L’homme qui savait la langue des serpents, ou l’amertume de perdre son paradis

L’homme qui savait la langue des serpents, ou l’amertume de perdre son paradis

L’homme qui savait la langue des serpents, ou l’amertume de perdre son paradis

C’était bien avant l’été dernier. En maraude chez mon libraire habituel, alors que je furetais plus que je ne traquais les livres qui me feraient envie, je suis tombé sur une couverture sobre représentant un serpent ailé et dont le titre était aussi évocateur que long : L’homme qui savait la langue des serpents. La quatrième de couverture m’apprit que l’auteur était Andrus Kivirähk, un Estonien dont l’ouvrage, inspiré des sagas islandaises, a connu le succès depuis 2007 dans son pays.

On se fait toujours une idée d’un livre d’après ce que l’on imagine de son titre, de ce qu’il nous évoque. Et le folklore nordique est l’un de mes péchés mignons depuis l’enfance. Je me suis laissé tenter.

Grand bien m’en a pris.

Au moyen-âge, Leemet est le dernier de son peuple. Le dernier des Estoniens à parler encore la langue des serpents qui a permis à des générations de ses ancêtres de vivre en harmonie avec la nature selon des règles de bonne intelligence. La langue des serpents qui donne le pouvoir, lorsqu’on la siffle correctement, de persuader les proies de se laisser tuer par le chasseur, d’écarter les prédateurs, de domestiques les loups. Mais hélas, les chevaliers germains sont venus depuis l’occident sur leurs immenses navires, et ont imposé leur religion chrétienne, la vie dans des villages et non plus en forêt, et le progrès technique, les armes de métal, les règles de la féodalité. Bref, le progrès. En retour, oubliant la langue des serpents, ils sont obligés de travailler dur pour arracher à la terre les maigres ressources que la forêt leur dispensait auparavant facilement.

Depuis quelques générations, la forêt se vide de ses habitants, conquis par le nouveau mode de vie des envahisseurs. La mythique Salamandre, ce serpent ailé qui crachait du feu et qui aida les Estoniens à repousser les colons pendant des siècles, est endormie, et il n’y a plus suffisamment de gens qui parlent la langue des serpents pour la réveiller. Comme le peuple estonien, elle a sombré dans une indolente torpeur.

Leemet et sa famille luttent pour garder leur mode de vie ancestral, imparfait et aussi pétri d’incohérences que celui des chevaliers. Mais lorsque l’on est le dernier des siens, quel avenir peut-il encore exister ?

Tout au long des 454 pages du livre bénéficiant d’une traduction limpide, Leemet entraîne le lecteur dans son monde. Un monde excitant et intrigant, un monde où le meilleur ami d’un petit garçon peut être une vipère nommée Ints avec qui il discute de tout et de rien, où des hommes préhistoriques élèvent un pou géant plus ou moins intelligent, et où les vieillards sont soit de sages oncles transmettant leur savoir à la dernière génération, soit des prêtres rabougris et recroquevillés sur leurs traditions jusqu’à l’absurde. Un monde au crépuscule de sa vie, menacé de toutes parts, dont les derniers feux éclairent par contraste les travers du monde médiéval occidental, et par ricochet notre monde moderne, sans complaisance, mais sans angélisme. Car c’est aussi un monde où l’intolérance n’est pas moins forte que dans le nôtre, un monde violent même s’il l’est d’une façon différente.

Et pourtant, ce n’est pas le côté satire sociale et religieuse qui m’a le plus marqué.

Je retiens bien plus cette poésie désespérée et l’émotion qui étreint Leemet très jeune lorsqu’il comprend qu’il sera le dernier de son peuple. Toute sa vie sera un combat pour sauver ce monde, pour transmettre la langue des serpents, pour ne pas être le dernier, pour refuser ce destin, sans jamais y parvenir vraiment. Le drame intime d’un homme qui sait sa quête vouée à l’échec, mais qui ne peut se résoudre à baisser les bras et à laisser ses valeurs se dissoudre sans se battre.

Des valeurs que symbolise la langue des serpents et la symbiose qui existe entre les reptiles et les humains, qui partagent une place de prééminence bienveillante dans le monde de la forêt.

C’est un conte fantastique et moral qui se déploie sur toute une vie, porté par une langue qui évolue au fil des pages avec l’âge et la maturité de Leemet, épousant ses interrogations, ses doutes, ses espoirs et désespoirs.

Et j’ai trouvé avec plaisir une illustration d’un concept qui m’est cher : la langue des serpents telle que l’auteur la présente est un avatar de la langue angélique ou de l’énochéen des traditions bibliques, la langue originelle qui conférerait le pouvoir sur l’ensemble de la Création, et dont je vous parlais déjà à propos d’une autre œuvre.

Un beau voyage littéraire et imaginaire.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

Filtrer par
Exact matches only
Contenu
Type de Contenu
Tout sélectionner
Articles
Pages
Projets
Téléchargements
Filtre par Catégorie
Tout sélectionner
Chimères Animées
Chimères Partagées
Devine qui vient écrire
L'encre & la plume
Le Serpent à Plumes
Le Serpent d'Hippocrate
Les Feux de la Rampe
Les Pixe-Ailes du Phœnix
Musique des Sphères
Vers l'Infini et Au-delà
Filtre par Catégories De Projets
Tout sélectionner
Films
Jeu de Rôle

Kappa16, quand l’autiste n’est pas celui qu’on croit

Kappa16, quand l’autiste n’est pas celui qu’on croit

Kappa16, quand l’autiste n’est pas celui qu’on croit

Je m’intéresse depuis longtemps au thème de l’altérité mécanique, et plus généralement à l’altérité tout court, deux préoccupations fondatrices de la science-fiction et de la fantasy. C’est aussi le cœur de mon métier, au final : soigner, c’est soigner l’autre, et soigner de façon humaniste c’est tenter de percevoir cet autre tel qu’il est réellement. Malgré les différences, malgré parfois les incompréhensions et les divergences de valeurs. Malgré même certaines pathologies obérant l’entrée en relation, telles que l’autisme.

Aussi, un roman comme Kappa16, de Neil Jomunsi, mettant en scène un robot et un garçon autiste avait de grandes chances de se retrouver entre mes mains et sous mes yeux.

Enoch est un robot domestique de modèle Kappa16 d’occasion. Il a pour mission de prendre soin de Saul, un garçon autiste, dont la pathologie a bouleversé toute la famille. Il s’acquitte de sa tâche avec la fiabilité que l’on connaît à ses semblables. Jusqu’au jour où un terrible événement change son existence, mais aussi celle de la famille de Saul. Et Enoch doit fuir.

Sur la forme, Kappa16 relève d’une véritable recherche. Puisque le narrateur est le robot lui-même, puisque toute l’histoire est présentée de son point de vue, la syntaxe informatique qui caractérise le monologue intérieur d’Enoch parvient à poser une atmosphère sans toutefois gâcher ni la compréhension ni la fluidité du texte. Au contraire, elle permet de percevoir l’altérité du programme, de l’I.A., puisque c’en est une, finalement (Enoch a conscience de lui-même). Le choix est même pertinent quant à ce qu’il dit du robot, mais aussi ce qu’il dit ou ne dit pas, justement, de l’humain. C’est aussi un point de départ vers une réflexion plus vaste, et c’est ce qui rend l’ouvrage vraiment réussi.

L’autisme est une pathologie complexe et très difficile à vivre, car elle touche la relation même que l’on peut avoir avec ceux qui en sont atteints. Ils ne peuvent pas aussi facilement que nous comprendre les codes qui régissent les relations avec les autres et sont empêchés de nouer un contact avec leurs semblables sans une prise en charge patiente, adaptée, douce, qui leur permet dans le meilleur des cas de s’ouvrir et de comprendre notre monde. Les ouvrages médicaux parleront mieux que moi des causes, du diagnostic extrêmement difficile, des traitements psychologiques, des progrès lents et de l’épuisement qui guettent souvent les parents de ces enfants qui sont comme « enfermés en eux-mêmes ». Ce n’est pas véritablement le propos ici.

L’important pour comprendre Kappa16 et la réflexion qu’il peut faire naître, c’est de saisir que l’enfant autiste est un être humain qui peut sembler différent à ses semblables au point d’en paraître « extraterrestre » comme on dit dans le langage courant. Il peut ne pas percevoir vos intentions. Ne pas parvenir à saisir qu’un sourire est une invitation, ne pas  contrôler ses émotions, se mettre à avoir peur lorsqu’un bruit le gêne, terrorisé par l’irruption dans son monde d’un élément perturbateur. Il peut se mettre à crier ou à rire et changer très rapidement d’humeur, ou au contraire rester indifférent, totalement étranger à ce qui se passe autour de lui. Ses réactions sont incompréhensibles et intenses.

Le parallèle avec le robot qui apprend à devenir humain est tout trouvé… mais encore fallait-il le faire.

L’I.A. plus humaine qu’un humain ?

On a l’habitude de présenter des I.A. froidement inhumaines, comme vous pourrez le lire ici dans mes précédentes divagations. On fait même le détestable contresens de présenter l’intellect comme une négation des émotions, comme j’ai pu en discuter ici avec une neuropsychologue.

On postule que la capacité à calculer selon un raisonnement purement mathématique inhibe le ressenti des émotions, leur vécu réel. Et on pose comme axiome qu’une machine pensant en ces termes ne peut qu’être coupée de ce qui fait de nous des êtres vivants, mais aussi des êtres sensibles et au final des êtres humains.

Kappa16 fait partie de ces œuvres qui partent de l’idée inverse.

Saul, l’enfant autiste, n’est que très peu mis en scène, alors qu’il est le point central de l’existence d’Enoch. C’est qu’on pourrait presque penser que le robot est le porte-parole des pensées de l’enfant. Comme si le robot et l’enfant étaient deux facettes d’un même personnage : un être profondément humain, mais qui cherche à comprendre les autres, sans parvenir à véritablement le faire, et sans parvenir à exprimer correctement ce qu’il ressent.

C’est du moins la lecture que j’en ai faite.

La maladresse d’Enoch, la façon dont il est influençable (car il obéit aux ordres), mais aussi ses interrogations, sont comme une allégorie de celles de Saul.

Dans cette lecture, le robot est considéré comme un être vivant, a priori, même si le texte explicite l’inverse. C’est le regard qu’ont les humains sur lui qui le rend « autre », qui le met à sa place de robot, de machine. L’une des premières scènes, où Enoch est molesté par des adolescents, le montre assez bien, je trouve. De la même manière, on peut se demander si notre regard ne place pas l’autiste dans sa position d’être « étranger ».

C’est un renversement de valeur qui peut s’opérer au fil du livre. Les principaux humains qui y sont présentés, à part Saul, sont Claire et Thomas, ses parents, les nouveaux propriétaires d’Enoch. Claire est présentée comme une mère dépressive, détruite probablement par à la fois la maladie de Saul et la réaction de son compagnon. Car Thomas a réagi en s’éloignant des sentiments purs, et s’est lancé dans une opération d’autodestruction systématique : de son couple, de son quotidien, de sa propre vie, de son propre respect.

Les comportements du père de Saul deviennent violents, déviants, presque cruels.

Il prend la place dévolue habituellement aux machines : celle du « méchant », même s’il est présenté de manière complexe et sans jugement, ce qui est aussi une qualité du livre. Il souffre et cette souffrance est presque palpable. Son comportement s’explique, intimement. Peu à peu il s’éloigne de son « humanité », ou plus exactement des valeurs que nous y rattachons le plus : respect de l’autre, compréhension, sincérité. Et si l’auteur jette tout de même un regard bienveillant sur lui, il prend peu à peu la place d’un être « autiste » : il ne se soucie plus des émotions des autres, ne les respecte plus, ne parvient plus à exprimer sa souffrance que d’une manière déviante, cruelle, inadaptée.

Humain, Humanité, Humanisme

C’est une trilogie à laquelle le livre fait implicitement référence.

L’humain, c’est souvent ce à quoi on oppose la machine, ou l’animal. C’est l’être vivant et conscient de son existence. Mais si la machine devenait consciente d’elle-même, serait-elle pour autant qualifiée d’humaine ?

Non, car au-dessus du fait d’appartenir à une espèce vivante et consciente, nous appelons « faire preuve d’humanité » tout comportement qui montre des valeurs morales propres à notre espèce à nos cultures. La pitié, la bonté, le respect de certaines normes, la distinction entre le Bien et le Mal. Et ce même si ces valeurs peuvent avoir des définitions très changeantes en fonction de l’époque ou du lieu (au XIXe siècle, le colonialisme, détestable de nos jours, était une forme de morale acceptée par la société européenne). Mais si la machine faisait preuve d’humanité, pourrait-on la qualifier d’humaine ? C’est une question déjà plus difficile à trancher. Et au vu des personnages de Thomas, de Claire, de Saul, on peut même douer que les êtres humains fassent preuve eux-mêmes de cette qualité d’humanité qui est notre mètre étalon. C’est que la souffrance, la cruauté, l’égoïsme, le Mal font partie intégrante de notre condition humaine, et pas seulement les valeurs d’humanité.

Et le plus intéressant est le troisième niveau : l’humanisme, qui pourrait se définir comme la volonté de devenir un meilleur humain, non pas dans le développement physique et la performance, mais dans l’application d’une éthique, d’une conduite de vie, basées sur le respect de l’autre et sur l’acceptation de la nature complexe de l’être humain, et des autres au sens large.

Si la machine devenait humaniste, pourrait-on la qualifier d’humaine ?

Enoch fait preuve dans le roman de plus de sensibilité que les humains qui l’entourent. Mais aussi de plus d’humanité, même si c’est dans sa programmation. Et enfin, il fait preuve d’humanisme, lorsqu’il choisit une conduite, en dehors de sa programmation.

Entrer en relation : l’harmonie d’être avec le monde

Le rapport avec l’autre présuppose une certaine « intelligence émotionnelle », une habileté à comprendre les émotions, les siennes propres et celles des autres. C’est ainsi que l’autisme gêne celui qui en souffre, l’empêchant de développer une relation à l’autre, mais aussi au monde, qui soit harmonieuse.

Kappa16 met en scène un robot thérapeutique, comme cela commence à se faire au Japon, par exemple, où les machines sont aussi utilisées pour rééduquer les personnes souffrant d’Alzheimer. Il est frappant de constater que c’est aussi un rôle qui peut être joué par des animaux. De nombreuses expériences thérapeutiques ont montré que le contact avec des animaux pouvait améliorer l’entrée en relation des autistes, et améliorer l’état émotionnel comme mnésique des personnes souffrant d’Alzheimer.

À ce propos, je me demande s’il est intentionnel de la part de Neil Jomunsi de présenter un robot thérapeutique dont les références conceptuelles sont aussi influencées par la langue et la culture japonaise. À partir de mots japonais, faisant partie de son vocabulaire de base, Enoch disserte presque sur la structure métaphysique du monde, sur l’existence d’un sens, et sur la trame même de la vie. On y discernerait presque une philosophie zen ou shintô, une certaine vision que je qualifierais d’« harmoniste ». De même, l’assimilation des robots, très présents dans la culture populaire japonaise, avec les animaux, le concept presque animiste de conférer une âme aux objets, et donc aux machines, parle aussi de cette façon d’envisager le monde comme un tout cohérent que nous devons appréhender de manière sensible comme intellectuelle.

J’y ai peut-être vu ce que je cherchais à y trouver, mais cela me rappelle un échange récent avec Mais où va le web, sur la façon dont les philosophies asiatiques pouvaient nous aider à considérer notre technologie.

Je pense de plus en plus que considérer à nouveau la Nature comme consciente, habitée d’une âme, y compris dans nos créations humaines, pourrait nous aider à relever les défis existentiels qui se posent à notre espèce, à notre monde. Loin des dogmes religieux, mais aussi du matérialisme pur, une voie plus philosophique inspirée par la valeur du respect comme pierre d’angle serait un chemin prometteur pour sortir de la spirale infernale de notre (auto-)destruction.

Vœu pieux de ma part dans ce début de 2017 déjà bien secoué…

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

Filtrer par
Exact matches only
Contenu
Type de Contenu
Tout sélectionner
Articles
Pages
Projets
Téléchargements
Filtre par Catégorie
Tout sélectionner
Chimères Animées
Chimères Partagées
Devine qui vient écrire
L'encre & la plume
Le Serpent à Plumes
Le Serpent d'Hippocrate
Les Feux de la Rampe
Les Pixe-Ailes du Phœnix
Musique des Sphères
Vers l'Infini et Au-delà
Filtre par Catégories De Projets
Tout sélectionner
Films
Jeu de Rôle

The Cursed Child : père, fils, et voyage dans le temps

The Cursed Child : père, fils, et voyage dans le temps

The Cursed Child : père, fils, et voyage dans le temps

On ne présente plus le phénomène culturel qu’est devenu l’univers d’Harry Potter, petit sorcier orphelin vivant dans la banlieue de Londres qui découvre qu’il appartient à tout un monde caché où la magie existe vraiment, côtoyant celui des non-magiciens (les moldus) que nous sommes. On ne présente plus ni son succès littéraire (et la formidable réussite d’une écriture qui déploie à la fois son vocabulaire, sa syntaxe et ses thèmes un peu plus loin à chaque tome en évoluant avec ses lecteurs qui grandissent en même temps que le héros) ni celui de son adaptation à l’écran.

Tout le monde ou presque a déjà écrit sur le sujet.

Mieux que moi.

Et comme moi, tout le monde a été surpris par le projet de J.K. Rowling d’écrire une pièce de théâtre pour terminer l’histoire d’Harry, maintenant père de trois enfants, dix-huit ans après les événements du dernier livre.

Harry Potter et l’enfant maudit (The Cursed Child) n’est pas vraiment un livre de J.K. Rowling, cependant, puisque la pièce a été écrite et mise en scène par John Tiffany et Jack Thorne, deux dramaturges qui ont eu le talent d’adapter une trame conçue par la créatrice du sorcier à la cicatrice.

Harry Potter est devenu adulte. Il travaille pour le Département des Mystères au Ministère de la Magie, sous les ordres d’Hermione qui est devenue la Ministre en charge des affaires délicates.

Il est marié avec Ginny Weasley, qui lui a donné trois enfants.

Son deuxième fils, Albus, ressent pourtant le fardeau de l’héritage paternel. Coincé entre son désir d’être aimé par son père et son refus d’être comparé à lui, il se lie d’amitié avec le fils de Drago Malefoy, Scorpius, après avoir été admis dans la Maison de Serpentard lors de sa première année à Poudlard. L’un et l’autre, en révolte envers leur famille et particulièrement leur père, vont se lancer dans une quête à travers le temps pour réparer ce qu’ils considèrent comme la faute première d’Harry : la mort de Cédric Diggory.

Mais jouer avec un Retourneur de temps peut être dangereux, surtout quand l’enfant caché de Voldemort rôde dans les ombres.

Harry et sa famille

Évacuons tout de suite la forme du livre, qui a fait tant parler. Passée la troisième page, on ne se rend plus vraiment compte qu’il s’agit d’une pièce de théâtre, et on lit le livre comme un roman. Les didascalies sont suffisamment précises mais aussi suffisamment évocatrices, s’appuyant sur les images véhiculées par les films, pour qu’on puisse sans aucun problème plonger dans l’univers magique qu’a si bien créé Rowling.

L’écriture des dialogues est crédible, agréable, fluide.

N’ayant pas la chance d’avoir vu la pièce se jouer à Londres, je ne sais pas quelle forme la mise en scène a pu donner lors du passage au spectacle vivant. Et j’avoue que je serais curieux d’y assister. Il y a de nombreux défis de mise en scène : la magie, les voyages dans le temps. Et après tout, depuis les mystères chrétiens joués sur les places publiques au moyen âge, le théâtre a su s’accommoder des effets spéciaux, bien plus tôt que le cinéma lui-même.

Mais c’est surtout le fond du texte qui m’a intéressé, et les échos qu’il a fait naître dans deux réflexions que je vous présentais ici il y a quelque temps : la paternité, et le voyage dans le temps.

Quand être un héros ne protège pas des conflits de générations

L’argument central de la pièce est constitué par la difficulté qu’ont Harry et son fils Albus d’un côté, mais aussi Drago et Scorpius, à se comprendre, à s’appréhender, à s’apprivoiser, à s’entendre. Ces relations conflictuelles sont le moteur d’Albus comme celui de Scorpius. Elles les poussent à accomplir des actions pour rechercher l’approbation ou au contraire pour se démarquer de leurs pères.

Ce faisant, la pièce parle autant des difficultés d’être un fils que de celles d’être un père. Elle projette sur Harry les figures paternelles qui sont disséminées dans la saga alors qu’il est lui-même un enfant : Hagrid, Rogue, Sirius Black, et bien entendu Dumbledore. Un renversement des rôles qui déstabilise le lecteur autant que le personnage, qui se demandent chacun de son côté ce qui fait qu’on est un bon père : guider ou au contraire laisser se construire des valeurs propres, protéger ou au contraire laisser libre au risque de paraître désintéressé ?

La réponse de Rowling est tout en nuances. Elle est probablement la synthèse du modèle de construction qu’elle a scindé dans toutes les figures auxquelles Harry se réfère au long des sept livres précédents : le modèle inatteignable et idéalisé de James, son père biologique, la figure protectrice brute d’Hagrid, l’autorité sévère de Severus Rogue contre laquelle on aime à se rebeller, la complicité de Sirius Black, et le guide spirituel qu’est Dumbledore.

Il est également amusant de constater que le meilleur ennemi d’Harry, Drago, traverse les mêmes épreuves que lui avec son propre enfant. Une communauté qui fera se rapprocher autant les pères que les fils et qui sans doute fait plus encore grandir les deux vieux héros que les aventures surnaturelles. Oublier les vieilles rancunes et les anciennes blessures, pour repartir à zéro. Qui d’entre nous a déjà réussi cet exploit émotionnel ?

Harry, Ginny et Albus
Drago et Scorpius

Jouer avec les allumettes du temps, c’est mettre le feu à sa propre création

En mettant la main sur un Retourneur de temps, Albus et Scorpius pensent corriger les erreurs du passé et redresser les torts. Mais ils apprennent bien vite que le temps a sa propre logique, et que d’un mal peut sortir un grand bien, comme d’un bien un grand mal. D’infimes changements peuvent avoir des conséquences inattendues dans le futur, suivant la célèbre métaphore du battement d’ailes du papillon et de la tempête tropicale.

Rowling n’hésite donc pas à pousser les conséquences jusqu’au bout : la disparition (ou plutôt la non-existence) de certains protagonistes dans un futur totalement remanié par rapport à ce que l’on connaît de la saga originelle.

En laissant ses héros « jouer à l’apprenti sorcier », elle expérimente elle-même, dans une mise en abîme assez réjouissante, bien qu’un peu déstabilisante, la déconstruction du mythe qu’elle a mis des années à édifier à force de centaines de pages et d’adaptations cinématographiques.

On a vraiment l’impression qu’elle éprouve un malin plaisir à prendre ses fans à contrepied : Ron devient aussi ennuyeux qu’un discours politique, Hermione est mariée à Viktor Krum, Cédric devient un mangemort. Et ce ne sont que quelques-uns des changements majeurs que l’auteur provoque dans sa propre création, car les deux enfants changent le futur à plusieurs reprises, jusqu’à annuler même la victoire d’Harry, et à provoquer celle du Maître des Ténèbres lui-même, Voldemort.

Elle explore ainsi diverses autres fins, divers autres univers. Elle joue avec ses propres codes, ses propres personnages.

Harry et le portrait de Dumbledore

Quand les deux thèmes se rejoignent

Le plus intéressant reste la dernière partie, quand l’enfant maudit, qui n’est pas celui que l’on croit, met au point un plan plus terrifiant et machiavélique encore que prévu, à cause des imprudences des héros. L’enfant de Voldemort veut provoquer le triomphe de son père en l’empêchant de commettre l’acte premier qui causera sa chute : le meurtre des parents d’Harry.

Une idée qui met les héros devant un dilemme moral et émotionnel parfait : sauver les parents d’Harry et assurer la victoire du Seigneur des Ténèbres, ou accepter le mal qui a été fait dans le passé et provoquer la défaite d’un plus grand maléfice.

En quelque sorte, grandir en sagesse, accepter le monde tel qu’il est. Grandir tout court.

Se servir des paradoxes temporels pour mettre les héros devant un choix et provoquer une interrogation chez le lecteur lui-même.

Rowling fait basculer son lectorat vers des problématiques d’adultes. Elle clôt l’histoire de l’enfant orphelin par ce choix qui marque la fin de son évolution vers la sagesse.

Le choix est un thème qui me tient à cœur depuis quelques années, et j’ai pris le parti, comme Rowling, de le rendre visible dans Le Choix des Anges, même si c’est d’une tout autre manière.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

Filtrer par
Exact matches only
Contenu
Type de Contenu
Tout sélectionner
Articles
Pages
Projets
Téléchargements
Filtre par Catégorie
Tout sélectionner
Chimères Animées
Chimères Partagées
Devine qui vient écrire
L'encre & la plume
Le Serpent à Plumes
Le Serpent d'Hippocrate
Les Feux de la Rampe
Les Pixe-Ailes du Phœnix
Musique des Sphères
Vers l'Infini et Au-delà
Filtre par Catégories De Projets
Tout sélectionner
Films
Jeu de Rôle

L’univers du Choix des Anges

L’univers du Choix des Anges

L’univers du Choix des Anges

Originellement destiné à être un court ou un moyen métrage, Le Choix des Anges s’est peu à peu transformé en un projet purement littéraire. Par manque de temps, par manque d’une équipe motivée, et aussi par choix personnel, l’œuvre est devenue une nouvelle, puis un roman, qui prend une forme plus approfondie, plus aboutie, sous cette enveloppe de mots, que je ne l’avais pensé au départ sous une apparence d’images animées.

Il se peut que dans plusieurs années le désir d’en faire un film puisse se concrétiser, mais pour le moment le cœur du projet est bien littéraire.

Et il avance. La rédaction du premier jet est depuis longtemps derrière moi. Actuellement, je travaille à lui donner une dimension plus profonde, plus réfléchie, plus mature. Une ambition plus grande. La réécriture avance à un bon rythme, et j’espère qu’elle sera achevée à la fin de l’année, pour remise en correction vers de nouveaux bêta-lecteurs en plus des anciens.

Cependant, tout le travail de réflexion sur le film qui devait être tourné (et qui le sera peut-être un jour) n’a pas été inutile, loin de là. Toutes ces heures de méditation et d’exploration de l’intrigue et de l’ambiance se retrouvent dans les mots mieux encore qu’ils n’auraient pu l’être imprimés sur la pellicule.

Elles m’ont aidé à construire un univers je l’espère à la fois cohérent et dépaysant, familier et fantastique.

Géographie et toponymie

L’ambition de départ était donc de construire un récit noir et fantastique qui chercherait à trouver de nouvelles images, une nouvelle esthétique.

Je me suis tourné vers l’idée de construire un monde où la nature pourrait jouer le rôle que la ville incarne dans la tradition des romans hard-boiled américains. Celui d’un cadre, d’un écrin, mettant en scène les désirs, les pulsions, les sacrifices, les renoncements, des personnages, eux-mêmes prisonniers de cet environnement.

En même temps, l’esthétique des romans gothiques et l’importance des bâtiments dans l’ambiance noire m’ont conduit à penser que le côté fantastique, voire mythologique, du récit serait renforcé par la présence d’un monde historique, d’un passé.

Voilà pourquoi rapidement mon imaginaire a fait émerger des paysages du vieux sud-ouest de la France, de cette région occitane qui a vu naître et s’épanouir le catharisme, qui a vécu la guerre de religion qui y mit fin comme celles qui déchirèrent les catholiques et les protestants. Des centaines de châteaux en ruines, de vieilles églises, de bâtisses médiévales ou renaissance sont posés dans un cadre vallonné ou escarpé tour à tour, parsemé de bois, de forêts ou de champs.

Plus particulièrement, c’est un mélange de paysages du Lauragais, du Gers, des Corbières et du Minervois qui ont ainsi structuré mes décors : des collines sur lesquelles sont perchées de vieilles fermes de briques ou d’antiques châteaux, des demeures de maîtres, des manoirs, des églises fortifiées. La présence des pins, des cyprès, une végétation qui rappelle un peu la Toscane.

J’ai construit le récit autour d’un village médiéval aux habitations de pierre grise qui pourrait être Bruniquel, Cordes, Lagrasse, ou Minerve. Un village assez grand, assez ancien, assez mystérieux, à l’histoire assez tourmentée pour accueillir l’intrigue biblique qui emporte Armand et Marianne, mais assez petit pour que la nature alentours ait un rôle, celui d’un océan qui met à distance le reste du monde. Et rende crédible les événements fantastiques tout en plaçant un flou volontaire sur l’époque où tout est sensé se dérouler.

C’est donc naturellement que les noms de lieux et les noms des personnages font référence à nos contrées.

Le village, dont Armand porte le nom, est Saint Ange. Le tournoi de boxe est celui des Initiés de Saint Gilles. Le maître luthier d’Armand est Pierre Saint Amans. Le père de Marianne est le Comte de Flamarens.

Costumes, habitudes, technologie… fantastique

J’ai été marqué par plusieurs œuvres qui ont osé mêler des ambiances et des époques différentes pour construire une véritable couleur originale. La principale est Caprica, la série préquelle de Battlestar Galactica, qui réussit à construire un tout cohérent en mélangeant la mode des années quarante et cinquante à une technologie informatique et spatiale, comme Matrix l’avait fait en incorporant une esthétique punk (voire cyberpunk) à une couleur gothique. Ou Bienvenue à Gattaca d’une manière encore différente.

Ainsi, j’ai repris la mode des années quarante et cinquante, celle de l’âge d’or du noir (Le faucon maltais, pour ne citer que lui), en y poussant notre technologie actuelle : tablettes tactiles, piratages informatiques, réseau internet. Marianne se trouve dans le rôle de la hackeuse sinon de génie, du moins très douée.

Les voitures sont toutes des berlines noires, les hommes portent le chapeau de feutre à la Bogart, les femmes fument des porte-cigarettes, un peu comme dans la série de photographies qu’Annie Leibovitz avait réalisée en 2007 pour le Spécial Hollywood de Vanity Fair.

Et pourtant, le fait de nous situer à une époque indéterminée dans un pays qui ressemble à la France ou au moins le sud de l’Europe permet de comprendre que l’intrigue se porte rapidement vers des enjeux mystiques, fantastiques, bibliques. Un peu comme dans La neuvième porte, dont la seule véritable réussite est cette plongée dans le fantastique.

https://youtu.be/oIlrjjwuMes

Mais s’il faut vraiment chercher un modèle, c’est bien du côté de Angel Heart qu’il faut porter son attention. Le passé historique, les vieilles pierres du sud-ouest, me semblaient un parfait pendant aux croyances animistes et vaudou de La Nouvelle-Orléans poisseuse du film d’Alan Parker.

La dualité : la musique et le Noble Art

Armand est un luthier. L’un des décors est donc l’atelier de son maître, Pierre. Il m’a suffi de puiser dans mes souvenirs d’enfance, lorsque j’accompagnais mon père dans l’atelier de son luthier.

Mais Armand est aussi un boxeur. Je voulais une autre passion pour mon personnage principal, quelque chose qui l’ancre dans la matérialité, qui soit physique, et en même temps avec une connotation qui rappelle l’époque des années quarante et cinquante. La boxe était le choix évident. En faire un élément central de l’intrigue paraissait aussi une bonne idée, histoire de mettre en scène un milieu plus interlope que le milieu des artistes.

Mais il était essentiel aussi que la musique accompagne Armand différemment. Laurie, la chanteuse de jazz à laquelle il est lié, peut faire le trait d’union entre la musique et la boxe, entre un univers artistique et un univers plus matérialiste, plus dangereux. Archétype de la femme fatale aux motivations plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord, Laurie est à la fois la révélatrice de la double nature des choses dans le Choix des Anges, une alliée comme une adversaire, une victime comme un bourreau, et une personnalité dont les désirs vont être le moteur d’une partie de l’intrigue.

Bien qu’elle soit physiquement différente, j’ai pris comme modèle le personnage d’Emma dans le Dark City d’Alex Proyas, joué par Jennifer Connelly. Emma chante Sway, Laurie aura son moment de lumière avec une version française revisitée de Cry me a river.

Toujours une histoire de temps…

C’est la réponse à la question de la fin : quand sera-t-il possible de lire Le Choix des Anges ?

J’aimerais beaucoup pouvoir être plus précis. Mais il reste encore du travail. Et une fois la nouvelle version écrite, il restera à attendre les retours de mes nouveaux bêta-lecteurs et les conclusions de mes anciens. J’en profiterai pour terminer les maquettes des versions électronique et papier de l’ouvrage, déjà bien avancées. C’est ensuite que, les corrections et la chasse aux coquilles terminées, je me lancerai dans ma première expérience dauto-édition.

Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai hâte !

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

Filtrer par
Exact matches only
Contenu
Type de Contenu
Tout sélectionner
Articles
Pages
Projets
Téléchargements
Filtre par Catégorie
Tout sélectionner
Chimères Animées
Chimères Partagées
Devine qui vient écrire
L'encre & la plume
Le Serpent à Plumes
Le Serpent d'Hippocrate
Les Feux de la Rampe
Les Pixe-Ailes du Phœnix
Musique des Sphères
Vers l'Infini et Au-delà
Filtre par Catégories De Projets
Tout sélectionner
Films
Jeu de Rôle

Le Chevalier Rouge, de Miles Cameron

Le Chevalier Rouge, de Miles Cameron

Le Chevalier Rouge, de Miles Cameron

Mon livre de vacances de l’été 2016 m’a fait renouer avec le genre médiéval fantastique, avec le premier tome de la saga Renégat, de Miles Cameron, auteur canadien au style enlevé. Le mélange des récits historiques et fantastiques donne souvent des métissages inattendus. Et en l’espèce, le bâtard issu de cette union est l’un des plus prometteurs que j’ai pu lire, qui marie l’ambiance médiévale bien documentée d’une compagnie de mercenaires à une épopée de fantasy opposant le monde des Hommes et celui des Êtres surnaturels.

Le Chevalier Rouge est un paria fuyant sa trop haute naissance et le poids d’un dessein maternel toxique dans la guerre professionnelle et la pratique des arts ésotériques d’une magie hermétique plus ou moins sulfureuse. Il dirige ainsi malgré son jeune âge d’une main de fer gantée une compagnie de mercenaire réputée. Il accepte de mettre ses services à la disposition de l’Abbesse d’un puissant monastère fortifié en butte aux menaces puis aux assauts d’une horde surnaturelle innombrable, et se retrouve alors au cœur d’un combat intime et aux proportions fabuleuses. Car le Monde Sauvage a décidé de punir les humains du royaume d’Alba, de reconquérir ses terres et de venger les affronts qui lui sont faits quotidiennement. À moins que la véritable lutte ne soit le fait d’autres puissances, aux motifs plus sombres encore.

On pense immédiatement au film peu connu de Paul Verhoeven, La Chair et le Sang (Flesh and Blood, avec l’incroyable Rutger Hauer), qui met en scène une bande de mercenaires au XIVe siècle, avec une liberté de ton peu commune dans le cinéma des années 1980. Les personnages sont tous des antihéros, il y a des scènes crues (de la chair et du sang, on n’est pas surpris du titre). Le Chevalier Rouge est beaucoup plus grand public (il n’y a pas de scène sexuelle, notamment), mais se rapproche du film de Verhoeven dans l’ambiance sombre qui s’en dégage.

Deux choses sautent aux yeux lors de la lecture : une connaissance intime du combat médiéval par l’auteur, qui pratique lui-même la discipline, et un univers intriguant, à la fois familier et mystérieux, fait du mélange astucieux entre des repères historiques forts et des changements fondateurs, presque uchroniques.

Le style vif est un peu ralenti par la foison de description des combats, un peu à la façon d’un Jaworski, la gouaille en moins. Mais il est quand même assez jouissif d’enfin lire quelqu’un qui a pris la peine de réfléchir (et même de vivre) à de réelles joutes en armure, avec le poids du métal et toutes ses conséquences. On peut regretter que le détail aille parfois beaucoup trop loin, et que les scènes d’action prennent autant de place dans la narration (sur plus de 800 pages, il y a la place). Cependant, le héros éponyme est un mercenaire. Sa vie est la guerre. Et pour une fois, on n’est pas volé sur la marchandise. Il s’agit de conter un siège. Surnaturel en partie, certes, mais un siège tout de même.

Et les morceaux les plus réussis ne sont pas forcément les scènes de bataille en elles-mêmes, mais bien le découpage presque cinématographique mis en place lors de celles qui impliquent des duels de magie. J’utilise beaucoup ce procédé moi-même qui consiste à entremêler deux actions dans un même paragraphe ou dans une même phrase, pour donner l’illusion de la simultanéité qu’offre le split-screen au cinéma, ou même le montage alterné rapide.

Par contre, la propension à découper les scènes en fonction des personnages commence à me sortir par les yeux. Il semble que les Anglo-saxons ne jurent maintenant que par ça, à croire que cette vilaine manie d’écrire leurs romans comme on découpe un scénario de film ou de série leur paraît être la meilleure façon d’attirer les studios pour adapter leur œuvre sur les écrans. Ce défaut a pu plaire (mais pas à moi) dans le Da Vinci Code de Dan Brown. Il a pu plaire encore dans le Game of Thrones de Georges Martin. Et je le déplore. Je lui trouve un petit côté racoleur qui m’irrite au plus haut point, et quand l’alternance entre les points de vue est trop rapide, je trouve ce procédé beaucoup trop frustrant pour le lecteur.

Le véritable plaisir de la lecture du Chevalier Rouge, c’est son univers.

Le royaume d’Alba fait référence sur bien des points à une Angleterre mythique qui ressemblerait un peu au royaume de Logres arthurien, de même que le pays de Galle avec ses chevaliers arrogants ne peut que faire penser au royaume de France. La rivalité des deux contrées est là pour souligner ce fait. L’empire de Morée est bien sûr l’incarnation de Byzance. On pourrait bien se retrouver dans l’univers de miroirs déformants des romans de Guy Gavriel Kay (La mosaïque de Sarance, Les lions d’Al Rassan). Et pourtant, là où Gavriel Kay décrit des mondes imaginaires inspirés de notre passé, Miles Cameron a l’idée géniale d’entremêler des faits de notre propre monde dans sa création. Par exemple la religion catholique, ses saints, son crédo. Tels quels. On ne sait donc plus très bien si l’on est dans un récit historique ou imaginaire. Et ça fonctionne ! Les repères religieux ancrent la fantaisie dans un mystérieux à la fois proche et lointain. Au début, même, on peut penser que l’univers est le nôtre. Ce n’est que lorsqu’il est question véritablement du Monde Sauvage, incarnation des forces primitives et telluriques, que l’on comprend qu’il s’agit d’une fantaisie assumée.

La magie, au départ seulement évoquée, est ensuite une part importante de cet univers coloré, à la fois sanglant et cruel, mais aussi flamboyant et intense. Et c’est là encore une réussite. Grâce à des éléments empruntant aux théories alchimiques, kabbalistiques, et à la sorcellerie « historique », Cameron décrit une magie unique, parfois liée à la religion, parfois liée à une pratique plus laïque, ou plus instinctive. On y lance des sorts appelés fantasmes en enchaînant des actions comme dans un combat à l’épée, en invoquant l’aide de saints ou des petits modules d’autres sortilèges comme on pourrait le faire en code informatique avec des sous-programmes. C’est très bien fait et pensé.

Il est très rassurant de constater qu’on peut faire un récit médiéval fantastique sans tomber ni dans le plagiat de Tolkien, ni dans le n’importe quoi narratif de Georges Martin, et ça m’encourage à poursuivre non seulement la lecture de la série de Cameron, mais aussi à continuer mon écriture propre, avec mon projet Rocfou, un univers dont l’ambiance est assez proche, bien qu’inspirée plus de l’époque mérovingienne et carolingienne. Mais je vous en reparlerai. J’ai d’abord Le Choix des Anges à finir…

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

Filtrer par
Exact matches only
Contenu
Type de Contenu
Tout sélectionner
Articles
Pages
Projets
Téléchargements
Filtre par Catégorie
Tout sélectionner
Chimères Animées
Chimères Partagées
Devine qui vient écrire
L'encre & la plume
Le Serpent à Plumes
Le Serpent d'Hippocrate
Les Feux de la Rampe
Les Pixe-Ailes du Phœnix
Musique des Sphères
Vers l'Infini et Au-delà
Filtre par Catégories De Projets
Tout sélectionner
Films
Jeu de Rôle