FATE et le format “série américaine” en jeu de rôle
FATE et le format “série américaine” en jeu de rôle
Grand amateur de séries américaines, j’ai il y a un peu plus d’un an eu envie de transposer les codes narratifs du genre dans un univers de jeu de rôle. J’ai donc embarqué mes joueurs habituels dans une histoire mêlant mystères amérindiens, loups-garous, chamanisme et enquêtes policières à la façon de feue X-Files, mais surtout en m’inspirant très fortement de la série Fringe (cf. image d’ouverture), un petit bijou que l’on doit au très prolifique J.J. Abrams.
J’ai intitulé le « show » : The Lost Tribe. Je vous en reparlerai sans doute dans quelques mois lorsque nous aurons terminé de jouer la première saison.
Car avant de jouer, il m’a fallu réfléchir à la façon d’amener cette ambiance si particulière et si envoûtante dans une partie de jeu.
C’est cette réflexion que je veux vous présenter aujourd’hui dans cet article assez long, mais je l’espère intéressant même pour ceux qui ne pratiquent pas le jeu de rôle…
Anatomie et physiologie d’une série américaine
Je ne suis pas le premier à essayer de disséquer une série américaine afin de comprendre sa physiologie profonde et d’en reproduire les mécanismes internes à mes propres fins. Loin de là, puisque les scénaristes de télévision français tentent cette approche depuis maintenant vingt ans avec assez peu de succès. Inutile de s’appesantir sur ce constat amer : quand les Américains ont Dexter ou Breaking Bad, nous avons Louis la Brocante ou Plus Belle La Vie… ça fait nettement moins rêver pour une partie de jeu de rôle… Bien sûr il semble qu’avec les Revenants ou Mafiosa les choses soient en train de changer… l’avenir nous le dira.
Cependant, c’est bien un Français qui m’a permis de comprendre certaines choses sur les séries américaines.
Dans son livre, L’art des séries télé, Vincent Colonna décrypte de façon simple et compréhensible les raisons narratives qui expliquent la réussite du modèle des séries américaines, et notamment le fait que l’art du conte a été repris ad integrum sur la structure classique mise au point depuis l’Antiquité grecque.
Il est devenu mon livre de référence pour construire mes intrigues de jeu de rôle sous forme de série américaine, car il regorge de cas concrets : analyses de scènes, analyses de personnages, de séquences. Bref, une boîte à outils rêvée…
Transposition sur le fond : la structure de l’univers, des personnages et de l’intrigue
Saisons et épisodes
Le propre d’une série est de fonctionner par épisodes. Un épisode est une unité cohérente durant laquelle une intrigue est exposée et résolue par les protagonistes récurrents (les héros la plupart du temps, aidés de leurs alliés) et où l’on découvre des éléments d’une histoire plus vaste : des personnages (comme des adversaires récurrents), des décors, des ambiances.
Ces épisodes forment donc un fil conducteur au sein d’une histoire se déroulant sur un temps plus large que l’on appellera une saison.
Chaque saison correspond à une intrigue majeure de la vie des héros : leur lutte contre un adversaire, leur projet de monter un coup d’état, par exemple. L’intrigue servant de fil à la saison est souvent quelque chose de long et complexe, que chaque épisode sert à détailler.
Pour transposer cette structure en jeu de rôle, rien de plus facile : les épisodes peuvent correspondre aux séances de jeu, où chaque scénario se déroule suivant une intrigue assez simple pour être résolue facilement, mais où les personnages et leurs joueurs trouveront des indices qui se feront écho mutuellement au fil des parties pour former un arc narratif. Ce qu’en jeu de rôle on a l’habitude d’appeler une Campagne. Il est donc tout naturel de penser que l’on puisse rapprocher les deux médias.
Deux exemples pour illustrer cela :
À chaque épisode de la première saison, Dexter, tueur psychopathe ayant un code d’honneur le poussant à ne tuer que des tueurs en série et travaillant au sein de la police métropolitaine de Miami, a une nouvelle cible à éliminer. Mais il se trouve que dans son travail d’expert médico-légal en éclaboussures de sang, il est confronté à un tueur en série extrêmement habile qui lui laisse volontairement des indices. À chaque épisode il remonte de plus en plus la piste du « tueur de glace », jusqu’à une confrontation habile en fin de saison.
La majorité de l’intrigue se déroule dans la Réserve amérindienne Nez Percé dans le Nord Idaho. Les personnages, tous d’ascendance amérindienne, sont liés à une ancienne tribu disparue dont certains membres sont des loups-garous protecteurs, et d’autres des chamans liés aux esprits. À chaque épisode, ils sont confrontés à des événements étranges et surnaturels se déroulant dans la Réserve, qu’ils comprennent peu à peu être liés entre eux. Ils découvrent ainsi l’existence d’une conspiration nommée Le Projet dont les buts sont encore assez nébuleux, mais qui semble vouloir détruire la culture amérindienne.
Concrètement, lorsque je scénarise cette fameuse « saison », je découpe le cheminement en divers morceaux de puzzle, autour desquels je bâtis ensuite chaque épisode.
Épisode Pilote : We are the Lost Tribe
Épisode 1 : Cadeaux empoisonnés
Épisode 2 : Esprits criminels
Épisode 3 : Rocks and Rolls
Épisode 4 : La Nuit du Chasseur
Épisode 5 : When the World ends
Épisode 6 : Everybody Dies
Le fameux Projet dans The Lost Tribe est une conspiration produisant des effets dans le monde fictif construit pour la série. Chacun de ces effets m’a servi de base pour une histoire, et tous les aspects de la conspiration également. J’ai donc structuré la saison en 1 épisode « pilote » qui devait donner envie aux joueurs d’explorer le monde, et 6 épisodes qui développeraient l’intrigue autour du Projet et du mystère de Celui-qui-marche-dans-le-vent, un puissant esprit protecteur qui veille sur les nations amérindiennes.
Progression
Pour que le spectateur puisse entrer pleinement dans un univers de série, tout comme lorsqu’un lecteur s’immerge dans un roman, il est nécessaire de commencer par une séquence dite « d’exposition » dans laquelle les enjeux, les personnages, l’univers sont progressivement dévoilés.
Dans un jeu de rôle, le paradoxe est que les acteurs sont également dans la position du spectateur ou du lecteur : ils ne découvrent les choses qu’au même rythme que leur personnage. Il est donc absolument nécessaire de prévoir dans la trame des histoires une période d’exposition plus ou moins longue en fonction du degré de complexité de l’histoire et de l’univers.
Concevoir une trame dramatiquement prenante demande donc pendant plusieurs épisodes des intrigues simples, pas forcément reliées entre elles au premier abord, mais qui mises bout à bout vont commencer à former un tout cohérent.
Pendant ces épisodes, bien présenter l’univers, les personnages secondaires (ou Personnages Non Joueurs), les décors, demande du temps, tout comme (hélas quand on change de système de jeu) de s’habituer aux règles choisies pour la simulation des actions. Les secrets de l’univers ne seront pas tout de suite évidents ou même visibles.
Cette exposition peut être un handicap, car les joueurs vont parfois se demander où va l’intrigue, ou se sentir perdus lorsqu’ils ne parviendront pas à mettre ensemble les morceaux du puzzle en leur possession. Et c’est bien normal, ils n’ont à ce stade-là que très peu d’éléments qui leur permettraient d’avoir une vue d’ensemble de ce qui se trame réellement.
C’est ce que l’on pourra régler par le rythme des scènes et leur contenu.
Ces premiers épisodes étant là pour planter le décor, ils doivent aussi servir à amorcer des intrigues secondaires, par exemple des relations entre personnages, ou des enquêtes qui n’ont rien à voir avec l’enquête principale.
Cette série, trop méconnue à mon goût, reprend des codes empruntés surtout à la mythique X-Files : conspiration, surnaturel, mystère, enquête. La grosse différence entre les deux séries tient au fait que les personnages sont beaucoup plus « excentriques » (notamment le personnage de Walter Bishop, brillamment interprété par John Noble, le Denetor du Seigneur des Anneaux) et à une approche assumant une « pseudoscience » ou « fringe-science » comme base de l’univers.
Durant les premiers épisodes, les intrigues sont assez simples, sans forcément de lien les unes avec les autres. Leur seul point commun est leur caractère étrange, « surnaturel », qui déclenche l’intervention de l’agent Olivia Dunham et de son équipe atypique. On est là en plein dans l’ambiance des premiers épisodes d’X-Files, parmi les plus mythiques comme Compressions (S01E03) où apparait Eugene Victor Tooms, Projet Arctique (S01E08), L’église des miracles (S01E18).
Dans ces premiers épisodes sur Le Projet (oui, j’ai pillé le concept sans vergogne) auquel Olivia Dunham et ses acolytes doivent faire face, on est plus centrés sur les relations entre les personnages, leur façon d’envisager l’univers particulier de J.J. Abrams où Walter Bishop parvient à faire entrer quelqu’un dans l’esprit d’un mort avec l’aide du L.S.D., que dans le développement d’une intrigue qui pourtant est très ambitieuse par la suite (et je ne spoilerai pas plus qu’en disant que les personnages ne sont jamais vraiment ce qu’ils paraissent être, y compris Olivia Dunham).
Les Personnages
Justement, les protagonistes des séries américaines sont l’une des principales raisons de leur succès. Ils ont des individualités fortes, des points saillants, des caractères marqués. Dexter est un psychopathe qui devient sympathique parce qu’il se pose des questions sur lui-même et sa vie. On s’attache à lui aussi à cause du décalage entre ce qu’il donne à voir de lui aux autres et ce que le spectateur sait de sa réelle personnalité. C’est le même ressort qui permet au personnage de Walter White dans Breaking Bad d’apparaître si complexe et si réel. Et qui permet au spectateur de se positionner avec ou contre lui. Un prof de chimie tout ce qu’il y a de plus banal qui devient producteur puis dealer et enfin vrai trafiquant de méthamphétamine après avoir appris qu’il était atteint d’un cancer incurable… on ne peut rester indifférent.
Les personnages d’un jeu de rôle mené comme une série doivent avoir au moins autant d’aspérités, de couleurs, de complexité. Mais comment, puisque tout le monde n’est pas un interprète aussi complet que Michaël C. Hall ou Bryan Cranston ?
Tout simplement en partant d’une base simple, un concept fort, volontairement caricatural ou lapidaire, que chaque interaction avec le monde dans lequel se déroule l’intrigue va polir et peaufiner, nuancer, enrichir. Comme dans un autre jeu de rôle, alors, me direz-vous. Oui et non.
Oui, en effet, on peut construire un tel personnage dans d’autres façons de jouer.
Mais certains pratiquants du jeu de rôle aiment construire un passé prédéterminé à leur personnage avant même de jouer avec lui la première fois. Cette façon de faire, même si elle a été mienne pendant près de vingt ans, ne donne que très peu de résultats dans un jeu « façon série américaine ». Car comme pour l’intrigue et l’univers eux-mêmes, dont les personnages sont une part essentielle, un personnage, même et surtout un personnage principal, ne se dévoile pas complètement lors du premier épisode. On apprend à le connaître, à appréhender ses réactions, ses pensées, ses peurs, ses réflexes.
Finalement comme dans la vie, la vraie, lors d’une rencontre.
Ce qui n’empêche nullement que certains aspects du passé des personnages puissent avoir été créés à l’avance par le Meneur de Jeu pour servir d’accroche lors d’épisodes précis, ou pour expliquer leur implication dans l’intrigue. Le plaisir vient donc aussi de construire une partie de l’histoire antérieure à celle qu’on est en train de raconter pour expliquer a posteriori certains faits.
Dans The Lost Tribe, le mystère plane sur le passé de l’agent spécial Abigail Reed, enquêtrice du Bureau of Indian Affairs (l’équivalent du F.B.I. pour tout ce qui touche aux Amérindiens) envoyée dans la Réserve pour expliquer certains faits étranges. Un doute s’insinue sur le sort de ses parents, tous deux morts durant son enfance, et sur son implication personnelle dans des cérémonies secrètes.
Le « Drama » des Américains : les relations entre les personnages
Une composante essentielle d’une série télévisée, surtout américaine, est la façon dont les personnages interagissent entre eux. Leurs relations d’amour, de haine, d’amitié, d’intérêt, de conflits, sont les moteurs de l’intrigue et celle-ci est là pour dévoiler les aspects psychologiques des personnages.
Ce n’est pas pour rien que les Américains ont inventé le « soap ».
Apporter au jeu de rôle une saveur de série américaine demande donc forcément de faire un peu attention aux relations entre les personnages. Entre les personnages des joueurs entre eux, mais aussi entre les personnages non joueurs et ceux des joueurs, et entre les personnages non joueurs eux-mêmes.
Là encore, cet aspect est présent dans les autres façons d’envisager un jeu de rôle.
La différence viendra de la façon dont on présentera les choses ici. Il faudra bien faire attention de nouer des relations fortes entre les personnages. Il faudra faire apparaître leurs motivations, les faire parler entre eux, sans grandiloquence extrême, mais il faut qu’on puisse faire « vivre » leur caractère de façon marquée.
Le meneur comme les joueurs doivent en être conscients.
Transposition sur la forme : le système de jeu et la structure des parties de jeu
Tout cela est bien joli, mais comment fait-on concrètement ? Comment cela se déroule-t-il dans une séance type ?
Les règles et le système de jeu
Le jeu de rôle est une façon assez particulière de raconter une histoire de manière collaborative, il faut donc se mettre d’accord pour que tous les participants aient un rôle déterminé et surtout pour décider qui aura raison lorsque l’on n’est pas totalement d’accord sur l’issue d’une action.
Voilà pourquoi il existe des règles qui permettent de simuler, à l’aide souvent d’une part de hasard, de la réussite ou de l’échec d’une tentative. Ensuite, ce sera à l’inventivité des acteurs que de trouver toutes les nuances entre la réussite éclatante et l’échec lamentable.
Dans la forme « série américaine », il est essentiel que la résolution des actions soit fluide, simple, rapide. Il est hors de question de prendre 15 minutes pour savoir si une échelle tombe avec le dealer de drogue dessus et s’il se blesse, au risque de ralentir tellement le déroulé des actions qu’on se croira plus dans une partie d’échecs que dans une série. Un jet de dés et une narration un peu enlevée doivent suffire.
On privilégiera donc des systèmes de jeu légers et fluides.
On peut aussi céder à la tentation d’utiliser un système appartenant à la vague des jeux récents dits « à narration partagée », car ils sont censés favoriser le partage des décisions narratives entre les participants, à l’aide de divers mécanismes très simples.
Il faut aussi penser que les univers décrits sont souvent hauts en couleur, et que les héros de ces univers ont des domaines de compétence forts. Et ce même si l’univers en question n’est pas ce que l’on appelle un univers « pulp » (en bref le pulp c’est Indiana Jones ou James Bond : des héros qui finissent par réussir tout ce qu’ils entreprennent et où l’action est une donnée essentielle).
On doit donc avoir un système de résolution qui permette aux personnages d’exprimer tout leur potentiel sans risquer d’échouer dans un domaine où ils doivent être parmi les meilleurs.
Le déroulement d’une partie : le rituel de la série
Comme dans beaucoup d’activités humaines, la forme est dans le jeu de rôle aussi importante que le fond. Pour installer une ambiance de série américaine, il faut donc aussi se servir des codes formels du genre.
Cela veut dire par exemple se servir d’un… générique !
J’ai fait l’expérience il y a une dizaine d’années lors de parties mémorables dans un univers manga dans lequel j’étais joueur. Le meneur de jeu avait instauré un rituel qui consistait à nous réunir deux ou trois heures avant la partie de jeu de rôle elle-même pour que nous regardions un ou deux manga (généralement en rapport avec l’histoire qu’il avait ensuite écrite). Une fois immergés dans l’univers typique du manga en question, nous commencions la partie.
Nous commencions donc toujours cette partie de jeu par un autre rituel : un générique.
Le meneur avait choisi un morceau de musique de manga, toujours le même, sur lequel il avait imaginé des scènes sensées représenter ce que le spectateur voyait à l’écran.
La mise en scène fonctionnait à merveille et le conditionnement (car c’en est bien un, psychologiquement parlant) nous permettait d’entrer dans l’ambiance très rapidement. Nous nous sentions revenir dans une ambiance connue et chaque fois désirée.
C’est un morceau assez court pour ne pas trop plomber le rythme, à la fois dynamique et empreint d’un certain mystère, d’une certaine tension.
Aujourd’hui, j’utilise cette technique de la musique de générique pour obtenir un effet similaire, mais je l’ai couplée à deux autres.
« Previously on The Lost Tribe… »
Les séries télévisées américaines sont héritières des feuilletons européens des années soixante et soixante-dix, dans lesquels chaque épisode commençait par le rappel des épisodes précédents. Elles en ont souvent copié la technique. On voit ainsi des bouts de scènes marquants des épisodes précédents, qui auront parfois un impact dans l’épisode actuel.
Cela me permet (et encore plus lorsque beaucoup de temps s’est écoulé entre deux séances de jeu, donc entre deux épisodes), de remettre les joueurs dans le bain, de les relancer sur les pistes qu’ils avaient précédemment suivies, mais aussi d’orienter subtilement l’intrigue, voire de leur donner des indices supplémentaires qu’ils auraient pu louper lors de la séance précédente, ou de leur en donner de nouveaux sans qu’ils s’en rendent compte.
Pour les petits malins qui comprennent ensuite comment cela fonctionne, je peux aussi donner des indices sur ce qu’il va se passer dans l’épisode.
On peut même aller plus loin comme les scénaristes de Fringe, qui donnaient, à l’aide d’un code visuel, des indices sur les prochains épisodes.
L’Accroche ou flash-forward prégénérique
J’ai emprunté cette technique à Breaking Bad, qui commence systématiquement ses épisodes ainsi.
Une fois le rappel des épisodes précédents effectué, j’enchaîne en posant le décor d’une scène qui se situe au milieu de l’épisode, à peu près au moment du climax (le point culminant de la tension de l’intrigue). Je choisis une scène d’action le plus souvent, où les personnages sont engagés dans un combat, ou sont en danger. Je commence par décrire un contexte sommaire, en plaçant l’action in media res, puis je laisse les joueurs faire agir leurs personnages comme si la scène se déroulait normalement. Et après quelques actions, je coupe la scène et reviens en arrière pour enchaîner avec le générique de début, qui ouvrira ensuite la première scène du scénario.
Avec cette technique, tout le sel vient du fait que les joueurs ne connaissent pas les tenants et les aboutissants de ce qu’ils jouent, qu’ils doivent agir sous pression, et qu’enfin ils vont commencer à se demander comment leurs personnages vont en arriver à une telle situation.
Je crée ainsi une accroche très forte qui plonge les joueurs dans l’ambiance, et je les guide subtilement (ou pas, parfois) vers un nœud de l’intrigue où je désire qu’ils aillent.
Lorsqu’enfin ils parviennent à nouveau à cette scène après avoir déjà déroulé une partie des fils de l’intrigue de l’épisode, je reprends la description là où je l’avais arrêtée avant le générique.
Le Générique de fin
Tout comme un générique de début marque le début de la séance de jeu et donc du scénario/de l’épisode, un générique de fin le conclut.
« Dans le prochain épisode »
J’interromps parfois le générique de fin par une petite séquence où je présente une scène se déroulant lors du prochain épisode, ou bien faisant intervenir des Personnages Non Joueurs en marge de l’épisode que l’on vient de jouer, histoire de jeter une autre lumière sur certains événements, ou de donner d’autres clefs aux joueurs (ou même les embrouiller un peu… oui, il m’arrive de laisser s’exprimer mon fond sadique…).
Le rythme des scènes : l’œil et la main du metteur en scène
Une série télévisée, comme un film, est intrinsèquement différente d’un jeu de rôle dans le sens que leur déroulement est scripté, décidé, figé. En jeu de rôle, les actions des personnages ne sont pas prévues, même si le meneur de jeu peut la plupart du temps anticiper les grandes lignes.
Comment alors faire se rejoindre les deux ?
Pour ma part je me base sur deux techniques.
La première, lors de l’écriture de chaque épisode. J’ai emprunté le formalisme de scènes au jeu B.I.A. du studio Les XII Singes. Comme pour la structure de l’intrigue « fil rouge » de la saison, je décortique chaque étape du déroulement de l’épisode lui-même et chacune de ces étapes correspond à une scène. Dans cette scène, j’ai un enjeu particulier et des indices qui permettront, en fonction de la résolution de l’enjeu par les personnages, d’aller plus loin dans le déroulement. On construit ainsi une sorte d’arbre décisionnel ou de schéma heuristique qui décrit l’épisode et son déroulement le plus probable.
Scène numéro X : Titre de la Scène
Musique : morceau, album, artiste qui pourraient bien coller à l’ambiance voulue pour la scène.
Origine : comment les personnages pourraient être amenés à déclencher la scène. C’est souvent parce qu’ils ont découvert des indices dans une autre scène pouvant les mener ici.
Aspects de la scène : ça, c’est parce que j’utilise le système de jeu F.A.T.E. dont le reparlerai plus loin.
Description de la scène : comme son nom l’indique.
Indices : récapitulatif de ce que les personnages peuvent apprendre dans la scène et vers quelles autres scènes du schéma cela peut les conduire.
La deuxième technique est utilisée pour s’assurer que le déroulement ne s’écarte pas trop de celui prévu (même si de grosses variations sont tout à fait acceptables… la liberté des joueurs apporte souvent du piment dont il serait dommage de se priver). Il s’agit d’être parfois assez directif dans le marquage du début et de la fin d’une scène. Dans cette vision des choses, le meneur de jeu devient vraiment le metteur en scène. Dès que je sens que le rythme s’essouffle, que les joueurs piétinent dans leurs différentes hypothèses, qu’ils mettent du temps à se décider, je remets un petit coup accélérateur en passant à une autre scène, avec un enjeu différent. Cela laisse les joueurs mûrir leurs hypothèses, mais fait aussi avancer l’histoire. Je donne ainsi du rythme à l’épisode, en créant des péripéties secondaires ou en enrichissant un arc narratif, et en donnant secondairement du grain à moudre aux joueurs.
La musique
Si l’on se place du point de vue d’une mise en scène, il est un élément à ne pas négliger, c’est la bande sonore.
J’ai pris l’habitude de sonoriser mes parties depuis de très nombreuses années, mais je pense que c’est en réfléchissant à une ambiance de série américaine que j’ai le plus pensé aux morceaux de musique que je devais/pouvais passer pour chaque scène, chaque personnage. J’ai quelques musiques qui sont devenues des thèmes pour des personnages secondaires, ou des thèmes pour des moments clefs de l’action.
Je les ai regroupées dans une liste de lecture sur iTunes et je jongle avec en fonction des moments. Ça demande bien sûr une grande connaissance de chaque morceau de la liste et une réactivité importante, surtout lorsque l’on sait qu’en tant que meneur de jeu on a aussi bien d’autres choses à gérer.
La durée d’une séance et le rythme de la série
Pour que le format d’une série soit bien respecté, il faut aussi s’attacher à une discipline particulière, à un axiome très difficile à atteindre :
C’est à ce prix qu’on pourra véritablement avoir une impression d’épisode que l’on regarde en une soirée, et qu’on lui donnera un rythme, une cohérence et une densité satisfaisants. Cela forcera les joueurs comme le meneur à plus de clarté, plus de concision, plus d’efficacité. De plus la partie doit être rythmée, et elle doit donc durer peu de temps. Il faut oublier les nuits entières de jeu, et ce d’autant plus que nous vieillissons ! Nous jouons pour notre part des séances de 4 heures, en soirée. Il me semble que c’est le format qui colle le mieux à un épisode de série.
Il est aussi nécessaire de jouer assez souvent pour que les notes prises pendant la partie par les joueurs et leurs souvenirs soient assez frais pour leur permettre de mettre en relation les indices disséminés dans les épisodes précédents.
Durant la partie, n’utiliser les règles que lorsque c’est vraiment nécessaire, afin de ne pas ralentir le rythme. Le choix du système de jeu devrait normalement vous y aider. Et si vous vous tenez à ne faire qu’un seul jet de dés pour résoudre une action pour ensuite en décrire le résultat de façon conjointe avec les joueurs, vous gagnerez encore en fluidité.
FATE, le jeu parfait pour une ambiance de série
Pour The Lost Tribe, nous avons au départ utilisé le choix le plus évident quand on joue des loups-garous, à savoir le système de Werewolf The Forsaken, la deuxième itération du World of Darkness, que j’avais remodelée pour coller à la toile de fond décrite dans B.I.A., choix logique là encore lorsque l’on désire des intrigues surnaturelles dans un contexte amérindien.
Ça n’a pas marché du tout.
Le système de jeu était trop différent de la première mouture du World of Darkness que nous connaissions bien, trop complexe, avec trop de choses à retenir et à vérifier en jeu pour ne pas ralentir. De même, la puissance des loups-garous par rapport aux êtres humains normaux n’est pas assez bien rendue pour notre façon de jouer et plusieurs scènes ont été assez limitées à cause de cela. J’avais pourtant essayé de doser les oppositions, mais nous n’arrivions à rien, et les personnages rataient même des actions qu’ils auraient dû réussir avec une relative facilité.
Mes joueurs ont donc légitimement commencé à renâcler. Moi-même je sentais que quelque chose coinçait vraiment. Nous avons donc eu l’idée de changer de système et d’essayer F.A.T.E., le jeu « nouvelle vague » de Evil Hat Production.
Et là, ça fonctionne.
Le principe de ce système de règles est d’être une boîte à outils d’une simplicité désarmante et en même temps d’une puissance folle tout simplement parce qu’il utilise le levier principal de la narration : le langage naturel et toutes ses subtilités. C’est grâce principalement aux Aspects, des bouts de phrases permettant de décrire une notion narrative (état d’un personnage, condition climatique, capacité spéciale, nature profonde d’un protagoniste, état émotionnel, etc.), que le jeu devient très fluide et presque naturel.
Pour de vieux briscards comme nous, le changement de paradigme ludique est assez grand, mais pour une nouvelle recrue, comme la joueuse qui incarne le personnage de l’agent spécial Abigail Reed, le jeu devient très vite beaucoup plus intuitif.
La notion d’Aspect couplée à la façon dont FATE gère les réussites et les échecs (en gros en « surfant » sur les intentions du personnage et non en les bloquant en cas d’échec), ainsi que les scènes et la capacité qu’ont les joueurs à prendre quelques initiatives sur la façon dont l’histoire évolue, rend le déroulement d’une séance plus rythmé, plus rapide, mais aussi plus riche potentiellement. Il nous est donc maintenant possible de mettre bien mieux et bien plus facilement en pratique toutes les idées d’adaptation à une série américaine que je vous ai présentées plus haut.
Bien sûr il faut s’habituer à une telle façon de faire, et ce n’est qu’à la deuxième séance que je suis parvenu à appréhender à peu près les mécanismes permettant de poser un peu mieux cette ambiance.
Mécanismes que nous ne possédons pas encore complètement. Mais la prochaine partie de jeu, consacrée à l’épisode 3 de la saison 1 de The Lost Tribe intitulé Rocks & Rolls, devrait nous permettre de nous y habituer encore un peu plus, et de mieux nous amuser avec ces rouages.
En résumé
Pour commencer votre propre série en jeu de rôle, vous aurez besoin de :
- Une intrigue principale formant la saison.
- Découper cette intrigue en épisodes qui iront croissant dans l’exploration de la trame comme de l’univers et des personnages.
- Des personnages typés, le mieux même est que les joueurs et le meneur les créent ensemble pour avoir une cohérence.
- Un système de règles dynamique (je vous recommande F.A.T.E.).
- 1 séance de jeu = 1 épisode et 1 épisode = 1 séance de jeu.
- Un rituel de séance de jeu :
- Résumé des épisodes précédents (+ musique ?).
- Accroche (+ musique ?).
- Générique de début (+ musique ?).
- Générique de fin (+ musique ?).
- (facultatif) Dans le prochain épisode (+ musique ?).
- Gérer l’enchaînement des scènes de façon un peu directive.
- Rebondir sur les actions et idées de joueurs.
- Vous aider des techniques ancestrales du jeu de rôle ?
N’hésitez pas à partager vos retours d’expérience !