eBook design : ma quête d’identité
eBook design : ma quête d’identité
J’ai actuellement plusieurs projets littéraires en maturation, et s’ils avancent lentement, c’est aussi parce que je prends le temps de m’interroger sur des aspects qui normalement ne sont pensés qu’après l’écriture.
Dans un continuum espace-temps classique, l’auteur écrit son manuscrit, puis l’éditeur conçoit l’ouvrage qui portera ces écrits. Dans mon cas, puisque le projet est de devenir mon propre éditeur (je vous renvoie ici pour les multiples raisons qui m’animent, et encore là, ou bien là, pour comprendre comment avec ma série de billets sur le format ePub3), je dois apprendre beaucoup de choses également. Et ma nature impatiente me conduit à m’intéresser à des aspects de la chaîne de publication avant même d’avoir terminé les corrections d’écriture.
Pour ma défense, je dois dire que le plaisir de la lecture a toujours été chez moi indissociable d’une certaine forme de plaisir esthétique devant l’objet livre, plaisir que je cherche à renouveler (puisqu’il n’est évidemment pas possible de le dupliquer) dans l’optique de ne publier que des livres électroniques.
En effet, je suis incapable de me satisfaire de mon écriture sans qu’elle ne prenne une forme qui soit esthétiquement agréable pour mon propre regard. Ainsi, j’abhorre les brouillons, moi qui suis si notoirement le roi des ratures. Je ne peux pas me mettre à écrire si je n’ai pas trouvé une police de caractères qui me plaise, alors que mon écriture manuscrite est, au mieux, digne d’un sismographe qui aurait été abreuvé d’incunables du XVe siècle en guise de données.
Alors, oui, je songe à la forme que prendra mon ouvrage une fois achevé, et cela veut dire beaucoup de choses…
Je me suis ainsi senti un peu « orphelin » de mon plaisir de lecture en me mettant à dévorer sur tablette. Comme si une partie de mon plaisir était gâchée par la tablette. Cette impression m’avait déjà effleuré avec certains livres physiques, lorsque les caractères étaient mal choisis, lorsque les pages étaient mal découpées, lorsque l’encre était de mauvaise qualité.
J’ai fini par comprendre comment retrouver l’impression de lire un livre : en soignant la forme, en donnant du caractère à l’ouvrage.
Puisqu’il n’est évidemment pas question de reproduire l’odeur du papier sur un support numérique, il faut s’attacher essentiellement à l’apparence visuelle du livre.
Je crois que je ne serai satisfait de ma production que si je lui donne une identité visuelle forte, quelque chose qui pourrait en faire un objet singulier : un Livre, comme ceux dont on s’émerveille de la couverture, de la texture du papier, de l’odeur, comme ceux que l’on feuillette avant de les acheter, ceux que l’on aimerait posséder pour le lire, mais aussi pour l’admirer. Les très vieux ouvrages ont souvent ces qualités-là, ou les premières éditions d’une œuvre. Même certains livres de poche peuvent acquérir ces qualités, avec le temps.
Mais comment réaliser cela avec juste de la programmation ?
J’ai alors été influencé dans mes recherches par quelqu’un qui semble penser la même chose que moi, puisqu’il se définit comme « ebook designer » : Jiminy Panoz.
J’étais à la recherche d’une façon de concevoir un livre numérique qui ne soit pas un simple fichier texte, fut-il rendu « fluide » par la magie de l’ePub3. Et Jiminy Panoz parle à la fois d’harmonie de mise en page, et d’accessibilité du livre, mais également d’esthétique.
Je crois donc aujourd’hui que s’il faut porter une attention particulière à la fonte que l’on va utiliser pour la présentation du livre, ou à la couverture – cependant tout le monde sait cela maintenant –, mais aussi à la mise en page du livre, à l’harmonie des interlignes, et à certaines parties qui me semblent délaissées dans la production numérique actuelle : la page de titre (différente de la couverture), la page de sommaire, et les titres de chapitres.
La théorie
Je vais détailler un peu mon propos en vous montrant mon évolution sur une petite année, depuis les premiers concepts sur le livre que j’ai conçu pour l’expérience cinématographique d’Ultima Necat jusqu’à aujourd’hui et mes projets pour Le Choix des Anges, Fée du Logis, Rocfou, ou Sur les genoux d’Isis.
La page de titre
Au fond, quel est le rôle de la page de titre ?
Outre qu’elle doit contenir légalement les mentions de droit d’auteur et les crédits, l’ISBN notamment, je crois que son rôle essentiel est de donner l’identité visuelle du livre. Et comme le livre numérique n’a plus de quatrième de couverture, il me semble important d’y présenter l’auteur, ou du moins d’y insérer un lien, même discret, vers son travail.
Le lecteur veut avant tout lire son texte, mais il n’est pas interdit de lui faire connaître l’auteur. La plupart des gens vous conseilleront de mettre la biographie de l’auteur et sa bibliographie éventuelle à la fin du fichier numérique, afin de ne pas rebuter le lecteur et de le laisser s’immerger dans le texte dès le départ. J’avoue ne pas être à l’aise avec cette façon de faire. Ainsi, comme lecteur de livres papier, j’ai l’habitude de consulter d’abord la quatrième de couverture pour avoir un pitch de l’ouvrage et un aperçu de l’identité de l’auteur, AVANT de lire le livre.
Pour un livre numérique, le pitch sera la plupart du temps présenté avant l’achat du livre, sur la plateforme choisie, et il n’est donc pas absolument nécessaire de l’intégrer dans le livre lui-même, bien que, vous le verrez, j’ai aussi un argument pour cela.
Par contre, que ce soit sur Amazon Kindle, sur Kobo, la Fnac, l’iBookstore ou d’autres plateformes, vous ne trouverez pas de biographie de l’auteur (à quelques exceptions près, si vous achetez le livre par exemple directement sur la plateforme numérique de l’éditeur de l’ouvrage, qui généralement soigne la présentation de ses auteurs).
Il me semble donc absolument indispensable d’intégrer une biographie voire une bibliographie dans le livre. Mais où ?
Ennuyer le lecteur avec un CV n’est pas le but de la chose. Mais en même temps il doit voir à qui il a faire. Cela tombe bien, nous sommes dans le numérique, donc servons-nous des liens hypertexte. Un lien peut donc pointer vers le site de l’auteur, vers une page Wikipedia, voire l’Encyclopédie Britannica si vous le voulez. Il n’y a pas de limites.
Mais on peut aller plus loin, et se servir des techniques de design issues du web : une fenêtre modale, par exemple, peut apparaître si l’on clique sur le lien, et montrer la biographie et la bibliographie de l’auteur à qui veut les lire. On ne force pas la main du lecteur, et on conçoit un objet qui n’est pas seulement un flux de données linéaire.
La page de sommaire
Son rôle est bien sûr de faciliter le repérage du lecteur dans l’ouvrage, mais avec l’avènement du numérique, la « table des matières », ou « table of content » comme disent les anglophones, sert aussi à naviguer dans le corps du texte afin de reprendre la lecture à un endroit précis, d’y revenir plus tard, en aidant les marques-page intégrés dans l’application de lecture. Le flux d’un livre numérique a en effet ceci de radicalement différent d’un livre papier : la recherche et la navigation sont possibles instantanément.
Hélas, bien souvent la table des matières des livres numériques est une bête liste de liens hypertexte non stylisée, un peu comme nous en avions dans les débuts de l’internet grand public. Mais si, souvenez-vous des sites du temps où nous surfions avec Netscape Navigator ! Des pages blanches avec des tonnes de liens qui demandaient presque autant de temps à parcourir que s’ils étaient imprimés sur du papier.
De nos jours, l’ergonomie du web a tant progressé ! Pourquoi ne pas s’en inspirer pour les pages de sommaire de nos livres numériques ?
C’est d’ailleurs là que je mettrais le pitch du livre.
Je vous avais dit que j’avais un argument pour l’y glisser tout de même dans l’ouvrage.
Il suffit de voir un peu plus loin que les années 2010. Que deviendra votre livre numérique lorsque vous ne serez plus là ? Si nous avons de la chance, les DRM auront été abolis, et ni Apple ni Amazon, ni Kobo ne seront propriétaires de vos ouvrages achetés, ni ne pourront les détruire à distance. Je prends donc le pari que vous aurez accumulé une bibliothèque de livres numériques conséquente, que vous pourrez léguer à quelqu’un.
Et ce quelqu’un pourrait avoir envie de les lire, vos livres, comme nous l’avons tous fait avec les livres que nous avons hérités de nos grands-parents, voire de nos parents.
Ne serait-il pas opportun qu’un pitch de l’ouvrage soit facilement accessible dans ce dernier ?
En fait, philosophiquement, je vois le livre numérique comme un objet pérenne (autant qu’il puisse l’être sans support physique, mais même les livres papier sont parfois détruits par les incendies, les inondations ou perdus tout simplement), et non comme une œuvre seulement disponible en streaming. Un véritable livre, pour moi, se conserve.
Les titres de chapitre
L’identité visuelle passe aussi par les changements de chapitre. Les mises en page actuelles sont très classiques dans le numérique, alors que dans l’édition papier, les maquettistes osent certaines audaces intéressantes, même pour de la fiction. Des enluminures, une mise en page graphique, bref, quelque chose qui met le lecteur dans l’ambiance de votre ouvrage. C’est à mon avis aussi important que le choix de la fonte ou de vos interlignes.
La pratique : mes essais
Aussi ai-je rabattu de ma superbe, car mes belles idées se sont souvent heurtées à l’impossibilité technique d’être réalisées ne serait-ce que dans iBooks.
Mes premières idées de fenêtres modales ont été un tel cauchemar entre l’implémentation du JavaScript dans l’ePub et l’impossibilité de déterminer comment chaque application de lecture définissait son espace d’écran alloué au texte, que j’ai fini par les abandonner, alors que dans un navigateur internet tout fonctionnait à merveille. Et, franchement, ça avait de la gueule !
Le simple fait de penser une boîte de texte délimitée ou il serait nécessaire de faire défiler le texte pour qu’il soit complètement lu (un overflow pour ceux qui connaissent le code CSS3) afin d’y insérer la biographie de l’auteur s’est heurté à de nombreux bugs dans toutes les applications autres qu’iBooks, qui se comportait normalement.
Je ne vous raconte même pas le cauchemar des essais d’export en kf8, le format de Kindle qui ressemble à l’ePub3 : toute ma mise en page était à refaire…
Mes solutions actuelles sont de revenir à plus de simplicité sans pour autant abandonner les principes que je vous présentais plus haut. Les recherches de Jiminy Panoz sont venues là encore à mon secours, puisque son boilerplate min+, une sorte de gabarit de mise en page, explore en effet des possibilités de design qui m’ont bien inspiré.
Ainsi, la page de titre comporte-t-elle des liens vers la biographie et la bibliographie, dans le livre, mais dans un fichier qui sera non linéaire, c’est-à-dire qu’il ne fera pas obligatoirement partie de la séquence de lecture du texte. Il faudra cliquer pour découvrir. Les applications de lecture gèrent généralement bien les fichiers non linéaires, et leur mise en page peut-être plus simple que dans une fenêtre modale. La page de titre renvoie aussi vers mon site (oui, celui sur lequel vous êtes…) via le logo d’écaille & de plume du dragon et du phœnix, et vers la page de sommaire avec un détail de l’image de couverture.
La page de sommaire, elle, présente une table des matières plus graphique sans être complètement délirante, avec un pitch du récit pour servir de quatrième de couverture.
Enfin, l’intégration des réseaux sociaux est possible, de manière à laisser au lecteur l’opportunité de commenter sa lecture sur Goodreads, notamment.
Et vous, vous le voyez comment, le livre numérique qu’on a envie de garder ?