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Deux films sur un thème : le difficile métier d’être père

Deux films sur un thème : le difficile métier d’être père

Deux films sur un thème : le difficile métier d’être père

La paternité est une étape majeure de la vie d’un homme, qu’elle soit voulue, subie, refusée ou désirée, voire parfois une impossibilité. De l’autre côté du miroir, nous avons tous une histoire complexe avec notre père, qu’elle soit conflictuelle, fusionnelle, proche, éloignée, teintée de respect ou de jalousie, celle d’une absence ou d’une trop grande prégnance.

Loin de vouloir faire de la psychologie ou de la sociologie de bazar, je me suis intéressé à deux films récents qui illustrent bien à mon sens la richesse autant que la difficulté de cette relation de père à fils. Deux films qui montrent chacun une facette différente de la question, vues par des Américains. Nul doute que des réalisateurs français auraient eu un point de vue différent, d’ailleurs.

Being Flynn, quand être père est un fardeau et être fils une épreuve

Le film de Paul Weitz, à qui l’on doit des œuvres aussi diverses que Antz (Fourmiz), ou l’excellent Assistant du Vampire, explore tout d’abord la relation d’un père si fantasque qu’il en devient un être désincarné et en même temps toxique et d’un fils qui aimerait grandir libre de cette influence pesante sans pourtant parvenir à en dépasser les ressemblances et les différences qu’il exècre autant qu’il les admire chez son géniteur.

Alors qu’il est dans la fleur de l’âge, Nick Flynn tente de trouver sa voie comme écrivain tout en travaillant dans un foyer pour sans-abri, quand soudain son père, Jonathan, disparu depuis des années, refait surface dans sa vie. Nick a bien du mal à accepter le retour de celui qui l’a abandonné pour suivre l’inspiration de sa poésie, obsédé par son Grand Œuvre littéraire qui doit un jour le rendre célèbre.

D’autant plus de mal qu’il est lui-même tiraillé entre son désir d’écrire et son désir de vivre, entre ce qu’il imagine devoir faire et ce qu’il réalise concrètement, entre sa muse et sa petite amie.

Quand Jonathan débarque, c’est un véritable raz-de-marée qui submerge l’existence de Nick, en le poussant à choisir, à décider, à trancher. Pour le père, c’est l’occasion d’essayer de transmettre quelque chose tout en se confrontant au même mur qui le fit fuir des années plus tôt : la question épineuse de savoir s’il est « fait » pour assumer la responsabilité d’un enfant.

S’ensuit toute une série de situations cocasses ou tragi-comiques, de catastrophes du quotidien, qui jalonnent la relation si complexe entre les deux hommes.

C’est avec plaisir qu’on retrouve Robert de Niro dans le rôle d’un père fantasque et irresponsable (en contradiction avec ses rôles habituels de père autoritaire, voire de patriarche), et délectation qu’on découvre que Paul Dano prend le contrepied avec Nick de son rôle de l’adolescent rebelle et mutique de Little Miss Sunshine. Ces deux inversions fonctionnent parfaitement sous le regard d’une caméra parfois crue, mais toujours tendre, même dans les moments de violence verbale ou physique.

C’est surtout la souffrance qui transparaît dans cette histoire. La souffrance du père qui dut abandonner la chair de sa chair, conscient de sa propre faiblesse, mais aussi la souffrance intérieure de ne pas réaliser son rêve le plus profond, ou du moins de le vivre à contre-courant et de devoir lui sacrifier bien d’autres choses. La souffrance du fils à devoir se montrer plus raisonnable que son père, à devoir grandir plus vite et à se rendre compte que malgré ses aigreurs en son refus, ses ressemblances sont moins ténues qu’il le voudrait avec ce géniteur foutraque et génial.

Mais au final cette souffrance apporte bien une profonde compréhension, et met les deux personnages sur la voie d’une certaine sérénité.

Paul Weitz trace deux portraits si entremêlés grâce à la plume de son coscénariste, le véritable Nick Flynn lui-même, dont le livre raconte l’histoire vraie de sa relation avec son père. La réalité est donc parfois aussi belle et compliquée que dans une fiction, ce qui rend la fiction plus belle encore.

Faut-il opposer la paternité et la liberté ? Faut-il vouloir à tout prix être dissemblable de son père ? Faut-il trouver qui l’on est en refusant ses racines ou en les acceptant pour mieux les dépasser ?

Les questions sont nombreuses lorsqu’on plonge dans cette histoire, depuis la difficulté d’assumer une responsabilité si écrasante que celle de l’éducation d’un enfant à l’influence que l’on peut avoir sans même s’en rendre compte sur lui, que ce soit par sa présence ou même son absence, à la quantité de liberté qui nous reste lorsque l’on perçoit la marque de notre histoire familiale et à quel point elle plonge ses racines loin dans notre psyché.

Nous pouvons tous nous retrouver en Nick ou en Jonathan, voire même dans Nick et dans Jonathan à la fois.

St. Vincent, quand trouver un fils peut être aussi magique que découvrir un père qu’on n’imaginait pas

À l’autre bout du spectre, il y a ceux d’entre nous qui n’ont pas eu d’enfant, pas eu de fils, volontairement ou parce que la vie leur en a refusé la possibilité. Et parfois, l’existence réserve des surprises qui dépassent les espoirs ou transcendent les limites.

Dans ce film de Theodore Melfi, Vincent est un vétéran du Vietnam égoïste et hédoniste qui fume, boit, se drogue, fréquente les femmes de petite vertu et vit dans un pavillon miteux en banlieue. Lorsque sa nouvelle voisine, Maggie, fraîchement divorcée s’installe, Vincent devient le baby-sitter de son fils Oliver, au départ par l’appât du gain, et puis peu à peu par affection bourrue pour cet enfant chétif et intelligent. Tous les deux découvrent alors chez l’autre des faiblesses et des forces insoupçonnées, et en eux-mêmes des ressources aussi surprenantes.

Quand Vincent apprend à Oliver à se défendre contre les caïds de l’école, le jeune garçon lui rend la pareille en lui offrant une vision de la vie plus naïve et plus altruiste, et à accepter que les autres puissent entrer dans son intimité. Et lorsqu’un coup du sort frappe l’existence de Vincent, c’est avec l’enthousiasme et la candeur de l’enfance qu’Oliver fédère toutes les énergies pour aider son ami et presque père.

St. Vincent est à la fois un film subversif, surprenant, et jouissif, et une pépite pleine de bons sentiments, dans un sens vraiment non péjoratif. Notre époque manque singulièrement de candeur et de bons sentiments, et quand ils sont sincères et ne tombent pas dans la mièvrerie, ils sont une excellente bouffée d’air frais.

Quelques instants de finesse dans un monde de brutes, pour paraphraser le fameux slogan.

C’est ainsi que voir l’inénarrable Bill Murray incarner un Vincent transgressif et paillard est un réel plaisir, tout comme découvrir les failles secrètes du personnage et comprendre le pourquoi du comment de sa carapace d’indifférence. C’est ainsi que vivre avec lui l’initiation du jeune Oliver (Jaeden Lieberher) et comprendre avec lui le pouvoir de la naïveté est touchant. C’est ainsi que voir Naomi Watts incarner une catin au grand cœur pleine d’humanité rend optimiste quant à la possibilité de se sortir d’une vie que l’on ne désire pas. Et suivre l’itinéraire de Vincent est aussi suivre l’histoire de plusieurs résiliences qui se soutiennent mutuellement.

La relation de Vincent avec Oliver ressemble à s’y méprendre à une relation père-fils.

Il y a la transmission, la complicité, le conflit, la reconnaissance, le partage, les différences, la compréhension, l’acceptation de l’autre et de soi-même, et surtout l’amour. L’histoire d’une initiation à double sens, quand le père apprend à vivre à son fils, et que le fils réapprend à son fils la façon de rêver sa vie.

Et tout cela sans qu’il y ait la moindre relation biologique entre le « père » et le « fils » (si ce n’est le « Saint-Esprit », si vous me passez ce jeu de mots).

C’est que la relation paternelle peut naître dans des configurations totalement inattendues.

D’autres films…

C’est pourquoi on peut aussi se pencher sur d’autres façons de raconter les mêmes histoires.

On pourrait regarder le Big Fish de Tim Burton pour un autre point de vue sur la difficulté d’être père et les conséquences de l’inconséquence comme dans Being Flynn, ou Un monde parfait de Clint Eastwood pour découvrir une autre relation inattendue entre un « père » et un « fils ».

Sans compter la trame familiale qui irrigue le destin de Luke Skywalker et le fameux « Je suis… ton père » que lui lance Vador dans l’Épisode V, ou le meilleur des Indiana Jones, La Dernière Croisade, où Henry Jones Junior retrouve Henry Jones Senior.

Car la paternité est un sujet universel, qui nous touche tous d’une façon intime.

Seuls ensemble, un court de Loreleï Adam

Seuls ensemble, un court de Loreleï Adam

Seuls ensemble, un court de Loreleï Adam

Le cinéma est un merveilleux moyen de montrer l’irruption du fantastique dans le quotidien, de façon subtile, sans doute plus subtile qu’avec des mots. Il suffit d’une image, d’un enchaînement d’images, de quelques sons bien travaillés, et une scène banale, comme un homme solitaire trouvant un enfant égaré dans sa voiture, peut se teinter d’une étrangeté à la fois dérangeante et intemporelle. C’est un peu ce qui se passe dans Seuls ensemble, le court-métrage que Loreleï Adam a présenté à l’École Supérieure de l’Audio-Visuel de Toulouse (ESAV) il y a quelques jours.

Ce projet de fin d’études a été en partie financé grâce à la plateforme participative Ulule, et j’en ai donc suivi quelques étapes avant d’assister à la projection.

Marcus, un homme de 45 ans, vit seul avec Hanska, son chien, depuis le décès de son jeune fils, dans une petite maison en pleine nature. Un soir, il croise le chemin de Max, un enfant égaré dont les manières étranges et le mystère vont doucement bouleverser son existence.

Max, le mystérieux garçon

L’histoire est courte (23 minutes à l’écran), mais poignante. Malgré quelques défauts dans la gestion des profondeurs de champ (dus à des problèmes techniques lors du tournage), ou peut-être même grâce à eux, l’ambiance qui s’installe est pourtant à la fois éthérée, lourde et empreinte de douceur. La façon de filmer de Loreleï, toute en délicatesse, en touches fragiles, amène rapidement à entrer dans l’intime, sans jamais se départir d’une pudeur qui n’en devient que plus humaine. On trouve un équilibre vraiment rare entre la proximité des personnages (l’utilisation des gros plans), et la distance entre le réel et le fantastique. Sans doute que la présence forte de la nature, à travers les paysages, mais aussi à travers le personnage de Hanska, est pour beaucoup dans cette impression de vivre une histoire hors du temps.

On pense au Petit Peuple, aux Sidhe, à ces forces telluriques qui prennent et qui donnent sans véritable raison.

On pense aux univers de Neil Gaiman, comme L’océan au bout du chemin ou Neverwhere, où le quotidien percute silencieusement, presque clandestinement, le surnaturel.

Le choix des acteurs y contribue largement. Max est joué par un enfant roux au regard clair très dérangeant (qui s’avère même après enquête être le neveu de Zazimutine, dont je vous parlais des tribulations bloguesques il y a quelques mois, étrange coïncidence qui montre encore une fois combien le monde est petit) qui m’a tout de suite fait penser à un lutin. Marcus, lui, est interprété par un acteur qui n’avait jamais fait de cinéma auparavant et qui, grâce à la direction de Loreleï, parvient à une sincérité qui porte toute l’émotion du film.

Après en avoir discuté avec Loreleï, je suis convaincu que c’est sa façon de diriger l’acteur qui lui a permis de donner autant au rôle et à l’histoire.

Le regard très particulier que Loreleï pose sur ses personnages est aussi une des clefs de cette émotion partagée. Un regard à la fois tendre et précis, qui va chercher l’ombre comme la lumière.

Retenez ce nom : Loreleï Adam. Vous en entendrez parler, j’en suis sûr.

Nota Bene : L’image d’ouverture de l’article est une photographie de Lauric Gourbal via KazoArt.

The Physician, ou la noblesse de la Médecine

The Physician, ou la noblesse de la Médecine

The Physician, ou la noblesse de la Médecine

Il est rare que je regarde des films allemands contemporains, plus rare encore que j’ose en parler en public, et que dire alors d’en écrire quelques mots dans mon antre virtuel ?

Cependant, une fois n’est pas coutume, c’est bien d’un film allemand contemporain que nous allons discuter ici. The Physician (Der Medicus) est sorti en 2013, mais il est passé inaperçu en France. Sans doute est-ce parce que la traduction française du titre, L’Oracle, n’est absolument pas conforme à l’esprit du film, en s’attachant à un détail somme toute très accessoire de l’histoire pour oublier ce qui en fait le cœur véritable. Puisque Physician est le mot anglais pour Médecin, on passe vraiment à côté du sujet du film en pensant que l’Oracle prédit l’avenir ou que le film est encore une énième copie d’un film médiéval fantastique de série B.

Et c’est bien dommage, car The Physician est un excellent film, à plusieurs titres.

Nous sommes au XIe siècle, en Angleterre. Un jeune orphelin, Rob Cole (Tom Payne), est recueilli après la mort de sa mère par un barbier itinérant (Stellan Skarsgård), un charlatan aux intentions plus ou moins bienveillantes et d’un égoïsme forcené, qui lui apprend à survivre et à soigner selon les maigres connaissances occidentales de l’époque.

Mais lorsque le barbier commence à vieillir et à souffrir d’une affection de la vue (la cataracte) qui l’empêche d’exercer, c’est en rencontrant un médecin itinérant juif que Rob découvre le savoir fabuleux des médecins orientaux, hérité de l’antiquité et développé ensuite, notamment par Ibn Sina, plus connu sous le nom d’Avicenne (Ben Kingsley) à la cour du Shah de Perse, à Ispahan. Rob entame donc un périple interminable et dangereux à travers le monde connu pour rejoindre l’école d’Avicenne, se faisant passer pour juif afin de pénétrer au cœur des terres musulmanes. Il rencontrera en chemin à la fois l’amour, l’amitié, et la connaissance, avant de se battre pour suivre les enseignements de son maître, et de vaincre avec lui et presque malgré lui des fléaux aussi grands que la peste, les différences religieuses, et enfin le terrible « mal du côté » (l’appendicite) dont est morte sa propre mère.

L'affiche française du film

The Physician traite de très nombreux thèmes en deux heures et demie, mais loin de se disperser, le film développe un discours cohérent tant son propos fait sens à notre époque.

Car il ne faut pas s’y tromper : si l’histoire de Rob se déroule au XIe siècle, les thèmes du film nous parlent bien du XXIe, de nous, de notre vision du soin, mais plus encore de notre vision de la dignité humaine et de notre rapport avec la maladie, la mort, et finalement, de notre rapport à l’existence et au sens que nous lui donnons.

L’Orient & l’Occident

À l’époque de l’An Mille, les royaumes chrétiens sortaient à peine d’une période de troubles qui avait suivi la chute de l’Empire romain d’Occident. Le savoir accumulé par les philosophes et médecins, par les astronomes et les mathématiciens de l’Antiquité avait été perdu ou dispersé. L’Église avait sauvé ce qu’elle avait pu, mais ces connaissances étaient trop enfermées pour pouvoir circuler et fleurir à nouveau. Au contraire, l’Orient avait gardé de nombreux livres et sous la férule de dirigeants plus pragmatiques, et sous le règne d’une stabilité politique plus grande, le savoir antique s’était développé.

Le film nous rappelle à nos stéréotypes grâce à un renversement complet où l’Orient n’est plus synonyme d’obscurantisme, mais bien de progrès, scientifique autant qu’humain et éthique.

La figure du Shah de l’Empire perse (joué par Olivier Martinez), sorte de despote éclairé, fait écho à celle des souverains de l’Europe des Lumières (Catherine II de Russie, Frédéric II de Prusse). D’ailleurs, si le Shah est bienveillant, il l’est aussi par calcul politique et pragmatisme.

La société perse est aussi traversée par deux courants différents : la science, le progrès, l’humanité d’un côté, que symbolisent Avicene et son enseignement, et le fanatisme religieux, l’intolérance, la barbarie de l’autre, sous les traits du souverain des Ottomans ou de l’imam fanatique.

Tout cela pour nous rappeler ce que nous vivons à notre époque. Les tensions qui déchirent le monde sont encore et toujours les mêmes, malgré leur déplacement sur la surface du globe, malgré le fait qu’aujourd’hui ce ne sont plus les mêmes groupes qui incarnent ces valeurs.

Nous sommes issus d’une époque où nous étions ignorants et où les Lumières venaient de l’Orient. Et cet Orient qui fait tant peur aujourd’hui a pu être par le passé le siège d’un rayonnement comme nous n’en avons pas conscience aujourd’hui. Et même si les fanatismes étaient présents, ils ne résumaient pas l’une ou l’autre des civilisations.

Avicenne examinant un malade avec ses disciples

La dignité humaine, de la naissance à la mort

L’autre idée forte du film est la manière dont il envisage les rapports entre les soignants et les soignés, les rapports entre les médecins et les malades, les rapports entre les médecins entre eux.

Dans un humanisme tout hippocratique, Avicenne inculque à ses élèves un respect total de l’autre, jusqu’à recueillir son consentement pour tout geste, tout traitement. Un respect qui passe par le secret, celui dont nous avons nous aussi hérité, mais qui passe aussi par celui des volontés du patient, par celui de sa dignité. Les disciples d’Avicenne demandent l’autorisation d’examiner le patient avant de faire le moindre geste. Ils demandent aussi au patient s’il les autorise à le soigner.

Mes confrères seraient parfois bien inspirés de suivre cet enseignement, une vision moderne de la façon dont on soigne, une vision qui a échappé au corps médical depuis l’époque de Molière jusqu’à celle de Knock.

Avicenne pousse ses disciples, mais les considère ensuite bien vite comme ses égaux. Le rapport de maître à élève s’atténue, et c’est finalement le dernier qui guide le premier vers une avancée médicale majeure.

À bien des égards, Rob et Avicenne deviennent amis, et se complètent l’un l’autre dans une allégorie de l’élève dépassant le maître de façon pacifique et apaisée. Une sorte de contrepoint à cette image que l’on a souvent depuis Obi-Wan et Anakin de deux êtres qui s’entredéchirent.

Le souci éthique est enfin présent dans la façon dont Rob décide d’aller plus loin que les enseignements de son maître. Lorsqu’il brise le tabou de la dissection de cadavres humains, il le fait presque avec l’assentiment de son patient. Presque. On rejoint le dilemme des anatomistes de la Renaissance, bravant l’interdit religieux de la Papauté. On rejoint également les questions qui agitent notre temps sur les cellules souches, le clonage, la manipulation génétique.

Un film riche est aussi un film bien réalisé, crédible dans ses personnages, dans ses intrigues. C’est bien le cas avec The Physician, qui devrait être montré à tout étudiant en médecine, à tout externe, à tout interne, à tout médecin.

Mais pas seulement.

Philosopher avec Star Wars

Philosopher avec Star Wars

Philosopher avec Star Wars

On ne compte plus les guides, précis, décryptages et autres making of de la célèbre saga.

Chacun d’eux essaie de nous montrer une facette « originale » de la création de Georges Lucas, mais le propos de l’un d’entre eux se démarque de cette profusion déconcertante. La philo contre-attaque de Gilles Vervisch, ne vise pas à nous décrypter la saga, comme son sous-titre pourrait le faire croire faussement, mais bien plutôt à nous interroger au-delà de Star Wars, en prenant les films et leur univers comme base de réflexion.

L’auteur prend donc à bras le corps les fondements de la saga, pour les passer à la moulinette des grandes questions philosophiques qui en sous-tendent la texture même.

Dans la philo contre-attaque, il analyse la lutte du Côté Obscur et du Côté Lumineux de la Force, la nature même du Bien et du Mal, la responsabilité individuelle des personnages dans cette lutte, le Destin et la Destinée, le Karma, et une foule d’autres aspects de la si fameuse galaxie lointaine, en faisant des références aux philosophes et aux philosophies bien réels de notre monde : Kant, le Hagakure, le Bushido, Descartes, Platon, Jung, Bettelheim, tout le monde et tout y passe.

Le fond est plutôt foisonnant, mais rendu accessible par une forme légère, un ton badin, bourré d’humour et de références non seulement philosophiques et littéraires, mais aussi cinématographiques. On sourit souvent, sans jamais se détacher cependant du déroulement de la pensée de l’auteur.

Certains points sont évidents, comme la parenté des concepts de la Force avec le zen et le tao des civilisations extrême-orientales ou celle de l’ambiance western et des valeurs interlopes des personnages rencontrés sur Tatooine (que l’auteur persiste à écrire Tatouine… hérétique!). D’autres le sont moins, je pense à l’approche du Mal et à l’analyse de la notion de liberté dans la saga, notamment.

On trouve également de quoi réfléchir aux personnages centraux de C3PO et R2D2 en termes philosophiques : machines, êtres vivants ? Aux monstres, à notre rapport à l’autre.
Il est rare de voir trituré et décortiqué ainsi une œuvre de l’imaginaire, de la voir passer au microscope et sous le spectrographe de la pensée dite « sérieuse » sans a priori, sans jugement, sans condescendance. Sans céder à l’idolâtrie actuelle concernant tout ce qui se rapproche de près ou de loin à un sabre laser ou à un chasseur T.I.E., Gilles Vervisch prend Star Wars comme on pourrait prendre la matière de Bretagne, les écrits de Chrétien de Troyes ou de Thomas Malory sur l’épopée arthurienne : comme une question sérieuse, et non comme le délire de quelques attardés.

S’il est vrai que les mythes structurent la pensée d’une civilisation, Star Wars est incontestablement le mythe qui imprègne la nôtre de la façon la plus universelle, tant son succès est planétaire. Y consacrer une réelle attention permet de comprendre beaucoup sur la façon dont nous nous voyons nous-mêmes.

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Constantine, ou l’Enfer pavé de bonnes intentions

Les univers de superhéros sont parfois de vrais capharnaüms. On y trouve aussi bien des mutants (Les X-Men, ou Captain America chez Marvel, Flash chez DC) que des humains ayant développé des capacités extraordinaires à cause d’une histoire dramatique (Black Window chez Marvel, Green Arrow chez DC), ou encore des extraterrestres (Guardians of the Galaxy pour Marvel, Superman chez DC).

Assez singulièrement, le monde de l’occulte occupe une place un peu plus marginale dans les deux univers principaux des comics.
Le Docteur Strange dans celui de Marvel, dont Benedict Cumberbatch va bientôt être l’incarnation cinématographique.
Et John Constantine pour l’univers de DC Comics, qui vient de voir se terminer l’unique saison d’une série télévisée qui lui est dédiée.

Comme tous les superhéros, John Constantine possède un don fantastique, et une faiblesse fondamentale.

Gamin des rues venu de Liverpool, en Angleterre, il entre dans le monde de l’occulte très tôt, par attrait du danger. Il devient rapidement un maître dans les arcanes magiques, et se lance dans la pratique de l’exorcisme. Mais l’un d’entre eux tourne très mal, et l’âme de Constantine est vouée à la damnation éternelle à cause des actes perpétrés lors de cette séance catastrophique. Survivant néanmoins à l’épreuve, il tente de se racheter en combattant les forces du Mal venues des Enfers partout là où cela est nécessaire, n’hésitant pas à risquer sa vie comme celle de ses comparses Zed et Chas, ou de ses anciens associés. Damné mais Élu en même temps, il est plus ou moins guidé par un ange mystérieux, Manny, dont les motivations sont troubles. Ce petit groupe affronte ensemble une menace sourde nommée la Levée des Ténèbres, fomentée par une organisation secrète très ancienne, la Brujeria, à travers de nombreuses affaires sataniques faisant surface dans tout le territoire des États-Unis.

Zed est une médium très puissante, et Chas semble avoir plusieurs vies, mais ce sont surtout les immenses connaissances, l’audace suicidaire et le talent fabuleux teinté de désinvolture crâne de John Constantine qui leur permet de survivre et de contrecarrer les plans de la Brujeria.

Ce n’est pas la première fois que le magicien désinvolte et damné est porté à l’écran, si l’on se souvient de la tentative ratée du film des années 2000 avec Keanu Reeves dans le rôle-titre.

La direction prise par la série est cependant assez différente de son aîné.

L’univers, tout d’abord, est beaucoup moins centré sur une base judéo-chrétienne. Si dans le film l’Archange Gabriel et Lucifer étaient les références de chaque côté de l’affrontement, le champ est considérablement plus ouvert dans la série, avec des démons égyptiens ou assyriens, des exorcismes en langue vaudou, en sanskrit, en quechua, même. C’est d’ailleurs à la fois une qualité, et un défaut.

Élargir le champ de bataille pour l’ouvrir à d’autres traditions magiques permet de faire varier les points de vue, de donner plus de couleurs aux rituels magiques accomplis dans la série que les simples symboles judéo-chrétiens, rapidement évoqués dans les deux adaptations (la croix, l’eau bénite, les prières en latin, utilisées seules, pourraient sans doute paraître réductrices et répétitives). Cela donne aussi l’impression que le Mal est universel et que chaque tradition occulte dans le monde et au fil du temps a trouvé des parades originales et complémentaires pour lutter contre lui.

Mais le revers de la médaille est de perdre en cohérence, et de ne rester qu’à la surface des choses.

Les arts magiques occidentaux (et donc judéo-chrétiens) ne se limitent pas aux rituels de la Sainte Église Apostolique et Romaine et à un remake de l’Exorciste. On aurait pu plonger dans les traditions hermétiques alchimiques ou kabbalistiques juives comme chrétiennes, se servir de la diversité des récits bibliques plus encore, intégrer quelques idées venues de l’Apocalypse, voire approfondir les origines anglaises du personnage et le rattacher aux mages élisabéthains célèbres comme John Dee, ou à Aleister Crowley. Cela demandait peut-être de fouiller dans les arts occultes historiques et de faire quelques recherches pour rendre tout cela cohérent avec l’univers du comic book, mais au vu des recherches linguistiques pour faire entendre de véritables mots de vaudou, d’égyptien antique ou de sanskrit, cela ne me paraît pas un problème.

Le traitement est donc volontaire. On y retrouve la façon qu’ont les Américains de voir leurs cousins d’outre-Atlantique, et leur difficulté à penser l’histoire longue et complexe du Vieux Continent autrement que comme une sorte d’exotisme rafraîchissant.

Autre caractéristique de la série, un penchant pour la caricature très marqué, qui heureusement s’atténue quelque peu au fil des derniers épisodes.

Non seulement le personnage de John Constantine est-il taillé à la serpe dans les premiers épisodes, mais encore son évolution est-elle très lente. Sa culpabilité n’est que très légèrement effleurée à la fin de la saison, et son arrogance, sa désinvolture, sont beaucoup trop appuyées. Même pour quelqu’un qui apprécie les poncifs attachés aux personnages arrogants (de Han Solo à Cobra en passant par James Bond), la coupe est très rapidement emplie à ras bord. Le personnage en devient parfois agaçant, et l’identification s’en trouve amoindrie. On n’espère qu’une chose : qu’il en prenne plein la figure pour enfin perdre de sa superbe et redescendre sur terre.

Cela change il est vrai de l’interprétation monocorde de Keanu Reeves avec son talent inégalé pour ne faire apparaître sur son visage que le même masque dénué d’expression dans toutes les situations du film.

Le choix également d’escamoter le cancer du poumon et l’urgence que vivait le personnage dans le film sur la fin imminente de son existence et la confrontation inévitable avec son Destin, change considérablement la portée de sa damnation.

Les personnages secondaires de Zed et de Chas sont plus intéressants, mais la caricature n’est pas non plus absente. Zed est bien évidemment une plantureuse créature qui joue de séduction avec Constantine tout en traînant un passé lourd et complexe que la série n’a pas le temps d’explorer, tant son rythme est lent. Chas est le plus humain, finalement, bien qu’il n’apparaisse pendant toute la première moitié de la série que comme un faire-valoir étrange.

Même Papa Midnite, le sorcier vaudou, ni ennemi, ni allié de Constantine, est d’abord présenté comme un guignol, avant de prendre plus de profondeur ensuite.

Quant à Manny, son rôle ambigu aux côtés de Constantine et son rapport avec les Mortels ne sont qu’esquissés, et trop tardivement également.

La série a été interrompue après la fin de la première saison. Trop chère à produire (le nombre d’effets spéciaux par épisode est exponentiel), pour un succès probablement mitigé. Certainement que son mauvais positionnement sur le ton et l’ambiance, sur le rythme de l’intrigue générale, sur son propos, a joué un grand rôle dans cet échec.

C’est bien dommage, car au-delà de ces défauts, les derniers épisodes devenaient plus prometteurs, et la trame commençait à prendre une tournure moins manichéenne, avec le twist final.

Restent de très bonnes idées dans certains épisodes, comme dans le troisième, The Devil’s Vinyl, où un disque portant la voix du Diable devient l’enjeu.

Et malgré tout un certain attachement aux personnages et à l’univers.