Fée du Logis, Chapitre I

Fée du Logis, Chapitre I

Fée du Logis, Chapitre I

Je vous présente ici le premier chapitre d’une histoire dont je vous ai déjà parlé. Fée du Logis est issue d’un rêve que j’ai fait il y a quelques mois, et qui m’a suffisamment marqué pour me donner une envie irrépressible de l’écrire. Une envie, ou même un besoin, tels que j’ai encore interrompu mes autres projets, pourtant nombreux et pourtant plus avancés, plus anciens ou plus attendus (essentiellement par ma femme).

Si je vous livre aujourd’hui cette première partie, c’est que j’avais aussi envie de la partager, car elle me fait découvrir un monde que je ne connaissais pas auparavant en écriture : le quotidien de notre époque. J’ai plus l’habitude de plonger mon encre dans des univers imaginaires de science-fiction ou de fantasy. Cette fois-ci, le décor est très différent, puisqu’il s’agit d’une histoire contemporaine. Je m’aventure donc dans des parages dont Mlle N. est plus coutumière.

Enfin, il s’agira aussi pour moi d’un aiguillon pour ne pas trop traîner, cette fois, à écrire le mot « fin » d’une histoire.

N’hésitez pas à me donner vos avis dans les commentaires…


L’agent immobilier l’attendait près de la porte de bois, sanglé dans son costume un peu trop strict, aussi emprunté que s’il avait enfilé une armure médiévale. Un beau jeune homme d’environ vingt-deux à vingt-cinq ans, à la coupe de cheveux impeccablement maîtrisée et rasé de près comme il se doit. Son regard marron perdu dans la rédaction d’un message sur son smartphone.

Il rangea prestement l’objet dans la poche intérieure de sa veste en voyant soudain Alice venir vers lui, comme pris en faute. Il lui tendit aussitôt sa main pour s’incliner un peu maladroitement vers elle et esquisser un baise-main suranné. Elle en fut malgré elle flattée et agréablement surprise. Elle était bien placée pour savoir que les jeunes de sa génération n’avaient pas la moindre éducation, en général. Celui-ci semblait faire exception à la règle. Même son parfum semblait avoir été choisi avec goût. Elle se surprit à le regarder avec un peu plus d’intérêt. Elle n’avait pas à faire à quelqu’un d’ordinaire. On l’avait prise au sérieux, cette fois-ci. Cela faisait déjà deux jours qu’elle courrait d’agence en agence, d’appartement en appartement. Deux jours qu’elle repartait déçue de ses visites, déçue des lieux dont on lui vantait un peu trop de mérites, déçue des agents trop obséquieux ou trop désinvoltes. Deux jours qu’elle perdait un temps précieux.

C’était le dernier appartement qu’elle avait prévu de visiter avant de se résoudre à rentrer à Paris sans avoir trouvé de point de chute. La dernière agence à laquelle elle avait décidé de faire confiance avant de s’en remettre à la solution d’un hôtel loué pendant deux ou trois mois, le temps de prendre ses marques.

– Mme Daimiault ? Je suis Marc, nous nous sommes parlé au téléphone ce matin. J’espère que vous avez trouvé facilement.
– Très facilement. Les points de repère sont assez simples. Le Musée des Augustins, la Place Saint Georges… même sans connaître Toulouse il serait difficile de se perdre.
– L’appartement dont je vous ai parlé se trouve au deuxième étage. Je vous précède ?

Il ouvrit la porte après avoir donné un tour de clef et ils pénétrèrent sous un porche renaissance dont les arches donnaient sur une cour pavée cernée de balcons, de fenêtres à meneaux et même d’un escalier en colimaçon de pierre qui rappelait celui du château de Blois, avec ses salamandres et ses gargouilles. Tout cela enchâssé dans un écrin de briques récemment débarrassées de leur gangue de pollution, qui donnait à l’endroit une ambiance vénitienne surprenante.

Marc se dirigea sans ralentir vers l’arche qui s’ouvrait sous l’escalier.

– J’espère que le lieu ne vous semble pas trop ancien. Vous aviez bien insisté pour voir des biens avec beaucoup de charme, alors je me suis dit que ce serait peut-être quelque chose qui pourrait convenir. Les propriétaires actuels n’ont, hélas, pas pris grand soin de l’appartement qui leur est tombé en héritage, et seraient heureux de le vendre à quelqu’un qui saurait lui rendre son lustre d’antan. J’ai cru comprendre que vous recherchiez quelque chose dans ce goût-là.
– Pour le moment en tous les cas, vous avez vu juste, Marc. Je ne savais pas que votre ville recelait de telles merveilles architecturales.
– Et pourtant le centre-ville en est rempli. Vous savez, Toulouse a été une ville riche, à la Renaissance. Ah, faites attention, certaines marches peuvent être glissantes, parfois.

L’escalier s’élançait dans le sens antihoraire, ce qui était inhabituel, Alice le savait. Il était largement ouvert sur la cour dont il donnait un point de vue plus enchanteur encore que depuis l’entrée, avec la fontaine de pierre dont l’eau gargouillait agréablement. La lumière orangée du soir d’été qui étendait ses ombres sur la ville donnait une touche plus irréelle encore au tableau. Au fur et à mesure qu’elle en gravissait les marches, Alice se sentait conquise par l’ambiance. La curiosité de ce qui l’attendait dans l’appartement commençait à devenir presque insoutenable. Elle savait que la déception serait véritablement de taille si le lieu devait être inférieur à ce qu’elle commençait à imaginer.

Parvenus au deuxième étage, sur le balcon qui courrait sur tout le long de la cour, abrité par un toit de tuiles soutenu par des colonnes et des arches de style roman, ils firent une pause, le temps que Marc tourne une autre clef dans la serrure d’une autre porte de bois aux ferronneries manifestement très anciennes. Les gonds étaient travaillés de motifs floraux et le heurtoir représentait une figure mythologique, probablement un hippogriffe si elle ne se trompait pas.

Marc la précéda et manœuvra l’interrupteur électrique. Une lumière chiche mais crue dévoila un vaste couloir qui servait de vestibule d’entrée à l’appartement. Elle fit un pas à sa suite, et s’immobilisa aussitôt. C’était là. C’était l’endroit dont elle n’avait pas même osé rêver pour la nouvelle vie qui allait s’ouvrir pour elle et qu’elle redoutait tant.

Les murs, dont les tapisseries dix neuvième étaient déchirées à de larges endroits, étaient soulignés de moulures en plâtre ou en boiseries qui semblaient bien antérieurs à cette époque-là. Les couleurs des peintures étaient ternies, écaillées, le bois était vermoulu du plancher au plafond où des morceaux entiers s’étaient effondrés au sol. Les vitres étaient de verre piqué, parfois brisé, parfois rayé. Il n’y avait aucun meuble dans le vestibule. Mais quelque chose semblait émaner de cet endroit. Quelque chose qui attirait irrésistiblement Alice. Elle se sentait bien dans ce lieu. Elle s’y sentirait bien, elle en avait l’intime conviction. Même pour affronter ce qui allait bientôt être une vie remplie d’épreuves.

Elle finit par suivre Marc qui ouvrait les volets de bois décrépis d’un salon immense au parquet de marqueterie et où trônait une cheminée de pierres et de briques. L’impression d’espace était incroyable, celle d’être revenu quelques siècles en arrière plus encore.

Prenant son silence pour du désappointement, Marc tenta de la rassurer.

– Malgré l’état dans lequel vous le voyez, c’est un immeuble sain. La copropriété suit très sérieusement la solidité des fondations et mandate très régulièrement une société spécialisée qui garantit que la bâtisse dans son ensemble reste conforme aux normes d’habitabilité les plus strictes. Les Bâtiments de France ne permettraient de toute façon pas que l’on badine avec la sécurité ou que l’intégrité du bâtiment puisse être mise en cause.

Alice ne l’écoutait même plus. Elle parcourait les pièces les unes après les autres, tournant les poignées de porte en porcelaine désuètes, admirant les lucarnes percées au deuxième étage, touchant du bout des doigts les fresques défraîchies. Cuisine à l’évier blanc rempli de poussière, baignoire sur pieds à l’émail écaillé, compteur électrique d’un autre âge, chambres de bonnes minuscules, pièces privées des maîtres de maison aussi grandes que des séjours, tout était délicieusement décalé à l’époque d’internet et des réseaux sociaux.

Mais c’est en découvrant la fresque peinte au-dessus d’une petite cheminée qu’elle sut avec certitude qu’elle allait signer le compromis de vente. Elle avait au départ pensé que c’était un véritable tableau, mais en s’approchant elle avait réalisé son erreur. La peinture avait été tracée à même le mur, et si ses cours d’histoire de l’art ne la trompaient pas, l’artiste qui l’avait réalisée avait vécu cinq siècles auparavant, car, elle en était persuadée, le dessin datait de la même époque que la bâtisse elle-même. Elle se trouvait devant une peinture exécutée pendant la Renaissance, par une main experte qui avait déjà intégré les techniques novatrices à l’époque de la perspective. Elle en restait pétrifiée d’admiration. Les visages de la scène champêtre étaient si précis, si étonnamment bien conservés malgré les outrages du temps et de la moisissure, qu’elle aurait pu les reconnaître sur l’instant si elle les avait croisés dans la rue.

– Vous savez, c’est à cause de cette peinture que l’appartement lui-même a été classé. C’est aussi pour cela qu’on appelle cet hôtel particulier l’Oustal del Fauno, l’Hôtel du Faune en occitan. À cause du satyre sur la fresque.
– C’est parfait.

Marc eut l’air surpris.

– Vous… vous êtes sûre ?
– Oui. Je suis prête à faire une offre. Raisonnable, il va sans dire. Mais je crois que ce sera une demeure agréable une fois dépoussiérée et remise en état. Et j’ai besoin que tout soit prêt très vite. Je dois pouvoir emménager ici dans deux mois. C’est vital pour moi.
– Je ne pense pas que cela posera problème. Je contacte les propriétaires actuels et je vous tiens au courant.

Le chemin du retour jusqu’à son hôtel sur la Place du Capitole parut assez irréel. Les images de l’appartement étaient encore vives dans son esprit, et l’ambiance si sereine qu’elle avait ressentie en le visitant parvenait encore à apaiser le bouillonnement de ses pensées. Mais celles-ci reprenaient peu à peu leurs droits, comme si chaque pas qu’elle faisait en dehors de l’Hôtel du Faune la replongeait un peu plus dans la tempête de ces derniers jours. C’était une fin d’après-midi d’été, chaude et ensoleillée, qui donnait à la ville un air de vacances, un air de week-end à Rome qui contrastait avec les pensées tourmentées qui s’agitaient dans son crâne. Les Toulousains flânaient dans les rues avec ce mélange d’insouciance et de fierté que donne le privilège de vivre dans la Ville Rose. Les belles jeunes femmes aux tenues légères minaudaient aux terrasses des cafés. L’une d’elles lisait un manuscrit qu’elle corrigeait en profitant de la douceur de vivre, et soudain la brume qui pesait sur les pensées d’Alice se déchira en un premier lambeau lorsqu’elle la vit répondre à un appel sur son téléphone portable. Sept jours plus tôt, elle était elle-même installée à son bureau de la Sorbonne, à corriger des copies d’examen. Il était déjà tard, et elle aurait dû être rentrée, mais ce soir-là Martin devait assister à une conférence, et elle n’avait pas envie de se retrouver seule chez eux, sans lui. Le téléphone vibra soudain et le numéro qui s’affichait se mettait en correspondance dans son répertoire avec une personne qu’elle n’avait pas entendue depuis plus d’un an. Elle hésita un court instant.

La jeune femme sur la terrasse ensoleillée sembla s’illuminer en entendant la voix de son interlocuteur, se recula dans le dossier de son siège et abandonna ses corrections. Son sourire s’entendait aussi bien qu’il se voyait.

– Olivia ?
– Je ne savais pas si tu allais décrocher. Comment vas-tu ?

La voix était hésitante. Empruntée. Évidemment. Pas facile de renouer le contact.

– Je vais bien. Je suis encore au boulot… Et… toi ?
– Je vais bien aussi… Écoute, si je t’appelle, c’est que…
– C’est à cause d’elle, n’est-ce pas ?
– Oui, c’est à cause de Maman. Elle est… Elle a besoin de nous. Elle a besoin de toi, Alice.

Alice sentit son cœur se serrer en même temps que sa voix se durcir.

– Elle n’a qu’à m’appeler elle-même, si elle a besoin de moi.
– Alice, elle ne peut pas…

La voix de sa sœur devint un filet presque inaudible.

– Elle est malade.

Ces trois seuls mots eurent un effet inattendu et parfaitement incroyable. Ils parvinrent un instant à fissurer l’épaisse muraille qu’Alice avait érigée autour du concept même de famille. Elle s’entendit prononcer une réponse tout aussi folle.

– J’arrive. Je prends le premier avion.

La jeune femme porta la tasse de café à ses lèvres après avoir raccroché. Elle rayonnait. Alice détourna le regard et, dans une impression désagréable que les rayons du soleil transperçaient enfin l’hébétude cotonneuse dans laquelle elle avait passé les dernières heures, elle remarqua une mère qui devait avoir son âge et sa fille d’environ sept ou huit ans. La complicité était évidente. La petite fille s’accrochait à la main de sa mère tout en gambadant à côté d’elle. Les doigts entremêlés, Alice n’osait pas vraiment regarder le visage de sa mère et ses yeux d’un bleu si dérangeants. Elle resta concentrée un long moment sur cette main déjà ridée, qui tremblait légèrement au rythme des mouvements involontaires de la maladie.

Elle entra enfin dans le hall de l’hôtel et se sentit parcourir les couloirs du service de neurologie. Le professeur Carroll était un homme tout sec qui flottait presque dans sa blouse blanche où un badge déclinait son nom et sa fonction de chef de service. Il lui restait peu de cheveux sur le crâne, coupés très courts, blancs. Il les avait reçues très poliment et avec une grande empathie il les avait priées de s’assoir, avant de les regarder toutes deux dans les yeux pendant quelques secondes.

L’escalier qui menait à sa chambre rappela à sa mémoire la descente des escalators de l’aéroport de Blagnac. Olivia était venue l’attendre. Alice la trouva subtilement changée, depuis un an qu’elle ne l’avait pas vue. Plus empâtée, peut-être, même si cette impression n’était pas due à une prise de poids visible. Son visage paraissait plus marqué. Son allure générale était plus empruntée que dans son souvenir, dans ses vêtements toujours aussi ternes. Ses cheveux blonds coupés courts laissaient cependant son joli visage exprimer des traits séduisants et l’éclat de ses yeux bleus parfaitement dérangeants. Aussi dérangeants que l’étaient les yeux de leur mère. Mais son regard était voilé.

Elle s’avança maladroitement pour embrasser Alice, qui se laissa plus ou moins étreindre. Et sans crier gare, elle éclata en sanglots.

– Que se passe-t-il, Olivia ?
– Je ne sais pas encore. Elle est à l’hôpital et pour le moment les médecins ne veulent rien me dire. J’ai pris rendez-vous avec le chef du service de neurologie. Nous devons le voir demain.

Et, séchant ses larmes :

– Pour le moment, tu dois être exténuée. Je te raconterai dans la voiture. J’ai préparé la chambre d’ami.
– J’ai pris une chambre d’hôtel. Je ne savais pas que tu viendrais me chercher. Et je pense que c’est mieux. N’allons pas trop vite.
– Oui, tu as sans doute raison. Je te dépose où ?
– J’ai pris une chambre sur la Place du Capitole. C’était tout ce qui restait.

Dans sa chambre d’hôtel, sa valise était encore ouverte sur le lit, débordant de vêtements. Elle ne savait plus trop si elle devait la faire ou la défaire. Elle ne parvenait plus à se raccrocher à la réalité, à l’instant présent. Seuls des mots semblaient avoir encore le pouvoir de la ramener à ce qui était l’ici et maintenant. Des mots simples, directs, que Martin et elle échangeaient dès qu’ils le pouvaient depuis une semaine. Des mots sur les écrans rétroéclairés de son téléphone, de sa tablette, de son ordinateur portable. Je pense à toi. Courage. J’ai passé la soirée avec Benjamin. On lui a offert un poste à Montréal. Je t’aime. Il a fait très chaud à Paris. Des mots prononcés avec la voix si envoûtante de Martin à travers le combiné téléphonique. Tu es forte. Je suis là. Nous passerons l’épreuve ensemble. J’ai commencé à faire les cartons. Le poste a l’air intéressant. Je descends sur Toulouse dans quinze jours pour rencontrer le chef de projet. Des mots rassurants. Des mots d’amour.

Et au milieu, des mots de peur. Je prends l’avion pour Toulouse ce soir. Olivia m’a appelée. Maman est malade.

Maman est malade.

La voiture d’Olivia était une de ces berlines au châssis surélevé comme des quatre-quatre. Extrêmement confortable et un brin hautaine. Les sons à l’intérieur y étaient feutrés, comme absorbés par le cuir des sièges. Lorsqu’elles furent sur le périphérique, Olivia commença à raconter les premiers signes de la maladie de leur mère.

– Personne n’y a fait attention au début, bien sûr. Elle a commencé à tomber, d’abord de façon très espacée, puis plus régulièrement, comme si ses jambes ne la portaient plus de façon soudaine. Tu la connais, elle reste souvent seule sans voir personne pendant des semaines, alors beaucoup de choses sont passées inaperçues. Puis elle a eu des difficultés à parler, à mâcher ses aliments. Elle n’a rien dit avant que son dentiste l’envoie consulter son médecin. Et un jour, pendant un repas à la maison avec les parents de Pascal, elle a failli s’étouffer…

Olivia restait concentrée sur la route, sa voix secouée d’émotion. Alice la regardait sans mot dire. Le profil de sa sœur se découpait dans la vitre à contre-jour, seulement éclairé par les lumières intermittentes des éclairages publics. Elle la connaissait bien. Elle savait quelle maîtrise elle pouvait avoir sur elle-même. Son visage restait impassible mais sa voix se brisait par moments.

– Là encore, nous avons cru à une simple maladresse, et aux urgences, l’interne nous a rassurés en nous parlant d’une fausse-route alimentaire. Ce n’est qu’il y a une semaine que quelque chose de grave s’est produit. Elle a tout à coup eu une hallucination… elle… elle a vu papa qui lui parlait. Elle a voulu le suivre à l’extérieur, en robe de chambre, et c’est monsieur Glabelle, quelques centaines de mètres plus loin, qui l’a retrouvée errant sur le bord de la route nationale.

L’image de sa mère s’imposa d’elle-même. Cette femme élancée et élégante, au port altier, toujours tirée à quatre épingles, errant dans la campagne. L’image avait comme un goût d’impossible, comme une mélodie rendue bancale par une fausse note. Tout cela rendait une impression si étrange.

Et comme un fondu enchaîné, un effet spécial dans un film de science-fiction, l’élégante veuve aux traits encore si fins, au regard franc et cassant, à la longue chevelure retenue en un savant chignon blanc se mua progressivement en la vieille malade au teint pâle et aux yeux hagards dont Alice avait tenu la main tremblante, calée dans un fauteuil roulant au rembourrage synthétique. Presque muette d’émotion, Alice s’était contentée de gestes. Elle reconnaissait à peine sa meilleure ennemie dans le corps de cette ombre à moitié vivante. Et pourtant, le regard si bleu parvenait encore par moment à retrouver sa dureté et son acuité, et Alice y retrouvait les souvenirs heureux et moins heureux de son histoire avec sa mère. Une pression imperceptible de la main de Flora Daimiault sur celle de sa fille. Une pression qui n’était pas l’un de ces tremblements incoercibles, mais bien un geste volontaire. Et Alice se retrouva à enlacer sa mère, à l’âge de sept ans, après son premier chagrin d’amour. Elle perçut le goût salé de ses larmes et le contact si rassurant et enveloppant du baiser déposé sur ses cheveux. Un simple éclair dans les yeux de Flora Daimiault et Alice revit le tonnerre qui gronda entre elles lorsque son père, son père si doux et si distant à la fois, était allongé dans un cercueil de bois brillant.

– Ça fait une semaine qu’elle est hospitalisée en neurologie. Ils lui ont fait tout un tas de tests, mais pour le moment ils n’ont pas les résultats. Lorsque je suis allée la voir, elle m’a tout juste reconnue. Elle m’a d’abord prise pour toi. Elle… elle t’a réclamée…

Olivia avait arrêté le moteur devant la grande entrée de l’hôtel, près du palais de briques et de pierres qui faisait la fierté des Toulousains.

Et Alice s’était couchée. Ces deux nuits-là, celle de son arrivée et celle de sa visite de l’Hôtel du Faune, elle ne dormit pas bien, malgré la climatisation qui adoucissait la température de la nuit caniculaire. Ses rêves furent moites, désagréables, mais ne lui laissèrent au matin qu’un vague sentiment de colère et de dégoût. Ses longues heures de veille, au contraire, l’imprégnèrent de leur amertume tenace.

Sans même demander à sa sœur aucun détail supplémentaire, elle avait rassemblé à la hâte ses copies et les avait enfournées dans sa sacoche en cuir dans un désordre indescriptible. Les trois mots avaient agi comme une incantation sur elle, dont la magie avait immédiatement opéré. Elle se jeta pratiquement dans la bouche de métro qui onze stations et un changement plus tard la déposait presque au bas de son immeuble.

Ce n’était pas tant la succession des mots que le ton avec lequel Olivia les avait laissés s’échapper de sa gorge. Une sorte d’urgence s’était propagée dans les artères d’Alice. Une urgence plus forte encore que les rancœurs et les haines.

Puis elle avait rejoint Olivia à l’hôpital.

Le professeur Carroll, peut-être satisfait de son examen silencieux, prit enfin la parole.

– Mesdames, ce que j’ai à vous annoncer n’est pas agréable à entendre. Nous avons réalisé de nombreux examens et la seule conclusion à laquelle nous sommes fondés à nous rendre est que votre mère souffre d’une forme tardive de maladie de Huntington. C’est une maladie neurologique dégénérative, ce qui veut dire que les symptômes vont encore empirer. Et hélas nous ne possédons pas de traitement. La seule chose que nous pouvons faire c’est atténuer la gravité des symptômes afin que les choses se passent du mieux possible et qu’elle ne souffre pas trop. Mais l’évolution sera impossible à arrêter… je suis vraiment désolé…

Le silence pendant deux secondes. Olivia était sidérée, mais on la sentait à fleur de peau. Elle était proche de l’effondrement. Alice déglutit avec peine, la bouche soudain très sèche. Elle parvint tout de même à articuler la question.
– Vous parlez d’évolution… quelle évolution ?

Le médecin mit quelques secondes de plus avant de répondre.

– Cette maladie touche essentiellement deux compartiments de fonctions cérébrales : les zones motrices, pour donner des mouvements incontrôlables comme vous l’avez déjà constaté, des paralysies, ou des difficultés à se mouvoir, et les zones qui sont le siège de fonctions cognitives et comportementales. Dans ce deuxième lot de symptômes, on peut voir des manifestations psychiatriques, comme des dépressions induites, ou des changements de comportement. Et dans de nombreux cas, tout ceci conduit à une forme de démence particulièrement sévère. Il faut vous attendre à ce que votre mère perde la raison à plus ou moins longue échéance.

Le regard si bleu de Flora s’était illuminé lorsque sa fille était entrée dans la chambre aux murs blancs. C’est d’une voix mal assurée, presque chevrotante, qu’elle avait prononcé son nom. Alice était restée muette. Elle s’était approchée du fauteuil, s’était assise sur le lit juste à côté. Elle avait pris la main de sa mère dans les siennes. De longues secondes passèrent, où la mère et la fille se cherchèrent du regard sans jamais trouver le courage de vraiment se regarder. Puis enfin Alice, fixant la main de Flora, parvint à émettre un son.

– Je suis là, maman.
– Je savais que tu viendrais. Je l’avais dit à ta sœur. Je le savais.

Le silence retomba entre elles. Mais Alice trouva la force de plonger ses yeux dans les deux aigues-marines de sa mère. Comme on fend la surface liquide de l’océan, elle fut happée par des abîmes de souvenirs.

Et lorsqu’elle émergea à nouveau, quelques éclaboussures liquides coulaient sur la joue de Flora.

– Ils t’ont expliqué ce qui m’arrivait ?
– Oui, ils m’ont dit. Ne t’inquiète pas. Martin et moi en avons parlé. Nous allons venir nous installer ici.
– Je ne m’inquiète pas pour moi, Malice, mais pour Livia et toi. Vous avez fait le test ?

Le professeur Carroll savait qu’il allait aborder le plus délicat à présent.

– Il y a cependant une autre raison à votre présence ici, dit-il. La maladie de Huntington est une maladie neurologique grave, mais elle est aussi génétique. Chaque personne touchée, homme ou femme, a une chance sur deux d’en transmettre le gène à chacun de ses enfants.

Il fit une pause pour s’assurer que les implications de sa phrase devenaient claires. À en juger par le silence atterré des deux jeunes femmes, c’était bien le cas.

– Il existe un test génétique qui peut détecter cette anomalie dans l’ADN avant que les premiers symptômes n’apparaissent. Bien avant. La maladie met des dizaines d’années avant de se déclarer.
– Mais il n’y a pas de traitement, c’est bien ça, articula Alice ?
– C’est bien ça.
– Alors à quoi donc pourrait nous servir ce test ?

Elle ne sembla retrouver peu à peu ses esprits que dans l’avion d’Air France qui la ramenait vers Paris. La brume qui pesait sur ses pensées se déchirait par lambeaux à mesure que les souvenirs de cette semaine prenaient enfin racine dans sa conscience et qu’elle en comprenait vraiment tous les événements.

Elle était installée dans le siège près du hublot. L’hôtesse dévolue à ce rôle commençait les démonstrations de sécurité qui composent le rituel initiatique de tout voyage en avion avec des gestes mécaniques et presque désabusés. Sa vue se troubla un instant.

À quoi donc pourrait bien servir ce test ? La question avait tourné dans son esprit depuis qu’elle l’avait posée au neurologue et elle n’avait toujours pas de réponse. Elle n’avait pas d’enfant, n’en voulait pas spécialement et n’en avait jamais vraiment voulu. Martin lui en parlait de temps à autre, mais c’était surtout pour évoquer sa propre enfance. Et de son enfance, Alice n’avait pas toujours de très bons souvenirs. Tout juste des impressions fugaces de petits bonheurs éphémères noyés dans une gangue de discipline permanente. Les jeux avec Olivia. Les promenades dans la campagne avec leur père, à pied ou en vélo. Le goût des gâteaux au chocolat que Flora confectionnait avec les œufs frais et le lait que leur apportait Marcel Glabelle, le voisin le plus ancien de la famille. Il possédait une petite ferme tout près de la demeure familiale et lorsqu’Olivia et Alice étaient enfants, il les laissait jouer dans la grange où il entreposait son foin. C’était le temps de l’insouciance. Le temps où leur père était encore en vie.

Quand elle pensait à son père, elle pensait toujours d’abord à un moment bien précis. Elle devait avoir sept ou huit ans. Ils étaient tous les quatre partis faire un pique-nique à quelques kilomètres de Toulouse, dans les paysages vallonnés qui longent le Canal du Midi, près du Lauragais. Il faisait un soleil éclatant, et les deux sœurs s’amusaient à se courir après. Victor leur avait montré le petit bois près duquel ils avaient étalé leur nappe. Et l’idée d’une exploration s’était imposée d’elle-même. Elle était retournée dans ce bois, adulte, et s’était rendu compte combien son esprit d’enfant l’avait magnifié et agrandi, lui donnant des proportions extraordinaires. Mais à l’époque, elle avait vu ce bois comme une forêt profonde et mystérieuse qui l’avait attirée et au sein de laquelle elle pouvait découvrir de fabuleux trésors. Elle s’était imaginé parcourir un royaume hors du temps. Si bien qu’elle avait, au détour d’un bosquet, perdu de vue ses parents et sa sœur, et que, soudain, elle se crut perdue. Les bruits et les odeurs de la nature l’avaient tout entière absorbée. Mais elle n’avait pas eu peur. Pas vraiment. Et lorsqu’une forme haute surmontée de cornes s’était avancée en contre-jour vers elle, elle avait cru rencontrer un faune ou un homme-cerf. Un bref instant, elle avait retenu son souffle, consciente que la créature pouvait s’enfuir ou lui vouloir du mal. Puis un rayon de soleil vint frapper le visage du faune, et elle réalisa le tour que la lumière lui avait joué quand elle reconnut son père qui la cherchait. Ce qu’elle avait pris pour des cornes ou des bois de cerf étaient des branches basses qui venaient couronner sa tête en une illusion de surimpression. Mais pendant des semaines, elle se demanda souvent si son père était bien un être humain, et pas une créature féérique veillant sur Olivia et elle. Ses disputes avec Flora et son suicide quelques mois plus tard lui infligèrent un démenti cinglant. Elle grandit brutalement tout en pleurant toutes les larmes de son corps et en nourrissant une haine de plus en plus grande de sa mère. Mais ce jour-là, dans ce bois, elle s’était sentie transportée, et elle avait compris combien son père pouvait être quelqu’un de merveilleux. Il était toujours doux et posé. Il racontait souvent des histoires, des contes et des légendes, il avait une façon de voir la vie tellement personnelle et décalée, tout en références et en beauté. Même l’événement le plus insignifiant était pour lui une source d’émerveillement qu’il s’efforçait de partager avec ses filles et avec sa femme. Alice ne percevait pas, à cet âge-là, que ce côté lumineux était sans doute la seule chose qui le maintenait vivant. Car il avait aussi un revers sombre, des crises de larmes et de prostration, lorsque les traumatismes de la guerre en Bosnie revenaient le hanter. Il faisait tout son possible pour ne pas les montrer à ses filles, mais elles savaient d’instinct que certains regards, certaines paroles, pouvaient déclencher chez leur père des moments difficiles. Alice s’imaginait alors que sa nature féérique le conduisait à des douleurs atroces lorsqu’il passait de trop longs moments dans la réalité des humains. La vérité était que les choses qu’il avait vues et faites dans son passé le hantaient, le rongeaient. Il se retirait alors dans son bureau, qui devenait un territoire interdit. Alice avait appris à en avoir peur, comme si les portes d’un enfer y avaient été cachées.

Elle comprit soudain, le regard perdu dans la vitre du hublot, que cette image irréelle de son père aux bois de cerf ne l’avait jamais quittée. Elle sut pourquoi l’Hôtel du Faune serait sa nouvelle demeure une fois revenue à Toulouse. La fresque au-dessus de la cheminée représentait une danse joyeuse de nymphes et de satyres au creux d’un bois dense et mystérieux, tandis qu’un couple singulier trônait au centre d’un dais formé par les branches entrelacées d’un arbre vénérable. Une fée blanche aux yeux vairons, et un faune couronné de bois de cerf.

À Suivre…

Lucy, de Luc Besson : regards croisés avec une neuropsychologue

Lucy, de Luc Besson : regards croisés avec une neuropsychologue

Lucy, de Luc Besson : regards croisés avec une neuropsychologue

Le dernier film de Luc Besson me faisait de l’œil pour plusieurs raisons.

D’abord, c’est un film de Besson. Les films de Besson ne laissent pas souvent indifférent, qu’on les adore ou qu’on les déteste.

Ensuite, le cerveau et ses mystères sont une source de potentialités artistiques et d’interrogations tant scientifiques que philosophiques… un film sur ce thème ne pouvait que m’attirer.

Et puis ce thème était assez proche de ce que j’avais envisagé au tout début du développement du scénario du Choix des Anges, avec l’idée de la drogue qui décuplerait les fonctions cérébrales d’un être humain pour le conduire aux portes de la divinité.

Enfin, je me demandais comment le cinéma pouvait s’emparer d’un tel sujet. Comment montrer quelque chose d’aussi complexe, en même temps qu’en faire un spectacle ?

Bref, je suis allé le voir.

Le pitch : Lucy in the sky with diamonds

Jeune étudiante sans le sou à Taïwan, Lucy (Scarlett Johansson) fait les frais d’une mauvaise rencontre en boîte de nuit. Son amant du moment l’utilise pour livrer à un puissant baron du crime coréen une mallette contenant quatre sachets d’une drogue expérimentale issue d’une hormone naturelle synthétisée par les femmes pendant la grossesse.

L’échange ne se passe bien évidemment pas aussi bien que son petit-ami le lui avait promis, et elle se retrouve, après un accident, avec une très grosse quantité de cette drogue aux effets dévastateurs dans le sang.

Loin de la tuer comme cela aurait dû se passer, la drogue s’intègre à son organisme en lui permettant de développer ses capacités cérébrales au-delà des fameux 10 % que nous serions capables d’utiliser.

Elle devient alors surhumaine et se lance dans une quête pour récupérer les trois autres sachets, tout en découvrant que son potentiel cognitif grimpe peu à peu de 20 jusqu’à 100 % à la toute fin du film.

Au cours de cette quête, elle croise le chemin de deux hommes.

L’un (Morgan Freeman) est un chercheur renommé développant depuis 20 ans la thèse selon laquelle les êtres humains n’exploitent que 10 % de leur potentiel cérébral. Il sera le « guide spirituel » de Lucy dans son évolution.
Le deuxième est un flic français très banal qu’elle aura choisi comme compagnon afin de « se souvenir » de ce que c’est d’être un humain.

L'affiche française de Lucy

L’affiche française de Lucy

La forme : Les diamants sont éternels

De ce côté-là, Lucy est véritablement un film de Besson.

Il y a des images magnifiques, époustouflantes même. Des moments de poésie pure. Une maîtrise des « images dans les images » (les reflets dans l’œil de Lucy). Une bande-son choisie à merveille pour coller aux scènes.

Le jeu des acteurs va du crédible (Scarlett Johansson) au pas vraiment nouveau (Morgan Freeman, qui hélas est toujours utilisé depuis quelques années dans le même genre de rôle, et dont on a maintenant plus l’impression qu’il joue Morgan Freeman jouant un personnage que son personnage lui-même), en passant par le bêtement caricatural (Min-sik Choi, le parrain de la drogue sortit tout droit d’un manga), ou le très bêtement faire-valoir (Amr Waked, le flic dont on se demande vraiment à quoi il sert dans ce scénario).

La réalisation est impeccable dans sa progression.

J’ai particulièrement adoré au début les scènes entremêlées entre les prédateurs et les proies dans la savane africaine et l’enchaînement de circonstances qui va amener Lucy jusqu’à son destin.

Les références artistiques et l’univers de Lucy

On reconnaît au premier coup d’œil la patte de l’univers de Besson : l’héroïne surhumaine fait écho à Nikita, Leeloo (Le Cinquième Élément), ou Jeanne d’Arc. Elle est toujours accompagnée d’un homme protecteur qui ne sert pas toujours à la protéger vraiment : Corben Dallas (Bruce Willis) dans le Cinquième Élément, Léon (Jean Reno) dans Léon avec Natalie Portman, Victor (Jean Reno encore) dans Nikita.

Mais le thème est aussi un thème très souvent exploité en science-fiction.

Franck Herbert en a fait l’archétype des Révérendes Mères du Bene Gesserit, capables de contrôler leur propre physiologie (au point de contrôler leur fécondité et même le sexe de leur enfant à naître) dans sa saga Dune.

Pierre Bordage utilisa une héroïne capable de prodiges assez semblables dans Les Guerriers du Silence.

J’ai moi-même donné de tels pouvoirs à mon héroïne dans Poker d’Étoiles et Armand, le héros du Choix des Anges, y accède lui aussi.

Le fond : tout ce qui brille n’est pas d’or

C’est en fait un mythe universel que « l’homme augmenté », celui ou celle qui devient surhumain et en se libérant des chaînes qui limitent l’Homme accède à une compréhension plus large de l’univers.

Même les philosophies orientales comme le bouddhisme ou le taoïsme rejoignent cet idéal.

Et au final l’idée occidentale de progrès participe du même mouvement.

C’est le désir profond de l’Homme de comprendre et maîtriser la Nature ou d’en faire partie pour ne plus la subir.

J’ai d’ailleurs trouvé que le film n’exploitait pas vraiment tout son potentiel, lui non plus (10 % seulement ?).

Par exemple, dans son exposé, le personnage de Morgan Freeman explique que si un être humain utilisait 20 % de son potentiel cérébral, il serait capable de contrôler sa propre physiologie (référence aux Bene Gesserit de Dune). Mais jamais on ne voit Lucy véritablement contrôler son corps. La douleur lorsqu’on lui enlève le sachet de son abdomen, à la rigueur, mais il n’est pas besoin d’être surhumain pour entrer en transe hypnotique et anesthésier une partie du corps. Des interventions chirurgicales ont lieu tous les jours avec ce genre de technique… J’aurais plutôt vu des images montrant que Lucy maîtrise son flux sanguin, sa température, sa croissance cellulaire, ses organes d’une façon consciente. Elle pourrait très facilement métaboliser un poison, synthétiser des molécules particulières, voire diriger des processus de cicatrisation. Rien de tout cela en images alors que Besson s’attarde très longuement sur d’autres choses comme la mémoire.

Mais là encore j’aurais attendu de lui, pour rester dans le style qu’il impose dès le début du film, de ne pas rester seulement sur le visage ô combien « cinégénique » et émotionnellement fort de Scarlett Johansson, mais de montrer des images de sa mémoire. C’est un procédé classique que le flash-back, me répondra-t-on. Oui, mais je suis sûr qu’il aurait pu trouver à l’exploiter autrement. Il s’agit tout de même d’un réalisateur dont les films ont souvent été visuellement novateurs.

Et surtout, je trouve que Lucy n’a pas évité de tomber dans certains poncifs.

En effet, souvent, ces visions d’extrahumanité sont stéréotypées et assez décevantes sur un point commun que j’ai toujours trouvé frustrant. Il semblerait que pour tout le monde, l’accroissement de la conscience, ou du moins l’accroissement des capacités cognitives se fasse au détriment des émotions.

On aurait donc à faire avec des êtres détachés de l’Humanité tant ils comprennent Le Grand Tout.

Ainsi, Lucy à qui il faut le faire-valoir du flic Pierre Del Rio pour se souvenir de ce que c’est que d’être humain, mais sans émotion véritable, juste par stratégie froide. Si froide qu’elle est capable de tuer sans aucun problème (un autre fantasme de Besson que cette Nikita nouvelle génération ?). La seule scène où les émotions sont exprimées après sa transformation : sur la table d’opération, Lucy appelle sa mère au téléphone. C’est intense… mais c’est très court et elle vient d’abattre au moins cinq personnes auparavant… pour en abattre dix fois plus ensuite. Sans sourciller.

Or, il se trouve que j’avais à mes côtés (puisque c’est mon épouse) une personne capable de me répondre là-dessus, car le fonctionnement cognitif est en quelque sorte son métier.

Ce regard croisé m’a semblé particulièrement fructueux dans la réflexion que l’on pouvait tirer du film. Je lui ai donc demandé de me donner sa vision de psychologue spécialisée en neuropsychologie sur ce point :

J’étais curieuse de découvrir le film de Luc Besson, Lucy, dont le thème m’intéressait particulièrement.

Pourquoi lorsqu’il est question d’évolution des capacités cérébrales de l’être humain n’est-il jamais question d’un développement, d’une meilleure exploitation de notre intelligence socioémotionnelle ?

Or l’être humain n’est-il pas un animal social c’est-à-dire qui vit en société ? Les êtres humains se sont toujours organisés en groupe, car leur survie en dépendait.

Alors si l’exploitation maximale de nos capacités cérébrales, comme c’est le cas du personnage de Lucy, nous conduisait à ne plus ressentir d’émotions et à n’être que pure connaissance cela n’impliquerait-il pas une extinction de notre espèce sociale ? Comment envisager notre organisation humaine dépourvue de notre système limbique, « cerveau des émotions » ? Et si tel était le cas, cela n’amènerait-il donc pas à une disparition de la notion de plaisir : manger de bons petits plats, déguster un bon vin, se retrouver entre amis ou encore faire l’amour ?

Dans cette perspective de contrôle total de l’esprit sur notre propre métabolisme conjugué à l’absence d’émotion et de recherche de plaisir en raison d’un niveau de conscience supérieure, quel serait en effet l’intérêt d’entretenir des rapports les uns avec les autres ? Nous n’aurions besoin que de prendre des gélules pour répondre à nos besoins vitaux, nous trouverions certainement un autre moyen de nous reproduire et perpétuer l’espèce par des méthodes de conception ex vivo comme dans Matrix ?

Doit-on comprendre que l’augmentation de notre potentiel cérébral nous permettrait de développer uniquement nos compétences cognitives (mémoire, attention, raisonnement logique) et que cela s’accompagnerait obligatoirement d’une disparition de nos émotions et sentiments ? Est-ce là la vraie évolution de l’Homme, la seule solution pour notre salut et cesser nos comportements d’autodestruction si prégnants dans notre Espèce ?

La définition la plus commune de l’intelligence ne repose bien souvent que sur les aspects intellectuels (ou cognitifs) c’est-à-dire la mémoire, l’attention, le raisonnement logique, le langage. La preuve en est que lorsqu’on va chez un psychologue, spécialisé dans ce domaine, car tous ne le sont pas, pour une demande d’évaluation de Quotient Intellectuel (QI) ce dernier est principalement exploré au moyen d’une échelle d’intelligence standardisée.

La plupart des professionnels de la santé et de l’enseignement réduisent malheureusement souvent le potentiel intellectuel à ce résultat de QI ce qui relève d’une aberration totale tant d’un point de vue statistique, que théorique ou psychologique. Cette vision de l’intelligence est extrêmement réductrice.

Des chercheurs (Gardner, 2000 ; Sternberg, 1988, 1999) étendent le concept d’intelligence aux domaines artistique, sportif, créatif ou encore socioémotionnel. Il n’est pas rare d’observer une « intelligence » dite normale ou « supérieure à la moyenne », mais non fonctionnelle dans la mesure où la personne n’est pas en mesure de l’exploiter correctement pour diverses raisons.

Les lésions entraînant des perturbations de la gestion des émotions entravent, entre autres, la prise de décision et donc l’utilisation correcte de ce que l’on nomme, dans l’imaginaire collectif, l’intelligence (Damasio, 1994, L’Erreur de Descartes).

Donc si une Lucy existait vraiment, pourquoi ses émotions s’éteindraient-elles parallèlement au développement de son intellect pur au lieu, au contraire de suivre la même évolution ? Car il existe des circuits émotionnels dans le cerveau et leur bon fonctionnement est indispensable à une utilisation optimale de nos ressources.

Ainsi, si science sans conscience n’est que ruine de l’âme alors peut-être qu’intelligence sans émotion n’est que ruine de l’espritet de l’Humain.

Et si l’exploitation de nos capacités cérébrales au-delà de ce fameux 10 %, si tant est que cette valeur soit exacte d’un point de vue scientifique, nous permettait au contraire de développer notre intelligence émotionnelle et notre intelligence cognitive ? Que se passerait-il ?

Ne serait-ce pas là la vraie définition de l’Intelligence ? Ne serait-ce pas là que résiderait notre réelle différence en tant qu’humains ?

Je choisis la voie du Cinquième Élément

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Une autre vision de la Conscience suprême, qu’il serait intéressant de développer à la fois dans la pensée métaphysique, mais aussi dans le domaine artistique…

Et si tout cela vous a inspiré quelques réflexions, n’hésitez pas à nous en faire part ici, à Sandrine et à moi.

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https://www.youtube.com/watch?v=7gPrNpHaFX8

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Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Livre électronique : Ultima Necat, de l’idée à la réalisation

Livre électronique : Ultima Necat, de l’idée à la réalisation

Livre électronique : Ultima Necat, de l’idée à la réalisation

Voilà plusieurs mois que je travaille à la fabrication de mon premier livre numérique.
C’est donc après de longues, très longues heures d’apprentissage et de codage que le voici enfin prêt à être libéré sur le net.

Un exercice de style ?

Pour ce premier pas dans le monde mystérieux du livre électronique, je voulais explorer beaucoup de choses.
En tout premier lieu je voulais expérimenter les possibilités nouvelles offertes par ce genre de média, et dont je vous parlais il y a quelques mois : l’adjonction d’audio, de vidéo, d’interactivité.
J’ai donc temporairement suspendu l’écriture de mes projets plus « littéraires », pour me pencher sur un sujet qui pourrait légitimement être traité avec de telles « augmentations » par rapport à un livre papier.
Le choix s’est porté sur les textes, images, photographies, sons et vidéos que j’ai accumulé en trois ans de développement pour Ultima Necat, et qui me semblaient pouvoir constituer une bonne base de départ pour mon expérimentation.
Pour un premier livre, c’est donc par l’exercice du « livre tiré du film » que j’ai commencé.
Habituellement, sur ce genre d’ouvrage, on trouve des anecdotes de tournage, des schémas de conception des décors, des esquisses des costumes en stade de préproduction, et la palette des « travailler avec untel ou unetelle c’était vraiment une expérience inoubliable ».
J’ai préféré me concentrer sur tout à fait autre chose.

En voyant tout le matériel à ma disposition, je me suis dit que le plus intéressant était de faire comprendre de l’intérieur comment avait été conçue l’histoire racontée par le film.

Ultima Necat, de l’idée à la réalisation

J’ai réuni les documents qui ont servi à la préproduction du film : la nouvelle que j’avais rapidement écrite à l’époque pour poser l’ambiance et le déroulement des événements et le scénario qui en a été tiré. À ces deux grosses parties, j’ai greffé toutes les notes prises à l’époque sur chaque détail de l’histoire qui avait été discuté, pensé, prévu pour telle ou telle raison. Ce qui donne un carnet de notes dont chaque entrée est accessible tant comme une lecture traditionnelle que comme une lecture hypertexte, liée au détail de la trame à laquelle elle se rapporte.
On y trouve des détails sur les personnages principaux, sur le choix d’une voix off, sur les choix de colorimétrie, la musique… bref, sur chaque point important de la conception du film.
Enfin, il m’a semblé intéressant de me servir des possibilités interactives d’un livre numérique pour montrer précisément les différentes corrections apportées à l’écriture d’une même séquence. On peut ainsi comparer trois états d’écriture de la séquence du repas entre amis au début du film : la version originelle, les premières corrections et la version finale.

eBook design : trouver une forme pour un livre électronique

Le plus difficile a été la conception graphique et la mise en page de ce livre, que je voulais simples tout en étant élégante. La majorité des livres epub que l’on peut télécharger dans le commerce sont soit de simples copies du papier (ce qui n’est pas choquant en soi, puisque ce sont généralement des versions électroniques de livres existant en papier), soit des maquettes élaborées dignes de magazines.

Je voulais à la fois un livre qui soit pensé pour la version électronique depuis le départ, mais également éviter de tomber dans le design à outrance (pour lequel de toute façon je n’ai pas les compétences, n’étant pas maquettiste ou graphiste).

J’ai donc écumé le web à la recherche de conseils et d’aides, mais je me suis vite rendu compte de la difficulté de la tâche.

Car si vous pensiez comme moi que fabriquer un epub c’est grosso modo faire un site internet, vous vous trompiez lourdement. Avec des croyances similaires, je me suis heurté à de nombreuses difficultés, car si les moteurs de rendu des navigateurs internet peuvent tous maintenant donner plus ou moins la même chose, les moteurs de rendu des lecteurs epub (pourtant basés sur des navigateurs web) ne donnent jamais le même résultat. En effet, chaque lecteur interprète à sa façon le langage pourtant codifié du css3, et à sa manière également les spécifications pourtant très strictes de l’organisme qui a créé la norme epub, l’IDPF

Un état de fait que beaucoup d’eBook Designers, comme on les appelle, déplorent de concert avec moi.

Il faut aussi dire que trouver des informations de codage en epub3 sur internet est assez difficile. Si quelques tutoriaux existent, ils sont pour la plupart assez arides et manquent beaucoup de ces « trucs & astuces » qui sont souvent indispensables quand on cherche à régler un problème très précis. Le casse-tête commence dès le début : il faut choisir entre deux philosophies totalement opposées sur la publication. Le flux (en anglais le « reflowing »), permet au lecteur de choisir d’agrandir la taille de caractère, bouger l’espacement des lignes et même changer de fonte (donc vous ne pouvez pas créer une mise en page définitive, et vous devez en permanence l’adapter aux circonstances), alors que la pagination fixe (appelée « fixed layout ») le rend totalement prisonnier de votre mise en page, comme dans un simple pdf, comme aussi dans un livre classique. Ce choix se fait dès le début de la conception du livre, et il est impossible actuellement de mixer les deux approches (par exemple avoir un flux dans lequel certaines pages sont fixes)… sauf avec une petite astuce que j’ai mis plus de trois mois à dénicher…

Toutes ces raisons expliquent que ma mise en page ne soit pas garantie, hélas. Je remercie d’ailleurs mon ami Sixte pour ses tests sur la plateforme Androïd.

Le livre électronique final est téléchargeable gratuitement. Il est au format epub3, en attendant un format Kindle que je commence à explorer également.

Format : epub3

Poids du Fichier : 22.5 Mo

Langue : Français

Nombre de pages : 99

Conditions requises pour une lecture optimale :

Sur iPad : iBooks, version 3.0

Sur ordinateur : Readium, extension pour le navigateur Chrome de Google

Testé, lisible mais avec des perturbations possibles sur la mise en page :

Sur iPad et Androïd : Gitden Reader

Sur ordinateur : iBooks pour Mac version 1.0

Non lisible par (support epub3 insuffisant) :

Sur iPad : Marvin, Bluefire

Sur Androïd : eBookdroïd

The Lost Tribe S01E03, résumé des épisodes précédents

The Lost Tribe S01E03, résumé des épisodes précédents

The Lost Tribe S01E03, résumé des épisodes précédents

Nous avons pu récemment jouer l’épisode 3 de ma série en jeu de rôle, The Lost Tribe, et comme je vous expliquais récemment, j’ai l’habitude de commencer la partie par un résumé des épisodes précédents.
Cette fois-ci pourtant, j’ai changé quelque peu le format, en essayant de me rapprocher plus encore d’une véritable série télévisée.
Le résumé s’est donc attaché à des moments précis qui ont tous un rapport avec l’épisode qui va suivre, et non plus un récapitulatif complet de la série, qui commençait à devenir fastidieux et long.

Je voulais donc vous le présenter, car j’ai eu quelques demandes pour la précédente mouture.

Mais tout d’abord il faut vous présenter un peu la série.

Le pitch

2002, aux Etats-Unis, l’agent spécial du B.I.A. (Bureau of Indian Affairs, une agence fédérale qui a les mêmes prérogatives que le F.B.I. en ce qui concerne les crimes perpétrés envers des amérindiens, par des amérindiens, ou dans des territoires amérindiens) Abigail Reed découvre qu’elle est liée à un groupe de personnes nommée The Lost Tribe, et dédiées à la défense des tribus amérindiennes. Les membres de cette Tribu Perdue sont pour la plupart capable de se transformer en loup-garous, car la tradition les prétend mi-humains, mi-esprits loup. C’est ainsi que Wade Garrett, Nathan Ramsey et Barney Mulcany la rejoignent dans ses enquêtes, qui dévoilent un complot nommé le Projet, contre lequel ils se mettent à lutter.

L’univers

J’ai eu l’idée de cette histoire en voulant faire un mélange entre l’univers du jeu de rôle BIA créé par les XII Singes, et celui de Werewolf The Forsaken, dans la deuxième itération du monde des ténèbres. C’est ainsi que l’épisode pilote, pour appâter mes joueurs, est repris du fascicule de scénarios de BIA, avec quelques adaptations spécifiques pour intégrer des loup-garous, le monde des esprits, et autres choses surnaturelles. Il n’est par contre pas question de vampires ou de mages comme dans l’univers du World of Darkness. Par contre, je me suis très directement inspiré de la série Fringe pour de nombreuses choses tant sur les secrets de l’histoire que pour l’ambiance, des personnages ou des situations.

Le résumé des épisodes précédents, S01E03

 

Old Sam : « Les personnes à la tête du Projet veulent détruire les Amérindiens ». Un van noir fonce sur la voiture de Barney dans les rues de New York, provoquant un accident qui aurait pu être fatal. Un van noir de la même marque est garé en face de la maison de la mère de Barney avant qu’elle ne soit pulvérisée par une explosion criminelle. Un van noir de la même marque, encore, déverse des mercenaires armés qui tentent de capturer la jeune Debra Milovitch. Les Urathas s’interposent. Le corps du hacker Dwight Simons criblé de balles sur son fauteuil.

Renée Darreck, en pleurs dans les bras de Barney : « Mon mari était un tueur à la solde du Projet ! ». Une balle en argent vient frapper Jonas de plein fouet, juste au moment où il allait transmettre un fétiche en forme de tortue à Abigail. Nathan et Wade retrouvent les traces d’un trépied utilisé pour stabiliser les fusils des tireurs d’élite de l’armée. Le corps de Johnny Spriter gisant dans une marre de sang, transpercé d’une balle en argent elle aussi tirée par un professionnel, à distance.

Old Sam : « Ils veulent détruire la culture des Amérindiens ! » L’ordinateur de Tim Davenport, l’agent du Projet qui avait enlevé Tecila Lence, contenait des informations sur un être appelé Celui-qui-marche-dans-le-vent.

Old Sam : « Celui-qui-marche-dans-le-vent est l’esprit protecteur de cette partie du sol américain, et j’en suis le gardien ». Dans le monde des Esprits, Abigail voit la tempête qui amoncelle de lourds nuages noirs.

Prairie Dog : « C’est la Louve Noire qui emprisonne les Esprits et empoisonne leur cœur ». Le visage de la femme loup-garou qui avait attaqué Tecila Lence, dissimulé derrière un masque de loup.

Renée Darreck : « Il s’appelle Tyrell Denom, c’est un marine. Il a disparu. C’est lui votre tueur ». Le visage d’un homme jeune, noir, en uniforme d’apparat des marines.

Directeur Philipp Broyles : « Le Projet est une conspiration qui touche à tous les rouages de l’État. Ne faites confiance à personne. Vous rendrez compte à moi seul. Vous avez carte blanche pour constituer une équipe. Mais, de grâce, Agent Reed, pour tout le monde, James Johnson doit rester un héros du F.B.I. tué dans l’exercice de ses fonctions alors qu’il faisait son devoir. Vous m’avez bien compris ? » Le visage de James Johnson qui sort d’un van noir, puis qui torture Tecila Lence pour la faire parler.

Abigail Reed : « Je veux voir le corps de l’Amérindienne, j’ai un mandat. » Responsable de la morgue fédérale à Quantico, siège du F.B.I. : « Je voudrais bien, mais je ne l’ai pas. Un idiot d’administratif a interverti deux papiers, et le corps a été incinéré ce matin. »

Un masque de loup. Une main qui l’ôte d’un visage. Le visage d’Abigail Reed.

Ma sélection de séries, cru 2014

Ma sélection de séries, cru 2014

Ma sélection de séries, cru 2014

Comme vous l’avez compris, je dévore les séries télévisuelles — généralement américaines.

Voici un petit florilège de celles qui sortent vraiment du lot selon moi cette saison.

Game of Thrones, l’indétrônable ?

La série déjà culte est pour moi un abîme de sentiments paradoxaux entremêlés.

Du côté pile, le soin porté à la réalisation, aux décors, aux costumes, à la lumière, aux ambiances, aux personnages complexes, variés et vraiment incarnés par des acteurs époustouflants ne peut que me séduire. Comme tout le monde, je suis admiratif et conquis par la mise en images de Westeros, de Braavos et des terres orientales. Je n’ai pas le souvenir qu’une série télévisée, même avec les budgets actuels, ait un jour avant celle-ci aussi bien rendu l’ambiance d’un monde médiéval plus ou moins fantastique, avec autant de réalisme et de soin du détail. La profusion de couleurs et la richesse du monde sont un point essentiel pour moi dans un projet d’une telle ampleur.

Mais, du côté face, je ne puis m’empêcher d’enrager devant les intrigues gâchées reprises trop directement de l’écriture des livres de G.R.R. Martin, qui, entre nous soit dit (mais vous pouvez le claironner sur tous les toits quand même si vous le voulez, je ne nierai pas), écrit comme un pied. Si certains d’entre vous ont déjà lu les livres dont je parle (soit une série pléthorique en livres de poche, soit des pavés indigestes en plusieurs « intégrales »), ils comprendront ce qui me gêne, voire m’irrite, dans cette écriture synoptique à peine travaillée, aux épisodes hachés sans véritable logique dramatique, et surtout sans véritable but en tête.

Les « beautiful death » qui font tant parler sur les réseaux sociaux ne font pour moi que masquer l’incapacité de Martin à assumer une ligne directrice claire sur le plan de sa narration. Il semble en effet s’attacher à des personnages en particulier, qu’il montre clairement comme des héros, puis, sans autre raison que son envie de choquer, il les fait sortir du récit brutalement sans leur donner la véritable mesure de leur potentiel. Je pense à Robb Stark, par exemple et aux loups blancs des enfants Stark dont il escamote complètement le rôle pourtant très clairement affiché par lui au début de la saga.

On me rétorquera « oui, mais c’est plus réaliste, dans la vie, des gens prometteurs sont souvent fauchés par injustice, cynisme ou cruauté avant d’avoir réalisé ce qu’ils voulaient ».
Oui.
Cet argument peut porter une ou deux fois.
Pas à chaque fois.

D’autant qu’il y a quand même une exception à la règle : le personnage de Denaerys.
C’est vrai, elle ne partait pas bien dans la vie : utilisée par son frère comme monnaie d’échange pour un mariage politique à une brute barbare afin de consolider une alliance qui aurait permis de reconquérir le Trône de Fer, elle voit ce frère mourir sous ses yeux tué par son mari, auquel elle finit par s’attacher, mais qui est lui-même tué, puis elle perd son enfant en couches après avoir survécu in extremis à un empoisonnement elle-même.
Mais à partir du moment où elle devient la Mère des Dragons, plus rien ne lui arrive vraiment de fâcheux, surtout quand on compare avec le destin des autres personnages qui en ont bavé tout autant voire plus qu’elle…
Et pourquoi ?
L’injustice, encore ?

Je pourrais débattre encore bien longtemps de ce qui me paraît une hérésie narrative, mais le fait est que les livres sont écrits ainsi, et ça n’y changerait rien. Martin a d’ailleurs ses fans inconditionnels, et c’est tant mieux.

On pourrait imaginer que les scénaristes de la série puissent s’écarter de ce schéma préétabli. C’est ce qu’ils font parfois en rendant un peu de vie à ces intrigues corsetées, mais hélas seulement dans des détails. Des détails importants, comme le fait qu’Arya Stark se retrouve prisonnière de Tywin Lannister en personne et non d’un vassal, ce qui amène à plusieurs scènes extrêmement intéressantes. Ou des scènes avec les Marcheurs Blancs que l’on ne voit même pas dans les livres.
Mais hélas, tout ceci est bien trop marginal dans le flot de l’intrigue principale, respectée à la lettre (et jusqu’à l’issue du duel judiciaire de la saison 4)…

Au final, il faut bien l’avouer, Game of Thrones, malgré ses défauts, reste encore pour moi l’une des meilleures séries de 2014… mais seulement sur la dernière marche du podium, car à force de trop insister sur les côtés tranchants du métal, le Trône de Fer s’est pour moi émoussé.

Da Vinci’s Demons Saison 2, l’outsider ?

J’ai découvert l’année dernière une série sans grande prétention, mais qui met l’accent elle aussi sur une ambiance « à costumes ».

Le pitch de départ m’avait déjà accroché : les jeunes années du génial maestro à la cour de Florence sous le règne de Lorenzo Le Magnifique, le plus flamboyant des Médicis.

La saison 1 nous entraîne dans une intrigue où la politique des cités états italiennes se mêle à une lutte ésotérique pour retrouver une relique mystique appelée The Book of Leaves (le Livre des Feuilles sonne moins bien en français, non ?). Des sociétés secrètes (les Fils de Mithras), une mise en abîme par des visions du futur et du passé qui assaillent Da Vinci, une certaine intelligence dans la façon de mener les intrigues et de montrer le génie du Maître (avec des gestes le rapprochant des tics autistiques, notamment), des personnages hauts en couleur, tout cela m’avait donc ferré.

La saison 2 est aussi bien menée, et cette ambiance se prolonge encore, rappelant par certains côtés celle qui a bercé mon enfance à la lecture des Pardaillan de Zevaco, avec les codes actuels des séries américaines.
La réalisation, sans être fabuleuse, est très honnête, les acteurs sont convaincants, l’univers assez fouillé et pour peu que l’on accroche au thème, l’intrigue est intéressante.

En conclusion, une série devant laquelle on passe de très bons moments, même si l’on pourrait attendre un petit peu plus de flamboyance.

Penny Dreadful, la Révélation ?

Après la mode assez déprimante des séries de vampires ou de loups-garous aux prises avec des états d’âmes adolescents dignes des navets les plus insipides (Vampire Diairies et autres Teen Wolf), je commençais à désespérer de voir un jour quelque chose de regardable dans le genre fantastique/horrifique à tendance gothique.
Jusqu’au choc que fut Penny Dreadful.

La série, produite par Showtime qui avait déjà commis Dexter, est l’une des rares à ne pas avoir dû passer par la case Pilote pour être commandée par la chaîne. C’est déjà un exploit.

Les cinq premiers épisodes de la saison inaugurale sont tout simplement exceptionnels.

Le pitch : dans le Londres victorien, une jeune femme aux pouvoirs médiumniques très puissants (Eva Green) et un riche Lord, célèbre explorateur dont le rêve est de remonter les sources du Nil (Timothy Dalton), s’adjoignent les services d’un tireur d’élite américain hanté par son passé de tueur (Josh Hartnett) pour traquer une créature maléfique.

Vous n’aurez pas manqué de remarquer les noms des acteurs principaux. Et vous n’avez pas rêvé. Trois pointures. Un jeu soigné.

Mais c’est dans le traitement d’une trame manifestement assez classique et dans le jeu sur les codes du genre (Mina Harker, Abraham Van Helsing, Viktor Frankenstein, Dorian Gray… ça vous dit quelque chose ? Eh bien ils sont tous dans la série…) que l’on assiste à quelque chose de vraiment fouillé et original. Les images sont dignes là encore d’un véritable film, la réalisation est sans faille, et l’univers est violent et réaliste à la fois. L’époque victorienne est retranscrite avec ce je-ne-sais-quoi de familier et de suranné qui fait immédiatement penser à Bram Stocker, Mary Shelley et même Conan Doyle.
D’ailleurs, la créature fait bigrement penser à Dracula, et le jeune Fenton prisonnier du trio de conjurés ressemble à Renfield, le notaire fou du Comte Vlad, en plus jeune.

La touche gothique est soulignée par le spiritisme, l’égyptomanie, le spleen existentiel de Dorian Gray, les transgressions du Dr Frankenstein, les états d’âme de sa créature qui fait également penser au Fantôme de l’Opéra.
Bref, on plonge avec délectation dans cet univers à la fois familier et déroutant.

Pour moi, clairement, c’est la série-révélation de 2014.