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Jodorowsky’s Dune, documentaire de Frank Pavich

Jodorowsky’s Dune, documentaire de Frank Pavich

Jodorowsky’s Dune, documentaire de Frank Pavich

Il en est de certains films comme de certaines œuvres mythiques : leur inexistence est plus puissante encore que leur réalité.

Ainsi, les textes perdus de Platon qui décrivaient l’Atlantide, les livres qui brûlèrent avec la Grande Bibliothèque d’Alexandrie, les codex aztèques ou mayas que les conquistadores ont détruits.
Ainsi, le film que Terry Gilliam n’a jamais pu achever sur Don Quichotte, qui donna naissance à Lost in la Mancha.
Ainsi, le film qu’Alejandro Jodorowsky n’a jamais tourné, celui qui s’inspirait du Dune de Frank Herbert.

Un cinéaste s’est intéressé à ce film, à sa préparation, à son histoire, dans un documentaire qui tente d’en transmettre l’esprit.

Le livre (lien vers Decitre, pour acheter en France…) de Frank Herbert est déjà en soi une œuvre culte.
Racontant une histoire se déroulant dans huit mille ans, il décrit un monde à la fois étrange et familier, avec un luxe de détails et une cohérence exceptionnelle. Il est surtout l’occasion pour son auteur de développer des thèses philosophiques, mystiques, politiques, qu’il ne fera que prolonger dans les autres livres du cycle.

L’histoire de Paul Atréides, rejeton du Duc Léto qui n’aurait jamais dû voir le jour puisque sa mère avait reçu l’ordre de son couvent Bene Gesserit de ne donner que des filles à son puissant époux, est une épopée à la fois intérieure et dramatique. Il y perce le secret de l’Épice, cette substance vitale pour la civilisation puisqu’elle permet le voyage interstellaire et développe les pouvoirs psychiques. Cette substance aussi précieuse que l’est le pétrole ou l’électricité pour notre civilisation, et qui ne se trouve que dans une seule planète dans tout l’univers, la désertique Dune, de son nom véritable Arrakis.

Couverture de l'édition Pocket française de Dune de Frank Herbert

Couverture de l’édition Pocket française de Dune de Frank Herbert

On comprend qu’une telle trame ait pu parler à Jodorowsky, sorte de chaman un peu échevelé pétri de légendes, de mystique, de substances psychoactives et de visions hallucinatoires.

Le moindre des attraits du documentaire est d’ailleurs de nous faire découvrir les films précédents de cet artiste à la fois cinéaste, dramaturge, scénariste et conteur. Une série de films étranges et kitsch à souhait.

À travers les entretiens avec toutes les personnes impliquées dans la préproduction du film : Jodorowsky lui-même, mais aussi son fils qui âgé d’à peine douze ans à l’époque devait jouer le rôle de Paul Atréides, son producteur, le français Michel Seydoux, le storyboarder, l’artiste conceptuel, le responsable des effets spéciaux, le documentaire nous fait toucher du doigt le processus délicat de la création d’un film.

Le storyboard de Dune couvre la totalité du film imaginé par Jodorowsky, et dessiné par Mœbius

Le storyboard de Dune couvre la totalité du film imaginé par Jodorowsky, et dessiné par Mœbius

Mais surtout, et c’est vraiment à mon sens l’intérêt majeur de ce documentaire, il nous montre ce que ce film mort-né aurait pu être : un monstre du cinéma. Une Œuvre fondatrice.

Jodorowsky avait convaincu des personnalités aussi dissemblables que Salvador Dali ou Mike Jagger d’interpréter des rôles aussi importants que l’Empereur Padishah Shaddam IV et le dérangé Feyd Gauta. Orson Welles lui-même devait apparaître.
H.R. Giger, le créateur cauchemardesque des monstres et des décors d’Alien et de Prometheus, devait superviser de nombreux concepts, tout comme Mœbius/Jean Giraud.

Le décor imaginé par Giger pour le palais du Baron Harkonen dans Dune de Jodorowsky

Le décor imaginé par Giger pour le palais du Baron Harkonen dans Dune de Jodorowsky

Les plans prévus ne furent pour certains vraiment tournés pour la première fois que dans des films ultérieurs, considérés à leur époque comme des jalons dans l’histoire du cinéma pour leur audace visuelle.
Il donna naissance à des plans de Star Wars, par exemple, comme la très fameuse contre-plongée fixe avec le destroyer impérial avançant vers le centre du cadre.

Concept-art pour la scène d'ouverture du Dune de Jodorowsky

Concept-art pour la scène d’ouverture du Dune de Jodorowsky

Le fait que ce film n’ait jamais vu le jour, mais ait infusé ses idées, ses solutions, ses audaces techniques comme scénaristiques dans d’autres en fait une matrice, une source d’inspiration d’autant plus infinie qu’elle n’est pas fixée. Car le film n’existera jamais tel qu’il fut pensé, et chacun peut donc se le construire à son idée, à son image. D’où sa puissance.

On sait ce qu’il advint ensuite des droits cinématographiques. Ce fut David Lynch qui reprit le flambeau, avec une tout autre vision, qui pour ma part reste tout de même une réussite, car on y retrouve quelques-unes de ses obsessions. Je n’ignore pas que les Lynchiens considèrent ce film comme étant la tâche dans la filmographie du Maître, mais je ne partage pas leur opinion.

L'affiche française du Dune de Lynch

L’affiche française du Dune de Lynch

En achevant la projection du documentaire, une fois la dernière image éteinte, je me suis senti empli à nouveau d’une énergie créatrice débordante. La volonté inébranlable de Jodorosky d’aller au bout de ses idées, de ne pas s’arrêter à l’échec qu’il put ressentir lorsque les studios lui refusèrent un budget pour tourner, la force de sa vision, m’ont rempli de confiance.
Cette volonté d’aller au bout de son projet sans se préoccuper des obstacles dont fit preuve Jodorowsky m’a ramené quelques années en arrière.
Certains de mes amis l’avaient baptisée en se moquant gentiment de ma confiance inébranlable : la Phœnix Attitude.

En y réfléchissant à nouveau, je me rends compte que, loin d’être une inconscience désinvolte, cette attitude est le cœur même de la création artistique. Certes, nous pouvons tous traverser des périodes de doute, penser que ce qui est sorti de tant d’heures de travail ne vaut finalement rien, n’a pas la qualité recherchée, ne plaira pas, ne nous plaît pas, sur le moment. Mais tous ceux qui créent, artisans ou artistes, ont en commun l’incroyable ténacité dont fit preuve Jodorowsky. Ils décident simplement d’entrer dans un état de conscience modifié, une autohypnose qui met volontairement de côté toutes les perceptions liées à l’échec potentiel de leur travail. Et ils avancent, armés de leur confiance, de leur culot parfois (et il en fallut pour aborder Mike Jagger ou pour traiter avec Dali).

Je n’ai pas fini de méditer sur ce film…

" A beginning is a very delicate time... ", image du prologue du Dune de David Lynch

” A beginning is a very delicate time… “, image du prologue du Dune de David Lynch

Et si vous voulez en savoir plus, à part le voir à votre tour, vous pouvez faire un tour sur la série d’articles que lui a consacré Emmanuel Gouvernaire sur son blog.

I Origins, de Mike Cahill

I Origins, de Mike Cahill

I Origins, de Mike Cahill

Puisque c’est actuellement la période où Cannes palpite au rythme du cinéma, je tente de me mettre au diapason, avec mon festival personnel. Et je commence par ma palme d’or.

Il y a parfois des films qui marquent plus que les autres. Des films qui déclenchent chez le spectateur un état indéterminé entre l’admiration, la réflexion, la frustration, et l’émotion pure, comme s’ils avaient le pouvoir de le sortir du déterminisme pour le plonger dans un état quantique : à la fois onde et particule, à la fois bon et mauvais. Comme si ces films étaient capables de nous ouvrir sur la vie elle-même : ses hésitations, sa beauté, sa cruauté, sa complexité. Le tout mélangé selon des proportions infiniment précises mais en même temps absolument impossible à reproduire autrement.

C’est un de ces moments que j’ai vécu en visionnant I Origins, de l’américain Mike Cahill (Another Earth, que je vais m’empresser de voir…), un film qui possède l’un des titres les mieux trouvés de la production actuelle, le « je » anglais faisant aussi jeu de mots avec le terme qui désigne l’œil. Et ce « Eye Origins » n’est pas gratuit.

On commence par une chronique sentimentale assez banale, très contemporaine cependant. Un chercheur en biologie moléculaire, idéaliste et un peu trop rationaliste comme j’ai pu en côtoyer dans mes jeunes années, vivant une post-adolescence en 2.0 tout en beuveries, textos et grandes discussions sur le monde.

Le grand projet de Ian (Michael Pitt) est de trouver l’enchaînement de mutations qui donna naissance à l’œil humain à travers le génome des organismes inférieurs, espérant in fine reconstruire un organe entier depuis un simple enchaînement de bases nucléotidiques.

Sa vie télescope littéralement celle de son antithèse : une jeune femme fantasque prénommée Sofi (Astrid Bergès-Frisbey), bouddhiste, magicienne, artiste, bohème, un tantinet déjantée. Il est tombé sous le charme de ses yeux, des yeux aux couleurs inhabituelles qui éclatent sur l’affiche du film en une évocation du cratère éteint du supervolcan de Yellowstone.

On s’attend à ce qui se déroule alors sous nos yeux (sans jeux de mots) : une idylle passionnée entre les deux contraires qui s’attirent et se repoussent à la fois, une passion dévorante, fusionnelle, un brin immature.

La réalisation nous fait revivre nos premières amours, leurs excès et leurs interrogations, leurs craintes et leurs espoirs.

Mais l’histoire d’amour est tragiquement interrompue, dans une scène choquante qui fait basculer Ian dans l’âge adulte à travers les affres de la dépression et de la culpabilité. Il se rapprochera de plus en plus de son étudiante en thèse, Karen, et se laissera happer par la science, par sa rage de maîtriser le vivant, refoulant les idées fantaisistes de Sofi comme autant de rêves enfantins.

Et c’est un deuxième choc quand ses travaux débouchent sur la découverte que d’autres ont pressenti avant lui, une découverte qui va le confronter à ce côté de la vie, du monde et de lui-même qu’il n’ose plus regarder en face sans parvenir à l’effacer totalement de son existence. Car il y a un malaise, un conflit en lui. L’adulte n’a pas totalement renoncé aux rêves de celle qui reste la femme de sa vie. Son esprit n’a pas totalement écarté son ancien amour.

Ce sera la science qui finira par le ramener vers Sofi, d’une manière si inattendue, comme la vie sait parfois le faire.

Il se verra confronté au choix de changer ou non sa façon de voir le monde. Voir. Avec les yeux de Sofi ou à travers la science seulement.

Les couleurs, les sons, le jeu des acteurs, happent dans cette histoire initiatique qui cherche à réconcilier les deux mondes qui habitent notre Terre : le cartésianisme et la croyance, dans un fantastique sans effet spécial tapageur, sans explosion et sans superhéros. La beauté simple des révélations et de leurs implications, les images crues parfois, les couleurs étranges et captivantes des yeux de Sofi, sont autant de touches qui vont droit au cœur en empruntant la voie des miroirs de l’âme.

C’est une belle fable qui pourtant n’évacue pas la cruauté ni la crudité de ce qui fait la vie.

Bien sûr il y a quelques bémols : Michael Pitt âgé n’est pas très crédible physiquement, et le déroulement de l’intrigue est assez prévisible. Mais cela reste du détail, et pour tout dire, le fait que la trame coule de source n’est peut-être pas un mal. Cela donne sans doute au film une impression de naturel, comme si cette histoire était aussi fluide que le courant d’un fleuve de vie.

J’ai gardé une impression très forte, le film m’ayant laissé silencieux quelques minutes, ce qui est assez rare chez moi.

La bande-annonce en dévoile un peu trop à mon goût, comme hélas beaucoup de celles qui sont montées actuellement dans l’idée de résumer le film plutôt que de suggérer une ambiance.

Pour ceux d’entre vous qui désireraient cependant en voir quelques images :

L’océan au bout du chemin, de Neil Gaiman

L’océan au bout du chemin, de Neil Gaiman

L’océan au bout du chemin, de Neil Gaiman

Les artistes qui ont la capacité de garder en eux leur enfance jusqu’à la réintroduire de façon crédible et réussie dans leur œuvre sont peu nombreux, finalement. Le cinéma a Tim Burton. La littérature fantastique a Neil Gaiman.

Si c’est le film d’animation 3D tiré de son livre, Coraline, qui a fait connaître au grand public français son univers si personnel mêlant conte pour enfants, merveilleux et fantastique, l’homme était déjà un maître dans l’art de décrire le basculement du réel avec Neverwhere, pour ne citer que le plus connu de ses romans. Il est aussi un monument dans l’univers des comics avec ses séries Sandman et Death. Il est le coauteur, avec le regretté Terry Pratchett, de l’excellent De bons présages (Good Omens en anglais), où son don pour le fantastique se conjuguait avec celui du démiurge du Disque-Monde pour la dérision en une parfaite relecture de l’Apocalypse.

D’ailleurs, si vous avez suivit mes précédentes explorations des thèmes bibliques au cinéma (ici ou ici plus récemment) ou en série, précipitez-vous sur Good Omens, qui est la quintessence de ce qui s’est fait de mieux dans le genre : un ange et un démon sont obligés de collaborer pour retrouver l’Antéchrist, malencontreusement perdu puisqu’échangé dans une maternité à la naissance.

Avec son dernier ouvrage, L’océan au bout du chemin, Neil Gaiman renoue avec Neverwhere où il était question de mythes arthuriens, puisqu’il nous entraîne dans une version moderne du vieux thème des Sidhe celtes et du passage vers un autre monde dans la plus pure tradition gaélique ou galloise. Mais cette fois-ci, c’est un enfant qui découvre ce qui se cache derrière la réalité.

Le pitch : alors qu’il revient d’un enterrement, le narrateur se retrouve presque malgré lui dans le village où il vécut enfant, et se remémore un épisode fondateur, quand sa voisine, la très jeune et très vieille Lettie Hempstock, lui révéla que la mare dans la ferme au bout du chemin était en fait un véritable océan.

La couverture de l'édition française parue Au Diable Vauvert

La couverture de l’édition française parue Au Diable Vauvert

Ce point de départ ouvre un texte assez court, mais profondément marquant par la simplicité de l’écriture et sa puissance d’évocation. Je ne sais si la version française de Patrick Marcel a amplifié ce sentiment, mais la lecture est à la fois fluide et « absorbante ». La langue est volontairement enfantine, les phrases sont simples, sans fioritures. Et c’est justement ce qui provoque la puissance des images, des sons, des odeurs, même. En juxtaposant dans un même souffle et une même phrase une idée réelle et un événement fantastique, Neil Gaiman fait entrer le rêve (ou le cauchemar) dans la texture même du récit, et ce faisant dans le tissu même du monde vu par son héros.
C’est donc peu de dire que l’écriture y est finement ciselée, précisément pensée, et pourtant d’une fluidité désarmante, avec un caractère enfantin parfaitement rendu.

Et pourtant, ce n’est pas la seule qualité de ce voyage.

Car c’est surtout en revisitant nombre de principes des vieux contes celtes qu’il parvient à nous entraîner.

Les lecteurs anglo-saxons y auront peut-être été plus sensibles que nous, qui avons perdu beaucoup de cette tradition et de ces motifs narratifs.

Pourtant, c’est bien à la triple Déesse celte que les trois femmes de la famille Hempstock font pour moi référence. Lettie comme figure de la Vierge printanière, sa mère Ginnie comme celle de la Mère Universelle, et la Vieille Madame Hempstock, la grand-mère, comme celle de la « Crone », la Vieille Femme aux pouvoirs mystérieux, un peu sèche et cruelle qui a vécu le passage du temps et a acquis la sagesse que donne la proximité de la mort.

C’est bien au vieux principe de la magie celte faite d’illusions, le Glamour (ça ne vous rappelle rien ?), que les trois femmes Hempstock font appel à plusieurs reprises pour cacher la véritable nature des choses aux simples Mortels, depuis la configuration de leur maison, les phases de la lune, les vêtements prêtés au narrateur, jusqu’à leur propre apparence.

C’est bien aux animaux psychopompes de Morrigan, les corbeaux, que Neil Gaiman fait appel pour matérialiser les entités qui nettoient le réel des créatures qui n’ont pas le droit d’y séjourner.

Pour qui est familier des contes irlandais, ou des vieux mythes préarthuriens, le mélange apparaît comme familier et très moderne à la fois.

Car Neil Gaiman y insère ses propres créations. Je pense surtout à Ursula Monkton, et à l’obsession de l’auteur pour les êtres nées de l’assemblage de tissus, de boutons et de chiffons. On y retrouve l’imaginaire de Coraline.
Le thème même du récit : un enfant confronté à ce que les adultes ne peuvent ou ne veulent voir, prolonge cette parenté avec le film d’animation.

Pourtant le livre va plus loin, et les dernières pages sont encore plus belles, qui nous livrent une certaine philosophie de l’enfance et des souvenirs que les adultes en gardent, de la vie, du recommencement, du rêve et du réel.

À n’en pas douter, L’océan au bout du chemin est une petite perle de poésie.

Deux séries sur un thème : Anges et Démons

Deux séries sur un thème : Anges et Démons

Deux séries sur un thème : Anges et Démons

Dans le même esprit que la comparaison entre deux (ou trois) films sur un thème, il peut être intéressant de mettre face à face deux séries traitant d’un même sujet, afin d’y chercher quelques bonnes ou mauvaises idées.

Sur ma lancée après Horns, j’ai donc décidé de parler ici des Anges (et des Démons) dans Carnivàle (connue en France sous le nom de Caravane de l’étrange) et Dominion.

Les deux séries sont assez éloignées dans le temps comme dans leur traitement, et c’est justement ce qui à mon avis rend la comparaison intéressante.

Carnivàle, ou comment se perdre dans la narration

S’étalant sur deux saisons de 2003 à 2005, Carnivàle est une série très prometteuse sur le papier. Nous sommes durant le Dust Bowl des années trente aux États-Unis, et le jeune Ben Hawkins perd sa mère en même temps que ses terres à cause de la famine et de la Grande Dépression. Il croise alors la route d’une étrange caravane de forains menée par un nain énigmatique, dans laquelle il s’engage autant pour gagner sa vie que pour échapper aux forces de l’ordre.
Il y rencontrera des marginaux possédant parfois des talents inhabituels, pour ne pas dire des pouvoirs mystiques : un prestidigitateur aveugle, une diseuse de bonne aventure mutique et tétraplégique qui communique à sa fille ses prémonitions par télépathie, et par-dessus tout, le « Patron », de la caravane, son véritable guide, n’apparaissant jamais car affligé d’une infirmité ou d’une blessure, et dont le nain Samson n’est que l’exécuteur frustré.
Parallèlement à la découverte des pouvoirs de résurrection et de guérison qu’il possède depuis longtemps, cause du rejet de sa mère, la série s’intéresse à des centaines de kilomètres de là au destin d’un pasteur, le Frère Justin Crowe, en proie à des visions mystiques tout droit sorties de l’Ancien Testament, qui sera lui aussi peu à peu le réceptacle de pouvoirs miraculeux.

La série va progressivement glisser vers un fantastique biblique comparant la Grande Dépression à une Apocalypse transposée dans l’Amérique profonde. Vont s’y opposer Ben avec son pouvoir pas si bénéfique que cela (le vieux principe magique d’un échange d’énergie ou de « une vie contre une vie » étant le prix de la guérison, voire de la résurrection) et Justin accomplissant des prodiges dignes de Moïse et de ses Sept Plaies d’Égypte (hallucinations imposées aux mécréants, par exemple) mais aux prises avec des pulsions intérieures très sombres (inceste avec sa sœur, sadomasochisme avec ses servantes, meurtre, soif de sang). Cet univers un peu glauque et poisseux devient très intéressant par sa proposition de brouiller les cartes du manichéisme classique : on en vient rapidement à se demander quel côté est celui des Anges, quel côté celui des Anges Déchus. On pense à l’opposition cathare entre le Dieu du Nouveau Testament (Ben, la guérison genre « Lève-toi et marche ») et le Dieu de l’Ancien Testament, plus sombre car maléfique (Justin et « Œil pour Œil »). Entre les Anges menés par Michaël et les Anges Déchus tombés sur Terre à la suite de la rébellion de Lucifer, le plus beau d’entre les Archanges de Dieu dans la tradition biblique.

Malheureusement, pour se rendre compte de tout cela, il faut arriver au bout de deux saisons très décousues et marquées par des épisodes plats, sans aucun intérêt, noyant d’autres épisodes parfaitement captivants.

Sous prétexte de dévider la progression initiatique de son personnage principal (Ben), Daniel Knauf, le créateur de la série, s’enlise dans des digressions qui n’apportent rien d’autre que de l’ennui. Les relations entre les personnages pourraient être passionnantes (la faune de la Caravane étant très riche en personnalités hautes en couleur, rappelant le Freaks de Tod Browning), mais tournent vite en rond, sans que l’on comprenne bien où le scénariste voulait en venir.

Quant à la méta-intrigue qui devait courir sur pas moins de six saisons, elle fait du sur-place.

La réalisation est pourtant relativement soignée.

Les derniers épisodes sont les plus intéressants, paradoxalement, parce que l’arrêt programmé de la série par HBO pour cause de mauvaise audience et de mauvaises critiques imposait de tomber sur une fin plus ou moins satisfaisante. On assiste d’ailleurs plutôt à un twist final qu’à une véritable fin, qui laisse un goût amer d’inachevé au téléspectateur.

Reste que la série est un bijou documentaire sur la vie dans l’Amérique de la Grande Dépression, et parvient à installer une ambiance très particulière. On doit aussi reconnaître que les idées qui semblent sous-tendre sa mythologie sont très séduisantes, et auraient pu faire une très bonne intrigue si elles avaient été bien exploitées.

Dominion, ou quand la Colère de Dieu manque de souffle

Dominion nous amène dans un futur où, après la disparition soudaine et inexpliquée de Dieu, les Anges inférieurs menés par l’Archange Gabriel rendent l’Humanité responsable de ce désastre, et décident d’éradiquer cette plaie ouverte de la surface de la Terre. Michaël décide de se ranger du côté des Humains, tandis que les autres Anges Supérieurs restent neutres.

La série fait directement suite au film Légion qui raconte l’invasion des Anges.

Dans la série, une prophétie proclame qu’un humain deviendra l’Élu, capable de mettre fin à la guerre que se livrent les Créatures de Dieu. Ce pourrait bien être Alex, un jeune soldat de la garde angélique formée par Michaël dans la cité fortifiée de Vega, qui fut Las Vegas.
Autour de lui se nouent les intrigues entre des Anges infiltrés, des luttes de pouvoir, des opportunismes politiques, et d’inévitables rivalités amoureuses.
Il progressera cependant vers la compréhension des factions en présence et prendra peu à peu conscience de sa destinée.

Nous sommes là dans un registre tout à fait différent : le post-apocalyptique. La question centrale est : que reste-t-il si Dieu nous abandonne et que les Anges se tournent contre l’Humanité ? Que devient la religion ? Que deviennent les valeurs de l’Humanité (la série est américaine, bien sûr, ce qui explique la relation faite entre valeurs morales et religion) ?

On pense inévitablement à The 100 et à sa capacité à nous plonger dans un suspense et des interrogations morales sans cesse renouvelées. Mais ce qui aurait pu être une excellente idée de départ manque sur la durée du souffle épique que l’on attendrait d’un thème biblique. Les hésitations du jeune Alex sont presque irritantes.

La réalisation est cette fois très poussée, avec des décors, des effets spéciaux (les ailes des anges sont fantastiques), bref, des moyens.

Mais là encore la construction de la série est peu convaincante. Elle hésite constamment entre l’intrigue ésotérique assumée et les déchirements internes du personnage principal. Elle souffre aussi d’une impression tenace d’amateurisme, malgré un casting plutôt réussi, et quelques décors soignés. On n’y croit pas vraiment.

Les images de synthèse sont inégales, ce qui contribue peut-être à l’échec relatif de cette première saison.

La deuxième saura peut-être aller plus loin dans l’intrigue en reprenant des bases de réalisation plus cohérentes, et en assumant une direction claire dans son approche.

Ce que pourrait être une série biblique réussie

La comparaison entre les deux séries est difficile, puisqu’elles attaquent un angle différent de la question des Anges et des Démons. Mais toutes deux s’échouent sur des écueils qui les font sombrer hélas dans la catégorie des séries médiocres ou des bonnes idées gâchées.

Aucune des deux ne parvient à réunir scénario efficace et fouillé, personnages attachants et éclatants, réalisation soignée, et souffle épique.

Et pourtant la relation si particulière que les êtres angéliques sont censés entretenir avec à la fois leur Créateur, les Humains, et la Création pourrait donner lieu à une véritable série d’anthologie.

La base du scénario, comme les deux séries l’ont proposé, pourrait être le parcours initiatique d’un héros ou d’une héroïne découvrant sa véritable nature. Il ou elle serait confronté à la fois à des pouvoirs déroutants, mais aussi à des choix moraux non pas basés sur une opposition entre le Bien et le Mal, mais entre le Bien, le Mal, et l’Humanité. L’opposition avec les Anges Déchus, mais aussi la relation trouble que ces derniers entretiennent avec l’Humanité, pourrait être un bon ressort. N’oublions pas que Lucifer serait censé être entré en rébellion contre Dieu pour conquérir sa propre liberté. N’oublions pas qu’il est devenu le Tentateur, c’est-à-dire celui qui laisse le choix. La lutte devrait être intime, mais également cosmique, car si les enjeux personnels sont forts, les enjeux universels sont évidents lorsqu’il s’agit de Bien et de Mal.

En réfléchissant, je prendrais bien comme exemple de ces oppositions tripartite un film espagnol, Sin Noticias de Dios (en français Sans nouvelles de Dieu), avec Gael Cargia Bernal en Lucifer, Fanny Ardant en Archange, Victoria Abril en Ange et Penelope Cruz en Démon. Un film jouissif sans beaucoup d’effets spéciaux, et où l’enjeu entre l’Ange et le Démon, depuis que Dieu a disparu (tiens, comme dans Dominion…), est de savoir qui va remporter la « guerre » entre Ciel et Enfer. Or, c’est le destin d’une seule âme, celle du boxeur Manni, qui va décider de la victoire finale de l’Enfer (surpeuplé), ou de la résistance renouvelée du Ciel (dont si peu d’âmes sont dignes qu’il est devenu un désert déprimant).

Ici pas d’images de synthèse, mais un simple jeu de couleurs et de langages : l’Enfer est filmé en couleurs chaudes au Mexique et les personnages y parlent anglais, le Paradis est filmé en couleurs froides à Paris et les personnages y parlent français, la Terre est filmée en Espagne avec une balance classique et les personnages y parlent bien sûr espagnol, quand enfin le Purgatoire est filmé avec une saturation de blanc avec des dialogues en latin.

C’est une comédie, mais les enjeux impliquent vraiment tout l’éventail des rapports entre anges, démons, et humains. Tentation, pouvoir, fascination, amour, rancune, envie.

Une série qui reprendrait certaines de ces idées en les remettant au goût du jour aurait à mon avis un bel avenir devant elle…

Si des réalisateurs me lisent : n’hésitez pas, lâchez-vous !

Allez, je ne résiste pas au plaisir de vous lâcher la bande-annonce. Et si vous voyez le film, ne manquez pas le plus beau strip-tease de l’histoire du cinéma, celui fait à l’envers (en se rhabillant donc) par Penelope Cruz… Vous n’écouterez plus Kung Fu Fighting de la même façon ensuite…

Et si les Anges avaient le choix ?

Mon deuxième roman, Le Choix des Anges, traite justement de du Bien, du Mal et du chemin qui mène à l’un ou à autre, ou à l’un et à l’autre.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Horns, d’Alexandre Aja

Horns, d’Alexandre Aja

Horns, d’Alexandre Aja

La dualité portée par le thème de l’Ange et du Démon est un classique du fantastique. Elle porte souvent la problématique de la connaissance et du choix entre le Bien et le Mal, l’Idéal et les Instincts.

Je ne suis pas un grand amateur des films d’Alexandre Aja (La colline a des yeux, Mirrors, Haute tension), dont le fantastique tourne trop souvent à mon goût vers l’horrifique facile, mais je me suis laissé attirer par l’affiche du dernier en date, Horns, dont l’esthétique semblait plus se rapprocher d’un Pan’s Labyrinth (Guillermo del Toro) que d’un Saw.
Je dois avouer aussi que le fait d’y trouver Daniel « Harry Potter » Radcliffe affublé de cornes de bélier à la manière d’un faune en t-shirt et blouson de cuir m’a vraiment intrigué.

L'affiche de Horns

L’affiche de Horns

Le pitch est extrêmement simple, et très attirant : accusé du viol et du meurtre de sa petite amie Merrin Williams (Juno Temple), Ignatius « Ig » Perrish (Daniel Radcliffe), rongé par cette disparition, remarque dès le lendemain que des cornes poussent inexplicablement et très rapidement sur son crâne. En sa présence, désormais, les habitants de sa petite ville ne peuvent plus s’empêcher de confesser et de se laisser aller à leurs penchants les plus inavouables. Il va se servir de ce pouvoir pour découvrir qui lui a enlevé l’amour de sa vie.

L’intrigue hésite ensuite entre plusieurs genres et plusieurs thèmes : la fable merveilleuse, la bluette mélodramatique (une révélation très prévisible sur la défunte Merrin), l’étude de mœurs, le conte fantastique noir. À vrai dire, on a parfois du mal à s’y retrouver tant le film prétend explorer d’angles différents.

Mais l’intérêt réside véritablement ailleurs.

L’ambiance qu’installe la caméra d’Aja est pour moi le premier et le plus important. Toutes proportions gardées, on se retrouve un peu dans un « Twin Peaks biblique » : les personnages secondaires déjantés et cachant des secrets sombres et décalés, la figure angélique de la jeune fille assassinée après avoir été violée, les décors du nord-ouest des États Unis (forêt mystérieuse, petite ville, climat océanique), et ce fantastique d’abord insidieux puis progressivement de plus en plus prégnant. La musique est également très présente, ce qui renforce l’analogie avec la série culte de Lynch.

Cette caméra joue aussi avec le thème de la dualité : le mouvement de panoramique/plongée du début du film entre le plan du paradis perdu (couleurs chaudes, Ig et Merrin près de l’Arbre comme Adam et Ève, allongés l’un près de l’autre têtes bêches, leurs visages inversés comme des figures de tarot divinatoire) et celui de l’enfer (Ig étendu au sol, avec la gueule de bois après s’être saoulé pour oublier la mort de sa bien-aimée) est une véritable réussite à la fois sur le plan esthétique que sur le plan symbolique de la descente aux enfers. On retrouve à plusieurs reprises ces brusques transitions de plans comme autant de ruptures dans le réel, d’intrusions du Mal dans la réalité, ou de flash-back dans le présent, venant à la fois éclairer les événements et les assombrir de leurs révélations crues. Aja use aussi des symboles et les détourne : les serpents qui s’enroulent autour d’un bras ou d’un bâton, les talismans protecteurs.

Ensuite, la qualité esthétique des décors, des costumes, le soin pris dans la gestion des couleurs, font que l’esprit s’attache immédiatement à cet univers à la fois intrigant et dérangeant.

Enfin, voir Daniel Radcliffe parvenir à effacer l’image du petit sorcier de Privet Drive qui aurait pu lui coller à la peau pour endosser celle d’un jeune adulte torturé et lui-même possédé par l’ivresse du pouvoir comme par une culpabilité et une violence ambiguës n’est pas le moindre des plaisirs. Il devient rapidement très crédible, et parfaitement à l’aise dans ce jeu à contre-courant de ce que l’on connaissait de lui après la saga adaptée de J.K. Rowlings.

Ainsi, malgré une intrigue parfois prévisible et un éclairage trop hésitant, malgré une fin un peu trop grand guignol ou le manque de constance dans l’angle d’approche, Horns reste pour moi une réussite en matière de mélange entre film noir, conte fantastique, et éléments bibliques.

Toutes choses qui, justement, sont les ingrédients de base de ce qui occupe actuellement mon écriture.