J’ai entendu pour la première fois parler des Chroniques du Grimnoir par +Car Beket, qui en prépare une adaptation en jeu de rôle avec Fate. Intrigué, j’ai voulu lire les romans.
Le mélange des genres Noir, « steampunck », et fantastique peut sembler être une chimère improbable et même un monstre de Frankenstein au premier abord. Je mets « steampunck » entre guillemets car il n’est pas vraiment ici question d’un monde où la technologie vapeur a remplacé l’électricité, mais bien plutôt d’une ambiance de douce uchronie et de dépaysement à la fois technologique et culturel, dont l’exemple le plus frappant est la présence de dirigeables comme moyens de transport, aux côtés du train. Un marqueur d’uchronie déjà utilisé dans de nombreuses œuvres, par exemple la série Fringe.
Les deux réalités de Fringe, dont l’une avec ses Zeppelin
Magie brute est le premier opus du cycle, dans lequel Larry Correia développe son postulat de base.
Au cours du XIXe siècle, certaines personnes dotées de pouvoirs particuliers ont commencé à apparaître, possédant chacune un talent « magique ». Parmi ces Actifs, il y avait les Torches, capables de contrôler le feu, de l’éteindre ou de le faire naître à volonté, les Brutes, dont la force et la taille pouvaient changer, les Guérisseurs, dont le toucher pouvait faire cicatriser plus vite ou même écarter la maladie, ou encore les Lourds, qui savent modifier la gravité, la plier à leur désir pour alourdir ou alléger tout ce qui les entoure, eux-mêmes compris. Jake Sullivan fait partie de cette dernière catégorie, mais contrairement à la réputation des Lourds, il se trouve être très fin, si fin qu’il attire l’attention de J. Edgar Hoover, qui dans l’Amérique du Grimnoir utilise les talents de ceux qu’une bonne partie de la population considère comme des monstres pour traquer leurs semblables, en tous les cas ceux qui se sont rendus coupables de crimes.
Pour cela, Sullivan lui aussi a eu affaire à la justice, pour un crime qu’il n’avait pas commis. Mais ce héros de la Grande Guerre est donc obligé de travailler pour les Fédéraux afin d’éponger sa dette. C’est par ce biais qu’il se trouve mêlé à la guerre secrète qui oppose la Société du Grimnoir, une organisation qui lutte pour maintenir la paix, et le Président de l’Impérium, un homme mystérieux aux pouvoirs terrifiants.
L’univers du Grimnoir est complexe, plus qu’il n’y paraît, riche, et pas si manichéen qu’on pourrait le craindre. Il y a là matière à de nombreuses intrigues, et les personnages, s’ils sont souvent caricaturaux, sont campés et suffisamment crédibles malgré ce léger défaut.
En outre, la traduction de Marie Surgers est savoureuse, qui parvient bien à rendre ce mélange d’argot, d’expressions imagées, de dialogues percutants et de détails dépaysants. L’ambiance m’a conquis, surtout sur la première moitié du récit.
Car hélas, j’ai beaucoup moins accroché sur l’intrigue centrale du livre, cette course à l’armement plutôt terne, sans véritable souffle. J’ai trouvé l’action assez fade, même avec les quelques morceaux de bravoure tentés dans les scènes de combat. Même celle qui à la fin se déroule sur plusieurs blimps à la fois m’a laissé relativement froid.
Peut-être est-ce parce que les enjeux sont tellement énormes qu’on ne les appréhende plus. Peut-être aussi parce que l’on s’attend à une problématique personnelle plus marquée pour les personnages, une tradition bien ancrée du genre Noir, et que l’on se retrouve dans une confrontation géopolitique et presque mystique qui relègue au second plan les interrogations de Sullivan envers ses frères, ou de Faye, l’orpheline qui pourrait être si attachante.
Il est difficile de concilier dans un même récit deux échelles d’enjeux aussi différents. Cela demande à mon sens un extraordinaire sens du dosage et de l’équilibre, et une grande maîtrise du rythme, pour ne pas étouffer l’un avec l’autre, mais surtout pour souligner l’enjeu du macrocosme grâce à celui du microcosme. C’est je crois la seule façon d’être à la fois pertinent et fluide.
C’est encore plus vrai dans le genre Noir, qui est surtout centré sur les enjeux psychologiques ou sociaux des personnages eux-mêmes, et s’accommode mal des luttes planétaires ou politiques. Sauf bien sûr pour les montrer sous un jour cynique et s’en servir comme révélateur des abîmes psychologiques où se vautrent leurs conjurés.
Hélas, je n’ai pas trouvé ce dosage réussi dans Magie brute, ce qui m’a fait l’effet d’une très belle idée mal exploitée.
Cette impression va-t-elle se confirmer dans le deuxième tome ?
Votre doigt vient sans doute de se crisper sur le bouton de votre souris, de faire glisser la molette jusqu’à ce que la date de cet article apparaisse. Sans doute pensez-vous que vous venez de faire un bond en arrière dans le temps.
Oui, mon article sur le voyage dans le temps, c’était bien sur Flash Forward, en 2014…
Non, vous ne rêvez pas, on est bien en 2015…
Mais sans doute que si vous lisez ces lignes, est-ce parce que vous étiez prédestinés à les lire. Car vous les avez déjà lues dans le futur, et vous ne faites que reproduire ce que vous avez alors accompli dans notre avenir.
Et si les deux phrases précédentes ne vous donnent pas une véritable migraine, alors vous êtes prêts à voir, ou revoir si dans le futur vous l’avez déjà fait, le film des frères Spierig.
Son sujet est assez simple, presque digne d’un blockbuster : un agent temporel au service d’une mystérieuse organisation gouvernementale américaine accomplit une dernière mission pour arrêter le criminel qui lui a échappé durant de longues années, et enfin l’empêcher de commettre un crime dans le futur.
Les premières images sont extrêmement esthétiques, avec des jeux sur la lumière, une ambiance qui fait beaucoup penser au Dark City d’Alex Proyas ou à L’armée des Douze Singes de Terry Gilliam, une voix off en parfait (dé)calage avec elles, dans une signature qui rappelle les films noirs. L’accessoire principal du film, cette boîte à violon qui permet le déplacement du voyageur temporel dans un souffle très évocateur, renforce encore cette impression.
Le décor de la première scène
Mais rapidement, on est plongés dans un drame aussi intimiste que presque métaphysique, avec la plus belle illustration d’un paradoxe temporel fondateur que j’aie pu lire ou voir dans ma vie, à égalité avec les Douze Singes et sa boucle temporelle culte.
Car il ne s’agit pas ici d’une seule, mais bien que plusieurs boucles temporelles enchâssées les unes dans les autres, avec une grande maîtrise dans le scénario et une belle réalisation, même si l’on peut regretter quelques plans un peu trop « téléphonés ». Ces boucles sont si bien entremêlées qu’elles donnent vraiment le vertige en nous confrontant à un paradoxe de l’œuf et de la poule en forme de poupées russes.
Quant à l’interprétation, Ethan Hawke et Sarah Snook sont très convaincants, y compris dans les sujets les plus intimes dans le cas de la dernière, dont je ne parlerai pas ici pour ne pas déflorer une intrigue ciselée de façon minutieuse. Et ce n’est pas très étonnant, quand on sait que cette intrigue est adaptée d’une nouvelle de Robert A. Heinlein, Vous les Zombies (All You Zombies en V.O.)… que je vais m’empresser de lire…
En déroulant les crédits de fin, de nombreuses questions assaillent l’esprit : l’agent temporel a-t-il vraiment réussi sa mission, les dysfonctionnements étaient-ils voulus par l’énigmatique Mr Robertson, que sait-il, d’ailleurs, cet étrange Mr Robertson ?
Mr Robertson, et Noah Taylor, son interprète
Y aura-t-il plus de réponses dans la nouvelle que dans le film ? Très probablement non, et c’est sans doute ça qui est le meilleur.
C’est toujours la même chose avec Peter Jackson : à chaque sortie d’un film de son interprétation de la Terre du Milieu, il faut attendre un an de plus avant d’avoir la véritable version, celle qui donne le plus de sel à l’œuvre, celle qu’il a vraiment pensée.
Ce qui est sans doute un peu une ficelle marketing permet aussi paradoxalement de prolonger le plaisir de la découverte de cet univers riche et fouillé qu’il met autant d’ardeur à explorer que Tolkien à le créer. Ainsi, chaque « version longue » est l’occasion de se demander si on avait bien vu tel détail lors de la sortie en salle, ou si on avait remarqué tel plan, ou, parfois, si les scènes ajoutées apportent vraiment quelque chose à l’histoire et à l’univers.
C’est en quelque sorte une école de patience qui apprend à goûter plus encore ce que l’on a anticipé si longtemps.
Le deuxième volet de la trilogie du Hobbit était pour moi à sa sortie le morceau le plus attendu. J’avais hâte de voir le Cracheur de Feu du Nord, et l’interprétation qu’en avait imaginé Peter Jackson avec la voix et les mouvements de Benedict Cumberbatch. J’avais hâte de rencontrer Bard. J’avais hâte de contempler le Royaume des Elfes Sylvestres.
Lorsqu’il y a un an le film est enfin sorti, j’ai comme tout le monde été surpris par la romance qui se nouait entre un Nain et une Elfe Sylvestre. J’ai été un peu déçu par certaines scènes à mon avis trop numériques (Legolas virevoltant lors du combat contre les Orcs sur la rivière). Mais j’avais été conquis par Bard, impressionné par Smaug, fasciné par Thranduil.
Smaug le Terrible, la grande réussite du film
Un an après, Peter Jackson sort le troisième volet, mais aussi son « extended cut » du deuxième, sur lequel je me suis rué.
Comme pour la version longue de La Communauté de l’Anneau ou des Deux Tours, celle-ci apporte un montage un peu différent sur des scènes clefs, même si le bouleversement n’est pas aussi grand que sur le premier volet du Seigneur des Anneaux (dans lequel tout le début a été complètement remonté dans la version longue, avec une introduction bien plus fidèle au livre tout en étant bien plus dynamique par rapport à la version sortie en salle).
Des scènes clefs qui sont tellement importantes que l’on se demande bien pourquoi elles ont été éliminées de la première version cinéma. Car si elles ne concernent pas véritablement le cœur de l’histoire, elles ont à voir avec la toile de fond du plan de Sauron, avec les machinations qui se sont tramées depuis l’attaque du Dragon sur Erebor. On apprend donc beaucoup de choses sur le destin d’un personnage essentiel : Thrain, le père de Thorin. Pourquoi il a disparu, et comment il a disparu. Le lien avec le Seigneur des Anneaux est encore plus prégnant avec ces révélations, qui esquissent le plan à long terme de Sauron. L’incursion de Gandalf au cœur de Dol Guldur prend une tout autre ampleur.
Par contre, que Gandalf découvre autant de choses peut interroger sur le temps qu’il mettra ensuite à faire le lien entre l’anneau de Bilbon et l’Anneau Unique dans La Communauté de l’Anneau, qui se déroule bien des années plus tard.
Toujours est-il que ces nouvelles scènes donnent une dimension plus « politique » à l’intrigue, en l’insérant dans une vision globale de l’hexalogie qui donne de la cohérence à l’ensemble.
Bien sûr, les puristes pourront arguer que la cohérence ainsi exposée n’est pas tout à fait fidèle aux écrits de Tolkien. L’adaptation d’une œuvre artistique doit forcément passer par une interprétation personnelle, une appropriation de l’œuvre originale et donc une modification de certains détails. Dans le cas présent je trouve les ajustements assez bien faits pour passer inaperçus et s’intégrer dans le reste de la trame tout en apportant au film cette dimension, absente du Hobbit littéraire.
Thrain, Fils de Thror, père de Thorin Oakenshield, dans la Version Longue
Les autres ajouts sont plus discrets : quelques échanges supplémentaires entre le Maître de Lacville et son âme damnée, notamment, ou bien l’entrée clandestine des Nains dans Lacville (ou plutôt Esgaroth), plutôt bien faite. J’ai regretté de ne pas en avoir plus vu sur Smaug, mais il faut reconnaître que toutes les scènes avaient déjà été montrées dans la version cinéma et qu’il n’y avait probablement pas grand-chose de plus à tourner sans trop délayer.
On ressort de cette séance avec des étoiles plein les yeux, et l’esprit encore bouillonnant. L’immersion fonctionne mieux encore qu’avec la version cinéma, ce qui me semble être le but de ce genre d’exercice.
Il ne reste plus qu’à clore la trilogie en dégustant La Bataille des Cinq Armées une première fois au cinéma… et à attendre l’année prochaine pour une nouvelle version longue !
Flash Forward, la série qui retourne vers le futur
Nous allons bientôt fêter les trente ans de Retour vers le Futur (Back to the Future, Robert Zemeckis), précisément le 23 octobre 2015, et cet anniversaire commence déjà à susciter quelques défis et autres réflexions sur la Toile.
Dans une autre vie, lorsque j’étais un rédacteur très régulier et très impliqué de V.I.T.R.I.O.L., un fanzine de jeux de rôle que j’avais contribué à créer avec plusieurs camarades de jeu, j’avais déjà exploré ce thème, à la fois de façon littéraire et de façon plus explicative.
Vous ne connaissez pas V.I.T.R.I.O.L. ? Honte à vous ! Sachez que ce fanzine a eu à son heure de gloire un tirage à… pas moins de… cent exemplaires ! Sur la région toulousaine… Si, si…
A l’époque (le 15 septembre 1995, pour ce numéro 4 intitulé Somewhere in Time), c’était une assez grosse performance pour un fanzine dédié au jeu de rôle, et plus largement à l’imaginaire.
Bientôt vingt ans, donc, que mes camarades et moi-même avons exploré les facettes du voyage dans le temps dans ce numéro.
La couverture du numéro 4 de VITRIOL, sur le voyage dans le Temps… oui, le prix est en Francs Français…
Et vingt ans après, le voyage dans le temps est encore une question qui tourne dans ma tête, et qui réapparaît périodiquement dans ma vie, puisqu’après l’expérience V.I.T.R.I.O.L., j’ai participé il y a quelques années au tournage d’un court-métrage professionnel, Demain la Veille, dont le thème était l’inversion de la course du temps. Elle a même été réactivée après la vision de Flash Forward, une série américaine datant de 2009, qui a à mon avis renouvelé un peu la façon dont on peut envisager ce thème.
En effet, le voyage dans le temps se fait habituellement vers le passé, rarement vers le futur (à l’exception notable de la Planète des Singes, ou de Retour vers le Futur 2), mais surtout, il implique toujours un voyage (d’où le nom, me direz-vous…). Le héros est souvent arraché à son époque pour vivre des aventures qui auront une répercussion extrême puisqu’elles modifieront l’écoulement du temps, l’histoire, la sienne ou celle de l’Humanité tout entière, voire la réalité elle-même. Il est en tous les cas privé de repères, doit faire très attention à ne pas modifier des événements fondateurs de sa propre histoire ou de son propre futur.
Le postulat pris par Flash Forward est un peu différent : un beau jour, les habitants de la planète entière ont perdu connaissance au même instant pendant deux minutes et dix-sept secondes, durant lesquelles ils ont eu une « vision » de leur futur exactement six mois plus tard. Et cette vision partagée par toute l’Humanité change radicalement la vie de tous.
Petit avant-goût en images :
https://www.youtube.com/watch?v=ksp3_QnWAm8
Il ne s’agit donc pas vraiment d’un voyage dans le temps, bien que la première saison décrive le parcours que plusieurs personnages clefs font jusqu’à la date fatidique de leur vision.
On se trouve donc à mi-chemin entre la parabole sur le Destin et les paradoxes temporels classiques (et si je change une de mes actions, est-ce que je vais changer le futur?). La question n’est donc plus « que dois-je préserver de ce que je sais du déroulement des événements ? », mais plus « mes actions sont-elles déterminées par le futur que j’ai aperçu ? ».
Et les personnages y répondent de façon très diverse : de celui (Demetri) qui n’ayant pas eu de vision, en conclu qu’il sera mort six mois plus tard et essaie à tout prix de comprendre ce qui est sensé lui arriver pour survivre, à un autre (Aaron) qui se voit retrouver sa fille en Afghanistan alors qu’il la croyait morte, et qui va tout faire pour que sa vision se réalise.
On retrouve les paradoxes temporels dans l’enquête que le personnage principal, Mark Benford (joué par Joseph Fiennes, le frère de Ralph-Voldemort), agent spécial du FBI, mène sur ce que tout le monde appelle le Blackout. Dans sa vision, il était devant un tableau résumant son enquête. Il possède donc certains indices parce qu’il les a appris pendant sa vision. Le futur lui a donc donné les clefs qui lui permettent d’arriver jusqu’à l’avenir. Mais s’il n’avait pas eu de vision, jamais il n’aurait enquêté…
La Mosaïque dans la vision de Mark Benford, qui lui permet d’enquêter sur le Blackout
La série exploite aussi quelques idées issues des théories quantiques et déjà en vogue en 1985 lors de la sortie de Retour vers le Futur. Cependant, en lieu et place de l’excentrique Doc et de ses expressions fameuses (« Nom de Zeus »), de ses discours incompréhensibles sur la nature de l’espace-temps et de son côté « professeur Tournesol », Flash Forward met en scène plusieurs scientifiques aux caractères beaucoup plus sérieux et parfois opposés, démêlant ainsi la vieille image du savant fou en plusieurs de ses composantes.
Il y a Lloyd, persuadé d’être à l’origine du Blackout à cause d’une expérience et rongé par une culpabilité double puisque sa femme a perdu la vie lors de cet événement (eh oui, les gens qui s’endorment au volant ont souvent des accidents…), et son ami-opposé Simon (joué par un Dominic Monaghan parfaitement flippant), brillantissime mais un brin sociopathe, uniquement préoccupé par lui-même et son lourd secret. Il y a D. Gibbons (ou Dyson Frost), que l’on pense être le responsable véritable et le créateur du Blackout, une sorte d’illuminé qui n’en est pas à son coup d’essai et qui cherche à atteindre un but mystérieux en explorant les futurs possibles de plus en plus loin.
De ce point de vue, la série est très bien faite, et je me suis trouvé frustré qu’elle n’ait pas eu la chance d’être poursuivie au-delà de la première saison, prometteuse. La fin est d’ailleurs assez bien fichue, avec un saut dans le temps de l’histoire elle-même.
Par contre, je comprends très bien pourquoi elle n’a pas eu beaucoup de succès d’un point de vue télévisuel pur. Les personnages, pour fouillés qu’ils aient été, sont parfois beaucoup trop caricaturaux (Mark Benford et ses réactions parfois très primaires pour un agent spécial du FBI dont on attendrait beaucoup plus de retenue, même avec sa faiblesse alcoolique), ou adoptent un comportement difficilement plausible (Olivia, la femme de Mark, médecin, qui a des réactions très étranges pour le spectateur à propos de sa vision la montrant six mois plus tard amoureuse folle d’un autre homme alors qu’elle est le jour du Blackout aussi attachée à son mari qu’on puisse l’être).
En résumé, Flash Forward est une bonne série à voir lorsqu’on s’intéresse au voyage dans le temps, notamment à sa variante théorique dite « des écluses temporelles » (révisez Retour vers le Futur, Doc Brown en parle, ou lisez V.I.T.RI.O.L. n°4, si vous avez la chance de le posséder).
J’aurais bien vu une saison 2, mais hélas, il faut se contenter de la seule première… et pourquoi pas inventer la suite dans un roman ou un scénario de jeu de rôle ?
L’Humanité après l’Effondrement, deux visions comparées
Attention, cet article pourrait vous dévoiler certaines choses que vous préféreriez découvrir vous-même en regardant le film, la série ou en lisant le livre dont il est question ici.
L’Apocalypse… oui, mais après ?
Probablement depuis des éons, l’être humain s’interroge sur le devenir du monde et son devenir en tant qu’espèce. Il a pris conscience que chaque chose en ce monde naît, vit… et meurt, et que cet axiome fondamental peut aussi être appliqué au monde tel qu’il le connaît. Les mythes du Déluge et des « fins du monde » cycliques (par exemple ceux des Mayas) nous enseignent aussi qu’il réfléchit depuis bien longtemps à ce qu’il pourrait se passer après…
Notre espèce a imaginé bien des façons dont son monde pourrait atteindre son terme.
Et pour illustrer ces peurs, nous avons imaginé des centaines histoires, dans les contes, dans la littérature, dans les films et les séries.
Les catastrophes naturelles sont bien sûr les causes les plus évidentes, celles auxquelles nous avons songé en premier. Les déluges, donc, qu’ils soient bibliques (Noé) ou précolombiens. Les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, et plus récemment les chutes ou collisions de météorites (Armageddon, autre) que notre connaissance du passé et notre science nous ont montrées comme les plus dangereuses. Nous savons que d’autres espèces ont subi leurs foudres, comme les dinosaures. Nous savons aussi qu’il y a eu des épisodes d’extinction en masse à plusieurs reprises dans le passé lointain de notre planète.
Jusqu’au bombardement de neutrinos à la base du « scénario » du film 2012.
Tout ceci n’étant que des causes extrinsèques, l’expression de « la Colère des Dieux » ou la vengeance de la Nature, ou bien même le hasard cruel et meurtrier.
Mais les causes naturelles n’ont pas suffisamment étanché cette soif, et, en s’observant elle-même, l’espèce humaine a bien compris que le plus grand danger qui la guettait était bien : elle-même. Les guerres thermonucléaires, bactériologiques, l’apparition de virus créés par l’Homme dans un but guerrier ou même pacifique (La Planète des singes : les Origines) et échappant à tout contrôle, sont évidentes à qui connaît la tendance belliqueuse des êtres humains.
Mais l’Effondrement est aussi celui d’une civilisation, d’un modèle de vie. Les récits de cataclysmes sont souvent l’occasion pour les conteurs de critiquer le modèle social ou de civilisation dominant, en montrant sa vanité. Ainsi le chaos résultant de l’arrêt d’une technologie devenue essentielle comme l’électricité, ou d’une des bases de l’économie capitaliste, aurait le même effet qu’une guerre nucléaire. Du moins dans l’anticipation que nous en avons.
La question centrale et commune à toutes ces histoires, à toutes ces anticipations n’est cependant pas vraiment le « comment ? », mais sans doute plus le « pourquoi ? ». Et plus encore, car la survie de l’espèce est ancrée au plus profond de nos gènes, le « que se passe-t-il après » ?
Car s’il y a des survivants (ce que nous ne pouvons pas ne pas imaginer), leur histoire semble au moins aussi intéressante que celle de l’Effondrement lui-même.
C’est d’ailleurs l’intérêt comme le défaut du film Signs de M. Night Shyamalan, que de poser, à sa toute fin, l’absence totale de survivant. La fin véritable d’une histoire. Autant cela fait réfléchir sur nous-mêmes en tant qu’espèce et sur notre place dans l’univers, autant, dramatiquement parlant, je trouve cette posture moins intéressante, puisqu’elle oblitère les questions de l’après.
Un peu par hasard, je suis tombé cet été sur le premier tome d’une saga, Zhongguo, par David Wingrove, intitulé Fils du Ciel. Et dans le même temps, j’ai enfin suivi le conseil de Car Beket : j’ai vu la première saison de The 100.
Deux façons d’envisager un monde post-apocalyptique. Deux façons d’appréhender l’Effondrement et ses conséquences. Deux façons d’explorer l’adaptation de l’espèce humaine à un changement radical de son monde.
The 100
Je ne vous cache pas que les deux premiers épisodes de la série The 100 de la chaîne américaine CW m’ont un peu refroidi.
Tout commence comme une de ces séries pour adolescents que j’exècre, genre Teen Wolf ou Vampire Diairies, où tout n’est que mise en scène de questions existentielles telles que « Jack a-t-il couché avec Megan alors qu’il était déjà en couple avec Sydney ? »
Mais à partir du troisième épisode, les choses deviennent beaucoup plus intéressantes et matures.
The 100 décrit le retour de 100 adolescents « sacrifiés » dans une tentative désespérée des derniers survivants de l’Humanité réfugiée dans une station spatiale pour recoloniser la Terre dévastée par une guerre nucléaire 3 générations plus tôt. Sacrifiés car la station spatiale se meurt. Sacrifiés car le projet de retour ne devait être déclenché que 3 générations plus tard. Sacrifiés car ils étaient tous condamnés pour des crimes ou des délits qui, surpopulation aidant, sont tous punis de mort sur la station. Sacrifiés car rapidement, tout lien avec l’Arche sera techniquement coupé, et qu’ils devront affronter seuls les nombreux périls d’une planète qui leur est devenue aussi étrangère qu’hostile.
La réalisation est extrêmement réaliste.
La technologie est crédible, car assez proche, finalement, de la nôtre.
À travers le parcours des personnages principaux que sont Finn, Bellamy, et surtout Clarke, de leurs relations avec ceux restés sur l’Arche et entre eux, on vit avec eux des remises en question éthiques, comportementales, politiques. La survie dans un environnement hostile les pousse à se poser des questions essentielles sur ce qu’ils pensent être juste et ce qu’ils pensent devoir faire comme entorses à cette justice idéale pour ne pas être tués.
On découvrira aussi que la Terre abrite des survivants de l’holocauste nucléaire, et que leurs réponses, plus anciennes, ne sont pas du tout les mêmes que celles que tentent d’apporter les héros de la série.
Sur l’Arche condamnée par le manque d’oxygène, les adultes qui ont envoyé ces adolescents en reconnaissance dans une mission suicide ont eux aussi leurs dilemmes à résoudre, leurs drames à jouer.
Au final c’est la confrontation des points de vue, des compromissions avec leurs idéaux, les liens qui se créent, qui montrent combien notre société actuelle nous protège ou nous expose à des dangers qui sont « artificiels », car créés par elle. La Nature sauvage telle qu’elle est décrite dans The 100 est celle des pionniers, et même si une civilisation d’ordre féodal s’est recréée sur Terre, elle est finalement elle aussi soumise aux lois de la Nature. Il n’est pas innocent, d’ailleurs, que tout se passe en forêt, lieu des mystères par excellence. Tout comme le traitement de cette colonisation par une série américaine fait penser férocement à une réflexion sur la vie des premiers colons débarqués du Mayflower au dix-septième siècle…
On se prend à réfléchir comme Clarke ou Bellamy, à se demander quelle décision on aurait prise à leur place. On cherche en nous-mêmes la réponse à cette question que posent souvent les premiers épisodes : « que sommes-nous ? » À quoi devons-nous accepter de renoncer pour survivre ?
Vous l’aurez compris, je suis devenu accro… Et dire que la saison 2 débute tout juste aux États-Unis !
Fils du Ciel, de David Wingrove
David Wingrove est britannique. Aussi, l’ambiance de Fils du Ciel est-elle extrêmement différente de cette « frontière sauvage » que décrit The 100.
Nous sommes ici dans le Vieux Monde, et le poids de la civilisation passée est beaucoup plus présent.
Dans Fils du Ciel, c’est la civilisation occidentale qui s’est effondrée à la suite d’un krach économique et boursier généralisé que le héros, Jake, au cœur du système, a été incapable de juguler. Il est précipité, à la faveur de flashbacks très bien pensés, depuis le sommet d’une société inégalitaire et financière ressemblant à une exagération de notre propre capitalisme, jusqu’à une vie réorganisée plus simple où les trésors ne sont plus des milliards virtuels côtés en bourse, mais un savon, un vieux disque des Stones, une pile électrique, un fusil, et plus encore les relations entre les survivants.
C’est cette vie simple que l’on découvre dans les premiers chapitres, d’ailleurs, et on est loin de se douter que Jake est si intimement mêlé à la fin du monde qu’il a connu et qu’il semble ne pas regretter du tout alors même qu’il en était l’un des privilégiés.
La vieille technologie est au mieux bricolable, au pire totalement inutile. Mais elle est omniprésente. Les références à l’ancienne société sont beaucoup plus fortes, car moins d’une génération est passée, et la Terre est toujours peuplée. C’est une civilisation qui se crée sur les ruines d’une ancienne en quelques décennies.
Cet Effondrement-là interroge plus sur ce qu’il y avait avant que sur ce que les humains deviennent ensuite. Il nous pousse à revoir nos priorités actuelles. La virtualisation de l’économie, sa gestion par informatique. Les relations internationales.
Mais aussi sur ce que nous considérons comme vraiment précieux dans notre vie. Des œuvres d’art, comme des disques ? Nos proches ? Notre confort ?
Au fil des pages, David Wingrove nous décrit aussi comment l’Effondrement s’est déroulé dans son monde.
Alors que dans The 100 cette question est très secondaire, voire totalement absente (on sait seulement que l’Humanité s’est déchirée dans une guerre), on assiste presque au spectacle dans Fils du Ciel, même si c’est toujours avec le filtre du flashback ou du discours indirect, comme pour atténuer son importance par rapport aux conséquences.
Cette dimension du « pourquoi ? » et du « comment ? » est en effet une question essentielle du livre, puisque la saga Zhongguo décrit la prise du pouvoir mondial par la Chine pendant de nombreuses années. On apprend donc dès ce tome-ci (mais très tard, presque trop tard, d’ailleurs) que c’est un dirigeant chinois qui, sciemment, a provoqué le krach et la chute de la civilisation occidentale, afin de gagner une guerre sans avoir besoin de combattants. On apprend aussi que la Chine s’est relevée plus forte de ce cataclysme économique, que sa technologie n’a pas régressé, mais progressé, et qu’elle conquiert peu à peu l’ancien monde morcelé en une multitude de baronnies pseudo-féodales.
On bascule dans la géopolitique-fiction et l’affrontement de deux pensées. De façon peu originale, David Wingrove oppose la pensée orientale et la pensée occidentale, pour nous montrer les salauds et les justes dans les deux systèmes. Pour débuter sans doute une grande fresque dans un paradigme politique, économique et de civilisation qui nous est en grande partie étranger, puisque déjà plusieurs tomes de cette saga ont été publiés.
J’avoue que j’ai été dérouté par le fait que ce que je pensais être un récit post-apocalyptique était en fait le prologue d’un cycle plus traditionnel. Dérouté aussi que ces révélations arrivent si tard dans le livre. Dérouté enfin de cette rencontre presque à la fin, où tout bascule.
Ces péripéties sont cependant pour David Wingrove l’occasion de nous poser encore la question centrale : « que devons-nous faire et accepter pour survivre ? »
Et comme son écriture est quand même assez efficace et plutôt bien traduite dans notre langue, je crois que je vais poursuivre au moins un livre de plus…