puis rebondir et la toucher plus loin encore, puis une troisième et éventuellement une quatrième fois.

Le premier vecteur que je peux utiliser est donc le livre lui-même, comme s’il était mon galet. Et j’ai trois idées pour cela.

In Libris

À l’intérieur du livre lui-même, il est de tradition de citer la bibliographie de l’auteur, qui est souvent placée soit après la page de titre soit à la fin du livre. On peut aussi trouver souvent une courte biographie. Et parfois même un extrait ou le premier chapitre d’un autre livre du même auteur.

Depuis que Nathalie Bagadey, dans une de ses newsletters, a confié comment elle se servait de QR Codes pour faire sa promotion sur des affiches, l’idée a commencé à trotter dans ma tête de considérer que mes livres et mon site pouvaient dialoguer.

Avec un livre numérique, c’est facile, il suffit d’insérer un lien hypertexte qui mène vers le site.

Dans un livre papier, pourquoi ne pas utiliser un QR Code ?

Mais pour diriger vers quelle page du site ?

J’ai pensé à trois possibilités.

Tout d’abord, puisque ma bibliographie est pour le moment peu étoffée, chaque titre peut prendre une certaine place sur la page. Pourquoi donc ne pas insérer un lien ou un petit QR Code vers la page de présentation de chaque titre de ma bibliographie sur le site ? On pourrait y lire un extrait, par exemple, et éventuellement commander le livre.

Ensuite, si l’univers du livre a plu au lecteur, pourquoi ne pas diriger vers une série de bonus ou un making-of ? Une page présentant quelques secrets de l’univers, ou des fichiers à télécharger, comme les chronologies que je construis à chaque fois pour valider la cohérence temporelle de certains éléments d’une intrigue, avec parfois des événements qui ne sont pas même mentionnés dans le récit mais qui m’aident à poser mon univers. Mes notes et mes cartes heuristiques permettant de suivre le raisonnement de ma construction narrative, pour ceux qui aiment passer de l’autre côté du miroir.

Enfin, pour faire le lien avec la tribu Ptérophidienne, un lien vers une page d’inscription à la lettre d’écaille & de plume. Cela peut transporter un lecteur ou une lectrice dans le deuxième cercle.

J’ai même décidé d’utiliser le troisième sur une carte de visite et sur des marque-pages. Ces derniers seront aussi porteurs d’un QR Code de la première catégorie pour faire la promotion d’un titre en particulier.

In blogae

Sur le site, les quelques modestes fichiers que je propose au téléchargement sont groupés en deux catégories.

Il y a d’abord ceux que j’ai envie de partager avec tous les visiteurs, quels qu’ils soient. Ce sont beaucoup de mes créations pour des jeux de rôle, ou les extraits de mes livres.

Il y a ensuite ceux que je réserve aux abonnés de la lettre d’écaille & de plume. Sans autre contrepartie que de s’inscrire à cette lettre de diffusion, ceux qui acceptent d’être transportés dans le deuxième cercle entrent dans la tribu ptérophidienne. Et ils peuvent accéder aux fichiers plus “techniques”, comme mes réglages ou templates pour Scrivener, par exemple.

Les boîtes à livres

Nous avons parlé des services presse quelques paragraphes plus tôt. Sur le même principe, je pense disperser quelques exemplaires de mes livres dans des boîtes à livres, ces petites constructions qui fleurissent dans de nombreuses villes ou villages pour inciter les habitants à lire. Chacun peut y déposer des livres ou en emprunter, librement. Un bon moyen de toucher un public nouveau.

Il ne s’agit pas non plus d’inonder le marché, et je compte faire cela avec seulement deux ou trois exemplaires. Pas plus.

Le deuxième cercle : se parler dans le langage des Serpents

Pour que le premier cercle s’étoffe, les membres du deuxième vont certainement être de précieux alliés.

Tout d’abord, je compte envoyer quelques services presse à via un profil SimPlement. Et attendre de voir.

Ensuite, les membres de la tribu Ptérophidienne (notamment ceux qui ont souscrit à l’option Phœnix de la lettre d’écaille & de plume) seront l’objet de toutes mes attentions. Je ne compte pas les inonder de mails. J’ai envie d’avoir beaucoup de choses à leur raconter à chaque message. Un peu comme ces longues missives que nous nous envoyions par la poste dans les temps reculés où internet n’existait pas encore. On y racontait les faits marquants de notre vie quotidienne mais on pouvait également aborder des sujets de fond, des impressions, des coups de cœur. Je crois donc que je vais me cantonner pour le moment aux quatre lettres par an, envoyées à chaque fête celtique.

Je vais sans doute également garder la forme générale qu’elles ont prise jusqu’à présent, mais peut-être en y intégrant plus d’interactivité. L’objectif est d’instaurer un dialogue.

Comme dans toute société, cela pourra être marqué au fil du temps par des rites marquant l’entrée dans un nouveau cycle. Ainsi, mes plus anciens abonnés (je n’ose dire vieux), mes plus fidèles, mes plus actifs, recevront eux aussi des bonus.

Le troisième cercle : mes pairs & mes maîtres

Nous traînons tous un peu sur internet, et fatalement, nous tombons souvent sur les sites des uns et des autres. Et puisque je suis sorti volontairement des réseaux commerciaux que je considère comme des pièges, je vais avoir plus de temps pour écumer le reste de la Toile. Je vais donc étoffer sensiblement la section Chants d’Ailleurs de ce site, pour faire découvrir encore plus les autres univers, ceux de mes pairs et de mes maîtres.

Comme un complément à l’excellente initiative lancée par Aemarielle sur Facebook d’un groupe privé de Sorciers & Sorcières créatives, mais hors de quelque réseau social que ce soit.

Know then that it is the year 2020

Pour paraphraser le Dune de David Lynch, parce que cette nouvelle année est comme un “delicate time” pour moi.

Qu’elle soit surtout l’occasion, comme si nous pouvions nous aussi profiter des bienfaits du Spice Melange, d’étendre notre conscience.

Tolkien, l’exposition à la BnF

Tolkien, l’exposition à la BnF

Comme certaines et certains d’entre vous le savent, j’ai eu la chance de me trouver à Paris durant ce mois de novembre à l’occasion d’une formation, au moment où la Bibliothèque nationale de France présentait une très belle exposition sur Tolkien. Le professeur d’Oxford a eu une grande influence sur moi, comme sur d’innombrables autres personnes dans le domaine de l’imaginaire, en littérature, mais également dans les arts visuels. J’ai même ouvert ce blog avec un article défendant la thèse selon laquelle il était un véritable écrivain, et pas seulement un philologue génial ou un créateur de mondes imaginaires.

J’ai donc profité de mon passage dans la Ville Lumière pour plonger dans la vie et l’œuvre de Tolkien à travers ce rassemblement inédit en France de documents originaux, d’œuvres de sa main comme celles d’autres, contemporains ou non, qui entraient en écho avec ses propres créations.

En voici mes impressions personnelles, un peu décousues, certes, mais sincères.

L’écriture de Tolkien

La première chose qui m’a marquée a été de voir les pages manuscrites de la main même de Tolkien.

On peut admirer dans l’exposition plusieurs feuillets de son œuvre, à différents stades de la maturation de ses écrits. Des brouillons, des premiers jets, des notes. Et de nombreuses pages de ses versions définitives.

J’ai d’abord physiquement été étonné de sa façon de former les lettres. Il avait une écriture calligraphiée, extrêmement soignée, en très petites lettres, presque micrographiques, y compris dans ses brouillons. L’impression d’être face à un manuscrit médiéval m’a saisi tout au long de la visite, renforcée par la présence de plusieurs ouvrages anciens, notamment de lourds tomes enluminés qui étaient là pour illustrer la proximité des thèmes de son œuvre avec les écrits des légendes arthuriennes ou anglo-saxonnes tardives.

Puis, mais c’est uniquement en fonction de ce qui était présenté, forcément une sélection très partielle, j’ai été frappé par le peu de ratures au regard des manuscrits d’autres écrivains des temps préinformatiques. Donc soit il avait déjà des idées très claires de ce qu’il voulait écrire et de la façon dont il voulait l’écrire, soit nous n’avons pas pu avoir accès dans cette exposition aux premiers stades de son travail, malgré la quantité de notes présentes dans les marges.

On peut également voir des versions abouties sur le plan formel, mais comportant des changements de noms de personnages. Par exemple, dans Bilbo, une version où Gandalf a un autre nom et où le personnage de Thorin Oakenshield porte au départ le nom de Gandalf. Et dans la marge, Tolkien indique le changement de nom, chacun acquérant le patronyme sous lequel nous le connaissons aujourd’hui.

Un processus créatif qui rappellera sans doute bien des choses à tous les écrivains…

Tout comme les tâtonnements dans l’écriture et la grammaire de ses langues inventées. Sa façon de tracer les lettres elfiques est tout aussi soignée que son écriture de l’anglais. Et une vidéo nous dévoile que même Tolkien faisait des fautes d’orthographe en elfique, ce dont il s’amuse avec une espièglerie juvénile qui rend le vieil homme d’emblée sympathique.

Un réalisateur de livre ?

Surprenante, cette exposition l’est à plus d’un titre, car je ne savais pas que Tolkien était aussi illustrateur, dessinateur, peintre. Plusieurs de ses croquis, de ses toiles, sont présentées, et notamment les premières couvertures de la trilogie du Seigneur des Anneaux, qu’il a lui-même composées et réalisées, avec un certain art de la typographie comme de l’organisation des éléments sur la page. C’est d’ailleurs une de ces couvertures, celle de La Communauté de l’Anneau, qui sert de visuel à l’affiche de l’exposition.

Plusieurs illustrations également, lors des premières éditions, sont signées de sa main. Et il ne se débrouillait pas si mal.

Une démarche qui détone dans l’idée que l’on se fait d’un écrivain de l’époque, uniquement centré sur son texte.

J’ai reconnu celle d’un réalisateur de livre. Son monde imaginaire ne se limitait pas à des histoires et des langues, mais débordait sur le terrain de l’image.

Et aussi sur celui de la géographie.

Il est évident pour tous ceux qui ont découvert Tolkien dans les années 1990 comme moi, que c’est l’un des aspects les plus fascinants dans sa création : la carte de la Terre du Milieu a fait rêver bien des gamins, avant même de lire une traître ligne du Seigneur des Anneaux.

Les cartes que l’on peut admirer dans l’exposition de la BnF sont multiples et d’une précision que je ne m’étais pas imaginée avant. En bon professeur, la rigueur importait tant à Tolkien qu’il mesurait précisément les distances et faisait en sorte que son récit y colle le plus possible.

Il serait bon que certains scénaristes de séries de fantasy récentes retiennent la leçon (oui, septième saison de Game of Thrones, je parle de tes scénaristes à toi !).

Les influences évidentes

Le parcours de l’exposition est essentiellement organisé autour des différents peuples imaginés par Tolkien et de quelques thèmes qui traversent toute son œuvre comme la Nature, la guerre, le Mal, l’héroïsme des petites gens, etc.

On y rencontre bien sûr la materia prima qui a été à l’origine de l’alchimie de son monde : les contes populaires, les nombreuses influences mythiques, depuis la Scandinavie au mythe arthurien, dont on apprend aussi qu’il a écrit une version personnelle plus noire centrée sur Arthur, Lancelot, Guenièvre et Mordred (note pour plus tard : mettre la main sur ce texte, que je suis très curieux de lire, moi dont l’imaginaire est fortement influencé par la Matière de Bretagne).

Ce légendaire Celte transparaît aussi dans ses réflexions sur la souveraineté, un thème aussi central dans l’épopée de la Table Ronde que dans les figures royales de la Terre du Milieu. Mais également sur la place de la femme, qui est le plus souvent une inspiratrice peu présente (Arwen) même si essentielle, à l’exception d’Eowyn, la combattante, lointain écho à Boudicca et aux Valkyries ? Ces échos sont renforcés par la présence d’objets issus de différents peuples de notre propre réalité (armes celtes, scandinaves, livres, joyaux).

On se plonge aussi dans la place que la Nature prend dans l’œuvre du professeur, à travers notamment les arbres et les Ents, ce qui a encore renforcé l’étonnement pour moi de réaliser le nombre d’influences communes à nos deux vies.

Les associations artistiques

L’un des grands mérites de l’exposition tient dans le rapprochement de productions de Tolkien lui-même avec des objets issus d’autres collections. Des objets qui ont parfois un rapport direct avec lui (des œuvres inspirées par son monde) mais parfois qui entrent simplement en résonances avec lui.

D’abord avec des illustrateurs qui lui sont contemporains ou qui furent même des amis pour lui (Arthur Rackham, Dulac, Gustave Doré), ou des peintres, notamment les préraphaélites, dont le mouvement artistique est tant imprégné de médiévalisme (Edward Burne Jones, Dante Gabriel Rossetti).

Toutes ces œuvres, tous ces objets, dont des bijoux art nouveau aux courbes et motifs naturels si proches de l’univers elfique, forment un dialogue harmonieux avec la création de Tolkien et son monde.

Le conteur

Tous ceux qui ont lu Bilbo savent qu’il fut au départ un conte destiné à ses propres enfants, mais cette facette de Tolkien le Conteur allait beaucoup plus loin puisqu’il leur envoyait chaque année des lettres écrites de la main du Père Noël, avec la complicité de son facteur. Toute une partie est réservée à cet aspect-là, cette passion des histoires dans laquelle beaucoup d’écrivains vont se reconnaître.

J’ai aussi trouvé très émouvant de pouvoir entendre sa voix. D’abord quand il parle de ce qu’il a écrit, mais aussi et surtout quand il fait la lecture de certains passages de ces œuvres, avec l’emphase d’un scalde. On peut ainsi entendre sa lecture en anglais du chapitre de la chevauchée des Rohirrim lors de la bataille des champs du Pelenor, ou le poème de l’Anneau Unique, en anglais et en parler noir du Mordor.

L’exposition

Vous avez compris, je vous encourage, si vous aimez l’univers créé par Tolkien, à faire le détour par cette exposition unique et certainement exceptionnelle.

Vous pouvez le faire jusqu’au 16 février 2020, à la Bibliothèque nationale de France.

Le livre papier et moi

Le livre papier et moi

J’aime lire. C’est pour moi un plaisir véritable, de ces plaisirs qui rendent la vie si belle que je ne la conçois pas sans. J’aime lire pendant des heures, la journée comme la nuit. J’aime être accroché par une histoire, emporté dans un univers. J’aime ce plaisir de me glisser dans d’autres mondes, dans d’autres vies que la mienne.

Pendant longtemps, je ne me suis pas posé de questions sur la façon dont je lisais.

Et puis la lecture numérique a fait son apparition, à la faveur des liseuses, d‘Amazon, du Kindle et de l’ePub.

J’ai résisté, longtemps. Et puis j’ai fini par essayer, en adoptant un iPad qui me permettait de me dire que ce ne serait pas que pour lire, mais aussi pour écrire, parfois, lorsque je ne suis pas chez moi.

Et j’ai aimé la lecture numérique.

Au point de publiquement le déclarer quelque temps après la naissance de ce site, dans un des premiers articles.

Et les années ont passé.

J’ai beaucoup lu sur écran. Puis, imperceptiblement, j’ai ressenti comme une lassitude.

J’ai vécu ma première expérience de réalisateur de livre, en créant à la fois la maquette papier et la maquette numérique du Choix des Anges.

Étonnamment, je me suis rendu compte que ce livre se vendait presque exclusivement en format papier, contrairement à tous les retours que pouvaient faire les auteurs et les autrices qui produisent dans le même genre littéraire que moi, l’imaginaire. Pour cinquante ventes en format papier, je n’ai à ce jour qu’une seule vente numérique… Un mystère que j’ai du mal à m’expliquer, puisque je sais avec certitude que le livre est parvenu à dépasser le cadre familial et amical. Il est évident que les proches aiment à posséder le livre physique, comme une preuve tangible, un totem ou un objet de fierté. Mais souvent, les personnes qui découvrent un auteur de l’imaginaire préfèrent le “tester” avec un format numérique, beaucoup moins cher donc beaucoup moins risqué si l’on n’accroche pas à l’univers ou au style.

Parallèlement, et sans vraiment de lien je pense, mon propre rapport au support de lecture a évolué.

Je revenais au papier, doucement mais sûrement.

Je suis conscient que tout ceci est éminemment personnel, que ce cheminement est seulement le mien.

J’ai pourtant envie de le poser noir sur blanc pour le comprendre un peu mieux.

Et j’espère que cela pourra entrer en résonnance avec certains ou certaines d’entre vous, qui, comme moi, aimez lire comme on aime la vie, pour ses ratés comme pour ses bonheurs. Vous pourrez peut-être m’aider à comprendre où m’emmène ce chemin étonnant qui louvoie entre les écrans et le papier, entre l’encre et la lumière des diodes, entre le virtuel et le réel, le concret et l’abstrait.

Je vais donc poser quelques réflexions, un peu comme elles viennent, sans vraiment les hiérarchiser ou les relier entre elles. Peut-être qu’une cohérence s’en dégagera a posteriori.

Bienvenue dans les états d’âme d’un lecteur du XXIe siècle…

Coûts

Avez-vous remarqué un étrange paradoxe ?

La version numérique d’un livre a un coût de production ridiculement faible une fois qu’on a le texte lui-même. La maquette ePub peut s’obtenir presque automatiquement avec certains outils, même si à mon humble avis, pour avoir quelque chose de propre et de vendable, mieux vaut mettre les mains dans le code. Même dans ce cas, le salaire d’un spécialiste n’atteindra pas les coûts énormes d’un imprimeur, d’un transporteur et d’un entrepôt.

Et pourtant, le prix d’un livre numérique vendu dans le circuit classique de l’édition est souvent très peu différent du format papier du même livre. Même dans le genre de l’imaginaire.

On peut parfois s’y retrouver lors des opérations spéciales faites dans certains circuits de distribution numérique, comme 7switch, mais cela reste tout de même assez rare. Ou bien avec les réalisateurs artisanaux de livres numériques (ceux que l’on appelle les autoédités).

Un livre en format papier ne coûte donc pas beaucoup plus cher que la version numérique, et pour la différence, on acquiert un objet physique dont la lecture est plus traditionnelle et ne nécessite pas de technologie.

Je trouve donc que, quitte à payer mon livre assez cher, je préfère l’avoir en papier.

Écologie

Encore un paradoxe.

Au début de la lecture numérique, dans les années 2000, il était courant d’entendre l’argument de l’empreinte écologique catastrophique du livre papier, qui était affublé du sobriquet de “format arbre mort”. Le livre numérique, virtuel, ne coûte pas la vie à un arbre et ne requiert pas de pétrole pour faire rouler les camions qui transportent des tonnes de bouquins hideusement emballés dans du plastique (encore de la pétrochimie).

Oui, mais nous avons un peu plus réfléchi, dans les années 2010, et un livre électronique nécessite tout de même un stockage informatique sur un serveur dans un datacenter qui consomme beaucoup, beaucoup d’électricité, produite parfois avec de la pétrochimie. Ce serveur est constitué de plastiques, mais aussi de composants électroniques qui sont obtenus à partir de terres rares, dont l’extraction est une calamité écologique. Il nécessite aussi, pour être lu, un appareil technologique obtenu à partir de composants utilisant également des terres rares. Cet engin fonctionne aussi à l’électricité, et consomme donc de l’énergie à chaque fois qu’on veut lire.

Tout bien considéré, qui peut dire quelle façon de lire est la moins polluante ?

Personne.

Genres et sujets

Autre paradoxe.

Si presque tous les livres de fiction (notamment dans les littératures de l’imaginaire) sont disponibles en numérique, alors qu’il n’est pas forcément vital de prendre des notes ou de rechercher précisément un terme rapidement pour le retrouver plus tard, les ouvrages de référence, donc de non-fiction, le sont rarement alors que ce serait une aide précieuse que de pouvoir prendre des notes, faire des renvois, disposer d’un glossaire renvoyant directement au passage recherché, et autres choses que permet exclusivement le format numérique.

En gros, ce sont les ouvrages dont on aurait le plus besoin qui manquent.

C’est particulièrement vrai dans mon domaine, celui du soin. 90 % des ouvrages n’ont qu’une édition papier (d’après un sondage réalisé à partir d’un échantillon représentatif de moi-même).

Plaisirs

L’odeur du papier, sa texture, celle de la couverture, parfois gaufrée ou vernie de façon sélective, sont des plaisirs évidents pour qui aime lire. Mais d’autres viennent peu à peu à manquer avec le numérique.

Le poids d’un livre, s’il peut parfois être un peu désagréable dans le cas des pavés gargantuesques de certaines éditions, est aussi paradoxalement un plaisir, même lorsqu’il frise l’obésité. Il est aussi impressionnant que rassurant. On se dit qu’on va avoir du chemin à accomplir avec les personnages, avec l’auteur, et ce chemin est physique. La mesure du compteur numérique d’un nombre de pages restant n’a pas cette force tangible.

Car pour moi lire est une immersion qui passe aussi par le corps. Et je m’en rends compte de plus en plus, avec les années. Je crois que lire n’est pas seulement un loisir de l’esprit, mais une attitude corporelle. On se tient d’une certaine manière, on change de position, on se crispe ou se décontracte en fonction de ce qu’on lit. Le corps est vigilant.

Ce n’est pas du sport, bien entendu. Mais ce n’est pas uniquement une activité intellectuelle.

Et d’autres plaisirs, d’autres sensations, y sont associées. L’odeur est aussi celle de l’encre.

La mise en page est diablement importante, et certains ouvrages pourront être doublement agréables à lire et immersifs pour peu que l’éditeur ait prévu une maquette plaisante. Cette réflexion est d’autant plus évidente à mes yeux maintenant que je me suis lancé à mon tour dans la réalisation de livres. Je me rends compte de l’importance primordiale de la maquette dans le confort de lecture et dans le pouvoir du livre à faire entrer le lecteur dans son monde.

Pour moi, une bonne maquette se compose de quelques ingrédients simples.

  • Une fonte confortable et lisible, mais si possible éloignée du Times New Roman de taille 12 points, qui fait trop penser à un document Word.
  • Une typographie qui épouse le sens du texte. Par exemple un changement de fonte pour signifier qu’il s’agit d’un SMS ou d’un mail, un changement en italique pour un flashback ou un flashforward.
  • Un en-tête et des numéros de page me permettant de savoir où j’en suis de la lecture.
  • Un interlignage calculé pour que les lignes ne soient ni trop proches ni trop éloignées les unes des autres.
  • Des lettres d’une bonne taille mais pas non plus trop grandes (j’aime lire des romans et des essais, pas des livres pour enfants, même si de temps à autre il ne me déplaît pas de faire la lecture à des bambins).
  • Et surtout, surtout, des marges confortables pour ne pas risquer de mettre mes doigts sur du texte.

Cela veut dire des marges extérieures plus importantes que les marges intérieures, elles-mêmes assez importantes pour que le texte ne fasse pas de plongeon à chaque fin de ligne sur la page de droite ou ne surgisse des ténèbres en début de ligne sur la page de gauche, ce qui oblige à plier la reliure du livre de façon excessive. Non seulement ça fait mal aux doigts mais en plus ça abîme le bouquin…

Or, tout au moins sur ce dernier point, on voit beaucoup l’inverse depuis quelques années (c’est-à-dire des marges extérieures plus petites que les marges intérieures) même sur des livres papier en grand format. Sans parler des livres de poche qui, pour avoir leur charme eux aussi, ont tendance à réduire les marges extérieures, intérieures, basses et hautes à leur plus simple expression. C’est inconfortable et ça me gâche parfois le plaisir.

On pourra alors penser que le livre numérique, qui offre la possibilité au lecteur de choisir sa fonte, son interlignage, la taille des caractères et des marges, est pour moi parfait.

Pas tout à fait.

Car peu de livres numériques sont conçus de manière à reproduire les changements de fontes et de typographie qui sont si importants pour moi, et puis le poids d’un iPad ou d’une liseuse n’est pas celui d’un livre, et enfin, surtout, on ne tient pas un iPad ou une liseuse comme on tient un livre. Je trouve la tenue moins naturelle et moins confortable.

Il est vrai que la lecture numérique a un avantage indéniable : pouvoir exister dans une pièce sombre ou même noire si on a un appareil rétroéclairé et un mode sombre.

La vie d’un livre

Un autre plaisir de lecteur assidu : relire un livre. Parfois plusieurs fois.

Frissonner lors des mêmes passages. Les anticiper. Et frissonner par anticipation.

Nous pouvons faire cette expérience en lisant sur papier ou en numérique.

Mais sur papier, nous aurons des repères physiques immuables alors que la pagination peut changer en numérique.

Mais sur papier, nous aurons aussi des marques possibles sur la texture. Une page cornée, par exemple.

Un livre papier vit. Il est organique, par essence. Il pourra garder des marques gagnées au cours de son existence entre les mains de ses différents lecteurs ou des différentes lectures.

Je ne suis pas de ceux qui annotent leurs lectures, mais il m’est arrivé d’hériter de livres dont les précédents propriétaires, parfois disparus depuis longtemps et que je ne connaissais même pas, avaient laissé quelques mots dans la marge, au crayon à papier. J’ai trouvé cela très beau.

Un fichier ePub ou Kindle restera le même, inchangé, durant l’éternité. Et s’il est plus facile de mettre des notes, celles-ci sont stockées dans l’appareil, pas dans le fichier. Il faut alors passer par quelques astuces pour récupérer ses notes et les transférer dans l’appareil suivant quand le premier tombe en rade…

Le caractère immuable du numérique peut aussi être un gage de longévité, pour peu que les technologies pour lire le format soient encore valables dans cent ou deux cents ans… mais lorsque l’on est suffisamment geek pour connaître l’histoire des formats technologiques, on sait ce qu’il peut advenir de supports aussi éternels que les cassettes VHS…

Un livre fait de papier, s’il est protégé de l’humidité et du feu, pourra être lu dans cent ou deux cents ans par quelqu’un qui maîtrisera la langue dans laquelle il est écrit.

Pour cela, bien sûr, il faut aussi que le livre soit suffisamment bien fabriqué.

Ce qui veut dire que les couvertures au dos carré collé qui sont la norme dans l’autoédition de par la prééminence technique d’Amazon ne sont pas forcément les mieux placées…

On préférera la reliure cousue… si l’on parvient à trouver à qui la faire réaliser…

Consommation

Le caractère virtuel d’un livre numérique l’assimile dans l’esprit des lecteurs aux autres fichiers informatiques. Que faisons-nous de nos fichiers informatiques ? Nous les archivons sans vraiment nous y intéresser. Nous les produisons et les oublions dans un coin de l’ordinateur.

Une preuve de ce que j’avance ?

Non, deux preuves, en deux mots : photographies, morceaux de musique (bon, quatre mots…).

Depuis l’avènement de la photographie numérique, nous prenons des photos tout le temps, à tout bout de champ, là où auparavant une photographie était un événement en soi. Qui parmi nous regarde encore ses photographies numériques de temps à autre ? Je veux dire, à part celles qu’on partage sur Instagram ? Je vous laisse juge de la quantité de musique que vous écoutez par rapport à la quantité de morceaux informatiques que vous possédez. C’est pire encore si comme moi vous vous êtes converti au streaming légal.

Je me rends compte que nous consommons la musique, nous ne l’écoutons plus vraiment, ou alors si rarement.

Nous consommons des photos sur Instagram. Nous ne regardons plus celles que nous prenons nous-mêmes.

Je me suis surpris à accumuler des fichiers de livres numériques et à les laisser dormir dans mon ordinateur ou mon iPad, de la même façon que pour mes photos.

Certains livres numériques sont là, à attendre mon bon vouloir, depuis quelques années.

Je n’ai pas lu tous les livres papier de ma bibliothèque (car j’en ai hérité parfois), mais acheter un livre papier revêt une autre importance, et généralement je commence assez vite ma lecture.

Lecture fractionnée

Le temps file. C’est le luxe ultime que de le posséder en quantité suffisante.

Suffisante pour lire, bien sûr. Lire vraiment, comme une véritable activité, en prenant son temps. En prévoyant une bonne heure rien que pour faire honneur à l’ouvrage, sans être interrompu par la sonnerie d’un mail ou d’un SMS. Sans décrocher parce qu’on doit accomplir une tâche en particulier, sans être dérangé par un coup de téléphone intempestif.

Ce temps-là devient rare.

Et lire peut rester un besoin vital pour certains, comme pour moi. Alors on s’adapte.

On adapte sa façon de lire. On fractionne sa lecture. On lit trois phrases dans un bus, un chapitre dans le métro, dix pages dans une salle d’attente. On lit donc sur liseuse, car c’est plus pratique qu’un livre, c’est moins encombrant, c’est plus léger, et cela peut être dégainé aussi simplement qu’un ticket de métro. Mieux, on finit par lire sur un téléphone portable, qui même s’il gagne en taille d’écran chaque année n’affiche que quelques phrases à la fois.

Certains auteurs l’ont bien compris, qui écrivent des chapitres très courts, nerveux, qui se lisent vite.

J’ai pour ma part envie de lire de longues heures d’affilée. De déguster les mots. Sans traîner. Mais sans me presser non plus.

Objet & possession

Posséder des livres, cela prend de la place. Beaucoup de place. Il faut des étagères, des bibliothèques. Des mètres carrés.

Un fichier informatique n’a pas d’encombrement physique. Rien n’empêche de stocker toute sa bibliothèque dans une seule liseuse, suivant le modèle que l’on possède. Et cela est économique quand on songe à toute cette place gagnée. Nous n’habitons pas tous dans des maisons ou des appartements assez vastes pour accueillir une pièce dédiée aux livres.

Et puis posséder prend une valeur différente dans notre société qui tente de mutualiser pour réduire son empreinte écologique ou économique. On mutualise les espaces de travail, les vélos, les voitures. Pourquoi ne pas mutualiser les livres en les empruntant à la bibliothèque ?

Pourtant, la possession d’un livre a une autre portée, symboliquement.

Finalement, on peut dire que je possède mes livres, mais aussi qu’ils m’ont adopté.

Notre civilisation a développé un lien purement utilitaire voire utilitariste aux objets. Un lien qui leur a ôté toute valeur autre. Même l’esthétique est parfois sacrifiée. Pourtant, il ne s’agit pas vraiment de dépouillement matériel, contrairement à ce qu’on pourrait croire, puisque nous finissons par posséder un nombre incalculable de choses. Un nombre si grand que les objets en perdent d’autant plus de valeur individuellement, sans que nous puissions cependant nous détacher d’eux. Nous sommes doublement prisonniers de notre matérialité : nous ne pouvons plus fonctionner sans objets, mais nous n’y attachons plus de valeur. C’est même étonnant de se rendre compte que la prise de conscience écologique pourrait encore amplifier cette tendance du matérialisme utilitariste désincarné.

Finalement, ne pas accorder d’importance aux objets en restant dans une dépendance vis-à-vis d’eux conduit à ne plus s’intéresser à l’objet lui-même, à ne plus en prendre soin, ce qui peut aller jusqu’à se désintéresser de la façon dont il est produit et dont il continuera sa vie (ou la finira) après que nous nous en sommes servis. Ce désintérêt est à la base de comportements actuellement délétères pour la Nature et pour nous-mêmes. Le tout-jetable, le tout-consommable.

Je suis partisan d’une approche radicalement différente.

Dans ma façon de voir les choses, un objet est la production d’un être humain qui y a mis toute son attention, parfois pendant un temps assez long. C’est le produit d’une chaîne d’inventeurs, d’avancées humaines. C’est un morceau de notre humanité. Comme tel, et surtout s’il a été fait dans le respect de certaines règles, incluant le souci de préserver les ressources naturelles, mais aussi la santé de ceux qui l’ont fabriqué, un objet n’a pas qu’une valeur utilitaire. Il a une valeur esthétique, une valeur symbolique. Une valeur émotionnelle, parfois. Et presque toujours.

Pour moi, on doit donc respecter un objet.

Cela inclut la nécessité de s’intéresser à la façon dont on en prend soin, dont il a été fabriqué, et à son devenir.

Certains objets ont une charge émotionnelle ou symbolique plus forte.

Pour moi, les livres entrent dans cette catégorie.

Un livre que l’on considère ainsi devient précieux, même s’il en existe des milliers ou des millions d’exemplaires à travers le monde. Et posséder un tel objet donne une certaine responsabilité. On doit en prendre soin. On doit aussi le faire découvrir, le faire lire à d’autres.

Je peux encore aller plus loin dans la description de mon lien affectif et émotionnel aux objets et aux livres.

Car certains ne sont pas loin d’avoir une âme, un esprit, dans ma façon de voir.

C’est que je me sens proche de la pensée animiste, sans me départir pourtant de ma posture agnostique. Je nomme souvent les objets dont je me sers souvent. Et en leur conférant un nom, je leur assigne non plus une fonction mais aussi une importance.

Mon ordinateur principal, celui avec lequel j’aime écrire, porte le nom de Tezcatlipoca, le Miroir Fumant, d’après le dieu aztèque. Autant vous dire que lorsqu’il sera temps de mettre Tezcatlipoca à la retraite, ce sera en m’assurant de son devenir.

On peut sourire de cette habitude (ne vous gênez pas, j’en souris et m’en moque moi-même) mais je crois qu’elle a au moins une vertu : celle de me faire prendre conscience de la responsabilité de posséder un objet dans un monde où les ressources sont limitées.

Pourquoi je ne mets plus de note aux livres que je lis (ni aux séries et aux films, ni pour quoi que ce soit d’ailleurs)

Pourquoi je ne mets plus de note aux livres que je lis (ni aux séries et aux films, ni pour quoi que ce soit d’ailleurs)

Comme je le dis souvent, aimer écrire, c’est d’abord aimer lire. Je ne fais pas exception à cette règle-ci. Si je pouvais, je lirais plus encore que je ne puis le faire actuellement. Je rêve de retrouver le temps où je pouvais passer des journées entières plongé dans les pages d’un bon roman, ou des nuits, d’ailleurs…

Cependant, avec les années, l’expérience, l’âge, mais aussi avec la profusion de livres publiés chaque année, je crois que nous sommes tous confrontés à un paradoxe fondamental : il y a de plus en plus de bouquins à lire, mais sans doute devenons-nous plus difficiles (en tous les cas je deviens plus difficile). Car il y a de moins en moins d’ouvrages qui me transportent vraiment, ou simplement qui me font vraiment envie, et comme j’ai moins de temps pour lire, je suis parfois paralysé…

Comment choisir ?

On peut, comme moi, s’en tenir à son intuition. C’est parfois un bon indicateur. Pas toujours.

On peut, comme avant, choisir de faire confiance à une maison d’édition (par exemple, je suis assez fan des productions des Moutons électriques, ou de l’Atalante, comme de certains auteurs chez Bragelonne). Mais ça ne suffit pas non plus, car si l’on refuse de sortir des sentiers battus, on ne découvrira pas des auteurs qui ont fait un autre choix que ce circuit-là, comme l’ami Olivier Saraja.

Alors nous avons trouvé, poussés en cela par les grands acteurs de la distribution, mais aussi par une tendance de fond de la société, divers moyens pour nous aider à choisir, puisque ni la couverture ni la quatrième de couverture ne sont plus suffisantes pour nous guider vraiment, et parce que nous nous sommes éloignés de nos libraires. Ces derniers pourtant pouvaient apprendre à connaître nos goûts et devenir nos initiateurs vers une œuvre, un auteur, un genre. Eux aussi, cependant, sont pris dans le courant de cette lame de fond. L’abondance.

Pour pallier ce manque, nous nous sommes tournés vers des concentrateurs, des diffuseurs présents partout, comme Amazon. Puis vers des influenceurs, des blogueurs, des booktubeuses et des bookstagrammeuses. Enfin vers des réseaux sociaux, comme Goodreads, par exemple.

Ces systèmes ont un commun un postulat de base : la recommandation se fondera sur des avis argumentés et sur une note.

Les avis et critiques se multiplient donc, ce qui est une bonne chose. Encore faut-il qu’ils soient sincères et vraiment structurés. Ce n’est pas toujours le cas sur des sites comme Amazon, car les livres n’échappent pas au biais des avis «ouais c’est nul» ou «trop d’la balle», que nous avons tous croisés dans nos pérégrinations sur le site marchand.

Les notes se multiplient aussi.

Elles servent à construire une note globale à partir des avis des lecteurs/acheteurs sur Amazon, note globale qui entrera dans un algorithme censé cerner vos goûts et vous recommander d’autres œuvres similaires.

Elles servent à guider rapidement le lecteur potentiel sur les critiques construites des booktubeuses et des blogueurs littéraires. Ce sera la même chose, le même rôle, sur Goodreads ou Babelio.

C’est donc souvent une note qui va déterminer le «sex-appeal» du livre que vous convoitez. Et c’est cette note qui va influencer votre décision de l’acheter ou pas, de le lire ou pas.

Où est donc le problème, me demandera-t-on (ou pas) ?

Le problème, pour moi, a à voir avec l’idée de norme qui sous-tend tout notation chiffrée

Que l’on s’entende bien, je comprends l’intérêt des notes dans le cadre scolaire, pour nous aider à nous situer par rapport à l’acquisition de certains savoirs, de certaines compétences. Je suis un joueur de jeu de rôle, après tout, et la notation des caractéristiques et compétences de mes alter ego de papier ne me pose aucun problème philosophique. Que ce soit sur 5 dans les systèmes du World of Darkness (comme d’ailleurs les notations sur Amazon et consorts), sur 18 comme dans l’ancêtre D&D, ou sur 100 comme dans les jeux construits sur le Basic System de Chaosium, les notes attribuées aux capacités des personnages permettent de les situer dans une norme et de mesurer leurs aptitudes facilement.

J’ai par contre beaucoup de mal, et de plus en plus, à concevoir qu’une œuvre artistique ou culturelle puisse être notée, donc jugée en référence à une norme, fût-elle la norme du plaisir qu’elle procure.

Et j’aimerais m’en expliquer ici.

La notation, la note & l’algorithme

Une note n’est en effet jamais un chiffre isolé.

Si je dis que j’attribue 4 étoiles au dernier livre que j’ai lu, cela aura un sens différent si la note maximale possible est 5 ou 100. Le chiffre que j’attribue, ce nombre d’étoiles, est donc toujours contenu dans une échelle dont le minimum et le maximum sont connus par convention. Il est donc indissociable d’une référence.

Cette référence peut être très personnelle (je peux décider de noter sur 4, sur 5, sur 8, sur 10, sur 20, sur 100, cela ne changera que l’estimation que j’aurai de la valeur attribuée sur l’échelle choisie). Je peux aussi décider que 0 est la note la plus basse, ou bien que l’on pourra noter seulement à partir de 1, ou même que la note peut descendre à -1 ou -10.

Et pourtant, comme cette échelle est une référence, elle va devenir l’aune à laquelle je vais mesurer toutes les œuvres comparables. Tous les livres, toutes les séries par exemple. Et si elle me fournit un cadre reproductible, elle va devenir également une référence pour d’autres. Car lorsque je voudrai partager mon ressenti avec d’autres (comme sur Amazon par exemple), je vais devoir le faire en adoptant une référence. La mienne ou celle de mon interlocuteur. Dans les deux cas, la référence choisie fournit un cadre qu’il sera tentant de reproduire pour pouvoir bien se comprendre.

Je vais donc de fait créer une norme.

Ou m’y conformer si je choisis d’utiliser le système de notation d’Amazon en nombre d’étoiles sur 5, par exemple.

Norme naturelle contre norme culturelle

Depuis les deux articles sur le quantified self en médecine que j’ai commis sur ce blog, vous savez que je fais modérément confiance aux normes dans le domaine de la santé.

Dans celui des œuvres artistiques ou culturelles, je ne fais pas que m’en méfier : je les trouve vérolées dès le départ. Car il existe une grande différence entre les normes issues des systèmes de notation et celles issues de la mesure de la Nature : la possibilité de s’en écarter.

Dans la Nature, comme nous en avons discuté avec le quantified self, la norme est déterminée par la proportion d’individus dont la note se situe sur un nombre donné. La représentation de cette norme sur un graphique va donc être une courbe de Gauss, car un nombre non négligeable d’individus vont s’écarter naturellement de la note moyenne, parfois de façon forte, dans un sens ou dans l’autre. Il sera donc possible de trouver des individus exagérément grands ou exagérément petits par rapport à la norme. Il sera même possible de sortir des valeurs «normales» pour être considéré comme exceptionnel ou pathologique.

Dans un système de notation chiffrée des œuvres artistiques ou culturelles, on ne peut pas sortir des valeurs qui bornent l’échelle. On ne peut pas noter un livre que l’on trouve extraordinaire comme ayant 6 étoiles sur Amazon, ou descendre en flammes celui que l’on trouve vraiment trop mauvais en lui donnant une note de -3 étoiles.

Le défaut inhérent à toute échelle de notation fermée est donc celui-ci : toutes les œuvres sont notées selon un pied d’égalité par rapport à une attente standardisée, un barème en quelque sorte.

C’est ce qui me gêne profondément : les critères de notation.

Car tout cela sous-entend que l’on peut juger d’une œuvre suivant des critères précis, reproductibles, standardisés.

Le mythe de l’objectivité en matière artistique, un mythe totalement antinomique pour moi.

Objectivité de façade, subjectivité inavouée et non assumée

Soyons clairs.

Je suis un esprit scientifique, formé à la compréhension du monde à travers des faits reproductibles, et je pense fermement que c’est la meilleure façon que l’Humanité ait pu trouver pour expliquer le monde et le décrire, car cette vision permet de construire découverte après découverte des fondations solides pour apprendre comment fonctionne l’univers qui nous a fait naître.

Pourtant, si les lois de la Nature sont scientifiques, mathématiques, physiques, il reste à prouver que les «lois artistiques» aient une réelle existence. Malgré la création récente d’Intelligences Artificielles capables de pondre des textes longs (romans par exemple) ou des tableaux, avec un certain succès, il reste une chose que l’on ne maîtrise pas : l’appréciation individuelle des qualités intrinsèques d’une œuvre, par la résonnance unique qu’elle va créer chez la personne qui va la recevoir.

Une œuvre artistique ou culturelle c’est essentiellement un discours sur le monde, une façon de l’interpréter, non plus de façon objective et froide comme une théorie scientifique, mais au contraire en y mettant toute la subjectivité possible de l’auteur ou de l’autrice. Cette interprétation, cette vision unique du monde, est inscrite dans l’œuvre, parfois au corps défendant de son créateur, de par des événements de vie qui vont avoir façonné sa manière de considérer la vie, la mort, l’univers.

À l’autre bout de la chaîne, le lecteur ou la lectrice va percevoir ce message, et il va entrer en résonnance avec son propre parcours, ses propres attentes, ses propres désirs, craintes, traumatismes, espoirs, forces, faiblesses. Bref, avec toute une galaxie d’étoiles, et non pas seulement 5…

La tentative de noter une œuvre selon des critères bien définis ressemble donc pour moi à vouloir faire entrer un rond dans un carré, ou toute une galaxie dans une pierre précieuse. Même si cela peut vous rappeler le twist final d’un film montrant deux hommes en costume noir dont l’un est Will Smith, je crois qu’on y perd fatalement quelque chose.

Que se passe-t-il donc quand on impose à quelqu’un ou que l’on s’impose à soi-même de noter sur 5 ou sur 100 une œuvre ?

On s’oblige à renoncer à la complexité, à la nuance, à notre propre système de valeurs, pour faire coller notre ressenti, le transposer, dans un système de notation qui nous est plus ou moins étranger.

On va engager une estimation, une approximation, du résultat.

Peut-être que la réalisation du film était superbe, mais que le scénario était faible. Combien ça vaut ? Un 3 sur 5 ? Mais si pour moi un film c’est d’abord un scénario, est-ce que ça ne vaudrait pas plutôt 1 sur 5 ?

L’estimation, l’approximation, va se faire donc avec une réelle subjectivité.

Et l’on arrive au paradoxe ultime.

On construit un système de valeur censé être totalement objectif, à savoir une note chiffrée recoupée statistiquement par des algorithmes robustes que l’on juge représentatifs car dégageant des tendances grâce à la puissance du nombre de réponses.

Mais on le construit à travers une telle variété d’échelles individuelles totalement différentes et parfois opposées les unes aux autres, qu’on le base sur la plus grande des subjectivités.

En gros, on construit la Tour de Babel avec des moellons en guimauve.

Fatalement, l’édifice a quelques défauts…

Le plus grand est de nous faire prendre des vessies pour des lanternes : nous faire croire que l’objectivité est possible en matière artistique.

Je défends la thèse inverse : l’Art est une subjectivité qui rencontre une multitude d’autres subjectivités.

L’Art est pure subjectivité.

Pourquoi ne pas l’assumer ?

La réponse est simple : parce que tout le système de notation ne sert qu’à une chose. Vendre.

Le nerf de la guerre

Là encore, une petite mise au point s’impose.

Je trouve que diffuser une œuvre le plus largement possible est souhaitable, et donc la vendre, même contre rien, aussi – une œuvre gratuite se vend quand même, si, si, il faut convaincre l’autre de la lire ou la regarder, et ce n’est pas si facile même quand c’est gratuit, ou surtout quand c’est gratuit, d’ailleurs.

C’est non seulement souhaitable, mais c’est in fine le but réel de toute œuvre artistique ou culturelle.

Car si l’Art est pure subjectivité, l’Art est aussi pur partage.

Ce que chaque œuvre exprime est fait pour toucher l’autre. Pour que cette vision unique du monde soit vue par d’autres, qui l’adopteront, l’aimeront, la contempleront simplement, ou la rejetteront.

Et si l’artiste peut vivre décemment grâce à ce qu’il ou elle produit, c’est encore mieux. C’est la reconnaissance par la société de son travail, de son métier. Car créer est aussi un métier pour beaucoup. Un vrai métier.

Et comme tous les métiers, il doit permettre à celui qui l’exerce de vivre dignement.

Donc vendre son œuvre est un objectif noble.

C’est la manière dont la notation systématique et l’utilisation extensive des algorithmes ont transformé les moyens d’atteindre cet objectif qui me gêne.

Le système dont j’ai démontré plus haut l’incohérence (faire croire à une évaluation objective d’une œuvre sur des critères purement subjectifs par essence) n’a comme finalité que de vendre en essayant d’attirer le lecteur (ou le spectateur) par un biais que je rapprocherais volontiers du biais cognitif connu sous le nom d’effet de mode, ou du biais d’influence sociale. Il voudrait que plus la note est élevée, plus le nombre de personnes qui sont censées avoir donné une bonne note est élevé, et plus l’on va avoir tendance à penser que le livre (ou le produit) va nous convenir.

Alors qu’il n’en est rien.

La note est là pour nous influencer, puisque c’est ce que nous lui avions demandé.

Mais elle le fait avec de mauvais arguments.

Elle nous influence en nous trompant sur ce qu’elle représente.

Pour une autre façon de mettre une œuvre en avant : la diversité des points de vue

La note est donc, je crois, une mauvaise façon d’apprécier un livre, une série, un film, toute autre œuvre artistique ou culturelle. J’oserais même dire que la note est une mauvaise façon d’apprécier aussi les services ou les gens, mais tel n’est pas le propos ici, et je me limiterai pour cet article à conclure sur le sujet artistique seul.

Et cependant, nous en revenons au dilemme présenté en introduction : comment s’y retrouver parmi tous les titres existants et à venir, comment choisir notre prochain bouquin ?

J’ai bien une proposition à faire, qui n’est pas actuellement mise en œuvre, et qui pourtant aurait la possibilité de l’être.

Et je vais vous surprendre ou vous choquer après tout le discours qui précède : elle dépend de la puissance des algorithmes.

Mais bien sûr, ces algorithmes ne seraient pas basés sur une note attribuée subjectivement par les lecteurs ou les lectrices.

Si l’on revient au but recherché, c’est plus simple à comprendre.

Ce que je demande est de trouver des livres susceptibles de me plaire, avec une certaine incertitude également. Car parfois, un livre peut me toucher alors qu’au départ ce n’était pas gagné.

Je cherche des recommandations.

Celles que font pour moi Amazon, ou même l’algorithme de Goodreads ne me conviennent pas, car elles sont basées en partie sur les notes obtenues par les œuvres qui potentiellement pourraient entrer dans mes genres littéraires de prédilection.

Comment alors se passer des notes pour concevoir des recommandations de lecture plus justes ?

Se servir des avis structurés des lecteurs, des blogueurs, des booktubeuses, des bookstagrammeuses.

Chaque critique structurée n’est autre qu’un texte, que des algorithmes pourraient explorer, pour en extraire des adjectifs récurrents censés décrire une œuvre à travers les avis qu’elle recueille sur différents supports.

  • Par exemple, l’algorithme va chercher sur internet tous les avis construits sur Le Choix des Anges (il ne va pas en trouver beaucoup, c’est vrai). Il va en extraire une liste d’adjectifs avec un indice de récurrence pour chacun. Puis il va construire un profil évolutif du livre suivant les avis recueillis.
  • Lorsque je vais avoir lu un livre, j’indique simplement à l’algorithme si le livre a répondu à mes attentes ou pas. Dans les deux cas, je peux rédiger un avis structuré et écrit, qui viendra enrichir l’algorithme.
  • Et en se basant sur le profil du livre que je viens de terminer, il peut comparer avec sa base de données, et sortir une liste d’œuvres qui contiennent des adjectifs similaires.
  • Au fil de mes lectures, l’algorithme va apprendre ce qui a le plus de chance de me plaire et va donc affiner ses suggestions et recommandations.

Mais pour introduire un peu de variété et me permettre de découvrir quelques pépites qui lui échapperaient (au cas aussi où mes goûts changent), l’algorithme pourrait faire une pondération en fonction d’un indice que je fixerais dans mes préférences. Un indice baptisé «surprends-moi» noté, lui, par contre, de 1 à 10. Ce serait la variabilité que l’algorithme pourrait s’autoriser afin de faire des recommandations hors champ de mes goûts stricts.

On peut aussi garder une certaine couche de recommandations sociales (car les meilleurs influenceurs, ce sont souvent les vrais amis qui ont les mêmes goûts que nous) comme on peut déjà le faire avec Goodreads.

Des recommandations idéales

Bref, mon système idéal serait basé sur trois listes de recommandations.

  • Une liste algorithmique pure extraite des lectures qui m’ont touchées et construite d’après l’analyse des adjectifs utilisés par d’autres lecteurs pour chroniquer ou critiquer le livre.
  • Une liste de recommandations «surprises» basée sur une variabilité suivant des critères que je fixerais librement (genre littéraire, longueur du texte, sujets, etc.).
  • Une liste de recommandations sociales issues des chroniques de lecteurs que je suivrais (booktubeuses, blogueuses littéraires, contacts sur Goodreads).

Tout ceci n’existe pas encore, hélas.

Mais si certains d’entre vous s’y connaissent en algorithmique, en exploitation des big datas et en programmation, je suis disponible pour créer une startup… 😉

Ma ligne de conduite : comment je fais pour vivre sans donner de note

En attendant ce système (qui aura certainement des défauts lui aussi), j’ai donc résolu de ne plus noter de façon chiffrée les livres que je lis, les séries ou les films que je vois.

Je ne désire pas entretenir l’habitude que nous avons tous prise de noter tout et n’importe quoi à tout bout de champ. Je ne donne donc plus aucune note.

Et si j’ai un avis tranché, je l’écris en bon français, et j’en fais profiter l’auteur ou l’autrice d’abord, et mes camarades ensuite.

Car de mon point de vue, les algorithmes actuellement en place n’ont aucune valeur, et je ne désire pas cautionner leur fonctionnement en entrant dans le moule. Je suis conscient de fausser ainsi les choses, de façon marginale car je ne suis pas un grand influenceur, mais peut-être suffisamment pour que d’autres suivent mon exemple, ou peut-être – qui sait ? – pour que d’autres systèmes de recommandation soient créés.

La réalisation de livre (problématique de « l’autoédition »)

Reste un problème majeur dans cette posture que j’ai décidé d’adopter : ne plus noter les livres dits autoédités, c’est faire perdre de la visibilité à mes camarades qui ne disposent que du système de notation d’Amazon pour se faire connaître et toucher leur lectorat.

Nombreux sont en effet mes pairs à dépendre du système de notation pour être mis en avant par la plateforme et être proposés dans les recommandations faites à des lecteurs qui ne les connaissaient pas auparavant.

Ne plus noter, c’est leur faire perdre des chances.

Que faire alors, si je ne veux pas cautionner le système tout en essayant d’aider ces auteurs et autrices à trouver leur public ?

Mettre systématiquement la note maximale.

Là encore, je sors du cadre de référence, sciemment, en faussant la note globale en faveur de l’auteur, et en montrant que le système est basé sur une incohérence. Et je donne un coup de pouce à celui ou celle qui s’est démené pour écrire son bouquin. Il se peut même que ma note maximale ne soit pas en accord avec ce que j’ai pensé du livre. Qu’à cela ne tienne : je rédige un avis qui éclairera ma critique, mais je laisse le nombre d’étoiles maximal, la note maximale, pour que le livre gagne en visibilité.

Ainsi, je ne pénalise pas les réalisateurs et réalisatrices de livres.

La Société des Lectures Analogiques

Si vous trouvez une certaine résonnance entre vos propres valeurs et ce que je viens d’exposer, alors vous êtes prêts à entrer dans la Société des Lectures Analogiques, qui défend la liberté d’apprécier un monde qui parle avant tout en mots, et non en chiffres.

Les inscriptions sont ouvertes sous les commentaires !

Bientôt, nous serons le monde.

Bientôt…

J’espère…

Vous êtes là ?

Ouh ouh ?

Il y a quelqu’un ?…

Apprendre des erreurs des autres, partie 1 : tenir ses promesses (narratives)

Apprendre des erreurs des autres, partie 1 : tenir ses promesses (narratives)

Depuis sa naissance en 2014, j’ai pris le parti de n’écrire sur ce blog qu’à propos des sujets qui m’ont positivement marqué, à de rares exceptions près. Il me semble en effet plus intéressant de mettre en avant les sujets et œuvres que je trouve pertinentes ou réussies, plutôt que de critiquer et de chroniquer absolument tout et d’exposer aussi des objets artistiques dont je trouve qu’ils ne le méritent pas.

Cependant, le monde n’est pas non plus fait que de ce que l’on aime.

J’ai déjà d’ailleurs pu pousser un coup de gueule ci et là.

Car il est vrai que l’on peut aussi apprendre de l’erreur. Chaque tentative, même avortée, même échouée, peut nous rapprocher un peu plus de ce que nous voulons accomplir.

Nos propres erreurs tout d’abord. Savoir les reconnaître est non seulement une marque de sagesse, mais aussi le premier pas vers notre amélioration. Et chacun sait combien il est difficile de reconnaître avec justesse et justice que nous pouvons avoir tort. Avec justesse, c’est à dire sans mauvaise foi, sans nous dédouaner de nos responsabilités, mais aussi avec justice c’est-à-dire sans nous accabler outre mesure. Il est des erreurs vénielles dans la création artistique comme dans la vie, et c’est heureux !

Et nous pouvons également apprendre des erreurs des autres, tout autant que de leurs réussites.

Puisque je suis un éternel insatisfait pour ce qui est de mes propres créations, j’ai toujours tendance à me dire que j’aimerais éviter telle ou telle erreur, tel ou tel piège, tel ou tel écueil dans mon écriture. Je garde en mémoire ce qui m’a touché et ému, ce qui m’a plu et bouleversé dans tout ce qui me nourrit artistiquement, mais je tente aussi de me souvenir de ce que je ne veux pas reproduire.

J’ai donc eu envie de vous proposer une série d’articles en forme de liste d’erreurs que je m’efforce de ne pas commettre, autour de quelques œuvres, récentes ou non, qui illustreront à la fois la thématique et mon propos.

Je suis un auditeur assidu de l’excellent podcast sur l’écriture Procrastination, commis par Lionel Davoust, Mélanie Fazi, et Laurent Genefort. Si vous ne connaissez pas et que vous avez l’ambition d’écrire, je ne peux que vous conseiller ardemment d’aller y jeter une oreille, si ce n’est les deux.

Au cours de l’épisode final de la première saison du podcast, nos trois mousquetaires explorent la notion de promesse narrative. Et je dois dire que c’était une découverte pour moi, au sens où j’ai enfin pu entendre des mots sur une sensation que je connaissais comme tout le monde intimement, mais sans vraiment la comprendre. Comme lorsque soudain le sens d’un proverbe, d’une expression, d’un mot, s’éclaire et que le monde devient différent, simplement parce qu’on a enfin intégré quelque chose, pleinement, qu’on en a saisi toute l’essence.

Cette notion est une règle assez simple, finalement : chaque enjeu créé par l’auteur d’une œuvre narrative est comme une promesse envers son public, lecteur ou spectateur, et il doit y répondre dans la suite du récit en restant le plus possible à la hauteur de l’attente ainsi provoquée. Ainsi, plus l’enjeu sera élevé, plus la promesse sera alléchante, et plus l’auteur ou l’autrice devra y répondre avec une forte intensité.

Et cela est particulièrement vrai dans les enjeux centraux de l’œuvre. On ne comprendrait pas qu’un bouquin sur l’avenir de l’Humanité, où les héros sont confrontés à une possible fin du monde, laisse en plan le lecteur sur ce qu’il s’est passé au final et s’intéresse plutôt à la couleur choisie par l’un des protagonistes pour repeindre sa salle de bains.

Et pourtant, des œuvres entières, parfois même considérées comme majeures, font l’impasse sur les promesses narratives qu’elles ont elles-mêmes créées, que ce soit sur des promesses fondatrices ou sur des points plus mineurs.

Alors, répondre ou pas répondre, et si oui, avec quelle intensité, ce sont des questions qui me paraissent importantes à connaître, car leur résolution n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire.

Nous allons illustrer la discussion avec deux œuvres.

À ma droite, le poids lourd actuel de l’univers imaginaire de la fantasy, j’ai nommé Game of Thrones, que l’on ne présente plus (et on a tort, parce qu’il y a beaucoup à dire). J’en parlerai en m’intéressant à la fois à la version littéraire et à la version télévisuelle.

À ma gauche un roman passionnant, L’Ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafón, premier tome d’une trilogie autour des livres et de leur pouvoir dans l’existence des écrivains comme des lecteurs.

Ces deux univers sans aucun point commun ont pourtant le même défaut : leurs promesses narratives sont, à mon avis, non tenues. À divers niveaux, et plus ou moins volontairement, ce qui va nous amener à évaluer s’il faut toujours répondre aux promesses que l’on fait.

Game of Thrones, ou ‘tout ça pour ça’

Même ceux d’entre vous qui ont vécu sur une île déserte ou dans une grotte coupée du monde ces huit dernières années ont certainement entendu parler de Game of Thrones (en français Le Trône de Fer), cette saga littéraire encore inachevée ayant fait l’objet d’une adaptation télévisuelle au succès planétaire qui vient de se terminer dans le sang et les larmes et sur une pointe de déception concernant de nombreux fans, mais aussi de ses détracteurs (dont je suis, au départ, pour poser mes conflits d’intérêts si l’on peut dire).

L’immense écho de cet univers dans notre société tient à mon sens beaucoup plus à la cruauté de certains passages qu’à l’œuvre dans son ensemble, plutôt pataude dans son traitement des fondements essentiels de son axiome de départ.

Et c’est d’autant plus vrai que ces axiomes sont, je crois, trahis assez tôt dans l’intrigue, ce qui entraîne un lot assez impressionnant de renoncements et de promesses narratives non tenues.

Mais, pour les résistants valeureux qui auraient décidé de ne rien lire ni voir de Game of Thrones et qui donc ne connaissent pas grand-chose à cette saga, de quoi est-il question ?

L’univers du Trône de Fer

Dans un monde médiéval correspondant peu ou prou à notre XIVe siècle, le royaume de Westeros est sous la domination de Robert Baratheon, qui quelques décennies plus tôt a renversé le dernier souverain, devenu fou, de la lignée des Targaryens, au terme d’une guerre civile destructrice. Ce faisant, il monta sur le Trône de Fer symbolisant le règne sur les Sept Couronnes, les sept anciens royaumes conquis des millénaires plus tôt par les Targaryens grâce à un avantage décisif : leur maîtrise des dragons. Au terme de la guerre, la lignée royale originelle s’est éteinte de la même façon que celle des reptiles ailés, du moins c’est ce que l’on pense.

Or, Westeros est soumis à un cycle de saisons qui fait durer l’été de nombreuses années, mais également à des hivers rigoureux tout aussi longs et cruels, au cours desquels les mystérieux Marcheurs Blancs, des créatures ni vivantes ni mortes soumises au Roi de la Nuit, tentent régulièrement d’anéantir le règne des humains. Ils ne sont bloqués que par le Mur, une infranchissable barrière de glace haute de plusieurs centaines de mètres et longue de plusieurs centaines de kilomètres, sur lequel veille la Garde de Nuit, un corps d’élite voué à la défense des royaumes humains, aujourd’hui tombé dans une déchéance plus ou moins prononcée.

Alors que les signes s’accumulent sur la venue d’un nouvel Hiver et donc d’une nouvelle offensive des Marcheurs Blancs, Robert Baratheon meurt et une guerre de succession s’ensuit, qui va déchirer les Sept Couronnes, affaiblissant les humains devenus ignorants des véritables dangers.

Les livres comme la série (qui suit assez fidèlement le déroulé littéraire jusqu’à la cinquième saison environ) vont donc mettre en scène parallèlement la guerre pour le trône entre tous les prétendants (et ils sont nombreux, notamment la dernière représentante de la lignée Targaryen, que l’on croyait éteinte, accompagnée de trois jeunes dragons) et l’avancée d’une menace autrement plus grande et infiniment plus dangereuse, celle des Marcheurs Blancs chassant d’abord les Sauvageons, ces clans humains établis au nord du Mur, puis s’attaquant directement à la Garde de Nuit vite débordée.

Une prémisse vraiment alléchante, et sur laquelle on peut facilement imaginer de très nombreux épisodes palpitants. Or, malgré une bonne volonté manifeste, mais aussi une plume très contestable (personnellement je n’aime pas du tout le style de G.R.R. Martin dans sa traduction française, mais aussi dans son découpage scénique que je trouve brouillon), la mise en scène de tout cela donne une impression de grande improvisation (alors qu’apparemment ce n’est pas le cas, car Martin ferait partie des écrivains architectes). Bien des pistes semées çà et là dans les livres comme dans la série sont ensuite laissées lettre morte alors que les promesses faites sont assez lourdes de conséquences.

Je vais tenter d’en examiner avec vous quelques-unes, en commençant par les plus mineures puis en finissant par la vue d’ensemble elle-même, qui me semble souffrir du même syndrome, ce qui est d’autant plus grave, je crois.

À partir de ce point-là de la démonstration, mieux vaut pour vous avoir une petite connaissance de l’intrigue et des personnages, voire avoir vu toute la série télévisée, car je vais y faire référence constamment. Il se peut même qu’il y ait quelques spoilers dans ce qui suit.

Trahisons mineures

Ce que j’appellerais les trahisons mineures sont des points précis de l’univers ou de l’intrigue qui ont été posés lors des premières saisons de la série ou des premiers livres, et qui auraient dû avoir une influence manifeste sur la suite, mais qui ont pourtant été totalement oubliés, négligés ou perdus, voire sous-utilisés, car évacués trop rapidement.

Les enfants Stark et les loups blancs

Le premier livre de la saga se focalise plus particulièrement sur la maison Stark, dont la devise Winter is coming est devenue rapidement celle de la série et sur les relations complexes des membres de la famille. C’est d’ailleurs dans la famille Stark que l’on retrouve nombre des protagonistes majeurs qui parviendront au terme de l’histoire, et bien évidemment, c’est parmi ses membres que l’on découvre le plus de trahisons mineures aux promesses narratives.

Commençons par le commencement : les loups blancs.

Au début de l’intrigue, de mystérieux louveteaux blancs comme la neige, réputés surnaturels, sont découverts par Eddard Stark, le père, gouverneur de l’ancien Royaume du Nord et seigneur de Winterfell, capitale de la province septentrionale des Sept Couronnes.

Comme un présage, ces louveteaux sont au nombre de six, comme ses cinq enfants : Robb, Sansa, Arya, Brandon, Rickon et Jon Snow, le bâtard supposé d’Eddard. Chacun d’eux adopte donc un louveteau et l’on comprend rapidement qu’en effet les animaux ne sont pas tout à fait de simples loups. Ils sont plus forts, plus intelligents et grandissent plus vite.

Ils entourent les enfants Stark d’une aura inquiétante et renforcent le sentiment que la famille plonge ses racines dans le passé légendaire de Westeros.

Et puis… plus rien. Quatre loups sur six seront tués rapidement par l’auteur, qui n’épargnera durablement que Fantôme, le compagnon de Jon Snow, et Été, celui de Bran (don).

On ne sait pas pourquoi.

En occire un ou deux, pour symboliser la chute de la Maison Stark, aurait pu avoir du sens. Ces morts-là pouvaient signifier la perte d’une partie de l’âme de la famille, voire devenir un mauvais présage comme la découverte des loups pouvait être un bon présage au contraire.

Mais tuer les quatre premiers n’avait pas vraiment d’intérêt, au-delà de la manie de l’auteur de trucider tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à un héros.

Présenter six loups extraordinaires (au premier sens du terme) et ne pas les exploiter, voilà qui sera la première promesse narrative trahie, à mon avis, de la saga. On aurait pu en faire un lien avec les Enfants de la Forêt, avec les Barrals, avec les Premiers Hommes, en tirer une force pour lutter contre les Marcheurs Blancs, une bannière pour rallier les autres royaumes humains, les vassaux de la famille Stark, ou en jouer plus encore pour accentuer le pouvoir singulier qui échoit à Bran lorsqu’il découvre qu’il peut entrer en communion avec l’esprit des animaux.

Hélas, il n’en fut pas ainsi.

On s’attend à un identifiant puissant de la famille Stark.

On se retrouve avec un accessoire de mode que l’on jette lorsque l’auteur ne sait plus quoi en faire.

Les Barrals

Autre promesse narrative presque oubliée : les arbres sacrés de l’ancienne religion, les Barrals, qui sont des arbres blancs dont les Enfants de la Forêt ont sculpté le tronc en y gravant l’image d’un visage qui pleure de la sève rouge, comme des larmes de sang.

La première saison de la série met l’accent à plusieurs reprises sur ces arbres, qui forment le cœur du sanctuaire présent dans l’enceinte du château de Winterfell, le siège des Stark. On comprend aussi que c’est un Barral qui abrite la Corneille à Trois Yeux que Bran rencontre dans sa quête mystique. Mais il serait vain de chercher des développements sur ces arbres. Ils n’auront aucun autre rôle que décoratif.

Et quand bien même ils n’auraient été que cela, je trouve dommage qu’on ne mette pas plus l’accent sur la religion des Stark et leurs devoirs envers les Barrals.

On s’attend à une pièce importante de l’énigme des Marcheurs Blancs.

On se retrouve avec un décor bien réalisé, mais son âme.

Arya Stark

Troisième enfant de Eddard «Ned» Stark et Catelyn Stark, Arya est d’emblée un personnage attachant. Garçon manqué, elle est intrépide comme sa sœur Sansa peut être maniérée, et n’a pas froid aux yeux. Elle prouve à maintes reprises ses qualités de survivante et sa robustesse, mais aussi ses qualités de loyauté et la force qui l’anime, en partie inspirée par la vengeance.

Mais Arya devient au cours de la saison 5 de la série et dans les livres également, bien plus qu’une simple âme en quête de vengeance. Elle entre dans le culte du dieu de la mort et devient une Sans-Visage, une assassin sacrée capable de prendre l’apparence anodine de n’importe qui et de donner la mort sans un bruit, sans un souffle.

Les capacités d’Arya après sa formation sur l’île de Braavos au sein du temple du Dieu Multiface sont pratiquement magiques. Elle peut transformer son apparence et passer aussi inaperçue qu’elle le désire. Elle manie toutes les armes à la perfection. Elle sait utiliser le poison, la ruse et la manipulation.

Et pourtant.

Pourtant, à part l’assassinat de Walder Frey afin d’assouvir sa vengeance pour le massacre des Noces de Sang durant lesquelles son frère Robb fut lâchement tué, elle n’utilise plus ses capacités. Elle se retrouve même aussi démunie qu’avant son départ pour Braavos. Et ce n’est pas son exploit de mettre fin au règne du Roi de la Nuit qui changera l’impression que ce personnage est sous-utilisé. Il y avait tant à faire sur le rapport à la mort qu’elle peut entretenir, justement. Il y avait tant à faire. Sa relation avec le Limier, Sandor Clegane, à la fois son meilleur ennemi et son plus grand allié, ne contre-balance pas vraiment autre chose que son esprit de vengeance, déjà émoussé bien avant.

On s’attend à un personnage devenu sage et presque mystique à force d’incarner la mort elle-même.

On se retrouve avec une jeune fille dont le talent de survivante est autant dû au hasard qu’à sa propre volonté.

Catelyn Stark

Enfin, dernier avatar mineur (mais j’hésite sur le qualificatif) de ces promesses non tenues, Catelyn Stark.

La mère des enfants Stark, épouse de Ned Stark injustement exécuté pour trahison. Rongée par la culpabilité et plus encore par la vengeance après la mort de son époux, de son fils aîné, et, croit-elle, de ses fils cadets, mais aussi par la disparition de ses deux filles et par le sort incertain de Jon Snow, elle finit par être tuée, mais, ô surprise des surprises, est ressuscitée par le pouvoir de Thoros de Myr, prêtre du Dieu Rouge.

Et puis… plus rien… ne cherchez pas Catelyn Stark après ça, elle est sans doute allée se faire dorer la pilule sur une plage de Braavos, parce qu’on n’en entendra plus parler… ou presque, puisqu’elle dirige un obscur groupuscule qui harcèle les forces de la maison Lannister, responsable de la mort de ses enfants. Alors qu’elle pourrait largement revendiquer la suzeraineté du Nord, regrouper des alliés, devenir un symbole de résistance. Non, elle tombe dans l’oubli, du moins dans la narration.

Hé oh ! Les gars ! Vous êtes sûrs de n’avoir rien oublié ? Non ?

Et si je vous disais qu’une femme ravagée par le chagrin et possédé d’un esprit de vengeance grand comme Westeros venait d’être ramenée à la vie alors que tout le monde la croit morte, ça ne vous dit rien ? Toujours pas ?

Est-ce que je suis vraiment le seul à halluciner sur cette promesse narrative non tenue ?

On s’attend au minimum à connaître son destin ultérieur.

On obtient en réponse un grand vide, un néant narratif si béant qu’il incarne à lui tout seul la faillite de l’intrigue…

Oui, je sais, je suis énervé. Mais avouez quand même que c’est assez gros. Non ?

Trahisons majeures

Mais la plus grosse promesse non tenue est bien l’intrigue elle-même.

On nous promet une guerre civile fratricide, et de ce côté-ci, on n’est pas déçu. Ça dézingue à tout va.

Mais par contre, si la menace la plus grande qui pèse sur Westeros met bien quatre saisons entières pour peu à peu se dévoiler, elle est évacuée en un seul épisode dans la huitième saison, le temps d’une seule gigantesque et impressionnante bataille. Et alors que la guerre civile met des dizaines d’épisodes à s’étaler, la Longue Nuit ne dure que 83 minutes…

Certes plusieurs épisodes au long de la série mettent en scène le Roi de la Nuit, jusqu’à effleurer son origine véritable, mais le Grand Méchant de la série n’est que très peu mis en scène. Comme ses lieutenants d’ailleurs.

Certes le destin de Bran Stark, de petit garçon surprenant un secret d’État à Souverain des Six Couronnes, en passant par infirme mystique, est phénoménal, mais le personnage est très peu développé au long de la série comme des livres. Je ne suis pas allé au bout des écrits de George R. R. Martin, puisque lui-même n’a pas fini d’écrire, mais il me semble difficile de s’attacher à Bran et de véritablement suivre son cheminement avec la façon dont le personnage est traité.

Les Sauvageons qui vivent au nord du Mur sont mieux développés. Ils constituent cependant pratiquement un huitième royaume, et la façon dont ils sont montrés ne diffère que très peu des autres peuples de Westeros ou même d’Essos (le continent est du monde de Game of Thrones).

De façon générale, les cinq à six premières saisons sont très lentes à mettre en place des rouages politiques, à suivre des dialogues, des intrigues de cour, des assassinats et autres joyeusetés, et les deux à trois dernières s’emballent complètement en oubliant de développer ce qui a pu être aussi important si ce n’est plus. Au point également de présenter des erreurs grossières de temporalité entre les scènes (et je ne suis pas le seul à avoir remarqué qu’à dos de Dragon on va plus vite que dans un avion, presque aussi vite qu’un téléporteur de chez Star Trek).

Tout se passe comme si l’on avait hâte d’enfin refermer la série et de régler leur compte à tous les personnages.

Et puis si l’on se retourne pour voir ce qui se passe pendant les cinq premières saisons, finalement, peu de choses, alors que les trois dernières comportent un twist ou un climax toutes les dix minutes.

J’ai personnellement eu l’impression de m’être un peu fait «arnaquer» et les mots qui me viennent sont : «tout ça, pour ça…», car on m’a vendu une lutte contre un péril hautement mortel sous forme d’une saga de fantasy, quand on me livre une redite des Rois Maudits de Maurice Druon (référence assumée par Martin, et que je vous engage à lire, car beaucoup mieux écrire) diluée et étirée.

On se demande ce que viennent faire les Marcheurs Blancs dans l’intrigue. Ils n’étaient même pas nécessaires pour raconter le cœur de l’histoire telle qu’elle nous a été présentée.

Ce que j’aurais aimé tient en une phrase : plus de cohérence et des intrigues plus resserrées sur ce qui sert l’histoire présentée au départ. Au lieu de cela, j’ai eu l’impression qu’il n’y avait pas de véritable fil directeur.

Est-ce que cela tient au fait que je ne sois pas prêt à accepter une histoire chorale ? Je ne pense pas, car dans ce style précisément, Sense8 (dans un autre genre il est vrai) m’a vraiment fait vibrer.

Non, ce que je reproche à la série est de ne pas s’être écartée des livres plus tôt, pour trouver son propre ton, sa propre écriture, son propre rythme.

Et ce que je reproche aux livres : une impression brouillonne et de ne pas dégager une vision véritablement épique, alors que la promesse de départ est justement celle-ci.

L’Ombre du vent, ou la trahison assumée

Pour mon deuxième exemple, je m’intéresse à L’Ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafón. Un roman d’une écriture fluide et agréable, au vocabulaire riche et au style imagé, avec des personnages aux caractères si bien définis qu’il en deviennent familiers. C’est assez rare je trouve, de constater une telle valeur littéraire pure en combinaison avec une intrigue presque policière qui se tient parfaitement. Même si, puisque j’en parle dans cet article, l’intrigue ne tient pas vraiment sa promesse narrative initiale.

Mais dans ce cas-là, c’est parfaitement voulu et assumé. Et ça change tout. Ou presque.

Le Cimetière des livres oubliés

Au début de l’adolescence, le jeune Daniel Sempere, orphelin de mère, vit avec son père libraire dans une Barcelone d’après-guerre marquée par les affres de la Guerre Civile espagnole et la police politique franquiste. Une nuit, son père partage un secret avec lui en l’emmenant dans le Cimetière des livres oubliés, une bibliothèque clandestine connue de quelques amoureux des livres seulement, et où Daniel peut «adopter» un livre qu’il choisira librement dans les rayons innombrables de l’endroit. Sa main s’arrête sur L’Ombre du vent, qu’il dévore rapidement et qui l’envoûte au point de constituer le pivot de sa vie. Le roman est le dernier d’un écrivain mystérieux, Julián Carax, tragiquement mort au début de la Guerre Civile à Barcelone.

Daniel va s’intéresser à l’histoire mystérieuse de Julián Carax, dont un personnage inquiétant recherche tous les écrits pour les brûler. Cet homme au visage mutilé se nomme lui-même Laïn Coubert, un nom qui n’est autre que celui du Diable en personne dans les romans de Carax.

Il va alors plonger dans les secrets d’une existence où l’amour, la haine, la trahison et la loyauté se mêlent aux mensonges et aux demi-vérités pour comprendre la véritable tragédie qui a frappé l’écrivain maudit et frôler lui-même un sort pire que la mort.

La promesse initiale et le résultat final

La promesse initiale est assez nette. On parle du Diable. D’une bibliothèque secrète si immense qu’elle contient même des livres introuvables ailleurs. D’écrivain maudit.

Inévitablement, j’ai pensé à La neuvième porte du royaume des ombres (Le Club Dumas dans sa version littéraire), de l’écrivain, espagnol lui aussi, Arturo Pérez Reverte, qui tourne également autour des livres et du Diable.

Mais l’intrigue nous mène sur un autre chemin.

Passez d’ailleurs le vôtre si vous désirez le lire, car je vais méchamment spoiler dans les lignes qui vont suivre. Et quand vous aurez comme moi dévoré le livre, vous pourrez revenir ici pour que nous discutions ensemble de cette promesse à mon avis non tenue de façon volontaire.

Car si l’auteur nous plonge bien dans un écheveau particulièrement emberlificoté de fils tragiques et d’existences brisées, il n’est en aucune manière question de surnaturel. Ce qui effraie Daniel c’est bien la méchanceté humaine, la cruauté, la vengeance, le dégoût de soi-même et la lâcheté. Des passions bien humaines qui n’ont besoin ni de Dieu ni du Diable pour se manifester. La seule entorse au surnaturel est sans doute la façon dont l’écrivain maudit survit à ses blessures. Le reste est simplement affaire d’ambiance et de superstition, de comment les autres protagonistes interprètent ce qu’ils voient.

On glisse donc peu à peu en Enfer, oui, mais pas celui que l’on croit au début.

Ce sont ici les sentiments humains et les actes qu’ils inspirent qui forment les pavés de cet Enfer bien plus terrifiant et réel au final. Et un peu comme dans un bon Agatha Christie ou une aventure de Shelock Holmes, le monstre cerbère à trois têtes s’avère n’être rien d’autre qu’un molosse cruel à la détermination froide. Le surnaturel s’efface derrière la réalité de l’horreur de la condition humaine. Et c’est sans doute plus terrible encore.

Pourtant, j’ai été déçu.

C’est que, pour réussie qu’ait été la descente aux Enfers dans l’exploration de la vie de Julián Carax, je m’attendais à autre chose. La surprise de découvrir une histoire tragique, mais humaine, réaliste, n’a pas été totalement bonne. Même le soin de l’auteur à travailler ses personnages, leurs passés, leurs pensées, n’a pas suffi à contre-balancer la déception que tout cela soit depuis le début uniquement une histoire «policière».

Je m’attendais à des zones d’ombre et à quelques questionnements sur la puissance mystique de la vengeance, de l’amour, sur une malédiction.

Rien de tout cela.

Mais cela était sans doute prévu par l’auteur qui traite son récit du point de vue de Daniel Sempere sur tout le début du livre. Un enfant, bientôt adolescent, qui découvre le monde et est empli de ses lectures. C’est lui qui fantasme Laïn Coubert comme pouvant être l’incarnation du Diable, lui qui imagine sans doute si grande la bibliothèque du Cimetière des livres oubliés, lui qui ressent l’ambiance surnaturelle de la Villa Aldaya.

Et c’est lui qui devient nos yeux. C’est lui qui guide le regard du lecteur.

C’est lui qui se trompe de promesse et donc lui qui nous trompe.

À travers la désillusion du lecteur, c’est la désillusion de Daniel qui est à l’œuvre ici.

Par conséquent, si l’on peut bien parler techniquement de promesse narrative non tenue, celle-ci l’est volontairement, pour mener le lecteur vers une conclusion autre, pour le bousculer un peu, lui faire éprouver les mêmes sensations que le protagoniste principal. Et si j’ai pu ressentir de la déception, ce n’était pas parce que l’auteur m’avait trompé sur la marchandise.

Promesses effectives et promesses subjectives

À ce stade de ma réflexion se pose une question toute simple : est-il possible que dans ces deux œuvres, les promesses que j’ai perçues ne soient pas vraiment les promesses faites au départ par les auteurs ?

Il existe en effet deux types de promesses narratives : celles que l’auteur fait réellement au cours de son œuvre, et celles que le lecteur ou le spectateur dépose sur le genre littéraire ou sur le sujet traité. La rencontre entre l’œuvre et son public est l’intersection entre ce que l’auteur a voulu, ce qu’il a réellement produit, et ce que son public y recherche. Les trois concepts ne sont pas forcément superposables.

Dans le cas de L’Ombre du vent, il est clair pour moi que la promesse narrative était présente, mais que sa trahison sert un propos sous-jacent dans le livre. Elle a du sens et fait en quelque sorte partie du projet. Ou bien est-ce moi qui lui trouve un sens a posteriori, ce qui, finalement, revient au même. Car l’œuvre n’a qu’un but : résonner chez son public. Si la résonnance peut donner un sens à la déception, l’œuvre atteint son objectif.

Dans le cas de Game of Thrones, je ne conçois pas comment l’accumulation des trahisons mineures de promesses narratives peut consister en un propos. De la même manière, je considère que si la menace des Marcheurs Blancs et du Roi de la Nuit n’est qu’un prétexte pour souligner la vacuité des luttes intestines qui déchirent Westeros, comme on pourrait l’imaginer, cette menace n’est pas traitée à la hauteur de l’enjeu qu’elle provoque pour le monde fictif mis en scène. Elle est au minimum bâclée.

Ma résolution

En faisant ce constat, comment dégager pour ma propre pratique une ligne de conduite ?

Tout d’abord, si je conçois le sens d’un glissement d’ambiance qui, trahissant la promesse narrative initiale, apporte un regard nouveau sur une histoire, ce n’est pas le genre de récit qui me transporte et surtout, ce n’est pas le genre de récit que j’ai envie de raconter s’il va dans le sens d’une désillusion. Pour être plus précis, j’admire beaucoup la capacité d’un Neil Gaiman, passé maître dans cet art, à dévoiler derrière les apparences banales du monde moderne une couche extraordinaire, surnaturelle, horrifique ou merveilleuse, ou tout cela en même temps. Et c’est plutôt ce genre de mouvement que je me sens prêt à explorer dans certains récits, plutôt que celui, inverse, de déconstruction d’un fantasme de façon à montrer que tout n’est qu’acte ou fait purement humain.

En quelque sorte, je me sens plus attiré par le projet de montrer un certain enchantement du monde que par celui qui consiste à le désenchanter.

J’ai beaucoup apprécié lire L’Ombre du vent, mais ce n’est définitivement pas de cette façon-là que j’aime raconter mes histoires.

Je vais donc devoir faire très attention à ne pas trahir mes promesses narratives majeures dans le même sens de désenchantement.

Quant à la leçon que je puis tirer de mon expérience personnelle avec l’univers de Game of Thrones, elle est finalement à la fois plus facile et plus ardue. Je vais devoir veiller à ne jamais, jamais, jamais, laisser une promesse narrative se dégonfler comme un soufflet. Cela va me demander une attention toute particulière : envers les détails, les personnages, les pistes que je lancerai. Il sera indispensable que je prenne garde à ne pas négliger la portée dramatique de ce que j’aurai auparavant posé, et à bien doser la réponse.

Prenons donc acte, vous en serez mes témoins, et mes juges.

Je veux tenir toutes mes promesses (naratives)…

Projet : Rocfou

Projet : Rocfou

J’ai déjà évoqué en quelques mots le nouveau projet qui occupe mon esprit littéraire en cette année 2019.

Comme toujours, il m’a fallu mûrir et digérer nombre d’influences afin de parvenir à une idée suffisamment claire pour savoir ce que je voulais vraiment exprimer. Cette digestion a commencé il y a des années, et elle continue son œuvre même maintenant, alors que je pose enfin les briques de ce que sera Rocfou. C’est un travail qui se fait pour une large part dans l’ombre, dans des impressions, des idées qui surgissent sans crier gare, des intuitions sur ce qui pourrait bien faire corps avec le reste de la recette, sur des envies et des coups de cœur.

Comme tout travail de créativité, ses détours sont sinueux et surprenants.

Et c’est parce que j’ai toujours aimé découvrir les coulisses de cette créativité, un peu comme les making of du cinéma, que j’ai eu envie de vous parler aujourd’hui de la façon dont ce projet, Rocfou, évolue, grandit, régresse parfois pour mieux rebondir ensuite.

J’aime à penser qu’une œuvre, quelle qu’elle soit, possède une vie propre. Ce n’est certes pas une vie au sens premier du terme, encore que le concept me séduise grandement, mais tout comme un être vivant, la création se nourrit et croît. Elle peut aussi se voir empêchée par une affection, se développer plus rapidement grâce à de bons soins, elle peut se tromper de chemin parfois et trouver des raccourcis qui lui feront emprunter des sentiers plus ardus ou plus aisés.

C’est de quelques-uns de ces aspects pour Rocfou dont je voudrais vous parler aujourd’hui.

Au commencement était le jeu de rôle

La genèse du projet Rocfou commence il y a une bonne dizaine d’années, un soir chez Obi-Wan, en présence de Sixte et de Phil. Nous évoquons les univers de jeu de rôle que nous aimerions explorer, et la fantasy vient naturellement.

À cette époque, nous avions envie d’une sorte de fantasy légère, et l’idée d’un groupe de trois antihéros émergea assez naturellement. Deux personnages seraient frères, l’un fragile, fantasque et intellectuel, devenu moine bien malgré lui, et le deuxième une sorte de colosse chevalier sans trop de subtilité, mais héritier du titre de noblesse de la famille. Le troisième larron serait l’écuyer du colosse, une sorte d’aventurier cynique volontiers filou à ses heures.

Ainsi naquirent Étienne et Eustâche, les deux rejetons de la lignée mal famée des Rocfou, et Béric, leur compagnon d’aventure.

Autour d’un verre, nous avons rapidement brossé les traits de ce que devrait être le monde dans lequel ils évolueraient, des piliers qui sont encore aujourd’hui à la base de mon projet.

  • Une époque ressemblant un peu à l’Europe mérovingienne, sous l’influence de la chanson de Roland et des légendes celtiques.
  • Une magie rare et peu puissante, d’autant plus crainte qu’elle n’est plus qu’un souvenir dans l’esprit des gens, une vague superstition, une rumeur de sorcellerie.
  • Une religion monothéiste peinant à se frayer un chemin dans des croyances bien plus anciennes et très ancrées dans la population.

Sixte nous a concocté un premier scénario. Son frère Phil s’est entiché de Béric, Obi-Wan a donné corps à Eustâche, pendant que je me suis glissé dans la peau d’Étienne, le frangin érudit et un peu magicien sur les bords, soupçonné d’avoir du sang féérique, et moine défroqué venant arracher son aîné à ses obligations de Seigneur de Rocfou pour partir à l’aventure.

Le trio d’antihéros en a ainsi vécu quelques unes, d’aventures, de joutes en tournois, d’intrigues de palais en mystères ruraux, jusqu’à ce que le temps fasse son effet et que nous passions à autre chose.

Entre temps, nous avions développé leur histoire, compris quelle était l’origine du nom des Rocfou, et les trois personnages sont restés dans nos esprits, un peu comme d’anciens camarades que l’on a perdu de vue depuis longtemps, mais dont on aime à se rappeler les noms et les souvenirs qui nous lient à eux.

Le temps a passé.

La fantasy a été marquée par Game of Thrones avec le succès de la série, et je me suis pris à imaginer ce que l’on pourrait montrer différemment. Comment une saga de fantasy avec des intrigues politiques, des dragons, des dangers, une magie ancienne et oubliée pourrait susciter une autre ambiance.

Et puis j’ai découvert Symbaroum, grâce à Jérôme, l’un des nouveaux compagnons de notre table de jeu.

Ce fut une révélation. Il ne manquait à Rocfou qu’une touche de dark fantasy pour devenir une histoire véritablement marquante. Cela changeait un peu la tonalité d’origine, résolument légère, presque parodique, «à la Willow».

Mais cela me permettrait de développer certaines idées qui me sont chères depuis longtemps, et qui dormaient dans un coin de mon esprit. Un peuple des Fées plus conforme à la tradition celte : étrange et inquiétant, imprévisible et cruel, même dans ses bienfaits. Le prix de la magie. Le prix des légendes, de la connaissance comme de l’ignorance. Et la gémellité, cette obsession qui me suit depuis ma tendre enfance, ce mystère qui me fascine alors que je ne l’ai jamais vécu puisque je n’ai pas de jumeau.

Il sera donc question de tout cela dans Rocfou, mais d’autres choses encore qui me sont apparu au fil du temps.

Tout cela grâce, au départ, à un univers de jeu de rôle…

La construction d’un monde

Toute histoire commence par la création d’un monde. Même celles se déroulant dans notre réalité impliquent de concevoir le monde intérieur des personnages, comme leur environnement immédiat, leurs relations, leurs désirs. Le travail est juste plus vaste lorsque l’on décide de raconter une histoire se déroulant dans un monde imaginaire.

J’avais déjà de bonnes bases en reprenant ce que le groupe de jeu avait construit au fil des années, et que j’avais moi-même enrichi pour mon plaisir, mais le propos de départ ayant changé, le monde ne pouvait pas être repris à l’identique. Il avait tout autant besoin d’être approfondi et harmonisé afin que sa cohérence interne en soit renforcée.

Je suis donc pratiquement reparti du début, en gardant à l’esprit les principes exposés plus haut.

Pour cela, j’écris ce que les scénaristes de séries télévisées appellent une bible. Il s’agit d’un document qui sert de référence constante et qui détaille l’univers dans lequel l’intrigue va évoluer.

Cette bible se constitue d’abord par des notes jetées en vrac dans un carnet, qui dans mon cas est numérique, ce qui me permet de retraiter chaque note dans différents environnements de travail (carte heuristique, liste, etc.) sans avoir à tout ré-écrire à chaque fois.

J’approfondis chaque note par un texte explicatif, parfois relié à d’autres points, et pour cela j’utilise Scrivener. Sa faculté à créer des liens internes et à organiser des dossiers et fichiers hiérarchisés m’aide énormément. En plus, j’ai la bible constamment à portée de main quand je rédige, et cela me fait gagner un temps fou.

J’organise certaines notes entre elles avec une architecture visuelle en carte heuristique avec Scapple, surtout lors de la conception de l’intrigue.

Et pendant tout ce travail, je visualise le monde physique dans lequel vont évoluer mes personnages en recherchant des images qui pourront soutenir mes descriptions, et surtout en le cartographiant. Car depuis longtemps on sait qu’on ne connaît bien un monde que si on est capable de s’y orienter. Depuis le périple d’Ulysse, puis les cartes du tendre du XVIIe siècle jusqu’à la Terre du Millieu de Tolkien, il n’est pas de monde imaginaire ou légendaire qui ne se construise en fixant des côtes, des cités, des montagnes et des mers. Même lorsque ces cartes ne sont ensuite pas livrées au public pour plonger le lecteur dans une époque où ce que l’on savait du monde était parcellaire et rapporté par d’autres, l’auteur doit les tracer pour devenir un véritable démiurge.

C’est ainsi que la construction du monde de Rocfou se fait pas à pas.

Bien entendu, tout n’est pas fixé d’emblée, et il reste de nombreuses zones inconnues, même pour moi. Je ne fais au départ que tracer les grandes lignes de ce qui sera le cadre de l’intrigue. Comme tous les rôlistes le savent, il vaut mieux partir de ce qui est le plus proche des protagonistes, et agrandir le cadre au fur et à mesure, si l’on excepte les grands principes qui dirigent le monde lui-même, comme la nature de la magie, la religion, la culture des peuples. Même si tout cela est brossé un peu grossièrement.

Les détails prendront place naturellement durant la rédaction, ou plus tard même, avec les besoins.

Je m’assure juste que chaque détail rajouté soit cohérent avec le reste, et c’est pour cela que la bible est si utile.

Exemple d’article de la bible : la magie dans le monde de Rocfou

Voici à quoi peut ressembler une note décrivant certains principes du monde.

Celle-ci s’occupe de la place de la magie dans Rocfou.

La magie dans Rocfou

Les contes et les légendes d’autrefois contiennent tous leur dose de magie, y compris en Grande Terre. De nos jours, les superstitions et les croyances ont remplacé les certitudes de jadis, et le Don des Ombres et des Lumières, s’il est encore synonyme d’un respect craintif et d’une grande méfiance, est surtout vu comme un feu éteint avec les dernières lueurs de l’Ancienne Foi. Les prêtres du Dieu Lumineux enseignent en effet que les seuls véritables prodiges sont l’œuvre des saints et que le reste n’est que maléfices et sorcellerie inspirée par les démons Fomori.

Le nom, cependant, est resté, et il arrive tout de même que l’on attribue certaines merveilles à des êtres touchés par les Ombres et les Lumières.

Car ainsi est appelée la magie, même si le terme magie ne convient peut-être pas tout à fait. Il s’agit bien de tordre ou violer les lois de la physique et de la biologie, mais d’une façon généralement très discrète. Les prodiges stupéfiants de boules de feu, de châteaux édifiés en une nuit ou autres réalisations d’importance ont toujours été l’apanage des races aînées : les Fées, les Dieux, les Démons, et bien évidemment, les Dragons, qui sont connus pour avoir été l’âme même de la magie. Leur disparition est d’ailleurs généralement considérée comme la cause de l’affaiblissement progressif de la magie, et des prodiges que cette dernière permet de nos jours.

On explique cela par le fait que les Dragons étaient constitués de l’essence même du monde. Leur magie était donc capable de modeler la réalité aussi simplement que de bouger une patte.

Chaque peuple a appris des Dragons une magie différente, adaptée à sa propre existence, mais de moindre importance.

Seuls les Fomori, les noirs démons jadis vaincus par les Dieux, possédaient leur propre et mortelle sorcellerie.

Les Puissances, les Dieux, régissent un domaine particulier de la vie sur la Grande Terre, et les miracles dont ils sont capables sont tous contraints par ce domaine en particulier. Mais avec leur retrait hors du temps, peu de miracles ont été vus depuis plus de mille ans.

Les Fées, eux, ont une magie plus subtile et en un sens plus libre. Ils peuvent altérer la réalité grâce à des illusions, nommées enchantements, qui sont si réalistes qu’elles peuvent supplanter la véritable texture du monde, s’ils consentent à un sacrifice. Ce sacrifice est généralement coûteux et cruel, et plus l’enchantement est grand ou puissant, plus le sacrifice est vicieux et cruel. Cependant, la règle subtile et dangereuse dont les humains ne connaissent pas forcément l’existence est que ce sacrifice doit être consenti par la personne qui désire l’enchantement, pas par le magicien. De nombreux humains ont ainsi été piégés par les Fées. Néanmoins, tous ceux qui sont encore au fait des anciennes traditions savent que la magie des fées à une faiblesse, nommée geiss. Un geiss est une condition très particulière que doit respecter chaque Fée, en permanence, sous peine de perdre à la fois ses pouvoirs et sa très grande longévité. Certaine Fée ne pourra mentir aux enfants, une autre devra boire seulement du lait, etc. Découvrir le geiss d’une Fée et parvenir à le lui faire enfreindre est la seule façon de détruire la magie d’un tel être.

Bien évidemment, plus aucune Fée n’a été vue dans tous les Royaumes de la Grande Terre depuis près de sept siècles.

Enfin, le Don des Ombres et des Lumières est la forme de magie que les Fées et certains Dragons apprirent aux humains dans les premiers temps de l’Histoire. C’est une forme affaiblie de la magie des Fées, l’art des illusions et des enchantements, qui cependant peuvent prendre réalité durablement si l’on consent à un sacrifice, mais, à cause de la nature des humains, ce sacrifice doit être fait par le magicien lui-même, ce qui freine considérablement les velléités de changement définitif dans la trame du monde. Sans ce sacrifice, l’enchantement ne supplante la réalité qu’un temps assez court, généralement jusqu’à ce que le soleil ou la lune se couche.

Pratiquer ce Don est très rare. En effet, il se trouve que seuls les humains jumeaux peuvent développer cette capacité. Et comme il est dans la nature de la magie de toujours avoir un prix, les humains nés avec ce talent souffrent également d’une tare physique ou psychique, d’une maladie ou d’une infirmité quelconque, qui rend leur existence précaire au mieux, dangereuse à tout le moins.

Ainsi sont craints tous ceux qui souffrent d’une affection chronique, et on les soupçonne très vite d’être des magiciens, ou, pire, des sorciers voués aux forces maléfiques.

Exemple de cartographie

En gardant à l’esprit le principe de détailler d’abord ce qui sera le plus proche des personnages, puis d’agrandir le périmètre au fur et à mesure des besoins, il revient tout de même au démiurge de voir un peu au-delà. C’est pourquoi le tracé des côtes de la Grande Terre est si vaste par rapport à la région de Rocfou, un petit coin perdu du Royaume de Miliath, le Royaume du Miel, au nord-ouest, près de la grande chaîne des Montagnes des Dragons.

L’histoire prenant ses racines loin dans le passé, à l’époque où les derniers Dragons vivaient encore, il était aussi nécessaire de regarder l’évolution de certains paramètres. Ainsi, sur le tracé des côtes, j’ai gribouillé plusieurs cartes décrivant, par exemple, l’aire de répartition des différents peuples (première carte) et les divisions politiques actuelles (deuxième carte), même si certaines ne sont pas totalement figées et si je ne sais même pas encore quels noms auront les territoires concernés, ni s’ils auront une importante quelconque dans le récit.

Il est essentiel de se laisser des pans entiers à découvrir soi-même au fil de l’écriture, de laisser la place à des idées actuelles de se développer, ou à des idées futures d’émerger et de prendre toute l’ampleur qu’elles méritent.

Dans mon fonctionnement, l’écrivain structural et l’écrivain jardinier cohabitent véritablement, même si j’ai tendance à incarner plus facilement le premier que le second.

La conception d’une intrigue

L’étape de l’intrigue est entremêlée avec celle du monde, car l’une et l’autre se nourrissent mutuellement. Un détail dans l’univers va donner une idée d’événement, un événement va prendre place dans un décor spécifique et faire naître une particularité de l’univers.

Je procède là encore par notes diverses, reliées dans une carte heuristique.

La pensée créative est une pensée analogique : elle va établir des liens entre plusieurs idées, plusieurs concepts. Des liens qui sont logiques et d’autres moins. Il peut s’agir d’impressions, d’ambiances, d’images, de sons. Et ces liens font émerger à leur tour une idée ou un concept qui seront parfois très éloignés des sensations premières. Par exemple si l’évocation d’une symphonie et d’un soir de pluie pouvait donner naissance à l’idée d’une scène où un personnage découvre le secret de sa naissance.

C’est ainsi que mes notes sont des phrases ou des bouts de phrases, reliées à des mots qui décrivent plus précisément mes impressions. Et ensuite, j’essaie de visualiser le tout comme une scène, ou dans une scène déjà «découverte» dans mon plan.

C’est dans cette phase que je structure un peu les événements. J’essaie de suivre le chemin de l’histoire, de façon grossière, comme on le ferait à grands pas, sans se préoccuper des détails. Je survole la carte heuristique, et je la vois de très haut, pour n’en distinguer que les contours les plus importants, les nœuds réellement les plus forts. Ce n’est qu’ensuite, lorsque je vais rédiger, que je reprends ce chemin, à pied cette fois, en m’autorisant à explorer des endroits que je n’avais pas prévus en premier lieu, en musardant, furetant, en m’attardant sur des détails qui peuvent ensuite se révéler être de véritables détours ou des pans entiers de l’histoire qui m’étaient inconnus jusque là.

Je reprendrai ensuite chacun de ces détours, chacun de ces nouveaux pans de l’intrigue, pour les relier le plus harmonieusement possible au reste, et que le tout prenne une forme et un fond qui me satisfassent.

J’en suis actuellement au tout début, à l’étape où chaque note se déploie indépendamment des autres, pour être reliée ensuite à tout le reste. J’explore.

C’est une phase déroutante, car on n’écrit pas encore, mais passionnante parce qu’on défriche, et frustrante parce qu’on ne voit pas encore vraiment où tout cela mènera.

L’envie d’une autre fantasy

Comme souvent chez moi, deux désirs presque opposés coexistent.

D’abord écrire une saga de fantasy, de «vraie» fantasy, avec des Dragons. Avec des légendes. Avec des héros et un monde qui change, se trouve bouleversé par des combats épiques, des mythes qui se créent.

Et puis écrire une fresque plus fantastique et personnelle qu’héroïque, sans manichéisme, mais avec des nuances de gris, avec cette ambiance mystérieuse que donne la magie diffuse, cruelle, sacrificielle. Un mélange de low fantasy et de dark fantasy, où les seuls êtres non humains sont disparus ou presque (pas d’elfes élancés ni de nains trapus, pas de gobelins, de trolls ou d’orques) où les rares êtres Fées sont des créatures étranges, incompréhensibles et dangereuses, où le plus grand danger vient souvent de soi-même, où les Dragons ne sont plus présents que dans des chuchotements multiséculaires qui résonnent encore aux oreilles de rares personnes aussi maudites que bénites.

La gageure est simple : donner corps à ce mélange. Et lui donner corps dans un alliage aussi beau que solide.

Autant dire que je ne suis pas encore sorti de l’auberge (où comme il se doit dans tout bon module de l’ancêtre D&D un mystérieux commanditaire m’a confié ma mission ?).

Un bel objet

Enfin, un livre, c’est aussi un objet.

Et avec Rocfou j’ai envie d’aller plus loin dans la conception d’un bel objet, car pour moi le beau est dans le signifiant du texte, mais aussi dans sa présentation.

Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, me diront certains.

Et bien non. Traitez-moi de vil esthète si cela vous chante, mais pour moi le flacon a aussi son importance dans l’ivresse. Et je l’assume. Jusque dans les livres que j’écris. Car un livre peut être un bel objet, un de ceux qui marquent, par son contenu autant que par lui-même.

Ce peut être un objet numérique, auquel je trouve l’on ne prend pas assez soin du détail. Même si le support échappe complètement aux mains de l’auteur (je ne pourrai pas décider sur quelle marque de liseuse ou de tablette, voire de smartphone ou d’ordinateur vous lirez mes productions), je pense sincèrement qu’un simple fichier ePub peut apporter au plaisir de lire s’il répond à trois critères :

  • Un confort de lecture qui s’adapte aux particularités et envies de chacun. C’est d’ailleurs la grande force du livre électronique sur le livre physique que cette adaptabilité, rendant possible la lecture même aux personnes souffrant de difficultés visuelles.
  • Une mise en cohérence de la forme avec le fond du texte. Il ne faut pas oublier que la typographie peut être elle-même signifiante et que certaines mises en forme peuvent avoir un impact sur l’immersion du lecteur dans l’histoire. Au même titre que la réalisation, la lumière, les éclairages, la photographie et parfois les effets spéciaux peuvent apporter quelque chose au cinéma ou en série télévisée (je pense aux textos visualisés directement dans certains épisodes de la série Sherlock de la BBC), je suis convaincu que la typographie peut rendre certains passages plus immersifs dans un écrit (dans le même exemple des textos, pour n’en prendre qu’un).
  • Une esthétique globale dans une identité éditoriale. Pour qu’un fichier soit plus qu’un bête agencement de code informatique et donc qu’un texte soit plus qu’un simple affichage de caractères sur un écran, il est nécessaire de lui donner… du caractère, si je puis dire sans mauvais jeu de mots. Donc de penser la mise en forme pour que cette esthétique soit la plus identifiable possible. Qu’elle type l’œuvre, l’auteur, ou la collection.

Mais un livre c’est aussi, plus traditionnellement, un objet physique, un agencement de feuilles de papier savamment reliées, avec sa forme, mais aussi son toucher. La matérialité a encore de quoi séduire. Et dans ce domaine également, j’ai envie de changer un peu.

Cela fait quelques années que nous nous côtoyons sur cet espace virtuel, et que régulièrement je parle de l’impression à la demande et des opportunités qu’elle a offertes à la réalisation de livre (ce que d’aucuns appellent l’auto-édition). J’ai même commis un ou deux articles expliquant comment s’y prendre avec le poids lourd du marché, Amazon.

Mais outre que le modèle économique et social du géant américain ne me convient pas vraiment (mais c’est un autre débat, que nous aurons sans doute un jour), la finition de l’objet livre par Amazon, pour être à la hauteur de standards professionnels, est limitée.

Il n’existe pas de reliure cousue chez Amazon, et pas même chez son concurrent le plus direct, lulu.

On ne peut pas choisir la matière de la couverture (ou bien si, seulement entre souple et dure).

Or, c’est aussi avec des détails comme ceux-là que l’on crée un bel objet. J’aimerais une reliure cousue pour les deux ou trois tomes de la série que devrait devenir Rocfou, parce que c’est plus solide, parce que c’est plus beau aussi. J’aimerais une couverture dure, également. Je me penche sur la lisibilité de la maquette, la police de caractère, le papier.

Bref, je veux renouer avec le plaisir simple de posséder une œuvre précieuse, non pas forcément par son coût, mais parce que quelqu’un a pris le temps de la réaliser pour moi.

Encore une fois : le contenu et le contenant peuvent se répondre.

Time will tell

Tout cela fait beaucoup, devez-vous penser.

Je suis bien d’accord. Il me reste du chemin à parcourir avant de livrer Rocfou entre vos mains et à vos yeux ébahis.

Mais pour le moment mon plan se déroule sans accroc majeur (et vous savez combien j’adore qu’un plan se déroule sans accroc) et la rédaction du premier tome devrait débuter avec l’été, au mois de juin probablement.

Ce premier tome dont le titre est déjà tout trouvé : Les Héritiers du Dragon.