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Star Cowboy, univers & inspirations

Star Cowboy, univers & inspirations

Star Cowboy, univers & inspirations

Alors que l’écriture du premier scénario de Star Cowboy est en cours (scénario qui devrait se jouer sur Roll20 d’ici quelques semaines, le temps de caler une date), je voulais vous livrer ici les quelques inspirations qui m’ont guidé et les choix que j’ai faits dans la conception de l’univers.

Appréhender un univers composite et en faire un tout cohérent n’est pas chose aisée, surtout lorsque l’on n’en a pas soi-même écrit les fondations. Je me base donc beaucoup sur ce que d’autres ont écrit, pensé, conceptualisé, et je tente d’organiser et de faire des choix sur ce que je garde, modifie, supprime, pour que l’univers de jeu paraisse à la fois attirant pour mes joueurs, ouvert, et réaliste.

Les choix d’Univers

Mass Effect est bien évidemment ma référence principale. Comme vous le remarquerez, j’y assois à la fois une grande part de la charte graphique de Star Cowboy, et une part cruciale des axiomes de l’univers.

Je me suis appuyé sur le Codex du jeu, très bien présenté dans une version traduite (avec quelques coquilles et fautes d’orthographe ou de syntaxe, hélas) sur le site de Mass Effect Universe.

J’ai cependant fait quelques choix qui divergent de l’univers original du jeu.

Races extraterrestres

Les seules races aliens de Star Cowboy sont les Turiens, les Asari, les Drells, les Quariens et les Geths. Hormis les Prothéens, race mythique éteinte depuis des dizaines de milliers d’années, j’ai évacué toutes les références aux autres races, même les plus importantes comme les Galariens ou les Krogans. Ce choix est dû à une volonté de donner un côté plus anthropocentré aux intrigues et à l’ambiance. J’ai remarqué que la plupart des gens se focalisent plus sur le côté « fun » des races aliens que sur les questions éthiques qu’un univers de space opera avec de nombreuses races aliens est capable de poser.

J’ai donc aussi décidé que les Drells avaient été sauvés de l’extermination par les Asari, et non par les Hanari. Je trouve bien plus intéressant de donner une relation asymétrique envers ceux que l’univers de Mass Effect propose comme des sages, mais qui peuvent aussi avoir leurs côtés sombres.

Cela me rappelle un peu la relation que les Narns peuvent entretenir avec les Minbari dans Babylon 5.

Les similitudes entre Mass Effect (Asari et Drells) et Babylon 5 (Minbari et Narns)

Cerberus n’est pas une organisation raciste humaine, mais bien plus une nébuleuse aux buts mystérieux se rapprochant d’une secte au fonctionnement mafieux. J’ai besoin que l’organisation et son dirigeant, l’Homme Trouble, soient vus comme une sorte de secte mystique.

Biotiques

La logique des implants biotiques fait sens dans un jeu vidéo, afin d’offrir aux joueurs la possibilité d’acquérir des pouvoirs par l’expérience. Mais je trouve plus intéressant de garder les talents biotiques comme des talents innés. Cela rend les biotiques plus mystérieux et plus singuliers. Cela permet également de travailler sur les relations que les différentes races entretiennent avec ces êtres dotés de capacités spéciales. Il sera question de cela aussi lorsque je parlerai de l’émergence du gêne psy, au cours de la campagne.

Impossible donc de devenir biotique en cours de jeu. Un personnage devra être biotique depuis sa création.

Les biotiques sont de ce fait plus rares et plus redoutés.

Mass Effect Nouvelle Ère

Je ne suis pas le premier à m’intéresser à Mass Effect comme univers de jeu. Renaud Lottiaux a prolongé avec talent l’univers officiel, avec la bienveillante neutralité de Bioware, dans un jeu de rôle nommé Nouvelle Ère, disponible gratuitement ici, et propulsé par les règles du World of Darkness.

Si je me suis beaucoup éloigné du mécanisme de jeu (ayant énormément pratiqué Vampire ou Werewolf, les défauts du système de résolution me sont désormais insupportables), je trouve de grandes qualités à la façon dont Renaud développe la trame de Mass Effect au-delà des jeux vidéo. Je me suis inspiré de nombreux éléments pour l’intrigue fil-rouge de Star Cowboy, notamment pour le passé des personnages de mes joueurs. Le rôle qu’il fait jouer à Javik et le retour des Prothéens m’ont amené a penser plus précisément la thématique des artefacts aliens, de l’exoarchéologie.

Sur ce point-là, d’ailleurs, je vous conseille aussi de lire l’excellente série des livres de Jack McDevitt (Les machines de Dieu, Chindi, etc.), dont les intrigues sont basées sur l’exoarchéologie.

Les quatre tomes des Machines de Dieu de Jack McDevitt, chez L’Atalante.

Cowboy Bebop

Il y a de cela 15 ans environ, Axel F. m’a fait découvrir, ainsi qu’à certains de mes compagnons de jeu actuels, l’univers manga de Cowboy Bebop, lors d’une série de scénarios adaptés de l’œuvre originale. J’ai tout de suite été conquis.

L’idée de Star Cowboy est venue en partie de l’envie de retrouver comme maître de jeu le plaisir que j’avais ressenti à regarder les épisodes et à jouer. J’ai donc essayé de développer le côté western de Star Cowboy en me guidant sur certains aspects du manga.

C’est ainsi que j’ai décidé de garder une certaine esthétique de dessin animé dans les images que je présenterai à mes joueurs, et notamment sur leurs propres personnages. Même si cela est synonyme de grandes difficultés à trouver de telles illustrations. Heureusement, il y a Deviant Art

Les personnages des joueurs sont donc très fortement inspirés des héros de Cowboy Bebop : Faye Valentine, Ed et Spike Spiegel, en premier lieu, bien entendu, puisque j’ai même repris les noms. Mais également Thane, qui a hérité de nombreux aspects de Jet Black.

La monnaie est devenue le uron, et non plus le crédit.

Les hackers tiennent une place de choix dans Star Cowboy. Cela permet de faire un peu plus le lien avec notre propre monde où la technologie de l’information est essentielle, et un monde où la criminalité comme les forces de l’ordre ont évolué vers à la fois plus de violence et plus de modernité.

Le personnage de Ed/Radical Edward était une bonne manière d’introduire ces éléments dans l’intrigue.

En voici d’autres, dont je me servirai beaucoup dans les scénarios de la campagne à venir.

Les opportunités infinies de la société galactique font naître la cupidité, l’avidité et l’égoïsme. Les Humains sont bien sûr facilement tentés, mais les autres races Conciliennes possèdent également dans leurs rangs des individus peu recommandables. La pègre connaît donc un nouvel âge d’or. Les trafics sont nombreux : drogue, jeu, prostitution, armes, mais aussi reliques prothéennes, technologies à la diffusion limitée.

Diverses organisations se sont donc développées, sur un mode maffieux, comme la Secte des Dragons Rouges ou les Yakuzas, ou sur un mode plus original, comme Cerberus, une société secrète aux buts mystérieux dirigée par l’énigmatique Homme Trouble.

Se confronter aux intérêts de la pègre n’est jamais une bonne nouvelle pour les Chasseurs de Prime, et c’est pourtant inévitable un jour ou l’autre.

La drogue la plus répandue est celle causant des hallucinations par projection sur les yeux, la Red Eye ; elle décuple pour un court instant les facultés de perception, mais l’effet est désastreux sur le système nerveux. D’autres drogues par injection existent bien entendu, et la Red Eye n’est que la plus célèbre.

La législation sur les jeux est très variable d’un monde à l’autre, mais est toujours très encadrée. Il existe cependant de nombreux accords entre les individus louches qui tiennent souvent ces établissements et les autorités. Chaque monde, parfois même chaque grande cité, possède un tripot, qu’il soit clandestin ou qu’il ait pignon sur rue. Mais les plus grands et les plus réputés des casinos sont ceux qui sont installés sur Citadelle, et les trois fabuleux satellites artificiels que sont les Casinos Royale.

Gigantesques satellites artificiels, ce sont des lieux de rencontre privilégiés qui appartiennent à de riches propriétaires aux relations parfois interlopes. Il en existe trois qui sont respectivement près de Mars (Le Red Royal Casino), près de Vénus (Le Purple Royal Casino), et près de Ganymède (Le Black Royal Casino). Chacun des trois accueille à tour de rôle les très attendues Coupes annuelles des Pocker Masters. L’an dernier, une certaine Mlle Valentine, charmante à ce qu’on dit, a gagné le prix de Ganymède après avoir battu en finale les fameux Cardbusters, les deux frères tenants du titre l’an dernier (ils s’étaient partagé le prix en finale).

Babylon 5

Enfin, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver quelques similitudes entre Mass Effect et l’intrigue de fond de Babylon 5, la série américaine qui a renouvelé le genre de la série spatiale dans les années 1990 en la débarrassant des scories de la vieille statue du commandeur qu’était devenue Star Trek.

Les thèmes des races aliens accueillant presque à regret l’Humanité parmi le « concert des nations », de la guerre basée sur un malentendu où deux espèces ont failli s’exterminer (Humains contre Minbari, ou Humains contre Turiens), des haines raciales, des très anciennes races extraterrestres qui se livrent un combat dans l’ombre pour des motifs mystiques autant que philosophiques (Prothéens/Vorlons contre Moissonneurs/Ombres) en utilisant sans scrupule les autres races moins évoluées comme des pions sur un jeu d’échecs.

Je me suis donc servi de quelques-uns des épisodes de la série, que vous reconnaîtrez peut-être au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire.

Les problématiques liées à l’émergence de personnes aux pouvoirs psychiques (le Corps Psy dans Babylon 5), sera également un axe de progression.

Ambiance

C’est là que je compte véritablement travailler mon style.

L’idée de départ est de transposer une ambiance de western, avec des enjeux personnels très forts, dans le maelström d’un bouleversement de l’univers.

Les épisodes de la série seront donc au départ focalisés sur des thèmes émotionnels (le désir de liberté pour le premier épisode, Whiplash), qui devront peu à peu télescoper des machinations à l’échelle locale, puis universelle. Je crois beaucoup à la puissance des émotions humaines (ou aliens) dans l’impulsion des grandes décisions ou des grands bouleversements. Et j’aimerais beaucoup le montrer dans le cours de cette série de scénarios.

Western

Le genre western, outre qu’il permet de rendre l’ambiance d’un univers rude, où les choix moraux sont aussi des choix existentiels parce qu’ils impactent directement la survie de celui qui les fait, est également parfait pour mettre en scène des passions fortes. Haines, amours, amitiés, inimitiés, rancunes, vengeances, appât du gain, sacrifice, sont autant de sentiments puissants qui sont centraux dans tous les westerns qu’ils aient été tournés à Hollywood comme à Cinecittà, par John Ford, Clint Eastwood, ou Quentin Tarantino.

Chasseurs de primes

C’est donc à dessein que je place les personnages des joueurs dans une position ambiguë, celle d’auxiliaires des forces de l’ordre pourtant sans hiérarchie et sans véritable règle.

Eux-mêmes parfois transgressent la légalité, et pourraient s’exposer à apparaître sur la liste des gens dont la tête est mise à prix, morts ou vifs.

Malgré le côté pulp du système de jeu Fate (et plus encore de son itération Atomic Robo), je compte faire sentir le poids des choix moraux, de leur conduite. Je compte aussi leur montrer combien il pourrait être facile de prendre des décisions radicales, dans un monde très violent, mais combien la perte de leurs repères pourrait les amener là où ils ne le voudraient pas.

Indiens

Le folklore western ne serait pas complet sans la présence des Natifs. Les multiples ressorts dramatiques liés à la rencontre apocalyptique (dans le premier sens du terme) entre des cultures si dissemblables que les Européens et les Amérindiens dans notre Histoire, ont été abordés avec beaucoup de talent par d’autres, mais il me semble que les transposer dans un univers de space opera, un peu comme dans Avatar de James Cameron, pourrait leur faire prendre tout leur sens.

La position des personnages peut de plus évoluer au fur et à mesure. L’émergence de races extraterrestres (beaucoup) plus évoluées technologiquement pourrait être une bascule très prometteuse…

Une autre occasion de montrer des sentiments puissants : sens de l’honneur, injustice, volonté de protection ou de vengeance.

Musique

Élevé dans une famille de musiciens, je suis resté très sensible à l’influence des sons. J’ai donc pris l’habitude depuis très longtemps de sonoriser mes parties de jeu de rôle, pour donner à chaque scène, si possible, une couleur mémorable, une ambiance, une texture, presque.

Roll20 ne permet pas grand-chose sur la musique, et j’ai donc trouvé le moyen de diffuser le flux de sons de ma propre discothèque vers mes camarades de jeu (je vous présenterai cette solution dans un prochain article).

Le jazz sera très présent dans la bande originale de Star Cowboy, surtout pour renforcer le côté « roman noir » des intrigues à échelle humaine, et parce que le mélange fonctionne à mon avis très bien (voir Cowboy Bebop).

Les titres des épisodes seront souvent issus de morceaux de musique qui serviront de guide tout au long de leur déroulement.

Si vous voulez quelques exemples de morceaux, voici une playlist sur Deezer où vous pourrez rencontrer du rock, du jazz, de la country, de l’atmospheric, du classique, voire même des morceaux très connus de bandes originales ou de génériques de séries. Cela devrait vous permettre d’attendre dans de bonnes conditions la publication du premier scénario, Whiplash.

Règles de jeu

Pour refléter tout ceci, comme je vous le disais dans un article précédent, j’ai choisi Atomic Robo, la version la plus aboutie selon moi du jeu de rôle FATE.

J’ai donc créé des Modes Étranges de compétences qui collent à l’univers afin de conceptualiser les personnages et de leur donner une structure d’archétype qui convienne mieux à Star Cowboy.

Je vous en livre ici les plus importants. Il est possible que d’autres Modes apparaissent au fil du temps, que vous découvrirez dans les scénarios.

Les Modes Étranges de Star Cowboy

Artiste

Les personnages possédant ce mode sont capables de créer des œuvres d’art, et en ont même peut-être fait leur métier. Il peut s’agir autant d’holo-cinéastes que de danseuses de cabaret.

Compétences associées : Athlétisme, Contacts, Science, Empathie, Sociabilité, Mensonge.
Coût : 9 points de création.

Asari

Compétences associées : Biotique, Empathie, Science, Sociabilité, Volonté, Véhicules.
Coût : 9 points de création.

Astromécanicien

Les astromécaniciens sont des personnes précieuses dans le monde de Star Cowboy. C’est grâce à eux que les vaisseaux sont conçus, construits, ou réparés, et que les transports entre les mondes sont assurés.

Compétences associées : Athlétisme, Contacts, Physique, Science, Véhicules, Volonté.
Coût : 7 points de création.

Champion de sport

Le sport les plus en vogue dans l’univers de Star Cowboy est le Punchball, un mélange de rugby et de football américain. Les champions de ce sport sont des personnes admirées, souvent célèbres.

Compétences associées : Athlétisme, Combat, Contacts, Intimidation, Observation, Physique, Volonté.
Coût : 9 points de création.

Chasseur de prime

Les Chasseurs de prime sont parmi les personnages les plus intéressant comme souvent les moins recommandables. On trouve parmi eux les plus grandes crapules comme les plus grands cœurs de l’univers. Ils doivent posséder une licence.

Compétences associées : Combat, Contacts, Intimidation, Observation.
Coût : 6 points de création.

Cyborg

Un cyborg est un être humain qui a remplacé l’un de ses organes ou de ses membres par une prothèse cybernétique, que ce soit à la suite d’un accident ou par amélioration choisie.

Compétences associées : Athlétisme, Physique.
Coût : 4 points de création.

Drell

Compétences associées : Athlétisme, Combat, Intimidation, Observation, Physique, Sociabilité, Volonté.
Coût : 9 points de création.

Flic

Compétences associées : Combat, Cambriolage, Physique, Intimidation.
Coût : 5 points de création.

Hacker

Compétences associées : Cambriolage, Contacts, Discrétion, Science, Volonté.
Coût : 5 points de création.

I.A.

Compétences associées : Empathie, Observation, Science, Volonté.
Coût : 5 points de création.

Joueur professionnel

Compétences associées : Discrétion, Mensonge, Empathie, Observation, Volonté.
Coût : 9 points.

Journaliste

Compétences associées : Cambriolage, Contacts, Discrétion, Observation, Volonté.
Coût : 6 points de création.

Mercenaire

Compétences associées : Athlétisme, Combat, Intimidation, Physique, Véhicules.
Coût : 8 points de création.

Probatrice

Compétences associées : Athlétisme, Biotique, Combat, Observation, Physique, Intimidation.
Coût : 9 points de création.

Spectre

Compétences associées : Biotique, Combat, Intimidation, Physique, Véhicules, Volonté.
Coût : 9 points de création.

Tueur à gage

Compétences associées : Athlétisme, Combat, Contacts, Physique, Intimidation, Mensonge.
Coût : 9 points de création.

Voleur/Cambrioleur

Compétences associées : Athlétisme, Cambriolage, Contacts, Discrétion, Intimidation, Observation, Volonté.
Coût : 9 points de création.

Trepalium, le travail ou la mort

Trepalium, le travail ou la mort

Trepalium, le travail ou la mort

Le travail.

Dans nos sociétés où détenir un emploi est pratiquement devenu un marqueur de la valeur d’une personne, le sens étymologique du mot prend un sens nouveau.

Ce n’est donc pas un hasard si les scénaristes de la nouvelle série originale produite par Arte l’ont mise en exergue dans le premier épisode.

Trepalium, en latin, désigne le chevalet sur lequel les suppliciés étaient torturés. Il deviendra en français le mot travail, pour signifier aussi bien l’emploi d’un individu dans la société, sa tâche, que l’acte d’enfanter, véritable torture avant l’invention de l’anesthésie péridurale.

Torture.

Cette filiation étymologique est la base du pitch de la série.

Imaginez un monde où 80 % de la population est au chômage, et seulement 20 % occupent un emploi. Les tensions sociales ont été si fortes que 30 ans auparavant, les Actifs ont érigé un Mur autour de leur forteresse, laissant le reste de la population se débrouiller seule dans les ruines du reste de la cité. Alors qu’au dehors du Mur les Inactifs survivent dans des conditions très dures, à l’intérieur, chacun est prêt à tout pour garder son emploi, voire pour monter dans la hiérarchie en profitant de la moindre faiblesse d’un égal ou d’un supérieur. Ceux qui meurent au travail sont à peine froids qu’une lutte sans merci se joue pour se voir confier leur poste.

Même les enfants ne peuvent échapper à leur destin. Inactifs, ils sont livrés à eux-mêmes et doivent survivre d’expédients. Enfants d’Actifs, ils sont condamnés à réussir une scolarité impitoyable s’ils veulent contenter les espoirs que leurs parents ont placés en eux, espoirs de réussite sociale ou simplement de non-déclassement. Car à la moindre faiblesse, à la moindre maladie, point de protection sociale : c’est à la famille d’assurer la subsistance de celui ou de celle qui trébuche. Avoir des enfants possédant un bon emploi est donc la garantie de pouvoir vivre, ou survivre.

La série débute lorsque, pour libérer le Ministre du Travail retenu en otage depuis plus d’un an par des activistes au-delà du Mur et obtenir des aides financières de la communauté internationale, la Première Ministre décide de donner des gages en promulguant une loi obligeant dix mille Actifs à employer chacun un Inactif tiré au sort, qui chaque jour quittera la Zone pour entrer en ville, et chaque soir regagnera le bidonville des déshérités.

C’est ainsi que les deux sociétés vont à nouveau se côtoyer, apprendre chacune des horreurs que vit l’autre.

Izia Katell, jeune femme issue de la Zone, va ainsi entrer dans le quotidien de la famille de Ruben Garcia, jeune père de famille dont le regard désabusé sur sa propre existence cache mal des valeurs plus humaines que celles dont il est obligé de s’accommoder pour survivre.

C’est Mais où va le web ?, toujours à l’affût, qui m’a prévenu depuis Twitter de la diffusion de la série par Arte.

J’ai donc relevé le défi.

Trepalium décrit une évolution très noire de notre société actuelle. Une vision donc très irréaliste, mais qui a le mérite d’interroger la place que nous accordons à la valeur travail au travers d’une fable où Bienvenue à Gattaca aurait croisé Hunger Games.

Les références sont d’ailleurs assumées, jusque dans les lumières : ternes et froides dans la Zone, avec des débris, de la poussière, de la saleté, claires et brillantes dans la ville, où tout est aseptisé, artificiel, technologique. Ces choix fonctionnent bien, même s’ils sont empruntés à des références un peu trop appuyées, et si la réalisation a ce côté « image de série télé française » qui se voit immédiatement. Une qualité d’image qui gêne au départ pour entrer dans l’ambiance, d’ailleurs.

Le jeu est quant à lui un peu inégal, mais fonctionne relativement bien lorsqu’on saisit que les codes du théâtre ont été parfois choisis pour accentuer le trait. Et on entre petit à petit dans l’univers froid et glaçant. La réalisation s’améliore au fil des épisodes (ou bien on s’habitue).

L’intrigue quant à elle est sans grande inventivité (mais ce n’est pas là le véritable intérêt d’une dystopie, c’est vrai), et se déroule de manière classique, en empruntant le cheminement commun à Hunger Games, Divergente, et autres univers imaginaires totalitaires récents. Une révolution se prépare, dans laquelle les personnages « ordinaires » que sont Izia Katell, Ruben Garcia, et leurs familles, vont jouer un rôle de premier plan sans vraiment l’avoir cherché, simplement parce qu’ils se sont soulevés contre la tyrannie. Ce cheminement est surtout l’occasion pour chaque personnage de faire des choix moraux, de les mettre en pratique, d’y sacrifier éventuellement quelque chose.

La Zone suivant Trepalium (en haut) et le District d’Hunger Games (en bas), une belle ressemblance, non ?

Il faut dire que la dichotomie entre les deux mondes s’étend aussi au domaine psychologique, et c’est à la fois une bonne et une mauvaise surprise.

Mauvaise parce que la caricature paraît un peu trop marquée. Les Actifs, tout entiers tournés vers la réussite à tout prix, sont engoncés, méfiants, ne se touchent presque jamais. Leurs émotions sont cadenassées, car assimilées à des faiblesses potentielles. Les notions d’amour, d’amitié, de loyauté, sont toutes subordonnées à la réussite professionnelle. L’enfance même est une épreuve. Le loisir n’existe pas. Le personnage de la fille de Ruben, mutique, reflète toute l’absurdité et toute l’inhumanité de la société des Actifs. Elle choisit de se couper volontairement d’un monde qu’elle refuse. D’un autre côté, au-delà du Mur, les Zonards sont décrits comme des êtres plus instinctifs, avec des sentiments « normaux », même s’ils évoluent dans un monde dur où la survie physique est une épreuve de chaque instant.

C’est un petit peu manichéen, mais la bonne surprise est de sentir la cohérence du propos. Clairement, la série est prise comme une fable, et si on la regarde comme telle, la caricature, le manichéisme peuvent faire sens.

Et ce sens est une invitation à réfléchir sur notre façon d’envisager le fonctionnement et la place du travail dans nos vies.

On peut regretter cependant qu’avec 6 épisodes de 50 minutes, l’intrigue ne se contente que de décrire sur 3 épisodes un statu quo pour se concentrer sur les 3 derniers de narrer la chute du Mur. On aurait attendu d’une série produite et mise en avant par Arte d’approfondir un peu plus la réflexion. Surtout si l’on considère que les toutes dernières minutes de la série rebattent les cartes sur un twist non seulement prévisible mais assez dommageable, car on a l’impression qu’il est là pour focaliser l’attention du spectateur sur le déroulement de la Révolution plutôt que sur ce qui va se passer ensuite.

J’aurais bien aimé une proposition sur ce qui pouvait advenir une fois le Mur tombé. Quel genre de rapport au travail peut-on inventer si l’on sort de la dualité emploi/non emploi ? Si Trepalium est une série militante, clairement, j’aurais aimé qu’elle le soit d’une manière plus constructive. Il ne sert pas à grand-chose de dénoncer une fois de plus un état de fait, de décrire comment il peut mener à la ruine, sans proposer des pistes pour en sortir. Même si ce sont des chemins utopiques, même si ce sont des fantasmes sociologiques.

Les travers d’une société clivée, où le travail est montré comme aliénant, déshumanisant, toxique, où le cynisme des politiques et des dirigeants économiques (tout au long de la chaîne des responsabilités dans l’entreprise Aquaville, du plus petit chef de service au grand PDG) fait miroir avec les aspirations de la masse des exclus qui voient l’insertion dans un système inique comme étant la plus haute réalisation dans leur vie ; tout ceci est certes présent. Mais en poussant un peu plus la réflexion, on se rend compte que Zonards et Actifs sont unis dans cette soumission au travail. Les uns dans leur supplice de Sysiphe consistant à ne jamais perdre, les autres dans celui de Tantale, à ne faire que rêver d’atteindre un Graal qu’ils haïssent au demeurant.

Le trio dirigeant de la Ville (en haut) font face à Noah et sa mère Izia Katell, dans la Zone (en bas).

D’un autre côté, un personnage se détache de tous, celui de Robinson, la figure sage qui rêve de réunifier la société, même si son moteur n’est peut-être pas si innocent et altruiste qu’affiché. Il incarne une autre facette du travail, une facette qui tranche avec la vision qu’en ont tous les autres protagonistes. C’est un Zonard, mais il assume une fonction dans la Zone. Une double fonction. Celle d’un professeur, d’abord. Celui qui transmet aux autres non pas seulement des connaissances sur « le monde d’avant », mais aussi et surtout des outils pour réfléchir, pour penser par eux-mêmes. Gardien d’une bibliothèque, la seule que l’on voie dans la série, où les livres et les journaux sont conservés et prêtés alors que dans la cité tous les biens doivent être rendus pour être achetés à nouveau et faire fonctionner la machine productiviste, il incarne à la fois la mémoire d’une société plus civilisée, et la possibilité d’un autre modèle. Deuxième fonction, celle de dirigeant, dans l’ombre sous le pseudonyme de Sol, avec une grande ambition, celle de faire changer son monde. Celle d’un révolutionnaire.

C’est cette vision qui m’aurait vraiment intéressé de voir se développer. Il manque à Trepalium une ambition, et c’est justement celle de dépasser le simple cadre d’une fable commune comme peuvent nous en proposer tous les ans les studios hollywoodiens avec leurs dystopies produites pour les adolescents en manque de rébellion (et je n’ai rien ni contre les adolescents ni contre les rebelles).

On aurait pu montrer la chute du Mur en un seul épisode, le quatrième, et développer sur les deux derniers une ébauche de ce que le futur pouvait prendre comme forme. Évoquer un autre système. Changer les valeurs entre l’emploi et le non-emploi. Montrer une tentative.

Montrer comment, par exemple, un travail (celui d’enseignant) peut aussi être vu non seulement par le prisme du productivisme, mais aussi par celui de la vocation, de la fonction, du rôle.

Je crois profondément que le travail n’est pas aliénant, si et seulement si, il correspond à la place de chacun dans « l’Univers ». Je m’explique sur cette vision presque confucéenne des choses.

Il est faux de penser que les Zonards n’ont pas de travail, puisque chacun, pour survivre, est obligé d’occuper une fonction. Tel Robinson, tous occupent une place. Et si certains le font uniquement pour survivre, lui le fait par engagement. Il montre qu’un travail peut être à la fois utile, épanouissant, et donner un statut, une reconnaissance, même s’il n’est pas intégré dans la cité, même s’il vit en dehors du Mur. La bibliothèque semble être en effet comme un sanctuaire dans la série.

Ainsi, le travail peut être vu comme une fonction accomplie dans l’ordre des choses, et non comme une valeur à placer au-dessus des autres. Et sans notion de hiérarchie entre les différentes fonctions, puisque l’ensemble de la société a besoin de chacune de ses parties, comme un organisme a besoin de chacun de ses organes, pour fonctionner.

Si j’ai invoqué les mânes de Confucius, c’est sans doute parce que cette idée « d’ordre céleste » est ce qui résume le mieux pour moi cette vision idyllique et utopique certes, mais souhaitable, du monde du travail. Que chacun se sache à sa place, sans craindre le déclassement, mais en faisant de son mieux pour remplir sa fonction, ce qui lui offre non seulement les moyens de vivre de son travail, mais aussi la reconnaissance sociale après laquelle courent les Zonards dans Trepalium. Ce qui n’empêche pas non plus la mobilité, la promotion, la reconnaissance du mérite, le changement de poste, l’évolution de carrière.

Très loin, il est vrai, de la réalité actuelle que caricature la série en poussant dans ses retranchements la logique du système dans lequel nous vivons.

Actuellement, le travail est vu tel que le montre la série, comme une compétition permanente où chacun doit écraser l’autre. Les firmes commerciales doivent vendre plus que leurs concurrents, toujours plus. Les dirigeants doivent augmenter la productivité et les bénéfices de leur société, toujours et toujours plus. Les actionnaires doivent engranger plus de dividendes, toujours et toujours plus. Les salariés doivent augmenter leurs cadences, faire toujours mieux avec toujours moins de moyens, toujours et toujours plus. Et à chaque étage, écraser un concurrent n’est en aucune manière un interdit. Au contraire, c’est une pratique encouragée.

Un monde tel que le décrit Trepalium, sans les excès les plus visibles ?

Peut-être pas, parce que la série fait l’impasse sur les transformations actuelles du monde du travail dues à la révolution numérique, et ce même s’il tente une percée du côté des lanceurs d’alerte (des informations confidentielles à propos de l’entreprise Aquaville sont vitales pour la révolution qui se prépare, Sol se proposant de les divulguer pour créer une insurrection dont les activistes profiteraient). D’autres en parlent bien mieux que moi, mais si l’on peut craindre que cette révolution n’accentue un fossé entre classe possédante et classe subissante, on peut aussi penser qu’elle soit le bon moment pour repenser notre rapport avec le travail et notre rôle dans la société.

L’univers clair et aseptisé de Trepalium (en haut), et celui de Bienvenue à Gattaca (en bas)…

Le travail n’est-il pas qu’une façon de faire avancer l’Humanité ?

Si vivre c’est créer quelque chose de différent, qui n’existait pas avant, pour ajouter de la diversité et de la complexité à l’Univers qui nous entoure, alors le travail ne doit viser qu’à cela. Vivre.

Depuis les virus recombinant leurs génomes à l’infini pour constituer des espèces toujours plus diverses, jusqu’aux inventions que les esprits humains matérialisent, la vie n’est que création. Y compris dans les postes de travail les plus « simples », dont les techniques, les astuces professionnelles, les coups de main, sont toujours plus fins, sophistiqués, pensés, affinés, par les expériences, les échecs, l’apprentissage.

Pour le moment, l’Homme est irremplaçable dans le domaine de l’évolution, la création, l’inventivité.

Sa place est peut-être là, et non dans l’inutile course à la rentabilité.

Des mouvements sont à l’œuvre, ici ou , pour repenser notre place dans le travail.

Et au vu de l’explosion des pathologies plus ou moins directement liées à la sphère professionnelle (burn-out, dépressions, maladies professionnelles), dont je suis l’un des témoins privilégiés et impuissants, il est sans doute urgent d’y parvenir.

Trepalium y participe à sa manière, celle d’un miroir déformant.

Il est hélas frustrant de ne pas distinguer dans ce miroir une autre réalité, un reflet vers une autre proposition.

C’est peut-être notre rôle à nous, spectateurs, citoyens, que de le construire de nos mains.

Le Maître du Haut Château, les mots plus forts que l’image ?

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Philip K. Dick est une de ces personnes dont nous connaissons tous au moins une œuvre, sans forcément connaître son auteur. S’il existe évidemment des gens qui n’ont jamais vu ni Blade Runner, ni Minority Report, ni Total Recall (celui avec Swarzy ou celui avec Collin Farrell), je fais le pari que tous ceux qui liront cet article (sauf peut-être mes parents) auront au moins vu l’un de ces films-là.

Ces adaptations cinématographiques ont toutes pour point commun d’avoir été au départ des fictions littéraires écrites par le même homme : Philip K. Dick.

Et si vous faites partie de ceux qui ont vu tous ces films, vous n’avez pas pu manquer leur indéniable thème commun : la réalité n’est jamais vraiment ce qu’elle paraît être. Un androïde qui fait des rêves, une police préventive qui incarcère les futurs criminels en se basant sur les prémonitions de mutants capables de voir les crimes avant qu’ils ne soient commis, ou un homme dont les rêves se révèlent être des souvenirs d’une vie effacée et dont la vie actuelle n’est faite que de faux souvenirs. Voilà à quoi ressemble une de ces histoires.

Brouiller les codes de la réalité pour en faire presque douter le lecteur, pour l’amener progressivement à adopter le point de vue décalé, dérangeant, profondément déstabilisant du monde fictif qu’il décrit, au point de se demander s’il est si fictif que cela, voilà le talent jusqu’ici inégalé de Philip K. Dick.

Et ce talent a explosé avec une œuvre fondatrice : The Man in the High Castle, roman de plus de 300 pages dont la nouvelle traduction en français est parue en 2012.

Le point de départ de l’univers du roman est une uchronie, un monde alternatif en tous points semblable au nôtre, mais dont le cours historique aurait divergé lors d’un moment charnière.

Dick imagine un monde où, à la suite de l’assassinat réussi de Roosevelt, les Américains n’ont jamais été préparés à la Seconde Guerre mondiale, entraînant la défaite des Alliés face aux puissances de l’Axe en 1948, et le partage du monde entre l’Allemagne Nazie et l’Empire du Soleil levant. Dans ce 1956 alternatif, les anciens États-Unis d’Amérique ont été scindés en trois. Les Japonais ont colonisé la côte ouest devenue les Pacific States of America, les nazis ont annexé la côte est comme partie du Reich, pour ne plus laisser qu’une zone neutre dans les Rocheuses aux vaincus. Dans ce monde, les fusées allemandes jouent le rôle des avions transcontinentaux du nôtre. La logique raciale des nazis a quasiment exterminé l’Afrique, sans parler du sort des juifs. Et l’autre moitié du monde vit sous la férule du Japon, pétri de philosophie zen et de sens du devoir. Dans ce monde, pourtant, un livre fait sensation. Le poids de la sauterelle raconte comment les Alliés ont gagné la guerre en 1945, et comment ce sont les Britanniques qui dominent le monde en 1956. Le livre est bien sûr interdit dans les territoires sous domination allemande, mais circule sous le manteau, jusque dans les Pacific States, où l’éminent M. Tagomi en prend connaissance, lui qui ne jure que par un autre livre, le Yi King. Les enseignements millénaires du Livre des mutations guident la conduite du responsable japonais à travers ses prédictions, comme il guide également d’autres personnages : Franck Frink, le métallurgiste juif, Robert Childan, le marchand d’antiquités américaines, et jusqu’au Maître du Haut Château, l’auteur mystérieux du poids de la sauterelle. Julianna Frink, l’ex-femme de Franck, se met alors en quête d’Hawthorne Abendsen, l’auteur du poids de la sauterelle, alors que le Chancelier du Reich héritier d’Hitler vient de mourir, ouvrant une guerre de succession entre les dignitaires nazis, et qu’un rendez-vous secret doit avoir lieu entre l’énigmatique M. Baynes, un espion allemand, et un haut responsable du gouvernement japonais, sous la protection involontaire de M. Tagomi.

The Man in the High Castle est l’un des rares écrits majeurs de Dick qui n’avait jusque là pas été porté à l’écran. Amazon a comblé cette lacune, en sortant en 2015 la première saison d’une série prometteuse basée sur l’univers et reprenant les personnages.

L’adaptation télévisuelle est intéressante à bien des égards.

D’abord parce qu’elle permet d’accéder à l’univers de façon différente, par le biais de la reconstitution d’époque (si l’on peut dire ça d’une uchronie). Ensuite parce qu’elle remet en perspective la lecture différente qu’on peut faire d’une même œuvre.

Car la série est une interprétation du livre.

Beaucoup de choses différencient les deux : les personnages n’ont pas les mêmes rôles, les mêmes relations, les mêmes ambitions, les mêmes caractères, par exemple. L’ambiance même de la série n’est pas celle du livre, le ton non plus. Et le Yi King comme Le poids de la sauterelle ne sont pas les mêmes dans les deux versions.

À partir d’ici, je vais sans doute dévoiler des choses que vous ne devriez pas connaître si vous voulez garder intact le plaisir de la découverte de l’une ou l’autre. Rebroussez chemin, donc, si vous êtes allergique aux spoilers.

Les personnages

Signe des temps ou vision différente des choses, les personnages de la série ne ressemblent pas vraiment à ceux du livre, même s’ils portent le même nom.

Julianna Frink est sans doute l’un de ceux qui changent le plus. Le roman présente une femme mentalement dérangée que ses sautes d’humeur rendent dangereuse, instable. Elle a quitté Franck, son mari, on ne sait trop pourquoi. Peut-être parce qu’elle ne l’aimait pas, parce qu’il n’était pas assez macho à son goût. Peut-être parce qu’il est juif. Peut-être ne le sait-elle pas elle-même. Elle flotte donc, sans véritable but, jusqu’à ce qu’elle lise Le poids de la sauterelle, qui lui donnera une véritable quête dans laquelle elle se perdra presque (ou se retrouvera presque, c’est selon) : celle de l’auteur, le Maître du haut Château. La Julianna de la série est beaucoup plus une femme de tête, active, moderne, avec des idéaux clairs. Elle est pétrie de culture japonaise, mais se rebelle contre la tutelle imposée par la Kempeitai, la police politique des Orientaux. C’est alors que sa sœur meurt dans ses bras, tuée par la Kempeitai pour avoir fait passer clandestinement une copie d’un film réalisé par le mystérieux Maître du Haut Château, qu’elle décide de remplir la mission à sa place, et se retrouve sur les traces des origines du film.

Elle rencontre toujours Joe Cinnadella, l’agent nazi infiltré pour trouver et éliminer l’auteur du poids de la sauterelle. Mais lui aussi est très différent dans les deux versions.

Dans le livre, c’est une sorte de bellâtre macho, brutal, presque violent, avec un trouble du comportement. Il a une mission et s’y tient, à moitié par idéologie, à moitié pour assouvir ses propres pulsions. Un sale type dont le destin est scellé par Julianna. La série le présente au contraire comme l’un des personnages principaux, avec un dilemme moral. Il est contraint de remplir sa mission. Contraint parce que le général S.S., John Smith, dont il prend ses ordres menace sa compagne et son enfant. Il doit donc infiltrer la Résistance et tuer le réalisateur des films, mais prend soin de ne pas exposer Juliana, comme s’il tentait de ne pas faire de zèle. Il recèle en lui une grande violence, également, mais il n’en apparaît pas psychopathe pour autant.

Ce rôle est dévolu à John Smith, qui mène une existence très american way of life, version nazie. C’est un personnage que l’on ne retrouve pas dans le roman. La série le magnifie en l’érigeant en méchant complexe. Sa vie, centrée autour du Parti, de la Famille et de tout ce qu’il doit accomplir pour protéger les deux, est une caricature de celle qui était présentée en modèle dans les années 60. Celle que les soaps américains ont tant popularisée.

Franck Frink trouve dans le livre sa raison de vivre en créant des bijoux de métal après avoir démissionné de son emploi dans une fabrique de répliques d’armes. Dans la série, il entre en Résistance, après que sa famille ait été gazée par la Kempeitai, presque par erreur, pour faire pression sur lui.

M. Tagomi est l’un des personnages qui changent le moins. Droit, loyal, juste, poli, humain, il est presque le véritable héros de la série, en essayant d’éviter une Guerre mondiale. Dans le livre, il est plus encore attaché au guide que constitue le Yi King. Il s’y réfère en permanence. Le fait qu’il croise Julianna dans la série apporte indéniablement un éclairage nouveau, qui éloigne plus encore le personnage féminin de son modèle dans le livre, et la rend plus humaine elle aussi.

Enfin, Robert Childan, dans la première saison, a un rôle plus secondaire encore que dans le livre. Il sert à montrer la soumission des Américains à la culture et à la façon de penser des Japonais.

Les sept principaux personnages de la saison 1 de The Man in the High Castle (de gauche à droite) : M. Tagomi, Julianna Frink, Franck Frink, Joe Cinnadella, John Smith, Ed McCarthy, l’inspecteur Kido.

Miroir déformé de notre réalité ou histoire d’espionnage fantastique ?

Vous ne serez pas obligés de faire votre choix, puisque chaque œuvre se concentre sur un aspect de l’histoire.

La puissance du livre est la façon dont l’écriture de Dick nous entraîne à l’intérieur d’un système de pensée. Chacun des personnages est imprégné d’une culture qui nous est étrangère en même temps qu’elle nous est familière. L’auteur décrit parfaitement l’Amérique des années 1950, mais les valeurs qui animent ses personnages sont des valeurs étrangères. Childan a si complètement intégré le mode de vie oriental qu’il pense toujours en termes de bienséance, de code, d’honneur. Perdre la face est impensable, devant des inférieurs surtout. Se courber, s’humilier, même, devant un supérieur (un japonais, forcément) est par contre non seulement envisageable, mais même obligatoire. Il est même enclin à renier sa propre culture, acceptant la supériorité du mode de pensée oriental.

De même, les ruminations de Julianna dans le roman, ou les déclarations de Joe Cinnadella, sont-elles façonnées par des esprits qui ont intégré les valeurs d’inégalité raciale comme allant de soi. Le mode de pensée nazie les a si totalement conquis qu’ils en ont du mal à imaginer la possibilité que décrit Le poids de la sauterelle.

Et en même temps, Le poids de la sauterelle fait sauter chez eux (ou pas, selon les personnages), les verrous qui enferment leurs certitudes. Et si les Alliés avaient vraiment gagné la guerre en 1945 ?

La force de Dick est de nous plonger dans ce miroir de nous-mêmes, de nous forcer à poser la question : et si les nazis avaient gagné ?

La description qu’il fait de notre monde dans ce renversement de valeurs est saisissante. Et elle tombe juste. Si juste.

Le roman atteint ainsi une qualité littéraire rare, celle de l’authenticité, de la résonance, deux qualités qui tiennent une place importante dans l’intrigue même.

Quant à la série, aux décors soignés, à la reconstitution réussie de l’époque, elle se concentre plus sur l’intrigue elle-même, et nous plonge plutôt dans l’ambiance d’un film d’espionnage. Le parallèle avec la Guerre Froide, présent dans le roman également, est ici marqué par l’affrontement en sous-main entre les deux puissances dominantes que sont le Japon et l’Allemagne à travers les personnages eux-mêmes. Le renversement des valeurs opère moins. Il existe une Résistance, ce qui n’est pas le cas dans le roman, et l’on s’identifie donc aux résistants, à ceux qui ont gardé leur façon de pensée, notre façon de pensée. Même John Smith, malgré tout, est présenté à la fin de la saison comme quelqu’un qui sera broyé par son intransigeance. On quitte la métaphore pure pour entrer dans le domaine de l’action. La tonalité en devient plus fantastique. Ce n’est plus un livre unique que l’on poursuit, mais bien une série de petits films sur pellicule, montrant des images d’archives authentiques d’un monde où les Alliés ont gagné la guerre. Chaque nouveau film peut être un ferment de révolte à lui tout seul.

La scène pivot du roman se retrouve dans la série, presque à l’identique, quand M. Tagomi se retrouve brièvement propulsé dans le San Francisco de notre réalité, mais le propos des deux médias en transforme la portée. Miroir déformant dans l’un, elle devient point de bascule vers une intrigue attendue dans la deuxième saison pour l’autre.

On pourrait presque se demander si dans la deuxième saison, les personnages ne vont pas être transportés dans notre réalité, pour y rencontrer le Maître du Haut Château à la manière dont Olivia Dunham se retrouve propulsée dans l’autre réalité pour rencontrer son double Folivia dans la série Fringe de J.J. Abrams. On l’attend, mais on serait presque déçus que ce soit le cas.

Une mise en abîme dans une mise en abîme ?

Dans les deux médias, cependant, la mise en abîme fonctionne parfaitement.

On lit un livre qui décrit un univers alternatif au nôtre dans lequel des personnages lisent un livre qui décrit un monde alternatif au leur, qui se trouve être très proche du nôtre…

On regarde une série (donc un film) qui décrit un univers alternatif au nôtre, dans lequel des personnages regardent des films (une série de films) qui décrivent un monde alternatif au leur, qui ressemble au nôtre…

La série n’est pas achevée, on ne sait donc pas quelle conclusion les scénaristes vont y apporter, mais dans le roman, c’est le Yi King lui-même, un livre de 5000 ans, qui a dicté chaque rebondissement, chaque détail, à son auteur, Abendsen. Et Dick lui-même a suivi cette méthode pour écrire le déroulement de son roman.

Le cercle se referme sur une impression à la fois d’harmonie totale et de vertige existentiel.

Existe-t-il une bibliothèque quelque part, recensant tous les livres qui ont été écrits et tous ceux qui seront écrits, et que les auteurs iraient consulter pour savoir ce qu’ils doivent, ou devront, écrire ?

C’est le talent ultime de Philip K. Dick : faire douter de la réalité sans avoir à être affligé, comme il le fût lui, d’une maladie mentale.

Changer notre point de vue sur le monde.

Pour aller plus loin : un fifthy dickien ?

L’œuvre de Philip K. Dick a donc marqué la culture imaginaire de façon radicale, au point que d’autres artistes s’y soient abreuvés, s’en soient inspirés, ou même l’aient copié ou imité.

Et ce mouvement continue d’exister.

C’est ainsi que Saint Épondyle, sur son blog Cosmo Orbüs, lançait il y a peu un concours d’écriture de fifty.

Un fifty est une histoire très courte en 50 mots, pas un de moins, pas un de plus.

Il s’agissait d’écrire un fifty à la manière de Philip K. Dick.

J’ai relevé le gant, et écrit ma propre histoire.

Pour ne pas enlever la primeur à Saint Épondyle, je vous invite à visiter son site, où vous lirez les textes envoyés, et découvrirez le vainqueur (l’Axe ou les Alliés ?).

Vous pourrez trouver mon texte ici même lorsque le concours sera achevé, simplement en cliquant sur la boîte ci-dessous.

The Woman in the High Tower

Elle se souvenait parfaitement de la chute du Mur. Elle y était. Journaliste à la Pravda, elle avait vu les drapeaux rouges sur la porte de Brandebourg. Elle avait couvert ensuite la démission de Bush, déliquescence du Capitalisme. Vertige. À l’écran, le drapeau. Non pas une étoile. Mais cinquante.

Les jurés m’ont placé en sixième place (bien mieux qu’en 666e), ce dont j’avoue être très fier. Car à la lecture des 23 autres textes, ce n’était pas gagné. Pour les lire, et découvrir le podium, rendez-vous à cette adresse.

Star Cowboy, les personnages

Star Cowboy, les personnages

Star Cowboy, les personnages

Nouvelle année, nouvelle expérience.

Comme beaucoup de geeks de ma génération confrontés aux impératifs de la vie d’adulte (plus ou moins) responsable, je rencontre de grandes difficultés à réunir mes amis et compagnons d’aventures suffisamment souvent pour une partie de jeu de rôle. Nous avons donc décidé de tester Roll20, un outil de jeu en ligne.

Parallèlement, j’avais depuis longtemps l’envie de maîtriser des histoires se déroulant dans un monde plus débridé que The Lost Tribe et son ambiance fantastique contemporaine « à la X-Files rencontrent le Loup-Garou de Londres ». Alors que j’avais dans l’idée de m’inspirer des nombreux mangas et animés se déroulant dans des univers de science-fiction ou de space opera, j’ai découvert presque incidemment Mass Effect, la série de jeux vidéo de Bioware.

J’ai tenté de mélanger tout cela dans un univers qui se veut plus pulp que celui de Mass Effect, tout en gardant beaucoup de ses éléments fondateurs. J’y ai aussi incorporé certaines choses venant de la série Babylon 5, qui a marqué le genre en introduisant une intrigue finalement pas si différente de celle de Mass Effect, 20 ans auparavant.

L’année est 2191 après J.-C.

Grâce à des vestiges antiques d’une race extraterrestre disparue depuis plus de 50 000 ans, les Prothéens, découverts sur Mars lors du milieu du XXIe siècle, les Humains ont maîtrisé la technologie du vol supraluminique (SLM), et ont essaimé à travers le système solaire. Empruntant le premier Relais cosmodésique (une sorte de portail permettant de voyager plus vite que la lumière) situé près de Pluton, ils ont découvert une très ancienne station spatiale dans la nébuleuse du Serpent, la Citadelle, vestige elle aussi de la civilisation prothéenne. Ce faisant, ils ont rencontré des explorateurs extraterrestres, des Turiens, qui venaient eux aussi de découvrir la Citadelle. Ce Premier Contact se passa mal du fait d’une méprise tragique, et une guerre s’ensuivit entre les Humains et les Turiens. Le conflit ravagea les deux civilisations et ce ne fut que grâce à la diplomatie et à l’intervention d’autres races extraterrestres (notamment des Asari) que la paix fut restaurée. Pour sceller cette paix, la Citadelle fut choisie comme le siège d’un Conseil Galactique où siègent les Asari, les Turiens et les Humains.

Mais chaque monde a ses propres règles, ses propres systèmes de gouvernement. Et l’expansion spatiale a attiré nombre de bandits, de criminels, d’exclus, de marginaux en rupture de ban. Les nouveaux mondes sont autant d’opportunités d’échapper à la justice ou à l’injustice, de refaire sa vie, de repartir à zéro, voire de faire fortune. Nouvelle frontière, l’espace est ainsi devenu un Far West moderne, où la seule véritable loi est celle du plus fort.

Les Chasseurs de Prime, des individus pas toujours très recommandables, mais toujours au passé trouble, servent donc d’auxiliaires aux forces de l’ordre, pour le meilleur ou pour le pire, parfois les deux en même temps.

Les Personnages des Joueurs sont des chasseurs de prime, voyageant de monde en monde pour traquer des criminels et les livrer à la justice contre une récompense. Leurs motivations ? Parfois, elles ne sont pas si différentes de celles de leurs proies. Échapper à leur passé, reconstruire leur existence, fuir, faire fortune.

Mais la Galaxie est vaste et ses mystères sont infinis, qui pourraient bien changer la vie des Personnages, mais aussi de l’Humanité comme des races extraterrestres.

Je me suis mis également à écrire une série de scénarios que nous allons tester sur Roll20, mes compagnons et moi-même, en suivant les règles que je vous présentais ici pour construire une ambiance de série télé, et là pour écrire des scénarios plus ouverts.

Je vous présenterai donc tout au long de cette année les textes des scénarios eux-mêmes, accompagnés de mes commentaires.

Cette série servira aussi à illustrer de petits tutoriaux pour vous aider à prendre en main Roll20, si comme moi vous êtes technophile, certes, mais un peu déboussolé au premier abord par une partie de jeu de rôle à distance.

En ce qui concerne le système de jeu, mon choix s’est porté sur l’adaptation d’Atomic Robo, le comic book américain, par Evil Hat, sur la base de Fate Core.

D’abord parce que Fate m’a vraiment tapé dans l’œil comme vous avez pu vous en rendre compte, pour sa capacité à aider la construction d’une histoire, pendant l’écriture comme pendant le jeu. Mais aussi parce que les choix faits dans Atomic Robo correspondaient pile aux miens pour Star Cowboy : une ambiance pulp décomplexée, des personnages assez puissants, un mécanisme pour créer des « inventions technologiques » en jeu sans se prendre la tête et en faisant rebondir l’histoire.

J’avais même pensé changer deux ou trois compétences, et finalement j’ai gardé le système intact, sans aucune modification autre que la francisation de ses termes (un grand merci en passant à la communauté Fate francophone de G+ qui a si bien traduit Fate Core).

Si vous lisez l’anglais, je vous conseille donc de vous procurer Atomic Robo. Hélas pour le moment, aucun francophone ne s’est attelé à une traduction, ce qui est bien dommage, car je suis sûr que cela élargirait beaucoup le public de cet univers.

Pour bien appréhender l’univers, vous pouvez déjà partir sur la base de ce que le site Mass Effect Universe en français a compilé.

Je ferai de temps à autre des points pour présenter les différences de l’univers de Star Cowboy avec celui de Mass Effect.

Pour commencer cette série d’articles, je vous présente aujourd’hui les cinq personnages prétirés que j’ai décrits pour mes joueurs, ainsi que leur vaisseau refuge, le Jazzman.

Vous allez donc rencontrer en téléchargeant ce PDF :

  • Ed, l’Intelligence Accidentellement Artificielle du Jazzman, en quête de ses souvenirs perdus.
  • Thane Kryos, un ancien flic drell possédant le redoutable rayon delta greffé sur son bras gauche.
  • Faye Valentine, une joueuse professionnelle de poker au passé aussi trouble que lointain.
  • Spike Spiegel, qui tente d’échapper à ses anciens compagnons de la secte mafieuse des Dragons Rouges.
  • Liara T’sioni, la chasseuse asari qui recherche sa sœur jumelle.

Les fiches de personnages sont celles du début de la série, mais seront certainement amenées à évoluer au cours de l’histoire. Nous ferons ainsi un point sur les changements de chacun des personnages à chaque épisode.

En attendant, je vous souhaite bonne lecture !

L’Exoconférence, les extraterrestres à la Table Ronde

L’Exoconférence, les extraterrestres à la Table Ronde

L’Exoconférence, les extraterrestres à la Table Ronde

Sommes-nous seuls dans l’Univers ?

Cette question essentielle obsède l’Humanité.

Depuis que les anges et les démons ont été remplacés par les extraterrestres dans notre bestiaire imaginaire des êtres non humains doués de conscience, nous cherchons à remplir ce vide existentiel en rêvant à des formes de vie intersidérales.

Le folklore des petits hommes verts ou gris, des théories conspirationnistes, des soucoupes volantes et des enlèvements a inspiré de nombreux artistes, dont le plus célèbre reste Chris Carter et ses X-Files, dont on nous promet la réapparition cette année.

Il fallait bien que le sire Alexandre Astier s’y intéresse un jour, délaissant la couronne du Pendragon pour le costume trois-pièces du professeur suranné donnant une conférence déjantée sur le sujet.

Au milieu de considérations factuelles et scientifiques rigoureuses expliquant comment s’organise l’univers tel que nous le connaissons, sa cosmogonie, avec ses lois physiques fondamentales et ses inconnues, il insère des saynètes plus ou moins réussies illustrant de façon plus burlesque tel ou tel point de son exposé d’astrophysique.

Avant même la première image, on s’attend à une parodie de conférence, prétexte à des situations cocasses ou absurdes dans la même veine que Kaamelott.

Tel n’est pas vraiment le cas.

La forme est bien celle d’une conférence. Et d’ailleurs, si le costume d’Alexandre Astier évoque bien le vieux professeur du début du XXe siècle, la mise en scène brouille un peu les codes en faisant intervenir une Intelligence Artificielle censée aider l’orateur, ou le gêner, en ne répondant pas à ses sollicitations. On assiste donc tout au long du spectacle à un jeu très appuyé et un peu répétitif entre le vieux professeur aigri dont le caractère râleur fait un peu trop penser au Roi Arthur de Kaamelott, et l’I.A. version 5,0 récemment mise à jour qui bogue sans arrêt, sorte de Perceval numérique féminin plus ou moins pervers.

Si la présence de l’I.A. permet de dynamiser un peu la mise en scène, son intérêt s’arrête là, et c’est bien dommage.

En effet, au fur et à mesure que l’exposé avance et que le conférencier prend position sur l’existence des extraterrestres, faire un parallèle entre une forme de vie alien et une forme de vie artificielle aurait pu avoir du sens sur le fond et pas seulement sur la forme. La cohérence du spectacle y aurait grandement gagné, me semble-t-il.

Et puis, il y a ces digressions faites sous la forme de sketches, plus ou moins réussis.

Pour illustrer son propos, Alexandre Astier incarne alors brusquement des personnages aussi variés que Copernic, des généraux américains et russes, Pierre Curie, des extraterrestres un peu bêta, et j’en passe.

L’idée est intéressante, mais peut-être un peu convenue. On imaginait bien quelque chose dans ce goût-là.

Mais ce qui fit le succès mérité de la parodie des romans de la Table Ronde ne semble pas fonctionner pour l’Exoconférence.

À deux exceptions notables près (le passage sur la morphologie extraterrestre, absolument hilarant, et celui sur les enlèvements), ces saynètes tombent à plat. Elles n’ont pas de vraie saveur, pas de vraie profondeur, n’apportent rien. Elles sont mêmes, du moins c’est mon impression, jouées en force, comme s’il fallait absolument les placer malgré leur incongruité, et tant pis si elles donnent le sentiment de n’être là que pour rallonger la sauce.

On reste donc sur notre faim.

On rit, c’est vrai, mais pas autant qu’on aurait pu l’imaginer.

On apprend des choses, c’est vrai, mais pas autant qu’on aurait pu en avoir envie.

La relativité fait cependant son œuvre, et de façon magistrale puisque le spectacle parvient à provoquer à la fois l’impression que le temps se ralentit beaucoup trop (lorsque l’on aimerait que les sketches se terminent plus vite), et qu’il file beaucoup trop vite (lorsque l’on aimerait qu’Alexandre Astier développe un peu plus certains aspects de son monologue, en le mettant en perspective).

En somme, on hésite à classer l’Exoconférence dans les trous noirs supermassifs dont l’attraction est si grande que le temps s’étire à l’infini, ou dans les pulsars dont le rayonnement ne parvient à s’échapper que par intermittence.

Là encore, c’est bien dommage.

Alexandre Astier a rencontré de nombreux scientifiques, notamment des astrophysiciens, pour écrire ce spectacle, et cela se voit. Il y a un monde de choses vraiment intéressantes dans son texte. Mais j’ai pour ma part été déçu du manque de perspective, et ce même si certains passages sont vraiment de petites bulles de rire ou de poésie (comme le parfum de l’univers qui serait celui de la framboise).

Le fil rouge (si je puis dire, vous comprendrez le jeu de mots en regardant le DVD) de la plaque emportée par la sonde Voyager vers les espaces extrasolaires restera pour moi la meilleure trouvaille de mise en scène de l’Exoconférence.

Il manque donc un « je-ne-sais-quoi » pour faire opérer la magie qui transformerait cette conférence-comédie en un vrai moment de bonheur. Un souffle, un liant, une perspective différente.

En y réfléchissant, c’est bien la cohérence entre les saynètes et le corps de la conférence qui manque le plus.

Peut-être un autre regard sur l’écriture de ce texte aurait-il pu le faire évoluer ?

Peut-être bien que je demande beaucoup.

Peut-être bien qu’Alexandre Astier retravaillera sa copie, et qu’une nouvelle version verra le jour dans quelque temps ?

Peut-être bien que je crois trop aux Extraterrestres, moi.

Deux années déjà

Deux années déjà

Deux années déjà

La nouvelle année s’étant ouverte il y a quelques jours, il est temps pour moi de faire un petit bilan de cette deuxième année d’écaille & de plume, de savoir ce que j’ai réussi ou échoué, ce que je dois encore améliorer ou ce qui fonctionne bien. Comme l’année passée, j’avais envie de vous faire partager mes conclusions.
Comme l’année passée, je vais essayer de prendre quelques bonnes résolutions.
Et cette année, je vais aussi honteusement faire du teasing.

En quelques chiffres

Articles publiés

Cette année encore, j’ai réussi à tenir mon rythme initial d’un article toutes les deux semaines. Et l’actualité m’a même poussé à deux reprises à écrire plus.

D’abord lors des attentats de janvier 2015, puis, plus récemment, lorsque j’ai voulu décrypter pour les profanes comme pour les initiés la réelle portée et la réelle nocivité de la réforme dite « Loi de modernisation de notre système de santé ». Ce dernier article aura d’ailleurs eu une audience forte (toute proportion gardée), me faisant espérer que mes concitoyens ne sont plus autant dupes de ce que l’on essaie de leur faire gober.

%

Augmentation du nombre de visiteurs

C’est l’augmentation de fréquentation du site entre 2014 et 2015 en nombre de visiteurs. Il semblerait que le Nid du Serpent à Plumes commence à se faire connaître. Et cela on le doit aussi aux deux derniers chiffres.

Visiteurs venus de Facebook

Visiteurs venus de Twitter

C’est le nombre de visiteurs venus des réseaux sociaux, respectivement depuis Facebook et Twitter. Ce sont deux chiffres intéressants car si je tweete régulièrement, je ne suis pas du tout inscrit sur le Livre des Figures. Outre que les réseaux sociaux sont donc bien une voie d’accès à mes articles, il est amusant de constater que Facebook est tellement répandu qu’il n’est même plus besoin d’y être inscrit pour qu’il mène jusqu’à votre site… Ce pourrait être vrai des autres réseaux, mais pas au point de concurrencer en nombre de visiteurs ceux où l’on est soi-même présent (je suis clair, là ? J’ai un doute).

Ce qui marche : pourquoi j’ai raison

Je me répète, mais la régularité d’écriture est ma grande fierté de moi envers moi-même.

Le temps filant comme du sable très fin entre mes doigts pas si boudinés que cela, y faire entrer l’écriture de façon suffisamment régulière en 2015 a été une vraie performance entre les bouleversements professionnels (départ d’un associé, que l’on attendait depuis très, voire trop, longtemps, réorganisation qui s’ensuit, interrogations professionnelles récurrentes chez moi lorsque je constate comment évolue mon métier, et j’en passe), ceux qui interviennent dans ma vie privée (rien de grave, mais les projets privés, aussi enthousiasmants soient-ils, mangent aussi du temps et de l’espace de cerveau disponible), et enfin les obligations liées à la scène (je me fais l’effet d’un grand mytho quand j’écris ça, mais c’est la réalité même si je ne suis pas non plus en tournée dans toute la France…).

D’ailleurs, mes articles les plus lus sont ceux qui sont les plus construits. Et ça aussi, ça fait rudement plaisir !

Ainsi, le palmarès se joue en 2015 entre ePub Anatomy (318 vues), ma petite prédiction sur l’avenir de notre système de soin (222 vues), et mon essai d’utiliser FATE pour construire des campagnes de jeu de rôle sur un modèle de série américaine (187 vues). J’y rajouterai un article surprise en bon quatrième : Deux films sur un thème : à la recherche du bonheur (172 vues).

Mes textes plus littéraires, eux, ont moins de succès, soit à cause de la difficulté de lire sur écran, soit que tout bonnement ils n’ont pas plu. Le chapitre 1 de Fée du Logis a réuni 44 lecteurs, et Samhain & le Jabberwocky seulement 7…

Ce qui marche moins bien : pourquoi j’ai quand même parfois tort

C’est donc tout naturellement que je me penche sur ce qu’il faudrait améliorer.

D’abord, comme vous pouvez vous en rendre compte si vous comparez avec mes résolutions de l’année dernière, je n’ai pas beaucoup avancé sur mes projets littéraires.

Le Choix des anges est encore en chantier : réorganisation de quelques scènes, rajout de quelques autres, et un axe transversal à construire pour mieux rendre la problématique du choix entre Bien et Mal ont été déjà accomplis, mais il reste un gros travail de rédaction sur pas mal de choses.
Le deuxième chapitre de Fée du Logis est toujours à l’état d’embryon.
Quant à Rocfou ou Sur les genoux d’Isis, on peut carrément parler des toiles d’araignées qui commencent à envelopper les manuscrits…

Tout cela devrait quand même avancer un peu cette année, puisque 2016 sera moins théâtrale pour moi. Si Un drôle de cadeau continue à vivre avec deux représentations prévues avant la fin du printemps (et si je vais encore prendre un plaisir immense à incarner Marcel Feuillard sur scène), je passe mon tour pour la prochaine pièce que vont monter mes camarades de la Compagnie Raymond Crocotte.

Promis donc, en 2016, vous pourrez enfin lire Le Choix des Anges, et je l’espère Fée du Logis en entier.

Autre axe d’amélioration : les commentaires sur le site. Vous savez que j’ai réorganisé un peu le design de mon antre numérique. Mais pour le moment si je suis lu, peu d’entre vous ont voulu ou pu réagir. Mieux vaut peu de commentaires que des commentaires sans intérêt, c’est vrai, mais on peut parfois se sentir un peu seuls, donc, si une réflexion vous vient à propos de ce que vous lisez sur ce site, pas d’hésitation : écrivez-le et partagez-le…

Episode III : A New Hope

Alors oui, la troisième saison des aventures de Serpent à Plumes sur internet débute, et vous pourriez vouloir quelques images en avant-première. Je ne vous ai pas encore concocté de bande-annonce ou même de teaser (ça viendra peut-être quand on en sera à l’épisode VII… il paraît que c’est là que se déchaînent les fans), mais pour vous mettre l’eau à la bouche, voici quelques petites choses que vous pourriez bien voir ici en 2016 :

Sense8, ou comment la diversité humaine peut aussi nous rassembler

Vice Versa, l’esprit vu avec esprit (en regard croisé avec une neuropsychologue)

La Chine vue par les Occidentaux dans la littérature et le cinéma

Le difficile métier d’être père à travers deux films

Amerikla, comment initier des trentenaires au jeu de rôle

Petit guide de roll20 pour les vieux briscards du jeu de rôle qui n’arrivent plus à organiser des parties sur table

Les Lames du Cardinal ou comment la cape & l’épée rencontrent le jeu de rôle

Alors si tout cela vous donne envie, revenez régulièrement sur d’écaille & de plume, vous pourriez aussi lire ou voir beaucoup d’autres choses que mon esprit fébrile conçoit déjà.

Il ne me manque plus qu’une chose : le Temps !

Tiens ça mériterait bien une suite à ça, ou même à ça

La Deuxième Mue

La Deuxième Mue

La Deuxième Mue

Certains d’entre vous, familiers de l’antre du Serpent à Plumes, ont pu noter quelques changements dans la présentation du site.

Ces modifications ne sont pas qu’esthétiques ou cosmétiques, mais bien les conséquences d’une réflexion sur ce que je voudrais faire de ce Nid Virtuel.

Même si à mon avis toute personne qui écrit le fait avant tout pour exprimer ce qu’elle a en elle sans forcément chercher de retour, la démarche d’ouvrir un espace sur la Toile me semble relever d’une envie, ou d’un besoin, différents. Au-delà du narcissisme évident, voire de l’exhibitionnisme, qui me semblent attachés à toute exposition de ce genre, je crois que c’est le désir de susciter des réactions, qu’elles soient intellectuelles ou émotionnelles (artistiques), qui me guide dans cette aventure qu’est l’écriture. On peut d’ailleurs étendre ce constat à mes autres activités artistiques, que ce soit le théâtre ou le cinéma.

Il fallait donc aller plus loin dans la virtualisation/matérialisation de tout cela.

D’abord, se rapprocher du texte, et cela impliquait de se débarrasser de toutes les sidebars sur le site, même et surtout pour les articles de blog. Offrir le plein écran aux mots me semblait la meilleure façon de leur rendre leur impact, et de focaliser l’attention de mes lecteurs, vous, sur le principal. L’histoire, le rythme des phrases, l’enchaînement des idées.

Je suis conscient que cela est un peu à contre-courant de ce qui se fait sur la Toile, où les pages des blogs sont de plus en plus morcelées en différentes sections verticales.

Je suis également conscient que cela me place dans un courant de « storytelling » comme on le nomme dans la langue de l’auteur du Songe d’une Nuit d’Été. Mon espace se structure donc comme une trame un peu dirigiste qui veut raconter une histoire. C’est une présentation qui s’apparente plus à un livre, voire à un livre électronique de type « flux », et qui correspond plus à mon envie profonde qu’un blog construit sur un schéma standard.

C’est pour cela que l’image a une place importante dans ce flux. Elle aide à le structurer, à illustrer le propos, à prolonger la réflexion ou l’imagination.

J’ai donc pris le parti de faire de la place aux images, et de prendre soin de trouver à chaque fois celles qui me paraissaient apporter un petit « plus ». D’ailleurs, j’ouvre une page dédiée aux liens vers les artistes de chaque image, quand c’est possible et quand le lien existe.

Deuxième décision : faciliter les commentaires pour échanger plus efficacement avec mes lecteurs.

D’écaille & de plume est loin d’avoir une audience considérable, mais justement, le but est de faire en sorte qu’on puisse y échanger confortablement, facilement, agréablement. Si les foules s’y passionnent et s’y ruent plus tard, tant mieux, mais pour le moment j’ai envie d’une ambiance cosy, un brin british. Une causerie au coin du feu (élément commun au Dragon et au Phoenix).

C’est pourquoi je voulais reprendre à zéro la conception de la partie commentaire du site.

En fouinant un peu, en adaptant, j’ai trouvé à peu près ce qui me convenait avec deux systèmes complémentaires, que vous pourrez utiliser au grès de vos envies et de ce qui sera le plus pratique.

D’abord un système assez conventionnel dans sa forme où les commentaires se font à la fin de l’article. Mais leur particularité est de posséder quelques fonctionnalités avancées.

Vous pouvez ainsi avoir envie de marquer votre approbation avec un commentaire particulier sans pour autant vous immiscer vous-mêmes dans la conversation. Vous pourrez désormais le faire en vous servant du système de vote intégré directement dans les commentaires (un pouce levé ou baissé suivant votre appréciation, comme le Livre des Figures américain vous y a peut-être habitué).

Vous pouvez aussi avoir envie de partager un commentaire particulier (que ce soit le vôtre ou celui d’un autre) sur un réseau social. Il y a donc un bouton de partage sous chacun des commentaires, qui vous permet de faire apparaître les icônes de plusieurs réseaux parmi les plus populaires.

Vous pouvez toujours partager l’article dans son ensemble avec les boutons qui flottent, comme des bulles de couleur dans l’océan des données informatiques de ce Nid Virtuel, ou à la fin des articles eux-mêmes.

Vous pouvez également éditer votre commentaire fraîchement posté (jusqu’à 30 minutes après), si vous désiriez corriger quelque chose.

Enfin, dernière fonctionnalité de ces commentaires nouvelle génération, vous pouvez suivre leur déroulé en recevant des alertes par courrier électronique, et y répondre de la même manière, simplement en répondant aux mails que vous recevez.

Le deuxième système, que j’essaierai d’améliorer encore, notamment sur l’intégration esthétique, est une possibilité de commenter directement lors de la lecture d’un article, grâce à une petite bulle agrémentée d’un signe « + » que vous avez certainement remarqué se promenant à la droite de chacun des paragraphes lorsque vous déplacez votre souris. Au fil des phrases.

En cliquant sur ce « + », vous faites surgir une fenêtre modale sur le côté droit du paragraphe qui a suscité votre réaction, pour y insérer un commentaire. Une fois cela fait, la bulle restera attachée au paragraphe en y indiquant le nombre de commentaires qui y sont liés. Cela permet de noter des réactions directement dans le flux de lecture, et je me suis dit que pour certains articles de fond, pour ceux qui amènent une réflexion ordonnée et construite, cela serait plus agréable pour tous que de suivre l’enchaînement des réactions comme celui de mes divagations.

Ces commentaires « en ligne » pourront aussi être retrouvés dans la section dont je parlais auparavant, tout en bas de l’article.

Les deux systèmes sont donc imbriqués l’un à l’autre.

J’espère ainsi faciliter vos réactions, et avoir plus encore le plaisir de discuter avec vous, comme dernièrement Vieux Plouc, Axel F., ou Saint Épondyle.

Le troisième axe d’amélioration de l’interface a été concentré sur le nombre d’articles qui commence à augmenter sur ce site (52 sans compter celui-ci, au moment de sa publication). Malgré quelques rubriques permettant de se repérer un peu, il pouvait rester assez difficile de retrouver un article en particulier.

J’ai donc un peu vitaminé la recherche et l’indexation, avec une page dédiée à une recherche avancée (par catégorie d’article, par page, par titre, par auteur, par mots clefs, par contenu, commentaire ou extrait) qui saura retrouver pour vous, dans le dédale de l’antre du Serpent à Plumes, la pierre précieuse pour laquelle vous aviez entamé un périple si dangereux sur la Toile.

Enfin, pour des contacts plus privés, et après une absence de quelques semaines due à l’incursion d’un troll dans ma boîte mail, vous pouvez m’envoyer un message directement grâce à la page dédiée, que vous trouverez au pied du site.

Avec tous ces aménagements, mon Nid Virtuel convient bien mieux à ce que je voulais qu’il soit depuis le début. Et en terminant cette année 2015, je voulais ouvrir un nouveau chapitre pour m’y sentir mieux encore. Bien sûr, d’autres améliorations viendront sans doute. Mais la principale maintenant n’attend plus que vous et vos claviers…

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Les univers de superhéros sont parfois de vrais capharnaüms. On y trouve aussi bien des mutants (Les X-Men, ou Captain America chez Marvel, Flash chez DC) que des humains ayant développé des capacités extraordinaires à cause d’une histoire dramatique (Black Window chez Marvel, Green Arrow chez DC), ou encore des extraterrestres (Guardians of the Galaxy pour Marvel, Superman chez DC).

Assez singulièrement, le monde de l’occulte occupe une place un peu plus marginale dans les deux univers principaux des comics.
Le Docteur Strange dans celui de Marvel, dont Benedict Cumberbatch va bientôt être l’incarnation cinématographique.
Et John Constantine pour l’univers de DC Comics, qui vient de voir se terminer l’unique saison d’une série télévisée qui lui est dédiée.

Comme tous les superhéros, John Constantine possède un don fantastique, et une faiblesse fondamentale.

Gamin des rues venu de Liverpool, en Angleterre, il entre dans le monde de l’occulte très tôt, par attrait du danger. Il devient rapidement un maître dans les arcanes magiques, et se lance dans la pratique de l’exorcisme. Mais l’un d’entre eux tourne très mal, et l’âme de Constantine est vouée à la damnation éternelle à cause des actes perpétrés lors de cette séance catastrophique. Survivant néanmoins à l’épreuve, il tente de se racheter en combattant les forces du Mal venues des Enfers partout là où cela est nécessaire, n’hésitant pas à risquer sa vie comme celle de ses comparses Zed et Chas, ou de ses anciens associés. Damné mais Élu en même temps, il est plus ou moins guidé par un ange mystérieux, Manny, dont les motivations sont troubles. Ce petit groupe affronte ensemble une menace sourde nommée la Levée des Ténèbres, fomentée par une organisation secrète très ancienne, la Brujeria, à travers de nombreuses affaires sataniques faisant surface dans tout le territoire des États-Unis.

Zed est une médium très puissante, et Chas semble avoir plusieurs vies, mais ce sont surtout les immenses connaissances, l’audace suicidaire et le talent fabuleux teinté de désinvolture crâne de John Constantine qui leur permet de survivre et de contrecarrer les plans de la Brujeria.

Ce n’est pas la première fois que le magicien désinvolte et damné est porté à l’écran, si l’on se souvient de la tentative ratée du film des années 2000 avec Keanu Reeves dans le rôle-titre.

La direction prise par la série est cependant assez différente de son aîné.

L’univers, tout d’abord, est beaucoup moins centré sur une base judéo-chrétienne. Si dans le film l’Archange Gabriel et Lucifer étaient les références de chaque côté de l’affrontement, le champ est considérablement plus ouvert dans la série, avec des démons égyptiens ou assyriens, des exorcismes en langue vaudou, en sanskrit, en quechua, même. C’est d’ailleurs à la fois une qualité, et un défaut.

Élargir le champ de bataille pour l’ouvrir à d’autres traditions magiques permet de faire varier les points de vue, de donner plus de couleurs aux rituels magiques accomplis dans la série que les simples symboles judéo-chrétiens, rapidement évoqués dans les deux adaptations (la croix, l’eau bénite, les prières en latin, utilisées seules, pourraient sans doute paraître réductrices et répétitives). Cela donne aussi l’impression que le Mal est universel et que chaque tradition occulte dans le monde et au fil du temps a trouvé des parades originales et complémentaires pour lutter contre lui.

Mais le revers de la médaille est de perdre en cohérence, et de ne rester qu’à la surface des choses.

Les arts magiques occidentaux (et donc judéo-chrétiens) ne se limitent pas aux rituels de la Sainte Église Apostolique et Romaine et à un remake de l’Exorciste. On aurait pu plonger dans les traditions hermétiques alchimiques ou kabbalistiques juives comme chrétiennes, se servir de la diversité des récits bibliques plus encore, intégrer quelques idées venues de l’Apocalypse, voire approfondir les origines anglaises du personnage et le rattacher aux mages élisabéthains célèbres comme John Dee, ou à Aleister Crowley. Cela demandait peut-être de fouiller dans les arts occultes historiques et de faire quelques recherches pour rendre tout cela cohérent avec l’univers du comic book, mais au vu des recherches linguistiques pour faire entendre de véritables mots de vaudou, d’égyptien antique ou de sanskrit, cela ne me paraît pas un problème.

Le traitement est donc volontaire. On y retrouve la façon qu’ont les Américains de voir leurs cousins d’outre-Atlantique, et leur difficulté à penser l’histoire longue et complexe du Vieux Continent autrement que comme une sorte d’exotisme rafraîchissant.

Autre caractéristique de la série, un penchant pour la caricature très marqué, qui heureusement s’atténue quelque peu au fil des derniers épisodes.

Non seulement le personnage de John Constantine est-il taillé à la serpe dans les premiers épisodes, mais encore son évolution est-elle très lente. Sa culpabilité n’est que très légèrement effleurée à la fin de la saison, et son arrogance, sa désinvolture, sont beaucoup trop appuyées. Même pour quelqu’un qui apprécie les poncifs attachés aux personnages arrogants (de Han Solo à Cobra en passant par James Bond), la coupe est très rapidement emplie à ras bord. Le personnage en devient parfois agaçant, et l’identification s’en trouve amoindrie. On n’espère qu’une chose : qu’il en prenne plein la figure pour enfin perdre de sa superbe et redescendre sur terre.

Cela change il est vrai de l’interprétation monocorde de Keanu Reeves avec son talent inégalé pour ne faire apparaître sur son visage que le même masque dénué d’expression dans toutes les situations du film.

Le choix également d’escamoter le cancer du poumon et l’urgence que vivait le personnage dans le film sur la fin imminente de son existence et la confrontation inévitable avec son Destin, change considérablement la portée de sa damnation.

Les personnages secondaires de Zed et de Chas sont plus intéressants, mais la caricature n’est pas non plus absente. Zed est bien évidemment une plantureuse créature qui joue de séduction avec Constantine tout en traînant un passé lourd et complexe que la série n’a pas le temps d’explorer, tant son rythme est lent. Chas est le plus humain, finalement, bien qu’il n’apparaisse pendant toute la première moitié de la série que comme un faire-valoir étrange.

Même Papa Midnite, le sorcier vaudou, ni ennemi, ni allié de Constantine, est d’abord présenté comme un guignol, avant de prendre plus de profondeur ensuite.

Quant à Manny, son rôle ambigu aux côtés de Constantine et son rapport avec les Mortels ne sont qu’esquissés, et trop tardivement également.

La série a été interrompue après la fin de la première saison. Trop chère à produire (le nombre d’effets spéciaux par épisode est exponentiel), pour un succès probablement mitigé. Certainement que son mauvais positionnement sur le ton et l’ambiance, sur le rythme de l’intrigue générale, sur son propos, a joué un grand rôle dans cet échec.

C’est bien dommage, car au-delà de ces défauts, les derniers épisodes devenaient plus prometteurs, et la trame commençait à prendre une tournure moins manichéenne, avec le twist final.

Restent de très bonnes idées dans certains épisodes, comme dans le troisième, The Devil’s Vinyl, où un disque portant la voix du Diable devient l’enjeu.

Et malgré tout un certain attachement aux personnages et à l’univers.

Mr Robot, quand le hacker devient un héros de série

Mr Robot, quand le hacker devient un héros de série

Mr Robot, quand le hacker devient un héros de série

La figure du hacker, pirate informatique surdoué, a considérablement changé depuis sa première incarnation à l’écran dans WarGames (1983). De nos jours, le hacker n’est plus vraiment ni ce jeune garçon immature, ni ce nerd incapable de nouer des relations normales avec les autres, obsédé par sa machine et par le codage de programmes, ou le franchissement de barrières de sécurité. S’il reste toujours l’incarnation du même archétype, la vision que l’on peut en avoir s’est profondément complexifiée. C’est à travers la série américaine Mr. Robot que je voudrais montrer cette évolution qui me semble symptomatique de notre époque.

Elliot Alderson est un ingénieur en sécurité informatique de génie incapable de relations sociales normales : pour rencontrer les gens, il n’a d’autre solution que de les « hacker » : il pirate leurs messageries mail, leurs comptes sur les réseaux sociaux, leur compte bancaire, leur numéro de sécurité sociale, leurs téléphones, leurs ordinateurs. Dans un monde où chacun d’entre nous entrepose sa vie dans une multitude de coffres forts numériques, il connaît tout de ses « amis ». De leurs petits travers jusqu’à leurs secrets les plus inavouables, il sait qui visite des sites pornographiques, qui trompe sa femme et avec qui, qui détourne de l’argent de son entreprise, qui est au bord de la dépression. Sa maladresse dans la vie n’est compensée que par la compréhension intime qu’il a de la nature humaine ou par son addiction à la drogue. Même sa psychologue, assignée après une injonction de justice, n’a plus de secrets pour lui. Mais un beau jour, il rencontre Mr. Robot, un mystérieux et légendaire hacker qui l’entraîne avec lui dans une campagne de piratages de grande ampleur pour faire tomber la multinationale responsable du cancer de son père, et dans le processus entraîner la chute du système bancaire mondial. Mais la réalité n’est jamais vraiment ce qu’elle paraît être, et derrière chaque protagoniste de l’affaire se cache un tout autre code source.

Le rôle politique du pirate informatique

C’est le changement le plus évident. WarGames présentait un enfant qui n’était pas conscient de son pouvoir et des implications politiques de son talent. Mais depuis, l’imaginaire collectif comme la réalité ont compris le rôle éminemment politique que jouent les pirates informatiques.

Le Puppet Master dans le chef d’œuvre manga Ghost in the Shell, comme le récent Hacker de Michael Mann en font même le fondement de leur intrigue. Le pouvoir de l’information est sans aucun doute le plus grand pouvoir dans notre société, et ceux qui peuvent y accéder, ou empêcher les autres d’y accéder, sont les véritables maîtres du jeu.

Mais le hacker n’est pas le simple espion. Il est aussi l’incarnation moderne du rebelle, du révolutionnaire, voire du bandit de grand chemin. Ce que le vocable originel de pirate rendait plutôt bien. L’inconscient collectif le voit comme une sorte de successeur de Robin des Bois, de Mandrin, ou d’Arsène Lupin. Voire des trois à la fois.

Mr. Robot en fait une synthèse particulièrement réussie. L’habileté à coder devient celle d’échapper à la dictature de la société, celle de redistribuer les richesses devenues virtuelles, celle de renverser les pouvoirs en place. Fantasme particulièrement tenace qui voudrait que de simples lignes de code puissent venir à bout du monde tel qu’il est. La série montre cependant à quel point cela demande de travail. En ce sens, elle est beaucoup plus réaliste que la plupart de nos idées préconçues, et que la majorité des œuvres qui présentent des hackers particulièrement doués et même insolemment compétents. Elliot doit échafauder des plans complexes, accéder à des réseaux fermés physiquement, jouer de méthodes d’espionnage plus classiques, compter avec le facteur humain (ce qui n’est pas simple pour lui), et se confronter à une opposition aussi efficace que lui. Les programmes intrusifs qu’il conçoit avec ses acolytes ne suffisent pas à eux seuls à renverser le paradigme. Il doit même demander de l’aide à des groupes sombres de hackers plus embrigadés.

Et la série nous plonge finalement dans un monde pas si éloigné du monde physique, où les allégeances comptent autant, sinon plus. Les pirates nord-coréens avec lesquels il doit marchander pour parvenir à s’infiltrer dans certains serveurs n’ont pas vraiment les mêmes buts que lui. Ni les mêmes moyens. Mais reste l’image du révolutionnaire prêt à renverser le monde lui-même. Sans idéologie véritable, seulement, comme pour Tyler Durden, le héros de Fight Club, la volonté anarchisante de rebattre les cartes. Le groupe mené par Mr. Robot se nomme FSociety, un nom assez clair, ses représentants arborant un masque évoquant celui de Guy Fawkes qui aurait rencontré un Marx Brother. La référence aux Anonymous n’est pas innocente, dont l’absence d’idéologie en tient lieu, justement.

Le petit génie de l’informatique

La virtuosité est un trait de caractère particulièrement prononcé du hacker tel que nous nous l’imaginons.

Comme Mozart, le véritable hacker a été capable de composer son premier programme à cinq ans, et a percé les codes d’une carte bleue à sept, avant de pirater son premier site gouvernemental à neuf et de pénétrer dans les comptes mails du Président des États-Unis à douze… Du moins est-ce comme cela que nous aimons nous le représenter.

Mais si Elliot est indubitablement très fort dans sa partie, il fait face à d’autres hackers complètement différents, tels Tyrell Wellick, son adversaire. Ce dernier est dépeint comme un dandy du codage, qui l’a appris d’une façon très différente. On ne l’imagine pas passer ses nuits devant un ordinateur, mais plutôt avoir suivi une école spécialisée, dans le but de faire carrière. Comme un métier normal, finalement. Même chose pour Gideon, le patron d’Elliot. Un homme qui se révèle capable de comprendre ce que manigance Elliot sans être un génie de l’informatique.

La série prend acte du fait que les langages virtuels sont désormais à la portée de tous, qu’on peut les apprendre, et se révéler doué sans pour autant être un virtuose. Le hacker descend de son piédestal pour devenir chacun d’entre nous. Au temps pour l’image qu’a véhiculée Matrix avec le personnage de Neo

La réalité virtuelle et la réalité matérielle

C’est une autre différence et en même temps une autre ressemblance avec Matrix. La dichotomie entre le code informatique et la réalité est le cœur de la saga des Wachowski, mais Mr. Robot la renouvelle brillamment en la rapprochant de la schizophrénie.

Sans trop en dévoiler, le tournant de la série est marqué par le questionnement sur ce qui est réel dans les perceptions d’Elliot et ce qui ne l’est pas. Sa consommation de drogue, son obsession du codage, comme son enfance difficile et ses troubles du comportement deviennent une autre allégorie des doutes existentiels de Neo dans Matrix avant que Morpheus ne lui ouvre les yeux.

On peut se demander d’ailleurs si les « amis » hackés par Elliot existent vraiment. Leur vie tout entière sur les réseaux est-elle leur véritable vie ? Et nous-mêmes ? Quelle est notre réalité ? Nos amis de chair et d’os, notre famille ? Ou nos contacts sur le réseau ? Nos actes dans la vie quotidienne ? Ou ce que nous en montrant à travers les photographies, les commentaires, les grands discours, les petites phrases, que nous laissons dans le « nuage » ?

L’hyperconnexion et la déconnexion des relations humaines

Cette interrogation fait écho à une autre des caractéristiques traditionnelles du hacker : son incapacité à être à l’aise dans les relations sociales. Ce n’est pas par hasard que le personnage d’Elliot est dérangé. Pas par hasard non plus que Tyrell Wellick, son adversaire au sein de la compagnie EvilCorp, est un sociopathe aux tendances sadiques marquées. Seuls deux personnages échappent à ce stéréotype : Gideon, dont la vie est équilibrée, avec des préoccupations aussi banales que son âge, sa relation avec son compagnon, la survie de son entreprise de sécurité informatique, et Angela, l’amie d’enfance d’Elliot, qui sera son repère pendant une bonne partie de la série.

L’aliénité du hacker

Cette dichotomie finit par mener au fantasme du hacker se perdant dans l’infinité des données virtuelles, pour ne plus se réduire qu’à elles, ou pour au contraire se noyer en elles, et devenir plus vaste, plus grand que sa propre humanité charnelle.

Mr. Robot n’est pas une série fantastique ou de science-fiction et n’explore donc pas la question de façon aussi littérale et abrupte. Mais elle pose clairement le problème du sens de l’existence de son héros.

Elliot ne cesse de naviguer entre ses doutes et son incapacité à comprendre sa propre vie. Il ne sait plus qui croire ni même s’il peut se croire lui-même. En perte de repères, il se dilue dans son obsession du codage, du piratage, et si sa conscience se limite à voir le monde à travers un écran, elle se diffuse aussi grâce à eux vers l’intimité de ses « amis », une intimité qu’il n’aurait jamais pu atteindre sans cela.

Elliot devient une ombre, ni vraiment là ni vraiment absent. Ni vraiment humain et pourtant si humain après tout. Un peu comme ce monde fou qui est le nôtre. Un peu comme nous tous, finalement…

D’autres mondes à explorer sur la Toile, fin 2015

D’autres mondes à explorer sur la Toile, fin 2015

D’autres mondes à explorer sur la Toile, fin 2015

Un peu à la manière du traditionnel #FollowFriday sur Twitter, j’inaugure une nouvelle rubrique où je vous emmènerai découvrir d’autres univers que le mien, d’autres élucubrations qui fleurissement et s’épanouissent sur la Toile. Parce qu’un tweet s’envole comme le pépiement d’un oiseau, et reste bien difficile à retrouver ensuite. Parce qu’un billet de blog, au contraire, est comme un rouleau dans la Grande Bibliothèque d’Alexandrie.

À l’aventure et au-delà, le blog d’Emmanuel Gouvernaire, est la première étape de ce périple inaugural dans les océans virtuels. La curiosité d’Emmanuel est intarissable, et il peut vous mener aussi bien vers les nouvelles traductions du Seigneur des Anneaux, que vers les créations étonnantes du body painting. Et cette étape est en soi déjà une multitude de voyages vers des découvertes inattendues.

Une fois que vous aurez rempli vos yeux des nombreuses photographies étonnantes qu’il vous réserve, vous aurez peut-être envie de vous replonger dans quelque chose de plus concret.

C’est là que les tranches de vie racontées avec humour et autodérision par Zazimutine sur son espace poétiquement nommé Touzazimutin pourront vous tirer des sourires qui illumineront votre journée. À travers sa façon unique de revisiter son quotidien, avec ses petits bonheurs et ses angoisses, elle met un petit peu de magie dans nos propres vies. Avec elle, le récit d’un casting de cinéma, ou les différences régionales entre la Bretagne et la région Toulousaine vont vous paraître aussi dépaysants et rafraîchissants qu’un bon roman. À ceci près qu’ici (presque) tout est réel.
Et parce que la Toile n’est qu’un reflet de nous-mêmes (tant qu’aucune entité pensante n’y a été engendrée), lire comment l’on peut rire ou sourire de nos petits tracas, ou simplement décider de prendre du recul sur nos vies en les voyant à travers un regard un peu décalé me semble une bonne chose.
Et comme il est d’usage de rendre à César ce que Brutus lui a volé, c’est elle qui m’a donné l’idée de cette rubrique… grâces lui en soient rendues.

Enfin, parce que l’une des plus belles choses dans la nature humaine est notre capacité à penser, cette première odyssée ne peut se terminer sans parler des questions que Mais où va le net ? nous pose. Il y répond autant pour lui-même que pour nous, et c’est rassurant. On se sent moins seul à se demander ce que nous réserve l’avenir des nouvelles technologies, et surtout la façon dont nos contemporains vont s’en saisir et s’en servir. Nous compris.
Et au passage, il est bon de réfléchir à ce que nous pourrions changer dans nos usages avec la technologie (c’est-à-dire grâce à elle ou dans notre manière de l’utiliser). C’est ce à quoi l’on peut s’essayer en suivant Mais où va le web ?

Une fois ce petit périple achevé, libre à vous de proposer d’autres voyages…

L’avenir de notre système de soin : petit exercice de divination

L’avenir de notre système de soin : petit exercice de divination

L’avenir de notre système de soin : petit exercice de divination

Dans les jours qui viennent, l’Assemblée nationale devrait voter la soi-disant Loi de Modernisation de notre Système de Santé de Marisol Touraine (cliquez sur le lien, j’y fait référence dans le reste de l’article). Depuis plusieurs mois maintenant, tous les médecins de terrain martèlent que la loi est délétère, mais rien n’y fait. Aussi faut-il nous attendre à un changement radical.

Ce petit texte est donc là pour décrire ce que sera le parcours d’un patient dans le système de soin français dans quelques années (disons, pour se mouiller un peu, dans les années 2020-2025), si toutes les évolutions actuelles vont au bout de leur logique. Je noterai à chaque fois que cela sera possible, mes sources sur les pièces de ce puzzle qui se construit devant nos yeux ébahis (pour les médecins) ou derrière votre dos (pour les patients).

Libre à chacun de s’en emparer pour sa propre réflexion… et pourquoi pas pour agir…

Raymond a 50 ans en 2023.

Raymond est père de trois adorables enfants d’une dizaine d’années, marié, et il mène de front une carrière exigeante d’ingénieur chez un sous-traitant d’Airbus (ben oui, on est dans la région toulousaine, quand même), et une passion dévorante pour l’escalade.

Raymond aime par-dessus tout se retrouver à soixante mètres de hauteur dans les gorges de l’Aveyron, ses doigts cherchant les prises minuscules que la roche lui ménage, collé contre la fraîcheur de la paroi et le dos offert à la caresse du soleil, avec les cris des oiseaux et le bruissement du vent dans les rares végétaux qui s’accrochent comme lui à la falaise.

Raymond aime cette sensation d’être suspendu dans le vide, lorsqu’il enchaîne les mouvements précis qui le mèneront au bout de la voie qu’il connaît si bien mais qu’il ne se lasse pas d’emprunter, au-dessus de cette gorge encaissée, à quelques heures seulement de la Ville Rose.

Malheureusement, ce jour-là, Raymond se sent vraiment fatigué.

Cela fait quelques mois qu’il peine vraiment à assurer ses prises, quelques mois qu’il se sent comme vidé de l’intérieur.

D’ailleurs, il maigrit beaucoup ces derniers temps, et même Stéphanie, sa femme, le trouve changé. Pourtant, il mange avec plaisir, et il a souvent très faim. Ce qui au départ était une plaisanterie entre amis est devenu un sujet d’inquiétude lorsque Raymond s’est rendu compte que les chiffres de la balance ne quittaient pas leur compte à rebours au fil des semaines et que ses muscles fondaient à vue d’œil. Alors que Gilles, son ami d’enfance, ne parvient même plus à faire un bon mot pas toujours très léger sur « celui qui va bientôt pouvoir passer derrière une affiche sans la décoller », Raymond s’inquiète.

Car d’autres symptômes se sont rajoutés à son amaigrissement.

Raymond a toujours fait très attention à son hydratation. Sportif, il sait que l’effort prolongé et les conditions climatiques souvent rudes dans lesquelles il donne libre cours à sa passion peuvent lui prendre beaucoup d’énergie, et consomment beaucoup d’eau dans son organisme.

Mais depuis quelques mois, il ressent une soif intense, très souvent, presque en permanence. Et il urine beaucoup. Il urine comme si toute l’eau de son corps voulait s’écouler hors de lui, emportant avec elle les protéines de ses muscles et l’énergie de sa volonté.

C’est ce jour-là, pendu à un bras au-dessus du gouffre, la peur au ventre, que Raymond décide de consulter son médecin, le Docteur Germain.

Il le connaît depuis quelques années, lorsqu’il a eu besoin de faire soigner sa petite dernière, Lisa, atteinte d’une éruption infantile. Le Docteur Germain soigne depuis toute la famille. Le trouver ne fut pas facile, car même dans la région toulousaine, les médecins généralistes exerçant en libéral sont devenus une denrée rare, une espèce en voie de disparition.

Du reste, Raymond se souvient en avoir discuté avec lui, à l’époque. Il avait été surpris d’apprendre que depuis les années 2015, de nombreux médecins étaient partis à la retraite, la plupart sans successeurs. Mais le courant était bien passé entre eux, et Raymond savait qu’il pouvait faire confiance dans le professionnalisme et l’indépendance de son médecin.

C’est le lendemain que Raymond prend son téléphone pour obtenir un rendez-vous au cabinet médical.

La secrétaire, charmante mais un peu débordée, lui demande le motif de sa consultation, pour savoir s’il s’agit d’une urgence.

Puisque ce n’est pas le cas, le rendez-vous est fixé, pour une matinée quinze jours plus tard. À Raymond qui s’étonne de ne pouvoir rencontrer son médecin plus tôt, la secrétaire finit par glisser, mi-désespérée, mi-exaspérée : « Hélas, le planning du Docteur est tellement chargé, que même les urgences ne peuvent pas toujours êtres vues le jour même… Mais s’il y a un désistement, je vous rappelle sans faute ».

Quinze jours passent, et l’inquiétude de Raymond progresse d’autant plus que son poids diminue toujours, que sa soif empire, et que ses urines le vident de plus en plus de son énergie.

Au jour dit, Raymond se présente devant le comptoir du secrétariat. Marie, la secrétaire d’accueil, lui demande tout de suite sa carte d’assuré santé. Elle la glisse dans le lecteur, et sur son écran déchiffre de nombreuses données. Elle soupire pour la vingtième fois ce matin-là : l’assurance privée de Raymond n’a pas mis à jour ses données sur sa carte.

— Vous êtes toujours à la Mutuelle Générale des Ingénieurs ?

— Non, mon employeur a décidé de nous changer de contrat, et nous avons donc une mutuelle d’entreprise différente, c’est AZA qui nous couvre, maintenant.

— Ah, il faudra que vous en parliez au Docteur, je ne sais pas s’il a une convention avec AZA

— Et s’il n’en a pas, qu’est-ce que ça change ?

La question est toute simple, mais Marie préfère l’éluder.

— Il vous l’expliquera lui-même si c’est le cas. Je vous laisse vous installer en salle d’attente.

En savoir plus, étape 1 : complémentaires santé d'entreprises

Au 1er janvier 2016, la loi fera obligation à tout employeur de proposer à ses salariés une assurance santé complémentaire d’entreprise, qui sera chargée de rembourser un « socle » c’est-à-dire la part que l’Assurance Santé obligatoire (la Sécurité sociale) ne rembourse pas. Actuellement 30 % des frais de soins, ce qui s’appelle le Ticket modérateur.

Côté pile, la bonne nouvelle, c’est que les 4 millions de salariés qui actuellement n’ont pas de couverture complémentaire vont bénéficier automatiquement des garanties minimales.

Côté face, la mesure ne concerne pas les travailleurs indépendants, mais surtout, elle entérine le fait que les salariés (l’écrasante majorité des Français) auront souscrit (via leurs employeurs), une assurance complémentaire.

C’est un beau marché qui s’est ouvert pour les assurances privées.

Mais c’est surtout une façon de leur mettre le pied dans la porte. Elles deviendront de fait le deuxième acteur obligatoire de votre assurance santé. Les complémentaires vont-elles longtemps se contenter d’être simplement subordonnées à l’assurance santé publique ?

Rendez-vous à l’étape 2 pour le savoir…

Raymond se dirige vers la salle d’attente commune aux trois généralistes du centre médical. Comme toujours, elle est bondée. Des enfants en bas âge, amenés par leurs parents, des personnes âgées, en couple ou seules, qui ont été obligées de se déplacer jusqu’ici car les médecins ne peuvent plus faire de visites à domicile du fait de leur planning trop chargé.

Heureusement, les médecins du centre travaillent sur rendez-vous, et l’attente est assez courte. Ils ont juste entre une demi-heure et une heure de retard.

Vient le tour de Raymond.

Le Docteur Germain savait en consultant son agenda le matin même qu’il allait le voir pour un « amaigrissement et une fatigue importante depuis quelques mois ». Il avait déjà quelques idées. Il avait cependant besoin de discuter un peu avec Raymond de ses symptômes, de leurs caractéristiques, de son vécu, et de l’examiner un peu : vérifier son cœur, ses poumons, ses artères, la sensibilité de ses nerfs. Dans son esprit, différentes hypothèses étaient déjà en concurrence.

Mais avant même de pouvoir faire ce travail-là, son travail, il a une chose désagréable à vérifier. Une chose qui n’a rien à voir avec la maladie de Raymond, mais qui peut tout changer.

— Bonjour Raymond, je vous en prie, asseyez-vous.

— Bonjour Docteur, je suis content de vous voir. Je suis assez inquiet.

— Je m’en doute, les symptômes que vous avez décrits dans votre motif de consultation doivent vous préoccuper. Nous allons faire le point dessus, mais si vous le voulez bien je dois d’abord vérifier votre couverture sociale.

En se tournant vers son ordinateur, le Docteur Germain voit sur le dossier de Raymond que la mutuelle d’entreprise a changé, et que c’est AZA qui est maintenant l’assurance de santé de son patient.

Il soupire malgré lui, car le contrat que l’entreprise de Raymond a conclu est assez faible. Les choses ne vont pas être aussi simples qu’il aurait pu le penser.

— Hum, je n’ai pas de convention avec AZA, ce qui veut dire qu’ils ne voudront pas régler votre consultation. Vous devrez la payer entièrement.

Surpris que sa nouvelle mutuelle ne couvre pas ses dépenses de santé avec le médecin de son choix, Raymond se dit qu’après tout, la confiance qu’il met en son diagnostic vaut bien l’investissement.

En savoir plus, étape 2 : Les réseaux de soins

Vous avez certainement l’habitude des réseaux d’assurance pour votre voiture. Vous savez qu’en fonction de votre assurance, vous ne pouvez pas aller voir n’importe quel garagiste. Seuls ceux qui sont agréés par votre assureur (donc qui ont signé un contrat avec lui) pourront vous garantir la prise en charge des frais de vos réparations (moyennant une franchise, bien sûr).

Actuellement, cela n’existe dans le domaine de la santé que dans des domaines bien précis (l’optique par exemple). Il vous est possible de choisir librement votre médecin, votre pharmacien, votre kinésithérapeute.

Mr Guillaume Sarkozy, frère de notre ex-président, dirige la puissante complémentaire Malakoff Médéric. Comme vous le lirez ici, ou encore ici, il piaffe d’impatience à l’idée de pouvoir constituer des réseaux de soins. Ce qu’il appelle « contractualiser » avec les médecins, c’est leur proposer un agrément.

Contre une rémunération supplémentaire (quand la moyenne des montants de consultation en Europe est de 45 euros, vous pensez que les médecins français payés 23 euros feront la fine bouche ?… au passage, s’ils étaient si vénaux et nantis qu’on veut bien le dire, ils seraient ravis de « contractualiser » avec Mr Sarkozy, ce qui veut dire qu’ils ne se battraient pas contre la Loi de Mme Touraine…) ils accepteraient de se soumettre à des protocoles de parcours de soin pour leurs patients. Ce qui veut dire qu’ils accepteraient que l’assurance complémentaire décide de quels examens et de quels traitements leurs patients pourraient bénéficier.

Ils se laisseraient déposséder de leur prérogative la plus sacrée : la décision du meilleur traitement pour leur patient selon des considérations purement médicales.

En d’autres termes, si votre médecin signe un contrat avec une assurance complémentaire, il accepte de pouvoir vous donner un médicament qui ne vous conviendra pas, mais qui sera homologué par votre mutuelle, donc probablement qui coûtera moins cher à cette dernière…

Vous ne serez plus soigné en fonction de votre pathologie, de vos réactions physiologiques personnelles à un traitement, mais en fonction d’un protocole décidé statistiquement et économiquement…

Si vous refusez ce système et allez voir un autre médecin, non agréé, votre complémentaire santé refusera de prendre en charge la consultation.

— Et vos honoraires se montent à combien ?

— 35 euros.

— Mais je croyais que le tiers payant était obligatoire !

En savoir plus, étape 3 : Le Tiers-payant Généralisé et Obligatoire

La mesure phare de la Loi de Mme Touraine, c’est le Tiers payant généralisé et obligatoire (art. 18 de la Loi). Ce qui veut dire que lorsque vous allez chez votre médecin, vous ne faites plus l’avance des frais. En lisant votre carte vitale, votre médecin se fait payer par l’assurance maladie obligatoire et l’assurance complémentaire.

En théorie…

Car en pratique, sans rentrer dans les détails techniques assommants, c’est très compliqué.

Il suffit de savoir que si la sécurité sociale est la seule à payer la part obligatoire avec un système informatique assez performant, les complémentaires sont plus de 400 organismes en France avec chacune un système informatique propre… et bien sûr pas toujours au point…

Les dentistes et les pharmaciens le savent bien, qui ont beaucoup de difficultés à se faire régler la part des mutuelles.

Ce système va donc générer une complexité exponentielle.

La seule solution pour en sortir est de créer un payeur unique, qui sera chargé de régler les praticiens. La sécurité sociale a déjà dit qu’elle ne le ferait pas.

Qui reste-t-il ?

Les assurances complémentaires bien sûr !

En créant une structure qu’elles géreront, elles seront donc responsables de la gestion financière de… tout le système de soin français !

Mais, pour renverser la célèbre phrase de Peter Parker, « de grandes responsabilités impliquent un grand pouvoir ». Et nul doute que les complémentaires seront alors en mesure d’imposer leur vision des choses : les fameux réseaux de soin de l’étape 2.

Vous pensez qu’on en a terminé ? Détrompez-vous, il y a plus fort encore…

— C’est le cas, en effet, si votre mutuelle a un contrat avec le médecin que vous consultez. Sinon, elle refuse de payer le praticien… Et si j’en crois votre contrat, nous allons être un peu limités dans les éventuels examens complémentaires et les consultations vers les spécialistes. Mais nous verrons si nous en avons besoin. Parlez-moi de ce qui vous arrive. Tout cela a commencé quand ?

En savoir plus, étape 4 : Le désengagement de l'Assurance Maladie Obligatoire

Une fois que le Tiers payant est devenu la règle, le patient ne paie plus son médecin, ce qui veut dire qu’il n’a plus accès à une information essentielle : qui prend en charge le coût de l’acte ?

Actuellement, l’Assurance Maladie Obligatoire (la sécurité sociale) prend en charge 70 % d’une consultation, les 30 % restants étant couverts (ou pas) par une assurance complémentaire (une mutuelle, même si nous verrons plus tard que ce n’est très souvent qu’un abus de langage qui a des conséquences importantes).

Mais si le patient n’a plus conscience des flux d’argent, qu’est-ce qui empêche le gouvernement, ou les pouvoirs publics en général, de décider que la sécurité sociale ne prendra plus en charge que 60, 50, 40, voire 30 % des dépenses de santé ? Une telle décision serait totalement indolore pour la plupart des patients, dans un premier temps. Elle ne soulèverait que très peu d’objections. Après tout, elle résorberait en partie de fameux « trou de la sécu » en diminuant la charge de la santé sur les comptes publics.

Vous pensez que je rêve ?

Lisez cet article. On réfléchit déjà à ne rembourser les médicaments que selon un taux unique (actuellement, le taux est variable en fonction du service médical rendu, un indice décidant si le médicament est très important ou « de confort »).

Ce taux sera-t-il de 70 % ? Il serait très étonnant que des médicaments remboursés actuellement à 15 % le soient à 65 %… Le plus probable est que le taux choisi soit inférieur à 65 % pour tous les médicaments…

Lisez ensuite ce rapport de l’inspection des finances sur le dispositif ALD (Affection de Longue durée) qui prend en charge à 100 % par la sécurité sociale les patients atteints de certaines maladies considérées comme graves (le diabète de Raymond en fait partie). On y lit que, pour améliorer le dispositif, il est question de… le supprimer. Et de le remplacer en évaluant le reste à charge « acceptable » pour les patients.

Ce qui veut dire que les patients qui, comme Raymond, sont atteints de diabète ne seraient pas remboursés totalement par la sécurité sociale sur leurs médicaments contre le diabète…

À qui croyez-vous que le gouvernement confiera le reste à charge ?

Aux assurances santé complémentaires bien sûr…

Ce qui rend l’apparition de réseaux de soins encore plus probable…

Et Raymond de détailler ce qu’il a remarqué, pourquoi, comment, en répondant de temps à autre aux précisions que lui demande le Docteur Germain.

Au fur et à mesure de la consultation, l’idée de départ du Docteur Germain s’affine, et le diagnostic est quasi certain : un diabète est bien en train de s’installer chez son patient.

Malgré les deux interruptions téléphoniques de la secrétaire qui demande quand placer un patient qui avait des maux de gorge depuis deux jours (la réponse : pas d’urgence donc on ne surcharge pas le planning, ce qui veut dire un rendez-vous dans trois semaines, s’il n’est pas guéri tout seul d’ici là), l’examen physique peut se dérouler sans problème et le Docteur Germain ne décèle aucune complication encore installée sur les organes de Raymond.

Mais il va falloir faire des examens.

— Si le diagnostic se confirme, vous devriez aller voir un ophtalmologiste, une diététicienne et un cardiologue, au minimum. C’est là que cela se complique. Votre mutuelle d’entreprise ne couvre pas la totalité des examens. Mais je vous conseille fortement de les faire, car ils permettront de veiller à ce que le diabète ne provoque aucun autre dégât dans votre organisme. Et la diététique est le premier traitement de votre diabète.

Raymond acquiesce. Il est prêt à faire quelques sacrifices pour retrouver sa santé.

La consultation se termine et il serre la main du Docteur Germain chaleureusement. Il sait enfin ce qui cloche chez lui, et il sait comment il va pouvoir se soigner.

Dans les semaines qui suivent, Raymond entame les démarches nécessaires. Il se heurte à chaque fois cependant à un problème qu’il n’avait pas anticipé : sa mutuelle d’entreprise ne couvre que très peu de choses. Il décide donc de changer de mutuelle.

Hélas, comme les données de son dossier médical sont accessibles à tous les acteurs du système de santé, toutes les mutuelles qu’il démarche commencent par regarder son contenu. Et le diabète diagnostiqué récemment n’enchante pas ses interlocuteurs. Un jour, lors d’un rendez-vous, le conseiller de la mutuelle lui lance même :

— Vous savez, un diabète, ça coûte cher à soigner pour une mutuelle. Nous pourrions accepter de prendre ce risque avec vous, mais vous devrez payer une surprime.

N’ayant pas d’autre choix, Raymond accepte. Sa nouvelle mutuelle lui coûte très cher, mais ses revenus lui permettent de s’offrir ce qui est devenu un luxe.

En savoir plus, étape 5 : L'ouverture des données personnelles de santé aux organismes privés

Actuellement, la sécurité sociale est une sorte de grande muette.

Toutes les données de vos remboursements de traitements, de consultations, d’analyses médicales, sont éclatées en deux. D’une part il y a votre dossier médical, bien au chaud dans l’ordinateur de votre médecin (à moins que le vôtre ne soit encore sur du papier, si votre toubib date du siècle précédent), inaccessible à quiconque sauf à vous et à votre médecin, vous savez, celui que vous avez choisi librement. Et d’autre part les données financières de l’assurance maladie obligatoire, qui dorment dans les ordinateurs de la sécurité sociale. Celles-là, elles sont encore plus protégées. Seul votre médecin y a accès, et votre pharmacien dans une moindre mesure.

Avec la Loi Touraine, les données de santé vont devenir moins timides.

D’abord, elles vont se regrouper, pour se sentir moins seules.

En effet, votre dossier médical sera partagé (art. 25 de la Loi) sur un réseau informatique très protégé (vous savez, comme ces réseaux gouvernementaux qui se font régulièrement pirater visiter, par des touristes nord-coréens, ou mieux, comme ces sites ultrasécurisés qui promettent l’anonymat de leurs membres adultères et qui oublient de fermer la serrure électronique de leur coffre-fort pour que des gens bien intentionnés publient sur internet la liste des époux infidèles…) accessible uniquement aux médecins… et aux assurances de santé… oui, toutes, même celles qui ont un excellent système informatique datant des années 1990…

Ensuite, elles vont se montrer un peu plus.

Comme je le disais, les assurances complémentaires vont y avoir accès (art. 47 de la Loi). Elles le demandent depuis très longtemps (rappelez-vous ici, dernier paragraphe, et là, quatrième paragraphe avant la fin). Normal, elles piloteront déjà le paiement, et pour constituer leurs réseaux de soin et « rationaliser » le financement, elles auront besoin de savoir ce que vous prenez comme médicaments.

Corollaire de ces deux expositions de données, le secret médical n’existera plus.

Le secret médical ?

Vous savez, ce truc hérité des Grecs, qui stipule que tout ce que vous confiez à votre médecin restera strictement confidentiel.

Pour le faire tomber, il suffit de lire votre dossier médical en ligne. Ou pour les plus joueurs, de reconstituer vos pathologies en lisant simplement la liste des médicaments que vous prenez.

Vous trouvez que ce n’est pas gênant ?

Peut-être que les députés qui vont voter la loi non plus.

Jusqu’à ce qu’un hacker pirate leur dossier médical et ne dévoile que tel député est atteint d’une « chaude pisse » (une légère infection sexuellement transmissible), qu’il aurait contractée en étant très légèrement infidèle à son épouse. Ou mieux, qu’une autre députée, elle, vit un enfer avec sa fille handicapée mentale…

Peut-être alors, que ces députés se mordront les doigts d’avoir voté une loi qui abolit le secret médical…

En attendant, les assurances complémentaires, elles, pourront à loisir déterminer ce que vous coûtez au système de soin, et « optimiser » votre traitement. Voire même décider qu’elles ne paieront pas votre traitement si vous leur coûtez trop cher.

Les médicaments et le régime qu’il suit, ainsi que son activité physique très régulière, lui permettent rapidement de retrouver sa forme, son énergie, son tonus, et lui font retrouver une vie normale.

Cependant, la mutuelle a exigé un relevé d’identité bancaire à son inscription, et ce n’est que deux ans plus tard, lorsqu’il chute accidentellement lors d’un entraînement sur un mur d’escalade et qu’il faut lui réduire une épaule luxée sous anesthésie, qu’il comprend pourquoi : son compte a été débité automatiquement d’une franchise de plus de cent euros.

En savoir plus, étape 6 : Prélèvements directs de franchises sur le compte bancaire du patient

Et comme inévitablement tout le monde coûtera toujours un peu trop cher aux assurances complémentaires (à ce stade-là, la sécurité sociale ne sera plus qu’une portion congrue), elles seront obligées de réguler le système selon leurs critères, les critères les plus objectifs bien sûr, les critères statistiques et financiers.

Actuellement, la sécurité sociale étant pauvre, très pauvre, elle ne peut vous rembourser que 22 euros sur une consultation de 23 euros. Et puis comme vraiment elle est dans la dèche, elle ne rembourse pas non plus 50 centimes d’euro sur chaque boîte de médicament que vous allez chercher à la pharmacie.

Avec le Tiers payant généralisé et obligatoire, comment la sécurité sociale aujourd’hui, les complémentaires demain, vont-elles faire pour ne pas payer ces euros ?

En ayant un accès à vos comptes bancaires.

Ne riez pas, ce n’est pas une plaisanterie. C’est réel.

Demain, lorsque vous irez chez le médecin, vous n’avancerez pas les frais, mais la sécurité sociale vous ponctionnera de 1 euro directement sur votre compte bancaire.

Déjà, 1 euro sans qu’on vous le demande, je ne sais pas si vous serez d’accord.

Mais imaginons que « pour faire des économies », on décide que cette franchise ne sera pas de 1, mais de 10 euros. Ou bien que, parce que votre prothèse de hanche coûte décidément très cher, votre assurance complémentaire vous facture une franchise de 200 euros. Et vous n’aurez pas le choix.

Quelques mois plus tard, au moment de concrétiser enfin le projet immobilier que Stéphanie et lui ont passé trois ans à préparer, l’assurance obligatoire pour l’emprunt lui annonce par courrier qu’il devra payer une surprime également. En effet, les assurances ont également accès à son dossier médical, puisqu’il se trouve que l’assurance de l’emprunt est une filiale de sa mutuelle

En savoir plus : Les grands gagnants, des mutuelles, vraiment, ou des groupes d'assurance privés à but lucratif ?

La cerise sur le gâteau est de savoir qu’en 2010, le marché des complémentaires santé était occupé à 56 % seulement par des mutuelles (des organismes à but non lucratif) et à 21 % par des organismes de prévoyance (but non lucratif), donc à 23 % par des organismes à but lucratif.

Ce qui veut dire qu’un quart du marché environ est détenu par des sociétés dont le but est de faire de l’argent en vous payant vos soins.

Ce que l’on nomme « mutuelles » n’est donc qu’une partie de la réalité.

Une partie non négligeable est là non pas pour vous aider à vous soigner du mieux possible de façon désintéressée, mais pour faire du profit.

Avoir accès au pilotage du système de soin, à vos données personnelles de santé et de remboursement, et à votre compte bancaire sera certainement la meilleure chose qui leur soit arrivée depuis très longtemps…

Alors, cette Loi Touraine, elle ne vous fait pas un peu peur, même pas un tout petit peu ?

Parce qu’à moi…

Et pourtant, Raymond se trouve chanceux. Stéphane, un de ses collègues ouvriers, n’a pas les mêmes moyens que lui. Lorsqu’il a voulu se faire opérer de la main, sa mutuelle lui a imposé un chirurgien qui était moins cher.

Le système que je décris ici n’est pas vraiment un modèle de solidarité et de justice sociale, n’est-ce pas ?

On pourrait plutôt le comparer au système américain (qui lui est en train de changer pour se rapprocher de celui que nous avons actuellement, ironique, n’est-ce pas ?). C’est pourtant un gouvernement dit de gauche qui est en train de mettre en place un tel système où les plus riches seront les mieux soignés, au plus grand profit d’intérêts privés financiers uniquement guidés par le montant de leurs dividendes…

Bien sûr, ce n’est qu’un exercice de divination et on peut me taxer de pessimiste ou d’alarmiste, mais il est fort possible que tout cela soit un jour une réalité, je crois vous en avoir montré quelques preuves.

Sauf si nous refusons tous cette fatalité.

Samhain & le Jabberwocky

Samhain & le Jabberwocky

Samhain & le Jabberwocky

La nuit où cela advint, la dernière nuit d’octobre, j’étais devant la grille recouverte de peinture noire antirouille, à ne pas savoir si j’allais franchir le seuil ou rester là les bras ballants des heures durant. Une impulsion étrange m’avait guidé jusque là. Elle s’était allumée, comme une étincelle qui jaillit, à mon réveil. Son éclat avait couvé, comme étouffé par les lumières du jour, pendant que je me concentrais sur mon travail. Mes ses braises avaient rongé peu à peu mon être, jusqu’à remplir totalement mon esprit. Le soir venu, j’avais pris ma voiture comme dans un rêve, et au lieu de suivre le trajet familier jusqu’à la maison isolée qui était devenue mon domicile, j’avais allumé l’écran du guide électronique de positionnement par satellite, entré le nom du petit village qui me trottait dans la tête depuis le matin, et suivi les instructions comme dans un état second.

Il ne s’était écoulé que deux heures avant que je ne me retrouve devant la grille, mais j’avais eu la sensation de traverser plusieurs années, peut-être même plusieurs siècles, comme lorsque l’on franchit une série de longs tunnels. La lumière qui pointe à la sortie semble toujours différente de celle que l’on a quittée à l’entrée.

Je ne savais plus si cette nuit-là appartenait vraiment au temps humain, ou si elle allait s’étendre jusqu’à la fin. La fin du monde. La fin de ma vie.

Étrangement, je m’y sentais bien.

Il ne restait qu’une vague appréhension de ce que je pourrais trouver au-delà de la grille. Dans le cœur de l’enceinte de pierres et de briques dont les pins et les cyprès cachaient le dédale des allées.

L’impulsion était cependant la plus forte. Je ne pouvais plus reculer, arrivé à cet endroit-là, à ce moment-là. Je devais aller au bout.

Le métal grinça légèrement, mais le son fut couvert par le bruit du vent dans les branches des cyprès, qui claquaient de temps à autre, et le froissement des aiguilles de pin les unes contre les autres.

J’ai fait le premier pas, puis le deuxième. Mes chaussures firent crisser le gravier blanc éclairé par la lune. Je n’avais pas froid malgré la température et le vent. Au contraire, l’endroit semblait plus chaud qu’à l’extérieur de l’enceinte sacrée. Les odeurs familières de la terre de mon enfance, les bouffées du parfum des pins, les subtiles odeurs des vignes qui s’étendaient à perte de vue autour des murs, m’enveloppèrent de leurs chauds atours de souvenirs fugaces et fuyants comme des feux-follets.

J’ai trouvé mon chemin comme à tâtons dans ma mémoire, le long des allées bordées de plaques et de stèles.

J’ai trouvé celles que je cherchais, un peu à distance l’une de l’autre. La première, la plus ancienne, constituée d’une simple plaque de béton rugueux, sans aucune décoration autre que la plaque noire qui était gravée de lettres dorées. La deuxième, la plus récente, plus imposante, en granit gris elle aussi ornée d’épitaphes précieuses.

Dans mon souvenir, elles étaient plus petites, plus étranges, plus étrangères.

Mais la nuit où cela advint, la dernière nuit d’octobre, elles paraissaient avoir grandi, s’être changées en mausolées. Elles étaient ouvertes. Ouvertes sur un halo noir et blanc, à la fois sombre et laiteux, qui baignait la totalité du lieu.

J’entendis du bruit.

Comme un murmure discret au début, qui gonfle peu à peu et enfle au fur et à mesure qu’une symphonie se déploie. Puis ce son s’organisa en musique, la musique en note, et les notes prirent un sens. Les mots qui étaient ces notes formèrent des phrases, et les voix me furent familières.

Il ne fallut qu’un pas pour me retrouver dans la clarté ténébreuse.

La longue table s’étendait bien au-delà de ce que je pouvais distinguer, noyée par les lueurs blanches et noires, par les feux qui brûlaient autour, les cierges et les chandeliers, les couleurs des atours et les figures pâles, disparaissant presque sous les monceaux de victuailles qui s’y déroulaient. Viandes, gibiers, pommes, raisins, citrouilles et pâtisseries, hydromel, hypocras, liqueurs de pommes et vins rouges comme le sang y mêlaient leurs couleurs automnales en une harmonie éclatante.

Les figures blafardes se tournèrent vers moi et m’invitèrent à prendre place au banquet. La place d’honneur, celle de l’invité, celle du siège périlleux au centre de l’attention de tous. Le fauteuil de bois et de velours réservé aux vivants.

Je m’installais sans parler, laissant la musique qui résonnait partout autour de nous prononcer les mots que je ne pouvais pas articuler. Il y avait là tant de monde. Tant de monde que je ne connaissais pas vraiment mais avec qui je me sentais des liens. Des liens parfois ténus mais bien réels. Des liens qui prenaient naissance au plus profond de ma chair, dans les substances que charriaient mes artères et dans les étincelles de vie qui naissaient au creux de mes cellules, dans les éclairs qui dansaient dans mon esprit et les brasiers qui couvaient dans mes entrailles. Des liens presque palpables qui reliaient les uns et les autres en une subtile tapisserie qui se déroulait à l’infini le long de la table. Une femme à un homme et le couple à leurs descendants. Parfois les fils s’interrompaient, parfois ils se dédoublaient. Certains traversaient plusieurs générations quand d’autres, plus forts et plus fins à la fois, s’amusaient à se cacher pendant plusieurs éons et resurgissaient lorsqu’on ne les attendait plus. Des fils reliant les mères à leurs filles, d’autres unissant les pères à leurs fils, mais aussi des liens qui courraient des oncles jusqu’aux cousins, des neveux jusqu’aux grands-parents. Mes yeux étaient trop éblouis pour en percevoir l’unité, mais c’est une partie plus intime et plus instinctive qui en pressentit le motif caché, d’une façon aussi fuyante que tout le reste. Durant une fraction de seconde, je compris le dessein qu’en formait le dessin, avant que cette certitude ne s’évanouisse, trop brûlante pour mon esprit encore rattaché aux cordes du vivant, et que mon attention soit ramenée à la convive attablée à ma droite.

J’ai senti mon cœur bondir dans ma poitrine et la voyant me sourire avec une tendresse que j’avais oubliée au fil des années mais que je retrouvais intacte. La Mère de mon Père. Elle était habillée de gris et d’or. Et elle me parla en m’invitant à manger, à boire, à écouter et à parler.

Je pris la coupe posée devant moi. À ma gauche était le Père de ma Mère, souriant lui aussi. Les figures bienveillantes de mon enfance étaient avec eux. Dans le brouhaha joyeux qui s’étendait aussi loin que la lueur, leurs mots s’écoulèrent avec la simplicité et la limpidité des eaux claires d’un étang lunaire. À leurs questions c’est la musique de mes sentiments qui répondit. Quelle était ma vie, que devenaient mes rêves, à qui j’avais lié mon destin, à quels autres fils j’avais entremêlé les miens, à quelles prouesses ou quelles réalisations j’avais dédié mon existence. Que devenaient mes parents, que devenaient mon frère et ma sœur, quelles étaient leurs vies et qu’avaient-ils apporté au monde. Quels étaient nos espoirs, nos projets, de quelle énergie allions-nous inonder la sphère des vivants.

Ils me parlèrent de leurs propres existences passées. Je compris leurs tourments, leurs joies, leurs peurs, leurs décisions, leurs héritages, leurs créations. Je compris leur place dans la tapisserie.

Et je bus le nectar des breuvages éternels, figés par le temps en dehors du temps.

Et je me nourris des mets immortels, sucrés, salés, doux et amers, fixés par les souvenirs des générations.

C’est alors que je reconnus à ma droite le Père de mon Père, commandeur droit assis sur son trône de fer, et à ma gauche la Mère de ma Mère, inflexible sur sa chaise de pierre. Je ressentis la même joie, et je redis ce qui me faisait vivant.

À leur tour ils jouèrent la musique de leur existence disparue, et je compris leur place, et je vis l’amour que j’avais eu pour eux grandir encore en comprenant ce qui restait mystérieux.
Mais enfin le Père de mon Père parla vraiment, sans musique, sans note, sans harmonie.

— Pour qui la Chasse, cette nuit, mon Fils ?

Tous suspendirent leurs gestes et la tapisserie tout entière retint son souffle. C’est le privilège redoutable des vivants que de choisir. Pour qui la Chasse allait-elle se mettre en route.
Des centaines de propositions se bousculaient dans mon esprit, mais aucune ne parvenait à vraiment émerger du chaos de mes pensées.

Puis il fut évident que si chasser il fallait, cela devrait avoir un sens que ce soit moi le Veneur.

— Cette nuit la Chasse ira vers ceux dont les mensonges ont causé de la souffrance.

La figure sévère du Père de mon Père montra de la déception. Celle de la Mère de ma Mère fut plus démonstrative.

— Tu en es sûr ? Tu ne veux pas plutôt chasser les faibles ou les enfants ?

— Non, ceux qui ont menti et causé du tort par leurs mensonges.

Le Père de mon Père frappa son poing sur la table.

— Qu’il en soit ainsi !

Les mets disparurent, les breuvages s’évaporèrent.

La table s’évanouit. Les chaises et les fauteuils s’étaient changés en hautes montures aussi noires que la nuit et aussi blanches que les éclairs. Les Ancêtres étaient tous à cheval, et des chiens monstrueux piaffaient d’impatience en retroussant leurs babines qui salivaient déjà.

Mon propre corps changea. Je m’allongeais démesurément, mon dos, mes bras, mes jambes, mon cou, se couvrirent d’écailles, mon torse peu à peu se changea en un poitrail de plumes, une crête colorée s’ébouriffa dans ma chevelure, mes ongles se changèrent en serres aiguisées. Mes dents furent des crocs acérés. Mes yeux injectés de sang colorèrent mon monde d’une teinture écarlate et mes veines transportèrent la fureur du dragon trop longtemps retenu contre son gré.

Jabberwocky.

Le monstre qui devait mener la Chasse.

Et le cortège fantomatique s’ébranla à mon feulement, les chiens hurlant, les morts sifflant, les défunts chantant, le vent emportant le tout sur ses sabots au galop de son impatience.
Le Royaume Souterrain est partout et nulle part, aussi mon corps fut-il dans les rêves de chaque être humain au même moment, sur toute la surface de la terre. Aussi mon esprit fut-il dans les cœurs de tous au même instant.

Et la Chasse parcourut la nuit en semant la peur sur son chemin. La peur du noir. La terreur des choses tapies dans l’obscurité de la nuit. La panique que la fureur du Monstre ne se déchaîne sur les vivants. La peur de ceux qui sont morts et de leur retour. La terreur de leur colère envers nos actions. La panique de voir leurs visages sévères et leurs cœurs desséchés juger nos existences.

Le Jabberwocky chercha, guidé par son flair, guidé par sa volonté.

Je trouvai des centaines, des milliers, des millions de cœurs impurs.

Le Mensonge lié à chacun comme les fils qui relient chaque humain à ses Ancêtres.

Et la Chasse me suivait.

Les cris de terreur des vivants qui voyaient leurs cauchemars se présenter devant eux, pour les juger et les punir, se mêlaient aux rires cruels des défunts qui se vautraient dans le plaisir de la traque. Ils se sentaient vivre à nouveau, durant une si brève nuit, remplis d’une énergie pulsant dans leurs âmes mortes.

La fureur qui animait le Jabberwocky, cette fureur brûlante et dévorante qui me consumait peu à peu, les alimentait et leur donnait un masque d’horreur qui hanterait longtemps les songes des vivants.

Les heures s’allongèrent, la lune s’éleva puis déclina, et la terreur nous suivait, puis nous précédait.

Mais il en est du Temps comme de la Vie ou de la Mort. Tous ont une fin.

Et ce fut l’aube qui tendit quelques rayons pour stopper de ses chaînes le déferlement de la Chasse.

Et l’enceinte de pierres et de briques fut à nouveau la limite du Royaume Souterrain.

Le Père de mon Père à ma droite, me parla à nouveau.

— Le démon est venu cette nuit, comme chaque année, mais il doit finir son œuvre avant de repartir.

Je ne compris pas tout de suite, mes oreilles n’étaient plus habituées à un son humain, mais à la musique terrible et douce de ce lieu, de la Chasse.

J’avais puni tous ceux dont les mensonges avaient causé de la souffrance à travers le monde. Mon rôle était terminé, et je devais retrouver mon Monde.

Mais les visages blafards étaient plus pâles encore, autour de moi. Leurs mines étaient sévères, pleines d’attente. Leurs yeux vides me transperçaient et fouillaient mon âme.

Moi aussi j’avais menti, comme tous les vivants. Moi aussi j’avais proféré des mensonges qui avaient causé de la souffrance à travers le monde.

Je devais être puni.

Mes griffes s’enfoncèrent dans mon cœur.