Ma vie numérique sans les réseaux dyssociaux

par Fév 11, 2023Le Serpent à Plumes6 commentaires

En 2023, le principal canal d’accès à internet n’est plus vraiment l’internet originel, celui des moteurs de recherche, mais ce que l’on nomme abusivement les réseaux sociaux. Si l’on n’a pas un compte sur l’une ou l’autre de ces plateformes, on passe pour un attardé numérique, un geek à l’ancienne, un boomer, voire, pire, pour un déconnecté. Et si l’on est un artiste, c’est encore pire.

En effet, tout passe désormais par ces canaux de communication.

Les festivals annoncent leurs événements sur Facebook ou Twitter, et n’ont même plus leur site internet à jour (comme le salon des littératures de l’imaginaire toulousain Imagina’Livre).

Les artistes montrent leurs créations sur Instagram.

Les vidéastes et les vulgarisateurs postent sur YouTube.

Et je ne parle même pas des sites d’actualité ou des politiques, qui ne postent presque plus que sur Twitter.

Et le commun des mortels, qui n’osa jamais ouvrir un blog dans les années 2000 parce que «c’était compliqué» (objectivement, ça pouvait l’être), se retrouve aujourd’hui à avoir des profils à la fois sur Snapchat, TikTok et tous les autres, de façon à lui aussi accéder à la parole, même si c’est pour être noyé dans un flot massif de données.

On pourrait croire que l’internet tout entier se résume à ça : un (pas si) joyeux méli-mélo de «contenus» (mot qui ne veut rien dire) exposés sur des plateformes qui mâchent le travail de recherche et l’orientent en même temps dans le sens de leurs intérêts financiers ou politiques, voire philosophiques.

Pourtant, le «vieil» internet n’a pas disparu. Il est toujours là, parce qu’il reste tout de même la fondation essentielle de ce chaotique soi-disant internet social. D’une part parce que les plateformes ont toutes des limitations, ne serait-ce que techniques, qui brident ce que l’on peut y publier (nombre de caractères, notamment). D’autre part parce que, finalement, ces plateformes ne sont utilisées que pour faire caisse de résonance, et propulser plus loin ce que l’on crée ou réfléchit vraiment ailleurs.

Et de cela, je crois que tout le monde en est plus ou moins conscient.

Ces outils ne sont que des tremplins, pas des lieux où l’on peut trouver des informations pérennes. Votre tweet d’il y a deux heures est déjà submergé par des milliards d’autres, voire enterré par l’algorithme qui ne l’aura même pas montré à vos followers (parce que non, l’algorithme de Twitter ne vous montre pas tous les tweets des gens que vous suivez). Par contre, votre billet de blog, lui, est bien au chaud sur votre site, et une simple recherche peut le faire remonter facilement.

Pourtant, tout le monde fait comme si. Comme si c’était vraiment intéressant. Comme si on découvrait vraiment des gens différents qu’on n’aurait pas connus ailleurs ni autrement. Comme si tout n’était pas dicté par un algorithme dans le but de nous piéger dans une boucle de publicités ininterrompues.

Pire, nombre de créatrices et de créateurs font aussi semblant de croire. Croire que se soumettre aux injonctions de ces réseaux leur apportera une visibilité. Croire qu’ils et elles pourront se démarquer parmi une myriade d’autres. Croire qu’ils et elles peuvent plier l’algorithme pour cela, voire jouer plus intelligemment que lui.

Tout le monde fait comme si on n’avait pas le choix. Comme si on devait utiliser ces outils et se soumettre à leurs lois.

Il est temps de se réveiller.

Vous avez le choix. Vous l’avez toujours eu.

L’autre voie n’est même pas plus difficile. Et elle est plus libre.

Laissez-moi vous en montrer le chemin.

Affiche du film Spartacus de 1960 par Stanley Kubrick

Refuser les réseaux dyssociaux

À l’heure où j’écris ces lignes, Twitter ne s’est pas encore effondré, hélas. Mais je ne désespère pas de voir un nombre assez grand d’êtres humains se rendre compte de la nocivité de cet outil pour eux-mêmes et pour l’Humanité entière, puis, partant de là, de la nocivité de tous les réseaux dits «sociaux».

Mais, au fait, pourquoi refuser de les utiliser est si important ?

Réseaux «sociaux», réseaux «commerciaux», réseaux «dits sociaux», réseaux «dyssociaux»

Tel est l’enchaînement de mon opinion sur ces plateformes, au fil des années.

Au début, ces réseaux se sont présentés comme «sociaux» car leur propos était de mettre les gens en relation, de créer de la discussion, du partage, de vous permettre de faire société, de rencontrer de nouvelles personnes, comme dans la rue, dans un café, dans une soirée, dans une salle de cinéma. Ils étaient les héritiers des forums qui s’étaient multipliés comme des petits pains. Mais là où chaque forum avait sa thématique bien précise, et où donc il fallait s’inscrire sur une bonne centaine d’entre eux si vous aviez des passions un tant soit peu variées, avec Facebook ou Twitter, on vous promettait une seule grande place de rencontre où vous pouviez créer vous-même vos sujets de discussion. Au début, les promesses ont été tenues.

Mais rapidement, la réalité économique s’est rappelée aux concepteurs de ces outils. Maintenir des serveurs et payer des salariés pour développer le code, le maintenir, cela coûte cher, sans parler du fait que dégager des bénéfices était quand même à la base de tout. Ben oui, l’objectif de Zuckerberg comme de Jack Dorsey, au départ, c’est bien de faire de l’argent, pas d’éliminer la faim dans le monde. Il a donc bien fallu vendre quelque chose. Et comme la condition même de l’existence de ces outils était dans le nombre de leurs utilisateurs, il n’était pas question de les faire payer pour y accéder. Il a donc fallu trouver autre chose, qui est vite devenu évident : la publicité. Les utilisateurs ne paieraient donc pas avec leur argent, mais avec leur exposition à la publicité. À partir de là, ils n’ont plus du tout mérité leur nom. Les réseaux sont devenus «commerciaux».

Le besoin d’argent étant ce qu’il est, la publicité devint de plus en plus importante. Les algorithmes furent donc essentiels pour s’assurer que vous puissiez voir le plus de publicités ciblées sur vos centres d’intérêt. On commença donc à modifier la façon dont vous pouviez interagir avec les autres utilisateurs. Comme si, dans un café, on vous empêchait de voir certaines personnes ou de suivre certaines conversations, remplacées par des messages publicitaires. Je me demande d’ailleurs si vous resteriez dans un tel endroit plus de 10 minutes, s’il existait physiquement. J’ai mon idée sur la réponse, et par contre aucune piste pour comprendre pourquoi au contraire vous restez sur les réseaux… qui sont dès lors devenus une caricature de société. Des réseaux dont le nom était la négation même de ce qu’ils prétendaient être. Des réseaux «dits sociaux (mais qui sont tout sauf sociaux)».

Enfin, la massification des profils laisse aussi le champ libre aux trolls, qui ont presque toujours existé sur internet, mais qui trouvent dans ces réseaux un tout nouveau terrain de jeux encore plus grand, encore plus fertile que les forums d’antan. D’autant qu’à la différence de leurs aînés, les réseaux ne peuvent pas se gérer avec un ou deux «modos» mais bien avec des centaines de modérateurs exposés à des mots, des images, des vidéos pénibles sur le plan psychologique, et qui doivent supprimer à la chaîne des propos racistes, des menaces de mort, des images pédopornographiques ou violentes. Mais hélas leur travail, aussi important soit-il, ne suffit pas. Et le complotisme, le prosélytisme, l’ignorance, la désinformation, la manipulation, le harcèlement, la haine, les insultes se multiplient. Le café du commerce que l’on rêvait se transforme en une arène de combats de rue où tous les coups ou presque sont permis. Et les réseaux sont devenus «dyssociaux», de la racine «dys» (du grec : malformation, mauvais, erroné) car ils ne produisent plus qu’une socialisation malformée, déformée, perturbée et perturbatrice.

Les personnes exposées expriment souvent un stress, voire une anxiété, le FOMO pour l’anglais fear of missing out, ou peur de manquer. Manquer le prochain tweet, manquer l’information vitale, ne plus être en contact avec ses «amis» (eh, les gars, mes véritables amis, je connais aussi leur numéro de téléphone ou leur mail, je ne les perds donc pas si je quitte Facebook, quant aux autres, si je n’ai pas au moins ces deux autres moyens de les contacter, c’est qu’ils ne sont pas aussi importants que cela).

Je ne parle même pas des créateurs et des créatrices, qui vivent très souvent une pression à publier sur ces réseaux, de peur d’y devenir «invisibles». Mais spoiler : vous êtes forcément invisibles parmi des millions d’autres utilisateurs puisque l’algorithme est opaque par définition et décide de presque tout.

Tout cela est assez bien résumé dans un petit bouquin qui certes manque de détailler suffisamment mais est quand même assez bien écrit : La civilisation du poisson rouge, de Bruno Patino.

Vous comprendrez en le lisant pourquoi les ingénieurs de la tech interdisent à leurs propres enfants d’utiliser ces outils sur lesquels ils travaillent pourtant… L’auteur est journaliste, spécialiste des questions numériques. Il décortique les mécanismes qui ont conduit à l’émergence du web 2.0, à l’hégémonie des plateformes comme Facebook ou Twitter. Et surtout, il explique les choix qui ont été faits dans leurs fonctionnements. C’est glaçant, mais je trouve deux critiques à faire. D’abord, je trouve que c’est plus un manifeste qu’une étude précise. Il m’a manqué d’aller plus en profondeur. J’aurais aimé voir présentés les mécanismes neurophysiologiques, les bases scientifiques qui les corroborent, plus que juste citées en sources bibliographiques. Mais sans doute en attendais-je un peu trop. Ensuite, la dernière partie, qui est censée proposer des pistes pour agir, pour retrouver à la fois une citoyenneté et une liberté dans les usages du web, me semble beaucoup trop timorée par rapport à tout ce que l’auteur présente avant. J’ai l’impression que pendant les trois quarts du bouquin, Bruno Patino nous brosse une fin du monde apocalyptique, pour nous dire dans le dernier quart de simplement repeindre les murs de la maison… J’exagère un peu, c’est vrai, à dessein. Mais l’idée est là. Je suis resté sur ma faim. J’aurais attendu une réelle proposition «politique» (dans le sens «vie de la cité»), comme par exemple interdire le principe du like ou le défilement infini, comme aussi de placer l’ensemble des réseaux dysociaux sous tutelle d’une entité transnationale de type ONU. Ce ne sont que des idées jetées là sans réelle réflexion, mais justement, il aurait été à mon sens beaucoup plus percutant d’exposer ce genre d’idées plus en profondeur.

Si vous décidez de le lire, je serai curieux de savoir quel est votre sentiment dessus.

Et peut-être alors que vous prendrez la décision salutaire de franchir vous-mêmes le pas.

Peut-être que vous aussi, comme moi, vous vous affranchirez des réseaux dyssociaux.

Mais comment le faire proprement ?

Couverture du livre La civilisation du poisson rouge par Bruno Patino aux Livre de poche.

Récupérer ses données

La masse des données que possèdent ces réseaux sur vous est proprement stupéfiante.

Pour vous donner un exemple, dans mon cas précis, les données que Twitter avait sur moi, pour la période entre 2014 et 2019, année où j’ai quitté le réseau, pesaient plus de 8 Go (huit giga-octets !) en sachant que je n’ai jamais été un très gros utilisateur. Huit giga-octets, c’est l’équivalent approximatif de trois cent trente-trois mille six cents pages de texte (333 600, oui, vous lisez bien).

Cette masse de données est la mine d’or sur laquelle le réseau fait de l’argent. En la revendant, de manière à ce que vous soyez la cible de publicités taillées sur mesure pour vous.

Une mine d’or que vous avez tout intérêt à reprendre pour éviter qu’elle ne finisse entre les mains de pirates informatiques. Car ces données permettent, quand elles sont bien exploitées, de créer un profil de nous-mêmes, révélant beaucoup de choses que vous ne soupçonnez même pas.

Grâce aux lois européennes, nous sommes, sur notre continent, privilégiés : nous avons le droit de demander une archive de l’intégralité des données qu’un réseau possède sur nous, mais aussi d’exiger ensuite sa destruction, afin d’en devenir les seuls détenteurs.

Tous les réseaux sont donc obligés légalement de vous permettre de télécharger une archive des données vous concernant. Elle contiendra tout ce que vous y avez publié, vos contacts, la liste de vos abonnements et de vos followers, vos commentaires, vos likes et vos favoris, et j’en passe. La procédure change en fonction du réseau, mais elle est globalement simple.

Pour vous aider, vous pouvez aller sur cette page du site de la CNIL (Commission nationale internet et libertés) qui vous expliquera en détail la procédure.

Préparer la suite

Une fois vos données récupérées, je vous engage à d’ores et déjà préparer la suite, c’est-à-dire à construire un petit système personnel qui vous permettra de suivre les personnes ou les entités avec qui vous désirez toujours pouvoir interagir.

En gros, faites une liste de toutes ces entités et personnes, et déterminez qui est vraiment important et qui ne l’est pas à vos yeux. Ensuite, pour celles que vous avez sélectionnées, regardez quels sont leurs autres canaux de diffusion et en priorité l’adresse URL de leur site internet. Par exemple, au hasard, https://decaille-deplume.fr.

Commencez à regarder les différentes stratégies par lesquelles vous allez remplacer lesdits réseaux, et que je vous suggère plus loin. Prenez le temps de les tester et de sélectionner celles que vous allez adopter (celles qui vous conviennent le plus).

Pour toutes les personnes physiques qui n’ont pas de site ou de blog (et il y en a une écrasante majorité), voyez si vous pouvez les contacter par un autre biais, en général une adresse mail, ou un forum/Discord dans vos fréquentations communes.

Si vous ne pouvez pas, c’est que soit vous n’êtes pas si proches que cela, soit vous n’avez pas tant d’intérêts communs, et posez-vous la question de ce que vous retirez vraiment de cette interaction. Parce que partir du réseau signifiera en faire le deuil.

Le faire savoir

Bien évidemment, expliquez à vos followers et à ceux que vous suivez vous-mêmes que vous allez partir, et pourquoi. D’abord pour leur expliquer où vous retrouver, c’est quand même un minimum. Ensuite parce que votre acte aura une portée symbolique et politique forte.

De mon point de vue, si vous avez décidé de franchir le pas, vous serez un exemple. Ce sera grâce à la répétition des ruptures que les réseaux perdront leur influence sur nos vies. Il est donc fondamental que vous donniez le plus d’impact à votre propre exemple. C’est en cela que quitter un réseau dyssocial est politique. Vous affirmez une certaine vision du monde. Affirmez-la avec fierté.

Je vous conseille de publier un message expliquant votre décision et indiquant la date de suppression de votre compte, ainsi que les endroits où l’on pourra vous retrouver.

Effacer son compte

Lorsque tout ce qui précède est fait, lorsque le moment fatidique est arrivé (la date que vous avez vous-même fixée), il ne vous reste plus qu’à appuyer sur le bouton rouge.

Il se peut que vous ressentiez une certaine angoisse à cette idée, ou bien seulement au moment de cliquer sur le lien de suppression de votre compte. C’est parfaitement normal. Vous rompez avec de vieilles habitudes (et le cerveau adore les habitudes, donc il déteste quand on lui en enlève une), vous faites un deuil.

De façon pratique, là encore chaque réseau possède sa démarche spécifique, mais c’est en général simple. D’ailleurs, cette fois, il ne faut pas trop compter sur la CNIL pour vous aider, car la page qu’elle dédie à cette question est quand même très light

Certains réseaux essaient de vous retenir par un dernier argument : si vous «changez d’avis», ils gardent votre compte un certain temps (je crois que c’est 1 à 2 mois) pour que vous puissiez le retrouver intact en un seul clic. Je trouve cela assez fallacieux et pour tout dire très pervers. Ils essaient de vous faire replonger comme un toxicomane à qui on fait miroiter un dernier fix… et si vous avez vu Trainspotting, vous savez ce qu’il en est des soi-disant «derniers fix».

Ma vision des choses est qu’il vaut mieux partir sans se retourner, comme dans la vie.

Cela veut dire supprimer l’application de votre téléphone, de votre ordinateur, supprimer les adresses mail de contact du réseau, supprimer les favoris de votre navigateur internet, bref, ne plus du tout garder de liens avec aucun réseau.

Oui, mais si on usurpe mon compte ?

J’ai vu passer des argumentaires de personnes qui disaient en substance :

Je garde mon compte pour ne pas qu’il soit «squatté» et que quelqu’un se fasse passer pour moi.

Oui, mais non.

D’abord si vous avez bien fait le boulot, tous vos contacts actuels savent que vous quittez les réseaux dyssociaux et pourquoi. Ils savent même où vous retrouver. Quant aux nouveaux, qui vont vous chercher, si vous avez bien fait le boulot que je vous conseille plus loin, ils devraient vous trouver là où vous êtes vraiment et où vous affichez que vous refusez d’être sur un réseau dyssocial.

Par contre, c’est une belle excuse pour éviter d’avoir à rompre vraiment. Cela démontre que vous n’avez pas encore trouvé la force de le faire. Ce n’est pas grave. Mais vous n’êtes pas encore libre, je pense.

L’algorithme, cette bête curieuse

J’en parle beaucoup, et sans doute qu’en me lisant, vous commencez à croire que je lui en veux, à ce pauvre algorithme.

Et bien pas vraiment, parce qu’il ne fait que suivre sa nature, en fait.

Pour bien comprendre ce que je reproche aux algorithmes, il suffit de savoir ce que c’est vraiment, de nos jours.

Au départ, un algorithme est un ensemble d’étapes logiques effectuées par un ordinateur à qui l’on dit :

Si tu trouves le mot casserole dans un tweet, alors tu vas le montrer aux gens qui ont précédemment parlé de casseroles dans une conversation.

Mais ça, c’était avant. Avant la révolution des données massives et des capacités de calcul titanesques qui rendent possible la manipulation presque simultanée de milliards de paramètres par nos ordinateurs. Avant surtout l’invention du deep learning, cette programmation qui permet à un algorithme de fixer seul les conditions logiques que j’énonce plus haut en fonction de ce qu’il repère comme similitudes, différences, comparaisons logiques dans une masse de données que nous, pauvres Humains, ne pouvons même pas appréhender.

Car depuis cette avancée technologique majeure, les règles qui dirigent les algorithmes ne sont plus fixées par des êtres humains, mais par l’algorithme lui-même qui découvre des corrélations statistiques bizarres. Par exemple, il pourrait découvrir que la majorité des gens qui portent des mocassins parlent de casseroles dans leurs tweets. Il ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas comment. Mais il l’a remarqué. Donc il va décider seul de montrer tous les tweets qui parlent des casseroles aux gens qui portent des mocassins. Là, je vous parle d’un exemple simple à comprendre, mais il faut bien saisir que cette opération, il l’effectue seul, sans l’exposer aux humains, et même s’il le faisait, comme il le fait avec des milliards de paramètres intriqués, notre esprit ne peut pas, par nature, le comprendre.

Les spécialistes appellent cela l’effet «boîte noire» : on sait ce qui entre dans l’algorithme (à peu près, c’est-à-dire les giga-octets de données qu’on a sur un utilisateur de Twitter, multiplié par trois cents millions d’utilisateurs de la plateforme), on découvre ce qui en sort (votre flux de tweets qui est pollué par des publicités pour des casseroles), mais on ne sait pas ce qui s’est passé entre les deux. Personne. Pas même les concepteurs de l’algorithme.

Ce qui implique une chose assez terrifiante : on laisse la responsabilité à la machine, sans possibilité de contrôle.

Et tout le monde s’en fout.

Tableau La boîte de Pandore par Edward Burne Jones.

Mais si je pars, le quitte mon réseau professionnel

Reste que l’une des plus grandes réussites des réseaux dyssociaux, de leur point de vue, est de s’être rendus indispensables pour beaucoup de métiers. Ils sont devenus incontournables comme faisceaux de communication, de mise en relation.

C’est indéniable.

Et je suis mal placé pour vous prouver le contraire, puisque j’exerce une profession qui par nature n’est pas liée à une visibilité ou à une publicité, à une communication publique.

Cependant, encore une fois, je me permets de trouver l’argument un peu biaisé. Respectueusement, car je ne me permettrais pas de juger de la pertinence d’un tel choix pour vous, individuellement.

C’est juste que, collectivement, je trouve ça assez dingue.

Car cela montre la dépendance que la société s’est créée et à laquelle elle décide de rester soumise.

Car cet argument revient à dire :

Puisque tout le monde y est et que je veux faire partie de la société, je dois y rester.

Tout le monde le fait, alors je suis obligé de le faire.

Je suis le seul à être choqué de cela ?

Ou bien vous voyez aussi le problème ?

Si personne ne prend la décision d’arrêter, alors rien ne se passera.

On me rétorquera qu’un individu seul ne peut pas faire changer un système. Je m’inscris en faux. Si on croit vraiment cet argument, alors autant laisser la Terre brûler sous l’effet de serre parce qu’on ne peut pas seul arrêter le changement climatique et la perte de biodiversité, donc on va continuer à brûler l’Amazonie avec toutes ses conséquences, puisque notre voix unique ne sert à rien…

Là encore, vous avez le choix. Tout choix implique un renoncement à ce que l’on choisit de ne pas faire. Donc, oui, peut-être que vous allez laisser derrière vous une partie de réseau professionnel. Ou pas. Là encore, il existe d’autres moyens de faire cela. Forcément différents. Qui ne ressembleront pas à une gigantesque discussion de machine à café. Mais ce n’est pas une fatalité. C’est un choix.

Et encore une fois je crois qu’on peut très bien assumer de faire le choix de rester, en connaissance de cause. Je ne juge pas. C’est un choix qui est aussi respectable que les autres. Mais ce n’est pas le mien, et je trouve juste que l’argument de la masse n’est pas valable.

Pourquoi un autre réseau n’est pas forcément une bonne idée

En ces temps troublés où l’oiseau bleu bat de l’aile, voire est alourdi par le plomb que ladite aile a pris dans les plumes qui restent, beaucoup de personnes se sont tournées vers des réseaux dits «décentralisés», Mastodon en tête.

On pourrait penser (et j’étais dans ce cas-là aussi, j’ai eu un compte Mastodon en 2019 avant de quitter Twitter) que le paradigme des réseaux «libres» est suffisamment différent pour tout changer.

Et c’est vrai que c’est tentant :

  • Pas d’algorithme et pas de publicité, donc un flux de publications des comptes que vous suivez s’en trouvant non censurés ou déplacés, mais gardés par ordre chronologique.
  • Pas de défilement infini, ce tueur d’attention qui vous garde prisonnier du flux jusqu’à ce que mort s’ensuive.
  • Moins de monde (pour le moment) donc peu ou pas de trolls, donc une ambiance beaucoup plus tolérante et ouverte à la discussion.

Mais :

  • Moins de monde (pour le moment) donc pas forcément les gens que vous quittez ailleurs.
  • Moins de monde mais pas forcément de façon définitive, donc peut-être un jour le retour des trolls, des complotistes et autres haineux. Je suis d’accord, tant qu’ils ne sont pas là, ce n’est pas un véritable argument, sauf si on le met en relation avec le point suivant.
  • Une architecture décentralisée donc une modération très dépendante de l’instance à laquelle vous choisissez de vous affilier au départ, et ensuite il est très difficile d’en changer sans changer de compte. À moins de monter votre propre instance, mais cela demande des connaissances techniques qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Il reste plus simple, en 2023, d’ouvrir son propre blog que son instance Mastodon personnelle.
  • Le reproche principal : une limite de caractères dans les messages, même si elle est plus lâche que sur Twitter. Par nature, la limite de caractère bride surtout l’expression complexe et la pensée. Elle ne permet pas des discussions structurées et construites. C’est l’un des péchés originels des réseaux dyssociaux. Sauf pour publier des haikus, condenser la pensée en quelques mots est forcément un appauvrissement de l’esprit et de la discussion.

Pour moi, les avantages sont indéniables, mais les inconvénients me laissent sceptique sur l’utilité du microblogging dit «décentralisé» comparé à l’ouverture d’un simple blog sur wordpress.com, où vous n’avez même pas de connaissance technique à avoir et où vous restez maître de tout, y compris de la longueur de vos divagations.

Bien évidemment, cela n’est que mon avis personnel, vous êtes libre de (et encouragé à) en avoir un différent.

Les sites internet et les blogs

De mon point de vue, si vous avez quelque chose à dire d’intéressant au monde entier, il n’existe pas meilleur outil, ni plus libre, qu’un blog ou un site internet. Même si vous n’hébergez pas vous-même la chose, il est possible de trouver un prestataire qui le fera pour vous en vous en laissant la propriété. Vous aurez la maîtrise complète de l’outil. Vos données vous appartiennent totalement. Vous contrôlez qui est autorisé à entrer, à écrire, à commenter. Vous contrôlez la longueur de vos écrits, les images que vous postez. Tout vous appartient. Personne ne peut fermer votre blog ou votre site du jour au lendemain, si ce n’est la justice, qui le fait selon des règles précises et connues de tous à l’avance, et qui surtout ne changent pas du jour au lendemain parce qu’un milliardaire s’est levé du mauvais pied un matin à l’autre bout du monde.

La maintenance de l’outil est simple, éprouvée par plus de 20 ans de technologies qui évoluent en permanence. Des technologies qui sont open-source, libres, accessibles, robustes, fiables.

Vous n’avez pas forcément besoin de publicité pour que tout cela tienne debout, et même, pour environ le même prix qu’un badge bleu sur Twitter, vous offrez à vos visiteurs comme à vous-même une expérience d’internet libérée des sollicitations commerciales et totalement indépendante.

Bref, tout le contraire des plateformes propriétaires commerciales et dévoreuses de temps de cerveau disponible de leurs «captifs» que je n’ose même plus appeler utilisateurs.

Si vous avez envie, vous pouvez même apprendre deux langages informatiques très simples, le HTML et le CSS, pour peaufiner l’esthétique de votre demeure numérique. En allant un peu plus loin, avec du PHP ou du JavaScript, vous pouvez même customiser le moteur et vous créer votre Faucon Millénium à vous, avec ses compartiments secrets, ses pièces uniques.

Le point central est là : vous reprenez le contrôle de ce que vous publiez sur internet.

J’ai donc centré mon utilisation d’internet sur les blogs et les sites. Je publie moi-même ici, chez moi. Et je ne suis abonné à personne qui n’ait son propre site. Une autrice que l’on m’a conseillée n’a qu’un profil Facebook ? Eh bien, tant pis, je ne la suivrai pas. Je fais mon choix, même si cela veut dire renoncer à certaines choses.

La SEO

Oui, mais comment faire pour que mon blog soit visible ? Avec un réseau dyssocial, au moins, c’est facile.

Tu parles d’une arnaque !

Ce serait plus facile de sortir du lot dans un océan de trois cent mille comptes Twitter sans aucun moteur de recherche que sur la Toile où justement les outils puissants que sont Qwant, Ecosia, DuckDuckGo et autres, sans même parler des plus évidents que je n’ai pas cités parce qu’ils sont biaisés, permettent de retrouver une aiguille dans une botte de foin virtuelle ?

Je n’y crois absolument pas.

Les algorithmes des réseaux dyssociaux censés nous proposer des comptes selon nos centres d’intérêt sont plus opaques et ne permettent pas de faire des requêtes avancées. Et il est impossible de faire en sorte que notre profil exploite plus intelligemment le fonctionnement dudit algorithme.

Par contre, la Search Engine Optimization, elle, permet à votre site d’obtenir un peu plus de visibilité sans forcément publier des images de chatons (même si les chats sont une espèce supérieure, on est d’accord là-dessus). Alors oui, c’est compliqué, oui, c’est à la limite de l’éthique parfois, oui, j’ai personnellement une réticence à l’utiliser. Mais ça reste beaucoup plus efficace et beaucoup plus respectueux des visiteurs qu’un algorithme dont on ne sait rien contrôlé par on ne sait qui.

Les commentaires

Oui, mais les réseaux dyssociaux permettent de discuter plus facilement !

Faux !

Vous appelez «discuter» un échange de 300 caractères au maximum ? Vous appelez «discuter» un lieu où vos échanges tendent à se résumer à des punchlines ?

Le fait même d’avoir une limite de caractères dans les écrits implique de ne pas prendre le temps, mais d’aller au but le plus rapidement possible. Cela oblige à être percutant, donc réducteur. Cela amène à utiliser l’ironie très souvent, à rester simple, voire simpliste. Et tant pis pour les nuances, qui demandent plus de caractères…

Au contraire, dans les commentaires des blogs et des sites, il n’y a pas de limites de caractères.

Vous pouvez vous exprimer librement et seule la personne propriétaire du site peut censurer, selon des règles affichées. Vous ne devriez pas être insultée ou harcelé, parce que le propriétaire en serait responsable.

Je discute donc en premier lieu sur les blogs des gens qui m’intéressent, et si je le fais parfois ailleurs (via des newsletters, sur des serveurs Discord), c’est toujours dans un second temps, quand l’échange a vocation à être plus restreint en diffusion, ou bien privé.

Je considère que si ce que j’ai à dire est intéressant, cela vaut le coup de le publier sur un commentaire de blog, pour y servir à d’autres. Si ce n’est pas intéressant, je ne fais pas de commentaire du tout. J’aime bien l’idée de ne pas parler à tort et à travers. J’essaie donc d’apporter quelque chose à la discussion, d’être constructif, toujours. Si ce que j’ai à dire est intéressant mais plus restreint, ou bien privé, je le fais via un serveur Discord ou en réponse à une newsletter.

Les bookmarks

Une des grandes supériorités des sites et des blogs à l’ancienne sur les réseaux dyssociaux est la possibilité de marquer une page pour la retrouver plus tard, pour servir de référence.

Nous sommes d’accord sur le fait qu’un post Facebook est rarement si mémorable ou utile à l’Humanité qu’on doive absolument y retourner plus tard. Un article de blog, par contre, c’est possible. Une page d’un site passionnant, c’est possible aussi.

Mais outre l’intérêt discutable d’un tweet, on pourrait quand même avoir envie de garder une trace de ce qui s’y dit. Par exemple, les threads de Twitter, ces séries de tweets qui sont apparues pour contourner tant bien que mal la limitation de caractère et développer des démonstrations entières, sont parfois de très bonnes références (je pense à ceux écrits en leur temps par des confrères neurologues). Et aucun moyen de les conserver si les auteurs de ces threads ne les mettent pas ailleurs (sur un site dédié par exemple). Alors, cette démonstration passionnante se perd.

Sans doute que, comme moi, vous vous êtes retrouvés après trente ans de maraude sur les océans d’internet, avec des centaines de bookmarks que vous ne regardiez jamais, et dont probablement une grande partie était devenue obsolète car les sites avaient fermé, ou avaient changé d’adresse. Peut-être même que vos propres bookmarks sont dispersés entre tous vos navigateurs, votre téléphone et votre ordinateur, bref, je parie que c’est devenu un capharnaüm inextricable.

Comment je le sais ?

C’était pareil pour moi, avant.

Jusqu’à ce que je trouve un outil (raindrop.io) qui permette à la fois de centraliser mes bookmarks en les partageant sur tous mes navigateurs et tous mes appareils, et de les classer non plus suivant des dossiers, sous-dossiers, sous-sous-dossiers… mais suivant des étiquettes organisées selon une syntaxe simple.

Je me suis demandé ce qu’était pour moi un site ou une page valant le coup d’être mise dans mes bookmarks. La réponse a été : une référence, une entité de référence, un tutoriel, ou un outil, sur un sujet donné.

Alors pour m’y retrouver, j’ai déjà supprimé tous les bookmarks qui n’étaient pas des références, des entités, des outils, des tutoriels. J’ai effacé plus des deux tiers de mes vieux bookmarks

Puis j’ai collé à chacun de ceux qui restaient une étiquette selon le principe suivant : le type de ressource (#référence, #outil, #entité ou #tutoriel) puis le ou les sujets (exemple au hasard #narration, #jeu de rôle, #bookmaking, etc.).

Exemple : la page du site https://openclassrooms.com/fr/courses/4929676-redigez-des-ecrits-professionnels?archived-source=1617396, un cours sur le langage LATEX pour mettre en page des livres et autres documents de façon professionnelle est référencé dans mes bookmarks raindrop comme #référence #bookmaking #code.

Pour le retrouver, il suffit de demander au moteur de recherche de raindrop les bookmarks qui correspondent à une référence sur le bookmaking et le code…

Capture d'écran de mes propres bookmarks dans raindrop.io

Les flux RSS

Et pour suivre la publication de nouveaux articles sur un site, pour remplacer ma liste d’abonnements, j’utilise les flux RSS.

Je vous ai déjà montré comment cette technologie permettait de ne rien manquer des sites et des blogs qui vous intéressent, et comment vous tenir informés des commentaires postés sur ces mêmes sites et blogs.

Cela recrée un mini-réseau de connaissances, et vous permet de suivre des conversations.

Sur mon agrégateur de flux RSS, j’organise mes abonnements par thème, par catégories. Je peux faire des recherches dessus, je peux archiver des articles ou des commentaires (vous avez déjà essayé d’archiver un tweet ou un post Instagram ? C’est impossible), retrouver facilement l’un d’entre eux.

Je peux aussi suivre des chaînes YouTube, et j’ai récemment découvert que les flux RSS de YouTube ne comportent aucune publicité (sauf celles qui sont incluses dans la vidéo par les créateurs eux-mêmes). Ce qui fait que regarder une vidéo YouTube via mon agrégateur RSS me libère aussi de cette source-là de pollution.

Capture d'écran de quelques uns des flux RSS auxquels je suis abonné, dans le logiciel Reeder.

Les podcasts

Je m’étonne toujours que les podcasts soient si populaires et les flux RSS si méconnus, car la diffusion des podcasts est basée sur la technologie RSS. Encore un paradoxe de la vie numérique.

Bref, les podcasts sont une autre façon d’utiliser internet sans réseau dyssocial.

Là encore, pas besoin de Twitter ou Facebook pour suivre mes émissions préférées, un agrégateur de podcast comme Apple Podcast, ou Soundcloud, ou même un flux RSS tout bête suffit. Et la technologie est simple et robuste que vous ne manquerez aucune émission. Il n’y aura aucun filtre algorithmique entre vous et la publication des épisodes qui vous intéressent. Il y a même des moteurs de recherche pour trouver vos émissions. Ou des recommandations, comme celles que je fais moi-même.

Un homme lisant un texte dans un vieux micro.

Les newsletters et infolettres

Je ne sais pas pour vous, mais moi j’aime recevoir du courrier. Du vrai, en papier. Je ne parle bien sûr pas des missives officielles bien trop nombreuses émanant des différents organismes administratifs, mais des véritables lettres, celles qui viennent de personnes avec qui on a envie d’échanger une correspondance.

C’est sans doute une expérience que les plus jeunes d’entre nous n’imaginent même pas, car internet et plus encore les réseaux dyssociaux ont révolutionné le rapport que nous avions avec le temps des échanges.

Alors qu’actuellement nous pouvons envoyer instantanément un message à des millions de gens, et en recevoir aussi rapidement, il y a trente ans, nous devions écrire (à la main ou avec un ordinateur) sur une feuille de papier que nous devions envoyer par la poste. Ce message mettait entre un et trois jours avant de parvenir à son destinataire. Plus longtemps encore s’il habitait à l’étranger. Et si nous voulions répondre, alors il fallait écrire, mettre dans une enveloppe, aller poster la lettre, et attendre que notre correspondant la reçoive, selon un délai variable, avant de nous répondre à son tour. Et ce jusqu’à ce qu’un des deux se désengage du processus.

C’était tellement précieux, tellement complexe d’envoyer un message, que nous avions tendance à écrire des choses longues, qui valaient la peine de prendre ce temps, de faire cet effort.

On pourrait croire que cela n’existe plus.

On aurait tort.

Les newsletters (ou infolettres, comme disent les Québécois), comme ma propre lettre d’écaille & de plume, sont les héritières de cette pratique ancestrale. Elles permettent de correspondre à l’ancienne, en développant sa pensée. D’un autre côté, contrairement à un article de blog, ou à un post Facebook, ou à un tweet, elles ne sont pas destinées au public, si l’on peut dire. C’est une correspondance semi-privée. Elle est envoyée à une audience qui s’est inscrite pour cela. Mais seulement à elle.

Et si certaines personnes gardent une archive de leurs propres newsletters pour que les nouveaux inscrits puissent s’y référer, je suis plutôt partisan de l’inverse. On prend le train en marche, si je puis dire, et ce n’est pas grave. C’est un peu comme dans la vie. Si vous m’avez connu il y a dix ans, vous connaissez mon évolution, mais si vous venez juste de me rencontrer, eh bien vous faîtes avec la personne que je suis actuellement. Et c’est d’ailleurs peut-être plus facile pour vous, parce que parfois, concilier la personne que j’étais il y a dix ans et celle que je suis maintenant…

Bref, pour moi, une newsletter est un lien plus personnel. Si vous désirez garder ou archiver les lettres d’écaille & de plume que je vous envoie, vous en avez parfaitement le droit. Vous pourrez ainsi en relire certaines (si elles en valent la peine à vos yeux) dans quelques années, comme nous le faisions avec de vieilles missives en papier. Ou pas. Mais si vous venez de me rejoindre, vous ne recevrez pas les lettres que j’ai envoyées il y a un an ou deux ans.

Dans mon esprit une lettre est vivante, et elle évolue donc. En partie grâce à vous, d’ailleurs.

Un site ou un blog est conçu pour rester, pour laisser une empreinte plus durable.

Les deux sont complémentaires.

Et donc, je m’inscris aux newsletters dans le même esprit. Je réponds parfois, et les conversations peuvent s’étirer dans l’espace d’un mail, parfois très long, comme dans le temps, parfois sur plusieurs semaines. Parfois, je prends le temps avant de répondre. Le temps de mûrir ce que j’ai envie de dire, d’écrire. Le temps de la réflexion sur ce que j’ai lu.

Je ne suis plus pressé ni par un algorithme qui enfouit un tweet sous des milliers d’autres en quelques secondes, ni par une urgence à répondre sur l’instant.

Tableau d'ambiance victorienne  représentant deux jeunes femmes en train de lire une lettre, probablement galante.

Les serveurs Discord

Et si je veux avoir une discussion non plus seulement à deux mais avec une communauté ?

Il y a les serveurs Discord pour cela.

Héritiers des vieux forums des années 1990 et 2000, ces espaces ont un mode de fonctionnement hybride entre le réseau et la newsletter. D’abord ils sont communautaires, même s’ils appartiennent à une personne ou une organisation, qui sont responsables de sa modération, de son organisation.

Un serveur Discord est en effet organisé en salons dédiés à des sujets bien précis, des thématiques, parfois des règles différentes, et parfois des droits d’accès séparés. Un même serveur peut ainsi accueillir un salon général ouvert à tous (tous ceux qui ont reçu le lien d’invitation du serveur), un salon qui cause de jeu de rôle ouvert à tous également, mais aussi un salon réservé aux correspondants qui reçoivent une newsletter, et un autre salon où seuls les mécènes Patreon sont autorisés à entrer.

Là encore, le ou la propriétaire (vous) est maître en ses lieux. Vous ne dépendez pas d’un algorithme ou d’une plateforme. Pas plus que les invités du serveur.

Le plus intéressant reste que l’accès à un serveur se fait par invitation. Si vous ne possédez pas le lien, alors vous ne pourrez jamais trouver le serveur. De même, vous pouvez doser finement les droits et les accès de chaque catégorie d’utilisateurs invités, voire de chaque utilisateur lui-même, comme sur un site ou un forum.

L’installation d’un serveur Discord est assez simple, et elle est gratuite…

Tableau Le salon de la princesse Mathilde

Les comptes Patreon

Vous désirez avoir une relation plus privilégiée avec un créateur ou une créatrice ? Vous voulez l’aider et faire connaître son travail ? Oubliez les retweets et autres likes. Donnez-lui les moyens de continuer et de déployer son art. Devenez son mécène via Patreon.

Je cite cette plateforme en particulier car l’alternative française subventionne le complotisme, quant à celle qui promet de financer par de la publicité que vous accepteriez de regarder, je trouve que c’est une perversion pure et simple du principe du micromécénat lui-même.

En donnant sur Patreon, vous agissez contre la publicité et vous aidez directement la personne ou l’organisation que vous voulez soutenir, en ayant des contreparties exclusives.

En ouvrant votre propre page, vous vous assurez l’indépendance de cette même publicité tout en fédérant autour de vous les personnes les plus motivées.

Bien choisir c’est choisir parcimonieusement

Tout cela est bien beau, mais peut tout de même vous mener à une situation de saturation comparable à celle des réseaux dyssociaux. Si vous n’y prenez garde, en effet, vous risquez de crouler sous les bookmarks, les flux RSS, les podcasts non lus, les newsletters non ouvertes qui s’accumulent dans votre boîte mail, et des dizaines de conversations sur Discord que vous ne pourrez plus suivre.

Mon conseil est donc de choisir très parcimonieusement vos abonnements.

  • Ne gardez dans vos bookmarks que les sites qui soit vous paraissent mériter une deuxième vision un peu plus tard, soit qui sont pour vous des références importantes.
  • Ne commentez que si vous pensez avoir quelque chose de véritablement utile à apporter à la conversation ou à l’article.
  • Ne vous abonnez au flux RSS que des sites ou des podcasts qui vous paraissent mériter l’effort de les suivre, de les lire ou écouter régulièrement.
  • Ne donnez votre adresse mail à une newsletter que si vous pensez que vous aurez le temps d’en lire les missives.
  • N’entrez dans un serveur Discord qu’en étant prête ou prêt à y participer régulièrement.
  • Et surtout, ne gardez rien qui ne vous soit plus utile ou qui n’éveille plus votre intérêt.

Dans le cas des newsletters ou des serveurs Discord, la politesse voudrait que vous expliquiez votre démarche à la personne qui en est l’expéditrice ou la propriétaire. Mais je sais que ce n’est pas dans les us et coutumes de l’internet, ni même de la vie réelle.

Dans tous les cas, sachez rester minimalistes et souvenez-vous que peu d’abonnements de grande qualité sont plus importants que de trop nombreux abonnements qui vous encombreront.

Au besoin, pour vous aider à choisir, vous pouvez utiliser la méthode des cercles concentriques.

Conclusion : pour un internet et une vie numérique apaisées

Ma vie relationnelle numérique est organisée en cercles concentriques selon la proximité et l’intérêt que suscitent les rencontres que je fais.

  • Premier cercle : les trouvailles, la boussole
    • Navigateur internet
    • Moteur de recherche
    • Bookmarks
  • Deuxième cercle : les références
    • Flux RSS
    • Podcasts
    • Commentaires par flux RSS
  • Troisième cercle : les «amitiés virtuelles»
    • Newsletters
    • Communautés Discord
    • Patreon

Tout ce que je trouve sur internet, au cours de mes voyages dans les océans virtuels, commence par arriver dans mon navigateur, à la périphérie du premier cercle. Si ce que j’y trouve éveille ma curiosité, je garde le site dans mes bookmarks avec l’étiquette #à revoir. Dans un deuxième temps, quand j’ai parcouru le site, je décide si je lui trouve toujours autant d’intérêt.

Si c’est le cas, alors, dans le cas où le site peut me servir de référence ou d’outil, de tutoriel, je le garde dans mes bookmarks avec l’étiquette adéquate. Si le site publie régulièrement sur un sujet qui est important pour moi, il franchit le deuxième cercle et je peux en plus m’abonner à son flux RSS, voire commenter et dans ce cas m’abonner au flux RSS des commentaires de l’article ou du site en entier pour suivre la conversation qui va peut-être s’amorcer.

Au fil des articles reçus par le flux RSS, je décide si certains valent la peine de les garder en bookmarks, voire de commenter.

Lorsqu’un site suscite vraiment de ma part des commentaires réguliers, ou que ses articles me plaisent, alors je lui fais franchir le troisième cercle, et je m’abonne à la newsletter, voire au serveur Discord, ou bien aux deux.

Enfin, lorsque le travail de quelqu’un m’interpelle vraiment, je peux devenir son mécène.

J’imagine que vous avez un système similaire, si ce n’est exactement le même, car il est simplement basé sur le modèle de ce qui se passe dans la vie réelle. Lorsque nous rencontrons quelqu’un, à moins d’un coup de foudre qui fait directement franchir un ou deux cercles, nous laissons la personne dans le premier, le temps de tester la relation. Puis peu à peu, la personne peut changer de cercle. Parfois, même, passer d’un cercle plus proche à un cercle plus éloigné.

Il reste que, comme dans la vie, nos compétences relationnelles sont inégales, et ont tendance à changer avec l’âge. On espère qu’elles s’améliorent, mais ce n’est pas toujours le cas. Comme dans la vie réelle, il y a des personnes plus douées que d’autres. Comme dans la vie réelle, il est nécessaire d’acquérir un savoir-vivre.

Et ça, ça s’apprend. Ce sera peut-être l’objet d’un prochain article.

Quel cercle ?

Si vous utilisez un autre principe, je suis curieux de connaître lequel. Vous pouvez en parler dans les commentaires… si d’écaille & de plume est dans votre deuxième cercle, bien sûr 😜.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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