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Mémoires rôlistes d’un vieux briscard, chapitre 2 : Scénarios & Campagnes mythiques

Mémoires rôlistes d’un vieux briscard, chapitre 2 : Scénarios & Campagnes mythiques

Mémoires rôlistes d’un vieux briscard, chapitre 2 : Scénarios & Campagnes mythiques

J’ai découvert le jeu de rôle1 à l’âge de 13 ans. À la date à laquelle j’entreprends l’écriture de cette série d’articles, j’en ai 49. Et durant tout ce temps, je n’ai jamais vraiment cessé de pratiquer ce loisir à la fois créatif, artistique, instructif, social, et quelque peu mystérieux pour beaucoup d’entre mes contemporains. Lorsque j’ai commencé, seuls les garçons, en général des adolescents parés de lunettes à culs de bouteille et arborant leurs boutons d’acné comme de fières oriflammes, osaient se passionner pour ces histoires construites à plusieurs voix. Le reste de l’Humanité (c’est-à-dire les filles et bon nombre de nos camarades mâles) nous considérait comme des gens bizarres. C’est de là que viennent les images classiques de ce que l’on appelle maintenant les geeks, ou pire, les nerds, une sous-espèce de geeks encore plus étranges parce qu’ils préféraient tuer des dragons imaginaires plutôt que de taper dans un ballon comme on l’attendait d’eux.

Pourtant, plus de trente ans après, ma tribu de rôlistes (ainsi nous nommons-nous nous-mêmes) est devenue banale, voire sexy. Une série à succès prend même des geeks dans mon genre comme héros et fait du jeu de rôle une base de son intrigue, à savoir Stranger Things, qui tourne autour de monstres dignes de Donjons & Dragons.

Les ados des années 1980 sont devenus parents, et ont fait infuser la culture de leurs histoires de trolls et d’elfes dans toute la société. Ils ont même partagé cette culture avec leurs épouses, leurs enfants.

De plus jeunes rôlistes sont nés.

Et je suis devenu, comme tous ceux de ma génération, un vieux de la vieille. Un vieux briscard des tables de jeu. Presque un grognard de la Grande Armée de D&D.

Durant toutes ces années, j’ai évolué avec des jeux différents, exploré des univers variés, incarné des personnages divers.

J’avais envie de parler de certains d’entre eux, des souvenirs que j’en ai, et de ce que nous pouvons en faire aujourd’hui, dans les années 2020. Cette série d’articles est donc à la fois une biographie ludique et une incitation à découvrir ou revisiter des pépites vintages.

Et après les jeux (et donc les univers) qui ont marqué mon parcours rôliste, il est temps d’entrer dans l’aventure. Ou plus exactement, dans les aventures, c’est-à-dire les scénarios ou les campagnes (les suites de scénarios formant une sorte de série ludique, pendant rôliste des séries télévisées actuelles) que j’ai le plus aimées, que ce soit comme joueur ou comme meneur. Pour quelques-uns de ces scénarios, d’ailleurs, ce fut à la fois comme joueur et ensuite comme meneur.

Pour plus de clarté, je vais les présenter par thème.

Et bien entendu, lorsque cela est possible, je vous donne les liens pour trouver ces scénarios, afin que vous puissiez vous aussi en profiter. Pour certains, cependant, mon expérience a été inachevée, car le jeu de rôle est ainsi fait que, comme toute activité impliquant des groupes, si l’un des participants se lasse et abandonne, il y a beaucoup de chances pour que les autres ne puissent continuer sans lui. Certaines histoires sont donc pour moi sans conclusion, mais même dans ces cas-là, celles que je vous présente ici font partie des plus fortes que j’aie vécues.

Le syndrome Usual Suspects

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas ce film avec Kevin Spacey, il s’agit d’intrigues où certains personnages ne sont pas, mais alors pas du tout, ce qu’ils paraissent être. Une bonne partie du plaisir de jouer ces scénarios est alors de découvrir ou faire découvrir le pot aux roses à ses compagnons de table, et de se laisser surprendre soi-même.

La Nuit des Damnés

Scénario de 6 heures de jeu, sans règles.

Auteur : Seb Bermes.

Il s’agit probablement de ma plus grande claque en jeu de rôle, car notre meneur, Ludo, avait préparé la partie comme un grandeur nature que nous avons joué en une nuit, avec bougies, encens, musique de fond choisie avec goût (c’est lors de ce scénario que j’ai découvert Dead Can Dance, grâces en soient rendues à Ludo jusqu’à la fin des Temps). C’était au début des années 1990, et c’était ma première expérience de jeu en immersion musicale et mise en scène autour de la table.

Je me souviens d’une nuit entière, dans un petit appartement, et du plaisir de frissonner avec mes compagnons de jeu de l’époque : Jiphi, Wilybird, ChrisT, Aspro.

Le scénario en tant que tel est un huis clos où les joueurs incarnent cinq voyageurs venant d’Angleterre pour plusieurs d’entre eux, afin d’entendre lecture du testament et des dernières volontés d’un oncle obscur. Nous sommes en Suisse, au bord d’un lac, en 1766. Et passer la porte du manoir du notaire implique beaucoup plus que chacune et chacun des personnages ne le pense au départ.

Comme joueur, j’ai été l’interprète de Hyeronimus, sans doute le plus naïf des cinq personnages.

Bien entendu, depuis, j’ai fait jouer ce scénario comme meneur, et à chaque fois ce fut un plaisir renouvelé et un peu sadique, il est vrai, de plonger mes joueurs dans cette ambiance noire, et de voir les secrets sourdre peu à peu.

Mes compagnons et moi avions ensuite publié le scénario dans notre fanzine, VITRIOL, mais comme je ne sais si l’auteur autoriserait sa republication ici, je ne vous livre pas de lien. J’ai toutefois trouvé trace de cette histoire sur la Toile, qui décidément contient beaucoup de choses.

Amerikla

Scénario de 8 à 12 heures de jeu, sans règles.

Auteur : Jiphi.

À la suite de La Nuit des Damnés, notre groupe de l’époque, irrémédiablement marqué par cette expérience, a cherché à créer ses propres histoires sur le même principe : un huis clos, sur un format de scénario de convention c’est-à-dire avec des personnages prétirés, et sans règles.

Amerikla se déroule durant la première traversée de l’Atlantique par un Zeppelin, entre Berlin et New York, en 1933. Cinq personnages très particuliers y prennent part. Deux Européens : un gentleman anglais, ancien héros de la Grande Guerre dont un obus a brisé la carrière athlétique prometteuse en le clouant sur un fauteuil roulant, accompagné de son infirmière dévouée dont la chevelure rousse proclame bien haut son ascendance irlandaise. Trois Américains : un avocat d’affaires tiré à quatre épingles, un vendeur de chaussures de New York aux manières aussi peu orthodoxes que parfois surprenant de culture et une chanteuse noire de jazz à la voix envoûtante. Durant cinq jours, plusieurs dizaines de passagers vont vivre avec eux des événements étranges et inquiétants, alors qu’il n’y a qu’un océan presque sans fin au-dessous d’eux, et que leur survie ne tient qu’au fragile édifice de métal et de toile qui leur sert de vaisseau volant.

Amerikla est né de l’esprit fécond de Jiphi, et parvient à pousser ce plaisir du «rien n’est ce qu’il paraît» à un paroxysme que je n’ai jamais retrouvé depuis. Comme joueur, j’ai incarné Timothy, le gentleman anglais. Je l’ai aussi fait plusieurs fois jouer comme meneur, et là encore, c’est un vrai bonheur d’observer comment les petits et sales secrets de chacune et chacun sont distillés et créent des péripéties et des rebondissements qui concourent largement au péril que tous les occupants du Zeppelin doivent affronter avec une magnitude démente.

À l’époque lointaine où ce scénario fut écrit, nous l’avions ensuite publié dans VITRIOL à son tour. Je vous renvoie à ce lien, où vous pourrez trouver les personnages, et à celui-là, où gît le scénario.

Quelques années après, Casus Belli lui-même publia un scénario se passant dans un Zeppelin, manifestement assez inspiré de l’œuvre de Jiphi, mais sans en reprendre vraiment la trame ni l’ambition. Franchement, si vous lisez (et surtout, jouez) les deux, vous verrez que rien ne vaut l’original…

Le Dieu Voilé

Campagne en 7 scénarios.

Auteurs : Vincent Basset, Pascal Montagna, Frédéric Mouysset, Arnaud Prié, Andrea Salvatores.

Il y a 2 ans, pendant la pandémie, ma tablée actuelle a entamé cette campagne pour le jeu Barbarians of Lemuria, un univers de sword and sorcery à la Conan le Barbare, qui reprend les codes des aventures du héros inventé par Howard.

Comme il se doit, la magie est dangereuse, les méchants sont vraiment de cruels sorciers invoquant des créatures monstrueuses, les personnages doivent survivre, il y a des complots, du poison, des combats brutaux.

Nous sommes à Satarla, la grande cité civilisée de ce monde, comparable à Byzance dans le nôtre. La main du dieu de la Mort, Nemmereth, semble prise de tremblements, alors que dans toute la ville des personnes décèdent brutalement, que d’autres reviennent à la vie avec d’horribles visions, que des abominations se lèvent et dévorent hommes, femmes et enfants.

L’aventure va entraîner les joueurs dans un périple riche en rebondissements, et les confronter à un adversaire qu’ils n’auraient jamais cru devoir combattre.

J’ai vécu cette histoire en tant qu’Istara, une courtisane aux talents d’espionne et d’assassin, perpétuant la tradition des femmes fatales de ce genre d’univers, comme Red Sonja. Grâce aux talents de conteur de notre meneur Laurent, et à la possibilité de jouer en ligne (merci Roll20), nous avons arpenté ce monde avec un rythme inégalé d’une partie de jeu de rôle par semaine, tous les mardis, pendant environ 18 mois. Cela faisait sans doute près de 20 ans que je n’avais pas autant joué.

Vous pouvez retrouver Le Dieu Voilé ici.

Des intrigues sur plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires

Le jeu de rôle permet aussi de déployer des histoires non seulement en scénarios indépendants (ce que l’on appelle des one-shots dans notre jargon), mais aussi en campagne, c’est-à-dire en histoires longues, très longues, qui prennent plusieurs années de temps réel pour être jouées et interprétées, mais qui peuvent s’étaler sur plusieurs décennies dans la vie des personnages que l’on incarne, voire plusieurs siècles ou millénaires, si l’on entre dans des univers un peu particuliers. Par exemple, si l’on joue des vampires immortels, ou des êtres réincarnés, des cyborgs, des robots, des machines.

Voici trois exemples de ces campagnes pour moi mythiques.

D.C. by Night

Cadre de jeu type «bac à sable».

Auteurs : Charles Beegly, Alan M. Fisher, Amelia G., Harry L. Heckel IV, Heather Heckel-Curatola.

Vampire : the Masquerade, est un de ces jeux de rôle où l’on peut incarner des personnages très très âgés. Le mien avait 450 ans, inspiré par Highlander, mais il s’est avéré qu’il était plus vieux encore. Nous en reparlerons dans le troisième volet de cette trilogie nostalgique, je n’en dirai donc pas plus si ce n’est que c’était loin d’être le personnage le plus ancien dans cette histoire. Mes compagnons de table jouaient des rôles dont l’existence remontait aux cathares, voire à Charlemagne, et certains de nos alliés ou de nos adversaires dans la société des vampires étaient bien plus vieux encore, parfois jusqu’à remonter aux temps mésopotamiens comme le Sire de mon personnage, Altamira, voire jusqu’aux temps mythiques de la Première Cité, quand les premiers Vampires, les Antédiluviens, étaient encore les seigneurs tout-puissants et monstrueux des descendants de Caïn.

Notre meneur de l’époque, surnommé «Pappy Boyington», avait métabolisé toute la riche toile de fond du jeu, qui entremêle les événements historiques avec des intrigues de guerre secrète entre puissants vampires développant des plans machiavéliques sur plusieurs siècles, et y avait impliqué, souvent contre leurs grés, nos personnages, pour notre plus grand plaisir.

Le supplément D.C. by Night décrit la région de Washington D.C., aux États-Unis, dont la population vampirique est sous la domination d’un Prince redouté autant qu’admiré, Marcus Vitelius, du Clan Ventrue, un ancien centurion romain qui impose une férule d’acier à ses congénères et parvient à maintenir les hordes sauvages des vampires du Sabbat, à distance de sa Cité. Néanmoins, la réalité est plus sombre, car le propre Sire de Vitelius n’est pas vraiment en phase avec cette façade. L’identité réelle du Prince est sujette à caution, de même que ses réelles ambitions.

Nos personnages ont eu à affronter les machinations de La Sybille, à naviguer dans les arcanes politiques piégés de la ville, à combattre des non-morts capables de prouesses martiales très supérieures aux leurs.

Ces sessions de jeu duraient parfois jusqu’à trois jours d’affilée, et nous permettaient de développer les relations entre nos personnages, de nos personnages avec les PNJ, de connaître les lieux de la ville, de plonger dans le passé, avec des flashbacks intenses (je me souviens très bien d’une session sur le passé écossais de mon personnage où les autres joueurs avaient endossé des rôles différents de leurs personnages habituels).

Cette campagne, à elle seule, mériterait un long article. Elle m’a marqué par les thèmes abordés, particulièrement intenses, la façon de les aborder, très intelligente (même si le meneur avait tendance à être beaucoup trop dirigiste et à ne pas laisser les joueurs prendre suffisamment d’initiatives, ce qui était très frustrant), et hélas aussi par la manière dont elle s’est terminée, de façon abrupte par la séparation de la table pour raisons personnelles.

Le jeu de rôle est un loisir éminemment social, et dépend donc des caractères des uns et des autres. La vie est ainsi faite que les choix de vie de chacun peuvent entrer en résonance ou en contradiction. Alors les conflits sous-jacents entre personnalités peuvent exploser.

C’est ce qui s’est passé, et cette campagne restera donc à jamais inachevée, en suspens.

Le supplément D.C. by Night semble ne plus être disponible dans son édition originale.

Constantinople by Night

Cadre de jeu type «bac à sable».

Auteurs : Philippe R. Boulle, Joshua Mosqueira-Asheim, Lucien Soulban.

Vampire est un jeu dont les multiples déclinaisons sont parfois moins réussies que l’original, mais la période Dark Ages, qui se situe au moyen-âge, pendant l’Inquisition, met les personnages dans un contexte radicalement différent et très réussi. Paradoxalement, les vampires à cette époque ont plus de pouvoir sur les Mortels, mais la chasse aux sorcières menée par l’Inquisition les confronte à un danger beaucoup plus grand qu’ils ne l’auraient imaginé. Traqués par des hordes d’humains maniant le feu qui leur est fatal, durant la journée où ils sont aussi démunis que des chatons, ils deviennent des proies à leur tour.

Le cadre de Constantinople by Night se place à l’apogée de cette cité à la population humaine démesurée pour l’époque (selon les sources, jusqu’à 400 000 habitants, quand Paris en compte environ 50 000 à peine), avant son incendie et son pillage par les forces de la Quatrième Croisade.

Là encore, le souverain vampirique des descendants de Caïn est une figure puissante, un mythe se prenant pour un Archange. Les thèmes des croyances, de la réalité et des faux-semblants étaient centraux. Je jouais là encore un personnage qui est devenu important pour moi, une ancienne nonne. Notre meneur, Jiphi, laissait plus de latitude dans les actions, mais là encore, notre table s’est séparée avant que nous voyions la fin de l’histoire, puisque c’était peu ou prou la même que pour D.C. by Night.

Le supplément Constantinople by Night pour Vampire : the Dark Ages semble ne plus être disponible dans son édition originale.

Olympus 2061

Campagne amateur.

Auteur : Lasverinas.

Une autre table se forma plus tard, autour d’un meneur fondu de mangas et autres animes, que nous surnommerons Lasverinas, puisque son autre pseudo est désormais associé à la nouvelle marque d’un réseau dyssocial très connu.

Nous avons débuté une campagne inspirée de plusieurs œuvres de dessins animés japonais : Neon Genesis Evangelion, Ghost in the Shell, Patlabor, Mazinger Z, Macross Plus, pour les plus saillants et les plus évidents.

L’intrigue se passe sur Mars, en cours de terraformation, en 2061, alors que des scientifiques découvrent des traces d’une civilisation humanoïde disparue, et que des entités extraterrestres sont en train d’attaquer le système solaire. Pour défendre la planète, des robots géants sont construits, dans lesquels des pilotes vont entrer en symbiose avec chaque machine. Mais ces machines n’ont pas vraiment été conçues par les humains, plutôt par les Anges, les anciens occupants de Mars. Et chacun des personnages des joueurs découvre qu’il est en fait une réincarnation d’un de ces Anges. Un mystère se rejoue à des millénaires de distance, que nous avons essayé de dévoiler.

Mais hélas, malgré deux saisons d’épisodes, là encore, tout s’arrêta.

Et c’est dommage car l’invention était là, sur le fond comme dans la forme. C’est de cette campagne que je tire beaucoup des enseignements sur la façon de jouer une histoire comme une série télévisée, avec un générique de début et un générique de fin, avec des scènes en flashback ou flashforward, de découper les scénarios en épisodes et en saisons.

Une autre innovation était aussi très efficace : regarder un épisode anime (souvent Evangelion) avant de commencer à jouer. Cela avait pour effet d’imprimer dans notre imaginaire des dessins, une ambiance, et nous parvenions souvent à nous représenter les actions sous la forme de dessins animés, à décrire des effets visuels dans le style manga, comme l’oiseau qui passe devant un personnage pour signifier une émotion dubitative.

Les fresques épiques

Une troisième catégorie de campagnes de jeu de rôle est celle des grandes sagas épiques, celles où l’héroïsme et les exploits sont la norme. Celles-ci également, à mon grand désespoir, ont été laissées au milieu du gué, jamais conclues. Mais elles m’ont laissé de très grands et beaux souvenirs.

L’Enfant-Roi

Campagne très longue en 3 phases.

Auteur : Greg Stafford.

La plus grande fresque épique de tous les temps, à mon avis, reste la légende arthurienne, et rien ne pourra me faire changer d’opinion. Lorsque l’un d’entre nous eut dans les mains un exemplaire du jeu Pendragon, ce fut plus qu’une question de temps avant qu’il ne fit entrer les autres dans une réinterprétation du Cycle fondateur de l’imaginaire médiéval.

Nous avons ainsi commencé à jouer les exploits d’un petit groupe de chevaliers, mais aussi d’autres personnages. Le mien, par exemple, était une enchanteresse. Notre façon d’envisager la légende était en effet très orientée par le film Excalibur et les aspects magiques devaient être représentés parmi les joueurs. Deux chevaliers formaient le noyau dur de la troupe, et ces trois personnages évoluaient année après année le long de la longue chronologie du règne d’Arthur. Ils prirent femme ou époux, eurent des enfants, le tout en commençant à graviter autour de la Table Ronde et de ses célèbres chevaliers. Ils entrèrent dans la lutte entre les anciens dieux et le Dieu Unique, entre les enchantements de Bretagne et la Quête du Graal, entre les Cymri (celtes) et les Saxons, entre les roitelets et le Haut Roi.

De manière intéressante, nous avons commencé à expérimenter le fonctionnement de «maître de jeu tournant». L’un d’entre nous devenait le meneur le temps d’un scénario, puis laissait sa place à un autre qui reprenait son personnage plus tard. Cela sans favoritisme cependant car, pour que le concept soit un succès, il faut laisser la place réellement et toute latitude à celui qui prend les rênes. Nous ne sommes pas allés aussi loin dans le règne d’Arthur que je l’aurais souhaité. Mais là encore, ce fut inoubliable.

Vous pouvez trouver la campagne de l’Enfant-Roi, aussi appelée The Great Pendragon Campaign, seulement en anglais.

Tian Xia

Campagne en deux volumes.

Auteurs : Romain "Rom1" d’Huissier, Jérôme «Brand» Larré, Christophe «Kristoff» Valla.

Lorsque le jeu de rôle Qin est sorti, mon petit groupe de l’époque était enthousiaste. Nous pourrions enfin incarner des Wu Xia, des guerriers errants, à la manière de Tigre & Dragon. Et c’est ce que nous fîmes pendant quelque temps. La longue campagne promise sur la réunification de l’Empire du Milieu par le Roi du Qin, Chi Huangdi, a tardé, mais nous l’avons ensuite entamée.

Il faut dire que ce jeu et cette campagne peuvent être mis en parallèle avec l’Enfant-Roi et Pendragon. Il est question dans les deux cas de jouer sur plusieurs années de temps fictif, l’accession et le règne d’un souverain puissant qui deviendra une légende, de participer à cette légende (comme le proclamait même le slogan du jeu : «vous êtes des héros, devenez des légendes»). Mais les scénarios de la campagne, par trop dirigistes et complexes à mettre en place, ont fini par lasser à la fois le meneur et les joueurs.

Pourtant, nous avons profité de longues heures de jeu.

Vous pouvez trouver la campagne Tian Xia ici.

Les Jardins de Genert

Campagne personnelle non publiée.

Auteur : Germain Huc.

Le jeu le plus épique qui soit, cela dit, reste pour moi RuneQuest. Je vous ai longuement expliqué pourquoi dans le premier épisode de cette trilogie d’articles.

Cette fois-ci, c’est moi qui ai été inspiré par ce monde complexe qu’est Glorantha, et j’ai commencé à concevoir une campagne personnelle, dont les scénarios sont aujourd’hui dispersés sur des notes prises avec les hiéroglyphes qui me servent d’écriture, quelques plans laconiques, et une trame générale qui avait quand même une sacrée ambition. Il s’agissait ni plus ni moins que de permettre aux joueurs d’incarner des demi-dieux et demi-déesses destinées à accomplir l’exploit de ramener une partie de l’Âge d’Or dans le temps présent à partir de Quêtes héroïques parmi les plus périlleuses. Le tout dans le grand chamboulement de la Guerre des Héros, la lutte du royaume de Sartar contre l’Empire Lunar, ou la fin du Ban des Syndics.

Les ennemis qui se dressaient sur leur chemin n’étaient rien moins que Delecti le Nécromancien, l’Empereur Rouge, Le Roi des Broos, le seigneur de guerre La Mort sur un Cheval, et bien d’autres du même acabit.

Je ne suis jamais arrivé à terme ni de l’écriture de cette campagne ni de sa mise en œuvre concrète, mais je ne désespère pas. Il se peut qu’un jour je prenne le temps de la reprendre complètement, que ce soit pour la jouer avec mon groupe actuel ou même la publier.

Les escapades oniriques ou philosophiques

Comme vous le savez depuis le premier épisode de cette série, Rêve de Dragon fait partie de mes jeux de rôle fétiches. Son univers unique permet des scénarios atypiques, qui ne sont possibles que dans ce jeu-là, dans ce cadre-là. Des histoires poétiques ou philosophiques, d’objets ludiques non identifiés, en quelque sorte.

Les voyages draconiques de Sire Arnaud

Campagne à plusieurs Meneurs et selon plusieurs scénarios du commerce.

Auteurs : Variés.

C’est l’autre jeu pour lequel notre groupe avait adopté la technique des maîtres de jeu tournants. Par nature, Rêve de Dragon sépare chaque histoire comme des rêves distincts, où certaines choses peuvent être laissées dans le flou (le gris-rêve, sorte de somnolence où l’on ne se rappelle plus très bien comment on est arrivé au début du rêve depuis la fin du précédent). Ainsi, nous étions quatre meneurs, qui prenions la direction des opérations en fonction de nos inspirations, des scénarios qui nous tentaient ou que nous voulions explorer. Et nous avions chacun nos personnages, qui étaient présents dans les rêves des autres.

Le mien, nous en parlerons dans le prochain épisode, était Sire Arnaud, une version caricaturée de Cyrano de Bergerac.

Le groupe, composé des mêmes personnes que pour Pendragon, se disloqua donc, mais comme il est normal pour les rêves de s’interrompre sans vraiment de cohérence ni de suite, je n’ai ici aucun regret, juste une collection de très bons souvenirs.

Un Voyage en Boldzarie

Scénario du commerce.

Auteur : Denis Gerfaud.

Pourtant, un scénario en particulier a marqué cette période de jeu intensif dans l’univers de Rêve de Dragon. C’est bien Un rêve en Boldzarie, de Denis Gerfaud lui-même. Pour moi, c’est son chef-d’œuvre scénaristique. La trame elle-même colle si bien au concept fondamental de Rêve de Dragon qu’elle est indépassable. Sans en dévoiler trop, je peux dire que rêve et réalité se mêlent et s’entremêlent tellement dans ce long, très long songe, que cela en est vertigineux. Et j’ai pris beaucoup de plaisir à le maîtriser.

Vous pouvez trouver ce Voyage parmi tous les autres écrits par Denis Gerfaud pour Rêve de Dragon ici.

Comme le feu dans tes yeux

Scénario personnel non publié à ce jour.

Auteur : Germain Huc.

J’ai tellement aimé Un rêve en Boldzarie que j’ai réutilisé une partie de ce concept rêve/réalité dans une adaptation personnelle à Rêve de Dragon du roman Roi de l’Été, Fou de l’Hiver, de l’écrivaine Lisa Goldstein, auquel j’ai mélangé des éléments du cycle de l’Arcane des Épées de Tad Williams.

Comme le feu dans tes yeux est à ce jour le scénario de jeu de rôle dont je suis le plus fier dans ma vie. Il est à moitié écrit, mais il mériterait d’être repris et achevé pour être publié. Peut-être qu’un jour j’en aurai le temps.

Je ne peux que vous en livrer quelques images.

Les réinterprétations personnelles de mythes de l’imaginaire

Les réinterprétations personnelles sont l’essence même du jeu de rôle, dans lequel chaque joueur et chaque meneuse peut faire entrer dans l’imaginaire partagé du moment du jeu, autour de la table, ses propres références, ses propres obsessions, ses propres façons de revisiter des mythes communs, qu’ils soient issus de la culture geek ou non.

Gare au Gorille

Scénario personnel de 12 heures de jeu environ, pour Star Wars D6.

Auteur : Germain Huc.

Avec ce scénario-là, j’avais envie d’explorer la Guerre des Clones lorsque l’on n’en savait presque rien dans la toile de fond de Star Wars. C’était plusieurs années avant que ne commence la production de la prélogie, et la Guerre des Clones n’était qu’une expression, une ligne dans la Chronologie du Guide du Joueur de Star Wars. Personne ne savait ce que ce terme recouvrait vraiment. Étaient-ce des clones qui se seraient révoltés, comme les Répliquants de Blade Runner ? C’est la prémisse dont je suis parti, le postulat qui fonda un long scénario de format convention, donc prévu pour 12 heures de jeu.

J’y mélange des inspirations venant de mon enfance (Capitaine Flam et l’Empereur de l’Espace), de Blade Runner, de Star Wars, bien entendu.

Il avait été publié dans le numéro 1 de VITRIOL.

Rocfou

Campagne mêlant plusieurs scénarios personnels et du commerce.

Auteur : Sixte.

Tout a commencé chez Obi-Wan, un soir, alors que Sixte, Phil et moi, étions en train de discuter de ce que nous voulions jouer comme ambiance médiévale fantastique. Je ne sais qui a eu l’idée, mais rapidement, il apparut que Sixte souhaitait être meneur, et qu’Obi-Wan et moi incarnerions deux frères que tout oppose, physique comme caractère. L’un, Eustâche (incarné par Obi-Wan), fort et guerrier, l’autre, Étienne (que je me proposais de jouer), gringalet et retors. L’un rêvant d’exploits chevaleresques et d’égaler la réputation de leur père, grand guerrier redouté, l’autre ne rêvant que de la belle vie en se servant de la réputation de son frère. Quant à Phil, il serait Béric, l’écuyer d’Eustâche, qui déteste les aventures mais est obligé de suivre son seigneur lige, Eustâche en personne. Afin de vivre des aventures palpitantes, Étienne réussit à convaincre son frère de partir en quête d’exploits, qu’il se mettra ensuite à raconter en les enjolivant beaucoup sous le pseudonyme de Will l’Écarlate, quitte d’ailleurs à provoquer par ses pouvoirs de mini-catastrophes qui plongèrent régulièrement les 3 personnages dans des situations plus périlleuses qu’escompté.

Le ton était résolument léger, avec beaucoup d’humour. Pourtant, ce fut l’occasion de construire avec Sixte un univers très intéressant et réaliste, de vivre avec mes compagnons de table des moments mémorables, et également de me demander si cela ne pourrait pas être l’embryon d’une saga littéraire de fantasy. J’ai donc commencé à retravailler tout cela avec un objectif plus littéraire, quitte à revoir de nombreux points. Notamment le ton, que je souhaite plus adulte que le jeu originel. Du reste, j’ai commencé à en parler ici. Malgré le temps qui passe, cette histoire est toujours dans ma tête, qui trotte et qui trotte. Il faudra bien qu’un jour elle en sorte pour s’imprimer sur du papier.

N’ayez donc crainte (ou au contraire, tremblez), je n’ai pas abandonné le projet Rocfou.

The Lost Tribe

Campagne «série télévisée» personnelle en 3 saisons de 6 épisodes chacune.

Auteur : Germain Huc.

Parmi les mythes les plus prégnants de la culture imaginaire, il y a celui des loups-garous. Comme vous avez pu le lire dans le précédent épisode, j’adore le jeu Werewolf : the Apocalypse. J’ai tenté à plusieurs reprises de faire vivre des campagnes dans l’univers du jeu, mais à chaque fois cela a périclité très tôt. Manque d’assiduité de ma part, mais aussi, comme trop souvent, dispersion des joueurs et donc extinction naturelle.

C’est un peu ce qui m’avait motivé à tenter une hybridation osée : mettre des loups-garous dans le cadre du jeu BIA, des XII Singes, où les personnages sont des enquêteurs de l’agence fédérale américaine en charge des crimes impliquant des Amérindiens.

J’avais construit un groupe de vieux briscards rôlistes, comme moi, et leur avais confié des rôles de garous appartenant tous à une tribu secrète dispersée dans toutes les nations premières du continent américain, la Tribu Perdue du titre. Leur rôle était de protéger les intérêts sacrés de la réalité, contre des mauvais esprits ou de mauvais êtres humains, corrompus.

Mais je les ai confrontés à une novice en jeu de rôle, ma propre épouse, qui interprétait Abigail Reed, agent du BIA missionnée pour résoudre une série de meurtres perpétrés dans la réserve des Nez Percés, dans le Nord Idaho. Il se trouve qu’au départ, Abigail est un peu l’agent Scully de X-Files, mais elle apprend assez vite qu’elle possède des pouvoirs chamaniques, ce qui la rend encore plus intrigante pour les garous, et qui soude le groupe.

J’avais pensé le tout comme une série américaine. Vous pouvez d’ailleurs retrouver deux articles qui y sont consacrés, ici et ici.

Hélas, la campagne s’est arrêtée, là encore, sur un goût d’inachevé.

Mais nous avons bien ri, et il ya encore des gimmicks qui peuvent sortir de temps à autre, entre mon épouse et moi, ou avec les autres joueurs.

Possible qu’un jour, j’écrive là aussi les quelques idées que j’avais, et que je vous les soumette, mais je n’ai pas encore renoncé à reprendre cette campagne, donc je ne vous promets rien.

Le frisson de la peur

L’un des pouvoirs du jeu de rôle est de faire ressentir des émotions fortes à celles et ceux qui s’y adonnent. Ce n’est pas du niveau d’un boost d’adrénaline lorsqu’on saute à l’élastique ou en parachute, c’est vrai, mais ça peut être aussi satisfaisant.

Moi qui déteste les films d’horreur, je suis pourtant très bon public des scénarios qui font peur. Deux d’entre eux m’ont particulièrement marqué.

La Mort qui tue

Scénario pour Chill.

Auteur : Je ne m’en souviens plus.

Ce n’est pas le véritable nom du scénario, mais c’est celui que le meneur de l’époque, ChrisT, lui avait donné. Je me rappelle même qu’il avait mis une image d’Eddie, la mascotte morte-vivante du groupe Iron Maiden, pour l’illustrer. Par contre, impossible de me souvenir de ce titre réel, donc, pour moi, ce scénario pour Chill est resté La Mort qui tue. Une sombre histoire d’instrument de musique maudit qui possédait son propriétaire. Il y avait aussi une histoire de cimetière indien, à moins que je ne mélange les choses.

Ce qui reste frais, cependant, dans ma mémoire, ce sont les frissons que cette histoire avait provoqués.

Le talent du meneur y était pour quelque chose, c’est vrai.

Et si l’une ou l’un d’entre vous trouve ce scénario, il ou elle aura toute ma gratitude.

La Couronne de Cuivre

Campagne pour Symbaroum en 3 scénarios.

Auteurs : Mattias Johnsson, Mattias Lilja.

Plus récemment, Jérôme, l’un de mes camarades de jeu actuel, nous a fait jouer cette petite campagne pour Symbaroum. J’ai adoré, et retrouvé ces petits frissons avec plaisir. Malgré le fait que notre groupe soit composé d’un gobelin et d’un troll en plus de deux humains, les horreurs de la forêt de Davokar et les bêtes infernales invoquées par la magie corrompue qui en émane restent percutantes en termes émotionnels.

Là encore, il faut un certain talent pour que cela soit prégnant, et si vous avez la chance d’avoir une meneuse ou un meneur avec ces capacités théâtrales, vous allez vous régaler.

Vous pouvez trouver cette campagne-.

Conclusion : celles que je n’ai pas jouées

J’ai limité volontairement ce petit tour d’horizon, car faire une liste de tous les scénarios que j’ai aimés serait non seulement très long mais surtout fastidieux et complètement inintéressant.

Il reste cependant une catégorie importante à considérer : les campagnes mythiques pour les rôlistes que je n’ai pas jouées.

Les masques de Nyarlathotep pour l’Appel de Chtulhu, La Campagne Impériale, pour Warhammer, Le souffle du Dragon pour Néphilim, par exemple.

Ce ne sont pas vraiment des regrets, car qui sait si je ne comblerai pas ces lacunes un jour, mais je me sens parfois en décalage avec celles et ceux qui ont vécu ces aventures et qui en parlent avec des trémolos dans la voix.

«On ne peut pas tout voir, tout vivre, tout savoir», me dis-je.

Et vous, vous avez vos campagnes mythiques ? Vous avez aussi un ou des scénarios qui vous ont marqué ?

N’hésitez pas, et partagez vos souvenirs dans les commentaires !


  1. L'originel, celui qu’on joue à plusieurs autour d'une table, réelle ou virtuelle, pas celui des jeux vidéos, qui n’a ni les mêmes objectifs, ni les mêmes techniques.  ↩︎

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Mémoires rôlistes d’un vieux briscard, chapitre 1 : Jeux & univers fétiches

Mémoires rôlistes d’un vieux briscard, chapitre 1 : Jeux & univers fétiches

Mémoires rôlistes d’un vieux briscard, chapitre 1 : Jeux & univers fétiches

J’ai découvert le jeu de rôle1 à l’âge de 13 ans. À la date à laquelle j’entreprends l’écriture de cette série d’articles, j’en ai 49. Et durant tout ce temps, je n’ai jamais vraiment cessé de pratiquer ce loisir à la fois créatif, artistique, instructif, social, et quelque peu mystérieux pour beaucoup d’entre mes contemporains. Lorsque j’ai commencé, seuls les garçons, en général des adolescents parés de lunettes à culs de bouteille et arborant leurs boutons d’acné comme de fières oriflammes, osaient se passionner pour ces histoires construites à plusieurs voix. Le reste de l’Humanité (c’est-à-dire les filles et bon nombre de nos camarades mâles) nous considérait comme des gens bizarres. C’est de là que viennent les images classiques de ce que l’on appelle maintenant les geeks, ou pire, les nerds, une sous-espèce de geeks encore plus étranges parce qu’ils préféraient tuer des dragons imaginaires plutôt que de taper dans un ballon comme on l’attendait d’eux.

Pourtant, plus de trente ans après, ma tribu de rôlistes (ainsi nous nommons-nous nous-mêmes) est devenue banale, voire sexy. Une série à succès prend même des geeks dans mon genre comme héros et fait du jeu de rôle une base de son intrigue, à savoir Stranger Things, qui tourne autour de monstres dignes de Donjons & Dragons.

Les ados des années 1980 sont devenus parents, et ont fait infuser la culture de leurs histoires de trolls et d’elfes dans toute la société. Ils ont même partagé cette culture avec leurs épouses, leurs enfants.

De plus jeunes rôlistes sont nés.

Et je suis devenu, comme tous ceux de ma génération, un vieux de la vieille. Un vieux briscard des tables de jeu. Presque un grognard de la Grande Armée de D&D.

Durant toutes ces années, j’ai évolué avec des jeux différents, exploré des univers variés, incarné des personnages divers.

J’avais envie de parler de certains d’entre eux, des souvenirs que j’en ai, et de ce que nous pouvons en faire aujourd’hui, dans les années 2020. Cette série d’articles est donc à la fois une biographie ludique et une incitation à découvrir ou revisiter des pépites vintages.

Dans ce premier chapitre, je vais parler de ces jeux qui sont restés dans mon panthéon personnel. De ces univers qui méritent qu’on s’y attarde, qu’on les explore, qu’on y revienne. Bref, je vais vous parler de mes jeux fétiches.

RuneQuest/Glorantha

Quand on commence le jeu de rôle, on le fait souvent dans un univers médiéval teinté de magie qui s’inspire beaucoup du Seigneur des Anneaux, cette œuvre monumentale qui est désormais bien connue, même des moins geeks d’entre nous. Et l’écrasante majorité des univers de jeu de rôle médiévaux fantastiques sont des variations de cette même base. À tel point qu’on peut parfois les trouver interchangeables. Il y a la Quête, le méchant nécromancien, les elfes scintillants et les buveurs nains, le hobbit au pied léger et à la bonhommie simple, le vieux magicien et le guerrier solide. Le prêtre est plus un templier qu’un curé de campagne, et fait souvent office de guérisseur. Bref, tout ça est très archétypal. Un peu trop, parfois.

Voilà pourquoi l’univers de Glorantha sort du lot. Il est totalement différent, tout en ayant un vocabulaire commun.

Ici, il est plutôt question d’un monde antique-fantastique, et non plus médiéval-fantastique.

Glorantha est un monde fouillé, riche, et très complet, qui peut parfois faire peur tant il est développé. On y plonge non pas dans des civilisations basées sur notre moyen âge, mais plutôt au cœur de notre antiquité : grecque, romaine, égyptienne, mésopotamienne, celte, scandinave, voire indienne d’Inde, ou encore néolithique. Mais cette ambiance n’est pas la seule différence. Le véritable changement est dans le parti-pris d’un monde sacré, imprégné de la magie des mythes. Dans Glorantha, les Déesses et les Dieux ont forgé la réalité par leurs actes mythiques, et les Mortels vivent dans un monde dont la trame elle-même est fondée sur ces mythes. Chaque culture révère ses propres divinités dans une vision différente mais complémentaire de cette puissante création magique, et le monde en est constitué littéralement. Ainsi, vénérer un dieu, c’est endosser son rôle, c’est prolonger ses actions dans le monde qu’il a construit, c’est maîtriser les Runes qui lui confèrent ses pouvoirs, et en agissant en harmonie avec les valeurs qu’il porte, c’est accéder à une fraction de ses capacités pour maintenir la création ou en changer le cours.

Il est ici question de jouer des personnages qui sont ou seront des Héros, au sens grec du terme : des porte-étendards de leur peuple, des instruments de leurs divinités, et par là même des hérauts au service de certaines valeurs. Si les anciennes versions du jeu donnaient naissance à des personnages un peu faibles lorsqu’on mettait en route les mécaniques des lancers de dés, la nouvelle édition, assez récente, permet vraiment d’incarner ces puissants demi-dieux qui étaient, j’en suis certain, le véritable objectif de Greg Stafford lorsqu’il imagina ce monde.

Car Glorantha est un monde d’exploits mythiques, pas de petites escroqueries mesquines. Même le vol d’un troupeau de vaches prend là des allures de geste légendaire, car ce troupeau est le symbole d’une alliance entre les déesses de la Terre et les Mortels, et sa disparition peut donc contrarier une puissante divinité, mettre en péril les récoltes, faire dépérir le bétail restant, ouvrir la porte aux maladies. Qu’on pense seulement aux exploits de héros comme Cúchulainn l’Irlandais : toute la légende tourne autour d’un bœuf sacré qui offre la prospérité au peuple qui la possède, et par là offre la légitimité au souverain qui le dirige.

Les enjeux dans Glorantha sont ni plus ni moins que la trame même de la réalité.

Et les Héros sont vraiment des héros. Bigger than life, mais en même temps si humains, comme dans les légendes, les vraies, de notre propre monde.

Greg Stafford était un auteur prolifique, mais aussi un homme engagé spirituellement dans le chamanisme. Et cet animisme a quelque résonance en moi.

Voir le monde comme un tissu de mythes, c’est le réenchanter, c’est donc lui donner une valeur en dehors de notre seule Humanité, c’est remettre notre espèce à sa juste place : un maillon d’une chaîne plus vaste, bien plus vaste.

C’est aussi une part de l’attrait de ce monde, pour moi.

Le défaut du jeu ? Un système lourd, surtout pour les combats, qui à mon sens fait perdre beaucoup du dynamisme que l’on serait en droit d’attendre d’un tel univers héroïque.

Mais il existe des alternatives de ce côté-là, notamment avec Cœur de Runes, une mécanique beaucoup plus narrative qui en plus colle vraiment aux fondements du monde de Glorantha. J’en parlerai d’ailleurs plus en détail bientôt.

Pendragon

Pour qui pratique le jeu de rôle et apprécie la geste arthurienne, connait Excalibur et les légendes celtes, Pendragon est un vrai trésor ludique autant qu’une compilation érudite. Greg Stafford, encore lui, y mit tout son cœur en ciselant un cadre cohérent puisant aux différentes sources littéraires, celtes et médiévales, qui ont forgé cet autre mythe fondateur de notre propre civilisation.

Dans Pendragon, on incarne des chevaliers qui pourraient très bien après moult aventures, se retrouver à siéger à la Table Ronde avec le Roi Arthur, qui rêvent de se mesurer en tournoi avec Sire Lancelot du Lac, ou de se battre pour les couleurs d’une Dame dont la magie n’a d’égale que sa beauté. On peut aussi jouer un enchanteur, ou mieux, une enchanteresse, comme ce fut mon cas.

Là encore, il ne s’agit pas d’un cadre médiéval lambda, mais bien de la geste arthurienne, avec tout ce que cela comporte.

Et les mécaniques du jeu sont taillées pour. D’abord, ce système des passions et des valeurs, précurseur en son temps, qui permet de s’intéresser aux valeurs défendues par le chevalier qu’on incarne. Sera-t-il chaste comme Galaad ou plus séducteur comme Gauvain ? Sera-t-il inspiré par l’Amour courtois qu’il porte à la Dame dont il porte fièrement les couleurs pour accomplir des exploits chantés par les troubadours, ou bien en sera-t-il indigne et devra-t-il se racheter ?

Ensuite, le système des réussites critiques et des scores héroïques fonctionne très bien.

Enfin, pour qui choisit de jouer un «magicien», le jeu a une saveur qui rappellera de façon amusante les répliques de Merlin dans le film Excalibur de John Boorman.

Le défaut du jeu ? Je n’en vois pas.

Rêve de Dragon

Pourtant, les Anglais n’ont pas été les seuls à proposer des univers ludiques exceptionnels. L’un des plus beaux est sans conteste français. Rêve de Dragon, créé par Denis Gerfaud, est un bijou unique.

Dans ce jeu, le monde, médiéval fantastique, n’est, littéralement, qu’un rêve de dragons.

Les personnages sont juste des songes, comme tout le reste de la réalité qui les entoure. Quant aux magiciens, leur seule (mais fondamentale) différence, est d’être conscients d’être des songes, et d’avoir acquis la capacité de contrôler en partie les rêves du Dragon qui leur donne vie. Cela leur offre le pouvoir d’influencer le rêveur, donc de modeler certains aspects de la réalité, mais les expose aux dangers terribles des cauchemars, voire du réveil, qui sonnerait leur propre mort. Une mort cependant toute relative, car comme nous, un Dragon qui se rendort a une chance de se souvenir en partie de ses rêves précédents, et donc de rêver de la même créature… en un peu différent. Ainsi, un personnage qui meurt dans Rêve de Dragon va renaître lors du scénario suivant, mais avec un autre métier, avec d’autres talents, d’autres pouvoirs, et pas toujours tous ses souvenirs.

Rêve de Dragon installe donc une ambiance, une façon de jouer. On se retrouve facilement à entrer dans des quêtes un peu surréalistes, comme retrouver la recette d’un gâteau si succulent qu’il est capable de provoquer un rêve particulier chez les dragons, et donc de créer une magie puissante. Tout y est plein de poésie, et souvent d’humour. Les monstres y ont des noms amusants, comme le darquoine (dark one) ou la quilleurbist (killer beast), les livres des érudits ont des titres à base de jeux de mots. Le second degré et la bienveillance sont inscrites dans les gènes de l’univers. Et ça fait du bien.

Le défaut du jeu ? Là encore, un système très lourd, beaucoup trop lourd. Je ne comprends d’ailleurs pas l’obstination de Denis Gerfaud à exiger le maintien de ce système beaucoup trop simulationniste lors de la réédition qui a été faire il y a 2–3 ans. Cela, à mon sens, dessert complètement le propos, car si le fond de l’univers est novateur, la forme du système est vraiment ancrée dans une façon de jouer qui n’est plus du tout actuelle. Mais il est possible qu’un jour je publie mon adaptation de FATE à cet univers… si vous êtes nombreux à le demander…

Néphilim

Le deuxième jeu français qui entre dans la courte liste de mes jeux fétiches est là encore une affaire d’ambiance. Néphilim est le premier jeu d’occulte contemporain à avoir vraiment posé le genre. Il s’agit de jouer non pas des humains, mais des êtres élémentaires qui ont été, depuis des millénaires, forcés de s’incarner dans des êtres humains après la chute de l’Atlantide. Constitués de cinq énergies magiques, les Kâ-Éléments, ces êtres qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes sont obligés de vivre en parasites au fil des siècles dans différents corps, qui deviennent des réceptacles de leur puissance résiduelle. D’ailleurs, ces êtres immortels mais fragiles essaient parfois de créer une symbiose avec leur hôte humain. Pourtant, ils sont chassés par des sociétés secrètes humaines qui les combattent depuis des temps immémoriaux, et dont la plus connue est celle des Templiers.

Quelque part entre Highlander le film (et la série), et le Da Vinci Code

Ça vous paraît déjà riche ? Sachez que je n’ai brossé là qu’une infime partie de la complexité de ce monde où les références historiques, artistiques, ésotériques, philosophiques sont innombrables et arrangées dans une mythologie cohérente. On y retrouve une magie qui me paraît être la plus évocatrice, la plus poétique et la plus réaliste qu’il m’ait été donné de lire dans un jeu de rôle, basée sur les traditions et les systèmes réels de l’occultisme. Par exemple, la kabbale, qui est une tradition ésotérique réelle prenant sa source dans les textes bibliques du judaïsme, est ici la science de l’invocation de créatures magiques élémentaires. Ces invocations sont par exemple : Ceux qui rampent et qui grignotent, ou bien Les papillons de noirceur, interstices du puits sans fin. Quant aux formules de l’alchimie, elles peuvent être La calcination des souvenirs vaporeux, ou La rectification des certitudes du somnambule.

Au fil des éditions, la toile de fond du jeu a évolué, pour suivre les évolutions de notre société et l’intrigue globale prend en compte des problématiques très variées. De plus, Néphilim est le seul jeu de ma connaissance où la progression des personnages se fait sur leur recherche spirituelle, leur quête de sens, leurs découvertes sur leur être profond. Le but ultime des Néphilims étant une forme de transcendance vers un retour à leur forme originelle, le jeu n’est pas qu’une quête de pouvoir, mais bien un chemin dramatique beaucoup plus riche de potentialités.

Le défaut du jeu ? Être intimidant pour les novices qui voudraient s’y frotter. Mais franchement, ça vaut l’effort.

Vous pouvez d’ailleurs télécharger ici une fiche PDF modifiable que j’ai conçue à partir de l’officielle, avec l’accord des auteurs.

Vampire : The Masquerade

Si l’on parle de jeux contemporains dans lesquels on n’incarne pas des humains, il est impossible de ne pas penser à Vampire : The Masquerade. Le jeu de Mark Rein-Hagen était vendu au départ comme un jeu d’horreur intérieure, je le qualifierais plutôt de jeu philosophique. Bien entendu, comme tous les jeux de rôle, il a son lot de combats contre des monstres et certains de ses adeptes font surtout étalage des pouvoirs de destruction de leurs vampires préférés. Mais pour moi c’est surtout la tentative ludique d’adapter les dilemmes du vampire Lestat d’Anne Rice.

Ici, on joue des vampires, qui ont entre quelques années et quelques millénaires d’existence, avec des pouvoirs surnaturels, mais surtout aux prises avec deux très très gros problèmes : d’abord leur Bête intérieure qui les pousse à boire du sang humain pour non-vivre et qui peut leur faire commettre des atrocités et leur faire perdre leur Humanité, ensuite une guerre secrète qui oppose depuis des éons les plus anciens parmi les anciens vampires, devenus des monstruosités, et les plus jeunes d’entre eux, ayant encore conservé une certaine connexion avec le monde des humains. On joue ici des Highlanders qui doivent voir leurs proches mourir mais en plus peuvent eux-mêmes être la cause de leur destruction par la faute de leur Soif inextinguible.

Et des complots séculaires s’emboîtent dans des complots millénaires. Peu à peu, les vampires perdent la mesure de ce qui est bien ou mal. Ils sacrifient leurs proches, sacrifient leur âme, morceau par morceau. Le temps qui passe, leur mort lente qui se dissout dans leur non-vie perverse.

C’est parfait pour jouer des intrigues de palais, mais aussi des drames, le tout enveloppé de légendes noires.

J’ai beaucoup, beaucoup joué à Vampire, et franchement c’est un vrai bonheur.

Le défaut du jeu ? Il y en a deux : le système, là encore un peu lourd et daté, qui force à lancer des brouettes de dés pour chaque action un peu tendue. Et surtout le background officiel qui est souvent un peu «too much» mais aussi un carcan très difficile à voir dans sa globalité, car dispersé dans des centaines (je n’exagère qu’à peine) de suppléments qu’il faut soi-même recouper. C’est sans doute très sympa quand on a 25 ans, ça l’est moins quand on en a le double…

Werewolf: The Apocalypse

Mais il y a un second jeu du World of Darkness des années 1990 qui vaut largement le coup de se pencher dessus, et c’est le petit frère de Vampire : Werewolf. On y incarne les ennemis jurés des vampires, les loups-garous. On pourrait croire qu’on joue les gentils de l’histoire, mais c’est plus compliqué que ça. Les Garous sont eux aussi des êtres inhumains, même s’ils sont plus près des mortels. Déjà, ils ne sont pas éternels. Ensuite, ils ont eux aussi deux gros problèmes. D’abord leur propre bête intérieure, qui exacerbe leurs passions. Ils sont en quelque sorte «plus humains que les humains». Ils ressentent plus fortement les émotions, ont du mal à gérer la frustration, et cette colère qui gronde en eux lorsqu’ils voient les dégâts infligés à la Nature au sens large. Ensuite, ce sont des êtres perdus entre deux mondes. Entre le monde animal des loups et le monde humain, entre le monde matériel et le monde des esprits, entre l’harmonie et la violence.

C’est parfait pour jouer des quêtes spirituelles, pour explorer des drames humains, pour questionner les travers intérieurs comme ceux de la société. Le côté tribal de la société garou peut aussi donner lieu à des intrigues politiques, très différentes de celles de Vampire. Et une campagne mêlant les deux côtés, avec chaque joueur incarnant un Vampire et un Garou, serait carrément géniale.

Le défaut du jeu ? D’abord le système puisque c’est le même que celui de Vampire. Puis le background trop éclaté, même si c’est beaucoup moins prégnant pour les Garous que pour leurs ennemis à canines pointues.

FATE

Il y a quelques années, je découvrais par hasard le système FATE. Je vous en ai déjà parlé, car c’est le système qui m’a permis de faire vivre une campagne de jeu basée sur un paradigme de sérié télé américaine, The Lost Tribe. Vous y retrouverez d’ailleurs mon goût pour les loups-garous, puisque 4 des 5 PJ étaient des Garous, la cinquième étant une chamane qui s’ignore.

FATE n’est pas vraiment un univers, c’est un système générique.

Pendant longtemps, j’ai peu goûté les systèmes génériques. Les BASIC et autres GURPS me semblaient faire l’impasse sur un principe fort : system matters. Par cet aphorisme anglo-saxon, il faut comprendre que les mécaniques de jeu influencent en grande partie la façon de jouer, et qu’un bon système est celui qui prend en compte les particularités de l’univers pour les faire entrer dans son horlogerie interne. Un exemple flagrant est Qin, avec ses dés : un dé Yin, un dé Yang, les deux étant en équilibre quand les chiffres indiqués par chacun d’eux sont les mêmes, ce qui indique un momentum et provoque des résultats narratifs comme ludiques. Un système générique, par nature, ne peut avoir une telle adéquation avec son univers.

Sauf.

Sauf avec FATE.

Le principe de FATE (tiens, le SRD version française) est d’être au croisement entre la narration et la simulation, les deux faces pour lesquelles des générations de rôlistes se sont déchirées depuis l’apparition de D&D. Son outil le plus central est l’Aspect, une phrase, une simple phrase, qui a valeur d’axiome ludique, et qui peut provoquer un effet dans la résolution d’une action.

Avec ce seul et simple mécanisme, il est possible de coller à n’importe quel univers, avec presque autant de pertinence qu’un système dédié.

Et la deuxième force du jeu est que sa mécanique est fractale. Un personnage est défini par des aspects, des compétences, des extras (des aspects souvent, qui modifient des points de règles). Mais tout, dans FATE, peut être défini exactement comme un personnage. Une épée, un manoir, un véhicule, un pouvoir. Tout. Il suffit donc de connaître très peu de règles pour ciseler un corpus qui colle parfaitement à un univers donné.

J’ai donc parfois adapté certains systèmes avec FATE. Notamment (c’est la deuxième fois que j’en parle dans l’article, je sais) Rêve de Dragon.

Le défaut du jeu ? Les dés FATE ont tendance à aplatir le résultat, qui tend souvent vers une moyenne. Mais il existe des variantes dont nous parlerons peut-être un jour dans un article dédié.

Sans règles

Au fil de mes expériences ludiques, et d’ailleurs assez tôt, j’ai été confronté, comme Meneur ou comme Joueur, à des scénarios qui étaient prévus pour se jouer sans règles de jeu, sans mécanique autre que la décision de metteur en scène du MJ sur la proposition des PJ. Nous parlerons plus en détail de ces scénarios dans le prochain épisode, mais il est tout de même important de savoir ce qu’implique le fait de jouer sans règle précise.

En fait, jouer sans règle n’existe pas. Car il en existe bien une. Une seule.

C’est à la Meneuse de décider si une action réussit ou non, et comment, en concertation avec les Joueurs, avec comme seul guide l’intérêt dramatique.

Le scénario qui se joue ainsi doit avoir bien borné son univers, ou au contraire l’avoir ouvert d’emblée. En général, il s’agit de huis clos, en one-shot, c’est-à-dire sans suite possible, et avec des personnages dont les capacités, les pouvoirs, les talents, sont plus ou moins détaillés dans le background, afin que chacun puisse savoir ce qu’il est capable ou non de faire.

Ensuite, cela implique une grande confiance réciproque entre les Joueurs et la Meneuse. D’un côté il s’agit de ne pas dénaturer le scénario (ce que les règles empêchent car elles limitent les actions possibles). De l’autre il s’agit de ne pas brider l’imagination des Joueurs, de leur laisser suffisamment de latitude pour faire vivre une histoire palpitante et amusante.

C’est un équilibre délicat. Mais quand il est atteint, il permet de vivre des parties inoubliables.

Personnellement, au moins deux de mes souvenirs les plus marquants de jeu de rôle sont liés à de tels scénarios.

Le point commun ?

Je me suis volontairement limité, car j’aurais pu parler de Qin, de Guildes, de l’Appel de Cthulhu, mais il me semblait plus intéressant de se concentrer sur le cœur du cœur. Cela montre d’ailleurs qu’il existe quelques ressemblances dans les jeux dont nous venons de parler.

D’abord des jeux qui posent un monde original, avec une mythologie riche. Et avec des règles qui servent l’immersion dans l’univers.

Ensuite, des jeux qui donnent naissance à des histoires dont le déroulement est plus important que les exploits, même si les exploits peuvent en faire partie.

Des jeux, enfin, qui permettent d’incarner des personnages atypiques, des marginaux, même s’ils sont souvent regroupés en familles, en castes, en tribus, en clans.

Ça tombe bien, c’est précisément le plan de cette trilogie d’articles.

Dans le prochain épisode

Je vous emmènerai donc à la découverte des histoires qui m’ont le plus marqué, que ce soit comme Joueur, souvent, ou comme Meneur. Je vous parlerai alors de ces émotions que certaines aventures ont pu faire vivre en moi. Pour vous donner envie, peut-être, d’interpréter à votre tour ces scénarios ou ces campagnes mythiques.


  1. L'originel, celui qu’on joue à plusieurs autour d'une table, réelle ou virtuelle, pas celui des jeux vidéos, qui n’a ni les mêmes objectifs, ni les mêmes techniques.  ↩︎

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Ce qui va me manquer

Ce qui va me manquer

Ce qui va me manquer

Le trente mai au soir, un lundi, lorsque je refermerai pour la dernière fois la porte, il restera entre ces quatre murs comme les ombres nostalgiques de tant de souvenirs, de tant de larmes, de tant de rires, de tant de confidences, de tant de douleur, de tant d’espoirs, de tant de dénouements.

Tout cela sera si fort que les vapeurs invisibles mais tenaces que cela aura fait naître se seront imprégnées dans les peintures, le sol, le plafond, les dalles lumineuses qui l’éclairent, et que, sans doute, des images irréelles, seulement visibles de quelques personnes, resteront, évanescentes, dans la buée des petits matins d’hiver ou la rosée de printemps, pour se montrer à travers les vitres comme des reflets fantomatiques.

J’aime à croire que les événements laissent des traces chez les personnes qui les vivent, mais aussi, de façon plus surprenante et subtile, sur l’ambiance d’un lieu.

J’aime à croire que ce qui restera sur place, ce soir-là, alors que je partirai définitivement, sera bienveillant et souriant.

Lorsque je refermerai pour la dernière fois la porte, je laisserai tant de choses qui me manqueront…

Je laisserai les nourrissons et leurs sourires spontanés, leurs gestes saccadés et mal coordonnés, leurs éclats de rire et leur caractère déjà trempé pour la plupart. Ma vieille toise en bois ne prendra plus l’aune de leur vitesse de croissance, et le mètre ruban dont je les coiffais après avoir vainement et naïvement tenté de leur faire croire que c’était “le bandeau de Rambo” en montrant sur ma propre tête que cela ne faisait pas mal, ce mètre ruban sera enroulé une bonne fois pour toutes.

Je ne verrai plus les lueurs inquiètes mais malgré tout confiantes dans les yeux de leurs parents à qui j’apprenais les rudiments de l’hypnose infantile pour leur permettre de passer l’épreuve des premières vaccinations et effacer ces souvenirs douloureux de leur mémoire encore si jeune.

Je laisserai les enfants plus âgés avec qui je pouvais déjà discuter un peu pour négocier un examen, un soin, un vaccin, une auscultation. Je laisserai les paroles affirmées et la tendre naïveté des pensées de cet âge, quand ils ou elles me racontaient leurs vacances chez leurs grands-parents, combien ils étaient fiers de leur t-shirt spiderman, ou avec quelle passion elles attendaient leur fête d’anniversaire.

Je laisserai cette phrase si attendrissante de la fillette qui, à la question de savoir en quoi elle voulait me transformer avec sa baguette magique, répondit tout de go “en beau !”, provoquant tout à la fois mon éclat de rire et une excuse gênée de sa mère bredouillant “elle veut dire en prince charmant”.

Mes cinq petits tampons, insigne marque de courage et emblèmes de fierté accordés à celles et ceux qui restaient courageux, sages, ou qui surmontaient la consultation, seront orphelins eux aussi. La princesse ira-t-elle consoler le dragon ou le chevalier ? Ou bien sera-ce le nounours qui prendra la girafe dans ses bras pour en sécher les larmes ? À moins que ce ne soit le singe, cette petite figurine qui aida un jour une jeune fille de 5 ans à vaincre, plusieurs semaines d’affilée, des angoisses qui l’empêchaient de dormir.

Je laisserai Laure, Maëlle, Antoine, Théo, Tom, Miya, Axelle, Marly, Yohan, Jade, Thaïs, Lilou, Zoé, les jumeaux Louis et Gabriel, ou encore Lise, parmi tant d’autres encore.

Je laisserai aussi tous ceux et toutes celles qui ont grandi, et qui, devenues adultes, sont restées mes patientes ou mes patients.

Celles-là, ceux-là, je les ai parfois vus depuis qu’ils sont sortis de la maternité. Ils ont maintenant plus de 12 ans. Ce sont des adolescents et je vais laisser en arrière leurs interrogations et leurs angoisses, leurs espoirs et leurs découvertes, leurs rébellions et leur méfiance des adultes, leurs touchantes marques de confiance si chèrement gagnées.

Je les laisserai sur leur chemin, en espérant avoir, à un moment ou un autre, pu les aider à ce qu’il soit vraiment le leur, à ce qu’il soit, sinon plus doux, du moins plus enrichissant, et qu’ils soient mieux armés pour le parcourir.

Lorsque je lâcherai la poignée, il restera toujours, derrière, dans le bureau de consultation, les moments forts que j’ai eu l’honneur de vivre avec ceux qui n’étaient plus vraiment des enfants, et qui pourtant ont accepté de faire confiance à la partie d’eux-mêmes qui règne sur l’enfance comme sur la créativité pour explorer en hypnose thérapeutique une autre façon de regarder leurs différents problèmes.

Avec elles, avec eux, j’embarquais moi aussi dans des voyages hypnotiques où je les accompagnais dans un changement souvent si minime qu’il aurait presque pu passer inaperçu, mais si essentiel qu’il a totalement modifié leur regard sur des douleurs chroniques, des blocages psychologiques, des souffrances relationnelles, des symptômes encombrants.

J’ai assisté et j’ai parfois pu guider des prises de conscience qui ont révolutionné leur quotidien.

Quand je détournerai la tête, ce dernier soir-là, ce sera pour laisser d’évaporer les petits moments d’émotion partagée, les larmes qui montaient aux yeux des deux côtés du bureau, les mains qui se serrent l’une et l’autre dans une expression de réconfort face à une grave nouvelle, le geste simple d’une paume qui se pose sur un bras ou une épaule.

Comme un souffle fragile, les exercices de respiration qui régulaient des crises d’angoisse s’évanouiront.

Comme s’envoleront les rires et les sourires, les jeux de mots dont je suis parfois un peu trop coutumier mais qui étaient appréciés de certains et de certaines.

Dans ce lieu étonnant où l’on pouvait constater un revers de traitement, ou une défaite amère face à la maladie, on pouvait aussi savourer et célébrer ensemble de petites victoires et de grandes réussites. Pour chacune et chacun, nous cherchions, ensemble, sans relâche à apaiser, à soulager.

Lorsque la clef tournera une ultime fois dans la serrure, je laisserai aussi un lieu que j’avais peu à peu investi, et qui, malgré l’absence de tableaux que je n’avais jamais pris le temps d’accrocher, commençait à ressembler un peu à ce que je voulais y mettre, au moins dans son atmosphère. Un endroit que j’avais voulu façonner comme un havre pour celles et ceux qui avaient besoin d’y trouver un peu de paix et d’écoute dans ce monde si dur. Moi le premier.

J’y étais maître à bord, et cela aussi je devrai le laisser derrière moi.

Cette liberté que promet en théorie l’exercice libéral, et dont j’ai si peu profité, finalement. Parce que les contraintes administratives, parce que les contraintes financières, parce que la pression des patients. Mais aussi, en étant totalement honnête, parce que ma peur, parce que mes injonctions intérieures, parce que ma rigidité mentale.

Mais je quitterai aussi une amie avec laquelle j’avais eu ce projet. Ce projet de travailler ensemble, avec la même vision, la même volonté, en gardant chacun notre propre façon de faire, nos différences, nos personnalités bien distinctes, nos styles intacts. Nous nous connaissions depuis longtemps avant de nous associer. J’avais dit, dans une autre vie : “jamais je ne m’installerai avec un ami ou une amie, jamais je ne mélangerai l’amitié et le travail”. Une fois de plus, l’univers ou l’ironie de l’existence m’ont amené à renier cette interdiction idiote, et pour mon plus grand bonheur. Travailler avec une amie a été pour moi un vrai plaisir.

Les discussions autour de la table de notre salle de repos, les exaspérations partagées, les rires et les sourires se sont mélangés aux conseils professionnels, aux avis précieux, aux galères surmontées ensemble.

Nous avons même entrepris une réanimation d’urgence dans mon cabinet de consultation, l’une massant pendant que l’autre insufflait, puis inversement, à tour de rôle, jusqu’à ce que les pompiers puis le SAMU n’arrivent.

Cela forge.

Cela aussi, je devrai le quitter, même si l’amitié reste.

Mais lorsque la porte se fermera, je ne laisserai pas vraiment tout cela derrière moi.

Car en même temps qu’une dernière fois l’air à l’intérieur sera brassé par le mouvement, tous ces souvenirs, toutes ces émotions, toutes ces larmes et tous ces rires, comme des volutes de fumée invisibles, prendront leur envol.

Car si tout cela a existé, cela a aussi existé en moi.

Tout cela m’a changé, m’a grandi, m’a bousculé.

Le trente mai au soir, un lundi, lorsque je refermerai pour la dernière fois la porte, j’emporterai tout cela avec moi.

Et je tâcherai d’en rester digne.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Deux œuvres sur un thème : Clone toujours

Deux œuvres sur un thème : Clone toujours

Deux œuvres sur un thème : Clone toujours

Cela faisait (trop ?) longtemps que je n’avais pas écrit un article pour comparer deux visions d’une même problématique à travers des œuvres de fiction. Après la poursuite du bonheur, l’effondrement de la civilisation, le difficile métier d’être père, les limites de la longévité humaine, voici donc le thème du clonage humain.

Comme les précédents, c’est un thème qui n’est pas vraiment nouveau dans l’imaginaire. Pourtant, lui aussi est le symptôme qu’une angoisse sourde travaille notre civilisation. Une angoisse qui prend racine dans le questionnement de notre Humanité. J’en veux pour preuve le fait d’en trouver récemment sur des plateformes de streaming différentes deux nouvelles interprétations. D’un côté, sur Netflix, la drôle de minisérie Living with yourself, avec Paul Rudd (qui incarne Ant Man dans les films du MCU), et de l’autre, sur AppleTV+, le film Swan Song, avec Mahershalah Ali, qui a déjà brillé dans la saison 3 de True Detective, où il avait montré une sensibilité émouvante sur un registre proche de personnage fragilisé et un double rôle du même homme jeune puis âgé, âgé puis jeune, avec et sans souvenirs.

Ces deux œuvres partent du même principe : dans un futur très proche, le clonage humain est possible, et il est utilisé de façon semi-clandestine par une société commerciale dans le but de remplacer, à sa propre demande, le client qui paie le service. Et si nous avions déjà vu des histoires de clonage comme The Island en 2005 avec Ewan McGregor, en ce début des années 2020, les scénaristes s’intéressent aussi et surtout non pas aux états d’âme du pauvre clone, mais à ce qu’il se passe dans la relation entre l’original et sa copie. La réflexion se concentre d’ailleurs bien plus sur l’après que sur le clonage lui-même.

Mais voici deux petits synopsis qui parlent mieux d’eux-mêmes.

Living With Yourself

Au bout du rouleau, tant dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle de publicitaire, Miles (Paul Rudd) subit un traitement étrange dans un spa improbable tenu par deux Coréens excentriques, lui promettant de le transformer en «la meilleure version de lui-même». Au réveil, pourtant, il s’extrait d’une tombe fraîchement creusée, et se rend compte qu’il a en fait été remplacé par un clone de lui-même, débarrassé de ses imperfections génétiques. La rencontre entre les deux Miles n’est que le début d’une série de péripéties qui vont entraîner des échanges, des quiproquos, des remises en question, des doutes, des conflits, et une conclusion assez surprenante.

Au travers d’épisodes menés tambour battant, on passe par des situations cocasses, étranges, gênantes, sur un ton décalé, souvent potache.

Swan Song

Cameron Turner (Mahershalah Ali) est malade. Il est en phase terminale. Alors qu’il s’engage dans un traitement expérimental qui vise à épargner à sa famille le chagrin de le perdre, il s’interroge sur le choix radical qu’il est en train de faire. En effet, un clone parfait de lui-même doit prendre sa place pendant qu’il s’effacera, pour mourir seul. Pourtant, chacune des deux facettes de lui-même veut vivre, chacune déborde d’amour pour sa femme et pour son fils, chacune souffre. Ira-t-il au bout de ce projet ?

Le film prend son temps, est volontiers contemplatif, avec une photographie, des décors et des paysages magnifiques et très travaillés. Il prend le temps de dévoiler, d’installer, de faire ressentir.

La meilleure version de nous-mêmes

Sur la forme, les deux œuvres sont aux antipodes.

La série adopte un ton humoristique et caustique, volontiers provocateur et iconoclaste, alors que le film est plus conventionnel, plus sérieux, se range du côté des émotions et de l’empathie profonde.

Pourtant, elles sont toutes les deux imprégnées de la même interrogation : qu’est-ce que la meilleure version de nous-mêmes ? Une version plus assumée et sans tous les blocages de notre histoire émotionnelle dans le cas de Miles. Une version sans la maladie dans le cas de Cameron. Le débat n’est pas tranché, il est sans cesse hésitant. Car finalement, cette «meilleure» version de nous-mêmes est vide d’expériences réelles (il est d’ailleurs assez intéressant de constater que le «nouveau Miles» est assez maladroit de son corps, mais nous y reviendrons plus loin) dans un cas, et une copie simple de l’autre, ce qui tendrait à dire que nous sommes déjà la meilleure version de nous-mêmes.

La série va plus loin sur ce plan, en imaginant un Nouveau Miles plus enthousiaste, plus émerveillé par tout ce qui l’entoure. Il a, au début de la série (dans les deux ou trois premiers épisodes surtout), un comportement enfantin, dans cet émerveillement constant. C’est d’ailleurs ce qui peut être assez sympathique chez lui. Il retrouve une capacité que les adultes perdent la plupart du temps : celle de considérer chaque jour comme une nouvelle découverte.

Dans le même temps, il est débarrassé des doutes, de la dépression, des angoisses qui rongent l’Ancien Miles, ce qui lui permet de déployer un potentiel que l’original ne sait même plus posséder. Il retrouve une jeunesse et un élan qui lui ouvrent toutes les portes, que ce soi professionnellement ou personnellement.

Mais cette version-là est-elle vraiment meilleure ?

Et d’ailleurs, que veut dire «meilleure version» ? Cela me renvoie à ce travers de notre société : l’optimisation de soi, la mesure de tout et de tous, la quête de la performance à tout prix, qui revient à considérer l’être humain comme un objet mesurable, quantifiable, et finalement interchangeable. Une vision utilitariste et anti-humaniste, à mon sens, de ce qui est un être humain.

Sans l’expérience de toute une vie, le Nouveau Miles est bien naïf. Il ne sait pas déjouer les pièges des relations humaines.

Et «Jack», la copie de Cameron, n’a pas beaucoup de différences avec l’original. Même les souvenirs sont identiques. Alors bien évidemment l’original se demande ce qu’il y a vraiment à gagner à laisser sa place…

Suis-je toi, ou es-tu moi ?

C’est l’interrogation fondamentale.

Si les interprétations télévisuelles ou cinématographiques du thème du clonage se sont souvent intéressées aux états d’âme de la copie, elles l’ont rarement fait en présentant en miroir ceux de l’original. Notamment la peur d’être remplacé. Dans Living With Yourself comme dans Swan Song, le grand intérêt réside dans la relation qui s’instaure entre l’original et la copie. Une relation qui symbolise peut-être la relation que nous avons avec les multiples facettes de notre personnalité, mais qui cristallise surtout la question de nos choix, de notre liberté à les faire et de notre capacité à les assumer.

Si les deux Miles en arrivent à s’entraider, bien souvent ils sont obligés d’assumer les conséquences des décisions de l’autre, et ce n’est facile ni pour l’Ancien ni pour le Nouveau. Quant à Jack, il doit supporter les choix de Cameron jusque dans l’incertitude de son sort. Il est en effet pleinement conscient que Cameron peut décider à tout moment de «mettre fin à l’expérience» c’est-à-dire bien évidemment si on le dit plus prosaïquement, de le tuer. Il n’est pas forcément d’accord non plus avec la façon dont Cameron a géré sa maladie jusque là.

Quant à l’original, son plus gros problème est de se voir remplacé, surclassé.

Le miroir que se tendent les deux versions pose la question du deuil de soi-même.

Si une partie de moi meurt, mais qu’une autre survit, est-ce encore moi ? Finalement, qui suis-je ?

Être vivant, est-ce avoir les mêmes gênes et les mêmes souvenirs ? Ou bien est-ce les avoir vécus et les ressentir imprimés dans sa propre chair ?

Le corps se souvient de l’été dernier

La série répond à cette question d’une manière inattendue et qui m’a beaucoup plue.

Le Nouveau Miles a beau être plus enthousiaste, plus romantique, plus vigoureux, il se trouve qu’il est… puceau. Et finalement cela ne convient pas vraiment à la femme de Miles.

Tout un courant des neurosciences considère que la conscience de soi nait d’abord des informations ressenties et transmises par le corps physique, pour imprimer une trace dans la matrice cérébrale. C’est une thèse défendue notamment par Antonio Damasio dans son dernier ouvrage en date, Sentir et savoir.

Il semblerait donc que la conscience que nous avons de nous-mêmes soit dépendante non pas seulement du souvenir de nos expériences, mais de l’empreinte physique qu’elles ont laissée en nous.

Le corps porterait une mémoire propre, une mémoire qui serait engrammée, imprimée, dans notre chair elle-même, dans les réseaux de neurones qui se sont formés même en dehors du cerveau. Notre corps tout entier est un réseau de nerfs, de neurones, qui sont disséminés sur la peau, dans nos viscères (la deuxième plus grande concentration de neurones dans notre corps se trouve dans l’intestin), puis dans notre moelle épinière, et enfin dans notre cerveau. On sait par exemple que les douleurs chroniques ressenties par les neurones sensitifs modifient durablement l’organisation spatiale des relais qui mènent les sensations jusqu’au cerveau. En clair, la chaîne de neurones qui relaient l’information change, physiquement, car elle se déplace dans la moelle épinière. Elle change même génétiquement.

C’est aussi la base de ce que l’on appelle l’épigénétique : des changements de l’expression de nos gènes (alors que les gènes, eux, restent identiques) induits durablement (et même transmissibles à notre descendance) par les expériences de vies.

Living with Yourself s’empare donc de ce concept, consciemment ou non, et montre que la «meilleure version» de Miles, n’est peut-être pas celle que l’on croit.

En même temps, si notre corps tout entier est notre mémoire, partir d’une feuille blanche est peut-être une deuxième chance de vivre notre vie comme nous l’entendons. Mais qui la vivra vraiment ? Nous ? Ou un autre ? Ou une version de nous qui n’est pas nous ?

L’un de nous deux est de trop dans cette vie

Le film comme la série présentent un dilemme. Un choix impossible entre deux faces de nous-mêmes. La question est simple : qui «mérite» de vivre ? Plus important : sommes-nous capables de mettre un terme à l’existence de cette partie de nous-mêmes qui n’est pas jugée «digne» ?

Les deux œuvres mettent en scène à un moment ou à un autre de leur trame la tentation pour l’original de supprimer la copie, et de la copie de supprimer l’original, même si dans Swan Song il est clair que Cameron est condamné de toute façon. C’est poser la question du suicide, de manière souterraine et assez élégante.

La mise en abîme est vertigineuse quand on pense vraiment à toutes les implications du premier degré. Le sacrifice de soi pour un autre, ou pour les autres, comme nous le verrons ensuite. Le renoncement. Le pouvoir de vie et de mort.

Au second degré, si l’on s’intéresse seulement à la signification symbolique, je ne sais pas si nous sommes tous capables de choisir aussi consciemment quelle facette de nous doit vivre et laquelle nous devons tuer, quelles qualités et quels défauts sont désirables ou acceptables. Et si nous possédons vraiment un pouvoir de vie et de mort sur elles.

Je trouve d’ailleurs que sur ce plan-là, la série donne une réponse intéressante même si déroutante dans sa dernière scène, voire sa dernière image. Une réponse que j’ai mis du temps à comprendre.

Attention, si vous n’avez pas vu l’intégralité de la série et si vous désirez garder un peu de suspense, n’allez pas lire ce qui suit…

Attention, divulgâchage de très haut niveau.

Cette dernière image, où Kate, la femme de Miles, prend dans ses bras les deux Miles sans faire de choix entre les deux, est en fait un choix en soi, un choix intelligent, suis-je tenté de dire, si l’on considère la série comme une allégorie de nos combats intérieurs.

Kate intègre les deux Miles comme une seule et même personne. Elle accepte les contradictions, les paradoxes et les conflits. Elle comprend que Miles est une personne complexe, et elle en accepte toutes les implications, physiquement, littéralement. Elle comprend qu’on ne peut pas rejeter une partie de soi sans rejeter la totalité. Et les deux Miles le comprennent aussi grâce à elle, qui s’acceptent et se complètent.

Ceux qui restent

L’originalité des deux œuvres tient aussi à cet aspect souvent laissé de côté lorsqu’on parle de clones : qu’en est-il de l’entourage ?

On peut penser que même les plus proches, même ceux qui nous connaissent le mieux, vont se laisser abuser par la perfection de la copie. C’est le cas de Poppy, la femme de Cameron, et de Cory, leur fils. Mais pas de leur chien, ce qui est révélateur de cette théorie du corps qui se souvient. C’est alors l’occasion pour Cameron d’expérimenter la jalousie de voir Jack si bien s’intégrer, voire la suspicion d’avoir affaire à son double maléfique, quand il imagine que Jack a pu violenter les deux êtres qu’il chérit le plus au monde. Mais aussi de se sentir trahi. Est-il possible que sa propre compagne ne puisse faire la différence entre une copie née d’un tube à essai et lui-même, son époux de chair, d’os et d’âme ? Il ne résoudra cela qu’en acceptant que Jack est autant lui que lui-même.

On peut aussi songer que ceux qui nous connaissent vraiment, intimement, sauront que la copie n’est pas nous. Logiquement, puisque la mémoire est dans le corps, Kate comprend que le Nouveau Miles est différent, et elle découvre le pot aux roses très rapidement dans la série, de façon assez délicieuse pour le spectateur. Et Miles expérimente les mêmes doutes que Cameron, dans une situation pourtant complètement opposée. Même si elle sait que le Nouveau Miles n’est qu’une copie, Kate va l’intégrer dans sa vie. Jalousie et sentiment d’être trahi par sa propre épouse sont donc au menu là aussi, comme si, quelle que soit la configuration, ces deux émotions étaient inévitables.

Plus intéressante là encore, est la réflexion de Kate. Le choix de la rendre consciente de la différence et de l’existence des deux Miles permet de détailler sa réaction, et c’est, je crois, assez nouveau dans le traitement du thème du clonage.

Car une fois dépassés les dilemmes intérieurs liés à la personne clonée et à son double, il est temps de se rappeler qu’un être humain est avant tout un être social et d’enquêter sur ce que cela voudrait dire, collectivement, que de côtoyer des clones.

Accepterions-nous que notre époux, notre fille, nos parents soient clonés ? De vivre avec ces doubles ? Seraient-ils considérés comme des doubles ? Seraient-ils des versions «meilleures» d’eux-mêmes ? Et si oui dans quelle acception du terme ? Et si nous devions faire un choix entre l’Ancien et le Nouveau, lequel ferions-nous ?

Un mythe de l’Immortalité moderne, ou un mythe moderne de l’Immortalité ?

En conclusion, les dernières images de Swan Song comme son propos assument le véritable problème de tout cela.

Notre finitude. Notre mortalité. Notre rêve ancestral d’y échapper.

Il l’assume car la raison pour laquelle Cameron s’engage dans la procédure de «remplacement» est explicite : Poppy est incapable de gérer, d’accepter, de perdre son mari. Il y a bien entendu des explications à cela : un deuil impossible déjà traversé lorsque son frère jumeau est mort, la croyance qu’elle ne pourrait supporter de perdre un être si cher à son cœur à nouveau. Mais cela m’a dérangé, au plus profond de moi.

La mort et le deuil font partie des plus grandes épreuves de la vie humaine, et sont une source de grande souffrance.

Mais la mort et le deuil font partie de la vie.

Vivre, c’est aussi mourir.

Accepter de vivre, c’est accepter la mort. La nôtre comme celle de celles et ceux qui nous sont proches.

«Le contrat est clair au départ», serais-je tenté d’écrire. La vie n’existe que parce qu’existe la mort en contrepoint.

Swan Song met en scène une société post-moderne où cette vérité fondamentale est rejetée, refusée. Par peur de la souffrance qu’il imagine ou connait, Cameron accepte de se sacrifier, mais en cela, il cautionne aussi une vision où l’être humain est devenu tout-puissant, en conquérant une forme d’Immortalité.

Pire : il préfère épargner à sa femme une souffrance qui viendra cependant un jour, car tous les êtres vivants meurent. Comment fera-t-il si Cory, leur fils, a un accident de voiture ?

En voulant la protéger, il l’empêche de faire face.

Et ce qui est présenté comme un acte d’amour m’apparaît à la réflexion comme un choix égoïste et cruel.

Était-ce le but du film, que de nous interroger sur la signification de ce choix ? Je ne le sais pas.

Mais pour moi, ce film en particulier est bien le signe que nous devrions réfléchir à ce que nous sommes, et à la signification profonde de nos actes et de nos techniques.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Projet : Les consultations extraordinaires de Belladonne Mercier, psychologue des dieux

Projet : Les consultations extraordinaires de Belladonne Mercier, psychologue des dieux

J’écris des romans, mais ce n’est pas le seul moyen pour raconter des histoires. Parfois, il est même nécessaire de trouver une autre façon de transmettre un récit. C’est exactement le cas avec Les consultations extraordinaires, un projet que j’ai envie de mener en parallèle de mon quatrième roman, et dont je vais dévoiler le cheminement créatif au fur et à mesure sur Patreon.

Partie d’une illustration de l’artiste illustratrice Aemarielle sur Déméter et Coré, l’idée que les légendes qui racontent les aventures et les déboires des dieux sont parfois bien éprouvantes pour les protagonistes qu’elles mettent en scène a fait surgir cette évidence : beaucoup de divinités dans tous les panthéons du monde ont de sérieux problèmes psychologiques. De l’infidélité pathologique de Zeus au traumatisme d’Osiris assassiné par son frère puis ressuscité par sa femme dans un état… incomplet… mais tout de même dans le but d’engendrer alors qu’il n’en est plus capable… les mythologies antiques de toutes les contrées de la Terre regorgent d’exemples.

Des exemples qui s’accumulent tant qu’on pourrait légitimement leur conseiller de consulter.

C’est sur ce postulat que je construis une série de courts épisodes :

Le pitch

Un beau jour, alors qu’elle est en visite au Musée du Louvre, Belladonne Mercier, une psychologue reconnue, rencontre un homme étrange prétendant être Thot, le dieu égyptien du savoir et de l’écriture. Étrange, certes, car en plus de certaines aptitudes clairement surnaturelles et d’un comportement insupportablement pédant, il se trouve atteint d’une pathologie assez courante chez les humains : un trouble obsessionnel compulsif, aussi appelé « TOC ». Il note tout et se promène en permanence avec une balance pour peser absolument chaque objet qui lui tombe sous la main, sans pouvoir s’en empêcher.

Aidée de sa toute nouvelle stagiaire, Adélaïde Chamberlain, Belladonne va proposer une psychothérapie au pauvre hère, autant pour se débarrasser de ses interminables discours de monsieur-je-sais-tout que pour l’aider à recouvrer un équilibre mental.

Sans se douter une seconde que cette thérapie si particulière va l’emmener à découvrir un monde merveilleux autant que périlleux. Car « Thot » n’est pas la seule divinité à avoir besoin de ses services, et que, peut-être, quelque chose, ou quelqu’un, quelque part, œuvre dans l’ombre pour déstabiliser les piliers qui soutiennent le monde.

Belladonne Mercier devient la psychologue des dieux. Et croyez-moi, ce ne sera pas de tout repos…

L’intention et la forme

Cette histoire est une suite de tranches de vie (on peut dire « vie » à propos de divinités ?), une succession de rencontres, de traumatismes, de petits travers, de grandes souffrances, que j’ai envie de traiter sur un mode humoristique et décalé, autant pour montrer que les mythes sont souvent le reflet grossi des préoccupations et des aspirations humaines que pour nous amuser et nous faire réfléchir sur nos petits travers bien humains eux aussi.

De ce fait, j’imagine des épisodes d’une série. Des épisodes assez courts, percutants, avec beaucoup de dialogues, un ton flirtant avec la rupture du quatrième mur, comme dans les romans-feuilletons du XIXe siècle ou le film Amélie Poulain.

Et cette dernière référence me pousse à évoquer la voix grave, si familière d’André Dussolier.

Je comprends alors que ces épisodes ne peuvent pas être pensés autrement que contés par la voix.

Les consultations extraordinaires seront un podcast. Mon premier podcast.

Les épisodes feront entre 20 et 30 minutes chacun, et porteront des titres inspirés de chansons. Parce que.

La première saison, intitulée Walk Like an Egyptian, devrait en compter 5 ou 6.

Le premier d’entre eux, le pilote, si l’on peut dire, Knocking on heaven’s door, est en phase de conception.

Et je vais en partager chaque étape du processus de fabrication sur Patreon.

 

Offre spéciale sur Patreon : reçois la version audiobook de mon dernier roman

Offre spéciale sur Patreon : reçois la version audiobook de mon dernier roman

Une aventure débute souvent par un événement exceptionnel.

Mon aventure sur Patreon ne pouvait pas déroger à la règle.

Ainsi, j’ai décidé de t’offrir un beau cadeau si tu rejoins mes mécènes sur Patreon, quel que soit le palier que tu choisiras, si tu le fais avant le 22 février 2022 à minuit.

Il s’agit de l’audiobook (ou livre audio, si l’on s’en tient à la langue de Molière) de mon dernier roman, Fæe du Logis, dès le 15 mars 2022, en exclusivité avant sa sortie officielle.

Fæe du Logis

C’est mon troisième roman, et le dernier en date.

Il raconte l’histoire fantastique d’une malédiction et d’une rédemption, depuis la Renaissance jusqu’à notre époque, en passant par les horreurs de la guerre des Balkans dans les années 1990, à travers l’amour, la folie et la maladie.

Voici ce qu’en dit la quatrième de couverture :

De nos jours, plus personne ne croit aux malédictions.

Plus personne ne peut croire que le suicide de Victor, le père d’Alice, alors qu’elle n’était qu’une enfant, ne soit dû à autre chose qu’aux traumatismes qu’il avait vécus lors de la guerre en ex-Yougoslavie. Plus personne ne peut croire que le mal qui vient à frapper sa mère, Flora, avec laquelle les rapports étaient toujours orageux, ne soit autre chose qu’une affection génétique rare.

Personne, au XXIe siècle, ne croirait que ces faits puissent être reliés entre eux.

Plus personne ne croirait qu’une mystérieuse offense puisse en être à l’origine.

Une offense envers qui, d’ailleurs ?

De nos jours, plus personne ne croit aux êtres féériques.

Le livre audio

Au format MP3, il contient 22 pistes pour 18 chapitres. Il embarque plus de 13 heures de narration.

Et comme tu seras l’un des premiers à l’écouter, mais aussi parce que tu auras été l’une des premières personnes à me soutenir sur Patreon, il y aura une vingt-troisième piste dans le fichier, où ton nom sera cité parmi mes contributeurs.

Alors :

Rejoins moi !

Et tu recevras le livre audio de Fæe du Logis dès le 15 mars 2022.

Le Serpent à Plume ouvre sa page Patreon

Le Serpent à Plume ouvre sa page Patreon

Bienvenue

Bienvenue à toi, qui passes sur cette page.

Tu permets que l’on se tutoie, même brièvement, le temps d’un article ? Je trouve que c’est une bonne façon de faire plus ample connaissance, puisque tu sembles t’intéresser à mon univers imaginaire et à ce que je crée à partir de lui. Tu es d’ailleurs peut-être déjà un membre de la Tribu des Ptérophidiens et des Ptérophidiennes, ces personnes qui ont choisi de me suivre via ma lettre d’écaille & de plume. Ou bien tu connais déjà un peu ce que je présente et écris sur mon site, d’écaille & de plume. Ou alors tu as lu l’un de mes romans.

Mais tu peux aussi ne pas me connaître du tout, et te demander ce que je fais ici.

Dans ce cas, tu te poses certainement une question fondamentale :

Mais qui est donc le Serpent à Plume ?

Mon nom est Germain Huc. C’est celui que mes parents m’ont donné, mais est-ce mon Nom Véritable ? Chacune et chacun de nous possède un nom secret, celui qui contient en lui-même le cœur de ce que nous sommes. Cela restera un mystère.

J’ai choisi pour ma part d’être le Serpent à Plume. Un être un peu hybride, un rêve incarné. Le serpent qui s’enroule autour du caducée des disciples d’Hippocrate, et la plume qui donne le pouvoir d’écrire, de transmettre et de créer.

Ta deuxième question est donc très logiquement :

Qu’est-ce que je crée ?

Je donne naissance à des histoires. Des histoires qui font intervenir des mondes imaginaires, de la magie, du fantastique, de la fantasy, de la science-fiction. Je leur donne naissance le plus souvent grâce à ma plume, à l’écriture. Mais il m’arrive aussi de les façonner avec ma voix, ou avec des images animées, même si c’est beaucoup plus rare.

Ce qui nous amène à ta troisième question :

Est-ce que ça va te plaire ?

Cela pourrait te plaire si :

  • Si tu aimes les mots et leur richesse. Je mets un point d’honneur à travailler un style à la fois évocateur et précis, à la fois cinématographique et poétique. J’aime utiliser des mots que l’on n’emploie pas dans le langage courant, pour leurs sonorités ou leurs nuances qui nous emmènent ailleurs, un vocabulaire soutenu. Je suis un amoureux des découvertes et des expériences stylistiques, je suis influencé par le cinéma et les grands auteurs français.
  • Si tu es quelqu’un d’exigeant sur la qualité littéraire d’un récit. On laisse trop souvent croire que les littératures dites « de genre » et notamment celles de l’imaginaire, sont d’une qualité littéraire médiocre. Je fais tout ce que je peux pour que cette croyance soit reléguée aux oubliettes, et j’ai la prétention de savoir écrire au moins aussi bien que des écrivains de « littérature blanche ». Je cisèle mes phrases avec autant de soin, et sans doute mes mondes avec encore plus de minutie, puisque les miens sont souvent inventés de toutes pièces.
  • Si tu apprécies les personnages complexes. La diversité humaine est telle que nous pouvons explorer notre nature si particulière à l’infini grâce aux protagonistes de nos histoires. J’essaie de donner vie à des personnages aux multiples facettes.
  • Si tu veux découvrir des mondes imaginaires. Souvent, ils sont le reflet de notre propre monde, de nos propres travers, de nos propres rêves et de nos propres fantasmes. Ces mondes sont aussi le prétexte à la réflexion, à l’utopie, à revisiter notre Histoire ou nos légendes. Je t’emmènerai vers les étoiles ou dans des années d’après guerre fantasmées, dans les mondes qui se cachent aux interstices du nôtre, dans une histoire alternative ou un univers médiéval imprégné de magie et de légendes scandinaves et celtes, et plus loin encore.
  • Si tu sais prendre le temps et tu sais que créer prend du temps. C’est une vérité que l’instantanéité des réseaux dyssociaux a voulu nous faire oublier, mais faire quelque chose qui vaut la peine, que ce soit une phrase ou un podcast, cela prend du temps. Et cela vaut la peine de prendre d’autant plus de temps qu’on veut obtenir une œuvre qui fait honneur à son public. Il ne sert à rien de se précipiter ou de penser qu’on va publier un chef-d’œuvre tous les ans, ou même tous les trois mois. Je prends mon temps pour créer, d’abord parce que je veux obtenir un résultat qui soit le meilleur de ce que je puis façonner avec mes capacités, ensuite parce que j’ai un autre métier qui m’accapare beaucoup, et enfin parce que c’est comme cela que l’on pratique un art. On prend le temps qu’il faut. Tu devras donc t’attendre à ce que mes œuvres maturent lentement, à leur rythme propre, et tu pourras même entrer dans ce rythme, le goûter et le savourer.

Ta quatrième question semble donc poindre :

Pourquoi me soutenir sur Patreon ?

Patreon me permet de m’adresser à un public vrai, une audience qui choisit réellement de m’accompagner.

Patreon nous permet, à toi comme à moi, d’échapper à deux dangers majeurs de notre monde numérique actuel : les intermédiaires et les algorithmes. Nous serons en contact direct, sans dépendre de la bonne (ou mauvaise) volonté d’un tiers et sans être captifs de formules mathématiques. Ce que je choisirai de partager avec toi n’ira pas nourrir une hydre aux multiples têtes et n’emprisonnera pas ta capacité attentionnelle pour t’amener à scroller à l’infini un mur de publicités plus ou moins « pertinentes ».

Si mon univers te plaît, s’il te parle et fait résonner ou raisonner quelque chose en toi et que tu choisis de me soutenir, alors le faire sur Patreon sera une pierre de plus pour construire un monde où chaque personne garde la liberté de ce qui lui est le plus précieux : ce qu’elle fait de son temps.

Si tu choisis de m’offrir ce soutien, tu me permettras aussi d’investir dans des supports plus qualitatifs pour mes prochaines histoires, ou dans du matériel, par exemple.

D’ailleurs, tu te demandes certainement, dans ta cinquième question :

Ce que tu recevras en retour ?

Déjà, mes remerciements, exprimés sur mon site, d’écaille & de plume, et ici même, sur Patreon.

Ensuite, comme mécène, tu auras la possibilité de découvrir ce qui se trouve généralement caché aux yeux de tous : la manière dont je crée mes histoires, mon travail de documentation, de structuration du récit, la façon dont je conçois mes intrigues, les questions que je me pose, les choix esthétiques que j’opère et leurs raisons profondes.

Tu auras accès à des informations que les lecteurs ou auditeurs n’auront pas forcément, à des détails du monde qui n’apparaîtront pas dans le corps du texte mais qui sous-tendent la vraisemblance ou qui m’aident à me représenter un univers cohérent.

Bref, tu feras partie de l’aventure, toi aussi.

Si tu veux voir plus en détail tout ce que j’ai à t’offrir pour te remercier de ton soutien, tu pourras le consulter sur chaque palier sur la page Patreon.

Pour te donner une idée, à ceux et celles qui décideraient de me rejoindre, je propose donc, dès le palier Sphynge, de recevoir une lettre numérique un peu différente, la Lettre du Sphynx, dans laquelle je vais plus précisément parler de mon travail artistique. Ce sera sans doute plus technique que dans la lettre d’écaille & de plume. On y parlera choix narratifs, arcs, intrigue, trame, construction.

Je propose à celles et ceux qui voudraient aller plus loin, au palier Oiseau Tonnerre, de participer à des sessions de questions/réponses. Aux Phœnix, d’assister à des séances de lectures de chapitres achevés ou, plus intéressants peut-être, en cours de travail. Aux Dragons, une lettre bisannuelle écrite par l’un de mes personnages.

Et comme la fidélité est une qualité que j’apprécie particulièrement, à tous, à partir de sept mois de soutien, j’offre l’accès à plus de choses encore, selon le palier choisi : des bonus de mes tutoriels sur la confection d’un livre, du matériel non inclus de mes livres, l’accès à des brouillons ou des travaux en cours, la discussion sur ces brouillons, ou même une possibilité de ß- lecture.

À l’aventure !

C’est ce que je me suis dit lorsque j’ai décidé d’ouvrir cette page Patreon.

Ce sera une aventure pour moi, et je voudrais que ce le soit pour toi aussi.

Alors, saisis ton sac, prends ton bâton de marche, et lance-toi avec moi !

A book’s life, partie 1 : Écrire et laisser lire

A book’s life, partie 1 : Écrire et laisser lire

A book’s life, partie 1 : Écrire et laisser lire

L’achèvement…

Écrire un livre est une aventure. Le publier en est une deuxième, presque plus palpitante encore, comme nous l’avons vu lors de toutes les étapes des séries d’articles Making of a Book. Que ce soit en format papier, numérique ou audio, vous avez transpiré pratiquement sang et eau pour parvenir à réaliser l’ouvrage, puis à le diffuser à votre public.

Une fois que vos fichiers sont partis, que les plateformes de diffusion ont référencé votre ouvrage, qu’il est visible du monde entier et disponible à la vente, tout ce travail est désormais achevé.

Votre livre est né.

Vous avez certainement imaginé, voire rêvé ou fantasmé ce moment des dizaines ou des centaines de fois pendant que vous vous échiniez à écrire, puis à mettre en page. Vous avez ressenti, déjà, cette sensation de fierté que vous espériez vivre lorsque cela serait, enfin, le moment pour votre livre de sortir au jour.

Et pourtant…

… et l’angoisse de l’achèvement

Pourtant, sans doute avez-vous perçu cette étrange, étonnante émotion qui vient se mêler à la fierté et au bonheur.

La sourde inquiétude de voir d’autres personnes que celles que vous aviez soigneusement triées sur le volet auparavant s’emparer de votre texte, et le lire. Désormais, le monde entier peut lire votre œuvre. Désormais, le monde entier est libre d’être touché par vos mots, de ressentir ce que vous avez voulu exprimer avec leur aide. Désormais, le monde entier est libre d’aimer ce que vous avez voulu lui dire.

Ou pas.

Car le monde entier est aussi libre de ne pas ressentir ce que vous avez voulu exprimer, de trouver vos phrases banales, vos métaphores quelconques, votre récit plat, vos personnages détestables ou, pire, sans âme.

Le miroir de votre fierté reflète aussi votre exposition.

Vous pouvez tout aussi bien susciter l’admiration ou la moquerie.

Vous pouvez donc ressentir ce doute :

Et si ce livre n’était pas aussi bon que je l’aurais voulu ? Et s’il était au contraire très mauvais ? Et si j’étais mauvais, moi aussi ?

C’est à propos de cette angoisse que je voudrais que nous discutions dans cet article, afin de vous aider à comprendre ce qu’elle a à vous dire. Et une fois ce message compris, dans les articles suivants de cette série, nous aborderons ce que vous pourrez ou même devrez accomplir encore pour votre livre-enfant, même lorsqu’il aura quitté le nid de votre ordinateur.

Les mots et leur vie

Vous êtes un écrivain ou une écrivaine. Ce que je vais écrire ne devrait donc pas vous surprendre, et je parie même que cela devrait résonner fortement en vous.

Les mots ont une vie.

D’abord parce qu’ils naissent. Chaque mot que nous utilisons a une origine étymologique. Il est né quelque part, à une certaine époque, qui n’est peut-être pas la nôtre. Il a été usité des milliards de fois. Ce qui a légèrement modifié son sens premier. Car les mots changent. Leurs sens se multiplient. Du sens propre, on en vient à des sens voisins, à des nuances, puis à des sens figurés, puis à des expressions idiomatiques. Parfois même à des proverbes. Ils peuvent endosser une connotation particulière au cours du temps. À certaines époques très populaires, ils peuvent être rejetés à d’autres, voire tomber en désuétude ou dans l’oubli. À d’autres moments, ils peuvent avoir acquis une connotation péjorative et ne plus du tout exprimer ce qu’ils étaient censés désigner au départ. On peut même les trouver teintés politiquement ou philosophiquement.

C’est pourquoi vous avez choisi des mots précis dans l’écriture de votre texte.

Vous avez voulu jouer non seulement avec leurs sonorités, mais aussi avec leurs sens cachés, leurs doubles sens, voire leurs acceptions multiples, leurs ambiguïtés, leurs cortèges de représentations inconscientes dans l’imaginaire collectif de la langue dans laquelle vous les avez choisis. Car cela est vrai dans toutes les langues.

Cette vérité profonde et fondamentale a une implication sur l’achèvement de votre livre et l’angoisse qui l’accompagne.

Quoi que vous ayez écrit, il se peut que dans le temps, tout cela soit perçu différemment.

Car certains mots auront changé de sens, de connotation, d’usage.

Lisez un texte médiéval, comme Yvain ou le Chevalier au lion, par exemple, un de mes livres préférés, écrit au XIVe siècle par Chrétien de Troyes. Si vous le faites avec le texte originel, vous n’y comprendrez rien, car la langue a changé depuis sept siècles.

Et si vous pensez que j’exagère, lisez plutôt un ouvrage du XIXe siècle, comme Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. La langue est la même, mais les mots ne sont pas vraiment ceux dont nous avons l’habitude au XXIe siècle. Et certaines situations peuvent nous paraître décalées, ou scandaleuses. Le style trop ampoulé parfois, ou emphatique. On peut avoir l’impression d’y voir de la misogynie, ou du colonialisme…

Mais il faut se rappeler que ces livres ont été écrits dans une époque qui n’est pas la nôtre, avec des mots qui étaient un peu (ou beaucoup plus) différents de ceux d’aujourd’hui. Il ne faut pas oublier que dans deux siècles d’ici, c’est peut-être votre propre texte qui paraîtra un peu décalé, ou au contraire, trouvera son public.

Car surtout, il faut se rappeler que le lectorat change lui aussi avec son temps.

Chaque lecteur & chaque lectrice

Si les mots ont une vie, c’est parce que leurs locutrices et leurs locuteurs sont des êtres vivants, donc en perpétuelle évolution. On ne reçoit pas un texte de la même manière à 20 ans et à 40 ans. Certaines choses vont nous paraître barbantes à l’âge où l’on sort de l’adolescence, et pertinentes voire emplies de sagesse à l’âge mûr.

Et si l’on va plus loin dans l’analyse, il faut se rappeler ce dont nous avons déjà discuté lorsque je vous présentais l’influence que les techniques cinématographiques et théâtrales ont sur mon écriture : la différence fondamentale entre la littérature et ces deux autres arts est que dans la première, c’est le lecteur ou la lectrice qui donnent vie aux significations et à tout un enchaînement de préconceptions inconscientes à chaque mot que vous écrivez. Une histoire écrite est en réalité coconstruite par l’autrice et la lectrice, l’auteur et le lecteur. Le premier apporte le choix des mots en espérant que la deuxième y rattachera des associations d’idées qui la pousseront à évoquer un décor, une ambiance, une lumière. Bref, si par vos mots vous plantez des jalons, c’est bien votre lectorat qui parcourra le chemin. Au contraire du théâtre et du cinéma, qui montrent, donc imposent une vision, celle du metteur en scène, la lectrice, le lecteur, sont libres d’imaginer ce que vous ne faites qu’évoquer par vos mots.

Pensez donc bien à ceci :

Votre livre est un catalyseur d’émotions, d’images et de sensations, pas une œuvre à la signification absolue. Ce qu’il va faire naître surgira lors de la rencontre entre lui et une personne singulière : chaque lecteur est singulier, chaque lectrice est singulière.

Et quand on accepte ce simple fait, il est plus facile de faire face à l’avis des autres, aux :

Louanges & critiques

Il est en effet une constante chez tous les écrivains, et probablement chez tous les artistes : ils sont sensibles à la critique.

C’est très compréhensible : alors que nous avons mis toute notre énergie, nos tripes, et des centaines d’heures de travail acharné à créer une œuvre, puis que nous avons accepté de la donner (même si nous la vendons, nous la donnons à voir) aux autres, quels qu’ils soient, il est important de savoir que nous l’avons fait à raison. Il est important pour nous qu’elle soit appréciée pour l’intention que nous avons eue en lui donnant vie. Aimée n’est pas le bon terme. Je dirais : reconnue dans son intention. Un essayiste aura à cœur que son livre fasse réfléchir, même si son public n’est pas toujours d’accord avec lui. Une romancière préfèrera sans doute que son ouvrage provoque des émotions et emporte ses lecteurs dans un autre monde, même s’il le fait vers un monde qui n’est pas très souhaitable (par exemple, qui aimerait vraiment vivre dans le monde de Hunger Games ? Je gage que la réponse est personne. Pourtant, le cycle n’est pas vraiment un échec, n’est-ce pas ?).

Nous voulons donc, de tout notre cœur, que notre objectif soit atteint, pour toutes celles et tous ceux qui liront notre livre.

Et si d’aventure ce n’est pas le cas, si une personne n’a pas été conquise, si nous avons manqué notre but dans son cas, et si par malheur elle ose l’exprimer, nous pouvons nous sentir remis en question. Nous-mêmes, personnellement. Comme si la critique visait, non pas l’œuvre seulement, mais à travers elle son autrice, son auteur. Nous. Comme être humain.

De la même manière, si nous avons visé si juste qu’une personne se sent emportée par notre œuvre au-delà de ce que nous avions imaginé, son enthousiasme va nous offrir un supplément de narcissisme. Comme le shoot d’une drogue. Et nous allons nous sentir renforcés comme être humain. Nous aurons été capables de créer ça. Et ça va nous apporter une intense émotion de fierté.

Mais en réalité, peut-on vraiment confondre l’autrice et son œuvre au point de faire dépendre la valeur de l’une de celle de l’autre ? Et de remettre ce jugement en cause à chaque personne qui lit l’ouvrage ? Faut-il que notre livre soit unanimement apprécié pour que nous nous sentions vraiment avoir une valeur comme personne ?

Si c’est le cas, alors il n’existe au monde, et il n’a jamais existé ni n’existera jamais, aucun auteur, aucune artiste de valeur.

Car comme nous l’avons vu plus haut, si l’on garde à l’esprit que le livre est un catalyseur, alors il va parler à certaines personnes et en repousser d’autres, selon la qualité de la rencontre. Cela voudra dire qu’il va plaire et déplaire. Plus encore, il peut plaire à certains moments de la vie et déplaire à d’autres. Il peut déplaire à certaines époques et plaire à d’autres.

Chaque avis de lecteur ou de lectrice peut donc nous faire plaisir ou au contraire nous procurer une émotion négative. C’est humain, et c’est bien ainsi. Mais il est bon de se souvenir, dans un cas comme dans l’autre, qu’il ne signifie pas que notre valeur en soit dépendante. Nous ne sommes pas un génie si cet avis est dithyrambique, et nous ne sommes pas un parfait imbécile s’il est au contraire dur et cassant.

Voilà pourquoi il est important de se souvenir que la valeur d’un livre se mesure à l’aune de la rencontre qu’il pourra nouer avec son public, qui sera certainement différent du public d’un autre livre.

Ce qui fait notre valeur, ce n’est pas que l’on aime ou pas nos œuvres, c’est qui nous sommes comme être humain.

Une théorie de l’évolution

Et pourtant, paradoxe de plus dans l’existence, nous sommes aussi en partie ce que nous faisons, ce que nous créons.

De mon point de vue, si notre valeur est corrélée d’une certaine façon à nos œuvres, c’est surtout sur le soin que nous apportons à leur création, sur notre authenticité dans le processus.

L’art, je crois, est l’expression la plus pure de ce qu’il y a à l’intérieur de nous-mêmes et il s’agit en réalité d’être fidèle et authentique à cela. Il s’agit de veiller à respecter ce que nous voulons exprimer, à ne pas le trahir, à toujours être sincère, à ne jamais mentir.

Si nous parvenons à suivre cette voie constamment, à chaque instant de notre création, et pour chaque œuvre, alors, je crois, nous sommes à la hauteur, et nous pouvons nous sentir fiers et fières de ce que nous créons, quelle que soit la réception du public.

Je pense même que l’on peut aller plus loin.

Nous sommes humains. Nous faisons partie du règne des êtres vivants. Donc nous naissons et restons imparfaits.

Non pas imparfaits dans le sens d’un absolu, mais finalement, dans la signification : perfectibles.

Nous vivons car nous évoluons, nous évoluons car nous vivons.

Nous apprenons à vivre à chaque instant de notre vie.

Nous apprenons donc à créer à chaque création.

Il est alors illusoire de croire que l’on peut créer une œuvre parfaite, car cela n’existe même pas conceptuellement.

L’œuvre est l’expression de ce que nous sommes à un moment de notre vie : lorsque nous l’avons créée. Et si nous restons fidèles tout au long à ce que nous sommes à cet instant-là, cet instant où l’œuvre naît de nos mains et de nos esprits, alors nous sommes sincères, authentiques et nous sommes des artistes dignes de ce nom.

Vient un moment, alors, où l’on peut se retourner pour contempler chacune de nos œuvres sur le chemin de vie et d’art que nous avons parcouru.

À ce moment précis, nous pouvons mesurer notre évolution.

Car toute vie étant imparfaite et perfectible, chaque création nous rapproche un peu plus de la perfection sans jamais nous la laisser atteindre. C’est là, je crois, toute la beauté de l’art : nous enfantons des choses qui tendent vers un idéal sans jamais le toucher, et pourtant nous en apercevons la lumière de plus en plus proche au fil du temps. Nous nous changeons nous-mêmes dans le processus, seulement si nous restons fidèles à ce qu’il y a à l’intérieur de nous-mêmes au moment où nous créons. C’est un double mouvement où nous changeons le monde et où le monde nous change pour nous le faire changer en retour. Une spirale comme vous savez que je les aime.

En nous retournant vers nos premiers textes, nous pouvons nous voir évoluer. Et c’est la qualité de cette évolution qui, je crois, fait la valeur d’une ou d’un artiste. Relire mes premiers textes me montre avec acuité leurs défauts, mais ils sont le reflet de ce que j’étais au moment où je les ai écrits. Peut-être que mes textes actuels eux aussi me montreront dans quelques années qui je suis aujourd’hui. Il est donc possible que le public apprécie les premiers, pas les derniers, ou inversement. Que cela change, au cours du temps.

Ce qu’on lègue au monde

Ce qui est important, finalement, pour moi, ce n’est pas tant que les critiques positives pleuvent sur mes livres (même si je ne cache pas que j’aimerais beaucoup que cela soit le cas, soyons honnêtes), mais de continuer à écrire des histoires du mieux que je le peux, avec tout ce que j’apprends, avec toute mon âme, avec toutes mes tripes, et de me dire qu’elles vont enrichir le patrimoine commun de l’Humanité, enrichir également l’univers dans son ensemble, en y apportant de la complexité, des potentialités, peut-être en touchant d’autres êtres vivants, que je ne connaîtrai jamais car ils seront trop loin de moi dans le temps ou l’espace (voire dans l’espace-temps).

Ce que je retiens de l’achèvement, au tout début de cet article, c’est que le livre que j’ai écrit est né.

Comme un enfant, il va devenir autonome, il va vivre des aventures dont je ne saurai peut-être rien, rencontrer des personnes et faire ses propres expériences.

Je n’ai fait que le mettre au monde, que le léguer à tous ceux et toutes celles qui voudront bien prendre la peine de le rencontrer.

Le reste ne m’appartient déjà plus.

Et ce morceau de moi-même qui est en lui continuera de voyager loin et longtemps après que je ne sois plus.

En publiant mon texte, j’ai de fait renoncé à le contrôler ou à déterminer qui sera « digne » ou pas de le lire.

Il ne m’appartient plus. Il appartient au monde.

En retour, il ne me détermine plus vraiment. Il est un morceau de moi, déjà passé, comme un souvenir. Comme tel, il est déjà relégué au second plan de ma vie, car ce qui compte, c’est ce que je vis maintenant, ce que j’écris maintenant. Si ce que j’ai écrit il y a longtemps continue de constituer mon histoire, si cela m’a construit, cela ne me définit plus. Je suis défini par ce que je fais, ce que j’écris maintenant.

A book’s life, an author’s path

Voilà pourquoi, je pense, on peut concevoir l’acte de créer comme le cycle d’un végétal.

Nous faisons éclore des fleurs, nos idées, qui mûrissent en fruits que nous offrons aux autres, nos créations. Ces fruits vont nourrir des êtres vivants, mais s’ils sont issus de notre sève, ils ne sauraient résumer l’arbre entier à eux seuls. Car leur qualité peut varier selon les années, les intempéries, l’ensoleillement, le terroir.

Je considère donc que l’itinéraire d’un ou une artiste consiste à semer des œuvres comme un arbre dispense des fruits ou tombe ses feuilles. Nous perdons un peu de nous-mêmes, tout en progressant sur un chemin qui nous grandit. Comme si chaque morceau offert, au lieu d’être perdu, était une expérience de gagnée.

Notre sentier est donc, j’en suis convaincu, de trouver à chaque fois à nous améliorer tout en choisissant de mieux en mieux à qui nos fruits pourront le mieux convenir. À glisser le plus de graines possible, à les confier aux meilleurs vents.

C’est ainsi que cette nouvelle série d’articles, A book’s life, va s’intéresser aux moyens que nous pouvons utiliser, tels des courants aériens ou les pollinisateurs dans la nature, pour partager nos créations avec celles et ceux qui sauront le mieux en goûter la savoureuse chair, et, qui sait, en découvrir les graines qui leur permettront à leur tour d’ensemencer leur propre fibre artistique.

Nous parlerons des moyens de partager nos ouvrages, de faire connaître notre travail.

Mais avant tout cela, il était nécessaire de bien comprendre et accepter que nous ne sommes pas seulement la somme de nos œuvres. Nous sommes ceux qui continuent à parcourir le chemin, quoi que les autres pensent.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Making of an (audio)book, partie 2 : Enregistrer sa voix

Making of an (audio)book, partie 2 : Enregistrer sa voix

Making of an (audio)book, partie 2 : Enregistrer sa voix

Dans cette triple série d’articles, Making of a bookCréer un livre électronique au format ePub3, et Making of an (audio)book, je vous propose le résultat de mes recherches, de mes essais et de mes explorations diverses et variées sur la façon de produire un livre, respectivement en format papier, en format électronique, et en format audio. Ces articles ont vocation à évoluer dans le temps, aussi n’hésitez pas à vous inscrire à la Newsletter d’écaille & de plume qui vous avertira de toute mise à jour.

Raconter et faire vivre : l’art du conteur à l’usage des auteurs timides

Tout est fin prêt pour capter votre voix dans votre ordinateur. Votre texte est devant vous. Maintenant, il faut se lancer. Mais pour que votre lecteur/auditeur soit emporté par votre voix autant qu’il aurait pu l’être par les mots imprimés sur une page (voire davantage), il existe quelques petites techniques.

La voix de son maître… ou presque

La première chose à savoir, c’est que nous commençons tous et toutes par détester notre propre voix lorsque nous l’entendons à travers un enregistrement. C’est naturel. C’est désagréable. Une partie de nous s’insurge.

Ce n’est pas possible, ce n’est pas ma voix, et je n’ai pas cet accent ridicule quand je parle.

Mais il est nécessaire de passer au-dessus de cette réticence, de ce dégoût, de cette impression d’être quelqu’un d’autre. Car ce que nous croyons entendre n’est pas ce que les autres perçoivent réellement. Cette sensation désagréable vient du fait que nous percevons notre voix à travers deux canaux différents : le son produit qui parvient à nos oreilles, et la conduction osseuse des vibrations de notre larynx jusqu’à notre crâne, qui ajoute des fréquences à ces signaux. Alors que les autres ne discernent que le premier, nous sommes les seuls à entendre les deuxièmes. Nous sommes donc habitués à une voix qui n’est paradoxalement pas la nôtre. Et le décalage entre ce que nous croyons être notre parole et sa réalité est toujours un choc.

Pour s’en libérer, il est utile de considérer la voix que nous allons entendre comme celle d’une autre personne, ou comme une simple extension du texte. J’ai trouvé l’astuce de me raccrocher aux formes d’onde que les logiciels montrent pour y imaginer les mots eux-mêmes, leur prononciation. Ainsi, la ligne temporelle qui se déroule sous mes yeux recrée le texte, et la voix devient moins étrangère. Moins étrange en tous les cas.

« Coupez, on la refait ! »

L’énorme avantage de l’enregistrement reste l’opportunité de recommencer encore et encore pour obtenir exactement le résultat que vous désirez. C’est ce qu’au cinéma on appelle des prises. C’est votre arme décisive dans cette bataille. Votre atout maître. Mais c’est aussi un possible handicap, si vous n’apprenez pas à accepter la simple différence entre ce que vous imaginez du texte et ce que vous aurez récolté lorsque votre voix sera captée.

Ensuite, vous verrez vite que dire un texte est fatigant. Parfois épuisant dans des scènes intenses (les scènes de combat, les scènes émotionnellement fortes, les scènes sensuelles). Est-ce parce que le fait de penser à une action (donc de la dire) fait intervenir les mêmes neurones que si l’on agit réellement (c’est ce que l’on appelle les neurones-miroirs) ? Je ne sais pas, c’est mon hypothèse et elle n’a pas la force d’une vérité scientifique, mais j’ai parfois l’impression d’avoir moi aussi donné des coups ou ressenti des émotions fortes lorsque je dis ce genre de séquence à l’oral. Quoi qu’il en soit, cette fatigue peut devenir un problème pour votre voix : la faire faiblir ou trembler, changer son timbre, sa tessiture, ou vous faire bredouiller, trébucher sur les mots, perdre l’intention et l’intonation, changer un mot pour un autre, et j’en passe.

Mon conseil est simple dans ce cas : faites une pause.

Même si cela ne fait que dix minutes que vous avez commencé l’enregistrement et qu’il vous reste 600 pages à dire. Croyez-moi, il vaut mieux ajourner et reprendre plus tard, que de piétiner et se rendre compte qu’on n’est pas content de soi. Si vous faites une pause, vous reviendrez plus en forme, et cela se sentira sur votre diction et votre implication. Cela sera plus fluide et vous pourrez parler plus longtemps et mieux.

Dans le cas de Fæe du Logis, par exemple, j’ai deux chapitres très longs, heureusement découpés en scènes séparées dans leur ambiance. J’ai donc fait en sorte de faire des pauses entre deux scènes, même si le chapitre a pris plusieurs jours à enregistrer.

Et quand vous bredouillez et que vous devez recommencer une phrase en plein paragraphe dans une scène d’action, la nouvelle prise doit se faire dans la même énergie que la phrase précédente. Il est alors utile de relire mentalement ou à haute voix (encore mieux) la phrase précédente avant de rouvrir le micro pour capter la suite.

Cependant, comme je vous le disais dans la première partie de cette série d’articles, je vous déconseille d’arrêter au beau milieu d’une scène. Pour deux raisons principales : d’abord parce que l’énergie, l’implication, votre interprétation de cette scène pourront avoir changé entretemps, et donc modifier la façon dont le texte sera reçu, ensuite parce que les conditions physiques de la captation de votre voix auront pu elles aussi changer. Le vent se sera peut-être levé entretemps, faisant vibrer les volets. Vous aurez peut-être déplacé votre micro, et il captera alors votre voix de façon plus faible ou plus forte. Les bruits de la pièce auront peut-être changé, et modifieront l’impression sonore à l’écoute.

Ma solution dans ce cas est radicale : j’ai la chance de pouvoir laisser la pièce en l’état entre deux sessions d’enregistrement. Je prends soin de ne surtout plus bouger le micro, de mettre la chaise exactement à la même place, jour après jour. Ainsi, ma voix sera toujours à peu près à la même distance de la cellule du micro, et sera captée de la même manière. Comme j’ai un micro unidirectionnel et comme je suis dans un endroit calme, les bruits environnants sont moins importants.

J’ai ainsi enregistré soirée après soirée tout le texte de Fæe du Logis, avec une impression d’harmonie dans le rendu sonore, comme s’il s’agissait d’une seule et unique prise de son (à partir du moment où j’ai mis en place cette petite routine, bien sûr, donc à partir du chapitre 4).

Rendre le texte vivant

La deuxième difficulté la plus importante après avoir accepté sa propre voix reste la capacité à dire le texte de façon convaincante, qui soit vivante.

Je connais deux techniques pour m’y aider.

La plus fondamentale tient en un mot : implication.

Il s’agit pour moi de m’immerger dans le texte et dans ce qu’il raconte. Pour qu’il soit vivant, il faut que le narrateur, la conteuse, que vous serez, vive elle-même l’action. Que vous vous laissiez emporter par ce que vous avez écrit. Cela va vous donner une énergie dans la voix, mais surtout cela va naturellement guider votre intonation, votre souffle, vos pauses, le volume de votre voix. Si vous vivez vous-mêmes les émotions que vous lisez (et ça devrait être facile, puisque c’est vous qui les avez écrites, elles devraient donc vous parler mieux qu’à quiconque), alors vous les direz facilement, et vous les transmettrez avec efficacité à votre auditoire.

Veillez simplement à ne pas vous céder à votre enthousiasme, et à laisser celles et ceux qui vous écouteront s’imprégner de l’action, de l’histoire.

C’est là que la deuxième technique est utile : gérez votre souffle et votre rythme respiratoire en fonction du texte et des endroits que vous aurez préparés auparavant.

Vous avez bien sûr pris soin de repérer les passages qui méritent qu’on accélère un peu le rythme de parole (pour moi, ce sont les scènes d’action, parfois les scènes « chargées » en émotion) et celles qui demandent à ralentir le rythme de diction (les scènes sensuelles, par exemple).

Calez-vous dessus.

Mais rappelez-vous surtout de garder un débit de parole assez lent en général, de manière à ce que celles et ceux qui vous écoutent puissent recevoir ce que vous dites, l’imaginer, se le représenter. Car il faut que le cerveau de votre auditoire traite les informations que vous distillez par votre voix. Qu’il prenne le temps de se figurer le décor, les personnages, les gestes. Qu’il rajoute des éléments que vous n’aurez même pas dits mais qui viendront de sa propre imagination, de sa propre expérience, comme lorsqu’on lit un texte dans notre tête. Laissez faire l’imagination de votre auditeur, laissez-lui le temps de vous aider par son incroyable richesse. Et vous verrez que le même texte dit un peu plus lentement (mais avec vie) aura l’air d’être plus chargé et plus évocateur, simplement parce que c’est l’esprit de l’auditeur lui-même qui vous aura aidé.

Vouloir aller vite est un défaut que nous avons tous au départ. Il est naturel, il découle de notre envie d’en finir avec une partie fatigante et parfois ingrate du travail. Mais si vous y mettez de l’implication, vous verrez que cela peut être la partie la plus intense et la plus riche du processus.

Pour ma part, quand je suis en plein enregistrement, c’est comme si j’étais en train de vivre l’histoire, comme lorsque je lis, comme lorsque je regarde un film ou un bon épisode de série.

Alors si j’ai un seul conseil à vous donner, ce serait celui-ci : profitez de cette phase au maximum, car elle vous fera redécouvrir votre texte, vos personnages, l’ambiance, presque comme si vous étiez votre propre lecteur. Et ça, ça n’a pas vraiment d’équivalent, à mon sens, dans l’écriture proprement dite.

Changer sa voix ou ne pas changer sa voix

Pourtant, il existe des questions philosophiques auxquelles vous allez devoir répondre avant d’ouvrir le micro.

La plus importante est celle-ci :

Vais-je changer ma voix pour simuler mes différents personnages, ou au contraire garder la mienne, celle du narrateur, en variant seulement de très petites choses à chaque fois ?

Ce choix est essentiel, car il s’agira de le conserver tout au long de votre livre, donc de votre enregistrement, même si celui-ci s’étale sur des semaines.

Chaque terme de l’alternative a ses avantages et ses inconvénients.

Changer de voix à chaque personnage permet de mieux marquer les différences entre personnages (ne serait-ce qu’entre personnages féminins et masculins), en jouant le rôle des guillemets ou des tirets cadratin de l’écrit (ces fameux — qui ouvrent les tirades lorsque l’on change de personne dans un dialogue). On rajoute aussi une couche de crédibilité et de consistance auxdits personnages, car la voix peut dévoiler beaucoup sur un caractère, et créer une ambiance délibérée. Par exemple, dans Le Choix des Anges, j’ai donné volontairement un accent un peu dédaigneux à l’un des méchants, le Comte de Flamarens, pour donner à imaginer un physique bien particulier. On peut aussi choisir une voix très grave pour un videur de boîte de nuit, une voix plus fluette pour un comptable. Ou au contraire, jouer sur un contraste inattendu et faire l’inverse (même si je ne vous le conseille pas, car l’archétype est un allié précieux si l’on veut se servir de l’imagination de l’auditeur). Tout ce que le changement de voix pourra apporter sera de l’ordre de l’inconscient, d’une perception archétypale. Cela enrichira votre récit.

À une seule condition : que ce soit très bien fait.

Car l’inconvénient majeur de cette technique est sa fragilité extrême. Une voix non maîtrisée peut devenir ridicule, jetant à terre toutes vos espérances et tout le travail que vous aurez fait sur le texte. Si vous tombez dans la caricature, le passage sensuel qui vous espériez presque érotique va devenir un pastiche et faire rire l’auditrice au lieu de l’émouvoir ou de l’émoustiller. Il faut donc être très sûr de soi et de sa capacité à créer des voix différentes qui soient crédibles et suffisamment distinctes les unes des autres (sinon ça ne sert à rien d’avoir choisi de changer de voix à chaque personnage).

Deuxième écueil à éviter : le risque de « perdre » une voix que vous aviez trouvée. Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé, mais parfois, il arrive qu’on « oublie » comment faire une voix. C’est gênant quand cela arrive à 10 pages de la fin, et que vous êtes obligés d’enregistrer à nouveau tous les dialogues du personnage dont vous avez perdu la voix. Je vous conseille donc de vous aider d’un enregistrement de référence, mais surtout de ne pas étaler l’enregistrement de votre livre sur plus de quelques semaines, et de surtout ne pas espacer vos sessions de plus de quelques jours. Cela entretiendra votre mémoire corporelle et gardera bien au chaud la voix que vous aurez choisie.

Dernier inconvénient du choix de changer les voix : la fatigue est plus grande, car vous devrez forcer votre voix naturelle. Par définition, vous allez emprunter des voies que votre voix n’aurait jamais prises en temps normal, donc forcer vos muscles et vos cordes vocales.

Une des solutions pour vous débarrasser de ces trois difficultés reste de demander à d’autres personnes d’enregistrer les voix différentes. Mais outre qu’il vous faut trouver des participants qui soient prêts à tenter l’aventure, il faudra dégager du temps, coordonner des agendas… bref, on entre plus dans le cadre de la réalisation d’un film que dans la lecture d’un livre. Et d’ailleurs, cela donne aussi une différence sur l’œuvre finale : une pièce de théâtre sonore, ou une fiction sonore.

Ce sera un résultat complètement autre si vous choisissez d’enregistrer en gardant toujours la même voix (modulo les intonations et les changements de rythme, bien entendu), celle du narrateur ou de la narratrice. Votre livre sera alors vraiment un livre audio, et votre voix accompagnera plus l’auditeur, qui va plus s’en imprégner. Vous obtiendrez ainsi un effet de familiarité, qui pourra augmenter l’immersion dans l’histoire. En effet, les changements de voix peuvent parfois gêner certains auditoires, les sortir de cette sorte de « transe hypnotique » qu’est la lecture.

La difficulté reste de permettre, surtout dans les dialogues, une distinction suffisante entre les personnages. Il vous faudra jouer sur les intonations, les silences, quelques artifices tout de même (vous approcher du micro pour accentuer les fréquences graves sur tel personnage, ou au contraire vous éloigner un peu pour rendre une voix légèrement plus aigüe).

Mais le résultat est plus reproductible. Vous n’aurez pas à réfléchir pour savoir quelle voix prendre pour quel personnage.

Ces deux options sont bien sûr non exclusives l’une de l’autre. Vous pouvez décider de garder toujours la même voix, sauf pour certains personnages très précis. Par contre, ne changez pas d’avis en cours de route, cela perdrait vos auditeurs.

La diction

Le but d’un livre audio est bien évidemment que votre auditoire comprenne ce que vous allez dire.

Il est donc nécessaire de travailler votre diction pour être le plus intelligible possible.

Cela veut dire, je le répète, parler lentement.

Pas trop lentement pour éviter que tout le monde s’endorme, mais suffisamment quand même pour s’assurer que tout le monde comprend, ressent, vit l’histoire. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, rien ne vous empêche d’augmenter le rythme de vos phrases à certains moments de tension, mais cet effet doit rester un effet, justement, et pas une façon d’expédier le texte.

Même dans les moments où vous allez parler plus vite, vous devrez être compréhensible.

Il faut donc apprendre à articuler le texte, à éviter de mâcher ou tronquer les mots (sauf dans les dialogues si c’est un effet recherché, mais là encore cela doit rester un effet).

Je pourrais vous encourager à pratiquer des exercices de diction, comme :

Les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches, archisèches ?

Ou bien

C’est l’évadé du Nevada qui dévala dans la vallée, dans la vallée du Nevada, sur un vilain vélo volé.

Je pourrais.

Et d’ailleurs, cela pourrait vous aider. Mais je pense qu’il est juste nécessaire de faire attention à la façon dont vous parlez. Si vous parlez assez lentement et que vous gardez toujours en tête l’intention du texte, cela devrait déjà être suffisant pour vous permettre de transmettre un texte correct.

« Moteur… ça tourne… action ! »

Techniquement, l’enregistrement audio ressemble beaucoup à la captation vidéo.

Et une preuve de plus en est ce conseil tout bête : laissez toujours une ou deux respirations (donc quelques secondes) de blanc après avoir branché le micro, avant de parler, et inversement, après avoir fini de parler avant de couper le micro.

Cela va vous permettre de séparer facilement, au montage, les bruits parasites des boutons de marche/arrêt, de votre voix.

C’est la même chose qui se produit lorsque sur un plateau de cinéma vous entendez :

« Moteur (demandé, rajoute-t-on en général) » prononcé par le chef opérateur ou le réalisateur.

Quelques secondes de blanc.

« Ça tourne », affirmé par le caméraman lorsqu’il constate que la machine est bien en train d’enregistrer, car il peut exister un délai et si on commençait tout de suite à jouer, on pourrait donc perdre quelques précieuses secondes de l’action.

Quelques secondes de blanc à nouveau et enfin :

« Action ! » Crié par le réalisateur, signal de début du jeu pour les acteurs.

La patience

Le plus important, finalement, et vous l’aurez lu entre les lignes de tout ce qui précède, c’est bien la patience.

Dire un texte, ça prend du temps.

Même si on cherchait à le dire le plus vite possible, cela prendrait un temps certain.

Mais si en plus vous le dîtes lentement, avec l’intention juste à chaque phrase, que vous le vivez et cherchez à le faire vivre, cela va vous prendre un peu plus de temps.

Et si l’on rajoute les nombreuses prises pour certains passages plus délicats, les expérimentations qui seront ou pas convaincantes et vous conduiront à tenter différents accents, différents rythmes, différentes voix, les mots qui trébuchent parfois dans votre bouche, les erreurs d’étourderie, les interruptions dues à la fatigue ou à la nécessité de boire pour éviter que votre bouche s’assèche…

Vous aurez intérêt à être armés de patience, car l’enregistrement prendra un temps beaucoup plus long que le simple fait de lire un livre dans votre tête.

Il s’agit pour vous de le savoir pour ne pas vous décourager.

Et de vous poser des objectifs, par exemple. Un chapitre par session d’enregistrement. Ou une scène par session, comme je le fais parce que j’ai des chapitres à rallonge, en général.

Cela vous aidera à garder la motivation et l’enthousiasme intacts.

C’est d’ailleurs ça qui est le plus difficile.

Que votre envie soit la même du début à la fin, pour transmettre chaque émotion jusqu’à la conclusion de votre histoire.

Il jouait du micro debout

C’est peut-être un détail pour vous, mais pour l’auditeur ça peut vouloir dire beaucoup.

La position physique que vous adopterez aura une grande influence sur votre voix et sur la façon dont vous allez pouvoir vous exprimer.

Beaucoup de conseils vous affirmeront qu’il est mieux d’être debout pour dire un texte.

Je le crois aussi.

D’abord parce que vous éviterez la sédentarité qui a tendance à toucher les « gens du clavier » comme les écrivains (mais pas seulement eux), et donc les maux de dos qui vont avec. Votre corps vous le rendra en vous permettant d’enregistrer plus longtemps. Nathalie Bagadey, par exemple, utilise un pupitre réglable. Je ne l’ai pas encore essayé, mais il me semble très prometteur.

Il me semble aussi que dans mon cas personnel, j’ai surtout besoin de bouger les bras, les mains, la tête, lorsque j’enregistre.

Cela me permet d’accompagner mes mots physiquement, d’appuyer mon intention.

Car les émotions passent toujours par le corps, qu’on le veuille ou non. Les exprimer corporellement permet donc de les vivre et représenter plus intensément. C’est une des bases du jeu d’acteur.

Donc n’hésitez pas à parler avec les mains, à bouger, à vous déplacer. Cela peut vraiment donner une lecture plus vivante (si elle reste compréhensible, bien entendu).

C’est dans la boîte !

Au bout du compte, vous allez obtenir une jolie liste de fichiers (je vous conseille un fichier par chapitre, car c’est le découpage que les boutiques de livres audio demandent) qui seront comme autant de diamants bruts.

Il nous restera à les tailler avec le talent des orfèvres. Ce que nous discuterons dans le prochain article.

Dans la mémoire du Serpent à Plumes

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Fæe du Logis est disponible en papier et en numérique

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J’ai mis 3 ans à l’écrire, et il est enfin là !
Sans doute un peu aidé par la période du premier confinement qui m’a permis d’ancrer (si ce n’est d’encrer), ma discipline d’écriture dans mon quotidien, chaque midi pendant environ une heure, je suis parvenu à terminer cette histoire qui trottait dans ma tête depuis plus longtemps encore. J’espère lui avoir rendu justice.
Désormais, c’est entre vos mains qu’elle se trouve, et je la regarderai parcourir son chemin avec tendresse.
Il n’est plus en mon pouvoir de déterminer son destin à présent. Je ne peux que souhaiter qu’elle touche les lecteurs et les lectrices qui lui feront confiance. Certaines et certains vont l’aimer, d’autres moins. Tous sauront, je le crois, que c’est de mon mieux que je suis entré dans l’aventure.
Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez vous rendre sur la page consacrée à Fæe du Logis, ou lire l’article que je lui ai consacré il y a quelques semaines.
Et si vous voulez vous aussi entrer peu à peu dans l’Autre Monde, les liens qui suivent vous permettront d’acquérir le roman lui-même.

Version papier

  • Date de publication 02/11/2021
  • Urban fantasy
  • 400 pages
  • Format A5, couverture rigide à signet
  • ISBN 9791093734033
  • Prix : 25€
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Version numérique

  • Date de publication 02/11/2021
  • Urban fantasy
  • Format ePub3 compatible ePub2 et Kobo
  • 4,6 Mo sans DRM
  • ISBN 9791093734057
  • Prix : 5,99€
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Version livre audio

  • À paraître en 2021
  • Lu par l'auteur
  • Urban fantasy
  • Formats .mp3, .m4b
  • 40 Mo
  • Prix : 14€
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