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Projet : Rocfou

Projet : Rocfou

Projet : Rocfou

J’ai déjà évoqué en quelques mots le nouveau projet qui occupe mon esprit littéraire en cette année 2019.

Comme toujours, il m’a fallu mûrir et digérer nombre d’influences afin de parvenir à une idée suffisamment claire pour savoir ce que je voulais vraiment exprimer. Cette digestion a commencé il y a des années, et elle continue son œuvre même maintenant, alors que je pose enfin les briques de ce que sera Rocfou. C’est un travail qui se fait pour une large part dans l’ombre, dans des impressions, des idées qui surgissent sans crier gare, des intuitions sur ce qui pourrait bien faire corps avec le reste de la recette, sur des envies et des coups de cœur.

Comme tout travail de créativité, ses détours sont sinueux et surprenants.

Et c’est parce que j’ai toujours aimé découvrir les coulisses de cette créativité, un peu comme les making of du cinéma, que j’ai eu envie de vous parler aujourd’hui de la façon dont ce projet, Rocfou, évolue, grandit, régresse parfois pour mieux rebondir ensuite.

J’aime à penser qu’une œuvre, quelle qu’elle soit, possède une vie propre. Ce n’est certes pas une vie au sens premier du terme, encore que le concept me séduise grandement, mais tout comme un être vivant, la création se nourrit et croît. Elle peut aussi se voir empêchée par une affection, se développer plus rapidement grâce à de bons soins, elle peut se tromper de chemin parfois et trouver des raccourcis qui lui feront emprunter des sentiers plus ardus ou plus aisés.

C’est de quelques-uns de ces aspects pour Rocfou dont je voudrais vous parler aujourd’hui.

Au commencement était le jeu de rôle

La genèse du projet Rocfou commence il y a une bonne dizaine d’années, un soir chez Obi-Wan, en présence de Sixte et de Phil. Nous évoquons les univers de jeu de rôle que nous aimerions explorer, et la fantasy vient naturellement.

À cette époque, nous avions envie d’une sorte de fantasy légère, et l’idée d’un groupe de trois antihéros émergea assez naturellement. Deux personnages seraient frères, l’un fragile, fantasque et intellectuel, devenu moine bien malgré lui, et le deuxième une sorte de colosse chevalier sans trop de subtilité, mais héritier du titre de noblesse de la famille. Le troisième larron serait l’écuyer du colosse, une sorte d’aventurier cynique volontiers filou à ses heures.

Ainsi naquirent Étienne et Eustâche, les deux rejetons de la lignée mal famée des Rocfou, et Béric, leur compagnon d’aventure.

Autour d’un verre, nous avons rapidement brossé les traits de ce que devrait être le monde dans lequel ils évolueraient, des piliers qui sont encore aujourd’hui à la base de mon projet.

  • Une époque ressemblant un peu à l’Europe mérovingienne, sous l’influence de la chanson de Roland et des légendes celtiques.
  • Une magie rare et peu puissante, d’autant plus crainte qu’elle n’est plus qu’un souvenir dans l’esprit des gens, une vague superstition, une rumeur de sorcellerie.
  • Une religion monothéiste peinant à se frayer un chemin dans des croyances bien plus anciennes et très ancrées dans la population.

Sixte nous a concocté un premier scénario. Son frère Phil s’est entiché de Béric, Obi-Wan a donné corps à Eustâche, pendant que je me suis glissé dans la peau d’Étienne, le frangin érudit et un peu magicien sur les bords, soupçonné d’avoir du sang féérique, et moine défroqué venant arracher son aîné à ses obligations de Seigneur de Rocfou pour partir à l’aventure.

Le trio d’antihéros en a ainsi vécu quelques unes, d’aventures, de joutes en tournois, d’intrigues de palais en mystères ruraux, jusqu’à ce que le temps fasse son effet et que nous passions à autre chose.

Entre temps, nous avions développé leur histoire, compris quelle était l’origine du nom des Rocfou, et les trois personnages sont restés dans nos esprits, un peu comme d’anciens camarades que l’on a perdu de vue depuis longtemps, mais dont on aime à se rappeler les noms et les souvenirs qui nous lient à eux.

Le temps a passé.

La fantasy a été marquée par Game of Thrones avec le succès de la série, et je me suis pris à imaginer ce que l’on pourrait montrer différemment. Comment une saga de fantasy avec des intrigues politiques, des dragons, des dangers, une magie ancienne et oubliée pourrait susciter une autre ambiance.

Et puis j’ai découvert Symbaroum, grâce à Jérôme, l’un des nouveaux compagnons de notre table de jeu.

Ce fut une révélation. Il ne manquait à Rocfou qu’une touche de dark fantasy pour devenir une histoire véritablement marquante. Cela changeait un peu la tonalité d’origine, résolument légère, presque parodique, «à la Willow».

Mais cela me permettrait de développer certaines idées qui me sont chères depuis longtemps, et qui dormaient dans un coin de mon esprit. Un peuple des Fées plus conforme à la tradition celte : étrange et inquiétant, imprévisible et cruel, même dans ses bienfaits. Le prix de la magie. Le prix des légendes, de la connaissance comme de l’ignorance. Et la gémellité, cette obsession qui me suit depuis ma tendre enfance, ce mystère qui me fascine alors que je ne l’ai jamais vécu puisque je n’ai pas de jumeau.

Il sera donc question de tout cela dans Rocfou, mais d’autres choses encore qui me sont apparu au fil du temps.

Tout cela grâce, au départ, à un univers de jeu de rôle…

La construction d’un monde

Toute histoire commence par la création d’un monde. Même celles se déroulant dans notre réalité impliquent de concevoir le monde intérieur des personnages, comme leur environnement immédiat, leurs relations, leurs désirs. Le travail est juste plus vaste lorsque l’on décide de raconter une histoire se déroulant dans un monde imaginaire.

J’avais déjà de bonnes bases en reprenant ce que le groupe de jeu avait construit au fil des années, et que j’avais moi-même enrichi pour mon plaisir, mais le propos de départ ayant changé, le monde ne pouvait pas être repris à l’identique. Il avait tout autant besoin d’être approfondi et harmonisé afin que sa cohérence interne en soit renforcée.

Je suis donc pratiquement reparti du début, en gardant à l’esprit les principes exposés plus haut.

Pour cela, j’écris ce que les scénaristes de séries télévisées appellent une bible. Il s’agit d’un document qui sert de référence constante et qui détaille l’univers dans lequel l’intrigue va évoluer.

Cette bible se constitue d’abord par des notes jetées en vrac dans un carnet, qui dans mon cas est numérique, ce qui me permet de retraiter chaque note dans différents environnements de travail (carte heuristique, liste, etc.) sans avoir à tout ré-écrire à chaque fois.

J’approfondis chaque note par un texte explicatif, parfois relié à d’autres points, et pour cela j’utilise Scrivener. Sa faculté à créer des liens internes et à organiser des dossiers et fichiers hiérarchisés m’aide énormément. En plus, j’ai la bible constamment à portée de main quand je rédige, et cela me fait gagner un temps fou.

J’organise certaines notes entre elles avec une architecture visuelle en carte heuristique avec Scapple, surtout lors de la conception de l’intrigue.

Et pendant tout ce travail, je visualise le monde physique dans lequel vont évoluer mes personnages en recherchant des images qui pourront soutenir mes descriptions, et surtout en le cartographiant. Car depuis longtemps on sait qu’on ne connaît bien un monde que si on est capable de s’y orienter. Depuis le périple d’Ulysse, puis les cartes du tendre du XVIIe siècle jusqu’à la Terre du Millieu de Tolkien, il n’est pas de monde imaginaire ou légendaire qui ne se construise en fixant des côtes, des cités, des montagnes et des mers. Même lorsque ces cartes ne sont ensuite pas livrées au public pour plonger le lecteur dans une époque où ce que l’on savait du monde était parcellaire et rapporté par d’autres, l’auteur doit les tracer pour devenir un véritable démiurge.

C’est ainsi que la construction du monde de Rocfou se fait pas à pas.

Bien entendu, tout n’est pas fixé d’emblée, et il reste de nombreuses zones inconnues, même pour moi. Je ne fais au départ que tracer les grandes lignes de ce qui sera le cadre de l’intrigue. Comme tous les rôlistes le savent, il vaut mieux partir de ce qui est le plus proche des protagonistes, et agrandir le cadre au fur et à mesure, si l’on excepte les grands principes qui dirigent le monde lui-même, comme la nature de la magie, la religion, la culture des peuples. Même si tout cela est brossé un peu grossièrement.

Les détails prendront place naturellement durant la rédaction, ou plus tard même, avec les besoins.

Je m’assure juste que chaque détail rajouté soit cohérent avec le reste, et c’est pour cela que la bible est si utile.

Exemple d’article de la bible : la magie dans le monde de Rocfou

Voici à quoi peut ressembler une note décrivant certains principes du monde.

Celle-ci s’occupe de la place de la magie dans Rocfou.

La magie dans Rocfou

Les contes et les légendes d’autrefois contiennent tous leur dose de magie, y compris en Grande Terre. De nos jours, les superstitions et les croyances ont remplacé les certitudes de jadis, et le Don des Ombres et des Lumières, s’il est encore synonyme d’un respect craintif et d’une grande méfiance, est surtout vu comme un feu éteint avec les dernières lueurs de l’Ancienne Foi. Les prêtres du Dieu Lumineux enseignent en effet que les seuls véritables prodiges sont l’œuvre des saints et que le reste n’est que maléfices et sorcellerie inspirée par les démons Fomori.

Le nom, cependant, est resté, et il arrive tout de même que l’on attribue certaines merveilles à des êtres touchés par les Ombres et les Lumières.

Car ainsi est appelée la magie, même si le terme magie ne convient peut-être pas tout à fait. Il s’agit bien de tordre ou violer les lois de la physique et de la biologie, mais d’une façon généralement très discrète. Les prodiges stupéfiants de boules de feu, de châteaux édifiés en une nuit ou autres réalisations d’importance ont toujours été l’apanage des races aînées : les Fées, les Dieux, les Démons, et bien évidemment, les Dragons, qui sont connus pour avoir été l’âme même de la magie. Leur disparition est d’ailleurs généralement considérée comme la cause de l’affaiblissement progressif de la magie, et des prodiges que cette dernière permet de nos jours.

On explique cela par le fait que les Dragons étaient constitués de l’essence même du monde. Leur magie était donc capable de modeler la réalité aussi simplement que de bouger une patte.

Chaque peuple a appris des Dragons une magie différente, adaptée à sa propre existence, mais de moindre importance.

Seuls les Fomori, les noirs démons jadis vaincus par les Dieux, possédaient leur propre et mortelle sorcellerie.

Les Puissances, les Dieux, régissent un domaine particulier de la vie sur la Grande Terre, et les miracles dont ils sont capables sont tous contraints par ce domaine en particulier. Mais avec leur retrait hors du temps, peu de miracles ont été vus depuis plus de mille ans.

Les Fées, eux, ont une magie plus subtile et en un sens plus libre. Ils peuvent altérer la réalité grâce à des illusions, nommées enchantements, qui sont si réalistes qu’elles peuvent supplanter la véritable texture du monde, s’ils consentent à un sacrifice. Ce sacrifice est généralement coûteux et cruel, et plus l’enchantement est grand ou puissant, plus le sacrifice est vicieux et cruel. Cependant, la règle subtile et dangereuse dont les humains ne connaissent pas forcément l’existence est que ce sacrifice doit être consenti par la personne qui désire l’enchantement, pas par le magicien. De nombreux humains ont ainsi été piégés par les Fées. Néanmoins, tous ceux qui sont encore au fait des anciennes traditions savent que la magie des fées à une faiblesse, nommée geiss. Un geiss est une condition très particulière que doit respecter chaque Fée, en permanence, sous peine de perdre à la fois ses pouvoirs et sa très grande longévité. Certaine Fée ne pourra mentir aux enfants, une autre devra boire seulement du lait, etc. Découvrir le geiss d’une Fée et parvenir à le lui faire enfreindre est la seule façon de détruire la magie d’un tel être.

Bien évidemment, plus aucune Fée n’a été vue dans tous les Royaumes de la Grande Terre depuis près de sept siècles.

Enfin, le Don des Ombres et des Lumières est la forme de magie que les Fées et certains Dragons apprirent aux humains dans les premiers temps de l’Histoire. C’est une forme affaiblie de la magie des Fées, l’art des illusions et des enchantements, qui cependant peuvent prendre réalité durablement si l’on consent à un sacrifice, mais, à cause de la nature des humains, ce sacrifice doit être fait par le magicien lui-même, ce qui freine considérablement les velléités de changement définitif dans la trame du monde. Sans ce sacrifice, l’enchantement ne supplante la réalité qu’un temps assez court, généralement jusqu’à ce que le soleil ou la lune se couche.

Pratiquer ce Don est très rare. En effet, il se trouve que seuls les humains jumeaux peuvent développer cette capacité. Et comme il est dans la nature de la magie de toujours avoir un prix, les humains nés avec ce talent souffrent également d’une tare physique ou psychique, d’une maladie ou d’une infirmité quelconque, qui rend leur existence précaire au mieux, dangereuse à tout le moins.

Ainsi sont craints tous ceux qui souffrent d’une affection chronique, et on les soupçonne très vite d’être des magiciens, ou, pire, des sorciers voués aux forces maléfiques.

Exemple de cartographie

En gardant à l’esprit le principe de détailler d’abord ce qui sera le plus proche des personnages, puis d’agrandir le périmètre au fur et à mesure des besoins, il revient tout de même au démiurge de voir un peu au-delà. C’est pourquoi le tracé des côtes de la Grande Terre est si vaste par rapport à la région de Rocfou, un petit coin perdu du Royaume de Miliath, le Royaume du Miel, au nord-ouest, près de la grande chaîne des Montagnes des Dragons.

L’histoire prenant ses racines loin dans le passé, à l’époque où les derniers Dragons vivaient encore, il était aussi nécessaire de regarder l’évolution de certains paramètres. Ainsi, sur le tracé des côtes, j’ai gribouillé plusieurs cartes décrivant, par exemple, l’aire de répartition des différents peuples (première carte) et les divisions politiques actuelles (deuxième carte), même si certaines ne sont pas totalement figées et si je ne sais même pas encore quels noms auront les territoires concernés, ni s’ils auront une importante quelconque dans le récit.

Il est essentiel de se laisser des pans entiers à découvrir soi-même au fil de l’écriture, de laisser la place à des idées actuelles de se développer, ou à des idées futures d’émerger et de prendre toute l’ampleur qu’elles méritent.

Dans mon fonctionnement, l’écrivain structural et l’écrivain jardinier cohabitent véritablement, même si j’ai tendance à incarner plus facilement le premier que le second.

La conception d’une intrigue

L’étape de l’intrigue est entremêlée avec celle du monde, car l’une et l’autre se nourrissent mutuellement. Un détail dans l’univers va donner une idée d’événement, un événement va prendre place dans un décor spécifique et faire naître une particularité de l’univers.

Je procède là encore par notes diverses, reliées dans une carte heuristique.

La pensée créative est une pensée analogique : elle va établir des liens entre plusieurs idées, plusieurs concepts. Des liens qui sont logiques et d’autres moins. Il peut s’agir d’impressions, d’ambiances, d’images, de sons. Et ces liens font émerger à leur tour une idée ou un concept qui seront parfois très éloignés des sensations premières. Par exemple si l’évocation d’une symphonie et d’un soir de pluie pouvait donner naissance à l’idée d’une scène où un personnage découvre le secret de sa naissance.

C’est ainsi que mes notes sont des phrases ou des bouts de phrases, reliées à des mots qui décrivent plus précisément mes impressions. Et ensuite, j’essaie de visualiser le tout comme une scène, ou dans une scène déjà «découverte» dans mon plan.

C’est dans cette phase que je structure un peu les événements. J’essaie de suivre le chemin de l’histoire, de façon grossière, comme on le ferait à grands pas, sans se préoccuper des détails. Je survole la carte heuristique, et je la vois de très haut, pour n’en distinguer que les contours les plus importants, les nœuds réellement les plus forts. Ce n’est qu’ensuite, lorsque je vais rédiger, que je reprends ce chemin, à pied cette fois, en m’autorisant à explorer des endroits que je n’avais pas prévus en premier lieu, en musardant, furetant, en m’attardant sur des détails qui peuvent ensuite se révéler être de véritables détours ou des pans entiers de l’histoire qui m’étaient inconnus jusque là.

Je reprendrai ensuite chacun de ces détours, chacun de ces nouveaux pans de l’intrigue, pour les relier le plus harmonieusement possible au reste, et que le tout prenne une forme et un fond qui me satisfassent.

J’en suis actuellement au tout début, à l’étape où chaque note se déploie indépendamment des autres, pour être reliée ensuite à tout le reste. J’explore.

C’est une phase déroutante, car on n’écrit pas encore, mais passionnante parce qu’on défriche, et frustrante parce qu’on ne voit pas encore vraiment où tout cela mènera.

L’envie d’une autre fantasy

Comme souvent chez moi, deux désirs presque opposés coexistent.

D’abord écrire une saga de fantasy, de «vraie» fantasy, avec des Dragons. Avec des légendes. Avec des héros et un monde qui change, se trouve bouleversé par des combats épiques, des mythes qui se créent.

Et puis écrire une fresque plus fantastique et personnelle qu’héroïque, sans manichéisme, mais avec des nuances de gris, avec cette ambiance mystérieuse que donne la magie diffuse, cruelle, sacrificielle. Un mélange de low fantasy et de dark fantasy, où les seuls êtres non humains sont disparus ou presque (pas d’elfes élancés ni de nains trapus, pas de gobelins, de trolls ou d’orques) où les rares êtres Fées sont des créatures étranges, incompréhensibles et dangereuses, où le plus grand danger vient souvent de soi-même, où les Dragons ne sont plus présents que dans des chuchotements multiséculaires qui résonnent encore aux oreilles de rares personnes aussi maudites que bénites.

La gageure est simple : donner corps à ce mélange. Et lui donner corps dans un alliage aussi beau que solide.

Autant dire que je ne suis pas encore sorti de l’auberge (où comme il se doit dans tout bon module de l’ancêtre D&D un mystérieux commanditaire m’a confié ma mission ?).

Un bel objet

Enfin, un livre, c’est aussi un objet.

Et avec Rocfou j’ai envie d’aller plus loin dans la conception d’un bel objet, car pour moi le beau est dans le signifiant du texte, mais aussi dans sa présentation.

Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, me diront certains.

Et bien non. Traitez-moi de vil esthète si cela vous chante, mais pour moi le flacon a aussi son importance dans l’ivresse. Et je l’assume. Jusque dans les livres que j’écris. Car un livre peut être un bel objet, un de ceux qui marquent, par son contenu autant que par lui-même.

Ce peut être un objet numérique, auquel je trouve l’on ne prend pas assez soin du détail. Même si le support échappe complètement aux mains de l’auteur (je ne pourrai pas décider sur quelle marque de liseuse ou de tablette, voire de smartphone ou d’ordinateur vous lirez mes productions), je pense sincèrement qu’un simple fichier ePub peut apporter au plaisir de lire s’il répond à trois critères :

  • Un confort de lecture qui s’adapte aux particularités et envies de chacun. C’est d’ailleurs la grande force du livre électronique sur le livre physique que cette adaptabilité, rendant possible la lecture même aux personnes souffrant de difficultés visuelles.
  • Une mise en cohérence de la forme avec le fond du texte. Il ne faut pas oublier que la typographie peut être elle-même signifiante et que certaines mises en forme peuvent avoir un impact sur l’immersion du lecteur dans l’histoire. Au même titre que la réalisation, la lumière, les éclairages, la photographie et parfois les effets spéciaux peuvent apporter quelque chose au cinéma ou en série télévisée (je pense aux textos visualisés directement dans certains épisodes de la série Sherlock de la BBC), je suis convaincu que la typographie peut rendre certains passages plus immersifs dans un écrit (dans le même exemple des textos, pour n’en prendre qu’un).
  • Une esthétique globale dans une identité éditoriale. Pour qu’un fichier soit plus qu’un bête agencement de code informatique et donc qu’un texte soit plus qu’un simple affichage de caractères sur un écran, il est nécessaire de lui donner… du caractère, si je puis dire sans mauvais jeu de mots. Donc de penser la mise en forme pour que cette esthétique soit la plus identifiable possible. Qu’elle type l’œuvre, l’auteur, ou la collection.

Mais un livre c’est aussi, plus traditionnellement, un objet physique, un agencement de feuilles de papier savamment reliées, avec sa forme, mais aussi son toucher. La matérialité a encore de quoi séduire. Et dans ce domaine également, j’ai envie de changer un peu.

Cela fait quelques années que nous nous côtoyons sur cet espace virtuel, et que régulièrement je parle de l’impression à la demande et des opportunités qu’elle a offertes à la réalisation de livre (ce que d’aucuns appellent l’auto-édition). J’ai même commis un ou deux articles expliquant comment s’y prendre avec le poids lourd du marché, Amazon.

Mais outre que le modèle économique et social du géant américain ne me convient pas vraiment (mais c’est un autre débat, que nous aurons sans doute un jour), la finition de l’objet livre par Amazon, pour être à la hauteur de standards professionnels, est limitée.

Il n’existe pas de reliure cousue chez Amazon, et pas même chez son concurrent le plus direct, lulu.

On ne peut pas choisir la matière de la couverture (ou bien si, seulement entre souple et dure).

Or, c’est aussi avec des détails comme ceux-là que l’on crée un bel objet. J’aimerais une reliure cousue pour les deux ou trois tomes de la série que devrait devenir Rocfou, parce que c’est plus solide, parce que c’est plus beau aussi. J’aimerais une couverture dure, également. Je me penche sur la lisibilité de la maquette, la police de caractère, le papier.

Bref, je veux renouer avec le plaisir simple de posséder une œuvre précieuse, non pas forcément par son coût, mais parce que quelqu’un a pris le temps de la réaliser pour moi.

Encore une fois : le contenu et le contenant peuvent se répondre.

Time will tell

Tout cela fait beaucoup, devez-vous penser.

Je suis bien d’accord. Il me reste du chemin à parcourir avant de livrer Rocfou entre vos mains et à vos yeux ébahis.

Mais pour le moment mon plan se déroule sans accroc majeur (et vous savez combien j’adore qu’un plan se déroule sans accroc) et la rédaction du premier tome devrait débuter avec l’été, au mois de juin probablement.

Ce premier tome dont le titre est déjà tout trouvé : Les Héritiers du Dragon.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Post Librum Blues

Post Librum Blues

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Le Choix des Anges est né il y a maintenant pratiquement quatre mois.

Il est maintenant un enfant dont il faut encore guider les premiers pas, prometteurs mais hésitants.

Les retours sont très encourageants, venant de personnes qui me connaissent parfaitement, très bien, bien, moyennement, ou même pas du tout. Le livre est parvenu à toucher des gens au-delà de mon cercle amical, et parfois à les toucher profondément. Certaines personnes m’ont même contacté pour me parler de leur ressenti. Des personnes que je ne connaissais pas auparavant.

Une nouvelle phase commence pour le livre, en même temps qu’une s’achève pour l’écrivain, son géniteur.

Car la gestation a duré six ans.

Six années à vivre avec les mêmes protagonistes, avec leurs interrogations, leurs obsessions, leurs désirs, leurs doutes, leurs souffrances. Six années à mettre en place l’intrigue, à mettre en mots la narration, à mettre en scène les réactions.

Vint enfin l’accouchement.

Il s’est fait dans la douleur, malgré l’autohypnose, la maîtrise de la respiration, le soutien de l’entourage, et l’obstination.

La pression de délivrer un produit le plus professionnel possible malgré mon inexpérience a dépassé mes récentes capacités à apaiser mon anxiété naturelle. J’ai portant passé les différentes épreuves avec assez d’aisance, malgré les accrocs inévitables.

Si tout s’est parfaitement passé pour la version papier, la version électronique Kindle reste bloquée chez Amazon, malgré mes efforts et ceux d’Immatériel, la plateforme de distribution que j’ai choisie. Je suis donc privé du principal canal de distribution électronique qu’est le Kindle… Heureusement, les versions ePub, elles, sont disponibles sur de nombreuses autres librairies en ligne, notamment 7switch.

Je commence à diffuser la version papier de façon plus traditionnelle, chez des libraires spécialisés.

Mais les hormones de la délivrance ont vu leur taux sanguin brutalement chuter.

L’écrivain en moi s’est retrouvé dans la phase délicate de l’après.

Cette phase où le vide provoqué par la fin d’un projet laisse tout loisir aux diverses angoisses de se déchaîner.

Et si je ne savais plus rien raconter d’autre ?

Et si mes différents projets, pourtant si nombreux, étaient complètement inintéressants, creux, banals, comme de simples redites sans rien d’original ?

Et si ma vision n’était finalement qu’une vacuité, ou pire, une fatuité ?

Cette phase où toutes les idées se bousculent et où l’esprit est incapable de les organiser, de les hiérarchiser, de les choisir.

Cette phase où le cerveau peine à se projeter vers une autre aventure, non parce qu’il n’en a plus envie, mais parce qu’il ne sait plus où regarder.

J’ai redécouvert ce qu’en référence à la dépression du post-partum j’ai nommé le Post Librum Blues, cette sensation désagréable d’avoir des neurones en compote et une tristesse floue, un vague à l’âme tenace et une estime de soi en berne.

Je ne savais même plus de quoi j’avais envie de parler dans la prochaine aventure, et même si une prochaine aventure serait possible.

Pourtant, les idées bouillonnaient dans ma tête.

Les images, les bouts d’intrigue, s’entrechoquaient dans des collisions désordonnées.

Mon esprit était vide de sens mais pas vide d’activité.

Le chaos s’y était installé.

Penser à chacun de mes projets mis patiemment de côté pendant des années m’était intolérable. Car je ne parvenais pas à en mener un au bout de sa logique.

Fée du logis ? Rocfou ? Sur les genoux d’Isis ? Tarot ? La tribu perdue ? Grande Armada ?

L’envie elle-même m’avait déserté. Je ne savais plus quoi choisir ni comment le choisir. Toutes les potentialités se mélangeaient. Les loups-garous se perdaient en Égypte ancienne pendant que Napoléon rencontrait Élisabeth I et des dragons… L’alliage ainsi présenté aurait pu avoir lui-même un sens si mes pensées ne s’étaient pas senties paralysées à la seule évocation des multiples choix nécessaires à la construction d’un monde et d’une intrigue cohérentes.

Cela fait quatre mois.

Cela vient de prendre fin.

Je sais enfin vers quoi j’ai envie de me projeter pendant plusieurs mois, peut-être plusieurs années.

Et je vous en parlerai ici de temps à autre, au fil de l’avancée du projet.

Ce nouvel enfant va changer complètement d’ambiance, de paradigme.

Plus de narration à la première personne, mais plusieurs points de vue entremêlés.

Plus d’atmosphère rétrofuturiste mais une époque inspirée des temps mérovingiens et carolingiens.

Plus d’ésotérisme mais un monde où la magie est un lointain passé, une réminiscence mystérieuse, où les légendes tenaces racontent une époque héroïque.

Une histoire de fraternités et d’amours contrariés. Une histoire d’amitiés brisées et retrouvées.

Une histoire d’anciens dragons et d’antiques passages secrets sous les montagnes.

Une forêt profonde où des tribus barbares adorent encore des dieux oubliés, des raids sanglants, des guerres saintes, des tournois et des espions dans de grandes cités aux murailles épaisses.

Des monstres humains et d’autres qui le deviennent de moins en moins.

Une aventure, une quête, aussi bien intérieure qu’héroïque.

Un projet qui a un nom hérité d’un monde né d’un jeu de rôle.

Le fou du roc.

Rocfou.

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