
Pourquoi j’ai retiré le flux des Consultations extraordinaires de Spotify
Vous avez peut-être — ou pas — remarqué que ma podfiction, Les consultations extraordinaires de Belladone Mercier, psychologue des dieux, n’est plus disponible à l’écoute via Spotify. C’est d’autant plus vrai si vous étiez l’une ou l’un de mes rares abonnés sur la plateforme suédoise.
Ce n’est pas une erreur technique.
C’est un acte volontaire, conscient, réfléchi de ma part.
Je sais que cela va vous gêner si vous voulez écouter la suite (la saison 2 est sur les rails) : cela vous amènera sans doute à changer de plateforme — après tout, la série est disponible sur plusieurs autres — ou à le faire depuis ce site directement.
Plutôt que de vous présenter des excuses, je vais vous expliquer pourquoi j’ai été amené à faire ce choix.
La vie de la Cité
Notre monde moderne a tendance à nous le faire oublier, mais nous ne sommes pas seulement des consommateurs, ni des lecteurs, des auditeurs, un public, nous ne sommes pas seulement des entrepreneurs ou des salariés. Nous sommes des Citoyens, des Citoyennes.
Cela veut dire que les décisions qui sont prises par nos dirigeants sont prises en notre nom. Et quand on a la chance de vivre dans un pays dont toutes les bases démocratiques n’ont pas encore été balayées (même si elles se rétrécissent comme peau de chagrin), il est possible d’exprimer notre opinion, à la condition de le faire sans insulte, sans appel à la haine. Avec respect, en somme.
Car ces décisions sont bien prises en notre nom, c’est-à-dire qu’elles nous engagent mais aussi qu’elles doivent au moins refléter la volonté de la majorité d’entre nous.
J’ai parfois l’impression que ce n’est pas exactement ce qui se passe dans la réalité, de nos jours.
Mais qu’importe.
Je me sens Citoyen. Et à ce titre j’ai non seulement quelques droits, mais aussi quelques devoirs.
Dont celui d’exprimer mes opinions sur ce qui me semble être juste.
L’Art et les Valeurs qu’il véhicule
C’est d’autant plus vrai lorsque l’on est, comme je le revendique, un ou une artiste.
Car dans l’Art que nous produisons se cachent toujours des valeurs.
Qu’on le veuille ou non, en effet, tout Art est en partie au moins politique.
Les histoires que nous racontons reflètent en partie notre vision du monde, ou, au minimum, en véhicule une.
Il est certain, par exemple, que la façon dont j’ai construit la malédiction qui touche Victor et sa famille, dans mon troisième roman, Fæe du Logis, montre que, pour moi, le respect de la parole donnée est une valeur importante. Elle peut certes entrer en conflit avec d’autres, comme le montre l’histoire de Victor telle que je la raconte, mais elle n’en reste pas moins l’une de celles que le roman met à l’honneur.
Ainsi, pour moi, certaines valeurs sont fondamentales dans la vie. Et je pense fermement que c’est le cas pour tous les artistes, comme c’est le cas pour tous les êtres humains.
Il n’existe pas d’artistes engagés et d’autres non engagés.
Il n’existe, par définition, que des artistes engagés, car nous sommes tous défenseurs de certaines valeurs dans nos œuvres.
Je suis un artiste. Je suis donc engagé politiquement.
Mettre ses actes en accord avec ses propres valeurs
Je ne suis pas le seul à avoir réalisé cela.
L’un de mes groupes de musique préférés, les Britanniques de Massive Attack, l’a bien compris.
Comme moi, ils portent les couleurs de certaines valeurs.
Responsabilité écologique, respect de la vie humaine, respect des droits des autres, respect des droits des peuples. Respect des autres tout court, finalement.
Alors, suivant leur exemple, j’ai décidé de mettre en accord mes valeurs et mes actes.
À l’heure où j’écris ces lignes, parmi les conflits qui secouent notre monde, il en est un qui me frappe d’horreur plus encore que les autres, si cela est possible. Un conflit qui oppose deux intolérances aussi crasses et aussi meurtrières l’une que l’autre, et qui entrainent dans leur sillage de mort, de destruction et de haine deux peuples qui pourraient pourtant vivre en paix et en collaboration l’un avec l’autre.
Ce qui s’est déroulé le 7 octobre 2023 en Israël est plus que du terrorisme. C’est un ensemble de crimes impardonnables et inexcusables, perpétrés par des personnes qui doivent être jugées, condamnées et punies pour cela par la justice internationale.
Ce qui a suivi depuis est tout aussi monstrueux : même le traumatisme des attaques et des prises d’otages ne justifie pas de commettre sciemment des destructions systématiques de bâtiments civils, d’affamer et de déporter à plusieurs reprises toute une population, de noyer sous les bombes des hôpitaux civils, de prendre pour cibles des enfants en bas âge, des vieillards, des non-combattants. Je ne prendrai pas part au débat qui fait rage pour savoir si l’on peut qualifier tout ceci de génocide. Pour moi, il n’y a pas de débat. Ce que le gouvernement israélien commet à Gaza, ce sont au minimum des crimes de guerre. Et les responsables devraient eux aussi être traduits devant les tribunaux internationaux, jugés, condamnés et punis pour cela.
C’est aussi criminel à un autre titre : par une spirale bien connue, la violence engendre la violence.
En conduisant une politique extrême, le gouvernement israélien (contesté en cela par une partie de sa population elle-même, notamment les familles des otages encore retenus par les terroristes de l’autre bord) ne fait que nourrir la haine qu’ont envers lui tous les Gazaouis, et rend donc service au Hamas qu’il est censé combattre.
En cela, les deux bords qui conduisent la guerre (les responsables, pas les peuples) sont alliés dans l’horreur. Le Hamas a été en mesure d’embrigader autant de combattants parce que la population de Gaza est opprimée depuis maintenant de très nombreuses années, sans perspectives d’avenir autre que de s’enrôler comme soi-disant «libérateur». Opprimée par un gouvernement israélien d’extrême droite conduit par la même haine que le Hamas, et qui est venue au pouvoir à cause des actes terroristes commis par cette organisation en réponse à l’oppression israélienne.
Le Hamas est l’enfant des politiques d’exclusion du gouvernement d’extrême droite d’Israël.
Le gouvernement d’extrême droite d’Israël est l’enfant des atrocités du Hamas.
À un moment, alors que l’impuissance devant toutes ces horreurs me submerge, je ne peux plus rester silencieux ou inactif.
Parmi mes valeurs les plus fondamentales, je prône le respect de l’Autre, dans son droit d’exister, de vivre, de vivre sa religion, de vivre sur une terre qu’il peut appeler son pays.
Alors, comme mon Art véhicule ce respect, je prends la décision de rejoindre le boycott de Spotify, dont le dirigeant investit les bénéfices dans des armes qui servent actuellement à perpétrer des crimes de guerre.
C’est une goutte d’eau dans l’immensité de l’espace, mais c’est ma goutte d’eau à moi.