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Ma vie numérique sans les réseaux dyssociaux

Ma vie numérique sans les réseaux dyssociaux

Ma vie numérique sans les réseaux dyssociaux

En 2023, le principal canal d’accès à internet n’est plus vraiment l’internet originel, celui des moteurs de recherche, mais ce que l’on nomme abusivement les réseaux sociaux. Si l’on n’a pas un compte sur l’une ou l’autre de ces plateformes, on passe pour un attardé numérique, un geek à l’ancienne, un boomer, voire, pire, pour un déconnecté. Et si l’on est un artiste, c’est encore pire.

En effet, tout passe désormais par ces canaux de communication.

Les festivals annoncent leurs événements sur Facebook ou Twitter, et n’ont même plus leur site internet à jour (comme le salon des littératures de l’imaginaire toulousain Imagina’Livre).

Les artistes montrent leurs créations sur Instagram.

Les vidéastes et les vulgarisateurs postent sur YouTube.

Et je ne parle même pas des sites d’actualité ou des politiques, qui ne postent presque plus que sur Twitter.

Et le commun des mortels, qui n’osa jamais ouvrir un blog dans les années 2000 parce que «c’était compliqué» (objectivement, ça pouvait l’être), se retrouve aujourd’hui à avoir des profils à la fois sur Snapchat, TikTok et tous les autres, de façon à lui aussi accéder à la parole, même si c’est pour être noyé dans un flot massif de données.

On pourrait croire que l’internet tout entier se résume à ça : un (pas si) joyeux méli-mélo de «contenus» (mot qui ne veut rien dire) exposés sur des plateformes qui mâchent le travail de recherche et l’orientent en même temps dans le sens de leurs intérêts financiers ou politiques, voire philosophiques.

Pourtant, le «vieil» internet n’a pas disparu. Il est toujours là, parce qu’il reste tout de même la fondation essentielle de ce chaotique soi-disant internet social. D’une part parce que les plateformes ont toutes des limitations, ne serait-ce que techniques, qui brident ce que l’on peut y publier (nombre de caractères, notamment). D’autre part parce que, finalement, ces plateformes ne sont utilisées que pour faire caisse de résonance, et propulser plus loin ce que l’on crée ou réfléchit vraiment ailleurs.

Et de cela, je crois que tout le monde en est plus ou moins conscient.

Ces outils ne sont que des tremplins, pas des lieux où l’on peut trouver des informations pérennes. Votre tweet d’il y a deux heures est déjà submergé par des milliards d’autres, voire enterré par l’algorithme qui ne l’aura même pas montré à vos followers (parce que non, l’algorithme de Twitter ne vous montre pas tous les tweets des gens que vous suivez). Par contre, votre billet de blog, lui, est bien au chaud sur votre site, et une simple recherche peut le faire remonter facilement.

Pourtant, tout le monde fait comme si. Comme si c’était vraiment intéressant. Comme si on découvrait vraiment des gens différents qu’on n’aurait pas connus ailleurs ni autrement. Comme si tout n’était pas dicté par un algorithme dans le but de nous piéger dans une boucle de publicités ininterrompues.

Pire, nombre de créatrices et de créateurs font aussi semblant de croire. Croire que se soumettre aux injonctions de ces réseaux leur apportera une visibilité. Croire qu’ils et elles pourront se démarquer parmi une myriade d’autres. Croire qu’ils et elles peuvent plier l’algorithme pour cela, voire jouer plus intelligemment que lui.

Tout le monde fait comme si on n’avait pas le choix. Comme si on devait utiliser ces outils et se soumettre à leurs lois.

Il est temps de se réveiller.

Vous avez le choix. Vous l’avez toujours eu.

L’autre voie n’est même pas plus difficile. Et elle est plus libre.

Laissez-moi vous en montrer le chemin.

Affiche du film Spartacus de 1960 par Stanley Kubrick

Refuser les réseaux dyssociaux

À l’heure où j’écris ces lignes, Twitter ne s’est pas encore effondré, hélas. Mais je ne désespère pas de voir un nombre assez grand d’êtres humains se rendre compte de la nocivité de cet outil pour eux-mêmes et pour l’Humanité entière, puis, partant de là, de la nocivité de tous les réseaux dits «sociaux».

Mais, au fait, pourquoi refuser de les utiliser est si important ?

Réseaux «sociaux», réseaux «commerciaux», réseaux «dits sociaux», réseaux «dyssociaux»

Tel est l’enchaînement de mon opinion sur ces plateformes, au fil des années.

Au début, ces réseaux se sont présentés comme «sociaux» car leur propos était de mettre les gens en relation, de créer de la discussion, du partage, de vous permettre de faire société, de rencontrer de nouvelles personnes, comme dans la rue, dans un café, dans une soirée, dans une salle de cinéma. Ils étaient les héritiers des forums qui s’étaient multipliés comme des petits pains. Mais là où chaque forum avait sa thématique bien précise, et où donc il fallait s’inscrire sur une bonne centaine d’entre eux si vous aviez des passions un tant soit peu variées, avec Facebook ou Twitter, on vous promettait une seule grande place de rencontre où vous pouviez créer vous-même vos sujets de discussion. Au début, les promesses ont été tenues.

Mais rapidement, la réalité économique s’est rappelée aux concepteurs de ces outils. Maintenir des serveurs et payer des salariés pour développer le code, le maintenir, cela coûte cher, sans parler du fait que dégager des bénéfices était quand même à la base de tout. Ben oui, l’objectif de Zuckerberg comme de Jack Dorsey, au départ, c’est bien de faire de l’argent, pas d’éliminer la faim dans le monde. Il a donc bien fallu vendre quelque chose. Et comme la condition même de l’existence de ces outils était dans le nombre de leurs utilisateurs, il n’était pas question de les faire payer pour y accéder. Il a donc fallu trouver autre chose, qui est vite devenu évident : la publicité. Les utilisateurs ne paieraient donc pas avec leur argent, mais avec leur exposition à la publicité. À partir de là, ils n’ont plus du tout mérité leur nom. Les réseaux sont devenus «commerciaux».

Le besoin d’argent étant ce qu’il est, la publicité devint de plus en plus importante. Les algorithmes furent donc essentiels pour s’assurer que vous puissiez voir le plus de publicités ciblées sur vos centres d’intérêt. On commença donc à modifier la façon dont vous pouviez interagir avec les autres utilisateurs. Comme si, dans un café, on vous empêchait de voir certaines personnes ou de suivre certaines conversations, remplacées par des messages publicitaires. Je me demande d’ailleurs si vous resteriez dans un tel endroit plus de 10 minutes, s’il existait physiquement. J’ai mon idée sur la réponse, et par contre aucune piste pour comprendre pourquoi au contraire vous restez sur les réseaux… qui sont dès lors devenus une caricature de société. Des réseaux dont le nom était la négation même de ce qu’ils prétendaient être. Des réseaux «dits sociaux (mais qui sont tout sauf sociaux)».

Enfin, la massification des profils laisse aussi le champ libre aux trolls, qui ont presque toujours existé sur internet, mais qui trouvent dans ces réseaux un tout nouveau terrain de jeux encore plus grand, encore plus fertile que les forums d’antan. D’autant qu’à la différence de leurs aînés, les réseaux ne peuvent pas se gérer avec un ou deux «modos» mais bien avec des centaines de modérateurs exposés à des mots, des images, des vidéos pénibles sur le plan psychologique, et qui doivent supprimer à la chaîne des propos racistes, des menaces de mort, des images pédopornographiques ou violentes. Mais hélas leur travail, aussi important soit-il, ne suffit pas. Et le complotisme, le prosélytisme, l’ignorance, la désinformation, la manipulation, le harcèlement, la haine, les insultes se multiplient. Le café du commerce que l’on rêvait se transforme en une arène de combats de rue où tous les coups ou presque sont permis. Et les réseaux sont devenus «dyssociaux», de la racine «dys» (du grec : malformation, mauvais, erroné) car ils ne produisent plus qu’une socialisation malformée, déformée, perturbée et perturbatrice.

Les personnes exposées expriment souvent un stress, voire une anxiété, le FOMO pour l’anglais fear of missing out, ou peur de manquer. Manquer le prochain tweet, manquer l’information vitale, ne plus être en contact avec ses «amis» (eh, les gars, mes véritables amis, je connais aussi leur numéro de téléphone ou leur mail, je ne les perds donc pas si je quitte Facebook, quant aux autres, si je n’ai pas au moins ces deux autres moyens de les contacter, c’est qu’ils ne sont pas aussi importants que cela).

Je ne parle même pas des créateurs et des créatrices, qui vivent très souvent une pression à publier sur ces réseaux, de peur d’y devenir «invisibles». Mais spoiler : vous êtes forcément invisibles parmi des millions d’autres utilisateurs puisque l’algorithme est opaque par définition et décide de presque tout.

Tout cela est assez bien résumé dans un petit bouquin qui certes manque de détailler suffisamment mais est quand même assez bien écrit : La civilisation du poisson rouge, de Bruno Patino.

Vous comprendrez en le lisant pourquoi les ingénieurs de la tech interdisent à leurs propres enfants d’utiliser ces outils sur lesquels ils travaillent pourtant… L’auteur est journaliste, spécialiste des questions numériques. Il décortique les mécanismes qui ont conduit à l’émergence du web 2.0, à l’hégémonie des plateformes comme Facebook ou Twitter. Et surtout, il explique les choix qui ont été faits dans leurs fonctionnements. C’est glaçant, mais je trouve deux critiques à faire. D’abord, je trouve que c’est plus un manifeste qu’une étude précise. Il m’a manqué d’aller plus en profondeur. J’aurais aimé voir présentés les mécanismes neurophysiologiques, les bases scientifiques qui les corroborent, plus que juste citées en sources bibliographiques. Mais sans doute en attendais-je un peu trop. Ensuite, la dernière partie, qui est censée proposer des pistes pour agir, pour retrouver à la fois une citoyenneté et une liberté dans les usages du web, me semble beaucoup trop timorée par rapport à tout ce que l’auteur présente avant. J’ai l’impression que pendant les trois quarts du bouquin, Bruno Patino nous brosse une fin du monde apocalyptique, pour nous dire dans le dernier quart de simplement repeindre les murs de la maison… J’exagère un peu, c’est vrai, à dessein. Mais l’idée est là. Je suis resté sur ma faim. J’aurais attendu une réelle proposition «politique» (dans le sens «vie de la cité»), comme par exemple interdire le principe du like ou le défilement infini, comme aussi de placer l’ensemble des réseaux dysociaux sous tutelle d’une entité transnationale de type ONU. Ce ne sont que des idées jetées là sans réelle réflexion, mais justement, il aurait été à mon sens beaucoup plus percutant d’exposer ce genre d’idées plus en profondeur.

Si vous décidez de le lire, je serai curieux de savoir quel est votre sentiment dessus.

Et peut-être alors que vous prendrez la décision salutaire de franchir vous-mêmes le pas.

Peut-être que vous aussi, comme moi, vous vous affranchirez des réseaux dyssociaux.

Mais comment le faire proprement ?

Couverture du livre La civilisation du poisson rouge par Bruno Patino aux Livre de poche.

Récupérer ses données

La masse des données que possèdent ces réseaux sur vous est proprement stupéfiante.

Pour vous donner un exemple, dans mon cas précis, les données que Twitter avait sur moi, pour la période entre 2014 et 2019, année où j’ai quitté le réseau, pesaient plus de 8 Go (huit giga-octets !) en sachant que je n’ai jamais été un très gros utilisateur. Huit giga-octets, c’est l’équivalent approximatif de trois cent trente-trois mille six cents pages de texte (333 600, oui, vous lisez bien).

Cette masse de données est la mine d’or sur laquelle le réseau fait de l’argent. En la revendant, de manière à ce que vous soyez la cible de publicités taillées sur mesure pour vous.

Une mine d’or que vous avez tout intérêt à reprendre pour éviter qu’elle ne finisse entre les mains de pirates informatiques. Car ces données permettent, quand elles sont bien exploitées, de créer un profil de nous-mêmes, révélant beaucoup de choses que vous ne soupçonnez même pas.

Grâce aux lois européennes, nous sommes, sur notre continent, privilégiés : nous avons le droit de demander une archive de l’intégralité des données qu’un réseau possède sur nous, mais aussi d’exiger ensuite sa destruction, afin d’en devenir les seuls détenteurs.

Tous les réseaux sont donc obligés légalement de vous permettre de télécharger une archive des données vous concernant. Elle contiendra tout ce que vous y avez publié, vos contacts, la liste de vos abonnements et de vos followers, vos commentaires, vos likes et vos favoris, et j’en passe. La procédure change en fonction du réseau, mais elle est globalement simple.

Pour vous aider, vous pouvez aller sur cette page du site de la CNIL (Commission nationale internet et libertés) qui vous expliquera en détail la procédure.

Préparer la suite

Une fois vos données récupérées, je vous engage à d’ores et déjà préparer la suite, c’est-à-dire à construire un petit système personnel qui vous permettra de suivre les personnes ou les entités avec qui vous désirez toujours pouvoir interagir.

En gros, faites une liste de toutes ces entités et personnes, et déterminez qui est vraiment important et qui ne l’est pas à vos yeux. Ensuite, pour celles que vous avez sélectionnées, regardez quels sont leurs autres canaux de diffusion et en priorité l’adresse URL de leur site internet. Par exemple, au hasard, https://decaille-deplume.fr.

Commencez à regarder les différentes stratégies par lesquelles vous allez remplacer lesdits réseaux, et que je vous suggère plus loin. Prenez le temps de les tester et de sélectionner celles que vous allez adopter (celles qui vous conviennent le plus).

Pour toutes les personnes physiques qui n’ont pas de site ou de blog (et il y en a une écrasante majorité), voyez si vous pouvez les contacter par un autre biais, en général une adresse mail, ou un forum/Discord dans vos fréquentations communes.

Si vous ne pouvez pas, c’est que soit vous n’êtes pas si proches que cela, soit vous n’avez pas tant d’intérêts communs, et posez-vous la question de ce que vous retirez vraiment de cette interaction. Parce que partir du réseau signifiera en faire le deuil.

Le faire savoir

Bien évidemment, expliquez à vos followers et à ceux que vous suivez vous-mêmes que vous allez partir, et pourquoi. D’abord pour leur expliquer où vous retrouver, c’est quand même un minimum. Ensuite parce que votre acte aura une portée symbolique et politique forte.

De mon point de vue, si vous avez décidé de franchir le pas, vous serez un exemple. Ce sera grâce à la répétition des ruptures que les réseaux perdront leur influence sur nos vies. Il est donc fondamental que vous donniez le plus d’impact à votre propre exemple. C’est en cela que quitter un réseau dyssocial est politique. Vous affirmez une certaine vision du monde. Affirmez-la avec fierté.

Je vous conseille de publier un message expliquant votre décision et indiquant la date de suppression de votre compte, ainsi que les endroits où l’on pourra vous retrouver.

Effacer son compte

Lorsque tout ce qui précède est fait, lorsque le moment fatidique est arrivé (la date que vous avez vous-même fixée), il ne vous reste plus qu’à appuyer sur le bouton rouge.

Il se peut que vous ressentiez une certaine angoisse à cette idée, ou bien seulement au moment de cliquer sur le lien de suppression de votre compte. C’est parfaitement normal. Vous rompez avec de vieilles habitudes (et le cerveau adore les habitudes, donc il déteste quand on lui en enlève une), vous faites un deuil.

De façon pratique, là encore chaque réseau possède sa démarche spécifique, mais c’est en général simple. D’ailleurs, cette fois, il ne faut pas trop compter sur la CNIL pour vous aider, car la page qu’elle dédie à cette question est quand même très light

Certains réseaux essaient de vous retenir par un dernier argument : si vous «changez d’avis», ils gardent votre compte un certain temps (je crois que c’est 1 à 2 mois) pour que vous puissiez le retrouver intact en un seul clic. Je trouve cela assez fallacieux et pour tout dire très pervers. Ils essaient de vous faire replonger comme un toxicomane à qui on fait miroiter un dernier fix… et si vous avez vu Trainspotting, vous savez ce qu’il en est des soi-disant «derniers fix».

Ma vision des choses est qu’il vaut mieux partir sans se retourner, comme dans la vie.

Cela veut dire supprimer l’application de votre téléphone, de votre ordinateur, supprimer les adresses mail de contact du réseau, supprimer les favoris de votre navigateur internet, bref, ne plus du tout garder de liens avec aucun réseau.

Oui, mais si on usurpe mon compte ?

J’ai vu passer des argumentaires de personnes qui disaient en substance :

Je garde mon compte pour ne pas qu’il soit «squatté» et que quelqu’un se fasse passer pour moi.

Oui, mais non.

D’abord si vous avez bien fait le boulot, tous vos contacts actuels savent que vous quittez les réseaux dyssociaux et pourquoi. Ils savent même où vous retrouver. Quant aux nouveaux, qui vont vous chercher, si vous avez bien fait le boulot que je vous conseille plus loin, ils devraient vous trouver là où vous êtes vraiment et où vous affichez que vous refusez d’être sur un réseau dyssocial.

Par contre, c’est une belle excuse pour éviter d’avoir à rompre vraiment. Cela démontre que vous n’avez pas encore trouvé la force de le faire. Ce n’est pas grave. Mais vous n’êtes pas encore libre, je pense.

L’algorithme, cette bête curieuse

J’en parle beaucoup, et sans doute qu’en me lisant, vous commencez à croire que je lui en veux, à ce pauvre algorithme.

Et bien pas vraiment, parce qu’il ne fait que suivre sa nature, en fait.

Pour bien comprendre ce que je reproche aux algorithmes, il suffit de savoir ce que c’est vraiment, de nos jours.

Au départ, un algorithme est un ensemble d’étapes logiques effectuées par un ordinateur à qui l’on dit :

Si tu trouves le mot casserole dans un tweet, alors tu vas le montrer aux gens qui ont précédemment parlé de casseroles dans une conversation.

Mais ça, c’était avant. Avant la révolution des données massives et des capacités de calcul titanesques qui rendent possible la manipulation presque simultanée de milliards de paramètres par nos ordinateurs. Avant surtout l’invention du deep learning, cette programmation qui permet à un algorithme de fixer seul les conditions logiques que j’énonce plus haut en fonction de ce qu’il repère comme similitudes, différences, comparaisons logiques dans une masse de données que nous, pauvres Humains, ne pouvons même pas appréhender.

Car depuis cette avancée technologique majeure, les règles qui dirigent les algorithmes ne sont plus fixées par des êtres humains, mais par l’algorithme lui-même qui découvre des corrélations statistiques bizarres. Par exemple, il pourrait découvrir que la majorité des gens qui portent des mocassins parlent de casseroles dans leurs tweets. Il ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas comment. Mais il l’a remarqué. Donc il va décider seul de montrer tous les tweets qui parlent des casseroles aux gens qui portent des mocassins. Là, je vous parle d’un exemple simple à comprendre, mais il faut bien saisir que cette opération, il l’effectue seul, sans l’exposer aux humains, et même s’il le faisait, comme il le fait avec des milliards de paramètres intriqués, notre esprit ne peut pas, par nature, le comprendre.

Les spécialistes appellent cela l’effet «boîte noire» : on sait ce qui entre dans l’algorithme (à peu près, c’est-à-dire les giga-octets de données qu’on a sur un utilisateur de Twitter, multiplié par trois cents millions d’utilisateurs de la plateforme), on découvre ce qui en sort (votre flux de tweets qui est pollué par des publicités pour des casseroles), mais on ne sait pas ce qui s’est passé entre les deux. Personne. Pas même les concepteurs de l’algorithme.

Ce qui implique une chose assez terrifiante : on laisse la responsabilité à la machine, sans possibilité de contrôle.

Et tout le monde s’en fout.

Tableau La boîte de Pandore par Edward Burne Jones.

Mais si je pars, le quitte mon réseau professionnel

Reste que l’une des plus grandes réussites des réseaux dyssociaux, de leur point de vue, est de s’être rendus indispensables pour beaucoup de métiers. Ils sont devenus incontournables comme faisceaux de communication, de mise en relation.

C’est indéniable.

Et je suis mal placé pour vous prouver le contraire, puisque j’exerce une profession qui par nature n’est pas liée à une visibilité ou à une publicité, à une communication publique.

Cependant, encore une fois, je me permets de trouver l’argument un peu biaisé. Respectueusement, car je ne me permettrais pas de juger de la pertinence d’un tel choix pour vous, individuellement.

C’est juste que, collectivement, je trouve ça assez dingue.

Car cela montre la dépendance que la société s’est créée et à laquelle elle décide de rester soumise.

Car cet argument revient à dire :

Puisque tout le monde y est et que je veux faire partie de la société, je dois y rester.

Tout le monde le fait, alors je suis obligé de le faire.

Je suis le seul à être choqué de cela ?

Ou bien vous voyez aussi le problème ?

Si personne ne prend la décision d’arrêter, alors rien ne se passera.

On me rétorquera qu’un individu seul ne peut pas faire changer un système. Je m’inscris en faux. Si on croit vraiment cet argument, alors autant laisser la Terre brûler sous l’effet de serre parce qu’on ne peut pas seul arrêter le changement climatique et la perte de biodiversité, donc on va continuer à brûler l’Amazonie avec toutes ses conséquences, puisque notre voix unique ne sert à rien…

Là encore, vous avez le choix. Tout choix implique un renoncement à ce que l’on choisit de ne pas faire. Donc, oui, peut-être que vous allez laisser derrière vous une partie de réseau professionnel. Ou pas. Là encore, il existe d’autres moyens de faire cela. Forcément différents. Qui ne ressembleront pas à une gigantesque discussion de machine à café. Mais ce n’est pas une fatalité. C’est un choix.

Et encore une fois je crois qu’on peut très bien assumer de faire le choix de rester, en connaissance de cause. Je ne juge pas. C’est un choix qui est aussi respectable que les autres. Mais ce n’est pas le mien, et je trouve juste que l’argument de la masse n’est pas valable.

Pourquoi un autre réseau n’est pas forcément une bonne idée

En ces temps troublés où l’oiseau bleu bat de l’aile, voire est alourdi par le plomb que ladite aile a pris dans les plumes qui restent, beaucoup de personnes se sont tournées vers des réseaux dits «décentralisés», Mastodon en tête.

On pourrait penser (et j’étais dans ce cas-là aussi, j’ai eu un compte Mastodon en 2019 avant de quitter Twitter) que le paradigme des réseaux «libres» est suffisamment différent pour tout changer.

Et c’est vrai que c’est tentant :

  • Pas d’algorithme et pas de publicité, donc un flux de publications des comptes que vous suivez s’en trouvant non censurés ou déplacés, mais gardés par ordre chronologique.
  • Pas de défilement infini, ce tueur d’attention qui vous garde prisonnier du flux jusqu’à ce que mort s’ensuive.
  • Moins de monde (pour le moment) donc peu ou pas de trolls, donc une ambiance beaucoup plus tolérante et ouverte à la discussion.

Mais :

  • Moins de monde (pour le moment) donc pas forcément les gens que vous quittez ailleurs.
  • Moins de monde mais pas forcément de façon définitive, donc peut-être un jour le retour des trolls, des complotistes et autres haineux. Je suis d’accord, tant qu’ils ne sont pas là, ce n’est pas un véritable argument, sauf si on le met en relation avec le point suivant.
  • Une architecture décentralisée donc une modération très dépendante de l’instance à laquelle vous choisissez de vous affilier au départ, et ensuite il est très difficile d’en changer sans changer de compte. À moins de monter votre propre instance, mais cela demande des connaissances techniques qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Il reste plus simple, en 2023, d’ouvrir son propre blog que son instance Mastodon personnelle.
  • Le reproche principal : une limite de caractères dans les messages, même si elle est plus lâche que sur Twitter. Par nature, la limite de caractère bride surtout l’expression complexe et la pensée. Elle ne permet pas des discussions structurées et construites. C’est l’un des péchés originels des réseaux dyssociaux. Sauf pour publier des haikus, condenser la pensée en quelques mots est forcément un appauvrissement de l’esprit et de la discussion.

Pour moi, les avantages sont indéniables, mais les inconvénients me laissent sceptique sur l’utilité du microblogging dit «décentralisé» comparé à l’ouverture d’un simple blog sur wordpress.com, où vous n’avez même pas de connaissance technique à avoir et où vous restez maître de tout, y compris de la longueur de vos divagations.

Bien évidemment, cela n’est que mon avis personnel, vous êtes libre de (et encouragé à) en avoir un différent.

Les sites internet et les blogs

De mon point de vue, si vous avez quelque chose à dire d’intéressant au monde entier, il n’existe pas meilleur outil, ni plus libre, qu’un blog ou un site internet. Même si vous n’hébergez pas vous-même la chose, il est possible de trouver un prestataire qui le fera pour vous en vous en laissant la propriété. Vous aurez la maîtrise complète de l’outil. Vos données vous appartiennent totalement. Vous contrôlez qui est autorisé à entrer, à écrire, à commenter. Vous contrôlez la longueur de vos écrits, les images que vous postez. Tout vous appartient. Personne ne peut fermer votre blog ou votre site du jour au lendemain, si ce n’est la justice, qui le fait selon des règles précises et connues de tous à l’avance, et qui surtout ne changent pas du jour au lendemain parce qu’un milliardaire s’est levé du mauvais pied un matin à l’autre bout du monde.

La maintenance de l’outil est simple, éprouvée par plus de 20 ans de technologies qui évoluent en permanence. Des technologies qui sont open-source, libres, accessibles, robustes, fiables.

Vous n’avez pas forcément besoin de publicité pour que tout cela tienne debout, et même, pour environ le même prix qu’un badge bleu sur Twitter, vous offrez à vos visiteurs comme à vous-même une expérience d’internet libérée des sollicitations commerciales et totalement indépendante.

Bref, tout le contraire des plateformes propriétaires commerciales et dévoreuses de temps de cerveau disponible de leurs «captifs» que je n’ose même plus appeler utilisateurs.

Si vous avez envie, vous pouvez même apprendre deux langages informatiques très simples, le HTML et le CSS, pour peaufiner l’esthétique de votre demeure numérique. En allant un peu plus loin, avec du PHP ou du JavaScript, vous pouvez même customiser le moteur et vous créer votre Faucon Millénium à vous, avec ses compartiments secrets, ses pièces uniques.

Le point central est là : vous reprenez le contrôle de ce que vous publiez sur internet.

J’ai donc centré mon utilisation d’internet sur les blogs et les sites. Je publie moi-même ici, chez moi. Et je ne suis abonné à personne qui n’ait son propre site. Une autrice que l’on m’a conseillée n’a qu’un profil Facebook ? Eh bien, tant pis, je ne la suivrai pas. Je fais mon choix, même si cela veut dire renoncer à certaines choses.

La SEO

Oui, mais comment faire pour que mon blog soit visible ? Avec un réseau dyssocial, au moins, c’est facile.

Tu parles d’une arnaque !

Ce serait plus facile de sortir du lot dans un océan de trois cent mille comptes Twitter sans aucun moteur de recherche que sur la Toile où justement les outils puissants que sont Qwant, Ecosia, DuckDuckGo et autres, sans même parler des plus évidents que je n’ai pas cités parce qu’ils sont biaisés, permettent de retrouver une aiguille dans une botte de foin virtuelle ?

Je n’y crois absolument pas.

Les algorithmes des réseaux dyssociaux censés nous proposer des comptes selon nos centres d’intérêt sont plus opaques et ne permettent pas de faire des requêtes avancées. Et il est impossible de faire en sorte que notre profil exploite plus intelligemment le fonctionnement dudit algorithme.

Par contre, la Search Engine Optimization, elle, permet à votre site d’obtenir un peu plus de visibilité sans forcément publier des images de chatons (même si les chats sont une espèce supérieure, on est d’accord là-dessus). Alors oui, c’est compliqué, oui, c’est à la limite de l’éthique parfois, oui, j’ai personnellement une réticence à l’utiliser. Mais ça reste beaucoup plus efficace et beaucoup plus respectueux des visiteurs qu’un algorithme dont on ne sait rien contrôlé par on ne sait qui.

Les commentaires

Oui, mais les réseaux dyssociaux permettent de discuter plus facilement !

Faux !

Vous appelez «discuter» un échange de 300 caractères au maximum ? Vous appelez «discuter» un lieu où vos échanges tendent à se résumer à des punchlines ?

Le fait même d’avoir une limite de caractères dans les écrits implique de ne pas prendre le temps, mais d’aller au but le plus rapidement possible. Cela oblige à être percutant, donc réducteur. Cela amène à utiliser l’ironie très souvent, à rester simple, voire simpliste. Et tant pis pour les nuances, qui demandent plus de caractères…

Au contraire, dans les commentaires des blogs et des sites, il n’y a pas de limites de caractères.

Vous pouvez vous exprimer librement et seule la personne propriétaire du site peut censurer, selon des règles affichées. Vous ne devriez pas être insultée ou harcelé, parce que le propriétaire en serait responsable.

Je discute donc en premier lieu sur les blogs des gens qui m’intéressent, et si je le fais parfois ailleurs (via des newsletters, sur des serveurs Discord), c’est toujours dans un second temps, quand l’échange a vocation à être plus restreint en diffusion, ou bien privé.

Je considère que si ce que j’ai à dire est intéressant, cela vaut le coup de le publier sur un commentaire de blog, pour y servir à d’autres. Si ce n’est pas intéressant, je ne fais pas de commentaire du tout. J’aime bien l’idée de ne pas parler à tort et à travers. J’essaie donc d’apporter quelque chose à la discussion, d’être constructif, toujours. Si ce que j’ai à dire est intéressant mais plus restreint, ou bien privé, je le fais via un serveur Discord ou en réponse à une newsletter.

Les bookmarks

Une des grandes supériorités des sites et des blogs à l’ancienne sur les réseaux dyssociaux est la possibilité de marquer une page pour la retrouver plus tard, pour servir de référence.

Nous sommes d’accord sur le fait qu’un post Facebook est rarement si mémorable ou utile à l’Humanité qu’on doive absolument y retourner plus tard. Un article de blog, par contre, c’est possible. Une page d’un site passionnant, c’est possible aussi.

Mais outre l’intérêt discutable d’un tweet, on pourrait quand même avoir envie de garder une trace de ce qui s’y dit. Par exemple, les threads de Twitter, ces séries de tweets qui sont apparues pour contourner tant bien que mal la limitation de caractère et développer des démonstrations entières, sont parfois de très bonnes références (je pense à ceux écrits en leur temps par des confrères neurologues). Et aucun moyen de les conserver si les auteurs de ces threads ne les mettent pas ailleurs (sur un site dédié par exemple). Alors, cette démonstration passionnante se perd.

Sans doute que, comme moi, vous vous êtes retrouvés après trente ans de maraude sur les océans d’internet, avec des centaines de bookmarks que vous ne regardiez jamais, et dont probablement une grande partie était devenue obsolète car les sites avaient fermé, ou avaient changé d’adresse. Peut-être même que vos propres bookmarks sont dispersés entre tous vos navigateurs, votre téléphone et votre ordinateur, bref, je parie que c’est devenu un capharnaüm inextricable.

Comment je le sais ?

C’était pareil pour moi, avant.

Jusqu’à ce que je trouve un outil (raindrop.io) qui permette à la fois de centraliser mes bookmarks en les partageant sur tous mes navigateurs et tous mes appareils, et de les classer non plus suivant des dossiers, sous-dossiers, sous-sous-dossiers… mais suivant des étiquettes organisées selon une syntaxe simple.

Je me suis demandé ce qu’était pour moi un site ou une page valant le coup d’être mise dans mes bookmarks. La réponse a été : une référence, une entité de référence, un tutoriel, ou un outil, sur un sujet donné.

Alors pour m’y retrouver, j’ai déjà supprimé tous les bookmarks qui n’étaient pas des références, des entités, des outils, des tutoriels. J’ai effacé plus des deux tiers de mes vieux bookmarks

Puis j’ai collé à chacun de ceux qui restaient une étiquette selon le principe suivant : le type de ressource (#référence, #outil, #entité ou #tutoriel) puis le ou les sujets (exemple au hasard #narration, #jeu de rôle, #bookmaking, etc.).

Exemple : la page du site https://openclassrooms.com/fr/courses/4929676-redigez-des-ecrits-professionnels?archived-source=1617396, un cours sur le langage LATEX pour mettre en page des livres et autres documents de façon professionnelle est référencé dans mes bookmarks raindrop comme #référence #bookmaking #code.

Pour le retrouver, il suffit de demander au moteur de recherche de raindrop les bookmarks qui correspondent à une référence sur le bookmaking et le code…

Capture d'écran de mes propres bookmarks dans raindrop.io

Les flux RSS

Et pour suivre la publication de nouveaux articles sur un site, pour remplacer ma liste d’abonnements, j’utilise les flux RSS.

Je vous ai déjà montré comment cette technologie permettait de ne rien manquer des sites et des blogs qui vous intéressent, et comment vous tenir informés des commentaires postés sur ces mêmes sites et blogs.

Cela recrée un mini-réseau de connaissances, et vous permet de suivre des conversations.

Sur mon agrégateur de flux RSS, j’organise mes abonnements par thème, par catégories. Je peux faire des recherches dessus, je peux archiver des articles ou des commentaires (vous avez déjà essayé d’archiver un tweet ou un post Instagram ? C’est impossible), retrouver facilement l’un d’entre eux.

Je peux aussi suivre des chaînes YouTube, et j’ai récemment découvert que les flux RSS de YouTube ne comportent aucune publicité (sauf celles qui sont incluses dans la vidéo par les créateurs eux-mêmes). Ce qui fait que regarder une vidéo YouTube via mon agrégateur RSS me libère aussi de cette source-là de pollution.

Capture d'écran de quelques uns des flux RSS auxquels je suis abonné, dans le logiciel Reeder.

Les podcasts

Je m’étonne toujours que les podcasts soient si populaires et les flux RSS si méconnus, car la diffusion des podcasts est basée sur la technologie RSS. Encore un paradoxe de la vie numérique.

Bref, les podcasts sont une autre façon d’utiliser internet sans réseau dyssocial.

Là encore, pas besoin de Twitter ou Facebook pour suivre mes émissions préférées, un agrégateur de podcast comme Apple Podcast, ou Soundcloud, ou même un flux RSS tout bête suffit. Et la technologie est simple et robuste que vous ne manquerez aucune émission. Il n’y aura aucun filtre algorithmique entre vous et la publication des épisodes qui vous intéressent. Il y a même des moteurs de recherche pour trouver vos émissions. Ou des recommandations, comme celles que je fais moi-même.

Un homme lisant un texte dans un vieux micro.

Les newsletters et infolettres

Je ne sais pas pour vous, mais moi j’aime recevoir du courrier. Du vrai, en papier. Je ne parle bien sûr pas des missives officielles bien trop nombreuses émanant des différents organismes administratifs, mais des véritables lettres, celles qui viennent de personnes avec qui on a envie d’échanger une correspondance.

C’est sans doute une expérience que les plus jeunes d’entre nous n’imaginent même pas, car internet et plus encore les réseaux dyssociaux ont révolutionné le rapport que nous avions avec le temps des échanges.

Alors qu’actuellement nous pouvons envoyer instantanément un message à des millions de gens, et en recevoir aussi rapidement, il y a trente ans, nous devions écrire (à la main ou avec un ordinateur) sur une feuille de papier que nous devions envoyer par la poste. Ce message mettait entre un et trois jours avant de parvenir à son destinataire. Plus longtemps encore s’il habitait à l’étranger. Et si nous voulions répondre, alors il fallait écrire, mettre dans une enveloppe, aller poster la lettre, et attendre que notre correspondant la reçoive, selon un délai variable, avant de nous répondre à son tour. Et ce jusqu’à ce qu’un des deux se désengage du processus.

C’était tellement précieux, tellement complexe d’envoyer un message, que nous avions tendance à écrire des choses longues, qui valaient la peine de prendre ce temps, de faire cet effort.

On pourrait croire que cela n’existe plus.

On aurait tort.

Les newsletters (ou infolettres, comme disent les Québécois), comme ma propre lettre d’écaille & de plume, sont les héritières de cette pratique ancestrale. Elles permettent de correspondre à l’ancienne, en développant sa pensée. D’un autre côté, contrairement à un article de blog, ou à un post Facebook, ou à un tweet, elles ne sont pas destinées au public, si l’on peut dire. C’est une correspondance semi-privée. Elle est envoyée à une audience qui s’est inscrite pour cela. Mais seulement à elle.

Et si certaines personnes gardent une archive de leurs propres newsletters pour que les nouveaux inscrits puissent s’y référer, je suis plutôt partisan de l’inverse. On prend le train en marche, si je puis dire, et ce n’est pas grave. C’est un peu comme dans la vie. Si vous m’avez connu il y a dix ans, vous connaissez mon évolution, mais si vous venez juste de me rencontrer, eh bien vous faîtes avec la personne que je suis actuellement. Et c’est d’ailleurs peut-être plus facile pour vous, parce que parfois, concilier la personne que j’étais il y a dix ans et celle que je suis maintenant…

Bref, pour moi, une newsletter est un lien plus personnel. Si vous désirez garder ou archiver les lettres d’écaille & de plume que je vous envoie, vous en avez parfaitement le droit. Vous pourrez ainsi en relire certaines (si elles en valent la peine à vos yeux) dans quelques années, comme nous le faisions avec de vieilles missives en papier. Ou pas. Mais si vous venez de me rejoindre, vous ne recevrez pas les lettres que j’ai envoyées il y a un an ou deux ans.

Dans mon esprit une lettre est vivante, et elle évolue donc. En partie grâce à vous, d’ailleurs.

Un site ou un blog est conçu pour rester, pour laisser une empreinte plus durable.

Les deux sont complémentaires.

Et donc, je m’inscris aux newsletters dans le même esprit. Je réponds parfois, et les conversations peuvent s’étirer dans l’espace d’un mail, parfois très long, comme dans le temps, parfois sur plusieurs semaines. Parfois, je prends le temps avant de répondre. Le temps de mûrir ce que j’ai envie de dire, d’écrire. Le temps de la réflexion sur ce que j’ai lu.

Je ne suis plus pressé ni par un algorithme qui enfouit un tweet sous des milliers d’autres en quelques secondes, ni par une urgence à répondre sur l’instant.

Tableau d'ambiance victorienne  représentant deux jeunes femmes en train de lire une lettre, probablement galante.

Les serveurs Discord

Et si je veux avoir une discussion non plus seulement à deux mais avec une communauté ?

Il y a les serveurs Discord pour cela.

Héritiers des vieux forums des années 1990 et 2000, ces espaces ont un mode de fonctionnement hybride entre le réseau et la newsletter. D’abord ils sont communautaires, même s’ils appartiennent à une personne ou une organisation, qui sont responsables de sa modération, de son organisation.

Un serveur Discord est en effet organisé en salons dédiés à des sujets bien précis, des thématiques, parfois des règles différentes, et parfois des droits d’accès séparés. Un même serveur peut ainsi accueillir un salon général ouvert à tous (tous ceux qui ont reçu le lien d’invitation du serveur), un salon qui cause de jeu de rôle ouvert à tous également, mais aussi un salon réservé aux correspondants qui reçoivent une newsletter, et un autre salon où seuls les mécènes Patreon sont autorisés à entrer.

Là encore, le ou la propriétaire (vous) est maître en ses lieux. Vous ne dépendez pas d’un algorithme ou d’une plateforme. Pas plus que les invités du serveur.

Le plus intéressant reste que l’accès à un serveur se fait par invitation. Si vous ne possédez pas le lien, alors vous ne pourrez jamais trouver le serveur. De même, vous pouvez doser finement les droits et les accès de chaque catégorie d’utilisateurs invités, voire de chaque utilisateur lui-même, comme sur un site ou un forum.

L’installation d’un serveur Discord est assez simple, et elle est gratuite…

Tableau Le salon de la princesse Mathilde

Les comptes Patreon

Vous désirez avoir une relation plus privilégiée avec un créateur ou une créatrice ? Vous voulez l’aider et faire connaître son travail ? Oubliez les retweets et autres likes. Donnez-lui les moyens de continuer et de déployer son art. Devenez son mécène via Patreon.

Je cite cette plateforme en particulier car l’alternative française subventionne le complotisme, quant à celle qui promet de financer par de la publicité que vous accepteriez de regarder, je trouve que c’est une perversion pure et simple du principe du micromécénat lui-même.

En donnant sur Patreon, vous agissez contre la publicité et vous aidez directement la personne ou l’organisation que vous voulez soutenir, en ayant des contreparties exclusives.

En ouvrant votre propre page, vous vous assurez l’indépendance de cette même publicité tout en fédérant autour de vous les personnes les plus motivées.

Bien choisir c’est choisir parcimonieusement

Tout cela est bien beau, mais peut tout de même vous mener à une situation de saturation comparable à celle des réseaux dyssociaux. Si vous n’y prenez garde, en effet, vous risquez de crouler sous les bookmarks, les flux RSS, les podcasts non lus, les newsletters non ouvertes qui s’accumulent dans votre boîte mail, et des dizaines de conversations sur Discord que vous ne pourrez plus suivre.

Mon conseil est donc de choisir très parcimonieusement vos abonnements.

  • Ne gardez dans vos bookmarks que les sites qui soit vous paraissent mériter une deuxième vision un peu plus tard, soit qui sont pour vous des références importantes.
  • Ne commentez que si vous pensez avoir quelque chose de véritablement utile à apporter à la conversation ou à l’article.
  • Ne vous abonnez au flux RSS que des sites ou des podcasts qui vous paraissent mériter l’effort de les suivre, de les lire ou écouter régulièrement.
  • Ne donnez votre adresse mail à une newsletter que si vous pensez que vous aurez le temps d’en lire les missives.
  • N’entrez dans un serveur Discord qu’en étant prête ou prêt à y participer régulièrement.
  • Et surtout, ne gardez rien qui ne vous soit plus utile ou qui n’éveille plus votre intérêt.

Dans le cas des newsletters ou des serveurs Discord, la politesse voudrait que vous expliquiez votre démarche à la personne qui en est l’expéditrice ou la propriétaire. Mais je sais que ce n’est pas dans les us et coutumes de l’internet, ni même de la vie réelle.

Dans tous les cas, sachez rester minimalistes et souvenez-vous que peu d’abonnements de grande qualité sont plus importants que de trop nombreux abonnements qui vous encombreront.

Au besoin, pour vous aider à choisir, vous pouvez utiliser la méthode des cercles concentriques.

Conclusion : pour un internet et une vie numérique apaisées

Ma vie relationnelle numérique est organisée en cercles concentriques selon la proximité et l’intérêt que suscitent les rencontres que je fais.

  • Premier cercle : les trouvailles, la boussole
    • Navigateur internet
    • Moteur de recherche
    • Bookmarks
  • Deuxième cercle : les références
    • Flux RSS
    • Podcasts
    • Commentaires par flux RSS
  • Troisième cercle : les «amitiés virtuelles»
    • Newsletters
    • Communautés Discord
    • Patreon

Tout ce que je trouve sur internet, au cours de mes voyages dans les océans virtuels, commence par arriver dans mon navigateur, à la périphérie du premier cercle. Si ce que j’y trouve éveille ma curiosité, je garde le site dans mes bookmarks avec l’étiquette #à revoir. Dans un deuxième temps, quand j’ai parcouru le site, je décide si je lui trouve toujours autant d’intérêt.

Si c’est le cas, alors, dans le cas où le site peut me servir de référence ou d’outil, de tutoriel, je le garde dans mes bookmarks avec l’étiquette adéquate. Si le site publie régulièrement sur un sujet qui est important pour moi, il franchit le deuxième cercle et je peux en plus m’abonner à son flux RSS, voire commenter et dans ce cas m’abonner au flux RSS des commentaires de l’article ou du site en entier pour suivre la conversation qui va peut-être s’amorcer.

Au fil des articles reçus par le flux RSS, je décide si certains valent la peine de les garder en bookmarks, voire de commenter.

Lorsqu’un site suscite vraiment de ma part des commentaires réguliers, ou que ses articles me plaisent, alors je lui fais franchir le troisième cercle, et je m’abonne à la newsletter, voire au serveur Discord, ou bien aux deux.

Enfin, lorsque le travail de quelqu’un m’interpelle vraiment, je peux devenir son mécène.

J’imagine que vous avez un système similaire, si ce n’est exactement le même, car il est simplement basé sur le modèle de ce qui se passe dans la vie réelle. Lorsque nous rencontrons quelqu’un, à moins d’un coup de foudre qui fait directement franchir un ou deux cercles, nous laissons la personne dans le premier, le temps de tester la relation. Puis peu à peu, la personne peut changer de cercle. Parfois, même, passer d’un cercle plus proche à un cercle plus éloigné.

Il reste que, comme dans la vie, nos compétences relationnelles sont inégales, et ont tendance à changer avec l’âge. On espère qu’elles s’améliorent, mais ce n’est pas toujours le cas. Comme dans la vie réelle, il y a des personnes plus douées que d’autres. Comme dans la vie réelle, il est nécessaire d’acquérir un savoir-vivre.

Et ça, ça s’apprend. Ce sera peut-être l’objet d’un prochain article.

Quel cercle ?

Si vous utilisez un autre principe, je suis curieux de connaître lequel. Vous pouvez en parler dans les commentaires… si d’écaille & de plume est dans votre deuxième cercle, bien sûr 😜.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Un réseau social personnel grâce au RSS

Un réseau social personnel grâce au RSS

Un réseau social personnel grâce au RSS

J’ai quitté les réseaux commerciaux il y a plusieurs mois maintenant, et je m’en porte merveilleusement bien, loin des polémiques sans fin, stériles et idiotes de Twitter, loin de la pub omniprésente et du culte de l’autocélébration sur Instagram. J’ai repris le chemin des blogs, où je trouve beaucoup plus de calme et de sérénité.

Cependant, force est de constater que la discussion met plus de temps à s’installer sur les blogs, où les commentaires sont un poil plus lents que sur les plateformes. Cela a un avantage indéniable : on a plus de temps pour écrire des commentaires construits, on réagit beaucoup moins à chaud, beaucoup moins épidermiquement. On privilégie un fond et une forme plus élaborées. Surtout, on ne réagit que lorsqu’on a quelque chose d’intéressant à dire, ce qui n’est pas forcément le cas sur les réseaux. Le corollaire en est donc qu’il y a beaucoup moins de réactions sur les blogs que sur les réseaux. On pourrait croire que c’est parce qu’on n’est pas lus. Je ne crois pas.

Je pense qu’il manque une fonctionnalité aux blogs pour développer un peu plus les conversations (sous-entendu : les conversations intéressantes). Un système de centralisation qui recevrait les commentaires de tous les sites que l’on suit, et à partir duquel on pourrait lire les discussions qui s’y tiennent, y répondre, voire explorer les blogs et les sites des commentateurs et des commentatrices qui nous ont intéressées.

Une sorte de réseau social personnel.

Il existe déjà sur beaucoup de ces blogs la fonctionnalité de se faire envoyer un mail lorsqu’un commentaire est publié sur un article que l’on a demandé de suivre. Mais ce n’est, je trouve, pas très pratique de recevoir tout cela dans une boîte mail déjà saturée, ni surtout de devoir s’abonner à chaque conversation.

Or, j’ai «découvert» que je pouvais me servir d’un outil déjà existant pour construire ce réseau social personnel. Un outil dont je vous ai déjà parlé il y a quelques mois : les flux RSS.

Voyons comment ensemble.

Flux RSS des sites personnels et des blogs

Parmi les nombreux avantages de la vieille technologie des flux RSS, il y a celui de pouvoir produire des flux distincts en fonction de différents paramètres. On peut facilement déterminer un flux pour les articles d’une catégorie, par exemple. Mieux, et c’est ce qui nous intéresse ici, on peut déterminer de produire un flux à partir des commentaires portant sur un article précis, une catégorie d’article précise, voire tous les commentaires arrivant sur le site.

À partir du moment où l’on sait où chercher ce flux, il ne reste qu’à l’indiquer à notre agrégateur de flux RSS préféré, et le tour est joué.

Cependant, il faut être conscient d’une limite inhérente au système : le flux RSS est produit et décidé par le propriétaire du site, ce qui veut dire que ledit propriétaire peut, s’il le désire, bloquer la fonctionnalité pour certains paramètres. Et après tout, c’est son droit. J’y vois d’ailleurs une vertu supplémentaire : celle de rendre à chacun la maîtrise de sa place et de ce qu’il diffuse.

Bien sûr, ce paramétrage fin est par nature un peu moins simple qu’un bête abonnement au compte d’une personne sur les réseaux commerciaux. Il y a donc, c’est vrai, un peu de bidouillage à la clef. C’est le prix de la liberté…

Car si la structure d’un flux RSS est standardisée, l’adresse où l’on peut ensuite recevoir ce flux ne l’est pas. Elle dépend du système de blog ou de site choisi par le propriétaire. De nos jours, il est devenu rare, hélas, de trouver les icônes orangées qui dans les jeunes années d’internet permettaient en cliquant simplement dessus de s’abonner à un flux RSS précis.

Mais rien n’est perdu, et il reste possible de trouver un flux si l’on sait quel système de blog est utilisé.

WordPress

Les flux d’un site sous WordPress peuvent être :

Mais ceux qui nous intéressent tout particulièrement sont le flux des commentaires :

https://decaille-deplume.fr/comments/feed/

Ou celui des commentaires sur un article précis :

https://decaille-deplume.fr/super-article/feed/

Blogger

Pour blogger, l’adresse des commentaires déposés sur le site sera :

https://lesitesousblogger/feeds/comments/default?alt=rss

Un outil pour se simplifier la vie : l’agrégateur de flux

Je vous ai déjà parlé des agrégateurs lorsque nous avons discuté des flux RSS il y a quelque temps.

L’avantage de se servir de l’agrégateur (celui que vous choisirez) pour suivre les commentaires d’un site est que vous allez recréer un lieu unique pour y consulter les discussions qui ont lieu sur des endroits que vous aurez choisis. Mais également, ce lieu ne polluera pas le trafic des blogs que vous suivez, il ne captera pas l’audience et laissera au propriétaire l’entière responsabilité de la modération mais aussi sa liberté de ton et de gestion.

Enfin, il vous redirigera vers le site lui-même pour écrire vous-même un commentaire si vous désirez participer à la discussion.

La Toile d’Arachné Solara

C’est le nom que j’ai donné à mon propre réseau de commentaires suivis par RSS, d’après l’entité qui réassembla les parties du monde menaçant d’être dispersées dans le Chaos lorsque débuta le Temps dans l’univers de Glorantha. J’y intègre les flux des commentaires de chaque site où l’envie me prend de participer aux échanges.

Lorsqu’un commentaire est publié sur l’un des sites que je suis ainsi, il est directement reçu par mon lecteur RSS. Et je peux le lire également depuis la même application.

Pour répondre à un commentaire, c’est simple, je clique sur le titre, et je me retrouve sur le site lui-même, où je peux poster mon grain de sel.

Mieux, lorsque ces commentaires me semblent particulièrement pertinents, je peux chercher si la personne qui les a rédigés n’aurait pas un site elle-même, par hasard. Et si c’est le cas : j’étends la Toile d’Arachné Solara…

C’est d’ailleurs comme cela que j’ai suivi un fil jusqu’à la notion d’oasis que tente de développer Stéphane Gallay.

Capture d'écran de la Toile d'Arachné Solara sur Reeder

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Pourquoi je ne mets plus de note aux livres que je lis (ni aux séries et aux films, ni pour quoi que ce soit d’ailleurs)

Pourquoi je ne mets plus de note aux livres que je lis (ni aux séries et aux films, ni pour quoi que ce soit d’ailleurs)

Pourquoi je ne mets plus de note aux livres que je lis (ni aux séries et aux films, ni pour quoi que ce soit d’ailleurs)

Comme je le dis souvent, aimer écrire, c’est d’abord aimer lire. Je ne fais pas exception à cette règle-ci. Si je pouvais, je lirais plus encore que je ne puis le faire actuellement. Je rêve de retrouver le temps où je pouvais passer des journées entières plongé dans les pages d’un bon roman, ou des nuits, d’ailleurs…

Cependant, avec les années, l’expérience, l’âge, mais aussi avec la profusion de livres publiés chaque année, je crois que nous sommes tous confrontés à un paradoxe fondamental : il y a de plus en plus de bouquins à lire, mais sans doute devenons-nous plus difficiles (en tous les cas je deviens plus difficile). Car il y a de moins en moins d’ouvrages qui me transportent vraiment, ou simplement qui me font vraiment envie, et comme j’ai moins de temps pour lire, je suis parfois paralysé…

Comment choisir ?

On peut, comme moi, s’en tenir à son intuition. C’est parfois un bon indicateur. Pas toujours.

On peut, comme avant, choisir de faire confiance à une maison d’édition (par exemple, je suis assez fan des productions des Moutons électriques, ou de l’Atalante, comme de certains auteurs chez Bragelonne). Mais ça ne suffit pas non plus, car si l’on refuse de sortir des sentiers battus, on ne découvrira pas des auteurs qui ont fait un autre choix que ce circuit-là, comme l’ami Olivier Saraja.

Alors nous avons trouvé, poussés en cela par les grands acteurs de la distribution, mais aussi par une tendance de fond de la société, divers moyens pour nous aider à choisir, puisque ni la couverture ni la quatrième de couverture ne sont plus suffisantes pour nous guider vraiment, et parce que nous nous sommes éloignés de nos libraires. Ces derniers pourtant pouvaient apprendre à connaître nos goûts et devenir nos initiateurs vers une œuvre, un auteur, un genre. Eux aussi, cependant, sont pris dans le courant de cette lame de fond. L’abondance.

Pour pallier ce manque, nous nous sommes tournés vers des concentrateurs, des diffuseurs présents partout, comme Amazon. Puis vers des influenceurs, des blogueurs, des booktubeuses et des bookstagrammeuses. Enfin vers des réseaux sociaux, comme Goodreads, par exemple.

Ces systèmes ont un commun un postulat de base : la recommandation se fondera sur des avis argumentés et sur une note.

Les avis et critiques se multiplient donc, ce qui est une bonne chose. Encore faut-il qu’ils soient sincères et vraiment structurés. Ce n’est pas toujours le cas sur des sites comme Amazon, car les livres n’échappent pas au biais des avis «ouais c’est nul» ou «trop d’la balle», que nous avons tous croisés dans nos pérégrinations sur le site marchand.

Les notes se multiplient aussi.

Elles servent à construire une note globale à partir des avis des lecteurs/acheteurs sur Amazon, note globale qui entrera dans un algorithme censé cerner vos goûts et vous recommander d’autres œuvres similaires.

Elles servent à guider rapidement le lecteur potentiel sur les critiques construites des booktubeuses et des blogueurs littéraires. Ce sera la même chose, le même rôle, sur Goodreads ou Babelio.

C’est donc souvent une note qui va déterminer le «sex-appeal» du livre que vous convoitez. Et c’est cette note qui va influencer votre décision de l’acheter ou pas, de le lire ou pas.

Où est donc le problème, me demandera-t-on (ou pas) ?

Le problème, pour moi, a à voir avec l’idée de norme qui sous-tend tout notation chiffrée

Que l’on s’entende bien, je comprends l’intérêt des notes dans le cadre scolaire, pour nous aider à nous situer par rapport à l’acquisition de certains savoirs, de certaines compétences. Je suis un joueur de jeu de rôle, après tout, et la notation des caractéristiques et compétences de mes alter ego de papier ne me pose aucun problème philosophique. Que ce soit sur 5 dans les systèmes du World of Darkness (comme d’ailleurs les notations sur Amazon et consorts), sur 18 comme dans l’ancêtre D&D, ou sur 100 comme dans les jeux construits sur le Basic System de Chaosium, les notes attribuées aux capacités des personnages permettent de les situer dans une norme et de mesurer leurs aptitudes facilement.

J’ai par contre beaucoup de mal, et de plus en plus, à concevoir qu’une œuvre artistique ou culturelle puisse être notée, donc jugée en référence à une norme, fût-elle la norme du plaisir qu’elle procure.

Et j’aimerais m’en expliquer ici.

La notation, la note & l’algorithme

Une note n’est en effet jamais un chiffre isolé.

Si je dis que j’attribue 4 étoiles au dernier livre que j’ai lu, cela aura un sens différent si la note maximale possible est 5 ou 100. Le chiffre que j’attribue, ce nombre d’étoiles, est donc toujours contenu dans une échelle dont le minimum et le maximum sont connus par convention. Il est donc indissociable d’une référence.

Cette référence peut être très personnelle (je peux décider de noter sur 4, sur 5, sur 8, sur 10, sur 20, sur 100, cela ne changera que l’estimation que j’aurai de la valeur attribuée sur l’échelle choisie). Je peux aussi décider que 0 est la note la plus basse, ou bien que l’on pourra noter seulement à partir de 1, ou même que la note peut descendre à -1 ou -10.

Et pourtant, comme cette échelle est une référence, elle va devenir l’aune à laquelle je vais mesurer toutes les œuvres comparables. Tous les livres, toutes les séries par exemple. Et si elle me fournit un cadre reproductible, elle va devenir également une référence pour d’autres. Car lorsque je voudrai partager mon ressenti avec d’autres (comme sur Amazon par exemple), je vais devoir le faire en adoptant une référence. La mienne ou celle de mon interlocuteur. Dans les deux cas, la référence choisie fournit un cadre qu’il sera tentant de reproduire pour pouvoir bien se comprendre.

Je vais donc de fait créer une norme.

Ou m’y conformer si je choisis d’utiliser le système de notation d’Amazon en nombre d’étoiles sur 5, par exemple.

Norme naturelle contre norme culturelle

Depuis les deux articles sur le quantified self en médecine que j’ai commis sur ce blog, vous savez que je fais modérément confiance aux normes dans le domaine de la santé.

Dans celui des œuvres artistiques ou culturelles, je ne fais pas que m’en méfier : je les trouve vérolées dès le départ. Car il existe une grande différence entre les normes issues des systèmes de notation et celles issues de la mesure de la Nature : la possibilité de s’en écarter.

Dans la Nature, comme nous en avons discuté avec le quantified self, la norme est déterminée par la proportion d’individus dont la note se situe sur un nombre donné. La représentation de cette norme sur un graphique va donc être une courbe de Gauss, car un nombre non négligeable d’individus vont s’écarter naturellement de la note moyenne, parfois de façon forte, dans un sens ou dans l’autre. Il sera donc possible de trouver des individus exagérément grands ou exagérément petits par rapport à la norme. Il sera même possible de sortir des valeurs «normales» pour être considéré comme exceptionnel ou pathologique.

Dans un système de notation chiffrée des œuvres artistiques ou culturelles, on ne peut pas sortir des valeurs qui bornent l’échelle. On ne peut pas noter un livre que l’on trouve extraordinaire comme ayant 6 étoiles sur Amazon, ou descendre en flammes celui que l’on trouve vraiment trop mauvais en lui donnant une note de -3 étoiles.

Le défaut inhérent à toute échelle de notation fermée est donc celui-ci : toutes les œuvres sont notées selon un pied d’égalité par rapport à une attente standardisée, un barème en quelque sorte.

C’est ce qui me gêne profondément : les critères de notation.

Car tout cela sous-entend que l’on peut juger d’une œuvre suivant des critères précis, reproductibles, standardisés.

Le mythe de l’objectivité en matière artistique, un mythe totalement antinomique pour moi.

Objectivité de façade, subjectivité inavouée et non assumée

Soyons clairs.

Je suis un esprit scientifique, formé à la compréhension du monde à travers des faits reproductibles, et je pense fermement que c’est la meilleure façon que l’Humanité ait pu trouver pour expliquer le monde et le décrire, car cette vision permet de construire découverte après découverte des fondations solides pour apprendre comment fonctionne l’univers qui nous a fait naître.

Pourtant, si les lois de la Nature sont scientifiques, mathématiques, physiques, il reste à prouver que les «lois artistiques» aient une réelle existence. Malgré la création récente d’Intelligences Artificielles capables de pondre des textes longs (romans par exemple) ou des tableaux, avec un certain succès, il reste une chose que l’on ne maîtrise pas : l’appréciation individuelle des qualités intrinsèques d’une œuvre, par la résonnance unique qu’elle va créer chez la personne qui va la recevoir.

Une œuvre artistique ou culturelle c’est essentiellement un discours sur le monde, une façon de l’interpréter, non plus de façon objective et froide comme une théorie scientifique, mais au contraire en y mettant toute la subjectivité possible de l’auteur ou de l’autrice. Cette interprétation, cette vision unique du monde, est inscrite dans l’œuvre, parfois au corps défendant de son créateur, de par des événements de vie qui vont avoir façonné sa manière de considérer la vie, la mort, l’univers.

À l’autre bout de la chaîne, le lecteur ou la lectrice va percevoir ce message, et il va entrer en résonnance avec son propre parcours, ses propres attentes, ses propres désirs, craintes, traumatismes, espoirs, forces, faiblesses. Bref, avec toute une galaxie d’étoiles, et non pas seulement 5…

La tentative de noter une œuvre selon des critères bien définis ressemble donc pour moi à vouloir faire entrer un rond dans un carré, ou toute une galaxie dans une pierre précieuse. Même si cela peut vous rappeler le twist final d’un film montrant deux hommes en costume noir dont l’un est Will Smith, je crois qu’on y perd fatalement quelque chose.

Que se passe-t-il donc quand on impose à quelqu’un ou que l’on s’impose à soi-même de noter sur 5 ou sur 100 une œuvre ?

On s’oblige à renoncer à la complexité, à la nuance, à notre propre système de valeurs, pour faire coller notre ressenti, le transposer, dans un système de notation qui nous est plus ou moins étranger.

On va engager une estimation, une approximation, du résultat.

Peut-être que la réalisation du film était superbe, mais que le scénario était faible. Combien ça vaut ? Un 3 sur 5 ? Mais si pour moi un film c’est d’abord un scénario, est-ce que ça ne vaudrait pas plutôt 1 sur 5 ?

L’estimation, l’approximation, va se faire donc avec une réelle subjectivité.

Et l’on arrive au paradoxe ultime.

On construit un système de valeur censé être totalement objectif, à savoir une note chiffrée recoupée statistiquement par des algorithmes robustes que l’on juge représentatifs car dégageant des tendances grâce à la puissance du nombre de réponses.

Mais on le construit à travers une telle variété d’échelles individuelles totalement différentes et parfois opposées les unes aux autres, qu’on le base sur la plus grande des subjectivités.

En gros, on construit la Tour de Babel avec des moellons en guimauve.

Fatalement, l’édifice a quelques défauts…

Le plus grand est de nous faire prendre des vessies pour des lanternes : nous faire croire que l’objectivité est possible en matière artistique.

Je défends la thèse inverse : l’Art est une subjectivité qui rencontre une multitude d’autres subjectivités.

L’Art est pure subjectivité.

Pourquoi ne pas l’assumer ?

La réponse est simple : parce que tout le système de notation ne sert qu’à une chose. Vendre.

Le nerf de la guerre

Là encore, une petite mise au point s’impose.

Je trouve que diffuser une œuvre le plus largement possible est souhaitable, et donc la vendre, même contre rien, aussi – une œuvre gratuite se vend quand même, si, si, il faut convaincre l’autre de la lire ou la regarder, et ce n’est pas si facile même quand c’est gratuit, ou surtout quand c’est gratuit, d’ailleurs.

C’est non seulement souhaitable, mais c’est in fine le but réel de toute œuvre artistique ou culturelle.

Car si l’Art est pure subjectivité, l’Art est aussi pur partage.

Ce que chaque œuvre exprime est fait pour toucher l’autre. Pour que cette vision unique du monde soit vue par d’autres, qui l’adopteront, l’aimeront, la contempleront simplement, ou la rejetteront.

Et si l’artiste peut vivre décemment grâce à ce qu’il ou elle produit, c’est encore mieux. C’est la reconnaissance par la société de son travail, de son métier. Car créer est aussi un métier pour beaucoup. Un vrai métier.

Et comme tous les métiers, il doit permettre à celui qui l’exerce de vivre dignement.

Donc vendre son œuvre est un objectif noble.

C’est la manière dont la notation systématique et l’utilisation extensive des algorithmes ont transformé les moyens d’atteindre cet objectif qui me gêne.

Le système dont j’ai démontré plus haut l’incohérence (faire croire à une évaluation objective d’une œuvre sur des critères purement subjectifs par essence) n’a comme finalité que de vendre en essayant d’attirer le lecteur (ou le spectateur) par un biais que je rapprocherais volontiers du biais cognitif connu sous le nom d’effet de mode, ou du biais d’influence sociale. Il voudrait que plus la note est élevée, plus le nombre de personnes qui sont censées avoir donné une bonne note est élevé, et plus l’on va avoir tendance à penser que le livre (ou le produit) va nous convenir.

Alors qu’il n’en est rien.

La note est là pour nous influencer, puisque c’est ce que nous lui avions demandé.

Mais elle le fait avec de mauvais arguments.

Elle nous influence en nous trompant sur ce qu’elle représente.

Pour une autre façon de mettre une œuvre en avant : la diversité des points de vue

La note est donc, je crois, une mauvaise façon d’apprécier un livre, une série, un film, toute autre œuvre artistique ou culturelle. J’oserais même dire que la note est une mauvaise façon d’apprécier aussi les services ou les gens, mais tel n’est pas le propos ici, et je me limiterai pour cet article à conclure sur le sujet artistique seul.

Et cependant, nous en revenons au dilemme présenté en introduction : comment s’y retrouver parmi tous les titres existants et à venir, comment choisir notre prochain bouquin ?

J’ai bien une proposition à faire, qui n’est pas actuellement mise en œuvre, et qui pourtant aurait la possibilité de l’être.

Et je vais vous surprendre ou vous choquer après tout le discours qui précède : elle dépend de la puissance des algorithmes.

Mais bien sûr, ces algorithmes ne seraient pas basés sur une note attribuée subjectivement par les lecteurs ou les lectrices.

Si l’on revient au but recherché, c’est plus simple à comprendre.

Ce que je demande est de trouver des livres susceptibles de me plaire, avec une certaine incertitude également. Car parfois, un livre peut me toucher alors qu’au départ ce n’était pas gagné.

Je cherche des recommandations.

Celles que font pour moi Amazon, ou même l’algorithme de Goodreads ne me conviennent pas, car elles sont basées en partie sur les notes obtenues par les œuvres qui potentiellement pourraient entrer dans mes genres littéraires de prédilection.

Comment alors se passer des notes pour concevoir des recommandations de lecture plus justes ?

Se servir des avis structurés des lecteurs, des blogueurs, des booktubeuses, des bookstagrammeuses.

Chaque critique structurée n’est autre qu’un texte, que des algorithmes pourraient explorer, pour en extraire des adjectifs récurrents censés décrire une œuvre à travers les avis qu’elle recueille sur différents supports.

  • Par exemple, l’algorithme va chercher sur internet tous les avis construits sur Le Choix des Anges (il ne va pas en trouver beaucoup, c’est vrai). Il va en extraire une liste d’adjectifs avec un indice de récurrence pour chacun. Puis il va construire un profil évolutif du livre suivant les avis recueillis.
  • Lorsque je vais avoir lu un livre, j’indique simplement à l’algorithme si le livre a répondu à mes attentes ou pas. Dans les deux cas, je peux rédiger un avis structuré et écrit, qui viendra enrichir l’algorithme.
  • Et en se basant sur le profil du livre que je viens de terminer, il peut comparer avec sa base de données, et sortir une liste d’œuvres qui contiennent des adjectifs similaires.
  • Au fil de mes lectures, l’algorithme va apprendre ce qui a le plus de chance de me plaire et va donc affiner ses suggestions et recommandations.

Mais pour introduire un peu de variété et me permettre de découvrir quelques pépites qui lui échapperaient (au cas aussi où mes goûts changent), l’algorithme pourrait faire une pondération en fonction d’un indice que je fixerais dans mes préférences. Un indice baptisé «surprends-moi» noté, lui, par contre, de 1 à 10. Ce serait la variabilité que l’algorithme pourrait s’autoriser afin de faire des recommandations hors champ de mes goûts stricts.

On peut aussi garder une certaine couche de recommandations sociales (car les meilleurs influenceurs, ce sont souvent les vrais amis qui ont les mêmes goûts que nous) comme on peut déjà le faire avec Goodreads.

Des recommandations idéales

Bref, mon système idéal serait basé sur trois listes de recommandations.

  • Une liste algorithmique pure extraite des lectures qui m’ont touchées et construite d’après l’analyse des adjectifs utilisés par d’autres lecteurs pour chroniquer ou critiquer le livre.
  • Une liste de recommandations «surprises» basée sur une variabilité suivant des critères que je fixerais librement (genre littéraire, longueur du texte, sujets, etc.).
  • Une liste de recommandations sociales issues des chroniques de lecteurs que je suivrais (booktubeuses, blogueuses littéraires, contacts sur Goodreads).

Tout ceci n’existe pas encore, hélas.

Mais si certains d’entre vous s’y connaissent en algorithmique, en exploitation des big datas et en programmation, je suis disponible pour créer une startup… 😉

Ma ligne de conduite : comment je fais pour vivre sans donner de note

En attendant ce système (qui aura certainement des défauts lui aussi), j’ai donc résolu de ne plus noter de façon chiffrée les livres que je lis, les séries ou les films que je vois.

Je ne désire pas entretenir l’habitude que nous avons tous prise de noter tout et n’importe quoi à tout bout de champ. Je ne donne donc plus aucune note.

Et si j’ai un avis tranché, je l’écris en bon français, et j’en fais profiter l’auteur ou l’autrice d’abord, et mes camarades ensuite.

Car de mon point de vue, les algorithmes actuellement en place n’ont aucune valeur, et je ne désire pas cautionner leur fonctionnement en entrant dans le moule. Je suis conscient de fausser ainsi les choses, de façon marginale car je ne suis pas un grand influenceur, mais peut-être suffisamment pour que d’autres suivent mon exemple, ou peut-être – qui sait ? – pour que d’autres systèmes de recommandation soient créés.

La réalisation de livre (problématique de « l’autoédition »)

Reste un problème majeur dans cette posture que j’ai décidé d’adopter : ne plus noter les livres dits autoédités, c’est faire perdre de la visibilité à mes camarades qui ne disposent que du système de notation d’Amazon pour se faire connaître et toucher leur lectorat.

Nombreux sont en effet mes pairs à dépendre du système de notation pour être mis en avant par la plateforme et être proposés dans les recommandations faites à des lecteurs qui ne les connaissaient pas auparavant.

Ne plus noter, c’est leur faire perdre des chances.

Que faire alors, si je ne veux pas cautionner le système tout en essayant d’aider ces auteurs et autrices à trouver leur public ?

Mettre systématiquement la note maximale.

Là encore, je sors du cadre de référence, sciemment, en faussant la note globale en faveur de l’auteur, et en montrant que le système est basé sur une incohérence. Et je donne un coup de pouce à celui ou celle qui s’est démené pour écrire son bouquin. Il se peut même que ma note maximale ne soit pas en accord avec ce que j’ai pensé du livre. Qu’à cela ne tienne : je rédige un avis qui éclairera ma critique, mais je laisse le nombre d’étoiles maximal, la note maximale, pour que le livre gagne en visibilité.

Ainsi, je ne pénalise pas les réalisateurs et réalisatrices de livres.

La Société des Lectures Analogiques

Si vous trouvez une certaine résonnance entre vos propres valeurs et ce que je viens d’exposer, alors vous êtes prêts à entrer dans la Société des Lectures Analogiques, qui défend la liberté d’apprécier un monde qui parle avant tout en mots, et non en chiffres.

Les inscriptions sont ouvertes sous les commentaires !

Bientôt, nous serons le monde.

Bientôt…

J’espère…

Vous êtes là ?

Ouh ouh ?

Il y a quelqu’un ?…

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Faire le choix de l’autoédition en 2014

Faire le choix de l’autoédition en 2014

Faire le choix de l’autoédition en 2014

Lorsque l’on a en soi le démon de l’écriture, vient fatalement un moment où l’on se pose la question du devenir de ces milliers de lignes que l’on accumule au fil du temps, des idées qu’on a fait surgir de son imagination, des images que l’on a fait naître, des personnages et des intrigues que l’on a patiemment construits. Tout cela restera-t-il à tout jamais enfoui dans un tiroir ou caché dans un fichier texte perdu dans les entrailles de l’ordinateur ? Ou bien ambitionnera-t-on de devenir quelqu’un que faute de mieux ou pourrait appeler un écrivain ?

Si l’on a assez confiance en son écriture, il est probable que le deuxième chemin se fasse si insistant qu’on songe à l’emprunter un jour.

C’est à ce moment-là que tout se complique.

Au Commencement… l’hubris de l’écrivain

Avoir l’audace de penser que ce que l’on produit est non seulement lisible, mais plus encore, mérite d’être lu, impose alors d’accomplir un véritable parcours initiatique semé d’embûches. Parce qu’il ne suffit pas de se proclamer écrivain pour le devenir. Comme pour toutes les activités humaines, l’écriture s’apprend. Patiemment. Pas à pas.

D’abord il faut se laisser du temps.

Du temps pour se relire soi-même et tenter de juger autant que faire se peut son propre travail à l’aune de ce que l’on imaginait avant de commencer à écrire. Pour ma part, je laisse souvent un texte « reposer » des semaines ou des mois, afin de m’éclaircir peu à peu les idées, de me sortir l’histoire et les mots de la tête. Lorsqu’enfin je reviens dessus et que suffisamment de temps est passé, je le relis entièrement et je prends des notes dans la marge. J’essaie de découvrir l’histoire comme si je ne l’avais pas écrite. Est-ce qu’elle me plaît ? Est-ce qu’elle est bien contée ? Est-ce que j’ai envie d’aller plus loin ? Et je corrige.

Tous les auteurs, tous les artistes même, connaissent cette discipline de l’aller et retour entre leur œuvre et leur exigence.

Mais être publié c’est se confronter à l’autre. Subir son regard sur l’œuvre. Et donc un peu sur nous-mêmes, qui y avons tant investi de temps et de passion.

La solution la plus simple est donc de trouver des relecteurs, ceux que l’on appelle les bêta-testeurs dans le monde de l’informatique. Souvent choisis dans le cercle familial, ils sont alors plus ou moins partiaux. Mais c’est déjà un premier regard extérieur, même s’il est forcément plus indulgent que le lecteur lambda.

J’ai la chance d’avoir des parents dont la sensibilité artistique est très forte et une épouse dont l’univers imaginaire est extrêmement proche du mien tout en ayant un esprit critique et logique très fort. Ils forment mes premiers relecteurs.

Il faut cependant aller plus loin si l’on veut vraiment savoir ce que l’œuvre a dans le ventre et trouver un relecteur attentif non seulement aux fautes élémentaires (orthographe, grammaire), mais aussi à l’intrigue, aux personnages, à l’ambiance. Quelqu’un dont l’expertise de la narration saura guider l’auteur ou au moins lui apporter un regard neuf et critique, subjectif mais étayé, argumenté.

Ça peut être le rôle des ateliers d’écriture, des appels à texte, mais aussi des autres artistes, d’un « agent littéraire » (quoique ce terme ne m’a jamais vraiment paru clair…) ou bien… d’un éditeur. Ce dernier prendra également en charge, une fois que le manuscrit semblera arrivé à maturité, la fabrication matérielle du livre, comme le producteur le fait pour un album de musique.

L’ère de l’édition « classique »

Dans les Temps Préhistoriques d’avant l’internet, publier un livre était une entreprise extrêmement coûteuse en matériel et en savoir-faire. Il fallait du papier, matière première chère et difficile à produire, des petits caractères de plomb, de l’encre, de la main d’œuvre qualifiée, obtenir l’imprimatur de la censure…

Le rôle des éditeurs, qui étaient parfois eux-mêmes des imprimeurs, était immense. Les risques qu’ils assumaient l’étaient tout autant. Véritables armateurs de l’aventure littéraire, leur investissement était comparable à ceux qui envoyaient des navires à l’autre bout du monde connu.

Puis les technologies ont évolué, et le rôle de l’éditeur est devenu celui de conseiller artistique tout autant que celui de producteur (au sens de bailleur financier) comme je l’évoquais plus haut.

Suivant la ligne éditoriale qu’il voulait imprimer à sa maison, à sa « marque », et suivant ce qu’il pensait du potentiel d’un écrivain, l’éditeur entrait dans le cycle de naissance de l’œuvre en faisant une critique plus ou moins fouillée, mais toujours sans concessions.

Du moins c’est ce que l’on attendait de lui.

Puis il prenait en charge la fabrication du livre, sa matérialisation en un ouvrage de papier relié, sa distribution jusque dans les plus petites librairies des plus petits villages de France, sa « promotion », sa commercialisation.

Il avait un rôle essentiel dans la naissance du livre fini. C’était lui qui le publiait, pas l’auteur, qui d’ailleurs lui cédait les droits sur son œuvre. Les droits commerciaux. En échange du support financier par l’éditeur du coût écrasant de la production physique d’un livre, de son stockage, de sa distribution, de sa publicité et de la gestion afférente, l’auteur n’était plus maître du destin de son œuvre une fois publiée. Sans compter que le contrat qui liait les deux parties était souvent assez avantageux pour l’éditeur en termes financiers. Il fallait bien compenser les risques pris.

Encore une fois les parallèles avec l’armateur de navires ou le producteur de musique ou de film me semblent les plus parlant.

L’éditeur, Faiseur de Rois

Comme je le disais plus haut, l’éditeur peut être un maillon essentiel de la maturation d’un livre, de sa « croissance » si on le compare à la gestation d’un être vivant. Il peut guider l’auteur, lui suggérer des pistes auxquelles il n’avait pas pensé, ou lui indiquer celles qui ne mènent pas forcément là où il le pensait…

C’est en ce sens que le travail d’un éditeur sert vraiment au livre qu’il produit.

Cependant ce rôle peut très bien être tenu par quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui est impliqué dans la relecture, qui en a les compétences de par son habitude, son métier parfois. Les scénaristes américains nomment cet être étrange un « script-doctor ». C’est souvent un scénariste lui-même qui fait une relecture en profondeur, et parfois aide à remanier drastiquement certains scripts.

Ce système n’est pas encore une habitude sur le Vieux Continent, que ce soit au cinéma ou en littérature.

Publier un livre et être reconnu pour cela c’est encore en France suivre le parcours traditionnel remontant en gros au XIXe siècle.

Ceux qui voudraient de nos jours comme à cette époque s’affranchir de ce système n’ont pas vraiment le choix : soit ils renoncent à publier, soit ils publient « à compte d’auteur », c’est-à-dire qu’ils prennent en charge financièrement les coûts exorbitants de fabrication, sans pour autant avoir plus d’avantages qu’un auteur publié « à compte d’éditeur ».

De tels auteurs sont toujours regardés avec méfiance et condescendance. Ils sont considérés comme des auteurs ratés (vous comprenez, personne n’a voulu les publier…) ou comme des mégalomanes persuadés d’un talent imaginaire, à qui seule la force de l’argent permet de flatter un ego démesuré. Mais personne ne croit vraiment qu’on puisse vouloir trouver un autre système…

L’éditeur devient donc non seulement un passage obligé, mais également un Faiseur de Rois, puisque les prix littéraires, des plus modestes aux plus prestigieux, sont décernés à des auteurs publiés par le cénacle.

Mais est-ce que ce parcours est encore vrai en 2014 ?

L’ère de l’édition numérique

Fabriquer un livre aujourd’hui n’a plus vraiment grand-chose à voir avec la même activité au XVIe siècle, ni même au XIXe.

Pensez : l’écriture elle-même se fait sur un ordinateur qui ne consomme que de l’électricité, pas de papier et pas d’encre, on peut corriger à l’infini sans raturer. La mise en page se fait encore sur ordinateur, avec un risque moindre de fautes et de coquilles, pour peu qu’on utilise un bon correcteur informatique. L’impression elle-même est gérée par des ordinateurs préréglés, qui commandent des rotatives parfaitement calibrées. Le papier ne sert donc qu’une seule fois, et nos sociétés savent le fabriquer et même le recycler de façon acceptable. L’encre n’est pas plus un problème.

Et jusqu’à récemment il restait juste le frein de l’accès à ces savoir-faire. Jusqu’à récemment.

Il y a quelques années déjà que sont apparues des sociétés, d’abord américaines, puis européennes, permettant ce que l’on appelle l’impression à la demande. Le principe est assez simple. Le coût d’une impression est devenu tellement bas qu’il est devenu rentable d’imprimer exemplaire par exemplaire, et ce quel que soit le nombre de pages. Un livre imprimé à la demande ne coûtera pas beaucoup plus cher qu’un livre tiré à dix mille exemplaires (même s’il existe bien sûr une différence).

Dans le monde du jeu de rôle, une niche un peu particulière de l’édition, cela commence à faire quelques années que lulu.com et d’autres sont utilisés par les éditeurs comme par les auteurs eux-mêmes.

Ce premier verrou libéré, il ne restait plus que celui de la distribution.

Là encore l’internet a bouleversé les choses.

Les plateformes en ligne comme Amazon n’ont été que les précurseurs. De nombreuses librairies indépendantes commencent à s’y mettre. Soumettre la commande d’un livre peut donc être très simple. Même dans un petit village loin des centres de distribution, votre libraire peut vous commander votre ouvrage, voire déclencher l’impression à la demande. Le lecteur peut même le faire seul, depuis son propre accès internet.

Les circuits de distribution physique, qui sont toujours indispensables, peuvent alors se mettre en marche.

Mieux encore, le livre devient maintenant numérique, et sa fabrication ne réclame donc aucune ressource physique. Plus besoin d’impression. Plus de coût de fabrication.

Plus besoin de quelqu’un pour supporter le coût financier de la fabrication d’un livre.

Plus besoin d’éditeur…

En fait, dans ce modèle émergent il reste tout de même un acteur absolument indispensable : les plateformes internet de téléchargement ou de commande. Amazon, l’iBookstore, Kobo, Barnes & Noble en sont les meilleurs exemples car ils préfigurent ce que tout cela peut devenir. D’autres librairies en ligne existent bien sûr, dont certaines hexagonales, mais elles n’ont pas encore la taille critique pour accéder au nouveau pouvoir : la visibilité.

Comme dans l’édition traditionnelle, un livre n’est lu que s’il est connu, s’il rencontre son public.

Comme dans une librairie, il faut fureter sur les plateformes pour dénicher la perle rare, le bouquin qui vous fera rêver ou rire ou pleurer ou réfléchir, ou les quatre à la fois. Mais hélas, contrairement à un véritable libraire, la plateforme ne vous conseille pas vraiment… Il faut donc être malin lorsque l’on veut se faire connaître, tout autant qu’avoir une bonne écriture.

Pour la promotion non plus, il n’y a plus besoin d’éditeur, puisque les canaux de communication ne sont plus centralisés : Twitter, Facebook, Goodreads surtout, peuvent très bien faire connaître votre ouvrage. Et nul besoin d’être éditeur pour y avoir accès et très bien savoir en jouer.

La Liberté guidant l’auteur ?

Fort de ces réflexions, peut-on avoir une vraie démarche littéraire et publier en autoédition en 2014 ?

Ma réponse est trois fois oui.

Oui, parce que si les premières étapes de l’écriture ne nécessitent personne d’autre que soi, les étapes suivantes de relecture et de correction peuvent désormais entrer dans l’ère de l’écriture collaborative, à travers un site internet par exemple, mais aussi au gré de collaborations entre auteurs, comme j’ai la chance d’en vivre, notamment avec Mlle N. malgré et sans doute grâce à la différence de nos univers. L’exigence de qualité restera la même. En tous les cas je ne la ressens pas moins grande que lorsque Manuscrit.com a accepté de publier Poker d’Étoiles.

Oui, parce qu’à condition de s’intéresser un peu à des choses très simples comme la mise en page basique, ou plus complexe comme certains langages informatiques (HTML, CSS et JavaScript essentiellement), il est extrêmement facile de concevoir une maquette papier, un simple PDF ou un ebook, puis de les matérialiser (ou dématérialiser dans le dernier cas).

Oui, enfin, parce que diffuser et vendre son livre, même si cela demande du travail, beaucoup de travail, est parfaitement possible. D’autres l’ont fait. Je pense à Jean-Claude Dunyach, mais aussi à Agnès Martin-Lugand.

Reste à discuter de la motivation profonde de tout cela.

Pourquoi s’ennuyer (pour rester poli) à accomplir tout ce travail de mise en forme, de technicité, de promotion, quand on n’a déjà pas assez de temps à son goût pour écrire et qu’on peut laisser un éditeur s’en charger ?

Chacun aura sa réponse, mais la mienne tient en un mot : liberté.

En signant pour Poker d’Étoiles, j’ai cédé les droits de mon œuvre à l’éditeur. Je ne suis plus maître de la façon dont mes écrits sont diffusés. Poker d’Étoiles n’est disponible qu’en papier et en PDF, pas en véritable ebook. Pas sur la boutique Kindle d’Amazon ni l’iBookstore d’Apple. La couverture du livre papier est sobre, mais je ne l’aurais pas imaginée comme cela. Et je n’ai aucun pouvoir là-dessus. Je ne suis plus maître d’une adaptation cinématographique, ayant aussi signé un contrat sur ce point-là. Non qu’Hollywood m’ait fait une offre, bien sûr (encore que j’avais élaboré un casting imaginaire sympathique que je vous livrerai peut-être un jour…), ou qu’on m’ait forcé la main pour signer…

Mais je ne suis plus maître du jeu.

Et je me suis rendu compte au fil des années que si j’avais tant aimé la réalisation au cinéma, si j’ai eu autant envie de m’essayer à la mise en scène et à la production technique d’un film, c’était aussi parce que j’attache énormément d’importance à la forme que va prendre une œuvre. Les mots d’un livre sont son essence, son âme, mais la façon dont l’ouvrage est présenté devient son enveloppe corporelle, son sang, ses os, sa chair.

J’ai envie d’avoir mon mot à dire aussi sur tout cela dans mes écrits.

C’est pour cela bientôt, cette année je l’espère, certains de mes projets vont naître sous mon entière responsabilité, constitués d’imaginaire pur, mais habillés d’écaille & de plume